Formation de la citoyenneté en Espagne et rôle de la
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Formation de la citoyenneté en Espagne et rôle de la
La formation de la citoyenneté en Espagne et le rôle de la Franc-Maçonnerie Luis P. Martín Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand 2 La Franc-Maçonnerie espagnole et la difficile construction de la démocratie au début du XXe siècle La société maçonnique espagnole a été un des vecteurs de l’expansion de la conscience politique qui prônait une démocratisation de la société espagnole depuis le milieu du XIXe siècle. Cette quête vers la démocratie a connu des fortunes diverses et souvent frustrées (la période démocratique entre 1868 et 1874) ou incomplètes (dès l’instauration du suffrage universel en 1890). Pendant cette période, le libéralisme politique espagnol vit dans un contexte contradictoire qui est le résultat des ambiguïtés de la Constitution de 1876 et des pratiques politiques, notamment électorales, archaïques (le caciquisme). Ces contradictions vont marquer également la marche vers une démocratisation qui sera cautionnée par des facteurs multiples : retard économique, structures sociales arriérées, analphabétisme à grande échelle, main mise idéologique de l’Eglise, etc. La Franc-Maçonnerie va opérer à l’intérieur de ce cadre en tant que groupe de pression idéologique au sein des partis républicains, des sociétés de la libre-pensée, de groupes laïques, d’associations ouvrières et de sociétés féministes. Dans ce champ où le politique et l’associatif se touchent et qui montre une autre face de la société civile. Les loges seront donc un des secteurs de la société espagnole qui participera dans la construction de la société civile et, comme le prétendent les maçons de l’époque, de la démocratie. Or cette prétention ne fut qu’un vœu pieux dans la réalité politique. Par contre, c’est bien dans la consistance de son discours et dans la continuité des ses actions que la FM va jouer un rôle décisif quant à la diffusion de l’idéal démocratique. Précisément, en multipliant le champ associatif, coopératif et mutuel que la configuration social de la démocratie prendra tout son sens. C’est à dire un travail politique indissociable de l’exercice sociologique. Une des modernités de la FM espagnole se trouve-là. On a tout le droit de penser que dès cette époque une influence de Fouillé sur le concept organique de la société pénètre dans les loges espagnoles, lesquelles avaient une autre influence sur l’harmonisation sociale et l’organicisme social : le krausisme. La crise de la monarchie et nouveaux objectifs politiques Le XXe siècle débute en Espagne avec la perte de dernières colonies américaines. Cette déconvenue militaire et diplomatique, va provoquer une crise identitaire de la société espagnole qui aura une répercussion directe sur le régime politique. En effet, le libéralisme cherche à sortir de la crise en proposant des voies contradictoires. Un secteur dit « regénérationiste », considère que l’élargissement des bases sociales du système, c’est à dire l’intégration des partis d’opposition et de syndicats, est la seule issue possible pour la monarchie ; ceci nécessite donc l’élaboration d’une nouvelle loi électorale. Un autre secteur, représentant des intérêts de l’oligarchie qui ne veut rien toucher... L’évolution politique sera donc tendue, non seulement par les contradictions des partis du système, mais aussi par l’organisation et la mise en place des mobilisations communes entre républicains et socialistes qui vont lever le masque de ce libéralisme faussement démocratique. Dans ce contexte où s’entre mêlent, conflits ouvriers, guerre du Maroc, tragédies (Semaine Tragique de Barcelone, exécution de Ferrer), interventionnisme militaire, crise sociale et politique de 1917, la société maçonnique espagnole ne trouvera pas un espace politique propre. La dissolution de 1896 par le gouvernement conservateur de Cánovas del Castillo, qui accusait les francs-maçons de porter une aide aux indépendantistes cubains et philippins avait porté un coup fatal à l’Ordre et la reconstruction, sauf en Andalousie et en Catalogne, est très lente et sans l’éclat des années 1880-1890. Bref, la Franc-Maçonnerie n’est plus une référence en tant que sociabilité politique, mais conserve quelques atouts en tant que groupe d’influence auprès d’une opposition républicaine disparate et divisée. Cette position révèle une redéfinition de l’espace politique en fonction des sociabilités. A sa faiblesse numérique, la Franc-Maçonnerie va contrecarrer par une présence subtile, mais importante, dans les espaces sociopolitiques d’opposition. Ce fut donc à l’intérieur de cette mobilisation qu’on assiste à une dynamique vaste, plurielle et multi formelle qui a comme fondement la revendication d’une citoyenneté à la fois politique et sociale, mais aussi juridique. Cependant, cette revendication n’est pas séparée d’une pratique sociale du politique, de sorte que les francs-maçons espagnols construisent un espace de citoyenneté hors du régime. Les loges se posent en tant que lien de construction de cette espace et, avec d’autres compagnons de route, en tant qu’alternative pour une autre citoyenneté. A l’absence du pouvoir politique, maçons, républicains, anarchistes et socialistes répliquent avec la mise en place d’espaces sociaux et politiques innovants (écoles neutres et laïques, économats ouvriers, mutuelles, etc.). En fait, nous sommes à même de nous demander s’il n’y a pas un certain mimétisme entre la Franc-Maçonnerie el républicanisme radical espagnol. Celui-ci, posait les bases d’une proposition a michemin entre le libéralisme social et le socialisme et/ou l’anarchisme. Les bulletins maçonniques font écho de cette troisième voie et développent un débat fort intéressant autour des rapports entre le capital et le travail, de la formation de l’ouvrier, des rapports entre les patrons et les syndicats... En tout état de cause, on assiste à la mise en place d’un laboratoire social que laisse entrevoir l’application au niveau local du solidarisme ; c’est-à-dire, ce qui peut apparaître comme une citoyenneté sociale à la base d’une communauté. Au même temps, soit à titre individuel ou à titre officiel, francs-maçons et obédiences animent toute une série de groupes de pression afin de limiter les blocages émanant du pouvoir. Ces sont les ligues. En 1912, le Grand Orient Espagnol lance matériellement la Ligue Espagnole des Droits de l’Homme et permet la création de toute une structure à niveau provincial, dont les loges sont d’un appui fondamental. Le fait que le grand maître de cette obédience, le docteur Luis Simarro, témoigne de l’importance accordée à cette ligue dans la construction d’une citoyenneté politique. Les événements ont, malheureusement, donné raison à l’existence de la ligue, car les affaires, multiples et variées qu’elle a du affronter étaient à l’hauteur de la crise politique de l’Espagne. Après la guerre 14-18, et en accord avec le pacifisme juridique, les obédiences soutiennent la Ligue pour la Paix, appuient les accords internationaux sur l’arbitrage et le désarmement de la Société des Nations. A l’intérieur de l’Espagne, les combats pour la sécularisation de la société et à cause de l’activisme de l’Eglise catholique, aussi en 1913, alors que les grandes échauffourées anticléricales avaient diminué, le Grand Orient Espagnol met sur pied la Ligue Anticléricale, avec l’objectif de réduire le poids et l’influence du clergé. Cette ligue n’a pas trouvé l’écho nécessaire pour mener une mobilisation plus coordonnée. La Franc-Maçonnerie espagnole avait compris, depuis le XIXe siècle, l’importance de la presse comme moyen de communication mais surtout d’opinion. En 1915, le Grand Orient Espagnol avec le concours d’intellectuels, hommes politiques, journalistes et hommes d’affaires, créent la revue España, qui aura un retentissement très important dans les milieux politiques, tant les signatures faisaient autorité. Ceci fut accompagné par la création d’une association de presse, Prensa Libre et une maison d’édition LIF (Libertad, Igualdad y Fraternidad). Ces espaces de contestation ont été, à notre avis, des formes de construction d’une citoyenneté –certes marginales- mais qui a servi comme vecteur d’éducation politique, de prise de conscience... Par ailleurs, il est notoire que une grande partie de dirigeants de la République, sortiront de ces rangs, entre autres les francs-maçons. La 2 e République : sécularisation et laïcité La République de 1931 représente l’aboutissement de cette mobilisation citoyenne marginale. D’abord, par la modalité de son implantation : des élections municipales libres. Ensuite, par le travail de sape par les opposants à la monarchie bourbonienne, dès 1926. Donc cette République va essayer de porter la citoyenneté, d’abord à la Constitution et en suite à la société. Cependant, la fragilité du nouveau régime l’oblige à mettre en place certaines mesures de protection (la loi de défense de la République) qui réduisent le champ des libertés publiques... Ces contradictions montrent que l’équilibre de forces est encore sommaire pour les républicains. La léthargie apparente de l’oligarchie rurale, de l’Eglise et de l’Armée, a provoqué ces précautions. Par ailleurs, elles se dirigeaient aussi envers les extrémistes de gauche... Dans ce contexte, on perçoit un type de République certes démocratique, mais modérée, laïque et bourgeoise. C’est-à-dire, un modèle républicain à la fois social et centriste. Les rôle des francs-maçons sera fondamental dans la mesure où sa participation aux corps de l’État sera massive (dans la limite des possibilité démographiques de la FrancMaçonnerie dans les années 30, c’est-à-dire, pas plus de 5000 maçons). Déjà la présence de francs-maçons dans la rédaction du texte constitutionnel, aux différentes ministères, aux Congrès des Députés, dans les mairies, dans les préfectures, etc., signale clairement un apport humain considérable à la fabrication de la République. Ensuite, parce qu’ils se sont manifesté avec rigueur et méthode lors discussions parlementaires qui élaboraient les lignes de la citoyenneté politique : la loi d’orientation sur les ordres religieux et la loi de l’enseignement public, qui mettait en place officiellement l’école laïque et républicain. La portée de ces lois et les engagements politiques de certains maçons révèle plusieurs aspects importants. Le concept de citoyenneté est largement inspiré par la tradition républicaine française, mais il contient un aspect plus marqué vers la sécularisation de la société que vers une laïcité d’État. Dans les loges espagnoles des années 30, la tendance majoritaire va vers un nettoyage du religieux dans la sphère publique que vers une laïcisation de la société. Ceci montre une position modérée et réformiste. En fait, les maçons s’identifiaient davantage avec un radicalisme teinté de centrisme et, depuis les années 20, très pragmatique. Ceux qui accusent les loges de développer une laïcité doctrinaire se trompent. La crise du parti radical en 1934, à cause de son alliance avec la droite monarchique, est le reflet de cette modération idéologique. Par ailleurs, la scission de ce parti est le résultat des tensions au sein du Grand Orient Espagnol, précisément à cause de la dérive droitière des radicaux. Et le meneur de cette rupture n’est autre que le patron de la Franc-Maçonnerie andalouse, l’ancien grand maître : Diego Martínez Barrio. On peut considérer aussi la présence de positions contraires quant à la mise en place de cette citoyenneté républicaine. En effet, la Franc-Maçonnerie devient de plus en plus neutre –politiquement parlant- en tant donné la cacophonie des frères dans les différentes partis politiques. Le plus important problème demeurera irrésolu : faute de moyens budgétaire, la politique de laïcisation de l’école sera un fiasco. Or, même si le Grand Orient Espagnol propose que ce soient des frères qui remplacent les religieux dans les écoles de la Républiques, ce voeux n’a jamais dépassés la ligne d’une déclaration d’intention... Ce sera une citoyenneté aussi limité. En fait, un sentiment qui circule aussi dans les loges est précisément le manque de la portée de la laïcité dans la construction de la citoyenneté et dans l’encrage de la démocratie dans la société espagnole. La demande répétée de la part de certains francs-maçons d’un moratoire dans la course à la sécularisation et à la laïcisation, montre bien les craintes d’un retour du bâton. Comme ce fut le cas entre 1935 et 1936... La République avait besoin d’une citoyenneté et encore une citoyenneté républicaine, mais les identités étaient encore en voie de fabrication. Ce fut une de causes profondes de l’échec –relatif- d’une FrancMaçonnerie trop impliquée dans les corps et les institutions de la République et qui échoua avec elle. La guerre civile et le régime de Franco sonna la glas de toute idée de citoyenneté. La monarchie démocratique et l’absence maçonnique (1976-2004) La brutale répression pratiquée pendant la guerre civile contre les francs-maçons et l’acharnement du franquisme avec la Franc-Maçonnerie, en tant de bouc émissaire de la société espagnole, ont réduit à néant la présence maçonnique en Espagne jusqu’aux années 1980. Mais le plus grave a été que, par la suite, la recomposition maçonnique a été lente, dispersée et jalonnée de divisions entre maçons. Ce contexte peut servir d’explication à la nulle influence de la Franc-Maçonnerie dans le processus de la transition démocratique dès 1977, et encore moins dans la rédaction da la Constitution de 1978. Je parle, bien entendu, en tant qu’institution et en tant qu’association…, on ne peut pas écarter la possibilité d’une quelconque influence au niveau personnel mais, en tout état de cause, on peut dire que –mise à part l’instabilité actuelle des obédiences espagnoles- la Franc-Maçonnerie agit de moins en moins comme groupe d’influence et de plus en plus à travers de réseaux. Quoi qu’il en soit, ce repli montre bien deux aspects : le premier, que la faiblesse sociale et politique actuelle est le résultat de la répression et de la propagande franquiste qui a imprégné la société espagnole d’une méfiance chronique de tout ce qui touche de près ou de loin la Franc-Maçonnerie ; le deuxième, que les valeurs démocratiques et de la citoyenneté étant reconnus par la régime actuel, le rôle d’une Franc-Maçonnerie militante et combative, à l’image de celle du début du XXe siècle, semble n’avoir plus lieu d’être. La conclusion est paradoxale, car à une société espagnole, dorénavant, profondément démocratique, répond une Franc-Maçonnerie fragilisée et avec une très faible pénétration dans cette société. Mais disons-le autrement : l’absence de communication de la Franc-Maçonnerie espagnole dans une société de communication produit un silence qui peut s’interpréter par un déficit d’opinion. Quel est l’espace social d’une sociabilité sans opinion dans les démocraties d’opinion… ? Ceci se traduit également par l’inexistence d’une image : la Franc-Maçonnerie espagnole n’a pas su ou pu créer une image, même pas créer une image qui efface celle donnée par le franquisme… donc son rôle est dans l’ombre, dans la sphère privée. Est-ce une rupture avec la tradition maçonnique latine ? L’avenir nous le dira. Bibliographie Pedro ÁLVAREZ LÁZARO: La Masonería, escuela de formación del ciudadano, Madrid, Universidad Pontificia de Comillas, 1996. Leandro ÁLVAREZ REY: Aproximación a un mito: Masonería y política en la Sevilla del siglo XX, Sevilla, Servicio de Publicaciones, Ayuntamiento de Sevilla, 1996. Mª Dolores GÓMEZ MOLLEDA: La Masonería en la crisis española del siglo XX, Madrid, Taurus, 1986. Luis P. MARTIN (dir.): Les francs-maçons dans la cité. Les cultures politiques de la Franc-Maçonnerie en Europe, XIXe et XXe siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000. Luis P. MARTIN : « Franc-Maçonnerie et citoyenneté en Espagne au tournant du XIXe et XXe sicècles » in C. Gaudin et E. Saunier (dirs.) : Franc-Maçonnerie et Histoire. Bilan et perspectives, Rouen, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2003, p. 207-221. Pere SÁNCHEZ I FERRÉ: La Maçoneria en la societat catalana del segle XX, Barcelona, Edicions 62, 1993.