Le Meilleur des Mondes

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Le Meilleur des Mondes
Dissertation
Sujet : En quoi Le Meilleur des Mondes de Huxley est-il un avertissement sur la dérive
du monde moderne?
Aldous Huxley, écrivain britannique du vingtième siècle est connu pour son roman
d’anticipation scientifique écrit en 1931, Le Meilleur des mondes ayant pour titre
original Brave New world. Il est paru en 1932 et ne fut écrit qu’en quatre mois. Le titre
français du roman est ironique et provient d’une phrase célèbre de Candide, un conte
philosophique de Voltaire : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».
L’histoire se passe en « l’an 632 de N.F », à Londres dans une société bien différente de la
nôtre, très avancée sur le plan scientifique et technologique. C’est un monde dit « parfait »
mais à vouloir l’être trop, il est plongé dans la contre-utopie et devient donc totalitaire. Nous
verrons en quoi Le Meilleur des mondes de Huxley est un avertissement sur les dérives de la
société moderne. L’auteur a fondé son roman sur la prospective scientifique et, aujourd’hui, il
est considéré comme un grand visionnaire ayant montré les dangers de l’évolution rapide du
monde : on se rend compte que la société présentée dans le livre, sur certains aspects, annonce
la nôtre. Nous allons étudier tout d’abord les progrès de la génétique et ses risques, puis la
manipulation terrifiante de la société et enfin un gouvernement devenu mondial et totalitaire.
Les principaux risques de la génétique comme moyen de réguler la société sont la
perte d’identité, d’individualité et le déterminisme social institutionnalisé. En raison du
clonage, la société de ce monde est déshumanisée. Pour exister, un être humain a besoin
d’avoir sa propre identité, des traits de caractères et un physique qui lui est propre et qui
permet de le distinguer. Or, dans ce « Meilleur des mondes », les personnes n’ont plus
d’identité. Ce ne sont que des individus parmi tant d’autres. Le clonage est tellement poussé
qu’il est désormais possible de créer quatre-vingt-seize jumeaux parfaitement identiques avec
le « procédé Bokanovsky ». Il n’y a donc plus d’identité individuelle. Dans ce roman, Huxley
nous montre jusqu’où serait capable d’aller la science « pour le progrès ».
Etant créée artificiellement, toute la population de la planète civilisée n’a pas de
parents et par conséquent pas de famille. Il n’y a plus de notion de solidarité, d’entraide et
d’amour entre les individus. Ainsi, une personne qui aurait des problèmes se retrouverait seule
et sans soutien, comme, par exemple, quand Bernard Marx, le héros du roman, raconte ses
problèmes à son « meilleur ami » : ce dernier ne lui est d’aucun réconfort et ne joue pas le
rôle d’un confident, comme actuellement. Par ailleurs, rien que les termes de « père » et
« mère » sont indécents dans cette société où les cliniques sont remplacées par de
gigantesques bâtiments-usines consacrés à la procréation (ectogenèse) avec des salles
spécialisées et du personnel anonyme affecté à chaque opération. Il n’y a plus grand chose
d’humain dans cette création artificielle.
Alors qu’aujourd’hui la naissance et toute la durée de la grossesse sont des sujets de
conversation joyeux et dignes d’intérêt, dans ce monde, il en est tout autrement. Les embryons
sont considérés comme de simples objets : selon l’un des personnages, Henry Foster, ce sont
des « matériaux » et la visite du centre illustre bien cela. Huxley semble y décrire une sorte
d’usine avec différentes machines qui agissent sur les embryons. Même après la naissance, il
n’y a plus rien d’humain car toute la population est recensée et conservée dans des archives
mises à jour comme pour une gestion de stocks. Or, aujourd’hui la population est déjà
recensée, fichée et dans Le Meilleur des mondes, ce n’est qu’une évolution dangereuse de ce
recensement.
Ainsi, Huxley montre ici qu’en raison du clonage, les individus sont totalement
déshumanisés. Mais cette déshumanisation n’est qu’une évolution due à l’utilisation abusive
de la génétique. Or, actuellement, ce procédé est le centre de nombreuses recherches et des
animaux, comme la brebis écossaise Dolly (1996-2003), sont déjà des clones. De plus, grâce à
la visite guidée du chapitre 1 du roman, on apprend que, dans cette société, on créait selon les
besoins économiques. Le déterminisme social est créé scientifiquement pour « le bienfait de
la société ».
Contrairement au monde actuel, la génétique est à un niveau de perfectionnement que
les scientifiques rêveraient d’atteindre. Elle permet de créer les gens en déterminant leur
intelligence grâce à un procédé expliqué dans le roman par le directeur du centre. Tout est une
question d’oxygène ou d’ajout d’alcool. On créait ainsi différentes castes sociales dans le but
d’avoir une société stable. Ainsi il n’y a pas de chômage car les individus sont créés en
fonction de ce dont on a besoin : les « cerveaux » nommés Alphas, les « cadres » nommés
Bêtas, la « classe moyenne » les Gammas et les « bras » regroupant les Deltas et les Epsilons.
Le clonage permet donc de contrôler le niveau de la population et il se rapproche des limites
de procréation instaurées actuellement par certains pays comme la Chine.
La génétique permet aujourd’hui de sélectionner certaines caractéristiques des futurs
enfants, par exemple le sexe, et de soigner certaines maladies, mais en 632 de l’année N.F, il
est possible de choisir de nombreux aspects physiques qui, dans ce monde-là, sont des critères
majeurs de sélection ; et ne pas avoir une physionomie typique de sa caste entraîne de
nombreuses difficultés sur le plan social. Les embryons sont également immunisés contre les
maladies pour que les personnes soient en bonne santé et puissent travailler de manière
rentable. Le sexe est déterminé de telle sorte qu’il y ait assez de partenaires pour chacun dans
sa vie amoureuse. Dans cette société, la moindre chose est motivée par une raison
économique.
Ainsi tout doit être contrôlé. C’est un monde où personne ne peut se plaindre de son
travail et penser démissionner, puisque à l’état d’embryon, on les conditionne à s’y habituer.
De cette façon, il n’y a pas de problèmes économiques car, heureux de leur travail, « les
humains » ne pensent pas à réclamer des augmentations et il n’y a pas de grèves. C’est tout
l’opposé du monde actuel qui rencontre de nombreux problèmes économiques et où tout est
remis en question. La génétique, comme base du système social, permettrait aux dictatures de
ne plus utiliser la force et aux états « libres » de ne plus avoir de problèmes économiques.
Ainsi à travers son livre, Aldous Huxley nous montre une avancée probable de la
science qui aurait de grandes conséquences sur le monde et la société. L’humanité ne serait
plus créée que pour servir au « bien » matériel de la société. Dans Le Meilleur des mondes,
celle-ci ne pense plus par elle-même mais elle est manipulée.
La manipulation s’exerce notamment dans l’éducation par le conditionnement qui vise
à empêcher toute réflexion et sentiment. Le soma, drogue euphorisante vient renforcer un état
de béatitude et de docilité. Au lieu d’être élevé au sein d’une famille, chaque enfant subit à la
place un conditionnement collectif. L’Etat veut rendre heureuse chaque personne d’appartenir
à sa caste et ainsi que la population soit satisfaite et ne se pose pas de question. Pour cela, le
gouvernement a mis au point un système appelé « l’hypnopédie ». Celle-ci a lieu pendant le
sommeil des enfants et est basée sur la répétition de phrases simples. Ces phrases, « culte »
pour les membres de cette société, vont les suivre toute leur vie de manière inconsciente et
développer chez eux les idées que souhaite le gouvernement. Ce procédé se rapproche des
images subliminales, qui incitent les gens à consommer, ou encore de la publicité et de la
propagande.
Aujourd’hui, l’éducation des enfants passe par l’apprentissage du bien et du mal. Les
parents leur apprennent à se méfier pour leur sécurité. Or, ici, on les conditionne pour la
sécurité de la société. Grâce à différents procédés allant contre la nature, on dirige leurs goûts
et l’Etat empêche ainsi libre arbitre et réflexion parmi les hommes. Le gouvernement ne
recule devant rien pour conditionner et va jusqu’à torturer des bébés. On est loin d’une
éducation douce des parents. Aldous Huxley avait vu juste, car lors de la seconde guerre
mondiale, les jeunesses hitlériennes conditionnaient durement les enfants à « devenir de bons
nazis ». Le conditionnement du Meilleur des mondes commence dès l’enfance et remplace
ainsi l’école. A l’école, on instruit pour développer chez la personne savoir et réflexion et par
la suite lui donner la possibilité de choisir son métier, mais, ici, chaque destin est déjà tout
tracé et l’on s’assure que nul ne puisse en sortir.
En 1932, la sexualité était un sujet tabou, tandis que dans Le Meilleur des mondes, on
y familiarise les enfants en leur faisant faire des « jeux érotiques ». Mais ceux-ci ne sont pas
dénués de sens car à travers ces jeux, l’Etat veut rendre la sexualité semblable à un loisir et
ainsi éviter les sources de tension pour ces futurs adultes. Aujourd’hui, « la libération
sexuelle » bat son plein et les partenaires se multiplient, cependant la sexualité enfantine est
encore tabou.
Dans notre société, tout le monde a déjà passé de mauvaises périodes dans sa vie. Pour
oublier leur malheur ou l’atténuer, certaines personnes se mettent alors à fumer, à boire ou à
se droguer. Dans Le Meilleur des mondes, on assiste à une banalisation totale de la drogue.
L’Etat a trouvé la drogue parfaite, le soma : elle lui permet de garder les gens heureux donc de
les garder disponibles pour l’économie et elle est sans effets secondaires, bien que l’espérance
de vie ne soit que de soixante ans (ainsi, le problème des retraites est résolu !). Comme la
drogue actuelle, le soma a rendu addictive toute la population qui se battrait pour en avoir.
Ainsi, dès qu’une petite contrariété apparaît, on prend « un gramme de soma ». Huxley est ici
très réaliste, car, aujourd’hui, une personne qui se drogue a besoin de sa dose par jour. On a
affaire ici à une simple généralisation de ce cas qui pourrait être rendu possible à cause de la
banalisation de la drogue.
Nous sommes aujourd’hui dans une société de consommation où le progrès augmente
sans cesse et en particularité dans le domaine des loisirs. C’est exactement le cas dans la
société du Meilleur des mondes où les loisirs sont omniprésents et toujours collectifs, avec des
appareils très sophistiqués. Ainsi les gens sont obligés d’acheter des appareils très chers et
l’on se rend compte de nos jours que les appareils « High Tech » sont, eux aussi, de plus en
plus chers et que l’on en est dépendant, comme par exemple les téléphones portables ou les
ordinateurs.
La vie de la société est rythmée par des cérémonies religieuses en l’honneur du
« grand être ». On en a un aperçu avec Bernard Marx, lors de l’office de solidarité où l’on
peut juger de la folie de ce monde. On drogue les gens et on leur fait faire des choses dont ils
ne seraient pas capables en temps normal. On les rend heureux de s’imaginer la venue de
l’être vénéré et ils en ressortent plein de joie. Ces cérémonies pourraient s’apparenter à celles
de sectes ou au culte de la personnalité d’un dictateur.
Ainsi, la société du Meilleur des mondes est contrôlée et manipulée mentalement,
psychologiquement, socialement et sur le plan religieux. L’école est supprimée au profit
d’une éducation basique et stéréotypée, mais directement utile à la société. Tout le monde est
content et l’Etat évite les problèmes.
Aldous Huxley nous montre ce qui pourrait arriver avec la mondialisation. Alors
qu’aujourd’hui on se dirige économiquement vers ce phénomène, avec la création d’unions
entre états et une augmentation des échanges internationaux, dans le Meilleur des mondes, la
mondialisation est à l’extrême. Le monde est unitaire ; à force de se rassembler, les états ont
fini par disparaître au profit d’un seul Etat avec Londres pour capitale. Le monde est contrôlé
par six administrateurs qui ont tous les pouvoirs. On est revenu au règne des rois avec une
seule et unique devise : « Communauté, Identité, Stabilité ».
Aujourd’hui, la langue la plus parlée est l’anglais. C’est la langue qui permet de se
faire comprendre partout. Mais pour cela, il faut l’apprendre, en plus de sa langue nationale.
En l’an 632 de N.F, il n’existe plus qu’une seule langue. Les autres langues sont dites mortes.
Huxley montre qu’à force de mondialiser, on va finir par supprimer les langues,
caractéristiques de chaque pays, et c’est le cas actuellement, avec l’allemand, par exemple,
qui est de moins en moins parlé.
Il existe dans le monde de nombreuses religions ayant chacune ses caractéristiques, sa
culture et son histoire. Or, dans le Meilleur des mondes, comme pour les langues, il n’y a
qu’une seule religion, avec au centre un simple individu, « Notre Ford ». Il n’y a plus de dieux
ou de personnes connues et admirées autres que Ford. Seule sa personne, même décédée est
importante. Il est présent dans les dates, les fêtes, les bâtiments et on ne jure que par lui.
Huxley montre donc les dangers de la mondialisation. A force de vouloir tout unifier,
on fait disparaître la culture de chaque état et ainsi l’histoire du monde. Avoir une société
ignorante et soumise est ce que veut toute dictature et c’est pourquoi cet état n’est rien d’autre
qu’un état totalitaire.
Un état totalitaire est un état où tout est contrôlé par le gouvernement. Quand Huxley a
écrit son livre, c’était le cas de la Russie et l’on sent l’inspiration car le nom de certains
personnages ressemble à celui de personnages historiques : Bernard Marx pour Karl Marx,
créateur du matérialisme et grand révolutionnaire ou encore Lenina pour Lénine. Dans ce
roman, tout est contrôlé par les administrateurs et rien ne se fait sans leur accord. Ils vérifient
également chaque livre ou film, comme dans toute dictature.
Le savoir et la culture sont censurés car il faut des imbéciles heureux qui ne se donnent
pas la peine de se demander si ce ne serait pas mieux ailleurs ou autrement. Dans la société du
Meilleur des mondes, la totalité du savoir est censurée. Seuls les livres écrits par Ford sont
disponibles et il n’y a que trois médias dirigés par le gouvernement. La société ne connaît que
ce qu’il y a de bien dans ce système politique et d’après les administrateurs, « L’Histoire c’est
de la blague », moins on en sait, mieux on se porte.
Alors qu’aujourd’hui les personnes dites « dangereuses pour la société » sont mises en
prison ou exécutées, l’état mondial a trouvé une méthode plus « douce ». Les personnes
dérangeantes sont envoyées sur des îles où elles seraient alors « libres » mais coupées de tout.
C’est le cas de Bernard qui, au fil du livre, est de plus en plus dangereux par son
comportement individualiste qui ressemble à celui d’aujourd’hui. Lors de l’entretien entre
Mustapha Menier, Bernard Marx et Helmholtz, on apprend que les administrateurs sont
conscients de leur dictature et qu’ils préféreraient qu’il en soit autrement, mais la liberté est
sacrifiée pour « le bien de la société ». Ainsi Huxley montre le machiavélisme pragmatique
des dirigeants qui conduit à la pire des dictatures, celle qui asservit les peuples avec leur
contentement comme consentement : un totalitarisme « doux ».
Le Meilleur des mondes est donc un avertissement pour la société d’aujourd’hui car
Aldous Huxley nous montre que le progrès scientifique n’est pas qu’une révolution bénéfique,
comme beaucoup de monde le pense, mais peut devenir un moyen de contrôler entièrement la
société par manipulations de tous ordres, au profit d’une « élite ». A force de trop se
développer, la technologie finira par favoriser les dictatures et déshumaniser les hommes.
Dans une période de pleine mondialisation, il va falloir faire attention que la culture, l’esprit
critique et la mémoire persistent. A travers son roman, Huxley nous montre la réalité sur le
progrès et nous fait réagir. Veut-on finir comme dans le roman ? Le bonheur « obligatoire »
par le loisir, la drogue et le conditionnement n’est-il pas le pire des malheurs ?
Nicolas, 2nde 7, février 2010