Un prénom qui incarne toute une époque. Naïm n`est

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Un prénom qui incarne toute une époque. Naïm n`est
LA VIE
naim
Un prénom qui incarne toute une époque. Naïm n'est pas un simple "coiffeur pour
dames". Il fut - est toujours - un véritable philosophe capillaire et l'officiant des
grand-messes de boudoir qui précédaient les fêtes éblouissantes du Beyrouth de l'âge
d'or. Avec ses ciseaux, ses brosses et ses épingles, il aura traversé le globe de part en
part pour enfin jeter l'ancre à Londres. Carole Corm lui consacre un ouvrage
attachant publié aux éditions Darya Press.
P a r F. A . D . p h o t o s e x t r a i t e s d e l i v r e “ N A I M , a b r u s h w i t h h i s t o r y ”
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En haut
Naim dans son
salon à l’hotel
Prince de Galles
la vie
Un oncle le prend sous son aile et le place auprès de Michel Khadra, un coiffeur
réputé, non loin de son propre bureau, dans le secteur Bab Idriss
A
pprenti coiffeur, c'est le petit métier auquel
aspiraient en général les enfants défavorisés de
Beyrouth. Naïm n'était pas défavorisé. Né dans
une famille de la bougeoisie, il eut simplement
la malchance d'avoir un père obsédé par les courses et
une mère qui ne faisait pas grand cas de ses enfants, le
petit Naïm et sa sœur. Vers l'âge de 7 ou 8 ans, le garçonnet est violenté par un "abadaye", un fort à bras de son
quartier. Il en garde un traumatisme violent qui le pousse
à multiplier les tentatives de suicide. Autant d'appels au
secours pour un gamin si jeune. Au seuil de l'adolescence,
il ne supporte plus son collège, le collège des Frères de
Gemmayzé, où il est sans cesse persécuté par ses camarades. Un oncle le prend sous son aile et le place auprès de
Michel Khadra, un coiffeur réputé, non loin de son propre
bureau, dans le secteur Bab Idriss, au centre-ville. En ce
milieu des années 50, Beyrouth aimante les pétrodollars
avec sa nouvelle loi en faveur du secret bancaire et offre
une escale idéale pour les millionnaires de la région en
quête de Dolce Vita. Christian Dior vient de lancer le
New Look, tailles de guêpe et jupes corolles. Un style qui
s'accompagne de coiffure sophistiquées qui se déclinent
en "'Pompadour", "Bouffant" ou "Artichaut". Les fixateurs
sont fabriqués à la cuisine du salon avec des émulsions
maison de mixtures à base de résine. Naïm habite désormais chez sa tante Alice dont le chauffeur l'accompagne
chaque matin à son nouveau travail. Pour le plus grand
bonheur des clientes, il a des manières raffinées et parle
un français parfait. Il est heureux dans cette atmosphère
de boudoir, feutrée, parfumée, sécurisante, loin des vociférations des hommes de la rue qui le terrorisent. Très
vite, on se dispute ses services. May Arida, icône de la
vie culturelle libanaise, l'une des fondatrices du Festival
de Baalbeck et longtemps sa présidente, témoigne: "J'ai
connu de nombreux coiffeurs célèbres, comme les sœurs
Carita ou Alexandre, mais personne n'est aussi rapide
que Naïm, Oulala."
Très vite, Naïm est appelé à travailler au salon de coiffure
de l'hôtel Saint Geroges, l'un des plus élégants de la capitale. Affecté au shampoing, il ne restera pas longtemps
aux bacs. Un jour, il ose demander à May Moussa, épouse
du PDG du Casino du Liban, une habituée du salon par ailleurs propriétaire de la maison "Chantal", représentante
de Christion Dior à Beyrouth, de l'autoriser à la coiffer.
Le résultat est surprenant. Le bouche-à-oreille fera le
En haut
Le chignon de
Naim ,milieu
années 60.
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Pour la chanteuse populaire Sabah, il imagine une coiffure surréaliste avec une
guirlande de Noël illuminée.
reste. Quand la famille Fattal, distributrice de quasiment
tout ce qui se consomme sur le marché libanais, ouvre à
Beyrouth une franchise Alexandre, sous le nom de "Faubourg Saint Honoré", Naïm est invité à rejoindre l'équipe
du célèbre coiffeur parisien. Ce sera pour lui l'occasion
de perfectionner son art et d'approfondir son apprentissage. Entré en "haute-coiffure", Naïm n'est plus un
débutant mais un véritable créateur capable de concevoir
au pied levé une coiffure exclusive pour chacune de ses
clientes. Liliane Fattal Arida affirme qu' "avec Naïm, un
chignon est monté en trois minutes, mais il est à chaque
fois plus fabuleux que la précédente. C'était incroyable".
Des têtes prestigieuses défilent sous ses doigts au hasard
des grands événements culturels et mondains. Claudia
Cardinale mais aussi Geraldine Chaplin, Jean Seberg, des
princesses, des filles de milliardaires, des stars arabes
et internationales. Pour la chanteuse populaire Sabah,
il imagine une coiffure surréaliste avec une guirlande
de Noël illuminée. C'est le moment pour lui d'ouvrir son
propre salon de coiffure. Le "Beauty Shop", rue Spears, est
un succès. Très vite, il s'offre des annexes, à Bhamdoun
où il coiffe les festivalières en route pour Baalbeck et
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à l'hôtel Al Bustan, à Beit Mery. Un quatrième salon est
ouvert à Hamra. Il est baptisé "Beauty and the Beast". On
est au début des années 70. Bientôt, la guerre éclate. Le
salon de la rue Spears est attaqué et cambriolé par des
miliciens. Le vent tourne. Naïm se résout, la mort dans
l'âme, à partir. Il fera quasiment le tour du monde avec
pour seuls bagages ses ciseaux et la magie de ses doigts.
De Koweit à Paris en passant par Le Caire, il multiplie
les tentatives plus ou moins heureuses de redémarrer.
C'est finalement à Londres qu'il trouvera sa vraie place.
Célébré de longue date par L'Officiel et le Harper's Bazar,
Le Figaro ou le Herald Tribune, Naïm installe son salon
au 62 Beauchamp Place, à un jet de pierre de Harrods. A
ses fidèles clientes du Moyen Orient s'ajoutent des figures
phares de la société britannique telle la Duchesse de Kent,
une habituée, ou Tamara Mellon, la co-fondatrice de la
marque de maroquinerie Jimmy Choo qu'il coiffe pour
son mariage. Avec lui, les années fastes de Beyrouth n'ont
jamais disparu. Elle se sont juste un peu dispersées et survivent dans Londres, défiant la pluie de leur soleil éclatant.
Naïm, a brush with history, Carole Corm, éditions Darya Press, 2014
En haut à
gauche
Naim jeune
avec Claude
Maxime à
Beyrouth.
En Haut au
milieu,la frange
déchiquetée.
En bas à
gauche Julia
Boulle avec le
soleil potsiche
de Naim au
bal du Baron
Von Pantz à
Paris en 1989.
En bas au
milieu,
Naim coiffe
Jean Seberg à
Baalbeck sur
le tournage du
film Backfire.
A droite,
un manequin
habillé
d’une robe
entierement
faite de
cheveux à
l’hotel Bustan
pour un
événement.
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