Il était une fois la raquette.

Transcription

Il était une fois la raquette.
IL ÉTAIT UNE FOIS
LA RAQUETTE
CENT RAQUETTES
EXTRAITES DE LA
COLLECTION DU CIO
SONT EXPOSÉES A
ROLAND-GARROS
Cent raquettes extraites de la collection du CIO ont été exposées
au stade Roland-Garros à Paris, à l’occasion du tournoi
international de tennis.
ans la seconde moitié du XIXe siècle
apparaît, sous le pinceau de portraiD
tistes et illustrateurs ,un étrange accessoire
Par Olivier Villepreux
de bois, une palette vide grillagée, prolongée par un manche, visiblement pas tout à
fait destinée à chasser le papillon dans de
luxuriants jardins bourgeois. En s’y attardant, l’objet ressemble à la raquette d’un
Lapon, plus fine, et sans attache pour y
glisser son pied.
Le lawn-tennis se pratiquait sur gazon
et était déjà l’aboutissement de bien des
mélanges de jeux de balle, du jeu de
paume originellement. La particularité
même de jouer de la raquette distinguait
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ses utilisateurs des autres joueurs de balle;
bientôt un seul modèle de raquette sera
développé pour le seul sport de tennis,
entre 1870 et 1880.
Des vitrines sous le Central de RolandGarros racontent l’histoire de cet instrument fabriqué pour quelques privilégiés,
par des artisans frères des luthiers. Bessey
sera le premier à employer des ouvriers
spécialisés à la fin du XIXe, la SIRT à Bordighera, début XXe sera la première fabrique
à produire exclusivement des raquettes.
La première raquette était tordue. La
balle ne se frappait pas, elle se ramassait,
EXPOSITION
les jambes ne pliaient pas, la raquette
excentrée semblait même être faite pour
éviter au joueur de multiplier les mouvements pour avoir du plaisir. Elle était composée de quatre parties imbriquées entre
elles. Une latte de frêne ou de hêtre mouillée et mise en forme de goutte d’eau. Là
où les bouts de bois se rejoignent, le coeur
de la raquette fait joint. Deux autres morceaux de bois sont appliqués à partir de ce
coeur pour former le manche. Cette
technique sera la même jusqu’en 1920
environ. Le seul inconvénient sera I’extrême fragilité de ces raquettes lesquelles
se brisent facilement en cours de fabrication, et impose à son propriétaire de les
maintenir sous presse dès qu’il arrête de
s’en amuser. Sous peine de voilage.
A partir de 1910, un premier détail est
modifié. Le coeur de la raquette était
concave au niveau des prises du cordage,
il devient convexe. Surtout, au début du
siècle la raquette devient définitivement
symétrique, plate au sommet. Progressivement elle s’ovalise.
Sa métamorphose se poursuivra sur la
manche. Dans les années trente la raquette
de bois massif, encore très lourde, blesse
les doigts. Pour y remédier, des cannelures
sont sculptées pour faciliter l’évacuation de
la transpiration. On imagine le « fish tail »,
le manche en queue de poisson qui stoppe
le glissement de la main vers l’extrémité du
manche. On pense aussi à incruster du
liège afin d’absorber la sueur. Il existe également des manches amovibles de différentes tailles, pour trouver celle adaptée à
sa main. Les années cinquante et soixante
sont révolutionnaires. Avec les décalcomanies, les premières «marques » Drive ou
Darsonval s’affichent sur leur bois. Les grips
de cuir enveloppent les manches. Mieux,
la première raquette en fer apparaît.
Oubliée aussitôt. Lacoste et Wilson reprendront le concept vingt ans plus tard, Jimmy
Connors la rendra célèbre et commercialisable.
Le coeur de la raquette disparaît purement et simplement, et l’on revient au
vieux système des deux branches en « Y »
pour assouplir et alléger le manche. Vieux
système, puisque, en 1930, Bunny Austin,
l’André Agassi d’alors (le premier à avoir
oser le short), avait testé la célèbre raquette
en bois à trois branches, la Stream Line de
Hazells. Héritières de cette grand-mère, les
raquettes de Yannick Noah et Mats Wilander s’en inspireront dans les années quatrevingt qui marquent la fin de l’ère du bois et
l’avènement des alliages même si Borg,
McEnroe et Nastase sont fidèles à la tradition.
Après, tout se réduit à une question de
tamis, large, moyen ou petit. La seule tentative originale revient à I’Ergonom de
Snauwaert qui décentre l’ovale du tamis
par rapport au manche. Un gage de pub
sans lendemain.
Lacoste innovera en dernier avec le
graphite et une raquette bizarroïde appelée
Equijet dont l’ovale est incurvé de part et
d’autre.
O.V
Cet article est reproduit du quotidien « L’Equipe », du 5 juin 1991.
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