Vie et stabilité des cours d`eau

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Vie et stabilité des cours d`eau
CHAPITRE
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Vie et stabilité des cours d’eau
4.1 INTRODUCTION
Avant d’entreprendre toute action dans un cours d’eau, il est nécessaire de connaître les principes qui régissent sa vie, soit sa stabilité ou son érosion. Ce chapitre traite de :
1. la stabilité des cours d’eau en fonction de l’écoulement;
2. la stabilité des talus;
3. la détérioration par les glaces;
4. l’ensablement, l’envasement et la croissance de la végétation;
5. l’érosion dans les courbes.
4.2 STABILITÉ DES COURS D’EAU ET ÉCOULEMENT
4.2.1 Principes de base
La stabilité ou l’érosion d’un cours d’eau est un problème complexe qui dépend non seulement
du type de matériel qui compose le lit du cours d’eau et de ses vitesses d’écoulement, mais
aussi de la granulométrie des particules de sol dans le lit, la présence ou l’absence de cohésion
dans le sol, la présence ou l’absence de végétation, l’âge du cours d’eau ou du canal, la profondeur d’écoulement, la présence ou l’absence de matériel charrié par l’eau.
De façon schématique, un cours d’eau s’érode lorsque les forces d’arrachement provoquées
par l’écoulement sont plus grandes que les forces de résistance des particules de sol ou des
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agrégats qui forment le périmètre mouillé. Les forces d’arrachement sont le résultat des forces
de cisaillement provoquées par le gradient de vitesse de l’écoulement au contact de la paroi :
τ = − dV
dy
[4.1]
τ = taux de cisaillement (M/L T2 ou F/L2)
µ = viscosité dynamique du fluide (M/L T)
Le gradient de vitesse dV/dy comme le montre la figure 4.1 est très élevée au contact de la
paroi. Dépendamment de la forme du canal ou du cours d’eau (figure 4.2), la concentration des
courbes d’égale vitesse montre des gradients plus élevés en certains points du canal. Plus le
canal est étroit et plus les talus ou les parois font face à un gradient de vitesse élevé par rapport à
celui du fond. Dans le cas du canal rectangulaire étroit (figure 4.2d), les talus auront tendance à
s’éroder plus facilement que le fond et le matériel érodé aura tendance à se déposer au fond du
canal car les vitesses et le gradient de vitesse sont plus faibles.
Figure 4.1 Répartition des vitesses au--dessus d’une surface régulière.
Il existe plusieurs méthodes pour évaluer les limites où le processus d’arrachement est susceptible de s’amorcer :
1. Méthode des vitesses maximales
2. Méthode des forces d’arrachement
En se basant sur les principes énoncés précédemment où la force d’arrachement est fonction du
gradient de vitesse, il est facile de voir que, pour des conditions normales de section, cette force
d’arrachement sera fonction de la vitesse moyenne dans le cours d’eau. En effet, plus la vitesse
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a) canal trapézoïdal
b) canal triangulaire
c) canal semi--circulaire
e) cours d’eau naturel
d) canal rectangulaire étroit
Figure 4.2 Lignes d’égale vitesse dans différents types de sections d’écoulement
(Chow, 1959).
moyenne est grande, plus le gradient est normalement grand. Cette méthode considère qu’il y
aura érosion du cours d’eau lorsque la vitesse d’écoulement dépasse la vitesse maximale tolérable.
La méthode de la force d’arrachement considère qu’il y aura érosion du cours d’eau lorsque la
force d’arrachement provoquée par l’écoulement dépasse la résistance du sol ou du matériel
constituant l’interface avec l’écoulement.
Lorsque la vitesse dépasse la vitesse maximale ou que les forces d’arrachement dépassent les
forces de résistance, le fond du cours d’eau s’érode, le cours d’eau s’approfondie et nous parlos
de régression de fond.
4.2.2 La pente de compensation
La pente de compensation (Llamas, 1978) se définit comme la pente du cours d’eau où la quantité de matériel déposé correspond à celle érodée; c’est--à--dire que la section du cours d’eau a
un gain nul de sédiments. Cette perte correspond à la stabilité et elle est fonction du débit
moyen du cours d’eau et de la quantité de sédiments transportés.
Cette méthode arrive simplement à nous dire que si nous avons peu d’influence sur la pente du
cours d’eau (pente du terrain) et sur le débit moyen, le seul facteur que nous pouvons influencer est la charge de sédiments. Cette dernière provient de l’érosion des talus du cours d’eau ou
de l’érosion des sols environnants, qui est influencée par la régie des sols et des cultures.
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4.3 STABILITÉ DES TALUS
4.3.1 Pente des talus
La stabilité ou l’instabilité d’un talus est influencée par :
1. La résistance mécanique du sol
2. La résistance aux forces d’arrachement de l’écoulement
3. Le suintement des parois
4. Les glaces
4.3.2 Résistance mécanique des sols
En terme de mécanique des sols, un talus est stable lorsque les forces de cisaillement ou de
friction à l’intérieur du sol dans le plan de rupture sont plus grandes que la composante gravitationnelle de la masse de sol au--dessus de ce plan.
Les différentes situations limites peuvent être schématisées en deux catégories. La première
(figure 4.3a) représente les sols pulvérulents (sans cohésion) où les particules de sol roulent sur
le talus lorsque la pente est plus grande que l’angle de repos du matériel (la force de friction est
insuffisante). En général, cet angle se situe entre 30° et 37°.
Pour les sols cohésifs, la cohésion offre une résistance additionnelle à la friction. Le sol est
retenu en une masse et son effondrement survient suite à un mouvement de cette masse (figure
4.3b et 4.3c). Le premier cas (figure 4.3b) a son origine dans une pente trop forte, alors que le
second (figure 4.3c) est causé beaucoup plus par la profondeur du cours d’eau que par la pente
du talus. La rupture se produit selon le plan de la plus faible résistance.
Dans les argiles à forte porosité comme celles de la Plaine du St--Laurent, la teneur en eau de
saturation correspond à un état de plasticité élevée et à une faible résistance au cisaillement. En
général, les argiles de la plaine de Montréal ont, selon des essais effectués par J.P. Morin de
l’Université de Sherbrooke et par nous, des résistances au cisaillement très faibles à partir de
profondeur de 2 à 3 m. Cette situation accentue les possibilités du cas de la figure 4.3c si nous
excavons à des profondeurs supérieures à 2 ou 3 mètres.
Le calcul de la stabilité des talus dans de telles argiles s’effectue par les méthodes classiques de
rupture des talus par cisaillement.
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a) sol pulvérulent
b) sols cohésifs -- glissement ou rupture en coin
c) sols cohésifs -- rupture profonde selon le cercle de rupture
Figure 4.3 Effondrement des talus lorsque la stabilité mécanique n’est plus respectée.
4.3.3 Dégradation des pieds de talus
Dans les cours d’eau où la vitesse d’écoulement provoque des forces d’arrachement supérieures aux forces de cohésion et de friction du sol dans le pied du talus, ce dernier va s’éroder
comme présenté à la figure 4.4.
Comme le haut du talus offre en général une plus grande résistance à cause du type de sol ou de
l’armature racinaire, le haut du talus peut se retrouver momentanément suspendu au--dessus
du cours d’eau et il va se rupturer un jour ou l’autre. Le talus développe une verticalité qui n’est
pas stable mécaniquement et il va se dégradé par la suite selon le mode présenté à la section
précédente. Les racines des arbres aident généralement à la stabilisation des talus grâce au rôle
d’armature qu’elles jouent. Si des arbres avec un faible enracinement se trouvent sur le haut du
talus comme dans les situations de rupture de la figure 4.4, les arbres peuvent accentuer les
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problèmes de rupture à cause de leur poids additionnel et le moment qu’ils peuvent créer par
leur inclinaison.
Figure 4.4 Processus d’érosion du pied de talus et de sa rupture (adapté de Escarameia,
1998).
4.3.4 Suintement des parois
Lorsqu’une nappe suinte sur les parois d’un cours d’eau, les vitesses de filtration peuvent être
suffisamment grandes pour provoquer le phénomène de boulance (figure 4.5). Alors le cours
d’eau se dégrade selon le schéma de Hunter (1976) (figure 4.6). .
Figure 4.5 Phénomène de boulance du au suintement.
Ce phénomène se produit surtout dans les sables fins ou les limons. L’angle de stabilité du talus
pour de telles conditions est la moitié de l’angle de repos du matériel. Le moyen de contrôler ce
phénomène est de donner aux talus une pente suffisamment faible pour empêcher le phénomène de boulance ou d’installer un drain parallèle au cours d’eau qui intercepte cette nappe. La
deuxième solution est plus sûre que la première car elle est souvent très difficile à définir.
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Figure 4.6 Schéma de l’ensablement d’un cours d’eau à l’effondrement d’un talus par
suintement (Hunter, 1976).
4.3.5 Détérioration par les glaces
En hiver, une partie du talus gèle avec la lame de glace de la surface du cours d’eau pour former
un bloc monolithique. Lorsque le niveau d’eau baisse ou s’élève (figure 4.7) le morceau de
glace se rompt et déplace une partie du talus avec lui. Moins le sol est cohésif, plus ce phénomène pourra être important. Un moyen de minimiser ce phénomène est de construire les cours
d’eau les plus larges possibles avec une pente des talus la plus faible possible.
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Figure 4.7 Détérioration d’un cours d’eau par les glaces.
4.4 L’ENVASEMENT ET L’ENSABLEMENT
L’envasement, l’ensablement ou la croissance excessive de la végétation dans un cours d’eau
surviennent lorsque les vitesses d’écoulement sont trop faibles pour provoquer le transport des
sédiments et empêcher la végétation de croître ou encore lorsque la pente des cours d’eau est
plus faible que la pente de compensation.
En général, les sédiments déposés proviennent de trois sources :
1. de l’effondrement des talus;
2. de la charge de sédiments que l’écoulement en amont charrie;
3. de l’érosion des terrains riverains.
Les deux premières causes peuvent être corrigées à l’origine du problème par la création du
talus stables et l’aménagement d’un cours d’eau stable à l’amont. Quant à la dernière, elle est
difficile à corriger.
Nous pouvons minimiser le problème en créant des conditions favorables au transport des
sédiments qui pourraient se déposer mais en sachant que nous ne faisons que de déplacer le
problème vers l’aval. Autrement, il faut accepter l’envasement et considérer le curage régulier
comme la solution.
Pour qu’il n’y ait pas de dépôts dans les canaux, il faut, selon Poiré et Olier (1978) que la
vitesse moyenne ne descende pas au dessous de 0,20 m/s lorsque le limon est très fin et 0,40
m/s lorsque le limon est très sableux. Avec des eaux claires, une vitesse de 0,5 m/s à 0,9 m/s est
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suffisante pour éviter les dépôts et assez fortes pour empêcher la pousse des herbes qui peuvent
encombrer le lit et gêner l’écoulement. Schwab et al. (1966) considèrent que les vitesses minimales sont plutôt imprécises et que les vitesses de 0,6 à 0,9 m/s sont généralement suffisantes
pour prévenir la sédimentation. De même, une vitesse de 0,75 m/s serait suffisante pour prévenir la croissance de la végétation.
Quant à la végétation, une croissance contrôlée est bienvenue sur les talus car elle les protège
de l’érosion. Celle qui pousse dans le fond des cours d’eau est de type aquatique (joncs, quenouilles, etc.) et obstrue considérablement l’écoulement.
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Dans une courbe, le courant d’eau vient frapper le talus et concentre les grandes vitesses
d’écoulement près de la paroi. Ceci provoque une augmentation des forces d’arrachement sur
la paroi. Dans les courbes, lorsque l’écoulement rencontre un talus, il est dévié vers le talus
opposé (figure 4.8). Lorsque les vitesses sont suffisamment élevées pour provoquer l’érosion
des points faibles, le phénomène de ”méandrisation” s’amorce. Le patron d’écoulement dans
Figure 4.8 Écoulement dans une courbe et érosion du talus.
une courbe est différent de celui dans un tronçon droit. La figure 4.9 présente quelques points
importants qui peuvent être observés dans dans un cours avec méandres :
S le talweg (ligne de profondeur maximale) se retrouve proche de la partie extérieure de
la courbe saute d’un côté à l’autre du cours d’eau;
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S des dépôts de sédiments se forme dans la partie intérieure de la courbe;
S les plus grandes vitesses d’écoulement se situent généralement près de la ligne de talweg.
S le point d’inflexion est localisé au point où la la ligne de talweg traverse la ligne du centre
du cours d’eau.
Figure 4.9 Exemple de canal avec méandres (Escarameia, 1998).
La figure 4.10 présente la répartition des vitesses d’écoulement dans une section située au
point d’inflexion et au sommet de la courbe. Dans le cas du sommet de la courbe, les vitesses
sont très élevées au pied du talus et favorisent son érosion.
a) point d’inflexion
b) au sommet de la courbe
Figure 4.10 Répartition des vitesses d’écoulement dans une section située au point d’inflexion et au sommet de la courbe. Les vitesses sont présentées sous forme du
rapport de la vitesse par rapport à la vitesse maximale (adapté de Bathurst,
1979).
CONCLUSION
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4.6 CONCLUSION
C chapitre démontre que la stabilité d’un cours d’eau (section et talus) n’est pas un phénomène
simple à décrire. La stabilité générale d’un cours d’eau est fonction de la vitesse d’écoulement
ou de la force d’arrachement, ou de la pente de compensation alors que celle des talus est fonction de la stabilité mécanique du sol, de la résistance aux forces d’arrachement, de la résistance
au suintement et à la glace. De façon générale, nous pouvons dire que plus un cours d’eau est
large par rapport à sa profondeur, et que plus la pente des talus est faible, plus il est stable.
La connaissance et l’expérience des phénomènes reliés à la vie et à la dégradation des cours
d’eau devraient nous aider à aménager des cours d’eau plus stables.
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BIBLIOGRAPHIE
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