Un prénom qui incarne toute une époque. Naïm n`est
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Un prénom qui incarne toute une époque. Naïm n`est
LA VIE naim Un prénom qui incarne toute une époque. Naïm n'est pas un simple "coiffeur pour dames". Il fut - est toujours - un véritable philosophe capillaire et l'officiant des grand-messes de boudoir qui précédaient les fêtes éblouissantes du Beyrouth de l'âge d'or. Avec ses ciseaux, ses brosses et ses épingles, il aura traversé le globe de part en part pour enfin jeter l'ancre à Londres. Carole Corm lui consacre un ouvrage attachant publié aux éditions Darya Press. P a r F. A . D . p h o t o s e x t r a i t e s d e l i v r e “ N A I M , a b r u s h w i t h h i s t o r y ” 194 AVRIL 2014 En haut Naim dans son salon à l’hotel Prince de Galles la vie Un oncle le prend sous son aile et le place auprès de Michel Khadra, un coiffeur réputé, non loin de son propre bureau, dans le secteur Bab Idriss A pprenti coiffeur, c'est le petit métier auquel aspiraient en général les enfants défavorisés de Beyrouth. Naïm n'était pas défavorisé. Né dans une famille de la bougeoisie, il eut simplement la malchance d'avoir un père obsédé par les courses et une mère qui ne faisait pas grand cas de ses enfants, le petit Naïm et sa sœur. Vers l'âge de 7 ou 8 ans, le garçonnet est violenté par un "abadaye", un fort à bras de son quartier. Il en garde un traumatisme violent qui le pousse à multiplier les tentatives de suicide. Autant d'appels au secours pour un gamin si jeune. Au seuil de l'adolescence, il ne supporte plus son collège, le collège des Frères de Gemmayzé, où il est sans cesse persécuté par ses camarades. Un oncle le prend sous son aile et le place auprès de Michel Khadra, un coiffeur réputé, non loin de son propre bureau, dans le secteur Bab Idriss, au centre-ville. En ce milieu des années 50, Beyrouth aimante les pétrodollars avec sa nouvelle loi en faveur du secret bancaire et offre une escale idéale pour les millionnaires de la région en quête de Dolce Vita. Christian Dior vient de lancer le New Look, tailles de guêpe et jupes corolles. Un style qui s'accompagne de coiffure sophistiquées qui se déclinent en "'Pompadour", "Bouffant" ou "Artichaut". Les fixateurs sont fabriqués à la cuisine du salon avec des émulsions maison de mixtures à base de résine. Naïm habite désormais chez sa tante Alice dont le chauffeur l'accompagne chaque matin à son nouveau travail. Pour le plus grand bonheur des clientes, il a des manières raffinées et parle un français parfait. Il est heureux dans cette atmosphère de boudoir, feutrée, parfumée, sécurisante, loin des vociférations des hommes de la rue qui le terrorisent. Très vite, on se dispute ses services. May Arida, icône de la vie culturelle libanaise, l'une des fondatrices du Festival de Baalbeck et longtemps sa présidente, témoigne: "J'ai connu de nombreux coiffeurs célèbres, comme les sœurs Carita ou Alexandre, mais personne n'est aussi rapide que Naïm, Oulala." Très vite, Naïm est appelé à travailler au salon de coiffure de l'hôtel Saint Geroges, l'un des plus élégants de la capitale. Affecté au shampoing, il ne restera pas longtemps aux bacs. Un jour, il ose demander à May Moussa, épouse du PDG du Casino du Liban, une habituée du salon par ailleurs propriétaire de la maison "Chantal", représentante de Christion Dior à Beyrouth, de l'autoriser à la coiffer. Le résultat est surprenant. Le bouche-à-oreille fera le En haut Le chignon de Naim ,milieu années 60. AVRIL 2014 195 LA VIE Pour la chanteuse populaire Sabah, il imagine une coiffure surréaliste avec une guirlande de Noël illuminée. reste. Quand la famille Fattal, distributrice de quasiment tout ce qui se consomme sur le marché libanais, ouvre à Beyrouth une franchise Alexandre, sous le nom de "Faubourg Saint Honoré", Naïm est invité à rejoindre l'équipe du célèbre coiffeur parisien. Ce sera pour lui l'occasion de perfectionner son art et d'approfondir son apprentissage. Entré en "haute-coiffure", Naïm n'est plus un débutant mais un véritable créateur capable de concevoir au pied levé une coiffure exclusive pour chacune de ses clientes. Liliane Fattal Arida affirme qu' "avec Naïm, un chignon est monté en trois minutes, mais il est à chaque fois plus fabuleux que la précédente. C'était incroyable". Des têtes prestigieuses défilent sous ses doigts au hasard des grands événements culturels et mondains. Claudia Cardinale mais aussi Geraldine Chaplin, Jean Seberg, des princesses, des filles de milliardaires, des stars arabes et internationales. Pour la chanteuse populaire Sabah, il imagine une coiffure surréaliste avec une guirlande de Noël illuminée. C'est le moment pour lui d'ouvrir son propre salon de coiffure. Le "Beauty Shop", rue Spears, est un succès. Très vite, il s'offre des annexes, à Bhamdoun où il coiffe les festivalières en route pour Baalbeck et 196 AVRIL 2014 à l'hôtel Al Bustan, à Beit Mery. Un quatrième salon est ouvert à Hamra. Il est baptisé "Beauty and the Beast". On est au début des années 70. Bientôt, la guerre éclate. Le salon de la rue Spears est attaqué et cambriolé par des miliciens. Le vent tourne. Naïm se résout, la mort dans l'âme, à partir. Il fera quasiment le tour du monde avec pour seuls bagages ses ciseaux et la magie de ses doigts. De Koweit à Paris en passant par Le Caire, il multiplie les tentatives plus ou moins heureuses de redémarrer. C'est finalement à Londres qu'il trouvera sa vraie place. Célébré de longue date par L'Officiel et le Harper's Bazar, Le Figaro ou le Herald Tribune, Naïm installe son salon au 62 Beauchamp Place, à un jet de pierre de Harrods. A ses fidèles clientes du Moyen Orient s'ajoutent des figures phares de la société britannique telle la Duchesse de Kent, une habituée, ou Tamara Mellon, la co-fondatrice de la marque de maroquinerie Jimmy Choo qu'il coiffe pour son mariage. Avec lui, les années fastes de Beyrouth n'ont jamais disparu. Elle se sont juste un peu dispersées et survivent dans Londres, défiant la pluie de leur soleil éclatant. Naïm, a brush with history, Carole Corm, éditions Darya Press, 2014 En haut à gauche Naim jeune avec Claude Maxime à Beyrouth. En Haut au milieu,la frange déchiquetée. En bas à gauche Julia Boulle avec le soleil potsiche de Naim au bal du Baron Von Pantz à Paris en 1989. En bas au milieu, Naim coiffe Jean Seberg à Baalbeck sur le tournage du film Backfire. A droite, un manequin habillé d’une robe entierement faite de cheveux à l’hotel Bustan pour un événement. la vie AVRIL 2014 197