Inégalités éducatives en Côte-d`Ivoire

Transcription

Inégalités éducatives en Côte-d`Ivoire
Inégalités éducatives en Côte-d’Ivoire: l’impact des pratiques
éducatives sur la performance des établissements publics
d’enseignement secondaire ivoiriens
Affoué Philomène KOFFI
Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan
Réseau Ouest et Centre africain de recherche
en Education
Résumé
Les écarts de performance enregistrés entre les établissements scolaires ivoiriens amènent à croire
qu’il existe des pratiques en leur sein qui favorisent ou non la réussite des élèves. Pour le vérifier, une
étude a été réalisée dans six (6) établissements scolaires d’Abidjan et ses environs. Elle tendait à
rechercher les pratiques éducatives en cours dans ces établissements ainsi que leur influence sur le
rendement des élèves qui les fréquentent. L’enquête réalisée à l’aide de la méthode qualitative a
permis de vérifier que les pratiques éducatives liées à la diffusion du savoir en classe, à l’encadrement,
au style de leadership et à l’accompagnement scolaire des élèves en difficulté d’apprentissage
influencent le rendement scolaire des élèves qui les fréquentent. Ainsi, les établissements qui
performent le plus sont ceux qui ont des pratiques éducatives plus efficaces contrairement à ceux dont
les résultats scolaires moins probants.
Mots clés : pratiques éducatives -Performance scolaire -établissement scolaire - Côte d’Ivoireinégalités éducatives
1
Introduction
La qualité de l’éducation reste un défi pour le système éducatif ivoirien au regard des faibles
performances enregistrées depuis de nombreuses années. En effet, malgré la priorité accordée à
l’éducation depuis les indépendances marqué par l’attribution de 43% du budget général de l’état à
l’éducation, le système éducatif n’a pas toujours enregistré des résultats satisfaisants (Proteau, 2002 ;
Boliga, 2007). Les données de la Direction des Examens et Concours (DECO), structure sous tutelle
du ministère de l’éducation nationale chargée de l’organisation des examens scolaires, indiquent des
taux d’échec aux examens scolaires supérieurs à 50%, voire 2/3 des candidats depuis l’indépendance
de la Cote d’Ivoire. Cette situation s’est aggravée avec la réduction de la priorité à l’éducation qui est
passée à 37,2% en 1993; 32,4% en 2000; 25, 3% en 2006 puis 19% depuis 2010 (Proteau, 2002;
RESEN, 2010; RESEN, 2015). Le Rapport d’Etat du Système Educatif National (RESEN, 2010)
révèle, par ailleurs, un taux d’accès de 46% en fin de cycle primaire, 34% en classe de 6ème, 23% en
3ème et 13% en seconde.
Pourtant, dans cette situation d’échec généralisé, tous les établissements scolaires ne sont pas situés à
la même enseigne. Les résultats scolaires généraux cachent des disparités entre les établissements
scolaires. Un classement réalisé par le ministère de l’éducation nationale de 2007 à 2010 à partir des
taux de réussite aux examens a permis de distinguer des établissements performants qui se démarquent
régulièrement par leurs résultats largement au dessus de la moyenne nationale et avoisinent parfois
100% de taux de réussite, et les établissements moins performants qui se rangent en bas de l’échelle
avec moins de 20%.
Ces inégalités observées entre des établissements scolaires semblables du point de vue de leur
structuration formelle et de leur fonctionnement (même mode de recrutement des élèves, même
formation des formateurs, même programme scolaire, etc.) interpellent, en ce sens que la
démocratisation de l’enseignement est un enjeu majeur du système éducatif dans la mesure où la
promotion de l’équité scolaire est une priorité des pouvoirs publics. Dans ces conditions, il ne s’agit
plus seulement de favoriser l’accès à l’éducation pour tous, mais surtout de donner les mêmes chances
de réussite à tous les apprenants. Cette politique démocratisation qui implique que les établissements
scolaires évoluent dans les mêmes conditions suppose de ce fait que, les écarts de performance
observés pourraient s’expliquer par des spécificités internes aux écoles qui influencent le rendement
des élèves qui les fréquentent (Brunet, 2001). Au nombre de ces spécifiés, figurent les pratiques
éducatives qui s’appréhendent comme le processus de mise en œuvre de l’activité éducative au sein
des établissements. Janosz, Georges et Parent, (2008) distinguent à cet effet les pratiques éducatives
qui favorisent la réussite scolaire lorsque celles-ci sont efficaces.
En effet, il a été démontré qu’il existe une interrelation entre les pratiques éducatives et la performance
des établissements marquée par la productivité des enseignants et la réussite des apprenants (Janosz,
Georges et Parent, 2008; Archambault et Chouinar, 2008; Brault, 2004). De fait, les établissements
scolaires disposent d’une marge de liberté dans la mise en œuvre des processus d’apprentissage et des
programmes établis par les autorités éducatives (Davaud et al, 2005). Dans ce processus, les
établissements impriment leur marque aux élèves durant leur scolarité à travers leur particularité,
particulièrement à travers les pratiques qui y ont cours. Ces pratiques éducatives pourraient de ce fait
expliquer les inégalités constatées entre les établissements scolaires ivoiriens.
La présente étude qui veut déterminer l’impact des pratiques éducatives au sein des établissements
publics d’enseignement secondaire ivoiriens sur leur performance emboite le pas à cette démarche
réflexive et entame une rupture avec le regard porté jusqu’ici sur le système éducatif ivoirien,
appréhendé comme une entité. Partant des spécificités internes des établissements scolaires, elle se
propose de rechercher en leur sein, les pratiques éducatives en cours ainsi que leur impact sur les
performances. Pour ce faire, elle s’attachera à identifier et à décrire les pratiques éducatives en cours
au sein de ces établissements, à identifier celles qui sont susceptibles d’influencer la performance des
établissements et analyser les modalités d’influence de celles-ci.
2
La présentation expose d’abord le cadre méthodologique de l’étude. Ensuite, elle analyse le rôle de
l’établissement dans la réussite scolaire des élèves à travers les résultats. Enfin, elle pose la question
de la nécessaire mobilisation des acteurs au sein des établissements scolaires.
Matériels et méthodes
L’étude s’est inspirée du modèle d’analyse de Janosz, Georges et Parent, (1998), qui distingue sept (7)
catégories de pratiques éducatives auxquelles la recherche empirique reconnaît une influence sur la
qualité des apprentissages. Il s’agit du système d’encadrement des élèves, de l’emphase sur la réussite
éducative des élèves, du système de reconnaissance, de la qualité de l’enseignement, du temps
consacré à l’enseignement, des occasions d’investissement scolaire et parascolaire et enfin du
leadership éducatif ainsi que le style de gestion de la direction. Elle est basée sur une enquête réalisée
dans six (6) établissements publics d’enseignement secondaire de la région des lagunes de 2010 à
2013.
Pour la réalisation de l’enquête, l’étude a associé les méthodes qualitatives et quantitatives. Le choix
cette localité s’explique par le fait qu’elle constitue la première zone de forte scolarisation en Côte
d’Ivoire et regroupe de ce fait, toutes les caractéristiques de notre échantillon. Trois (3) établissements
performants (Lycée Sainte Marie de Cocody, EMPT1 de Bingerville et Lycée Moderne d’Alépé) et
trois (3) autres moins performants (Lycée Moderne d’Anyama, Lycée Municipal 2 de Koumassi et
Lycée Moderne de Treichville) ont été sélectionnés dans ce cadre. Les techniques utilisées étaient
l’administration d’un questionnaire construit à partir du modèle QES2 de Janosz, (2005) à tous les
enquêtés ainsi que des entretiens individuels et de groupe. Les techniques d’échantillonnage par choix
raisonné pour l’enquête quantitative et par cas multiple pour les entretiens ont permis d’interroger 409
acteurs dont 206 dans les établissements performants et 203 dans les établissements moins
performants. La population d’enquête était composée du personnel de direction, du personnel
d’encadrement, des enseignants et des élèves des établissements.
Les données recueillies ont été analysées essentiellement à l’aide de la méthode comparative. Les
techniques statistiques de traitement de données faites à l’aide des logiciels epi-info, excel et spss ont
permis de sortir les fréquences. Les données d’entretien quand à elles ont été rendues compréhensibles
à l’aide de l’analyse systémique et de l’analyse structurale de contenu.
Les caractéristiques des pratiques éducatives dans les établissements
L’étude a permis de constater l’existence des différentes pratiques éducatives (Janosz, Georges et
Parent, 2008) au sein des établissements ivoiriens. L’enquête auprès des acteurs a permis d’identifier
deux principales tendances: les pratiques éducatives semblent efficaces dans les établissements
performants alors que celles des établissements moins performants le sont moins. Le graphique cidessous en est l’illustration.
1
2
EMPT : Ecole Militaire Préparatoire et Technique de Bingerville
QES : Questionnaire d’Evaluation Socioéducatif
3
Graphique 1 : perception des pratiques éducatives dans les établissements d’enquête
100,00%
90,00%
80,00%
70,00%
60,00%
50,00%
40,00%
30,00%
20,00%
10,00%
0,00%
établissements
performants
établissements moins
performants
Source : données d’enquêtes
NB: le système de reconnaissance a été associé à l’emphase sur la réussite éducative parce qu’elle
présente les mêmes caractéristiques que celle-ci.
Les pratiques éducatives emblent plus efficaces dans les établissements performants que dans les
établissements moins performants. En effet, les données indiquent que ces pratiques sont mieux
perçues dans les établissements performants que dans les établissements moins performants. Les
données des entretiens confirment cette tendance. Dans les établissements performants, les enquêtés
décrivent des acteurs disciplinés et consciencieux qui s’impliquent dans la réalisation des tâches
éducatives. Les enseignants mettent l’accent sur l’optimisation du temps accordé aux enseignements et
l’achèvement des programmes scolaires. Ils sont ponctuels, respectent les horaires, rattrapent les
heures perdues en cas d’absence, respectent la progression des programmes et font des révisions avec
les élèves. Selon les élèves de ces trois établissements, les enseignants maitrisent leurs sujets et
prennent le temps de bien expliquer les leçons. Ils ont un enseignement structuré et interagissent avec
les élèves. Ils font régulièrement des évaluations pour apprécier le niveau de leurs élèves et font
l’effort d’adapter leurs enseignements aux élèves en difficulté. Tout ceci favorise un renforcement de
la confiance ainsi qu’une amélioration des acquisitions scolaires chez les élèves et par conséquent de
leur rendement. Brault, (2004) qualifie ce type d’enseignants d’efficaces dans la mesure où ils sont
compétents et désireux de faire réussir tous les élèves. Cette emphase sur la réussite éducative se
manifeste aussi bien à travers la confiance des adultes en leurs élèves. Ils les encouragent à réussir
leurs études et font de l’accompagnement scolaire pour les élèves en difficulté d’apprentissage. À
l’EMPT de Bingerville et au Lycée Moderne d’Alépé par exemple, des cellules d’accompagnement
scolaire sont mises en place pour les élèves en difficultés d’apprentissage. Les animateurs de ces
cellules sont des enseignants qui effectuent un soutien parascolaire et organisent des cours de
renforcement gratuits pour aider les élèves à combler leurs lacunes. Au Lycée Saint Marie de Cocody
cet accompagnement repose sur un encadrement rapproché des apprenants à travers un appui à
l’organisation et des conseils pratiques.
Si au Lycée Sainte Marie de Cocody et à l’EMPT de Bingerville, cette implication des enseignants
s’accompagne de la disponibilité du matériel didactique, l’absence de salles spécialisées fonctionnelles
au Lycée Moderne d’Alépé n’entame en rien le dévouement des enseignants à faire réussir les projets
éducatifs.
4
A l’inverse de ces établissements, le dévouement n’est pas perçu chez les enseignants des
établissements moins performants. Les élèves interrogés se plaignent du laxisme de certains
enseignants qui délaissent les activités dans les établissements publics au profit des établissements
privés pour bonifier leurs revenus. Ces derniers, souvent absents ou en retard au cours ne rattrapent
pas les heures perdues, n’achèvent pas les programmes et survolent les explications en classe.
D’ailleurs, certains enquêtés révèlent que les adultes de ces établissements ne s’investissent pas
suffisamment dans l’encadrement parascolaire des élèves. Des enseignants du Lycée Municipal 2 de
Koumassi confirment qu’ils ne peuvent consacrer de temps supplémentaire à l’accompagnement
scolaire des élèves non seulement parce que ces derniers sont indisciplinés mais aussi parce qu’ils ne
sont pas rémunérés pour ces heures supplémentaires. Par ailleurs, certaines pratiques d’évaluation ne
permettent une bonne appréciation du niveau des élèves. En effet, des élèves du lycée Municipal 2 de
Koumassi et du Lycée Moderne d’Anyama ont révélé que certains enseignants procèdent à des
évaluations d’ensemble qui consistent à faire traiter un devoir par plusieurs élèves sur une même copie
en vue de réduire le nombre de copies à corriger. Cette pratique en plus de favoriser la tricherie, réduit
le gout de l’effort chez les élèves et ne permet pas une nette appréciation du niveau individuel des
élèves. En effet, selon ces derniers, c’est souvent le meilleur élève du groupe qui traite le devoir. Par
ailleurs, l’enquête a révélé que toutes ces pratiques sont impulsées en amont par le style de direction
de l’établissement. Les rapports entre la direction de l’établissement et ses collaborateurs stimulent ou
non leur implication dans les taches éducatives. Dans les établissements moins performants, il est
décrit un style de leadership contrôlant et autoritaire. A ce propos, une conseillère d’éducation du
lycée Moderne de Treichville affirme: «Ici, le proviseur et ses adjoints gèrent l’établissement comme
leur royaume ». Les rapports entre la direction et le personnel sont souvent conflictuels et des iniquités
sont souvent déplorées dans le traitement du personnel. C’est le cas au Lycée moderne d’Anyama où
selon un éducateur, « les tâches ne s’attribuent pas selon les compétences mais selon l’affinité avec le
proviseur». Par ailleurs, l’impunité dont bénéficient certains acteurs occasionne des désordres et crée
un sentiment d’insécurité au sein de ces établissements. Au Lycée Moderne de Treichville par
exemple, ces problèmes sont perçus à travers les agissements d’une organisation syndicale d’élèves
qui se substitue à l’administration scolaire et procède aux inscriptions, à la confection des cartes
scolaires et des tee-shirts et rançonne les autres élèves ainsi que les commerçants présents sur l’espace
scolaire. Les enquêtés cet établissement ont tous évoqué la séquestration du proviseur à son bureau
pendant 2h suivie de l’incendie de sa voiture par les membres de ce syndicat sans que ceux-ci ne
soient inquiétés.
Dans les établissements performants par contre, les enquêtés décrivent des acteurs disciplinés et
consciencieux qui s’impliquent dans la réalisation des tâches éducatives. Si à l’EMPT de Bingerville,
cette implication relève du caractère militaire de l’établissement, le censeur coordonnateur du Lycée
Sainte Marie de Cocody décrit une atmosphère conviviale avec comme chef d’orchestre, le chef
d’établissement. Les réunions hebdomadaires organisées par ce dernier permettent de mettre tous les
acteurs au même niveau d’information et surtout de définir les tâches de chacun. En outre, le fait
d’associer les élèves à la révision du règlement intérieur et de leur faire signer un engagement à
l’inscription les responsabilise et guide leur conduite. Cette procédure participe à la reconnaissance de
la légitimité des règles de l’établissement par l’élève. Au Lycée moderne d’Alépé, il existe selon les
enquêtés, une entente parfaite entre le chef d’établissement et ses collaborateurs qui les stimule au
travail dans l’encadrement des élèves. A l’EMPT de Bingerville par contre, les élèves reconnaissent le
bien fondé des règles et se prédisposent à leur application dans la mesure où ils estiment qu’elles
participent à leur éducation. Par ailleurs, l’inexistence de favoritisme dans leur application conforte
leur adhésion. Ils étayent leurs propos par le renvoi en 2009 du fils du ministre de tutelle de l’école,
pour indiscipline.
Toutes ces pratiques sont par ailleurs soutenues par une forte collaboration école-famille dans les
établissements performants, ce qui n’est pas le cas dans les établissements moins performants. Un
5
éducateur du Lycée Municipal 2 de Koumassi affirme que les parents d’élèves ne se rendent dans
l’établissement qu’à la rentrée pour inscrire leurs enfants et quelquefois en fin d’année, pour le retrait
des bulletins. Cette négligence des parents pourrait être une source de démotivation pour les élèves et
donner alors libre-cours à certaines déviations.
En somme, la comparaison des pratiques éducatives a permis d’établir écart entre celles des
établissements performants et moins performants et confirment de ce fait l’importance de
l’établissement scolaire dans la réussite des élèves.
L’établissement, un maillon incontournable dans la réussite des élèves
L’établissement joue un rôle essentiel dans la réussite des élèves qui le fréquentent à travers les
pratiques éducatives qu’il adopte. En effet, les variations et écarts constatés dans la réussite des élèves
pourraient aussi être attribuables à des différences de pratiques éducatives au sein des établissements
dans la mesure où celles-ci influencent la qualité des apprentissages et les acquisitions des élèves
(Brault, 2004; Lapointe et al, 2008; Janosz et al, 1998). Pour vérifier cette assertion dans le cadre
ivoirien, l’étude s’est attelée a rechercher la corrélation entre les pratiques éducatives et la
performance des établissements. Le graphique ci-dessous en donne un aperçu.
Tableau 1: corrélation entre les pratiques éducatives et la performance des établissements
Pratiques éducatives
Style de
Leadership
Temps consacré
à l’enseignement
Qualité de
l’enseignement
Emphase
sur
l’éducation
Système
d’encadrement
Occasions
d’investissement
3,15
2,94
3,02
3,23
3,23
3,15
206
206
206
206
206
206
0,7
0,85
0,16
0,88
0,23
1,18
Moyenne
2,68
2,06
2,59
2,74
2,82
2,27
N
203
203
203
203
203
203
écart-type
0,53
0,47
1,18
0,84
0,52
0,87
Différ
-2,33
-3,08
-2,76
-3,13
-3,38
-3,17
Sd (a)
0,16
0,21
0,19
0,22
0,24
0,22
2 Sd
0,32
0,43
0,38
0,44
0,47
0,44
2,6 Sd
0,42
0,56
0,5
0,57
0,61
0,57
Sig 0,05
ok ,05
ok ,05
ok ,05
ok ,05
ok ,05
ok ,05
Sig 0,01
ok ,01
ok ,01
ok ,01
Source : données d’enquête
ok ,01
ok ,01
ok ,01
Type d’établissement
Moyenne
Etablissements
N
performants
écart-type
Etablissements
non performants
Les données du tableau indiquent une corrélation entre les pratiques éducatives et la performance des
établissements. La comparaison des écart-types indique une significativité à 0.01 et 0.05 pour toutes
les variables. Ces données confirment l’hypothèse selon laquelle les pratiques éducatives sont une
cause explicative des écarts de performance entre les établissements publics d’enseignement
secondaire ivoiriens. Elles vont dans le sens des résultats d’études antérieures (Brault, 2004 ; Lapointe
et al, 2008 ; Janosz et al, 1998).
En effet, la détermination des acteurs à faire réussir le projet éducatif dans les différents établissements
permet de dégager les valeurs qui impriment la conduite de chacun en sorte que l’institution ou
l’organisation sociale devienne un bien partagé. En conséquence, les faibles taux de présence des
variables semblent être un manque d’appropriation du cadre général d’apprentissage établi par le
ministère de tutelle par les acteurs des établissements. Ce manque d’appropriation explique les
attitudes des acteurs qui orientent les pratiques éducatives au sein des établissements scolaires.
6
Les études de Gottfredson, (1986) ont montré que les pratiques éducatives en cours dans
l’établissement exercent un effet modérateur sur les caractéristiques individuelles pour produire des
comportements chez les élèves. En effet, Les occasions d’investissement scolaire influencent la qualité
des comportements et des apprentissages des élèves. On pourrait en conséquence affirmer avec cet
auteur qu’un système d’encadrement efficace diminue les problèmes de comportement et
d’indiscipline au profit des apprentissages.
Dans les établissements ivoiriens, cette affirmation semble vérifiée en ce sens que les établissements
où l’encadrement des élèves présente des déficits sont justement ceux où les élèves performent le
moins. Dans les établissements où s’observe des pratiques éducatives efficaces, les membres du
personnel de l’établissement motivent et encouragent leurs élèves. Ils prennent le temps de les aider
lorsqu’ils rencontrent des difficultés et affichent des attentes élevées mais réalistes à leur égard. Les
exemples les plus éloquents sont l’EMPT de Bingerville et le Lycée Moderne d’Alépé où des cellules
d’accompagnement sont mises en place au profit des élèves en difficulté d’apprentissage. Ces cellules
sont l’expression des attentes des adultes vis-à-vis de leurs élèves. En réponse, ces derniers
développent des attitudes pour satisfaire à ces attentes à travers l’adaptation scolaire et la réussite aux
évaluations.
Aussi, les résultats de l’étude ont-ils montré que si des pratiques éducatives efficaces favorisent
l’adaptation des élèves, l’inverse est aussi vérifié. Les problèmes de comportement, de motivation et
d’échecs scolaires qui prennent de l’ampleur dans le milieu entament la motivation des acteurs
éducatifs au sein des établissements. Dès lors, il parait impérieux de mobiliser les acteurs à l’adoption
de pratiques éducatives efficaces.
La nécessaire mobilisation des acteurs à l’école
La mobilisation des acteurs, par ce qu'elle implique de différenciations entre les établissements et
surtout par le risque de reconnaissance de ceux-ci, touche certaines convictions et habitudes de ces
derniers. Elle joue un rôle essentiel dans le rendement scolaire des élèves dans la mesure où elle
facilite la conduite de toutes les activités nécessaires à la réalisation des tâches éducatives. C’est la
perception de cette mobilisation par les acteurs qui stimule leur motivation dans la réalisation des
tâches éducatives. C’est la qualité de cette mobilisation qui impulse la qualité des pratiques éducatives
qui à leur tour exercent une influence sur la motivation des acteurs ou inversement. Les acteurs
mobilisés des établissements performants en appellent avant tout à une fierté liée au statut de
l’établissement et à la sauvegarde de sa notoriété. Inversement de l’étude de Dubet, Cousin et
Guillemet (1989), où les enseignants se soucient de revaloriser le métier dans certains établissements
en France, l’engagement des acteurs éducatifs ivoiriens des établissements performants s’explique par
le fait que ces derniers perçoivent la notoriété de leur établissement comme un critère de leur propre
valorisation. Travailler dans un établissement performant se verrait comme un critère de leur propre
efficacité. Dès lors, il se déploie une batterie de mesure pour conserver cette notoriété.
Les données de l’étude révèlent que les écoles qui performent sont celles où se déploie une série de
mesures et de pratiques qui soutiennent la mobilisation des enseignants, l’engagement des élèves et la
valorisation de la réussite. Il y est pratiqué un encadrement soutenu des apprenants alors que les
activités d’apprentissage et d’évaluation font l’objet d’une attention particulière et constituent une
préoccupation partagée de tous les acteurs éducatifs. Dans les établissements, cela se traduit par les
activités de contrôle pour le personnel administratif et l’assiduité au cours, le rattrapage des heures en
cas d’absence et l’achèvement des programmes par les enseignants. Un accent est par ailleurs, mis sur
l’aide individualisée.
Cet engagement des acteurs est soutenu par leur perception de l’ambiance de travail qui permet de
créer un sentiment de confiance chez les acteurs qui développent en retour une attitude favorable aux
apprentissages. Cela s’observe dans les établissements performants où les acteurs se plaignent moins
du style de gestion pratiqué par le chef d’établissement. L’ambiance plaisante de l’établissement active
7
la conscience professionnelle du personnel éducatif et crée un plaisir de travailler chez les enseignants
et les élèves et peut, à son tour, être une source d'efficacité. Les élèves développent des systèmes
d’apprentissage de groupe et s’entraident pour étudier leurs leçons ou faire les exercices. C’est aussi le
cas chez les enseignants qui prennent plaisir à participer aux échanges au sein des unités pédagogiques
ou de conseils d’enseignement au profit des élèves.
Les analyses permettent ainsi d’affirmer que les performances scolaires sont liées à une implication
des acteurs dans les tâches éducatives. Ces derniers qui se sentent valorisés s’investissent donc dans
les tâches éducatives en vue de produire de bons résultats. Tout ceci repose sur un style de leadership
non controversé au sein des établissements qui stimule une abnégation dans la réalisation des tâches.
Lorsque les membres de l’école se sentent valorisés, ils s’investissent dans les tâches éducatives et
accordent une importance élevée à l’aspect académique en mettant l’accent sur la réussite scolaire des
élèves. Le fait que les adultes aient des attentes élevées envers les réalisations de leurs élèves et qu’ils
consacrent beaucoup de temps à l’enseignement et aux activités d’apprentissage sont également des
attitudes efficaces pour un meilleur rendement des élèves. Le sens de la communauté et le fait que les
membres de l’école partagent une vision et une mission commune font de l’établissement un
environnement de travail attirant est essentiel à la réussite scolaire. Le personnel éducatif de l’école est
engagé envers les tâches et envers les élèves. Cette attitude crée une participation active des élèves à la
vie scolaire et aux décisions les concernant. Les élèves qui se sentent ainsi valorisés par la confiance
des adultes et qui savent le bien fondé des activités scolaires s’investissent dans leurs études pour
produire de bons résultats afin de mériter la confiance des adultes et témoigner leur reconnaissance.
Cette mobilisation des acteurs repose nécessairement sur un traitement juste et égalitaire de tous les
acteurs ainsi qu’une application équitable, cohérente et constante des règles qui permet d’éviter les
frustrations pouvant générer l’indiscipline chez les élèves et même chez certains adultes. Les
recherches ont montré que les établissements où les acteurs se plaignent d’iniquité dans l’application
des règles sont justement ceux où s’observe une plus grande indiscipline. Cette indiscipline des élèves
et parfois des adultes, ainsi que les perturbations qui en découlent ne favorisent pas la sécurité des
acteurs, gage de leur concentration sur les tâches éducatives.
Par ces résultats, il semble évident que les pratiques éducatives aient une répercussion sur le
rendement scolaire des élèves.
Conclusion
L’analyse effectuée dans ce travail a pris en compte différentes variables tendant à rendre compte de
l’impact des pratiques éducatives sur le rendement scolaire dans les établissements d’enseignement
secondaire en Côte d’Ivoire. Pour ce faire, elle procédé à la comparaison de deux types
d’établissement. L’analyse effectuée dans ce sens avait pour objectif de montrer l’influence de cette
variable sur la performance des établissements mesurée par les résultats scolaire des élèves
Les résultats de l’étude ont permis de constater que les pratiques éducatives en vigueur dans
l’établissement influencent fortement les résultats scolaires. Ces résultats vont dans le sens des études
menées par Brault (2004) qui ont montré l’influence des pratiques éducatives sur le rendement des
élèves. Ces pratiques sont relatives à la diffusion du savoir, à l’encadrement des élèves amis surtout au
style de leadership qui imprime la personnalité et le cadre d’action de l’établissement. Ainsi, les école
efficaces possèdent des caractéristiques particulières, telles qu’une vision réaliste et différenciée de
leurs élèves, l’adaptation de leur enseignement, une évaluation fréquente des élèves, un climat
discipliné, des droits et des responsabilités pour les enseignants et un soutien aux élèves. La qualité
des interactions au sein des établissements influence la motivation des enseignants et de la qualité de
leurs interactions avec la direction d’école. En effet, Chaque établissement fait un travail d’adaptation
en fonction des caractéristiques de ses acteurs, de la perception des actions et des relations que les
acteurs entretiennent entre eux. Ce sont ces interactions qui induisent les capacités d’action et la
mobilisation des différents acteurs dans la formation des élèves.
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L’étude réalisée dans les établissements ivoiriens a permis de vérifier l’hypothèse selon laquelle les
pratiques éducatives adoptées par l’institution scolaire affectent la qualité des interactions et par
conséquent le rendement des élèves. En effet, les établissements qui ont de bon résultats sont ceux
dont les pratiques éducatives sont les plus efficaces. Ces établissements disposent d’un bon système de
leadership axé sur la mobilisation de tous les acteurs à la vie scolaire et une collaboration non
controversée soutenue par une communication fluide entre les acteurs. Ces pratiques permettent
d’éviter les frustrations et favorisent la motivation des acteurs dans l’exécution des tâches éducatives.
C’est cette motivation qui conditionne l’engagement des enseignants à bien s’appliquer dans la
diffusion des enseignements à leurs élèves. Dans les classes, les interactions se déroulent dans une
atmosphère plaisante qui permet aux élèves de développer des attitudes favorables aux apprentissages.
En outre, pour manifester cet engagement à aider les élèves dans la réussite scolaire, un accent est mis
sur l’encadrement rapproché à travers un dispositif d’aide individualisée et d’accompagnement des
élèves en difficulté d’apprentissage. Parce que les adultes développent des attentes élevées mais
réalistes à l’endroit de leurs élèves et le leur signifient, ces derniers adoptent des attitudes visant à
mériter la confiance placée en eux en se concentrant sur la réalisation des tâches scolaires dans la
mesure où ils en savent le bien fondé. A l’inverse, dans les établissements où le style de direction est
contesté par le personnel qui y perçoit des discriminations dans le traitement, ces derniers développent
des techniques de compensation qui entament leur motivation dans l’exécution des tâches et par
conséquent les résultats scolaires des élèves. Ce décor est aggravé par l’insuffisance d’infrastructures
éducatives et la non-disponibilité du matériel didactique.
les pratiques éducatives ne sauraient donc être les seuls facteurs explicatifs de la performance scolaire
des élèves qui les fréquentent.
En effet, il reste entendu que la réussite éducative est de la responsabilité de la société toute entière
dans la mesure où la mission de l'école ne se limite pas à la seule instruction mais s'attache également
à l'éducation et à la formation des citoyens. Elle a alors besoin du concours de tous les partenaires
éducatifs et nécessite de prendre en compte d’autres variables comme le capital culturel, le
cheminement scolaire des élèves, leurs caractéristiques familiales et culturelles, ainsi que
l’environnement scolaire de l’élève dans la recherche des causes explicatives du rendement des élèves
en Côte d’Ivoire.
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Bibliographie
Boliga, Z., (2007). La politique d’éducation des enfants en Côte d’Ivoire depuis 1960. Revue
ivoirienne d’anthropologie et de sociologie Kasa bya Kasa, 12- 2007, 111-131.
Brault, M-C.., (2004). L’influence du climat sur les résultats des élèves: effet-établissement ou
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