Dynamique revendicatrice chez Benito Pérez Galdós et Seydou

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Dynamique revendicatrice chez Benito Pérez Galdós et Seydou
Germivoire 4/2016
ISSN 2411-6750
Dynamique revendicatrice chez Benito Pérez Galdós et Seydou
Badian : Exemple d’une conjonction de deux écrivains
féministes dans Casandra et Sous l’orage
Dr. KOUADIO Djoko Luis Stéphane, Université Félix Houphouët Boigny
(Abidjan – Côte d’Ivoire)
Résumé
L’écriture, plus précisément le roman et le théâtre, servent de moyen d’expression
en vue de mener le combat pour la revendication, voire l’obtention des droits et
libertés fondamentaux. Cette lutte, principalement pour l’émancipation de la femme,
est l’un des enjeux de l’utilisation de la plume par l’écrivain espagnol du XIXe siècle
Benito Pérez Galdós, avec Casandra et le malien Seydou Badian, auteur du roman
Sous l’orage publié en 1957. Les héroïnes de ces œuvres transcrivent l’idéal de vie
des auteurs pour une quête libératrice de la femme, enfermée dans les carcans de
deux mondes foncièrement traditionalistes, l’un de la Restauration espagnole du
XIXe et l’autre, le Mali, reflet de l’Afrique subsaharienne à l’orée des
Indépendances.
Mots-Clés : femme, émancipation, tradition, roman, théâtre, Benito Pérez Galdós,
Seydou Badian.
Abstract
The writing, specifically the novel and theater, serving as means of expression in
order to carry the fight to claim or obtain the rights and freedoms. This struggle,
primarily for the emancipation of women is one of the challenges of using the pen by
the nineteenth-century Spanish writer Benito Pérez Galdós with Casandra and the
Malian Seydou Badian, author of the novel Sous l’orage published in 1957. The
heroines of these works transcribe the ideal life for authors seeking a liberating
women, trapped in the shackles of two worlds fundamentally traditionalist, one of
the Spanish Restoration of the nineteenth and the other, Mali, reflecting SubSaharan Africa at the dawn of Independence.
Keywords: women, tradition, modern, novel, theater, Benito Pérez Galdós, Seydou
Badian.
Djoko Luis Stéphane KOUADIO: Dynamique revendicatrice chez Benito Pérez Galdós et Seydou Badian : Exemple d’une
conjonction de deux écrivains féministes dans Casandra et Sous l’orage
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Germivoire 4/2016
INTRODUCTION
Benito Pérez Galdós et Seydou Badian Kouyaté tendent à remettre en cause
une vision stéréotypée de la femme en Espagne et en Afrique. Casandra et Sous
l’orage s’accordent, certes, à dénoncer une représentation dévalorisante de la
condition féminine. Celle-ci, être méprisé et déconsidéré par l’homme en général
(Cruz 2006, pp.271-292), acquiert chez cet écrivain espagnol une autre dimension
dans la mesure où elle tente de se libérer de la pesanteur de la tradition. Ce constat
est le même en ce qui concerne l’Afrique post-indépendante comme le fait ressortir
Sous l’orage de Seydou Badian. Toutefois, il faut préciser qu’il s’agit de deux
sociétés culturellement différentes tout comme de deux types d’écriture également
différents. D’entrée de jeu, Galdós et Seydou Badian insistent sur les restrictions
subies par les femmes en révélant toute une série de limites qui l’amènent à
éprouver un complexe d’infériorité. Plusieurs exemples peuvent être introduits pour
justifier cette idée. Tout d’abord, il y a l’insistance sur la limitation dans l’Espagne
du XIXe siècle, voire l’interdiction imposée à la femme d’accéder aisément aux
biens et services de base comme le stipule María Del Mar Hidalgo García :
« Además las mujeres tienen un menor acceso a la formación, a la información, los
servicios públicos de protección social y a los mercados » (Hidalgo Garcia 2000 :
p.94). Certes, en Espagne et au Mali, cette offre de formation scolaire ne lui est
offerte que dans une certaine mesure (Opheim 2000 : pp.152-171)1. Ces deux
auteurs évoquent l’infériorité morale et sociale attribuée à la femme et s’insurgent
contre une telle approche. Toutefois, Seydou Badian plante le décor sur fond de
choc culturel puisque Sous l’orage
présente le microcosme de la société
traditionnelle malinké chamboulée par l’arrivée de la modernité puisque la fille du
père Benfa, Kany manifeste sa volonté d’épouser l’homme de son choix malgré
l’opposition de son père. Il est donc utile de s’interroger sur la dynamique de la
revendication d’un nouveau statut pour la femme dans une société où cette
dernière est marginalisée. C’est par rapport à cette perspective que se justifie notre
sujet « Dynamique revendicatrice chez Benito Pérez Galdós et Seydou Badian :
exemple d’une conjonction de deux écrivains féministes dans Casandra et Sous
Les critiques convoqués permettent de se faire une idée exacte, à partir des données statistiques,
sur la marginalisation dont sont victimes les femme dans ces deux zones. Sur la situation au Mali, cf.
Marianne Opheim (2000) : « Les filles et l’école au Mali », in Nordic Journal of African Studies, N°9 :
Helsinki. University of Helsinki, pp.152-171 ; et sur celle de l’Espagne à l’époque galdosienne cf.
Enrique Bernad Royo (2000) : « La instrucción de la mujer a finales del siglo XIX. La escuela para la
mujer de Zaragoza ». Zaragoza : IFC.
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l’orage». Autrement dit, comment Casandra et Sous l’orage sont-ils respectivement
des armes de remise en cause de l’infériorité sociale de la femme espagnole et
africaine ? Dans la première partie de notre article, nous expliciterons la
méthodologie suivie qui est la thématique en plus de la présentation des œuvres
étudiées sans oublier le contexte socio-historique permettant d’en cerner le contour.
La seconde partie de notre étude sera relative à la contestation, par les femmes, de
la mainmise des hommes. Enfin, la troisième partie traite de l’écriture à vocation
moraliste de Casandra et Sous l’orage.
1. THEMATIQUE, CORPUS ET CONTEXTE SOCIO-POLITIQUE
La méthodologie que nous utilisons est l’approche thématique. En effet, la
construction thématique s’appuie sur des phénomènes inscrits dans le texte comme
les récurrences. Or, nous notons que chez Galdós et Badian, l’élément récurrent
s’avère être la femme. Ainsi, se dégage une relation entre la portée des œuvres
écrites par Galdós et Badian et la thématique de la femme. C’est dans cette
perspective que pour Michel Collot :
Le thème […] n’est rien d’autre que la coloration affective de toute expérience
humaine, au niveau où elle met en jeu les relations fondamentales de l’existence,
c’est-à-dire la façon particulière dont chaque homme vit son rapport au monde, aux
autres et à Dieu […]. Son affirmation et son développement constituent à la fois le
support et l’armature de toute œuvre littéraire ou, si l’on veut, son
architectonique. (Collot 1988 : pp.91-97).
Par ailleurs, nous observons que Rimmon-Kenan postule l’existence d’une
certaine homologie entre le signifié global du thème et les divers aspects formels de
l’œuvre. De notre point de vue, la logique thématique informe certes sur le
fonctionnement du textuel, mais aussi il faut reconnaître que ce dernier, à son tour,
en infléchit le sens. C’est à juste titre que Claude Bremond écrit que «[le thème]
n’est pas perçu comme un signifié dont le «dicible» serait épuisé par ce que le texte
en dit, mais comme un référent à la fois intérieur et extérieur au texte, comme une
réserve […] de formulations […] créant des écarts de sens.» (Bremont 1985 :
p.422). Ainsi parmi les thèmes qui figurent dans le roman-théâtre Casandra, celui
du système de la Restauration canoviste est fortement critiqué par Galdós. A ce
niveau, il faut noter que la Restauration, initiée par Antonio Cánovas del Castillo,
est, depuis 1876, le régime politique de l’Espagne. Ce régime est surtout marqué
par sa vision passéiste, en complète opposition avec l’Europe qui se modernise et
s’ouvre au progrès sous toutes ses formes (Avilés 2000).
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Casandra va refléter une constance dans l’écriture galdosienne puisque deux
Espagne sont effectivement dessinées par Galdós. Le roman Casandra est publié
en 1905 tandis que Casandra, pièce de théâtre, apparaît en 1910. Le contexte
d’écriture de cette œuvre est lié à la situation politique de 1898. En effet, la guerre
de 1898 qui oppose les États-Unis et l'Espagne pour la possession des dernières
bribes de l'empire espagnol présente un caractère particulier. C'est à la fois un
conflit mineur de courte durée, quelques semaines, et assez peu meurtrier; mais qui
va modifier la géopolitique mondiale (Serrano 1998). L'Espagne retombe au rang de
nation européenne dépouillée de ses possessions et en proie à une crise morale
qui durera jusqu'en 1940 ; les Etats-Unis accèdent au rang de puissance mondiale
grâce en particulier à l'action remarquable du président Théodore Roosevelt
(Avenel 2007). Casandra, est publiée, en tant que roman en 1905 et pièce de
théâtre en 1910. Or, depuis 1876, toutes ces années sont dominées par le système
de la Restauration qui immobilise l’Espagne, plongeant la nation ibérique dans un
anachronisme sans bornes. L’Espagne traditionaliste et celle libérale sont si
campées sur leurs positions, et ce, depuis la Guerre d’Indépendance contre la
France de 1808 à 1813, que le pays ne peut s’en sortir. En réalité, se dégage le
double visage de l’Espagne avec d’un côté, la conservatrice croisade politicoreligieuse fondée sur un catholicisme intangible et monolithique, et de l’autre une
tendance progressiste et libérale mettant fin aux poids des héritages et des
carences structurelles. L’héroïne éponyme de Casandra, n’est pas une intellectuelle
puisqu’elle ne bénéficie pas d’une instruction poussée dans une Espagne où peu de
femmes savent lire et écrire (Royo 2000). Néanmoins, Casandra s’attache à
remettre en cause le fait que la femme doive obéir sans sourciller à tout ce qu’on lui
propose comme dogme. A titre d’exemple, au nom du libre-arbitre, elle n’hésite pas
à remettre en cause les doctrines chrétiennes catholiques sur l’existence de l’enfer
et sur la problématique de la morale, tout comme la question de la « limpieza de
sangre »2. Hering montre que la « limpieza de sangre » s’explique par la peur et le
rejet du secteur traditionaliste catholique de la présence d’autres religions en
La « limpieza de sangre », qui signifie « pureté de sang », est un concept qui s'est développé en
Espagne et au Portugal à partir de la fin du XVe siècle. Il renvoie à la qualité de vieux chrétien, dénué de
toute ascendance juive ou maure, par opposition aux nouveaux chrétiens, juifs ou musulmans convertis,
le plus souvent par la force, et dont on doutait de la réalité de la foi. L'obsession de la pureté de sang
entraîna, aux XVIe et XVIIe siècles, l'interdiction pour tous ceux ne pouvant se prévaloir d'un statut de
limpieza de sangre d'accéder aux principales institutions civiles ou ecclésiastiques espagnoles, en
exigeant pour tout candidat souhaitant intégrer ces corps, de produire un statut de pureté de sang
appuyé sur une longue et coûteuse enquête. Cf. Max Sebastián Hering Torres, Limpieza de sangre,
¿racismo en la edad moderna, Tiempos Modernos : Revista Electronica de Historia Moderna, Vol. 4,
N°9, 2003, p.6.
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Espagne. Il écrit :
Inquisidores y moralistas no titubearon en transferir la culpabilidad de judaizantes
conversos a todos ellos, para así darle un matiz de legitimidad a la introducción de
los estatutos. De hecho, las cláusulas de “limpieza de sangre” reflejan
primordialmente el miedo de la sociedad “cristiana vieja” ante una asimilación
judeoconversa, la cual, a pesar de las serias dificultades iniciales de aculturización,
se hacía con el paso del tiempo cada vez más evidente (Hering 2003 : p.3).
Cette vision de l’Espagne lui sert de mode opératoire pour mettre en
situation hasardeuse des personnages qui servent ou desservent l’idéal
progressiste, la religion catholique et les institutions sociales. Dès lors, à travers un
déterminisme lié au mécanisme des rapports conflictuels, ceux-ci sont des
symboles d’idéologies irrémédiablement irréconciliables faisant des romans des
clichés sociaux. En fait, Galdós cherche à s’approprier la justification de Zola. C’est
la raison pour laquelle, au fil de l’évolution romanesque, la perspective galdosienne
sera empreinte d’un relent naturaliste dans certaines œuvres pour les raisons
suivantes:
Nous montrons le mécanisme de l’utile et du nuisible, nous dégageons le
déterminisme des phénomènes humains et sociaux, pour qu’on puisse un jour
dominer et diriger ces phénomènes. En un mot, nous travaillons avec tout le siècle
à la grande œuvre qui est la conquête de la nature, la puissance de l’homme
décuplée. Et voyez à coté de la nôtre, la besogne des écrivains idéalistes, qui
s’appuient sur l’irrationnel et le surnaturel, et donc chaque élan est suivi d’une chute
profonde dans le chaos métaphysique (Zola 1879)3.
Galdós livre de précieux renseignements dans sa correspondance privée sur
le processus de rédaction. Ainsi en est-il de la création de Casandra qui s’appuie
sur les visites exploratrices qu’a effectuées Benito Pérez Galdós dans les différents
quartiers et banlieues de Madrid. Il relate cela dans sa lettre à Manuel Tolosa
Latour qu’il appelle affectueusement Manolo:« Mi querido Manolo : no he podido ir a
verte porque las mañanas las paso escribiendo en casa y las tardes, buscando y
observando pobres por iglesias, casas de los barrios del sur, Injuria, (…).» (Ortega
1964: p.15).
A l’instar de Galdós s’attaquant aux piliers ou secteurs traditionnels, Seydou
Badian va montrer les tares de ce système au niveau du Mali dont la situation est
similaire à bon nombre de pays de l’Afrique subsaharienne. Ecrivain malien de la
première génération, Seydou Badian a effectivement connu le passage du monde
traditionnel au monde moderne. Dans ses œuvres, il traite du déracinement, de
Cette citation du naturaliste français Emile Zola paraît pour la première fois dans Le roman
expérimental publié en août 1879 et elle est reprise dans Le roman expérimental, Paris, Poche, 2006.
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l’acculturation, de la colonisation, sans oublier la question de la femme appelée à
s’émanciper (Dieng Saliou 1999).
Outre la condition de la femme, thématique chère à notre étude, à travers le
mariage de Kany selon la tradition malienne et africaine, Sous l’orage est aussi un
condensé de thèmes tels que le conflit de générations et le conflit de cultures, le
choix entre l’Afrique repliée sur l’univers traditionnel et l’Afrique qui doit s’ouvrir à la
modernité occidentale (N’Tita 2014). La jonction entre Galdós et Seydou Badian se
fait à partir du moment où tous deux mènent, à des époques et dans sociétés
différentes, un combat similaire : le respect du droit d’autrui, spécialement celui de
la femme. Il faut préciser que le Mali de 1957 est un pays s’apprêtant à sortir de la
sphère coloniale. C’est un monde marqué par un fort ancrage dans la tradition où
la culture musulmane, mêlée de la tradition africaine, semble reléguer la femme à
un second plan. L’exemple le plus édifiant est le mariage précoce des jeunes filles
et le fait qu’elles doivent accepter tout mari qui leur est proposé par la famille.
Philippe Antoine fait ressortir cet aspect en ces termes:
Normalement, en effet, il revient au père du garçon, et plus souvent encore s’il
existe et est vivant, à son frère aîné, - la mère et les femmes étant en général
officiellement exclues des tractations-, de choisir la fille dont on pense qu’elle
conviendrait au garçon qu’on désire marier ; le choix est déterminé, notamment par
toutes les observations qui ont pu être recueillies sur le comportement de la fille, sur
ses antécédents familiaux […]. On relèvera, cependant, qu’il n’y a pas là recherche
d’un consentement du garçon […] et […] de […] la jeune fille (Antoine 1992 :
pp.527-528).
Sous l’orage présente plutôt une démarche contraire en ce sens que Kany,
héroïne, décide de choisir son fiancé. Elle a été à « l’école des Blancs », l’école
occidentale. Kany a donc une vision différente de la vie, diamétralement opposée à
celles de ses parents. Nécessairement, le choc sera frontal, terrible et destructeur.
Ces deux auteurs ont pour objectif de montrer qu’en dépit de la différence liée aux
sexes, la Nature a conféré à l’être humain, masculin et féminin, une dignité, une
noblesse qui l’élève au-dessus de l’abîme de la marginalisation, de la tragédie et de
la souffrance. Pourquoi la femme doit être considérée comme un être inférieur,
confiné au simple statut d’être charmant ? Galdós et Seydou Badian estiment que
cette question, ou du moins, cette conception n’a pas sa raison d’être. Ainsi donc, la
beauté ne réside pas essentiellement dans de beaux traits extérieurs car la
tendance de cette société espagnole est portée sur la dimension physique et ce qui
la cultive : les artifices, la mode, le maquillage par exemple. Ce qui est fondamental,
c’est la distinction de la personne humaine que le romancier élabore au niveau
physique, moral et spirituel. Ces trois réalités sont liées. Par exemple, Galdós et
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Badian montrent que la femme, confrontée à l’univers de la tradition, ne saurait être
réduite à la maxime : « Sois belle et tais-toi ». Le personnage Sidi, lorsqu’il
s’adresse à Birama, indique qu’il faudra mener, tôt ou tard, le combat pour l’égalité
entre l’homme et la femme, surtout dans le domaine du choix librement consenti
des époux, même si cela doit passer par une confrontation violente entre deux
mondes, l’un traditionnel et l’autre moderne. En d’autres termes, le conflit
générationnel, même s’il s’opère dans la douceur, s’impose à l’Afrique postindépendante comme le fait ressortir le personnage Sidi :
La révolution n’est pas pour maintenant, dit Sidi avec mélancolie ; avec les vieux
nous ne savons plus que faire. Mais vois-tu, Birama, les vieux comme le père
Benfa, qui n’ont connu que l’Afrique, sont en général sincères quand ils cherchent à
nous imposer le passé. Je connais des familles de soi-disant « lettrés » qui sont
aussi bourrés de préjugés. Eux, quand ils marient leur fille, c’est absolument par
intérêt. C’est (…) contre eux que nous devons lutter (Sous l’orage 1973 : p.159).
Benito Pérez Galdós et Seydou Badian révèlent que les préjugés sont à la
base de l’enracinement de toute société dans le passé. Par conséquent, le combat
contre les préjugés devient leur cheval de bataille. Les héroïnes de Galdós et de
Seydou Badian rappellent à leurs sociétés, et partant à l’humanité toute entière, que
l’être féminin a un rôle de décideur, bien qu’elle soit marginalisée :
Sin alejarse de la caracterización progresista otorgada por algunos autores
españoles como Benito Pérez Galdós y Mª Luisa Algarra, que optaron por
convertirla en símbolo de la lucidez del librepensamiento frente a los modelos
conservadores, la Casandra actual rescata su condición de concubina de
Agamenón y es presentada como un símbolo de la marginación, en una doble
vertiente, la sufrida por todas aquellas mujeres victimizadas a manos del varón y la
de todos aquellos seres que deben emigrar y abandonar sus países y costumbres
para defender su dignidad. También se erige como una profetisa que alerta sobre
los graves peligros de los planteamientos belicistas, aboga por el respeto a los
derechos humanos, y advierte sobre las consecuencias de la deshumanización del
entorno urbano (Frutos 2005 : pp.43-52).
Il y a donc, du point de vue de María Francisca Vilches de Frutos, une
volonté de la part de l’écrivain espagnol de témoigner de la marginalisation de la
femme. Dans leurs œuvres, Benito Pérez Galdós et Seydou Badian s’appuient
fortement sur les dialogues qui permettent la confrontation d’opinions diverses de
manière à véhiculer ses positions, tout en se dédouanant puisqu’ils attribuent aux
personnages la responsabilité de leurs actions (Ducrot 1993). Oswald Ducrot
indique que l’écrivain « a à sa disposition des modes d’expressions implicites qui
permettent de laisser entendre sans encourir la responsabilité d’avoir dit ». Ainsi,
les romans de Benito Pérez Galdós et de Seydou Badian se posent en critiques
acerbes de la main mise masculine sur la femme.
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2. UNE MAIN MISE MASCULINE CONTESTEE
Reprenant indirectement à leur compte l’explication biblique ou coranique de
la création de la femme, tirée de la côte du premier être humain appelé Adam4,
Galdós et Badian expliquent que l’inégalité entre hommes et femmes trouve son
explication dans la relation établie entre l’homme et la femme à travers le critère de
dépendance. Ainsi, au lieu d’être un sujet libre et autonome, la femme apparait trop
souvent sous les traits d’un objet façonné par l’homme et n’existe qu’à travers le
regard de l’homme, qui s’attache à limiter l’expansion intellectuelle et morale de la
femme. En d’autres termes, rien ne peut se décider sans l’aval masculin qui, en
outre, représente l’univers clérical. Par ailleurs, Galdós et Seydou Badian font
ressortir une autre perspective. En effet, tous deux semblent remettre en question,
par endroits, l’idée d’une nature de la femme ; ou du moins c’est cette conception
qui s’affiche de par les propos de certains personnages dont le machisme est sans
égal (Freedman et al. 2006)5. N’oublions pas que Famagan, nom du père de Kany,
signifie en langue bambara « père ». Le choix de ce nom n’est pas fortuit puisque
l’on y voit, de la part de l’auteur, une volonté de pointer du doigt l’autorité
multiséculaire de l’homme, genre masculin, à qui rien ne peut ni ne doit être refusé
dans un Mali viscéralement traditionaliste. Cette vision est perceptible dans
plusieurs œuvres de Benito Pérez Galdós et le roman-théâtre Casandra évoque la
femme qui est prête à tout pour rompre avec le système, d’où le bouleversement
que va provoquer sa représentation scénique (Valverde 2012). Les personnages
conservateurs affirment que l¨infériorité morale de la femme est plutôt due à la
mauvaise éducation dispensée par les hommes. Galdós et Badian ajoutent
également que la femme doit chercher à accéder au rang de sujet complet,
devenant ainsi le pendant des hommes. En d’autres termes, la femme doit lutter
La femme est "tirée du côté" de l’homme… elle est de son côté, elle est de son "bord"; elle est en
dehors de la série d’animaux qui venaient de défiler devant Adam… elle est de la même "sorte de
vie"… "C’est l’os de mes os, la chair de ma chair. Celle-ci sera appelée "femme" car elle fut tirée de
l’homme." Cf. Bible TOB, Paris, TOB, Gn 2, 23. Dans le cadre islamique, d'après Abou Houreira, un
des compagnons du Prophète Mohammed, celui-ci a dit: « Celui qui croit en Allah et au jour dernier
qu'il ne cause pas de gêne à son voisin et soyez bon avec les femmes. En effet elles ont certes été
crée d'une côte et ce qui est le plus tordu de la côte est sa partie supérieure. Si on veut la redresser
on la casse et si on la laisse elle reste tordue. Soyez bon avec les femmes ». (Rapporté par Boukhari
dans son Sahih n°5185).
5 Le machisme désigne la tendance de certains hommes ou femmes à mettre en avant de manière
exacerbée et exclusive la virilité des hommes et de croire que les femmes leur seraient inférieures
dans tous les domaines ou dans les domaines prestigieux, pensant ainsi qu'il est logique qu'elles
soient cantonnées aux tâches subalternes. Toutefois, le machisme implique souvent la phallocratie où
seuls les hommes décident ou ont le pouvoir de décider, dans les domaines les plus importants, et
peut impliquer la misogynie. L’étude réalisée par Freedman en donne un véritable aperçu.
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aussi bien dans cette société espagnole du XIXe siècle, tout comme dans la société
malienne post-indépendante. Somme toute, Galdós, à travers Casandra et Badian,
auteur de Sous l’Orage, envisagent une possibilité d’émancipation réelle de la
femme.
Toutefois, la remise en question des stéréotypes n’aboutit pas toujours à une
nouvelle condition de la femme puisque de nombreux passages de leurs textes s’en
font l’écho eu égard aux actions réactionnaires mises en œuvre par des
personnages féminins et masculins et qui agissent comme de véritables opposants
aux héroïnes Casandra et Kany. Certains personnages font l’éloge de la perfection
féminine lorsque celle-ci décide, en son âme et conscience, de lutter pour mettre fin
à son infantilisation. C’est donc une image valorisante de la femme, en totale
opposition avec le caractère vil et brutal de l’homme que proposent au monde
Galdós et Badian. Par ailleurs, la posture adoptée par les héroïnes, Casandra et
Kany indique l’ambigüité de la condition féminine dans une Espagne et une Afrique
profondément traditionalistes. L’on note une hésitation entre deux postures
contradictoires : d’un coté, la vision traditionnelle; de l’autre, le désir d’égalité qui
traduit la volonté de rompre avec l’anachronisme dans laquelle baigne ces sociétés.
Ainsi se dégage tout un cheminement de la pensée de ces deux auteurs, qui
s’interrogent sur statut des femmes d’une part, à travers une sorte de
conditionnement du lecteur ; et d’autre part, en ayant tendance à porter un discours
de vérité sur ce sujet eu égard à l’usage du présent de vérité générale dont ils
friands. C’est dans ce sens que Baethens estime que « le lecteur sait ce qui
l’attend. Charles Grivel écrit que ‘l’autorité du texte se lit et se subit dès sa marque
inaugurale. Le conditionnement du lecteur a lieu à partir du moment où le
déchiffrement s’amorce, c’est-à-dire immédiatement » (Baethens 1996 : p.20). En
effet, Casandra et Sous l’orage s’attachent à une vile dénonciation du
comportement masculin en se basant sur un discours polémique et sur une
accusation directe de l’homme, frisant la diatribe, à travers des modalisateurs
dépréciatifs. De là, apparaît un portrait fort peu élogieux de l’homme qui est
caricaturé en pur manipulateur vaniteux. Le lexique utilisé par Casandra et Kany,
femmes révoltées, permet d’assister à un puissant blâme de l’homme face à l’éloge
de la femme. C’est, en réalité, le sens de l’usage de phrases antithétiques dans ces
œuvres littéraires en vue d’atteindre cet objectif. L’on est en face d’une véritable
satire dont l’objectif est d’aboutir à une remise en cause du rapport entre l’homme et
la femme. En réalité, Casandra et Kany montrent comment les femmes révoltées
deviennent une menace pour la société machiste lorsque celles-ci rejettent la
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conception héritée du Livre de la Genèse et du Coran faisant de la femme un objet
façonné pour la satisfaction de l’homme. Voir la femme sous cet angle expose l’idée
selon laquelle celle-ci est en liberté conditionnelle, radicalement dépendante de
l’homme est un fait dénoncé par les deux écrivains dont l’écriture répond à une
vocation moraliste.
3. DEUX ECRITURES A VOCATION MORALISTE
La dépendance de la femme vis-à-vis de l’homme lui donne un statut ambigu car
celle-ci ne peut jouir que d’une liberté relative, soumise aux conditions des hommes
soucieux de leur suprématie. C’est le sens de la présence dans le discours de
Casandra et Kany de négations restrictives et des subordonnées de condition qui
marquent ce véritable conditionnement et dont les propos et attitudes témoignent de
cette volonté de briser les tabous et préjugés. L’écriture de Benito Pérez Galdós
s’insurge contre toute forme de vision infantilisante de la femme contrairement à
certains romanciers qui en font l’exaltation. Cette vision réductrice de la femme
dans le roman espagnol du XIXe siècle est ainsi exposée par Carmona :
La novela (…) compadece a la mujer trabajadora, y la admira por soportar su
condición. Su trabajo está tan mal retribuido que es un heroísmo perseverar con
tareas que, según Concepción Arenal, forzosamente debían ser repulsivas por su
monotonía y escasa retribución. Causa de que muchas mujeres se hagan
perezosas y se lancen por caminos extraviados. Se sabe, dice, que la miseria es
el principal acicate de la prostitución, pero miseria es tanto la falta de trabajo como
un exceso a cambio de una retribución irrisoria. La misma labor está mucho mejor
remunerada, si la hace el hombre. Las diferencias de salario entre los dos sexos
son notorias. Según los distintos autores, con el sueldo del hombre medio se
puede vivir, con el de la mujer sólo se puede morir (Carmona 1990 : p.149).
C’est donc à juste titre que Kany, par son entêtement à refuser d’épouser
Famagan, riche homme imposé par sa famille, réussira à faire plier l’échine aux
hommes. L’auteur appelle à la destruction des mythes et tabous imposés à la
femme par la société machisto-traditionnelle. Le dialogue entre Aladji et Benfa, père
de Kany, et Mamari, tous garants de la tradition, s’en fait l’écho :
Aladji, ce que tu viens de dire est juste. Nous sommes dans un monde que nous ne
connaissons pas. […] Cependant, malgré tout, je me m’attendais pas à cela de la
part de Kany… Je me suis entêté, parce que j’avais donné ma parole à
Famagan[…].- C’est cela ! s’écria Mamari, j’y ai pensé […]. J’ai vu Famagan, par
trois fois. […]Il se retire, m’a-t-il dit, si tu y consens […]. Famagan s’était retiré de
lui-même. (Sous l’orage : p.166).
Djoko Luis Stéphane KOUADIO: Dynamique revendicatrice chez Benito Pérez Galdós et Seydou Badian : Exemple d’une
conjonction de deux écrivains féministes dans Casandra et Sous l’orage
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L’exemple de Kany est donc novateur et il indique, par ricochet, que la
persévérance finit par octroyer, à la femme marginalisée, réduite à sa plus simple
expression, la reconnaissance de ses droits et libertés. Pour ces trois symboles de
l’émancipation féminine, Casandra et Kany, le bonheur de la femme doit passer par
la destruction de la société repliée sur elle-même, autarcique, qu’elle soit espagnole
ou africaine, dont l’unique repère est le passé. L’écriture de Galdós n’est pas s’en
rappeler l’activité dévolue aux auteurs réalistes du XIXe siècle consistant à faire la
peinture des maux de leurs sociétés européennes.
La novela realista española alcanza con Galdós su madurez y sus frutos más
sazonados. Por su extensión, alcance social, honda significación humana y por la
pintura general de su época, su obra puede parangonarse solo con la de Balzac,
Dickens, Tolstoi o Dostoyevski. [Sus novelas] reflejan las vicisitudes de la sociedad
española […], las ideas que imperaron y los conflictos que se debatieron […]
combaten el fanatismo religioso, los prejuicios de esta índole (Torri 2013 : p.404).
Toutefois, Seydou Badian ne fait pas la promotion d’un rejet viscéral de la
tradition. Certes, comme les femmes guerrières (Voisset-Veysseyre 2010), Kany
apparaît comme le pendant d’une amazone prête au sacrifice suprême pour la
réalisation de l’objectif qu’elle s’est assigné. Seydou Badian demande simplement
la fin de certaines pratiques, comme le mariage forcé, sans que la société
traditionnelle ne soit pour autant totalement détruite vu que celle-ci regorge de
vertus. A ce sujet, l’écriture de Badian touche les maux présents aussi bien en zone
rurale que dans le secteur citadin. C'est par rapport à cette perspective que
Jacques Chevrier fait la remarque suivante :
Les hommes ont su garder intacte la foi ancestrale qui leur permet d'exorciser, le
moment venu, les démons de la démesure et de restaurer dans l'union sacrée
l'équilibre menacée du clan […]. Il n'en va malheureusement pas de même dans la
ville, contrepoint de la brousse, où les personnages de Seydou Badian [...]
découvrent avec stupéfaction un monde dans lequel le mensonge, la tricherie [...]
semblent avoir définitivement supplanté les vertus traditionnelles (Chevrier 1984 :
p.6).
Il en découle qu’il s’agit, dans la vision de Seydou Badian, d’un appel au droit
à l’existence du phénomène culturel traditionnel, mais à condition que ce dernier
n’entrave pas le libre-arbitre et le bien-être individuel et collectif. Cette voie est aussi
celle à laquelle aspire Galdós à travers la quête de la régénération qui passe par
Casandra et Doña Juana dans Casandra. Partant de ce double constat, Casandra
et Sous l’orage pourraient se lire en tant que des œuvres dont la visée est la
moralisation des sociétés africaines et européennes puisque Benito Pérez Galdós
et Seydou Badian sont auteurs de réflexions sur les mœurs, sur la nature et la
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conjonction de deux écrivains féministes dans Casandra et Sous l’orage
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condition humaine. Cette attitude moraliste peut s’observer à travers les propos de
Casandra lorsqu’elle n’hésite pas à dénoncer les vices des hommes politiques. A ce
niveau, elle rejette l’hypocrisie religieuse, la manipulation et la quête du profit
caractérisant les bandits à col blanc. Rogelio, de la bouche de Casandra, en est le
parfait reflet :
El hombre que ha vivido siempre en una ligereza descuidada, simpática y graciosa,
ahora quiere parecerse a los que entristecen su alma en los negocios. Eras la
franqueza, el desprecio de la adversidad, el ingenio y la poesía, el semblante
siempre risuñeo, y ahora te has hecho una cara nueva, poniéndote en ella
cavilaciones y el pliegue feísmo que dice : ‘‘Aquí hay secretos…’’. Para que veas lo
cambiado que estás, tienes la cara de hombre público…, imitas a esos que hablan
de arreglar la Hacienda y de salvar al país (Casandra : p.123).
Casandra et Sous l’orage s’apparentent à des œuvres dont l’objectif est de
bâtir « una ciencia que trata del bien en general, y de las acciones humanas en
orden a su bondad o malicia » ; d’autant plus que Galdós se permet, en définitive,
de moraliser son peuple parce qu’il veut « reformar las malas costumbres
enseñando las buenas » (Diccionario de la Real Academia Española 2001 :
pp.1040-1041). En effet, il y a une souplesse de l’écriture mêlée à une apparente
discontinuité du propos et l’on assiste, tout au long de la lecture de la pièce de
théâtre-roman Casandra et du roman Sous l’orage, à une sorte de décryptage du
comportement masculin. La mission de l'écrivain consiste alors à faire entendre un
discours par le biais des aventures de l’héroïne Casandra qui font que le lecteur
arrive à tirer une conclusion, en devenant ainsi le garant, manipulé, sans doute
inconsciemment, par la dextérité de l’écrivain qui l’a amené à décrypter les maux
sociaux par la médiation de la lecture (Negrón 2006). Dès lors, la plume de Benito
Pérez Galdós sert à l’écriture d’invention de type argumentatif. L'enjeu est d'écrire
un discours à même de convaincre et de persuader le public récepteur. Il est vital,
pour Benito Pérez Galdós, d’exposer et de vaincre les démons qui détruisent le
corps social (Behiels 2000). Pour atteindre cet objectif, Casandra se caractérise,
premièrement, par l’alternance de passages mettant en valeur l'indignation du
narrateur et parfois des personnages eux-mêmes à travers le lexique de la
déploration, les amphores, les figures d'insistance, sans oublier le registre
pathétique. Deuxièmement, Casandra est ponctué d’autres passages visant à
convaincre, par la démonstration rationnelle sur l'égalité entre hommes et femmes à
l’aide d’arguments d'autorité ; ou à persuader par le recours au vocabulaire des
sentiments et de l’affectif. Dans l’ensemble, le discours galdosien est constamment
relayé par une série d'exemples montrant les différents degrés de maltraitances
Djoko Luis Stéphane KOUADIO: Dynamique revendicatrice chez Benito Pérez Galdós et Seydou Badian : Exemple d’une
conjonction de deux écrivains féministes dans Casandra et Sous l’orage
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faites aux femmes comme l’esclavagisme, l’inégalité des droits, la misogynie
banalisée dans les sociétés occidentales du XIXe, comme l’atteste le code civil de
Napoléon de 1804 (Calland 2015), et dans l’Afrique subsaharienne du XXe siècle
(Yade 2007). Outre les situations dialoguées, le regard des narrateurs sert à
orienter le lecteur sur l’objectif que s’assignent les auteurs qui est la dénonciation
de la condition féminine à leurs époques (Maffini 2014 : pp.47-55).
CONCLUSION
Aux yeux de Galdós et Badian, la femme est considérée, en Espagne et en
Afrique occidentale, par le truchement de l’écriture, comme un être humain
infantilisé. Avec le roman-théâtre Casandra, le monde de la presse a trouvé que
Galdós n’était pas un digne fils de l’Espagne vu qu’il s’attaquait à des piliers
(Valverde 2012 : pp.755-770). Dans un monde traditionnel, rural au niveau de
Casandra et Sous l’orage et emmuré dans de vieilles coutumes, la femme
revendicatrice est comme perdue et écrasée au milieu de l’immensité de la capitale.
Le narrateur analyse la situation en employant des thèmes assez extrêmes eux
aussi pour décrire l’état d’esprit du personnage. L’arrivée de la jeune intellectuelle
façonnée par l’école occidentale coloniale, Kany, dans son village est donc un vrai
problème ; puisque de là part le bouleversement de tout son univers traditionnel car
Kany refuse d’être mariée sans son consentement préalable. C’est le constat que
pose Ambrose Umeh en ces termes :
Tout compte fait, nous constatons que dans Sous l’orage, le fond du problème c’est
l’éducation de la femme, c’est-à-dire la formation européenne que reçoit Kany, la
fille du père Benfa. Donc, le père s’oppose à cette formation non pas en tant que
telle, mais en tant que système qui détourne, l’enfant de la tradition et prive le père
de son autorité paternelle. (…).L’enfant ayant fréquenté l’école n’est plus prêt à
épouser n’importe qui, n’importe quand. Il a appris une idée nouvelle de mariage ;
c’est-à-dire un mariage d’amour et de choix personnel, et non plus un mariage
précoce et forcé (Umeh 1981).
Casandra n’est pas en reste. Elle devient une sorte de prophète ouvrant la
femme à la vie (Galeote 2011, pp.1-4). Il faut surtout préciser que les interventions
du narrateur galdosien et dans l’univers de Seydou Badian analysent l’état d’esprit
du personnage en général, mais beaucoup plus les héroïnes qui sont victimes de
leur milieu social, en complet déphasage avec les réalités modernes qui exigent
cette libération de la femme.
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conjonction de deux écrivains féministes dans Casandra et Sous l’orage
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