Jours de Kabylie de Mouloud Feraoun

Transcription

Jours de Kabylie de Mouloud Feraoun
Jours de Kabylie de Mouloud Feraoun
Editions de Bouchène.
Publié en 1954, à Alger, chez Baconnier.
« Il y des joies qui ne s’achètent pas, des plaisirs insoupçonnés, des bonheurs simples et
tranquilles dont il faut jouir en cachette. Ces joies, ces plaisirs, ces bonheurs, nous seuls les
connaissons lorsque nous allons le matin aux champs faire la cueillette de la rosée… »
Des extraits tirés du livre, pour mieux connaître, percevoir, comprendre…peut-être ?
Le village :
Spectateur immuable du va et vient continuel de ses enfants qui émigrent, notre village nargue
les prétentions impatientes et fatigue les longues espérances, il reste égal à lui-même.
Vocabulaire : agoudou : dépotoir public ou les ménagères viennent jeter les ordures.
La route est caillassée.
Le village a la couleur de la terre, tu es fait de terre.
La terre est saine, modeste et pure comme une paysanne pauvre mais de bonne naissance.
La djemaa des Ait-Flaine est aux hommes. Elle a son importance, son histoire et sa clientèle.
Elle n’appartient pas au quartier. Chacun se figure la posséder (tout seul). On vient y écouter
les vieux ou enseigner les jeunes. La djemaâ, c’est l’honneur de la Karouba.
D’ordinaire les hommes s’assoient sur les dalles, le dos appuyé aux murs, les genoux devant
la poitrine, les jambes et les pieds cachés sous les burnous. Attitude ramassée, comme
prisonnier d’une foule de préjugés auxquels on tient par-dessus tout, car la tête reste éveillée,
les yeux pétillent de malice. Les souliers sagement alignés par paires au pied des bancs.
En haut Djema-Tajemaït-ou-Fella
En bas Tajemaït-bouada.
Communistes et fascistes, les élections.
Dans les villes il y a trop de politiques. Mais au village il n’y en a pas !
Notre politique, c’est le pain. Il ne faut pas que la ville vienne nous empoisonner.
Il y a des siècles que ça marche, nous n’avons besoin de personne. Quel intérêt avons-nous ?
Abstention !
Ce serait la meilleure solution (peut être).
Au fond tout cela nous est égal !
Le village est marqué à l’encre rouge. On est renseigné d’avance sur nos intentions. La tribu
en face : des gens qui savent vivre. Ils ont l’eau, l’électricité, les écoles. Nous, par ici, rien.
Le marché :
Une fois par semaine un peu de distraction et de repos !
Six kilomètres à l’aller et au retour.
C’est instructif aussi. Car au village, on tourne en rond, à discuter sur des petites histoires, à
se chamailler pour des riens, à se donner beaucoup d’importance…
Sur la route c’est fini.
Le village, la maison, la famille, on ne les oublie pas mais ils sont relégués derrière une
grande toile bigarrée qui est l’image de la société.
Le marché de Tléta est un inextricable désordre, la traversée d’une inimaginable cohue, une
confusion d’appels, de cris et de bruits.
Des mules et des bourriquots s’ébrouent gaiement quand il fait beau, se flairent, se disent
leurs secrets, pétaradent et ruent. S’il pleut, ils baissent mélancoliquement les oreilles et
reçoivent les averses avec un pessimisme emprunt de dignité. S’il fait chaud, ils dorment
sagement debout, les oreilles horizontales, les yeux mi-clos, la tête alourdie de rêves obscurs ;
leurs longues queue qui vont et viennent tels des balanciers bien réglés…
(A la place d’éloigner les mouches).
Les boutiquiers affables restent portes ouvertes et s’exercent à connaître tous les noms des
fellahs, c’est leur manière d’attirer le client.
Des bœufs, des moutons, des chèvres …et selon les saisons du raisin écarlate des treilles, des
grenades, des oranges, des cerises et des poires. Les légumes pour les gens riches qui
viennent avec des couffins : choux fleurs, carottes, mange-tout…
Les villageois ne regrettent rien ils sont là pour vendre des oignons, des plants de salade, de
tomates, de courgettes ou des graines de citrouille, des poivrons piquants ou des graines de
navet…
Puis les vanniers sont là aussi, les brocanteurs, les marchands de nattes, les revendeurs de
vieilles casseroles, le fabricant de tamis, le soudeur et le savetier.
Des gosses s’incrustent et tendent des pigeons, des poules ou des coqs ailes et pattes liées.
Puis des montagnes de blé, d’orge, de fèves et de pois chiches.
Marchands de beignets, les cafés de plein air …font recette.
Le marché est aux hommes non aux femmes.
Il faut être audacieux et savoir risquer : regarder les gens sans sourciller, ne pas craindre, ne
pas rougir, être franc, honnête, il faut sauver la face.
Il paraît que dans l’ancien temps les femmes tinrent 7 jours et 7 nuits le marché sans réussir
de transactions, alors on les dispersa…
Maintenant elles ont la fontaine pour se livrer à leur bavardage …revenir à la maison sans
avoir gagné ni perdu.
La grosse emplette est la viande. C’est un luxe.
Les bouchers sont les plus retors des commerçants. Ce sont les rois du marché.
Avant de partir au marché les enfants disent au père « Dieu avec toi » et le soir à son retour
« Sois le bienvenu », deux formules inséparables, (au départ, nos souhaits t’accompagnent,
mais au retour prouve que tu mérites d’être bien reçu.).
C’est un habituel défi qu’on lance au responsable.
Les temps ont bien changé ! L’homme mécontent de son marché va s’enivrer dans les
gargotes, provoque les gens, se bat, se fait dépouiller puis rentre au village au milieu de la nuit
(on ne sait comment). Dans un cas pareil femmes et enfants n’ont rien à dire. Ils n’ont plus
qu’à se taire.
Les gargotes font beaucoup de mal.
Les femmes qui ne les connaissent pas les détestent par conviction et les hommes par esprit
de devoir.
Le bois de chauffe (chêne ou frêne).
Ce sont les vieilles qui s’en chargent.
Pas les jeunes sauf en compagnie de leur mari lui coupera 2 heures elle portera le fafot
pendant 1 heure. C’est la répartition des tâches.
L’homme ne porte pas. Ainsi les tâches sont réparties.
Les bergères (de chèvres).
Elles aiment leur troupeau et se sentent à l’aise dans le maquis sauvage parsemé de genêts aux
papillons d’or, de lavandes parfumées, de la myrte et d’autres espèces.
La chèvre n’est pas la vache du pauvre, elle n’est pas gênante, il lui faut peu de choses.
Dans certains villages la chèvre, on ne la met pas en troupeau elle est à la maison. Elle connaît
tous les siens. Les enfants jouent avec elle, avec les cornes…elle est parfois maltraitée par les
garçons.
Les chèvres peuvent compter sur leurs gardiennes dont l’unique souci est de s’assurer que les
ventres sont bien rebondis et que les mamelles soient bien gonflées.
La fontaine
Pour les jeunes filles car elles n’ont pas droit à la djemaa.
L’eau denrée rare, que l’on va chercher loin parfois. C’est notre faute car avant les kabyles
étaient éparpillés sur la crête et tous avaient à proximité sa petite source.
Mais ils se sont hissés au sommet et on fuie l’eau, maintenant ils sont condamnés à aller la
chercher : un ruisseau qui s’entête à vivre l’été, une source qui surgit d’un talus ou l’on a
aménagé une grossière cuvette, une vraie source ombragée de figuiers, de micocoulis ou de
vignes, dans le fond d’une pittoresque vallée , une fontaine classique avec son réservoir, son
bassin rectangulaire, ses robinets de cuivre , ses piliers de briques et sa courette dallée, la
fontaine de tout le monde ,construite il n’y a pas longtemps par un maçon français aidé par
tous les hommes du village.
L’eau pas en abondance, mais gratuite, fraîche et pure.
Les hommes ne vont pas à la fontaine. La règle transmise de génération en génération le veut
ainsi. Les femmes y sont à l’aise, elles remplissent les cruches. C’est un endroit gai. Chaque
femme à sa place (qui s’imposent, que l’on entoure, que l’on estime, des batailleuses, des
vaniteuses, des effacés). Les jours d’aïd elles se parent de leurs beaux habits et de leurs bijoux
et dansent et chantent…les hommes fêtent l’aïd à leur façon et autre part.
Les beaux jours
Lekhref est la saison des figues.
Le vœu Si-Mehammed (un chacal kabyle),le printemps, la verdure, le chant des oiseaux et le
murmure des sources…L’hiver, il pleut, il vente. Les orgues du Djurdura aspirent l’air glacé
de la mer et rendent un son lugubre.
L’été, la chaleur est acablante, le soleil fendille la terre mais il achève de mûrir l’épi et le
dessèche aussi. Le fellah n’a plus de soucis. Le midi il somnole sur les dalles froides de la
djemaâ, à la fraîcheur du matin ou du soir, il achève de régler ses comptes avec ses arbres et
ses cultures. En octobre dès le retour de la pluie il devra défricher, semer, labourer, semer.
Chacun mange jalousement ses poires, ses glands ou ses pommes de terre, mais les figues non
c’est un don de là-haut on partage avec les pauvres.
Un endroit respecté de tous dans le village est pour les pauvres, on y trouve : des figuiers, des
treilles, des cactus. Un endroit où par pudeur, riches et moins riches ne mettent jamais les
pieds. Pour la consommer, il faut la prendre par le pédoncule, essuyer le lait qui suinte et se
l’offrir tout entière, telle qu’Allah vous la donne.
Le cheikh
C’est un homme instruit, il ne saurait ni mentir, ni tromper. C’est un titre de noblesse qu’il
faut mériter. L’instituteur avait ce titre si il avait formé les meilleurs élèves…c’était un apôtre.
Classe d’initiation pour les petits qui ne savent rien.
Les grands élèves ont leur journal de classe et parfois correspondent avec des écoliers de
France. L’école du bled n’est plus un temple de sagesse mais une ruche active. Il existe des
écoles sans eau ni électricité. Des écoles délabrées et loin éloignées des centres. Des camions,
des taxis et même des autobus grimpent hardiment sur les crêtes, s’arrêtent près de l’école
(quelques mètres ou plusieurs kilomètres suivant le cas). L’isolement se fait moins sentir. Ce
ruban, tour à tour poudreux et boueux, étroit, mangé de broussaille, jamais bien entretenu, est
pourtant un lien suffisant, le lien tangible qui unit monde, rend possible les améliorations et
sensé les espoirs. Il existe de belles écoles en Kabylie, meublées, ayant eau, courant, garage
dans des villages.
L’instituteur du bled doit être plein d’assurance, ne doit pas être septique et il lui faut la foi.
C’est un missionnaire, donc un cheick.
Achevé d’imprimer à El-Baâh- Constantine Algérie 1990.
Christine lecompte.

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