Etre » Officier Santé de sapeur-pompier "Lire dans le regard de l`autre"

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Etre » Officier Santé de sapeur-pompier "Lire dans le regard de l`autre"
« Etre » Officier Santé de sapeur-pompier
"Lire dans le regard de l'autre"
Mémoire présenté en vue de l’obtention du Diplôme Universitaire
« D’éthique soignante et hospitalière »
Responsable pédagogique : Elsa Godart
Corinne Pavard
IFCS de l’EPS de Ville-Evrard
Promotion : 2013 - 2014
Remerciements
À Elsa Godart, qui au travers de ses lectures m’a montrée le chemin de la
« lumière » philosophique.
À mon mari et à mes filles, pour leur soutien sans faille.
À vous tous qui avez accepté de me soutenir, et de me guider ; je vous prie de
trouver ici l’expression de ma profonde gratitude pour votre aide tout au long de la
construction de ce projet professionnel.
“ L’enfer, c’est les autres”, Huis-clos, Jean-Paul Sartre.
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ............................................................................................................................. 1
PRÉSENTATION DE NOTRE SITUATION DE TRAVAIL ................................................ 2
PROBLÉMATIQUE. ........................................................................................................................ 3
ELÉMENTS DE COMPRÉHENSION. ....................................................................................... 5
DÉFINITION DES CONCEPTS ................................................................................................... 7
CHAPITRE PREMIER.................................................................................................................... 8
LE RAPPORT À L’AUTRE PEUT-IL ÊTRE QUALIFIÉ « D’ENFER » ? ...................... 8
I - LE CONTEXTE DE TRAVAIL : UN HUIS CLOS ...................................................................................9
II - L’AUTRE CONSIDERE COMME « MOYEN » ET NON COMME PERSONNE ........................ 11
III - LE JUGEMENT DE L’AUTRE, MIROIR DE SOI. ........................................................................... 13
CHAPITRE II ................................................................................................................................... 15
LES OFFICIERS SANTÉ SONT-ILS ACTEURS DE LEUR « DESTINÉE » ? ............ 15
I - « ÊTRE » SOIGNANT, C’EST REPRESENTER UNE IDENTITE PROFESSIONNELLE. ........... 16
II - « ETRE » OFFICIER DE SAPEUR-POMPIER, C’EST APPARTENIR A UNE FAMILLE. ....... 17
III - OFFICIERS « EXPERTS » EN SANTE : RECONNUS LIBRES DE PENSER ET D’AGIR. ..... 19
CHAPITRE III ................................................................................................................................. 20
LA VICTIME PEUT-ELLE ÊTRE SOURCE DE LIBERTÉ ? .......................................... 20
I - LA PLACE DE LA VICTIME CHEZ LES SAPEURS-POMPIERS..................................................... 21
II - LE SOIN COMPLEMENTAIRE DE L’ACTION DE SECOURS : DE LA PLACE POUR TOUS. 23
III - LA REPONSE ADAPTEE, PRINCIPE BIENFAITEUR DE CE CONFLIT .................................... 24
BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................... 26
Introduction
De nos jours, la mission principale des Sapeurs-Pompiers de France est la prise en
charge du secours d’urgence auprès de la population. La gestion de cette activité
complexe, aux interactions professionnelles multiples, est devenue un enjeu prioritaire
pour les Services d’Incendie et de Secours (SDIS)1.
Pour comprendre cette activité et apporter un « autre regard », de nombreux SDIS ont
souhaité inscrire la culture soignante à coté de la culture secouriste, en plaçant un
officier santé « infirmier de sapeur-pompier »,2 au cœur du traitement de l’alerte et du
suivi des interventions.
La lecture sanitaire d’une situation d’urgence réalisée par des « officiers santé »,
couplée à celle des professionnels secouristes du CTA-CODIS3, apporte dans cette
organisation, une plus value mainte fois reconnue.
La réussite de ce concept, nécessite que les acteurs dans leur domaine de compétences
respectif combinent de manière complémentaire et consécutive leur connaissance : le
soignant, doit solliciter « le regard de l’autre »,
4
l’opérateur, pour construire « sa »
propre lecture de la situation, afin d’engager de manière adaptée les moyens du service
de santé et conseiller ses pairs « sapeurs-pompiers ».
C’est dans cette « relation »5 que réside la difficulté de ce rapport à « l’autre », incluant
dans la relation de travail, une relation de pouvoir d’un individu sur un autre, l’un
possédant l’information, l’autre le raisonnement clinique.
1
SDIS : loi du 3 mai 1996 n°96-369 : Relative à l’organisation des services d’incendie et de
2
Décret du 16 octobre 2000, n° 2000-1009 : Portant statut particulier des infirmiers de sapeurs-
secours.
pompiers.
3
CTA-CODIS : Centre de traitement de l’alerte 18-112, centre opérationnel départemental
d’incendie et de secours.
4
Emmanuel Levinas, Ethique et infini, le livre de poche, Biblio essai, Fayard, 1982.
5
Martin Buber, Je et Tu, Aubier philosophie, 1938 (rééd.2012), p.93
2
Nous aborderons cette problématique, au travers de deux concepts philosophiques. Tout
d’abord celui de « l’identité » approchée sous l’aspect de l’identité singulière du sujet
et collective du groupe, puis « l’altérité » de l’autre comme miroir de soi, l’autre
pouvoir de liberté.
C’est le point de vue du soignant, que nous vous proposons désormais comme
« phénomène » observable, en positionnant ce « face-à-face » professionnel, au cœur de
notre réflexion éthique.
Présentation de notre situation de travail
Durant notre formation à l’Ecole Nationale Supérieure des Officiers de SapeursPompiers, nous avons été amenés à rédiger un mémoire de fin d’étude pour la validation
du module 3: Initiation recherche et l’obtention du diplôme d’infirmier d’encadrement
de sapeur-pompier6.Ce travail nous a permis d’explorer une problématique managériale
d’une population méconnue d’infirmiers : les infirmiers de la filière sapeur-pompier.
Notre choix fut d’utiliser un concept moderne d’analyse « l’ergologie »7 pour
comprendre l’activité, l’améliorer et créer un savoir nouveau sur la fonction spécifique
« d’officier santé » dans un CTA- CODIS.
Cette activité aux compétences singulières, dévolue aux infirmiers de sapeurspompiers, a été considérée pour la première fois de son histoire, sous le prisme des
acteurs parlant de leur situation de travail.
Pour réaliser cette démarche clinique, nous nous sommes entretenus avec 24 infirmiers
issus de la population d’officiers santé de deux SDIS de France.
6
Décret du 23 décembre 2006 n°2006-1719 : Portant statut particulier de l’infirmier
d’encadrement de sapeurs-pompiers.
7
Ergologie : Démarche managériale qui a pour objectif de réaliser une analyse pluridisciplinaire
des conditions de travail, en étudiant l’acteur au centre de son activité de travail, afin de produire des
connaissances sur le travail (ses conditions et son organisation) et ainsi contribuer à son développement et
à son amélioration (Yves Schartz)
3
Ces entretiens exploratoires, basés sur « le rôle de l’officier de santé dans le traitement
de l’alerte », ont révélé des discours communs et récurrents, dont voici une synthèse.
Tous ont mis en évidence leur raison d’être infirmier de sapeurs-pompiers :
l’importance d’appartenir à une identité collective, le respect de l’uniforme et de la
hiérarchie, le besoin de partager ensemble une rigueur professionnelle et des valeurs
communes de "courage et dévouement".
Le sentiment d’être utile au plus grand nombre, d’être au service de la population dans
le domaine du secours à personne et au service de leurs « pairs » dans le domaine du
soutien sanitaire opérationnel.
Nombreux ont néanmoins révélé les obstacles relationnels rencontrés dans l’exercice de
la fonction et la difficulté à faire entendre sa voix. L’officier santé étant à la « croisée
des chemins » de deux mondes, celui de la santé et celui des sapeurs-pompiers, il
possède un « savoir » dans le domaine sanitaire, à la fois recherché et discuté dans le
milieu secouriste des sapeurs-pompiers.
Cette confrontation intellectuelle, parfois conflictuelle, installe le doute dans leur
esprit et interroge ces officiers dans leur identité singulière : d’expert dans le domaine
sanitaire.
D’autres ont mis en évidence l’impact des conditions de travail et de l’organisation
spatiale dans les relations interhumaines. Ils ont le sentiment d’être isolés, seuls au
milieu de tous, d’être utilisés comme objets et non comme personnes jouant un rôle
actif dans les prises de décision, perception antinomique de leur fonction de conseiller
technique.
Problématique.
A l’issue, nous avons repris en équipe les conclusions de ce travail, et trouvé
ensemble des pistes pour améliorer les contraintes fonctionnelles et organisationnelles.
Il a été décidé de modifier l’organisation du temps de travail; de diversifier l’activité de
4
travail ; puis, d'adapter l’ergonomie du poste de travail aux contraintes physiques et
fonctionnelles.
Conscients que les améliorations proposées n'allaient pas guérir tous les maux,
nous avons souhaité poursuivre ce travail en le soumettant à la pensée philosophique,
pour comprendre, en quoi cette activité ressentie comme « épanouissante » pour certains
pouvait être vécue comme « l’enfer » pour d’autres.
Il s’agit de comprendre pourquoi devoir « se » confronter au « regard de l’autre »,
interroge leur raison « d’être » et bouscule leur identité professionnelle.
Depuis, la connaissance de « l’autre », l'importance du jugement de l'autre dans
la construction de « soi », résonne en nous comme un chemin à suivre, comme une
compréhension nécessaire, ultime et salvatrice : Le regard de l’autre comme
« passage » vers notre propre « RE – connaissance ».
La lecture d’auteurs, tels que Martin Buber, Jean Paul Sartre, Emmanuel Levinas, le
questionnement de concepts comme « l’Identité », « l’Altérité », a guidé notre réflexion
et nous ont amenés à construire notre pensée.
Fort de notre questionnement et de nos lectures, nous sommes en mesure désormais de
poser la question de départ suivante :
Comment parvenir à construire son identité professionnelle « d’officier santé de
sapeurs-pompiers » au travers du regard de l’autre ?
L’autre pompier, l'autre soignant pour arriver à ne faire qu’un.
C'est la démarche éthique d'un cadre que nous vous proposons dans ce travail,
qui, au travers cette introspection, cherche à donner du sens aux mots, et surtout à
modifier la perception du rapport à l’autre.
Nous avons choisi pour cela, d’exposer notre problématique sous l’approche de la
philosophie moderne et plus précisément sous l’angle de la phénoménologie.
5
Dans un premier temps, nous aborderons en quoi le rapport à l’autre dans la relation de
travail d’un officier santé, peut-il être qualifié « d’enfer » ?
Nous mettrons en avant l’importance du contextuel dans la relation à l’autre ; L’homme
objet, l’homme sujet et enfin, le regard d’autrui comme miroir de soi, le « bourreau ».
Dans un second temps, nous questionnerons « l’identité» du soignant, et sa « liberté »
de pensée et d’action : les officiers santé sont ils acteurs de leur destinée ?
Nous expliquerons le chemin pour passer de l’identité individuelle à l’identité
collective : lieu de confiance et de liberté pour l’officier santé.
Dans un troisième temps, nous aborderons en quoi la victime « l’autre commun » peut
être source de liberté dans cette dualité ?
Nous explorerons dans cette dernière partie, « la croisée des chemins » là où le regard
de l'autre change, là où les acteurs trouvent leur place et où les connaissances de
chacun, du « je » et du « tu » se potentialisent autour de « l'autre » commun: la victime.
Eléments de compréhension.
Pour apporter plus de matière à la réflexion éthique que nous inspire cette
situation de travail, nous avons souhaité vous apporter notre approche sociologique,
complémentaire à la compréhension de ce cas.
Depuis maintenant quelques années, les sapeurs-pompiers ont vu évoluer leur
cœur de métier, qui était initialement l’incendie et « le secours d’urgence aux
personnes victimes d’accidents de sinistres ou de catastrophes ainsi qu’à leur
évacuation 8» vers de nouvelles missions, adaptées aux temps nouveaux: la prise en
charge de victimes en détresses sociales et psychologiques.
La chronologie rapide de ce changement, et la complexité des interventions rencontrées,
dans ce domaine du secours à personne (SAP) a conduit les SDIS à repenser
8
Missions des SDIS définies dans le Code Général des Collectivités Territoriales.
6
l’organisation de leur CTA-CODIS, en positionnant un infirmier de sapeur- pompier
« officier santé » au cœur du dispositif.
La maîtrise de l’activité SAP est désormais un enjeu prioritaire dans la gestion humaine
et financière de l’établissement public.
Les sapeurs-pompiers, peu habitués à compter, s’installent depuis peu dans une
gestion comptable de l’activité de secours ; les signatures de conventions financières,
avec nos partenaires de l’aide médicale urgente ; la démarche qualité instaurée et les
indicateurs mis en place, ont ouvert la porte à la « compétitivité ».
L’entrée dans cette compétitivité, provoque des changements culturels violents, de
nombreuses incompréhensions, et interroge l’identité collective, ainsi que les valeurs
morales du service public : la gratuité des secours.
Les acteurs du CTA-CODIS sont aux faits de tous ces projets majeurs et portent
le poids de leur réussite, puisqu’ils détiennent le pouvoir de déclencher les secours,
puisque toutes les interventions commencent, transitent et se terminent au CTA-CODIS.
C’est dans cette pression quotidienne qu’évoluent les officiers santé, derniers arrivés
dans cette organisation hiérarchisée, où le pouvoir réel appartient à celui qui détient
l’information : l’opérateur.
Et non à celui qui détient le pouvoir prescrit d’analyse et de commandement: l’officier.
Cette inversion pyramidale engendre un déséquilibre des pouvoirs et fait
apparaître une zone d’incertitude, un pouvoir manquant celui du « sachant ».
C’est dans cette faille, que la place de l’officier santé prend toute sa dimension. Sa
démarche réflexive, à la fois d’officier et de soignant, guide le changement de
paradigme inéluctable auquel sont confrontés les sapeurs-pompiers dans l’évolution de
leurs missions. Il y apporte l’équilibre et la sécurisation nécessaire du système.
C’est dans cette zone d’incertitude, zone d’autonomie de l’officier, que prend racine
notre réflexion éthique.
7
Définition des concepts
Définissons les deux concepts qui nous serviront de fil conducteur dans notre
réflexion éthique.
L’identité : n. f. Du latin idem, « même » : caractère de ce qui est tout à fait
semblable à quelque chose ou de ce qui demeure le même à travers le temps.9
L’altérité : n. f. Du latin alter, « autre » : caractère de ce qui est autre.
Différences caractéristiques de l’être autre, de l’autre que moi10.
9
La philosophie de A à Z, Hatier, 2012
10
Ibidem
8
CHAPITRE PREMIER
Le rapport à l’autre peut-il être qualifié « d’enfer » ?
9
Nous aborderons dans cette première partie tout ce qui peut altérer la relation à
l’autre, tout d’abord le contexte de travail, puis l’utilisation de l’autre comme objet et
non comme but en soi, puis enfin le jugement de l’autre .
I - Le contexte de travail : un huis clos
Nous avons été interpellés par les similitudes de lieu qui existaient entre la pièce
Huis clos de Sartre et un CTA-CODIS. De ce contexte de lieu représentant « l’enfer »,
nous avons voulu transposer notre situation de travail, aux « expressions » des acteurs et
comprendre le sens philosophique de cette découverte pour notre analyse éthique.
Le CTA-CODIS dans lequel travaille notre population choisie est un endroit clos,
sécurisé. Une caméra et « une sonnette » 11 permettent de filtrer les entrées et les sorties.
Les fonctions et les missions dans la structure sont sectorisées et hiérarchisées. Pour des
raisons réglementaires, les déplacements à l’intérieur de la structure sont faits à
discrétion. Les relations interhumaines se font principalement qu’entre secteurs
d’activités : en huis clos.
La console de « l’officier santé » est placée au milieu et à distance des deux entités
principales, il est lui, seul. « Ah ! Alors nous allons rester tout seul, monsieur, madame
et moi ? ».12
Les personnels, en équipe, se relaient pour maintenir une continuité de service 24H /24
« attendez… attendez : pourquoi est-ce pénible ? Pourquoi est-ce forcément pénible ?
J’y suis : c’est la vie sans coupure ». 13
11
Jean Paul Sartre, Huis clos, Folio, Gallimard 1947. Page 20
12
Ibidem, p.28
13
Ibidem, p.17
10
Le degré de vigilance est important et permanent, « il faut vivre les yeux ouverts »,14 la
luminosité artificielle y est maintenue de jour comme de nuit « c’est ça, votre jour »15 et
la chaleur des ordinateurs y est permanente.
L’organisation spatiale et les postes de travail ne sont plus adaptés aux évolutions
données à l’activité. « Je pense qu’à la longue on doit s’habituer au meuble ». 16
La méconnaissance de la structure, de son organisation, de ses missions et des emplois
occupés - par les personnels qui y sont extérieurs - véhicule de nombreuses idées
fausses provoquant un isolement et des incompréhensions : « Vous n’êtes pas sans
savoir ce qu’on raconte là bas ». 17
Également en retour, des obligations « je peux vous sonner quand je veux et vous êtes
obligé de venir ? ». 18
Cette comparaison littéraire pose le décor de notre environnement de travail, et
met en évidence que le lieu, l’ergonomie des postes de travail, les conditions de vie
dans lesquelles l’homme travaille, font partis des phénomènes observables, et sont pour
nous, incontournables de la réflexion éthique, car ils sont perçus et ressentis par les
acteurs.
Comme l’artiste, Sartre utilise une matière pour réaliser son désir : la situation
concrète.
Il évoque ici, que l’environnement conditionne le comportement et les relations
humaines et modifie le rapport à l’autre.
La philosophie ne se propose pas de développer une analyse scientifique du langage,
c’est la parole vivante qu’il prend en considération, en situation réelle dans son contexte
de vie.
14
Ibidem, p.19
15
Ibidem, p.18
16
Ibidem, p.13
17
Ibidem, p.14
18
Ibidem, p.20
11
« On parle selon l’attitude qu’en nous même nous adoptons à l’égard d’autrui ».19 Ces
expressions verbales rapportées tant par les officiers santé que par les acteurs, sont le
reflet d’une attitude active de leur conscience.
Pour les phénoménologues, la conscience est la source active d’une attitude, c’est à dire
d’une manière d’être, d’agir et de se rapporter au monde.
II - L’autre considéré comme « moyen » et non comme personne
Voyons maintenant comment la relation à l’autre peut être vécue comme
« enfer » dès lors que « l’autre » est désigné et employé comme un objet.
La gestion comptable du monde moderne, à laquelle sont confrontés les sapeurspompiers, a radicalement modifié le rapport à l’autre, initialement bien veillant et par
définition altruiste : « secourir autrui ».
Désormais, ils ont besoin de savoirs et de compétences nouvelles, pour comprendre, et
évoluer dans cette société en mutation. Martin Buber nous explique « que plus la
réponse est puissante plus elle s’empare du tu, plus elle en fait un objet ». 20 Cette
situation décrite prend tout son sens dans notre contexte de travail, où la maîtrise de nos
moyens est prioritaire.
Les officiers santé ressentent parfois les déviances imposées par la compétitivité du
monde moderne et les ont exprimées.
Ils ont le sentiment que la réciprocité du Je et du Tu ne fait plus référence dans la
relation à l’autre. Qu’ils ne sont plus regardés comme des personnes identitaires, des tu,
mais comme des cela, des moyens pour assouvir une fin.
Buber nous permet de comprendre le positionnement de l’officier santé en tant que
conseiller technique : « Il y a une façon de connaître qui consiste à dire « voilà ce
19
20
Philosophie pratique, Marc Alpozzo, Jean Paul Sartre et le regard de l’autre, 2013
Martin Buber, op cit.
12
qu’il en est, voila comment cela s’appelle, voila comment la chose est faite et voici sa
place » en ce cas on laisse à l’état de cela ce qui est devenu cela, on l’expérimente, on
l’utilise en tant que cela, on s’en sert pour « s’orienter », donc pour « conquérir » le
monde ». 21
La lucidité du soignant lui permet de lutter, pour ne pas accepter ce schéma relationnel,
et redonner « la réciprocité » dans ce rapport à l’autre, nécessaire à « la rencontre »
philosophique.
Selon Sartre, autrui va soudain m’apparaitre comme menaçant, dans la mesure où,
n’étant pas seulement cet être qui, me volant mon monde, voit les mêmes choses que je
vois, il est surtout celui qui me regarde.
« Si autrui-objet, se définit en liaison avec le monde comme l’objet qui voit ce que je
vois, ma liaison fondamentale avec autrui-sujet, doit pouvoir se ramener à ma
possibilité permanente d’être vu par autrui ».22 Cette situation nous apprend qu’en étant
conscient de mon « être objet » je saisis la présence de son « être sujet ».
La lutte des consciences trouve là selon Jean Paul Sartre, une nouvelle vie. « Ce monde
qui était mon monde et dans lequel j’étais au centre, m’apparait soudain par l’apparition
d’autrui comme étant aussi le monde d’autrui ».
C’est dans ce « partage du monde » que naît la réciprocité et la rencontre du Je-tu, du «
du soignant et du secouriste » et disparaît la servitude du Je-Cela.
Dès lors, l’officier santé est reconnu dans un CTA-CODIS dans « son monde » comme
« sujet » et non plus comme « objet ». Il s’extrait ainsi, de ce schéma relationnel de
servitude, de cet « enfer » incompatible avec sa culture et ses valeurs.
De cette prise de conscience naît : la rencontre.23
21
Martin Buber op, cit.
22
Jean Paul Sartre, L’être et le néant, Paris, Gallimard, 1943
23
Martin Buber, op.cit
13
III - Le jugement de l’autre, miroir de soi.
Les soignants ont exprimé la difficulté d’être regardés et jugés : d’être
confrontés au regard de l’autre. Les lectures de Sartre nous apprennent que se
confronter aux autres c’est se confronter à soi : « Autrui est le médiateur entre moi et
moi-même [...] Le Pour-Soi renvoie au Pour-Autrui ».24 Dans ce sens il agit comme
révélateur du soi et nous permet d’accéder à notre propre connaissance.
Le regard de l’autre nous apprend que la présence de l’autre est nécessaire pour que « je
sois moi-même », c'est-à-dire extirpé du stade de conscience irréfléchie solitaire et que
je sois ainsi constitué en conscience réfléchie, jugé par autrui. « Quand je ne me vois
pas, j’ai beau tâter, je me demande si j’existe vraiment ». 25 Dans cette prise de
conscience, Sartre met en évidence que le jugement que nous renvoie l’autre « en
miroir » nous permet de trouver notre vérité.
La complexité d’une demande de secours nécessite que la situation soit regardée sous
plusieurs prismes celui de la santé et celui des sapeurs-pompiers. La pensée de chacun
doit alors tenir compte de celles des autres et ne saurait se suffire à elle-même pour
analyser une situation.
Le regard que l’on « pose » sur une intervention est en permanence contredit par le
regard d’autrui. « Avec le regard d’autrui la situation m’échappe : je ne suis plus maître
de la situation […] l’apparition de l’autre fait apparaître dans une situation un aspect
que je n’ai pas voulu, dont je ne suis pas maître et qui m’échappe par principe puisqu’il
est pour l’autre ».26
Le fait de regarder ensemble une situation, me fait entrer dans un autre champ que le
mien, et m’ouvre « un nouvel espace de liberté »,27 de nouvelles perspectives
d’évolutions.
24
L’être et le néant, op.cit
25
Huis clos, op.cit.
26
L’être et le néant, op.cit.
27
L’être et le néant, op.cit.
14
Nous avons apporté dans cette première partie des connaissances philosophiques
sur la réciprocité et le rapport à l’autre, qui nous ont permis de vérifier et comprendre
les propos exprimés par les officiers santé : Cette mise en « lumière » 28 nous permet de
donner du sens aux relations interhumaines.
28
Platon L’allégorie de la caverne.
15
CHAPITRE II
Les officiers santé sont-ils acteurs de leur « destinée » ?
16
Dans cette deuxième partie nous aborderons les moyens dont disposent les
officiers pour se libérer d’une position « arbitraire »29 et prendre en main leur destinée.
Nous prendrons appui sur l’identité professionnelle de l’infirmier et collective des
sapeurs pompiers pour bâtir le champ d’action de l’officier santé.
I - « Être » soignant, c’est représenter une identité professionnelle.
Nous avons vu que le soignant était un Je, conscient de sa propre
« conscience » et de celle du secouriste le tu. Ces deux consciences évoluent dans
l’instant présent imposé par la rencontre à l’autre « c’est par l’autre que le sujet rentre
vraiment dans l’existence ». 30.
La rencontre, du je et du tu, se fait au présent, dans le monde du vivant de la demande
de secours « celui-ci est vivant et intense par la présence même de l’autre
conscience 31».
Il est là « en chair et en os » (dira Husserl), présent, actuel et réel.
Il existe, et de ce fait possède une identité « Etre » soignant c’est « avoir » une identité
professionnelle :
L’identité professionnelle « d’infirmier » permet de se reconnaître dans une
appartenance à la profession d’infirmier : « que je te reconnaisse et que tu me
reconnaisses ». 32Elle se construit à partir de la compréhension du sens de la finalité et
des valeurs du soin. Autour d’un corpus de savoirs et de compétences reconnus par un
diplôme.
29
Martin Buber, op.cit.
30
Martin Buber, op.cit.
31
Martin Buber, op.cit.
32
Martin Buber, op.cit.
17
Cette identité professionnelle permet à l’infirmier d’évoluer dans tous les secteurs de la
santé, car il est capable d’identifier clairement son champ d’expertise, connaître son
propre rôle, ses limites, sa propre responsabilité, de trouver sa place dans une
organisation : car il est positionné comme un tu.
Pour que l’infirmier soit reconnu comme infirmier de sapeur-pompier, il faut
maintenant qu’il ajoute à son identité individuelle l’identité de l’autre « Autrui, c’est
l’autre, le différent c’est-à-dire le moi qui n’est pas moi »33.
Qu’il s’approprie l’identité collective des sapeurs-pompiers
II - « Etre » Officier de sapeur-pompier, c’est appartenir à une famille.
L’identité individuelle étant établie, voyons comment l’officier santé peut se
construire une identité collective, dans le milieu spécifique des « sapeurs-pompiers »,
celle par qui, il sera désormais reconnu comme un toi et non plus comme un tu.
Historiquement les sapeurs-pompiers - communément appelés les « les soldats du feu »ont construit leur identité collective sur le terrain de l’intervention, au contact de la
population en étant « unis » dans l’effort de l’action.
L’aspect « héroïque » porté par la mission de sauver son prochain ; associé à la
dangerosité du métier, a marqué d’une empreinte forte l’action collective.
C’est sur le terrain, « au combat », que l’on gagne ses gallons. C’est par ses actes de
courage et de dévouement, à la sueur de son front, en montrant ses valeurs que l’on
gagne la reconnaissance du groupe.
Sartre s’attache au groupe, comme un rassemblement unifié par une « praxis » 34
commune, par une communauté d’action. Cette praxis libre, désigne un dépassement
collectif des conditions matérielles et ce, dans le cadre de l’action historique.
33
L’être et le néant, op.cit.
18
Depuis, l’industrie a modifié le monde, obligeant les sapeurs-pompiers à se
spécialiser pour mieux répondre aux nouvelles contraintes sécuritaires.
De nouvelles compétences sont arrivées apportant des « savoirs » nouveaux ; des
métiers nouveaux ont été créés ; des formations adaptées aux emplois ont été
dispensées ; des professionnels sont venus relayer les volontaires.
Tous ces changements fonctionnels et organisationnels réalisés au fil des décennies ont
radicalement modifié la structure des sapeurs-pompiers ; mais jamais leur identité.
L’identité des sapeurs-pompiers est « en soi » 35 elle est le corps des sapeurs
pompiers. Elle appartient à l’inconscience collective. Cette communauté est basée sur
la relation entre ses membres, c’est la structure interne du groupe, plutôt que ses effets
extérieurs, qui importe.36
Elle est subjective, elle n’est pas définie dans un corpus de savoirs et de compétences ;
elle ne s’apprend pas dans une école et ne correspond pas à des normes.
L’identité professionnelle des sapeurs-pompiers ETAIT, EST, et RESTERA à jamais
opérationnelle. Elle se révèle par et pour autrui.37
L’activité de travail de l’officier santé trouvant sa source au cœur de la
supervision opérationnelle, c’est en développant son identité individuelle au profit des
sapeurs-pompiers, et de la population, qu’il rentre dans l’identité collective.
Il est alors reconnu comme un toi : « Je te connais et je te reconnais » cette action
immédiate du regard de l’autre sur le je, définit l’appartenance au groupe.
34
Jean Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, Tom 1 théorie des ensembles pratiques,
Gallimard,
35
L’être et le néant, op.cit.
36
Martin Buber, op.cit.
37
L’être et le néant, op.cit.
19
III - Officiers « experts » en santé : reconnus libres de penser et d’agir.
Nous venons de voir, que grâce à son identité professionnelle d’infirmier,
l’officier santé s’inscrit dans l’opérationnalité, et devient de fait acteur de l’identité
collective.
Les formations d’adaptation à l’emploi d’infirmier de sapeurs-pompiers
apportent les codes du « vivre ensemble », apprend à l’infirmier à comprendre l’autre,
« à lire dans le regard de l’autre », à déchiffrer les codes et le langage du groupe.
Il apprend à se positionner en tant qu’officier de sapeurs-pompiers, à être responsable
de l’autre; à prendre des responsabilités pour l’autre et les assumer au nom de l’autre.
Cette double appartenance permet à « l’officier santé » de comprendre, se repérer,
évoluer dans son environnement de travail et à appréhender les contraintes
professionnelles, dans le BUT ultime d’exercer cette « double expertise ».
L’esprit d’équipe, la cohésion du groupe, le port de l’uniforme, les valeurs du vivre
ensemble, l’expérience partagée, font qu’il gagne la reconnaisse de ses pairs, et quitte
le carcan des préjugés, imposé par la méconnaissance et la peur de l’autre.
Le positionnement particulier des personnels du service santé dans
l’organisation de l’établissement public, est également source de liberté.
Le rapport à l’autre n’est pas faussé par le rapport hiérarchique : la peur de l’autre, « le
chef ». Les officiers santé sont les seuls officiers de sapeurs-pompiers, à être reconnu
libre de penser et d’agir dans l’exercice de leur art. Ils ne sont pas réduit dans leur
domaine d’expertise, à un : tu dois.
Nous pensons que la modification des rapports à l’autre, induite par la reconnaissance
de l’autre comme « sien », fait que l’officier brise le cercle d’enfer dans lequel il était
installé et gagne sa liberté de penser et d’agir.
En gagnant cette reconnaissance, l’officier santé n’est plus regardé comme un
« soignant » mais comme un « pompier », il passe de la réciprocité je-tu au : nous.
20
CHAPITRE III
La victime peut-elle être source de liberté ?
21
La victime est « le médiateur indispensable entre moi et moi-même ».38 Ce que
nous voulons dire dans cette interprétation des propos de Sartre, c’est que l’arrivée de
«l’autre », le tu ultime, va réguler ce « face à face », donner sens à notre identité
collective « secourir ensemble l’autre », et engager un « dialogue » 39 désormais au
profit d’autrui.
Nous allons dans cette troisième partie, regarder ensemble dans la même direction.
I - La place de la victime chez les sapeurs-pompiers
Les besoins des victimes ont subi, comme la société de nombreuses mutations.
Comprendre ces nouveaux besoins, sont les enjeux des SDIS de demain :
La victime nous apparaît comme source de l’exigence morale 40, la secourir est
devenue au fil des années le cœur de notre métier, le centre de nos préoccupations. Du
traitement de l’alerte au transport à l’hôpital, la victime prise en charge par les sapeurspompiers est considérée comme une personne, sa bonne prise en charge est plus que
jamais notre raison « d’être ».
Le visage de la personne en détresse m’oblige au respect.41Le respect que je dois à
autrui s’inscrit dans la juste distance nécessaire à l’action de secours et de soins.
Le visage de l’autre selon Levinas, fait naître en nous l’exigence éthique : « le tu ne
tueras point est la première parole du visage. Or c’est un ordre. Il y a dans l’apparition
du visage un commandement comme si un maître me parlait. Pourtant, en même temps,
le visage d’autrui est dénué ; c’est le pauvre pour lequel je peux tout et à qui je dois
tout. Et moi qui que je sois, mais en tant que première personne, je suis celui qui se
trouve des ressources pour répondre a l’appel ».
38
L’être et le néant, op.cit.
39
Martin Buber, op.cit.
40
Emanuel Levinas, Ethique et infini, biblio essais, le livre de poche, 2012
41
Emmanuel Levinas ibidem
22
Cette approche de Levinas sur ce commandement divin prend tout son sens dans notre
environnement de travail ; elle donne sens à nos actions réflexes de prompts secours ;
donne sens à notre responsabilité de service public ; elle donne sens à la mobilisation de
toutes les ressources nécessaires à la prise en charge optimale de cette victime.
La victime devient « le pauvre pour lequel je peux tout et à qui je dois tout», ces paroles
de Levinas expriment sa condition et nos obligations.
Notre approche de soignant nous permet d’affirmer que la prise en charge d’une
victime ne se limite pas à ce qui « apparaît » sur le visage, mais nécessite une démarche
d’action globale. Levinas nous explique que si l’on se tourne vers autrui comme un
objet on passe à coté de l’autre « ce qui est spécifiquement visage, est ce qui ne s’y
réduit pas ».
C’est là toute la difficulté des secouristes habitués à rechercher dans leur bilan, des
signes visibles d’une détresse vitale évidente, et peu aguerris à voir des signes plus
subjectifs « non dits », « non physiques », des personnes qu’ils rencontrent au
quotidien : « Le dire » exprimé par la victime est parfois non identifié par le secouriste.
La démarche clinique et l’empathie du soignant face aux « souffrances » de la victime,
permettent dans « cette double lecture » d’accéder à une connaissance de l’autre
différente de celle reconnue par le secouriste.
De nos jours, la victime à une identité sociale et des droits, elle est « le sujet » de
référentiels définissant l’organisation des secours en France. Fait sociétal nouveau qui
définit un statut de victime et une judiciarisassions possible des interventions.
Cette nouvelle conscience collective sur « l’état victime » influe sur notre
manière de traiter l’alerte et place la lecture sanitaire à coté de la lecture secouriste pour
superviser toutes les interventions de secours.
23
II - Le soin complémentaire de l’action de secours : de la place pour tous.
Les sapeurs-pompiers peu habitués à partager leur espace « action de secours »
ont compris tout l’intérêt du service de santé et de secours médical, dans la
compréhension du SAP. C’est seulement depuis les années quatre vingt dix, que des
infirmiers protocolés partagent le terrain des interventions et apportent « leur regard »
d’expert au coté des secouristes sapeurs pompiers.
L’action de secours en pré-hospitalier est depuis toujours un acte préalable à
l’action de soins.
Les secouristes interviennent pour réaliser des actions réflexes de prompt secours : « le
prompt secours se caractérise par une action de secouristes agissant en équipe et visant à
prendre en charge sans délai des détresses vitales ou à pratiquer sans délai des gestes
secouristes. Il est assuré par des personnels formés et équipés. Son intérêt réside dans
son caractère réflexe, il ne doit en aucun cas conduire à des actions relevant de la
compétence des SMUR des médecins généralistes et/ ou des ambulanciers privés voire
du simple conseil ». 42
Les infirmiers de sapeurs-pompiers s’intègrent dans la chaine des secours,
comme moyens spécifiques des SDIS. Ils exercent leur « art » sous la responsabilité
légale du médecin, chef du service de santé et de secours médical. Ils sont formés et
évalués chaque année à la mise en œuvre de protocoles infirmiers de soins d’urgence43.
Cette association qualitative « secouriste-soignant » apportée auprès de la
population par les sapeurs-pompiers, comblent le vide existant entre l’action secouriste
et la médicalisation pré-hospitalière des SMUR.44
Les infirmiers offrent une réponse adaptée à l’état de la victime dans l’attente ou non
d’une médicalisation.
42
circulaire no 151, du 29 mars 2004 relative au rôle des SAMU, des SDIS et des ambulanciers
dans l’aide médicale urgente, ministère de la Santé et ministère de l'Intérieur français.
43
Code de santé publique,
44
Perspectives, les cahiers scientifiques de l’ENSOSP, n°7,2012
24
III - La réponse adaptée, principe bienfaiteur de ce conflit
Sartre nous rappelle que l’essence des rapports, n’est pas la coopération mais le
conflit. Que les autres sont au fond, ce qu’il y a de plus important en nous même, pour
notre propre connaissance de nous même.45
Nous aborderons dans cette dernière partie tout le bien fait de ce conflit intérieur
dans la réponse adaptée, chacun accompagnant l’autre sur le chemin de la vérité.
Dans le conflit, « officier santé - secouriste » rapporté par notre population
ciblée, chacun est utile à l’autre, et permet à l’autre de se dépasser, de s’interroger.
La rencontre du Je et du tu devient réciprocité, apparaît alors l’égalité : le nous.
Nous sommes le « bourreau »46 de l’autre, qui permet à l’autre de voir son réel visage.
Nous sommes le miroir de l’âme de l’autre, nous lui permettons de se confronter à sa
propre réalité, à ses propres turpitudes. Nous lui montrons ses faiblesses, ses lacunes, et
ses incompétences. Nous le faisons douter.
Dans cet équilibre, il n’y a plus de lutte de pouvoir, il y a partage des informations et
des savoirs : l’un, donne à l’autre et réciproquement. Nous lui permettons alors d’être
meilleur, d’agir au plus juste en organisation réfléchie et libre.
Nous lui donnons confiance. Nous lui ouvrons des perspectives nouvelles : la liberté de
l’autre devient la mienne.
Nous lui permettons d’évaluer ensemble la situation de secours et d’apporter ensemble
« la » réponse la mieux adaptée à la situation.
Dans cette réciprocité nous partageons et portons ensemble la responsabilité de la
prise en charge des victimes.
45
Extrait audio de texte de Jean-Paul Sartre, huis clos, Groupe Frémeaux Colombini, SAS 2010
46
Huis clos, op.cit.
25
Conclusion
« L’approche éthique » de l’activité de travail des infirmiers de sapeurspompiers nous a permis d’apporter des connaissances philosophiques sur la réciprocité
« secouriste-soignant », binôme incontournable de notre organisation.
Nos lectures et nos réflexions nous ont permis de mettre en évidence, l’importance du
regard de l’autre dans la connaissance de soi. De mesurer l’impact de cette
« rencontre » dans la prise en charge de l’autre ultime : la victime.
Dans un premier temps, nous avons abordé le coté vicié de la relation à l’autre,
dans notre contexte de travail ; exploré le coté obscur « l’enfer » de cette relation, dès
lors que « l’autre » était désigné et employé comme un objet, et non comme un sujet
par l’institution.
Puis, nous avons mis en évidence que l’officier santé était maître de sa destinée et libre
de penser et d’agir, car il était reconnu dans son identité professionnelle et collective
d’infirmier de sapeurs-pompiers.
Enfin, nous avons établi tout le bienfait de ce « duel » « soignant-secouriste »
dans la prise en charge du secours à personne et compris que les sapeurs-pompiers
devaient « penser ensemble » leur pratique pour mieux la maîtriser.
C’est en apportant la réponse la plus adaptée aux victimes secourues, que les sapeurspompiers s’inscrivent dans leur époque et se positionnent dans le monde moderne.
Cette démarche éthique de cadre de santé nous a permis de donner du sens au « maux »,
de comprendre cette relation « spécifique», et désormais d’aborder cette activité sous un
autre regard.
26
Bibliographie
Loi du 3 mai 1996 n°96-369 : relative à l’organisation des services d’incendie et de
secours
Code Général des Collectivités Territoriales : Livre IV-Titre II-Chapitre IV :
article R1424-1 – L 1424- 2, R1424 24 -26, L1424-44.
Code de santé publique : Livre III - Titre I : relatif à la profession d’infirmier.
Buber Martin, Je et Tu, Aubier philosophie, 1938 (rééd.2012).
Donadieu Stéphane : « Spécificité du service de santé et de secours médical des services
d’incendie et de secours ». PERSPECTIVES n°7 les cahiers scientifiques de l’ENSOSP
édition 2012.
Dubrous Vincent, Deschin Jean-Pierre : « L’émergence des infirmiers en milieu sapeurpompier : approche historique et sociologique », PERSPECTIVES n°7 les cahiers
scientifiques de l’ENSOSP édition 2012.
Levinas Emmanuel, éthique et infini, biblio essais, le livre de poche, 2012.
Sartre Jean Paul, huis clos, Folio, Gallimard 1947.
Schindelholz Pascal, « l’identité infirmière existe-t-elle », Soins cadre, n°57, février
2006 savoirs et pratiques.