Le présent extrait du roman Madame Bovary de Gustave Flaubert

Transcription

Le présent extrait du roman Madame Bovary de Gustave Flaubert
Le présent extrait du roman Madame Bovary de Gustave Flaubert nous décrit une scène nocturne
dans laquelle les deux personnages principaux s’imaginent respectivement leur vie future. Malgré
ce parallélisme apparent, la présentation narrative des deux rêves fait ressortir le désaccord
fondamental et irrémédiable entre les deux époux. Dans l’examen suivant, nous nous focaliserons
d’abord sur les personnages, thèmes et motifs qui traduisent l’incompatiblité entre les deux rêves,
puis nous analyserons le cadre narratif et la façon dont il contribue à opposer les deux protagonistes.
Plan détaillé
I. Analyse des rêves
1. parallélisme : esquisses d’une vie future (le futur se traduisant par le conditionnel en raison
d’un discours indirect libre au passé), visions d’un bonheur durable, voire éternel (« cela
durerait toujours », 18, « immensité de cet avenir », 35s., « les jours … se ressemblaient
comme des flots », 36s.)
2. incompatibilité fondamentale et systématique : Charles vs. Emma
a. les lieux : proximité (« une petite ferme aux environs », 8) vs. éloignement/exotisme
(« emportée … vers un pays nouveau d’où ils ne reviendraient plus », 21s., « forêts de
citronniers », 24, « On entendait … hennir les mulets, avec le murmure des guitares »,
27s., « maison basse … ombragée d’un palmier, au fond d’un golfe », 32s., « gondole », 33,
« hamac », 34)
b. les personnes qui figurent respectivement dans les deux rêves (le pronom « ils » ayant une
référence différente selon le cas, 17, 22s., 30ss.) : amour familial triangulaire (Charles–
Berthe–Emma) vs. amour-passion binaire (Emma–Rodolphe)
c. vie et valeurs bourgeoises vs. vie romanesque
a. travail/activité (« revenant de l’école à la tombée du jour », 5s., « Il se la figurait
travaillant le soir auprès d’eux … elle lui broderait des pantoufles ; elle s’occuperait du
ménage », 14ss.) vs. oisiveté/passivité (« elle était emportée », 21, « ils apercevaient », 23,
« On entendait », 27, « ils s’arrêteraient », 31, « Ils se promèneraient … ils se balanceraient en hamac », 33s., « leur existence serait facile », 34, « ils contempleraient », 35)
b. isotopie ‹ argent › (« mettre en pension, cela coûterait beaucoup », 7, « louer », 8, « Il en
économiserait le revenu, il la placerait à la caisse d’épargne … il achèterait des actions »,
9s., « établissement … état solide », 17s.) vs. absence totale de lexique relevant du domaine de l’économie ou des finances
g. douceur du foyer, intérieur de la maison (« sous la lumière de la lampe », 15, « ménage
… elle emplirait toute la maison », 16) vs. paysage et nature comme scènes de la vie,
extérieur (passim ; même la maison est décrite d’une perspective strictement externe,
32s.)
En somme: continuité par rapport à la vie actuelle dans le cas de Charles (qui cherche même à
refaire sa vie avec une fille paraissant comme une Emma idéalisée : « ressemblant à sa mère »,
13, « on les prendrait … pour les deux sœurs », 14, « talents … piano » comme motifs associés
à Emma, 12, « quelque brave garçon ayant un état solide » à l’imitation de Charles même, 17s.)
vs. rupture totale avec la vie actuelle dans le cas d’Emma –
II. Cadre narratif (enchâssement dans la situation intradiégétique actuelle): opposition réelle des
deux personnages, en dehors des conceptions différentes d’une vie future
1. absence de tout commentaire explicite du narrateur (distance narrative réduite), technique
typique de Flaubert ; en revanche, mise en évidence ‹ indirecte › d’une stricte complémentarité des personnages :
2. imagination de Charles présentée comme un processus rationnel (« il réfléchissait », 8) vs.
« rêves » (20) d’Emma
3. alternance, chassé-croisé des deux époux : l’un éveillé, l’autre dormant, la rêverie n’étant
possible que quand le conjoint dort (ou feint de dormir), absence de toute communication
ou d’échange (« tandis qu’il s’assoupissait à ses côtés, elle se réveillait en d’autres rêves », 20)
4. hypocrisie d’Emma (« elle faisait semblant d’être endormie », 19) représentant la tromperie
génerale d’Emma envers son mari (adultère) et le désir d’éviter au maximum le contact avec
son mari
5. inversion de l’encadrement des deux rêves : haleine de Berthe comme point de départ pour
la rêverie de Charles (« Il croyait entendre l’haleine légère de son enfant. Elle allait grandir
maintenant… », 4s.) vs. toux de Berthe qui interrompt la rêverie d’Emma (38) – pointe
ironique du texte : ronflement de Charles (39), le mari qui, loin de faire partie des rêves
d’Emma, les empêche et la fait revenir brutalement à la réalité