Nicolas Sarkozy : des vœux en continuité pour le candidat

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Nicolas Sarkozy : des vœux en continuité pour le candidat
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Nicolas Sarkozy : des vœux en continuité pour le
candidat de la rupture
Françoise Finniss-Boursin
Communication & langages / Volume 2011 / Issue 169 / September 2011, pp 87 - 103
DOI: 10.4074/S0336150011003085, Published online: 10 November 2011
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Françoise Finniss-Boursin (2011). Nicolas Sarkozy : des vœux en continuité pour le
candidat de la rupture. Communication & langages, 2011, pp 87-103 doi:10.4074/
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Nicolas Sarkozy :
des vœux en continuité
pour le candidat
de la rupture
FRANÇOISE FINNISS-BOURSIN
Le nouvel an est un rite familial (une soirée partagée
avec la famille et les amis) et professionnel (l’occasion
d’échanger des cartes de vœux) ; c’est aussi un rite
politique national, un passage obligé pour le président
de la République française. Le rite a cette caractéristique
d’être tout à la fois le lieu idéal pour signifier le
changement (le code est tellement bien connu que le
moindre écart est perceptible) et le dernier lieu où le
changement soit possible (le rite est immuable, a fortiori
quand l’enjeu est de se donner à voir non plus comme
candidat éligible, mais comme Président de tous les
Français).
La tradition française, depuis le début de la Ve
République, veut que le Président présente ses vœux aux
Français le 31 décembre à 20 heures. C’est le premier
discours de vœux d’une longue série, puisque, selon
les années et les Présidents, il en existe entre six et
treize autres adressés aux différentes catégories, telles que
le corps diplomatique, les corps constitués, les forces
vives, la presse, les assemblées, dans les trois premières
semaines de janvier1 . C’est un moment attendu dans la
vie politique française, même si beaucoup de Français
considèrent qu’il s’agit d’un aimable bavardage sans
intérêt. Quelle que soit l’opinion de chacun, tous les
observateurs reconnaissent qu’il s’agit d’un message figé,
d’un genre codifié, formel, qui s’apparente à un rite quasi
À l’heure où l’évidence des changements
qui affectent le champ de la
communication politique (l’exhibition
de certains moments de la vie privée,
la médiatisation de l’individu sous
les habits institutionnels) pourrait
inciter à laisser pour compte les
persistances, Françoise Finniss-Boursin,
qui a analysé tous les discours de
vœux des Présidents français depuis
1958, s’intéresse aux vœux télévisés du
Président Nicolas Sarkozy (2007-2009).
Comment
l’autoproclamé
candidat
de la « rupture » allait-il aborder cet
exercice ? Au-delà de l’éclairage sur le
décalage entre promesses et mises en
pratique de l’actuel président, Françoise
Finniss-Boursin engage une réflexion sur
le rôle du rite et de la solennité dans la
construction d’un représentant politique.
Ce n’est pas parce que la politique est
l’affaire de tous et que le politique se
dissémine aujourd’hui partout que ne
persistent pas des lieux où se construit
la figure politique.
Mots clés :
communication politique,
communication présidentielle, discours
de vœux, Jacques Chirac, Nicolas
Sarkozy, rite, rupture
1. Le Monde, 31 décembre 2006-1er janvier 2007, « Agenda », p. 7.
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religieux. Un double rite2 en l’occurrence, puisqu’aux vœux de nouvel an s’ajoute
le « rituel télévisé » dont parlent Daniel Dayan et Elihu Katz3 .
Cependant, J. Chirac et N. Sarkozy sont deux hommes très différents, par leur
âge, leur culture, leur conception de la fonction et leur rapport aux médias. De plus,
le second a positionné sa candidature sur la notion de « rupture », ce qui devrait
logiquement conduire à deux formes contrastées de vœux. Slogan de campagne
du dernier Président, « rupture », du latin rumpere ([se] rompre), évoque l’idée
d’une interruption (par exemple des relations diplomatiques), d’une séparation
(on parle de rupture amoureuse), d’un arrachement ou d’une brisure (une rupture
des ligaments). C’est en tout cas un mot fort, peu fréquent dans la bouche d’un
candidat qui s’inscrit dans un parti de même mouvance que son prédécesseur.
Georges Pompidou s’était appliqué à rassurer les Français sur la succession du
général de Gaulle en évoquant « Le changement sans risques », tandis que Valéry
Giscard d’Estaing avait utilisé une formule proche : « Le changement dans la
continuité ». Quant à Jacques Chirac, en 1995, il avait posé le diagnostic de la
« fracture sociale », mais c’était pour promettre du lien social en s’efforçant de
la réduire, ce n’était pas un affichage de cassure. Quand on considère cet effort de
continuité, la mise en exergue de la « rupture » est donc loin d’être anodine. Et
cette originalité apparaît encore plus surprenante quand on constate que le seul
Président de gauche qui ait gagné deux élections présidentielles, et qui, de fait, en
1981, s’inscrivait bien en « rupture » avec Valéry Giscard d’Estaing, par l’affichage
des 110 propositions, s’est bien gardé d’afficher la « rupture » dans ses slogans :
« La force tranquille » et « Génération Mitterrand », formules élaborées par Jacques
Séguéla, Jacques Pilhan et Gérard Collé, tendaient à rassurer plus qu’à marteler la
différence.
Cette opposition explicitée entre le rite et la rupture, entre le genre du discours
de vœux et la posture de campagne, nous pouvons poser notre problématique :
dans ce cadre institutionnel rigide, la rupture affichée se manifeste-t-elle ? Plus
précisément, comment peut-elle s’exprimer dans ce dispositif de communication
tout à la fois propice – car fortement médiatisé – et particulièrement contraignant –
la ritualité étant aussi une rigidité ? Notre réflexion prend pour ancrage l’analyse du
discours politique proprement dit, et non, comme la tendance s’affirme de plus en
plus, l’étude des déclinaisons diverses de la médiatisation des hommes politiques, à
travers leurs interventions dans des émissions de télévision sans objectif politique
spécifique ou des conduites tendant à la peopolisation.
Le choix de notre corpus est orienté par le désir d’avoir une vision suffisamment
large et de relativiser les spécificités dues à un dernier discours et à un premier.
Nous prendrons en compte les trois derniers discours de vœux du 31 décembre de
J. Chirac (2004, 2005, 2006) et les trois premiers de N. Sarkozy (2007, 2008, 2009),
dont nous ferons une analyse thématique, une analyse rhétorique et une analyse
sémiologique. De plus, nous nous pencherons sur les articles de presse du jour
2. La définition précise du dictionnaire Larousse se présente ainsi : « ensemble de règles qui fixent le
déroulement d’une cérémonie liturgique ou d’un culte religieux en général. . . ce qui se fait selon une
coutume traditionnelle : les rites du nouvel an ».
3. Daniel Dayan et Elihu Katz, La télévision cérémonielle, PUF, 1992, p. 1.
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même et des deux jours suivants (31 décembre, 1er et 2 janvier) dans Le Figaro,
Le Monde, Libération, Le Parisien et un quotidien régional, Le Dauphiné libéré,
dans le but d’avoir des indications sur la réception de ces discours, à la fois avant
qu’ils soient prononcés et après qu’ils ont été diffusés. Ces articles contribuent à
connaître l’attente créée avant les vœux et la réaction des journalistes après coup,
en les considérant avec précaution comme des reflets du point de vue des Français.
I. UN GENRE CODIFIÉ, PEU TOURNÉ VERS L’ORIGINALITÉ ET CRÉATEUR D’ATTENTE
Le discours de vœux du président de la République est un genre très codifié, qui
laisse à première vue peu de place à l’originalité, et en même temps, crée une grande
attente. Pour mieux comprendre ce genre particulier, que nous avons longuement
étudié dans notre thèse4 , nous nous appuierons sur une approche historique,
politique et anthropologique.
Un caractère solennel à un moment exceptionnel
Même en période « ordinaire », en l’absence d’événement politique particulier,
l’audience est l’une des plus fortes de l’année et en tout cas la plus forte pour un
événement politique (mis à part les face-à-face d’entre les deux tours de l’élection
présidentielle). Elle se maintient à plus de dix millions de téléspectateurs, elle est
même montée jusqu’à douze millions et demi pour le dernier discours de vœux
de J. Chirac. Comme l’explique un article du Figaro, « Les vœux télévisés, c’est
la grande affaire de la cellule communication de l’Élysée. Un exercice toujours
périlleux. Il faut dire que l’allocution télévisée (retransmise sur TF1, France 2
et France 3, M6 et les chaînes tout-info) est suivie par près de douze millions
de Français. »5 Cette forte audience, ainsi que la périodicité fixe et les règles
définies pour la prestation et le message, constituent des caractéristiques fortes de
la « télévision cérémonielle »6 . Cérémonie politique et médiatique qui se greffe à
une cérémonie familiale : cette allocution est programmée à une heure privilégiée,
20 heures, quand les Français n’ont pas encore commencé leur dîner de réveillon,
que peut-être ils boivent leur première coupe de champagne. Comme le dit avec
humour le journaliste Françoise Sergent : « Entre l’Alka-Seltzer, le foie gras et
le sapin à descendre, les vœux du Président appartiennent aux rituels de fin
d’année. »7
4. Françoise Finniss-Boursin, Les discours de vœux des Présidents de la Ve République (1958-1988), HDR
soutenue à l’université Paris IV-Sorbonne, 1990.
5. Bruno Jeudy, « Les vœux anti-crise de N. Sarkozy », Le Figaro, 27-28 décembre 2008, p. 2
6. Daniel Dayan et Elihu Katz, op. cit., pp. 42-43. Daniel Dayan et Elihu Katz évoquent un exemple
ancien, qu’on retrouve mis en scène dans un film récent, Le discours d’un roi (film anglais de Tom
Hooper, 2009, sorti en France en 2011, qui met en scène le roi Georges VI, père de l’actuelle reine
Elizabeth) : « Prenons un exemple emprunté à l’histoire de la radio. Il s’agit du message de Noël que le
futur Lord Reith, architecte de la BBC, réussit à convaincre Georges V, le père du héros, de prononcer,
le 25 décembre 1932. “Du fond de ma maison et du fond de mon cœur, je m’adresse maintenant à
chacun d’entre vous. Je m’adresse aux hommes et aux femmes isolés par les neiges, par les mers ou par
les déserts, et que seules peuvent atteindre des voix venues des airs. À tous et à chacun, je souhaite un
Joyeux Noël, et que Dieu vous bénisse !” (Jack 1982). Il semble aujourd’hui pittoresque que, dans bien
des foyers, les paroles du roi Georges V ont été reçues debout. En se comportant chez eux comme dans
un lieu public, ces auditeurs témoignent de la transformation subie par leur domicile. » op. cit. , p. 142.
7. François Sergent, éditorial « Mantra », Libération, 1er janvier 2008, p. 2.
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Par ailleurs, notons que le discours de vœux des Présidents français ne dépasse
jamais un temps raisonnable, 6 minutes pour le plus bref de G. Pompidou, 14
minutes pour le plus long de J. Chirac et 7 minutes pour le plus bref de N. Sarkozy :
l’effort d’attention reste donc acceptable, même un soir de fête, où le Président
semble s’inviter dans le salon des Français comme autrefois le roi d’Angleterre dans
le salon des Anglais. Rappelons également qu’il existe seulement deux occasions
dans l’année où le président de la République doit parler à jour et heure fixes : ce
discours de vœux (une allocution le 31 décembre à 20 heures) et l’interview du 14
juillet à 13 heures, après le défilé militaire et pendant la garden party de l’Élysée. Or
N. Sarkozy a justement supprimé cette seconde intervention en 2009.
Un genre à succès, magique et codifié
Le caractère magique, absent de l’interview du 14 juillet, s’éclaire d’une double
approche, historique et anthropologique. Il tient à l’origine du mot : « vœu » vient
du latin votum, nom lui-même dérivé de voveo, vouer. Ce terme a à l’origine un sens
religieux, puisque, d’après le dictionnaire Gaffiot, il signifie d’abord « promesse
faite aux dieux », puis « offrande, objet votif », avant de prendre le sens général de
« souhait, désir »8 . Ce sens religieux perdure en ancien français, sous la forme vot,
attestée en 1120, devenue « vœu » en 1549. On emploie l’expression « faire un vœu »
pour désigner une promesse faite à une divinité. Puis on glisse vers le sens d’ex-voto
et par la suite d’engagement religieux : « prononcer des vœux solennels » pour
entrer en religion. Mais ce peut être aussi un engagement vis-à-vis de soi-même
ou tout simplement un souhait de voir une chose s’accomplir. Si la connotation
religieuse a disparu ici, il n’en reste pas moins un caractère irrationnel du souhait.
On retrouve cette origine religieuse dans les vœux de bonne année. Même si
c’est une pratique sociale, il ne faut pas oublier que « le passage d’une année à une
autre revêt un caractère quasi magique »9 . Nous avons en effet l’impression que la
nouvelle année est chargée de mystère puisqu’on ne sait pas ce qu’elle nous réserve,
et nous avons donc tendance à conjurer le sort par la parole, en croyant qu’elle
possède une fonction performative. Les vœux deviennent un moyen d’apprivoiser
le destin. On retrouve dans cette coutume l’idée que le logos imprime sa marque
sur les choses et donne l’existence à ce qu’il nomme. Cette vieille conception des
sociétés primitives, reprise dans la pensée grecque, conduit à éviter de nommer
ce qui pourrait porter malheur, ou au contraire à dire le bien pour apporter des
éléments bénéfiques. Dans l’inconscient collectif, les vœux de nouvel an sont censés
influer sur le déroulement des douze mois à venir.
Ce rôle magique est encore amplifié quand ces vœux sont prononcés par le
président de la République. En effet, dans l’imaginaire français, il occupe lui aussi
une place mythique, qui va bien au-delà de son rôle constitutionnel et qui n’a rien
de commun avec celui du Premier ministre. Il représente l’incarnation de la France,
il est l’héritier du roi de France, roi d’une monarchie de droit divin. Les vœux
constituent un rite, et c’est le « Grand Prêtre » qui officie : on retrouve le caractère
religieux, qui explique en partie la permanence des vœux, leur caractère presque
8. Françoise Finniss-Boursin, Les discours de vœux des Présidents de la Ve République, op. cit., pp. 15-16.
9. Ibid., p. 16.
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immuable. Par définition, on ne change pas un rite, et nous verrons que les essais de
modification sont ou peu durables ou à la marge. D’où le caractère très surprenant
de la volonté de rupture dans un tel contexte. Cette présentation des vœux est donc
très différente de celles de nos voisins : Gordon Brown, David Cameron ou Angela
Merkel ne possèdent pas de pouvoir magique !
Un moment familial et amical
Les Français, pour la plupart réunis autour d’un réveillon, peuvent être en
communion avec le Président, mais sans pour autant faire de politique politicienne.
C’est pourquoi ce discours est traditionnellement consensuel, il gomme les
aspérités : le Président est celui de tous les Français, d’une grande famille réconciliée
pour un soir. Et il comprend obligatoirement les mêmes ingrédients : des vœux au
début et/ou à la fin, une pensée compassionnelle pour les malades, les victimes
en tous genres, les personnes seules, un bilan et des perspectives10 . Les Présidents
utilisent rarement cette occasion pour faire une annonce : dans la période qui nous
occupe, seul J. Chirac, le 31 décembre 2004, a indiqué une modification de la date
du référendum sur le traité constitutionnel européen, en le plaçant « avant l’été »,
alors qu’il l’avait annoncé pour le deuxième semestre lors de l’interview précédente
du 14 juillet. Mais à l’inverse, il n’a pas dévoilé sa décision de se représenter ou non
pour un troisième mandat lors des vœux du 31 décembre 2006, alors qu’il y avait
une forte attente dans l’opinion. Il a attendu une allocution suivante, le 11 mars
2007, pour le faire.
Lors d’une question du Figaro11 à ses lecteurs, le 5 janvier 2007, formulée ainsi :
« Le rite des vœux a-t-il encore un sens ? », 44 % répondent « oui » et 56 %
« non ». Les adeptes du « non » critiquent le caractère creux et inutile de cette
coutume. « Dieu, que les Français sont conservateurs ! Cette affection pour la
commémoration, les rites, l’autocongratulation, la compassion, n’est qu’un refus
de regarder le futur d’une manière virile. » « Une perte de temps et d’argent,
une comédie formaliste grotesque. » « L’occasion de dire n’importe quoi. Les
promesses n’engagent que le public qui les écoute. » Mais les défenseurs des vœux
reconnaissent la valeur du rituel : « C’est une des rares occasions, avec le 14
juillet, de marquer sa proximité avec le peuple. » « C’est un moment fort de la
vie démocratique. » « Les vœux, tout le monde s’en moque. Mais au-delà, il y a le
discours. Et le message qui l’accompagne peut être important. » « Les vœux, c’est
un peu comme écrire au Père Noël. Mais pourquoi ne pas garder cette tradition ?
Nous en avons bien d’autres, futiles, que nous observons religieusement. »
Le caractère rituel et les ingrédients obligatoires font de ce discours une sorte de
figure imposée. C’est sans doute ce qui donne l’impression d’une parole creuse et
répétitive aux récepteurs peu attentifs, plus sensibles à l’apparence qu’au contenu.
10. En proportion variable selon les circonstances et selon les Présidents, avec un dosage variable de
politique intérieure et étrangère.
11. Valérie Sasportas, « Le rite des vœux a-t-il encore un sens ? », Le Figaro, 5 janvier 2007, p. 34.
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II. DE NOMBREUX POINTS COMMUNS : VERS UNE CONTINUITÉ FORCÉE ?
Même pour des récepteurs vigilants, attentifs aux nuances, il faut reconnaître qu’il
existe de nombreux points communs entre les trois derniers discours de J. Chirac
et les trois premiers de N. Sarkozy. Les ressemblances sont grandes, aussi bien
du point de vue du cadre que du contenu et du vocabulaire. Notre comparaison
s’appuiera sur une étude sémiologique, une analyse thématique, une analyse
rhétorique et sur une analyse lexicologique. Nous verrons que, si des différences
apparaissent, au moins dans le contenu, c’est plus en fonction des circonstances
que des hommes.
Le cadre général
Il est immuable, malgré quelques petites variantes. Le discours est toujours
prononcé à 20 heures le 31 décembre12 . La cérémonie se passe à l’Élysée, le spectacle
commence sur une vision de nuit de l’extérieur du Palais, puis, par un travelling,
le téléspectateur est amené dans une pièce du bâtiment, le bureau du Président,
sauf une fois où N. Sarkozy est installé dans la bibliothèque. Le bureau est celui
du général de Gaulle, que F. Mitterrand avait fait remettre en état en 1995 pour
l’arrivée de J. Chirac. Ce lieu « bureau » est à peu près incontournable : seul V.
Giscard d’Estaing avait fait une transgression en 1975, quand il avait prononcé
ses vœux dans un fauteuil près de la cheminée, et que sa femme, Anne-Aymone,
assise sur le fauteuil en face de lui, avait prononcé quelques mots de vœux. Mais
cette innovation dans un rite n’avait pas été bien accueillie : d’abord la femme du
Président avait l’air particulièrement mal à l’aise dans ce rôle, et ensuite, d’après les
retombées presse de l’époque, les Français n’avaient pas apprécié cette modification
de la cérémonie, qui leur apparaissait presque comme un sacrilège13 .
Le Président est donc assis derrière son bureau, et il a à sa droite les deux
drapeaux, français et européen. Cette présence du drapeau français, puis européen,
a été introduite par F. Mitterrand, et aucun de ses deux successeurs ne l’a récusée.
Pour la position assise ou debout, N. Sarkozy s’est démarqué de J. Chirac, mais pas
pour ses premiers vœux : en 2007, il est lui aussi assis derrière le bureau, tandis
qu’il est debout en 2008, devant des rangées de livres. Quant à J. Chirac, c’est pour
les vœux aux Français qu’il est assis. Mais il ne dédaigne pas la position debout
devant un pupitre pour d’autres catégories de vœux : on le voit photographié dans
Le Figaro, le 5 janvier 2007, présenter debout derrière un pupitre ses vœux aux
responsables syndicaux, patronaux et associatifs.
Chaque fois, les deux hommes portent un costume bleu marine, appelé bleu
télévisuel. Une chemise blanche, la légion d’honneur : seule la cravate apporte une
petite touche de fantaisie. Une rétrospective des photos des douze discours de vœux
de J. Chirac parue dans Libération le 1er janvier 2007 illustre bien cette permanence.
Une autre rétrospective photographique, dans Le Figaro des 27-28 décembre 2008,
met la continuité en lumière sur une plus longue période, puisqu’elle fait apparaître
12. C’est une constante depuis les toutes premières années du général de Gaulle, qui était moins attaché
à la notion de vœux et a prononcé une fois, en 1961, ce discours le 29 décembre ; cf. Françoise FinnissBoursin, Les discours de vœux des Présidents de la Ve République, op. cit. p. 350.
13. Ibid., pp. 374-375.
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des images très proches pour le général de Gaulle, F. Mitterrand, J. Chirac et
N. Sarkozy. Seuls la physionomie et l’âge les différencient. J. Chirac est né en 1932,
N. Sarkozy en 1955. Sur les six discours que nous étudions, J. Chirac a surpris une
seule fois par son apparence, mais ce n’était pas volontaire : le 31 décembre 2005,
les séquelles de son malaise vasculaire cérébral de septembre l’obligèrent à porter de
grosses lunettes, ce qu’il n’avait plus fait depuis de nombreuses années. Les médias
ont d’ailleurs largement relevé et commenté cette « anomalie ».
Les premières vues avant le début de l’allocution sont accompagnées de La
Marseillaise, comme à la fin du discours, pendant que le téléspectateur est ramené
vers l’extérieur du Palais présidentiel.
Les discours eux-mêmes : longueur et contenu
Ils varient peu par leur longueur. Pour J. Chirac : 1 188 mots en 2004, 909 mots
en 2005, 1 034 mots en 2006. Pour N. Sarkozy, 1 402 mots en 2007, 1 056 mots
en 2008 et 1 074 mots en 2009. On pourrait dire qu’en moyenne, les discours de
N. Sarkozy sont un peu plus longs, mais une moyenne ne signifie rien, puisque seul
le discours de 2007 comporte réellement plus de mots. De plus, le nombre de mots
est compensé par la rapidité du débit : N. Sarkozy parle beaucoup plus vite que J.
Chirac, si bien que les discours du premier durent autour de dix minutes, tandis
que ceux du second durent entre sept et huit minutes. Si le téléspectateur voit une
différence, c’est donc dans le débit et non dans la longueur du discours lui-même.
Si nous considérons maintenant le contenu de ces allocutions, nous constatons
d’importants éléments de permanence. Regardons d’abord les formules d’appel et
de fin.
J. Chirac ouvre toujours ses vœux par la même formule « Mes chers
compatriotes, de Métropole, d’Outre-mer et de l’étranger » (2004, 2005 et 2006).
N. Sarkozy commence son discours par la formule « Françaises, Français, mes
chers compatriotes » (2007, 2008 et 2009), qui mélange la formule du général de
Gaulle (« Françaises, Français ») utilisée à partir du 31 décembre 196614 et celle de
J. Chirac.
En 2004, J. Chirac reprend la formule « Mes chers compatriotes » en cours de
discours, puis il revient à sa première formule juste avant les vœux de la fin. Il
utilise le même procédé en 2005, tandis qu’en 2006, il répète seulement une fois
« Mes chers compatriotes » avant les vœux de la fin. Quant à N. Sarkozy, il introduit
une légère variante en 2007 en plaçant « Mes chers compatriotes » avant la formule
finale « Vive la République ! Vive la France ! ». En 2008, il introduit trois fois « Mes
chers compatriotes » au cours de l’allocution, sans compter la formule d’appel du
début. En 2009, il utilise « Mes chers compatriotes » une fois en cours d’allocution
et une fois avant la formule finale « Vive la République ! Vive la France ! ».
Quant à cette formule finale, c’est une constante absolue, c’est le signal que le
discours est terminé.
L’examen de ces formules d’appel montre une très grande proximité malgré
quelques petites variantes. La plus notable est sans doute la suppression par
N. Sarkozy des « Français de Métropole, d’Outre-mer et de l’étranger ». Peut-être
est-ce la marque d’un plus grand attachement pour ces deux dernières catégories
14. Ibid., pp. 360-365.
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de la part de J. Chirac. Mais peut-être faut-il y voir seulement la volonté de
changer d’expression, même si ce changement est vraiment léger. Ce que nous
remarquons surtout, c’est la relative permanence des formules, qui donne cette
illusion d’éternel recommencement, et en même temps de rite, comme dans une
cérémonie religieuse.
Les plans des discours donnent la même impression, car s’ils ne sont pas
exactement semblables, ils sont au moins très proches. Après la formule d’appel,
ils commencent tous par des vœux, suivis d’un bilan et de perspectives, et ils se
terminent par un bref retour aux vœux. Les six discours considérés sont construits
sur ce modèle. Les seules petites variantes concernent la dernière allocution de
J. Chirac, qui transforme les perspectives en cinq enjeux et qui estompe la dernière
phase de vœux. Le premier et le troisième de N. Sarkozy sont un peu brouillés
dans la mesure où il introduit des passages sur les valeurs, mais qui sont tout
de même à rattacher au bilan ou aux perspectives, de la même manière que
les longues énumérations de mesures ou de lois dans le dernier discours. Cette
structure commune contribue encore à donner aux téléspectateurs une impression
de répétition.
Si nous regardons maintenant chacune de ces parties, beaucoup de similitudes
apparaissent, même si les éléments sont en partie liés à l’actualité de l’année
écoulée.
La première partie, consacrée aux vœux, concerne tous les Français, mais elle
est toujours adressée à des catégories particulières de la population, défavorisées
pour diverses raisons : les Français qui sont seuls, ceux qui sont malades, ceux qui
travaillent, qui sont dans la détresse, et aussi nos soldats, toujours engagés sur un
front extérieur, l’Afghanistan en particulier. On retrouve ce socle commun dans
les discours de tous les Présidents en général, et des deux que nous étudions en
particulier. Georges V en 1932 ne faisait pas autrement.
À côté de ces catégories régulièrement citées, d’autres font l’objet d’une
mention spéciale : pour J. Chirac en 2004, les victimes du tsunami qui s’est produit
quelques jours plus tôt occupent tout le début du discours. Le Président met en
œuvre une communication compassionnelle, peut-être d’autant plus utile qu’il
était à Marrakech pendant la catastrophe. Il était revenu au début de son séjour
pour accueillir deux otages à leur retour, mais par la suite, certains lui ont reproché
de ne pas avoir interrompu ses vacances une seconde fois. Il s’afflige sur le sort
des victimes, il loue la générosité des Français et l’efficacité des mesures mises en
place par son gouvernement. Ce début consacré à une circonstance exceptionnelle
limite la place des vœux proprement dits pour les renvoyer vers la fin. Les vœux
du début du discours de 2005 correspondent tout à fait à la norme traditionnelle
des catégories défavorisées, mais le chef de l’État fait une mention particulière
pour la famille de Bernard Planche, otage. Les vœux de la fin sont réduits à leur
strict minimum. En 2006, pour le dernier discours, il commence par la classique
énumération des vœux, mais ils se trouvent gommés à la fin par le rappel de
l’échéance de l’élection présidentielle.
N. Sarkozy reprend le même schéma : en 2007, il commence son discours
par une très longue série de vœux aux catégories traditionnelles, et il reprend le
même thème par deux phrases à la fin. En 2008, ce sont les mêmes catégories
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énumérées au début, auxquelles il faut ajouter plus particulièrement les familles
des dix soldats tués en Afghanistan et les victimes de la crise financière. Seule la
phrase d’accroche est originale : « L’année 2008 s’achève. Elle a été rude. » En 2009,
le discours commence par des allusions à la crise, qui constituent indirectement
des vœux pour ceux qui en ont été victimes. Les vœux traditionnels sont rejetés en
fin de discours, avec une mention particulière pour les Français d’Outre-mer, à un
moment d’agitation aux Antilles.
Nous pouvons donc noter qu’il existe une grande proximité entre les vœux
proprement dits des deux Présidents. Quand il y a des différences, elles tiennent
plus aux circonstances exceptionnelles qu’aux hommes.
En est-il de même dans le contenu du bilan et des perspectives ? Le discours
de 2004 est un peu atypique, dans la mesure où le début est assez longuement
consacré au tsunami et à son traitement. Tandis que le bilan des deux années et
demie précédentes est expédié en quelques secondes (« retrouver une croissance
soutenue », « restaurer l’autorité de l’État » et « les valeurs de la République »), le
« projet pour l’avenir » occupe tout le reste du discours, jusqu’aux vœux finaux.
Ce projet concerne d’abord l’Europe, avec l’annonce de l’avancement de la date du
référendum à la première moitié de l’année, contrairement à ce que le Président
avait dit lors de l’interview du 14 juillet précédent. Il pose les enjeux de cette
échéance, puis il présente les projets concernant l’économie, la cohésion sociale,
l’industrie, l’école et l’enseignement supérieur. Ce qui est retenu dans la presse du
lendemain, c’est la date du référendum, car il est rare que le discours de vœux soit
utilisé pour faire une annonce.
Le discours de 2005 se présente sous une forme plus traditionnelle. Le bilan
occupe une place importante, même si ce fut une annus horribilis : l’échec du
référendum en mai, l’accident vasculaire cérébral en septembre et l’explosion des
banlieues en novembre. J. Chirac mentionne deux points sur trois, en laissant de
côté son problème de santé, qui apparaît tout de même à cause de ses grosses
lunettes inhabituelles, mais il tente de contrebalancer le côté négatif par des succès
technologiques, la croissance en hausse et le chômage en baisse. Les perspectives
reposent sur le projet de la République, qui concerne le mérite, l’école, l’égalité des
chances et les atouts de la mondialisation.
Le discours de 2006, le dernier, est très attendu, car beaucoup espèrent que le
Président va annoncer s’il se représente ou non. Mais l’attente est déçue, car il ne dit
rien explicitement, même si le ton est inhabituellement chaleureux et passionné.
Il ne fait pas d’adieux, comme l’avait fait F. Mitterrand en 1994, mais dans une
situation différente, puisque ce dernier savait qu’il était proche de la mort et qu’il
ne se représenterait donc pas. Il semblait parler déjà de l’au-delà : « L’an prochain,
ce sera mon successeur qui vous exprimera ses vœux. Là où je serai, je l’écouterai
le cœur plein de reconnaissance pour le peuple français qui m’aura si longtemps
confié son destin et plein d’espoir pour vous. Je crois aux forces de l’esprit et
je ne vous quitterai pas. » Au contraire, J. Chirac reste muet sur ses intentions.
Le Figaro15 fait un commentaire intéressant sur cette attitude : « On ne sort de
l’ambiguïté qu’à son détriment ». Pour les derniers vœux de son quinquennat,
15. Philippe Goulliaud, « Chirac entre de plain-pied dans la campagne », Le Figaro, 5 janvier 2007.
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COMMUNICATION POLITIQUE
voire de sa présidence, le président de la République souhaitait entretenir le plus
longtemps possible l’incertitude (levée le 11 mars) sur ses intentions d’être ou non
candidat à un nouveau mandat. « S’il s’était contenté d’un discours bilan, il était
mort politiquement. Il ne restait plus qu’à clouer le cercueil », observe un proche.
« Mon intention, aujourd’hui, n’est pas de revenir longuement sur ce qui a été
fait », a donc prévenu le chef de l’État. Pas de bilan, ou très peu. Et beaucoup de
prospective. Le bilan, pour lequel ce n’est « ni le lieu ni l’heure »16 , est donc peu
développé. Il le présente dans le cadre des changements considérables du monde :
le chômage et la croissance, la lutte contre l’insécurité et la délinquance. Mais c’est
sur les enjeux qu’il insiste, en présentant une sorte de testament implicite. Les
cinq enjeux sont l’unité et le rassemblement, le progrès économique et social, la
responsabilité de la France dans le monde, l’Europe et l’enjeu écologique.
Par l’énumération de ces enjeux, il montre qu’il (s’) « engage pleinement ». Il
adopte une position combative, il met en garde les Français contre les illusions :
« Gardez-vous des idéologies, des illusions, des recettes qui ne marchent pas. » Ces
illusions dont les Français doivent se méfier, ce sont les dérives du Front National
et les excès du libéralisme.
Le premier discours de vœux de N. Sarkozy est très attendu et la mise en
application de la rupture est observée avec une grande attention, non seulement
par les journalistes et le monde politique, mais aussi par les Français dans leur
ensemble. La partie consacrée au bilan est longue, car elle commence par une
explication de son rôle de président de la République face aux espoirs et aux
inquiétudes de chacun. Puis il en vient aux premiers résultats obtenus : il montre
qu’il a tenu ses promesses et il rappelle l’urgence des réformes qu’il a entamées, en
se plaçant dans une attitude d’autojustification : « je sais votre attente », « je sais les
craintes », « je sais votre exaspération », « tout ne peut être résolu en un jour ». Ce
positionnement peut s’expliquer par les nombreuses critiques qui lui sont faites
depuis quelques mois et par sa chute dans les sondages. Comme l’explique un
article du Monde du 1er janvier 200817 , « Après deux semaines passées à alimenter
les colonnes des journaux people de sa romance avec l’ex-mannequin Carla Bruni,
de Marne-la-Vallée à Louxor, le chef de l’État amorce avec cette séquence son retour
en politique ». Et Libération18 ne donne pas une vision plus positive : « Alors que
N. Sarkozy présentera aujourd’hui à 20 heures son premier message de bonne
année aux Français en tant que président, ces derniers lui ont rappelé hier, via
un sondage de l’IFOP paru dans le quotidien régional Ouest-France, qu’ils allaient
entamer l’année 2008 avec la même préoccupation en tête que fin 2007 : le pouvoir
d’achat . . . Et là où cela se corse pour N. Sarkozy, c’est que les Français ne sont plus
qu’un sur quatre à lui faire confiance pour améliorer leurs fins de mois difficiles. . .
plus embêtant encore pour le président, la chute de confiance des Français à l’égard
du gouvernement touche bien d’autres sujets. . . et même dans les domaines où
16. Virginie Le Guay, « Chirac tourné vers l’avenir. . . », Le Journal du Dimanche, 31 décembre 2006.
17. Philippe Ridet, « Après une séquence people, N. Sarkozy lance l’année politique avec des vœux en
direct », Le Monde, 1er janvier 2008, p. 8.
18. Paul Quinio, « Sarkozy veut faire du neuf avec ses vœux », Libération, 31 décembre 2007, p. 11.
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Des vœux en continuité pour le candidat de la rupture
97
les Français lui restent largement favorables, comme la lutte contre l’insécurité, la
confiance commence à flancher (62 %, soit une baisse de 14 points). »
La partie suivante, consacrée aux perspectives, est placée sous le signe de
« la politique de civilisation », concept emprunté à Edgar Morin, qui fera couler
beaucoup d’encre dans les jours suivants. Cette grande déclaration de principe
introduit les diverses réformes énumérées rapidement, sur l’école, la justice ou
l’environnement, mais surtout la présidence de l’Union européenne par la France
au deuxième semestre 2008, avec des termes forts, presque gaulliens : « C’est ce que
depuis toujours, tous les peuples du monde attendent d’elle » ; « notre vieux monde
a besoin d’une nouvelle renaissance. Eh bien, que la France soit l’âme de cette
renaissance ! » Notons que ce terme « renaissance » était cher à Georges Pompidou.
Ainsi, même si N. Sarkozy a soigné la forme, même s’il a réutilisé son slogan
de campagne « vous donner le sentiment que, dans notre vieux pays, tout pourrait
devenir possible », qui rappelle le slogan de B. Obama, Yes, we can, on peut dire
que le contenu ne constitue pas un bouleversement du genre.
Le discours de 2008 ne fait pas preuve de plus d’originalité sur ce point. Le bilan
proprement dit est précédé de considérations sur la crise financière, et sur le rôle du
président de la République pour lutter contre elle, en particulier dans le cadre de la
présidence française de l’Union Européenne, qui s’achève ce jour-même. Comme
en 2007, il présente son bilan sous forme d’autojustification : « Depuis que les
difficultés sont apparues, je vous ai toujours dit la vérité et j’ai agi. C’était mon
devoir. »
Les perspectives sont un peu mêlées au présent, puisqu’il s’agit toujours de la
manière d’affronter les difficultés, tout en restant solidaire : c’est le sens du RSA
qui entrera en vigueur en 2009. Puis il énumère un certain nombre de réformes
pour l’année à venir. La seule annonce est qu’il confirme F. Fillon dans son poste
de Premier ministre, alors qu’il courait de nombreuses rumeurs sur son éventuel
départ. Notons enfin que, en dehors de l’Europe, la politique étrangère occupe une
place minime : « La France continuera d’agir en Afrique, en Asie, et bien sûr au
Moyen Orient, où je me rendrai dès lundi. . . » : une seule phrase pour résumer les
actions de la France à l’étranger.
Le contenu de ce discours est assez fraîchement accueilli. Pour Brice
Teinturier19 , on ne peut que « déplorer cet inversement des valeurs défendues par
l’UMP qui, après avoir plaidé pour moins d’État et de régulation, en appelle à la
puissance publique. La droite est sur un champ de ruines idéologique. » Quant à
Denis Muzet20 , il déplore le manque d’ambition de ce discours : « L’année dernière,
N. Sarkozy avait prononcé un discours très ambitieux qui donnait du sens à l’action
politique, ce qui n’avait pas forcément été très bien compris, car ce discours arrivait
un peu tôt. Aujourd’hui, la crise en a montré la pertinence. Le paradoxe est que
cette année, le président revient à ses valeurs traditionnelles – le travail, l’effort, le
mérite, la solidarité – sans décrire le monde vers lequel on va. . . Il ne donne pas
l’impression de donner les clefs de ce “monde nouveau” annoncé en 2009. »
19. Arnaud Leparmentier, « N. Sarkozy veut incarner l’État protecteur », Le Monde, 2 janvier 2009, p. 8.
20. Denis Muzet, « Des vœux présidentiels qui marquent un retour à la maison », Le Figaro, 2 janvier
2009, p. 3.
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COMMUNICATION POLITIQUE
Le discours du 31 décembre 2009 est toujours construit sur le même schéma,
mais avec des proportions différentes : le bilan occupe une place très limitée tandis
que les perspectives sont très développées. Le bilan porte sur la crise, et il est mêlé
aux vœux destinés aux victimes de cette crise. Il se poursuit par un hommage rendu
aux Français en général et aux partenaires sociaux en particulier. La transition avec
les perspectives arrive très tôt dans le discours : « Ensemble, nous avons évité le
pire. Mais nous avons aussi préparé l’avenir. » Par la formule « nous voyons qu’au
milieu de difficultés de toutes sortes, un monde a commencé à se construire », il
mêle le passé et le présent, dans une longue énumération des difficultés de l’année
qui vient de s’écouler et des projets pour l’année à venir. Et les problèmes n’ont
pas manqué, ce qui explique sans doute cette sorte d’inventaire à la Prévert, où
les projets pour 2010 arrivent comme l’avers de la médaille des échecs de 2009.
Comme le rappelle Gérard Courtois dans Le Monde du 1er janvier 201021 , « Depuis
la rentrée de septembre, tout va de travers, et le Président lui-même semble avoir
perdu la main. La décision spectaculaire du Conseil constitutionnel, qui vient
de retoquer la taxe carbone, ne fait que mettre la touche finale à cet automne
pourri. »22 Libération23 n’est pas plus tendre dans l’article intitulé « Sarkozy ou
la méthode couac » avec en surtitre « Hadopi, grippe A, grogne dans la majorité. . .
l’hyperprésidence s’enraye ». Cette accumulation de problèmes est sans doute la
raison de cet étrange discours en forme d’interminable énumération : le G20, le
sommet de Copenhague, les institutions, la fiscalité, l’enseignement, le RSA, la
formation professionnelle, l’hôpital, la carte judiciaire, suivis d’une énumération
introduite par des « grâce à » : le plan d’investissement, la loi Hadopi, le Grenelle de
l’environnement. Toute cette accumulation de décisions, de projets qui témoignent
du volontarisme du Président (« je ne suis pas homme à renoncer à la première
difficulté ») aboutit à une énumération supplémentaire de « tout ce qu’il va
nous falloir faire en 2010 : faire reculer le chômage et l’exclusion, réduire nos
dépenses courantes. . ., simplifier notre organisation territoriale. . . relever le défi
de la dépendance, réformer la Justice », ce qui conduira les Français à « une année
de renouveau ». Seuls les trois derniers paragraphes du discours constituent une
approche plus générale sur « le renouveau », « l’unité », « le respect » mutuel qui
21. Gérard Courtois, « Bonne année 2010, Monsieur le Président », Le Monde, 1er janvier 2010, p. 2.
22. Gérard Courtois précise dans ce même article : depuis septembre, « les couacs, les polémiques et
les erreurs d’appréciation, n’ont plus cessé : depuis les lapsus sur les coupables du procès Clearstream,
jusqu’au tollé provoqué par la candidature de son fils Jean à la présidence de l’Établissement public
de la Défense, sans oublier le récit, pour le moins enjolivé, sur sa page Facebook, de sa présence à
Berlin le 9 novembre 1989 ; depuis la fronde des élus locaux, et en particulier de deux anciens Premiers
Ministres (A. Juppé et J.-P. Raffarin), contre la réforme des collectivités et de la fiscalité locale, jusqu’à
l’empoisonnante affaire des sondages de l’Élysée épinglés par la Cour des Comptes, depuis les gaffes
du ministre de la Culture à propos de Roman Polanski ou de Marie N’Diaye jusqu’aux indisciplines
répétées de la secrétaire d’État Rama Yade ou aux provocations incessantes du président du groupe
UMP à l’Assemblée Nationale, J.-F. Copé. » À cette longue litanie, il faut rajouter les polémiques sur la
grippe H1N1, l’échec du sommet de Copenhague, le débat controversé sur l’identité nationale et la chute
dans les sondages, à « 63 % d’impopularité ou de défiance, selon l’IFOP et la SOFRES ; si l’on excepte
les personnes âgées de 65 ans et plus, deux Français sur trois ne lui font pas confiance ou n’approuvent
pas son action ».
23. François Wenz-Dumas, « Sarkozy ou la méthode couac », Libération, 31 décembre 2009, p. 3.
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Des vœux en continuité pour le candidat de la rupture
99
doit permettre le débat. Il termine son discours par des vœux, qui n’en sont pas
seulement, aux « compatriotes d’Outre-Mer » pour leur promettre « l’égalité et la
dignité » qui ne leur ont pas toujours été accordées dans le passé.
Ce discours de 2009 n’a pas suscité beaucoup de réactions dans la presse et
n’a pas semblé bouleversant d’originalité. Le Dauphiné libéré24 cite les réactions
de quelques hommes politiques : « Le PS a qualifié de “disque rayé” les vœux de
N. Sarkozy, estimant que “le bilan en matière de solidarité de l’homme du bouclier
fiscal reste consternant”. Les Verts : “C’est un Président à la mine tendue qui nous a
chanté un air de tout va très bien, Madame la Marquise”. Le MoDem : “On était en
droit d’attendre une vision de ce que sera fait l’avenir. On n’a pas eu de réponse ”.
Le PCF : “Le Président a conclu en invoquant la fraternité. Ses propos, un indécent
satisfecit à sa politique, en étaient entièrement dénués”. »
L’examen de chacun des discours montre donc que les contenus du bilan
et des perspectives ne comportent pas de différences, ni systématiques ni même
importantes, entre les deux hommes. Ces dernières tiennent plus aux circonstances
particulières, aux événements de l’année qu’à une opposition fondamentale entre
J. Chirac et N. Sarkozy. On peut peut-être voir un peu plus de sentiment et d’intérêt
pour la politique internationale chez le premier, un peu plus d’autojustification et
d’affirmation de sa volonté chez le second, mais même ces caractéristiques sont
inégalement marquées selon les années. En résumé, le cadre et l’apparence, les
longueurs de discours, les vœux eux-mêmes et les contenus observés sur six ans,
font apparaître beaucoup plus de continuité que de rupture.
III. UNE RUPTURE POSSIBLE DANS CE CADRE CONTRAINT ?
Cette volonté de rupture existe cependant : c’était même le slogan de la campagne
présidentielle de N. Sarkozy pour se démarquer de J. Chirac dont il a été le ministre
à plusieurs reprises. Mais où se manifeste-t-elle ? Dans la présentation ? Dans la
manière de parler ? Cette attente forte est-elle comblée ou déçue ? Et comment
expliquer cette difficulté à, selon un titre jeu de mots de Libération25 , « . . . faire du
neuf avec ses vœux » ?
Une volonté affichée de rupture dans la présentation
J. Chirac, comme nous l’avons vu plus haut, était chaque année assis derrière
son bureau, dans un cadre semblable. Il a seulement tenté une petite innovation
pour ses derniers vœux, soulignée dans Le Parisien26 : « Le visage bronzé après
quelques jours de vacances au Maroc, J. Chirac est apparu pugnace et volontaire.
Bien davantage que l’année dernière, lorsqu’il avait lu son texte chaussé de
lunettes à grosses montures, conséquence de son accident vasculaire cérébral. Autre
nouveauté : le Président s’est exprimé devant un grand drapeau français et un
drapeau européen, plus petit, alors que d’ordinaire, il parle devant une des fenêtres
de l’Élysée. »
24. « Ils ont réagi », Le Dauphiné libéré, p. 19.
25. Paul Quinio, « Sarkozy veut faire du neuf avec ses vœux », art. cit., p. 11.
26. Frédéric Gerschel, « Chirac ne lâche rien », Le Parisien, 1er janvier 2007, p. 8.
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COMMUNICATION POLITIQUE
N. Sarkozy, pourtant très attendu sur la rupture, prononce son premier
discours de vœux assis derrière son bureau, flanqué à sa droite des deux drapeaux
traditionnels. La seule innovation repose dans le choix du direct, souligné dans de
nombreux articles et commentaires du jour et du lendemain. Jérôme Fourquet,
directeur des études de l’IFOP, donne ces précisions dans Le Figaro27 : « En
optant pour le direct, avec des cadrages variés, N. Sarkozy continue le travail de
dépoussiérage qu’il a largement entamé en s’exprimant chaque fois qu’il le juge
utile ». Philippe Ridet complète ce jugement dans Le Monde28 : « À l’Élysée,
on n’hésite pas à parler de “première”. . . pour imprimer sa marque à cette
tradition, le président de la “rupture” a choisi le direct. Alors que cette allocution
était traditionnellement enregistrée quelques heures avant sa diffusion, c’est sans
filet à 20 heures précises, qu’il se lancera dans cet exercice depuis son bureau
du premier étage de l’Élysée. » « Autre nouveauté : au lieu de l’image fixe du
palais, une séquence mobile introduira l’allocution du chef de l’État. Choisi par
la Présidence, qui a apprécié sa réalisation des cérémonies du 11 novembre, le
réalisateur Yves Barbara a enregistré, vendredi, un travelling avant qui devrait
donner au téléspectateur l’illusion de franchir les grilles du 55, rue du Faubourg
Saint-Honoré, jusqu’au perron. » Enfin, cette allocution « sera sous-titrée et
traduite en langage des signes ». Chirac l’avait d’ailleurs fait certaines années.
Mais ce direct n’a pas été un franc succès, si l’on en croit la presse du lendemain.
C’est ce qu’explique Bruno Jeudy dans Le Figaro29 : « Le décor ensuite : N. Sarkozy
a choisi de présenter ses vœux depuis son bureau comme avant lui de Gaulle et
Mitterrand. Très à l’aise quand il s’agit de s’exprimer à la télévision, le sixième
président de la Ve République n’a pas hésité à lire ses vœux en direct. Devant sa
cheminée sur laquelle on pouvait voir les drapeaux tricolore et européen encadrés
de sept livres anciens et d’un drôle de nain, il a éprouvé parfois des difficultés à lire
le message qui défilait sur le prompteur. Au point de gêner le débit de la parole. »
Antoine Guiral, dans Libération30 , exerce le même regard critique : « En direct,
certes, mais les yeux rivés sur un prompteur lui faisant trop accélérer son débit de
parole ».
C’était bien une innovation, annoncée urbi et orbi, mais faire ce choix, c’était
oublier les conditions de réception du discours. Le Président peut bien affirmer
qu’il parle en direct, mais que voit le téléspectateur ? Un orateur peu à l’aise, qui
lit péniblement le texte sur le prompteur : le résultat ressemble un peu trop à une
leçon mal apprise et mal récitée !
L’année suivante a accentué la rupture dans la mise en scène, puisque le
Président a changé de cadre : il présente ses vœux « dans le cadre chatoyant de la
bibliothèque de l’Élysée, debout derrière un pupitre, à l’américaine, là où la photo
du nouveau Président avait été prise en 2007. En fond, on pouvait voir la Tour Eiffel
27. Jérôme Fourquet, « Nous nous rapprochons du modèle des autres démocraties », Le Figaro, 31
décembre 2007, p. 8.
28. Philippe Ridet, « Après une séquence people, N. Sarkozy lance l’année politique avec des vœux en
direct », art. cit., p. 8.
29. Bruno Jeudy, « N. Sarkozy veut réformer sans brutalité », art. cit., p. 5.
30. Antoine Guiral, « Sarkozy, premiers vœux, déjà creux », Libération, 1er janvier 2008, p. 2.
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Des vœux en continuité pour le candidat de la rupture
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encore illuminée de bleu pour les dernières heures de la présidence de l’Union
européenne. »31 Les deux drapeaux sur sa droite sont toujours présents, selon la
tradition. Le Parisien32 complète la description : « debout dans la bibliothèque
du palais (seule nouveauté sur la forme), les mains rivées au pupitre et les yeux
sur le prompteur, le buste immobile, comme rarement ». Mais l’innovation du
direct est terminée : « ses vœux de nouvel an, retransmis par les télévisions et les
radios mais pas traduits en langue des signes pour les sourds et malentendants,
comme c’était pourtant prévu. Dans ce message de huit minutes, enregistré et
non plus en direct. . . ». Denis Muzet donne une interprétation intéressante de ce
dispositif33 : « Je relève le travelling sur la Tour Eiffel qui prélude à l’intervention.
Celle-ci est éclairée en bleu et parée des étoiles de l’Europe. L’allocution débute
donc par le rappel de la présidence de l’Europe sur fond de l’hymne national. Cette
superposition de symboles donne à penser que nous sommes encore le centre de
l’Europe et du monde. Le drapeau français s’ouvre ensuite et on entre dans le saint
du saint de la nation, la bibliothèque de l’Élysée, pour retrouver une autre image,
celle du portrait officiel du président Sarkozy. . . Ces images montrent un Président
qui se rétrécit à l’échelle du pays. » Ici, la rupture est donc du domaine de l’image :
c’est une innovation qui peut être considérée comme esthétiquement intéressante,
mais en aucun cas révolutionnaire.
Dans son dernier discours, le Président confirme son innovation du pupitre,
mais cette fois-ci, il quitte la bibliothèque pour s’installer devant la fenêtre, avec
le drapeau européen à sa droite. L’originalité vient des images qui défilent dans le
drapeau français, de grand format, derrière le Président : on voit le monde, puis
l’Arc de Triomphe, puis l’Élysée. Cependant, cette dernière mise en scène, qu’on
retrouve sur le site de l’Élysée, ne semble pas avoir passionné les commentateurs.
Ils ne font par ailleurs que mentionner le retour à l’enregistrement : le direct, peu
productif, n’aura duré qu’un soir.
Un mode d’expression différent ?
L’allocution des vœux relève d’un genre plutôt compassé, et on pourrait imaginer
que N. Sarkozy vienne bousculer ce style. Or il n’en est rien.
Si nous considérons la fréquence des mots clés dans ce type de discours, nous
voyons une grande uniformité. Par exemple, le mot « France » est utilisé par
J. Chirac 6 fois en 2004, 6 fois en 2005 et 15 fois en 2006, tandis qu’on le retrouve
chez N. Sarkozy 13 fois en 2007, 5 fois en 2008 et 2009. Le mot « nation », cher à de
Gaulle, se trouve 6 fois, 1 fois et 0 fois chez Chirac, pas une seule fois chez Sarkozy.
« Europe » est plus utilisé par Chirac : 12, 6, 6, que par Sarkozy : 2, 3, 1. « Vœux »
est utilisé 1 fois dans chacun des discours des deux Présidents.
En ce qui concerne la personnalisation du discours, les résultats ne montrent
pas non plus de rupture claire. Pour Chirac, le « je » est utilisé 12 fois, 6 fois et 10
fois, tandis que pour Sarkozy, c’est 33, 15 et 10 fois. On voit bien sûr un avantage
au second Président pour ce dernier mot, mais seulement dans le premier discours.
31. Charles Jaigu, « Face à la crise, Sarkozy juge les réformes vitales », Le Figaro, 1er janvier 2009, p. 3.
32. Nathalie Schuck, « Sarkozy prévoit une année difficile », Le Parisien, 1er janvier 2009.
33. Denis Muzet, « Des vœux présidentiels qui marquent un retour à la maison », art. cit., p. 3.
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COMMUNICATION POLITIQUE
Il existe une supériorité du « vous » pour le second : 13, 1, 11 chez Chirac, 33, 6,
22 chez Sarkozy. Enfin, l’utilisation du « nous » est proche chez les deux orateurs :
11, 17, 12 chez Chirac, 14, 17, 2 chez Sarkozy, donc une chute forte dans le dernier
discours.
Faute de trouver une véritable rupture dans l’emploi de quelques mots clés, on
pouvait imaginer un style nouveau dans l’expression. En effet, le président Sarkozy
est coutumier d’un langage qui se veut populaire et relâché. Pierre Encrevé explique
dans Libération34 « ce nouvel ordre lexical, exprimé dans la langue relâchée
que pratique spontanément le non-monarque électif : contraction (“m’enfin”),
omission de la particule de négation (“c’est pas vrai”). . . métaplasme (“m’sieur”).
Une langue populaire et populiste, qui avait disparu du discours politique avec
Georges Marchais. » Et Georges Barrère, dans le même journal35 , ajoute : « Sarkozy
essaie de “bouger l’Europe”, mais il bouge aussi les registres : il pratique, on le sait,
les écarts de langage, la rupture à tous les sens du terme ».
Mais cette piste est vite abandonnée dans les discours de vœux : c’est en effet un
genre solennel dans lequel N. Sarkozy ne risque aucune familiarité, aucune faute
de français, aucun accord mal venu. Il s’exprime dans une langue soutenue, tout à
fait conforme à celle de ses prédécesseurs. Il lui était impossible d’agir autrement,
sans quoi il détruisait l’ethos du Président.
Une rupture minimaliste ?
Au mieux, elle concerne le décor. C’est ce que notent de nombreux journalistes et
ce que sont susceptibles d’avoir ressenti les téléspectateurs. L’attente est pourtant
forte, en particulier avant le premier discours de 2007 : c’est ce qu’on constate dans
les journaux du 31 décembre, juste avant le discours. La déception est perceptible.
Les Échos36 en témoignent : « Pas d’annonce sur le fond et pas de vraie rupture
de style. . . Les premiers vœux télévisés du Président se sont révélés de facture
classique. » Libération37 exprime la même impression : « Dans ce rituel télévisé de
fin d’année qu’il n’a finalement pas su renouveler. . . Très classique. . . » Le Figaro38
va dans le même sens : « Pas facile de moderniser le rite des vœux. Malgré les
promesses de l’Élysée, N. Sarkozy n’a pas vraiment rompu avec la tradition de
ses prédécesseurs. » On retrouve le même type de remarques l’année suivante,
alors que pour le discours de 2009, les articles du lendemain montrent que
l’attente a fini par s’effilocher : on ne trouve plus guère de mention de la rupture
annoncée. L’attente est d’autant moins importante que N. Sarkozy intervient très
fréquemment dans les médias, contrairement à son prédécesseur qui suivait les
principes de Jacques Pilhan en s’exprimant rarement.
Cette étude nous amène à cette conclusion : les changements sont légers, tandis
que la continuité avec J. Chirac est flagrante ; et comme la rupture était annoncée
et attendue, les commentateurs relèvent une certaine déception et soulignent le
34. Pierre Encrevé, « Les mots ont un sens : celui qu’il leur donne », Libération, 2 janvier 2009, p. 4.
35. Georges Barrère, « Une diction et un style de faux modeste », Libération, 2 janvier 2009, p. 5.
36. Elsa Freyssenet, « N. Sarkozy invite les Français à la patience », Les Échos, 2 janvier 2008, p. 2.
37. Antoine Guiral, « Sarkozy, premiers vœux, déjà creux », art. cit., p. 2.
38. Bruno Jeudy, « N. Sarkozy veut réformer sans brutalité », art. cit., p. 5.
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Des vœux en continuité pour le candidat de la rupture
103
caractère pour ainsi dire cosmétique des quelques adaptations opérées au sein du
cadre rituel. Pour expliquer cet état de fait, il faut se souvenir, encore une fois, que
les vœux sont un rite, et que ce rite, en vigueur depuis le début de la Ve République,
est difficile à changer. Le Président a fait une promesse intenable : il s’est engagé à la
rupture ; or passée la campagne, où il pouvait s’opposer à son prédécesseur, contre
qui et contre quoi peut-il rompre par la suite ?
De plus, sacrifier au rite, c’est accepter les vêtements de président de la
République. Et vice versa : être Président, c’est accepter de respecter certains rites.
Les Français veulent ce soir-là voir un Président, ils en voyaient un en J. Chirac,
mais ils ont reproché à plusieurs reprises à son successeur de ne pas avoir cet ethos :
N. Sarkozy a donc besoin d’endosser le costume de Président. Même s’il ne se sent
pas particulièrement à l’aise dans ce rôle figé, il est obligé de le jouer, car c’est la
pièce attendue. Il doit plier son personnage aux lois du genre, si bien que la volonté
de rupture est forcément peu visible, et qu’elle ne peut s’exercer qu’à la marge. Ce
qui en revanche est rendu particulièrement visible dans cette situation médiatique,
c’est la vanité de la promesse de « rupture » du Président. Reste une question : est-il
possible de renouveler le genre ? L’avenir le dira, mais la réponse risque bien d’être
négative.
FRANÇOISE FINNISS-BOURSIN
communication & langages – n◦ 169 – Septembre 2011