Bernard Abeille

Transcription

Bernard Abeille
PORTRAIT
BERNARD ABEILLE
Le musicien de la nature
Fervent défenseur de l’environnement, le musicien Bernard Abeille a trouvé une manière
originale de concilier ses deux passions en créant un spectacle dans lequel il imite à la
perfection le chant des baleines à la contrebasse. Depuis 7 ans, il offre au public mahorais
une démonstration de ses talents au cours du festival de l’image sous-marine. Rencontre
avec un musicien pas comme les autres…
A
près avoir assisté à l’une de ses
représentations, nous retrouvons
Bernard Abeille dans un café situé
en bord de mer, ce milieu naturel qui lui est si
cher. Cet homme de 64 ans, au teint hâlé et à
l’épaisse chevelure blanche, semble aussi plein
d’énergie qu’un jeune homme.
“C’est parce que je vis mes passions”, expliquet-il en riant. Grand défenseur des baleines et
musicien de talent, l’homme a trouvé un moyen
habile de marier ses deux passions en créant
“Baleines et contrebasse”, un spectacle sous la
forme d’un voyage visuel et musical au cœur de
l’océan. Bernard Abeille imite en effet “en live”
le chant des baleines à l’aide de son instrument
fétiche, la contrebasse, sur de belles images de
fonds marins projetées sur écran.
“Dans ce spectacle, je compare le plus gros
animal existant avec le plus gros instrument
à cordes transportable”, explique l’artiste
avec une pointe de malice dans le regard. Un
spectacle original qui a su rapidement séduire
le public de métropole, mais aussi celui de
Mayotte qui a la chance de pouvoir écouter le
musicien chaque année au cours du festival de
l’image sous-marine depuis 7 ans.
À travers son montage vidéo, servi avec talent
par le son de sa contrebasse, l’artiste a souhaité représenter symboliquement le lien profond
qui unit l’Homme et la nature et inciter ainsi
ce dernier à la protéger. Ce travail poétique
est également une manière pour lui de se démarquer des autres musiciens, une philosophie
qu’il a appliquée depuis le début de sa longue
carrière et qui a toujours porté ses fruits.
Rencontre avec un
instrument magique,
la contrebasse
Musicien insolite, Bernard Abeille a un parcours qui l’est tout autant. Adolescent rebelle,
il part rapidement de chez ses parents pour
vivre une existence à la limite de l’indigence
dans un quartier situé non loin du conservatoire de musique de Marseille, dont il est
originaire.
“À l’époque, j’étais un quasi clochard”, avouet-il. S’il jouait un peu de guitare en amateur,
il n’avait jamais songé à en faire son métier.
Jusqu’à ce qu’un ami l’incite à venir s’inscrire
avec lui au conservatoire : “Au terme du
concours d’entrée et contre toute attente, j’ai
été retenu”, raconte-t-il. Sa vie a alors basculé.
Son existence nonchalante de naguère s’est
métamorphosée en véritable course contre
le temps puisqu’en plus des cours auxquels il
assistait au conservatoire, il donnait également
des cours particuliers de guitare pour gagner sa
vie et jouait dans un orchestre de bal populaire.
Sa rencontre avec la contrebasse s’est faite
presque par hasard. “Un jour, j’ai vu un gros
16
L’homme à la contrebasse
est à l’origine
joueur de guitare.
instrument à cordes abandonné dans un
coin et dont personne ne jouait jamais”, se
souvient-il.
“En me renseignant, j’ai appris qu’il s’agissait
d’une contrebasse. Cet instrument m’a rapidement intrigué et, comme je souhaitais gagner
ma vie avec la musique, je me suis dit que pour
atteindre ce but, il était plus intéressant de
savoir jouer d’un instrument dont le maniement n’était connu que d’un petit nombre de
personnes”. Avant de conclure : “Pour réussir,
il faut savoir se démarquer des autres”.
Du show-biz
à l’environnement
“La contrebasse possède deux visages. On
peut en jouer avec un archer ou en pinçant les
cordes avec les doigts. Cette dernière technique
se nomme le pizzicato”, nous révèle l’artiste
qui, après le conservatoire, a rapidement mis
ses talents de contrebassiste au service de
groupes de jazz. “Le jazz a cela de formidable
que c’est un style de musique que l’on peut
MAYOTTE HEBDO N° 753 r10 JUIN 2016
jouer même avec des musiciens inconnus. Il
suffit de connaître les standards”, nous explique-t-il. En 1986, il écoute l’un des premiers
enregistrements réalisés du chant des baleines.
Ces sonorités peu communes le fascinent et il
décide alors de créer un solo de contrebasse
dans lequel il tenterait d’imiter le chant de cet
animal. Il joue son morceau pour “meubler”
l’entracte du chanteur Philippe Forcioli et, à
sa grande stupéfaction, le public est sous le
charme !
Malgré ce succès, il continue toutefois à se produire dans des boîtes de jazz et au sein de divers
groupes de musique. Il se marie et a rapidement
une fille. Suite à sa naissance, il décide de créer
un spectacle sur les baleines en développant le
premier solo que cet animal marin lui a inspiré.
“Ce spectacle, qui relevait d’un genre totalement
différent de la musique des boîtes de nuit que je
jouais jusqu’alors, m’a permis de travailler en
journée et de pouvoir ainsi m’occuper convenablement de ma fille”, se souvient-il. “Ce nouveau
genre musical m’a permis de sortir du milieu du
show-biz pour découvrir l’univers des sciences et
de la chasse sous-marine.”
Bernard Abeille a
joué un extrait de son
spectacle “Baleines
et contrebasse” lors
du festival de l’image
sous-marine de
Mayotte 2016.
moire : “Lors de cette plongée, j’ai ressenti
une émotion si forte qu’elle était inexprimable
par des mots. Il existe certaines émotions que
seule la musique peut permettre d’exprimer”,
affirme-t-il avec passion. “Ma manière originale d’utiliser la contrebasse m’a également
permis de faire la première partie du film sur
l’Antarctique du commandant Cousteau et de
pouvoir discuter plus de 1h30 avec cet homme
extraordinaire, chose qui n’était normalement
réservée qu’aux personnalités importantes.
J’ai également ouvert en musique l’une des
conférences de Nicolas Hulot”, se souvient
le musicien. Plus il avançait en âge et plus
son intuition de jeune homme se confirmait :
la contrebasse était bien cet instrument magique qui lui permettait de se démarquer et de
proposer quelque chose de vraiment novateur
dans l’univers de la musique.
La nature au cœur
de sa création musicale
Si Bernard Abeille arrive à trouver l’exacte tessiture du chant des baleines à la contrebasse,
ce n’est pas le seul animal qu’il arrive à imiter
avec son instrument. “Avec la contrebasse,
on peut imiter tous les animaux de la Terre,
mais également le bruit de la mer, du vent,
et même celui d’une Ferrari ou d’un grand
prix de formule 1”, affirme l’artiste en riant.
“Cet instrument permet ce tour de force, car il
possède les cordes transportables les plus longues, permettant donc le plus grand nombre
d’harmoniques aussi bien dans les graves que
dans les aigus. Certains sons tirés de la contrebasse peuvent être encore plus aigus que le
pépiement d’un moineau”, nous explique-t-il.
Suite à sa rencontre avec Daniel Mercier, à
l’époque président du Festival Mondial de
l’image sous-marine qui se déroulait naguère
à Antibes, Bernard Abeille a pu lui proposer
Dans son spectacle, Bernard Abeille
son spectacle. “À l’époque, ce festival était
compare le plus gros animal existant
plutôt tourné vers la chasse sous-marine et j’ai
été l’un de ceux qui ont contribué à modifier
avec le plus gros instrument à cordes
son esprit et à l’amener en douceur à se tourtransportable.
ner vers la protection de la nature”, raconte
le musicien qui, depuis 5 ans, en est devenu
Un musicien militant
le vice-président. C’est à cette occasion qu’il
Le spectacle “Baleines et contrebasse” n’a a rencontré Jack Passe. Ce dernier tenait un
véritablement connu un succès médiatique stand à Antibes pour présenter le festival de
qu’en 1992 grâce à une émission télévisée de l’image sous-marine de Mayotte. “Lorsque
Christophe Dechavanne. “À l’époque, j’étais Jack Passe m’a invité sur l’île aux parfums, je
totalement engagé dans la lutte pour la pro- n’ai pas hésité une seule seconde et cela fait
tection de cet animal magnifique malheureuse- maintenant 7 ans que je m’y rends tous les
ment en voie de disparition et j’avais joué pour ans”, raconte le musicien.
Actuellement,
l’association Greenpeace
à l’occasion de la
Bernard Abeille poursuit
Journée de la Baleine”,
création de spectacles
“Il existe certaines sa
r a co n t e l ’ a r t i s t e
musicaux sur le thème
avant de poursuivre :
de la nature. Il a créé
émotions que
“Suite à ce concert,
dernièrement “Le grand
Christophe Dechavanne
voyage de l’arbre”, conte
seule la musique
m’a invité sur son plamusical qui raconte le
peut permettre
teau et, fasciné par l’imivoyage d’un arbre depuis
tation que je faisais du
sa naissance jusqu’au
d’exprimer.”
chant des baleines, il m’a
moment où il est coupé
laissé joué 3 minutes
et renaît au travers des
entières sans m’interinstruments que son bois
rompre. Cela a été le véritable départ média- sert à fabriquer. Si cette création est tout public,
tique de mon spectacle.”
elle est plus particulièrement destinée aux
Cette nouvelle manière d’utiliser son instru- enfants, car le musicien estime que ce n’est
ment fétiche a permis à Bernard Abeille de qu’en sensibilisant les plus jeunes à l’environfaire des expériences qu’il n’aurait jamais nement que l’on aura une chance de pouvoir
osé imaginer lorsqu’il n’était qu’un simple un jour sauver la planète. “Les enfants, c’est
musicien de jazz. Il a notamment pu plonger l’espoir !”, conclut l’homme à la contrebasse,
avec les baleines de Méditerranée, expérience un grand sourire aux lèvres.
qui est restée gravée à jamais dans sa mé Nora Godeau
10 JUIN 2016 r MAYOTTE HEBDO N° 753
17