Transiger ou ne pas transiger ? Comment aviser vos initiés compte
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Transiger ou ne pas transiger ? Comment aviser vos initiés compte
Transiger ou ne pas transiger ? Comment aviser vos initiés compte tenu de la jurisprudence récente sur les délits d'initiés Par Gabriel Castiglio et Stéphanie Lapierre Le 6 février 2014 Plan de présentation 1. Le délit d’initié en droit québécois a) Infraction pénale b) Mesures dans l’intérêt public c) Autorité des marchés financiers c. Bertrand 2. L’affaire Donald 3. L’affaire Re Lambert: une nouvelle tendance ? 4. Ce qu’il faut retenir 2 1. Le délit d’initié en droit québécois Art. 187 LVMQ L'initié à l'égard d'un émetteur assujetti qui dispose d'une information privilégiée reliée aux titres de cet émetteur ne peut réaliser aucune opération sur ces titres ni changer un intérêt financier dans un instrument financier lié, sauf dans les cas suivants s'il peut démontrer que: 1° il est fondé à croire l'information connue du public ou de l'autre partie; 2° il se prévaut d'un plan automatique de réinvestissement de dividendes, de souscription d'actions ou d'un autre plan automatique établi par l'émetteur assujetti, selon des modalités arrêtées par écrit avant qu'il n'ait eu connaissance de cette information; 3° il y est tenu en vertu d'un contrat, dont les modalités sont arrêtées par écrit, conclu avant qu'il n'ait eu connaissance de cette information. 3 1. Le délit d’initié en droit québécois (suite) • Le terme information privilégiée est défini dans la LVMQ comme « toute information encore inconnue du public et susceptible d'affecter la décision d'un investisseur raisonnable» 4 1 (a). Infraction Pénale • L’infraction énoncée à l’article 187 LVM est une infraction pénale • Fardeau de la preuve très élevé – doute raisonnable • Sanctions importantes • Art. 204 LVM: amende • montant minimal – le plus élevé de 5 000 $ ou double du bénéfice éventuellement réalisé • maximal de l’amende – le plus élevé de 5 M$ ou le quadruple du bénéfice éventuellement réalisé • Art. 205 et 207 LVM: complice et concertation • Art. 208.1 LVM: en plus de l’amende, possibilité d’un emprisonnement de 5 ans moins un jour. 5 1 (b). Mesures dans l’intérêt public • Les ACVM, dont l’AMF, peuvent également choisir d’instituer un recours administratif • La source de ce recours est le pouvoir du Bureau de décision et de révision d’émettre des ordonnances dans l’intérêt public • Pouvoir très large aux termes des articles 262.1 et 273.1 LVM et de l’article 93 LAMF • Fardeau de preuve moins élevé – balance des probabilités • Sanctions importantes pouvant avoir des conséquences majeures pour l’administrateur ou le dirigeant poursuivi • Depuis quelques années, AMF et autres ACVM semblent privilégier ce recours administratif au recours pénal 6 1 (b). Mesures dans l’intérêt public (suite) Art. 262.1 LVM Par suite d'un manquement à une obligation prévue par la législation en valeurs mobilières, l'Autorité peut demander au Bureau de décision et de révision de rendre, à l'égard de quiconque afin de corriger la situation ou de priver une personne des gains réalisés à l'occasion de ce manquement, une ou plusieurs des ordonnances suivantes: 1° enjoindre à une personne de se conformer: a) à toute disposition de la présente loi ou d'un règlement pris en application de celle-ci, ou de toute autre loi ou de tout règlement régissant les valeurs mobilières; b) à toute décision de l'Autorité prononcée en vertu de la présente loi ou d'un règlement pris en application de celle-ci; c) à tout règlement, toute règle ou politique d'un organisme d'autoréglementation ou d'une bourse ou toute décision ou ordonnance qu'il prononce en vertu de ceux-ci; 7 1 (b). Mesures dans l’intérêt public (suite) Art. 262.1 LVM (suite) 2° enjoindre à une personne de se soumettre à une révision de ses pratiques et de ses procédures et d'effectuer les changements requis par l'Autorité; 3° annuler toute transaction conclue par une personne relativement à des opérations sur valeurs mobilières et lui enjoindre de rembourser à une autre toute partie de sommes d'argent que cette dernière a versées pour des valeurs mobilières; 4° enjoindre à une personne d'émettre, d'acheter, d'échanger ou d'aliéner toute valeur mobilière; 5° interdire à une personne d'exercer son droit de vote ou tout autre droit rattaché aux valeurs mobilières; 8 1 (b). Mesures dans l’intérêt public (suite) Art. 262.1 LVM (suite) 6° enjoindre à une personne de produire des états financiers conformes à la législation en valeurs mobilières ou un compte rendu comptable sous une forme que peut préciser le Bureau; 7° enjoindre à une personne de tenir une assemblée de ses actionnaires; 8° enjoindre à une personne de rectifier un registre ou un dossier; 9° enjoindre à une personne de remettre à l'Autorité les montants obtenus par suite de ce manquement. 9 1 (b). Mesures dans l’intérêt public (suite) Art. 273.1 LVM Le Bureau de décision et de révision, après l'établissement de faits portés à sa connaissance qui démontrent qu'une personne a, par son acte ou son omission, contrevenu ou aidé à l'accomplissement d'une telle contravention à une disposition de la présente loi ou d'un règlement pris en application de celleci, peut imposer à cette personne une pénalité administrative et en faire percevoir le paiement par l'Autorité. Le montant de cette pénalité ne peut, en aucun cas, excéder 2 000 000 $ pour chaque contravention. 10 1 (b). Mesures dans l’intérêt public (suite) Art. 93 LAMF Le Bureau exerce, à la demande de l'Autorité ou de toute personne intéressée, les fonctions et pouvoirs prévus par la présente loi, la Loi sur la distribution de produits et services financiers (chapitre D-9.2), la Loi sur les entreprises de services monétaires (chapitre E-12.000001), la Loi sur les instruments dérivés (chapitre I-14.01) et la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1). Le Bureau exerce la discrétion qui lui est conférée en fonction de l'intérêt public. Le Bureau ne peut, lorsqu'il apprécie les faits ou le droit pour l'application de ces lois, substituer son appréciation de l'intérêt public à celle que l'Autorité en avait faite pour prendre sa décision. 11 1 (c). Autorité des marchés financiers c. Bertrand (2012) • Procédure intentée par l’AMF contre des dirigeants de la société Mega Brands suite à des transactions boursières • Sanctions recherchées par l’AMF: • remise du montant obtenu par les dirigeants dans le cadre des opérations boursières • paiement d’une pénalité administrative • Remboursement des frais d’enquête de l’AMF • Mega Brands est un important manufacturier de jouets • En juin 2005, Mega Brands acquiert la société Rose Art, un fabricant de jouets basé aux États-Unis • Le 24 novembre 2005, un jeune garçon de 22 mois décède après avoir ingéré des aimants provenant d’un jouet fabriqué par Rose Art. • 11 décembre 2005, la mère de l’enfant informe le détaillant où le jouet avait été acheté du décès 12 1 (c). Autorité des marchés financiers c. Bertrand (suite) • 12 décembre 2005: le détaillant informe la directrice des affaires juridiques de Mega Brands de l’incident • 14 et 15 décembre 2005: exercice d’options et vente des actions par les dirigeants de Mega Brands • Au moment des transactions boursières: • Un enfant est décédé le 25 novembre 2005 suite à l’ingestion d’aimants d’un joint Magnetix fabriqué par Rose Art • Le conseiller juridique de Mega Brands spécialisé dans la réglementation du jouet n’entrevoit pas la possibilité d’un rappel de produits • Confirmation du haut dirigeant de Rose Art à l’effet qu’il n’est pas au courant d’autres décès relatifs à l’ingestion d’aimants • Que la famille n’avait pas l’intention d’instituer de poursuite 13 1 (c). Autorité des marchés financiers c. Bertrand (suite) • Dans les mois qui suivent les transactions boursières: • La famille de l’enfant décédé intente une poursuite contre Mega Brands • D’autres incidents sont rapportés à l’effet que des jeunes garçons ont été hospitalisés suite à l’ingestion d’aimants provenant du même jouet – plusieurs poursuites sont instituées et réglées (13.5M$) • Les autorités américaines enquêtent sur la sécurité des jouets de Rose Art • Mega Brands procède à trois campagnes de remplacement des jouets Magnetix qui engendrent des coûts importants 14 1 (c). Autorité des marchés financiers c. Bertrand (suite) • Seule question en litige – les initiés disposaient-ils d’une information privilégiée au moment où ils ont transigé? • Information inconnue du public • Susceptible d’affecter la décision d’un investisseur raisonnable • Susceptible d’affecter = possibilité (et non une certitude) • Investisseur raisonnable = critère objectif 15 1 (c). Autorité des marchés financiers c. Bertrand (suite) • BDR - Analyse doit tenir compte: • De l’ensemble de l’information connue des initiés lors des opérations • Des circonstances entourant cette information, de la nature et de la taille de l’émetteur et du marché dans lequel il évolue • Des évènements contingents (incertains et aléatoires) • « probability/magnitude test » • raisonnablement envisageables 16 1 (c). Autorité des marchés financiers c. Bertrand (suite) • Décision du BDR • Faits connus au moment des transactions boursières: • Un enfant est décédé le 25 novembre 2005 suite à l’ingestion d’aimants d’un jouet Magnetix fabriqué par Rose Art • Le jouet - +6 ans; « chocking hazard »; test de sécurité • Que la famille n’avait pas l’intention d’intenter de poursuite • Confirmation du haut dirigeant de Rose Art à l’effet qu’il n’est pas au courant d’autres décès relatifs à l’ingestion d’aimants • Le conseiller juridique de Mega Brands spécialisé dans la réglementation du jouet n’entrevoit pas la possibilité d’un rappel de produits • Avis du conseiller juridique externe 17 1 (c). Autorité des marchés financiers c. Bertrand (suite) • Risques anticipés? Les faits postérieurs doivent être raisonnablement envisageables selon le contexte factuel • BDR conclut que les poursuites, les campagnes de remplacement, etc. n’étaient pas envisageable au moment où les initiés ont transigé • BDR conclut que les initiés n’avaient pas d’informations privilégiées et rejette la demande 18 2. L’affaire Donald (août 2012) • Recours intenté par la commission des valeurs mobilières de l’Ontario (« CVMO ») alléguant que Donald avait acheté des titres de Certicom alors qu’il avait connaissance de faits importants non divulgués • Donald était vice-président de Research in Motion (« RIM ») • 20 août 2008: Lors d’un tournoi de golf de RIM, Donald discute avec le vice-président alliances stratégiques de RIM • 21 août 2008: Donald acquiert des actions de Certicom pour 300 000 $ • 3 décembre 2008: RIM annonce son intention d’acheter les actions de Certicom • 26 mars 2009: clôture de la transaction; Donald réalise un profit de 600 000 $ 19 2. L’affaire Donald (suite) • Donald était au courant que RIM voulait acheter Certicom, que des discussions à cet effet avaient eu lieu, que Certicom était une cible importante pour RIM et que la valeur des actions de Certicom était sous-évaluée • CVMO conclut que les informations que Donald possède remplissent la définition de fait important car il est raisonnable de s’attendre que ces faits aient un effet appréciable sur le cours ou la valeur des actions de Certicom • Néanmoins, la CVMO conclut que Donald n’a pas commis de délit d’initié car il ne remplit pas une des conditions de l’infraction qui exige que la personne ait des rapports particuliers avec l’émetteur assujetti 20 2. L’affaire Donald (suite) • Malgré le fait que Donald n’a pas commis de délit d’initié, CVMO conclut que Donald a agi de façon contraire à l’intérêt public (pouvoir de la CVMO en vertu de l’article 127 de la LVMO) • À titre de dirigeant de RIM, un émetteur assujetti, Donald devait adhérer à un standard de conduite élevé • CVMO conclut que l’utilisation des informations obtenues par Donald en raison de ses fonctions de vice-président de RIM, informations qui ne sont pas disponibles au reste du marché, porte atteinte à l’intégrité des marchés de capitaux • Sanctions imposées à Donald: • Interdiction d’agir comme administrateur ou dirigeant d’un émetteur assujetti pendant 5 ans • Réprimande • Paie 150 000 $ pour les frais d’enquête et d’audition 21 3. L’affaire Re Lambert: nouvelle tendance? • Règlement intervenu en juillet 2013 entre la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta et Anthony Lambert suite à des procédures intentées par la Commission alléguant que Lambert avait acheté des titres de Daylight Energy Ltd. (« Daylight ») alors qu’il avait connaissance de faits importants non divulgués • Lambert est président et CEO de Daylight, compagnie du secteur pétrolier et gazier • Juillet 2011: la banque d’investissement Canaccord informe Lambert que Sinopec, une compagnie chinoise, pourrait être intéressée à conclure une acquisition de Daylight • 29 juillet 2011: Canaccord informe Lambert que Sinopec est de plus en plus sérieuse par rapport à une acquisition de Daylight • 5 août 2011: Sinopec transmet une lettre d’expression d’intérêt à Daylight relativement à l’exploration d’une transaction d’acquisition 22 3. L’affaire Re Lambert: nouvelle tendance? (suite) • 5 août 2011: Lambert obtient un avis du vice-président, affaires juridiques de Daylight, des conseillers juridiques externes de Daylight et du président du comité de régie d’entreprise de Daylight à l’effet que la lettre reçue de Sinopec ne constitue pas une « information importante » et qu’il n’y a pas lieu d'imposer une période de restrictions des opérations (« blackout ») • Les motifs au soutien de l’avis de ces personnes sont: • Daylight a reçu plusieurs expressions d’intérêt dans le passé, aucune n’ayant mené à des discussions sérieuses • La lettre de Sinopec était non-sollicitée et ne contenait aucun prix, modalités ou même la nature exacte de la transaction • Daylight n’était pas en vente et n’avait retenu aucun aviseur financier pour trouver des acheteurs 23 3. L’affaire Re Lambert: nouvelle tendance? (suite) • 8 août 2011: Lambert confirme à Sinopec son intérêt à explorer des opportunités d’affaires potentielles • 8 août 2011: Lambert achète des actions de Daylight • 15 août 2011: entente de confidentialité signée entre Daylight et Sinopec • 16 août 2011: Sinopec a accès à un « data room » contenant informations sur Daylight • 30 septembre 2011: Sinopec soumet une offre d’achat à Daylight • 9 octobre 2011: annonce publique de la transaction d’acquisition • 23 décembre 2011: Daylight est acquise; Lambert réalise un profit de 129 000 $ 24 3. L’affaire Re Lambert: nouvelle tendance? (suite) • Art. 147(2) de la loi sur les valeurs mobilières en Alberta “No person or company in a special relationship with a reporting issuer shall purchase or sell securities of the reporting issuer with the knowledge of a material fact or material change with respect to the reporting issuer that has not been generally disclosed.” “material fact”, when used in relation to securities issued or proposed to be issued, means a fact that would reasonably be expected to have a significant effect on the market price or value of the securities; 25 3. L’affaire Re Lambert: nouvelle tendance? (suite) • La commission des valeurs mobilières de l’Alberta est d’avis que la lettre du 5 août 2011 et les autres éléments de discussion avec Sinopec étaient un fait important et que Lambert a contrevenu à loi et a agi de façon contraire à l’intérêt public • En vertu du règlement, Lambert: • Rembourse le profit qu’il a fait sur la vente de ses actions • Paie 100 000 $ pour les frais d’enquête et d’audition • S’engage à ne pas être administrateur ou dirigeant d’un émetteur assujetti pour une période de deux ans • S’engage à ne pas transiger des titres d’un émetteur assujetti pour une période de deux ans (sauf transactions effectuées via un courtier dans un compte REER ou compte discrétionnaire) 26 4. Ce qu’il faut retenir • Les autorités réglementaires sont plus vigilantes relativement aux délits d’initiés et disposent d’un éventail de recours pour sanctionner les contrevenants • Une conduite qui n’enfreint pas la loi peut quand même donner lieu à des sanctions si les autorités jugent la conduite contraire à l’intérêt public • Aucune défense de diligence raisonnable n’est applicable pour une infraction de délit d’initié • L’impact d’une procédure sur la réputation d’un initié (même si aucune condamnation) est important • En cas de doute, il faut agir avec prudence et s’abstenir de transiger 27 Gabriel Castiglio 514 397 7499 [email protected] Stéphanie Lapierre 514 397 5137 [email protected] 28