Grèce, Espagne : le ViH en crise

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Grèce, Espagne : le ViH en crise
actualités
par Romain Loury
Grèce, Espagne : le VIH en crise
«
Frappés de plein fouet par la crise, endettés jusqu’au cou, la Grèce et l’Espagne
voient leur système de santé craquer de toutes parts. Aggravant ainsi une casse sociale
qui n’épargne pas les personnes vivant avec le VIH.
Lorsqu’un pays est étranglé par la crise, le plus
simple pour le gouvernement est de s’attaquer à
l’enseignement et à la santé », remarque Nathalie
Simonnot, chargée de coordination des programmes
nationaux à Médecins du monde (MdM).
Point de rupture en Grèce. Un constat qui semble se
confirmer avec la Grèce, où le domaine de la santé,
comme d’autres domaines, pâtit de l’endettement du
pays, qu’il s’agisse des laboratoires pharmaceutiques, des
pharmacies de ville ou des hôpitaux. Résultat : d’importantes coupes budgétaires (-25 % depuis 2009), un droit
d’entrée de 5 euros dans les hôpitaux, des restrictions
d’accès aux soins, un quart de la population active au chômage, sans couverture maladie au bout d’un an… « Nous
sommes arrivés à un point de rupture totale, les pauvres
n’ont plus accès aux soins », déplore Nathalie Simonnot.
Et de constater que MdM en vient à « faire de la vaccination, à fournir de l’insuline et a même dû se débrouiller
pour certains cas de cancer ». Signe évocateur, la hausse
des cas de paludisme et de fièvre West Nile, souvent
imputée aux défaillances du système de santé.
Du côté du VIH, le nombre de cas diagnostiqués a bondi
de 57 % entre 2010 et 2011. Premières victimes de
cette envolée : les usagers de drogues par voie intraveineuse, chez lesquels ce chiffre a été multiplié par 16 en
une année : 241 cas en 2011, contre 15 en 2010, et
jamais plus de 20 les années précédentes. Et « on en
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recenserait déjà environ 500 en 2012 », avance Nikos
Dedes, président de l’association grecque Positive Voice
et ancien président de l’European AIDS Treatment Group
(EATG). Pour Christos Christou, président de Médecins
sans frontières en Grèce, tel est le résultat de la faiblesse
des programmes de réduction des risques. Si l’État dit
avoir redoublé ses efforts en 2011, la Grèce demeure
parmi les pays d’Europe distribuant le moins de seringues : seulement 6,7 par consommateur en 2010, alors
que l’Organisation mondiale de la santé préconise d’en
fournir 200.
Autres raisons : une recrudescence de l’usage de drogues en temps de crise, des programmes de substitution
débordés (jusqu’à trois ans d’attente) et, suite aux manifestations, de fréquentes interventions policières dans le
centre d’Athènes qui ont perturbé l’« écologie » du milieu,
ajoute Nikos Dedes. Publié en 2011, un rapport du Centre
grec de documentation et surveillance des drogues fait
même état de quelques cas de contamination volontaire,
en vue d’obtenir une aide de l’État (700 euros mensuels)
ou d’accéder plus rapidement aux programmes de substitution. Selon Nikos Dedes, la crise a donc entraîné
l’« ouragan parfait » pour que le VIH pénètre plus avant
dans cette population.
Vers une stigmatisation des patients ? Le suivi de ces
nouveaux séropositifs consommateurs de drogues laisserait à désirer, tant les médecins grecs étaient jusqu’alors
peu habitués à en voir. Se pose dès lors le risque de stigmatisation, déjà le lot de nombreuses personnes vivant
avec le VIH : en février 2009, la Cour suprême du pays a
ainsi donné raison à un employeur ayant licencié un salarié sous prétexte que sa séropositivité, mal accueillie par
ses collègues, dégradait l’ambiance de travail. En mai dernier, peu avant les élections législatives, une trentaine de
prostituées ont été poursuivies pour « tentatives de lésions
corporelles graves », avec leur photo et leurs coordonnées
dévoilées par la police. Leur faute : être diagnostiquées
séropositives, après avoir subi un test forcé. L’Onusida a
aussitôt protesté contre ces « approches punitives », inefficaces en termes de santé publique en ce qu’elles amènent
« les prostituées à se cacher et à perdre confiance dans
le système de santé ».
Autre cible de la politique d’austérité : le droit au séjour
pour soins. Adoptée en avril, une loi du ministère de la
Santé a ouvert la voie à la détention et à l’expulsion de
migrants sans papiers atteints de maladies infectieuses ou
jugés à risque pour la santé publique. Parmi eux, les prostituées et les usagers de drogues par voie intraveineuse,
qui se voient obligés de faire un test VIH. « Il est plus facile
d’accuser les gens d’autres pays de répandre des maladies que de trouver et d’appliquer les bonnes mesures
qui protègent réellement la population », regrette Christos
Christou. Pour Nikos Dedes, qui espère voir l’abrogation
du texte, « c’est un très mauvais environnement pour les
migrants, indirectement accusés de voler les médicaments des Grecs ».
Des médicaments qui s’avèrent en effet de plus en plus
précieux, au vu des ruptures d’approvisionnement que
connaît la Grèce. Début novembre, le laboratoire allemand
Merck a suspendu ses livraisons de l’anticancéreux
Erbitux® aux hôpitaux, du fait qu’il n’avait pas encore été
payé par l’État. Pour l’instant, les antirétroviraux semblent
épargnés, même si de courtes ruptures sont observées
dans les pharmacies hospitalières, à flux tendu sur leurs
stocks. S’il y a rupture, c’est plutôt en termes d’outils
diagnostiques, affirme Nikos Dedes : en raison de leurs
difficultés financières, certains hôpitaux se retrouvent souvent à court d’examens du taux de CD4 ou de la charge
virale, « pendant un à deux mois ». Quant au dépistage,
la gratuité semble désormais révolue : en plus du droit
d’accès à l’hôpital, toute personne voulant connaître son
statut sérologique doit débourser 10 euros. Soit un total de
15 euros, un coût hors de portée pour les plus précaires.
Espagne : santé payante pour les sans-papiers. Si sa
situation n’est pas encore aussi critique, le système de
santé espagnol est sous vive tension. Fin novembre, des
dizaines de milliers de médecins et d’infirmières ont manifesté dans les rues de Madrid afin de protester contre la
privatisation prochaine de six hôpitaux de la capitale. Du
côté des patients, c’est surtout chez les migrants sans
papiers que la situation s’est largement aggravée cette
année : adoptée en avril, une nouvelle loi les a dessaisis
au 1er septembre de leur carte de santé – équivalent de
la carte vitale –, jusque-là accessible à toute personne
résidant dans le pays, espagnole ou non. Leur couverture maladie a aussitôt été « rétablie », mais au prix de
conventions payantes : 59,20 euros par mois pour les
18-65 ans, 155,40 euros pour les plus de 65 ans, un
coût excluant les médicaments et les transports sanitaires.
Sont exemptés les consultations aux urgences, ainsi que
les femmes enceintes et les enfants, qui devront tout de
même payer 40 % de leurs médicaments.
Ces mesures ont engendré une vive opposition de la
part de plusieurs provinces, dont l’Andalousie qui refuse
pour l’instant de les appliquer. MdM a lancé fin août une
campagne de pétition auprès des médecins, « Derecho
a curar » (« Droit de soigner »). Selon Stefan Meyer, son
coordinateur, il s’agit d’« une régression des droits sociaux
[…], qui ouvre la voie à une commercialisation de la santé
publique » : le coût plus élevé pour les seniors évoque
« une logique plus proche de l’assurance privée que de
la solidarité publique ». Et d’ajouter que cette mesure
renforce l’idée que les étrangers en situation précaire
« viennent en Espagne pour se faire soigner, alors que
c’est pour travailler ».
Cette mise à l’écart serait non seulement injuste, mais
aussi contre-productive en termes de santé publique,
juge la Société espagnole des maladies infectieuses et de
microbiologie clinique (SEIMC). Parmi les 2 700 à 4 600
sans-papiers vivant avec le VIH que compte le pays,
27 à 50 morts supplémentaires, 38 à 68 nouveaux cas
de maladies opportunistes, pourraient survenir lors de
la première année d’application de la loi, ont estimé fin
août deux experts de la SEIMC, en s’appuyant sur les
données de Smart, une étude internationale d’interruption thérapeutique. « La hausse attendue de la morbidité
et de la mortalité engendra donc des coûts supplémentaires de prise en charge qui seront encore plus élevés
chez les patients les plus immunodéprimés », ajoutent les
médecins. Ce qui revient pour le gouvernement espagnol
à « économiser maintenant pour payer plus demain »,
résume Julio Montaner, ancien président de l’International
AIDS Society.
Après la Grèce et l’Espagne, au tour du Portugal, de l’Italie, de l’Irlande ? C’est ce que craint Nathalie Simonnot,
rappelant qu’« il faut que l’on soit vraiment attentif à la
situation ». Ici ou là, la crise risque de « casser les systèmes de protection, alors que c’est justement dans ces
moments-là que les gens en ont le plus besoin ».
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