Full text - PDF - Canadian Tax Foundation

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canadian tax journal / revue fiscale canadienne (2013) 61 (supp.), 81 - 101
Pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire :
Supervision judiciaire de l’exercice
des pouvoirs de vérification
Guy Du Pont et Michael H. Lubetsky*
Précis
Les auteurs font état d’un sérieux problème de l’absence de recours des contribuables
canadiens lorsqu’ils sont confrontés à un comportement abusif, capricieux ou non
conforme à la loi de la part des agents du fisc. Quoique la Cour fédérale d’appel ait, sans
hésitation, proclamé la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt pour
déterminer la validité d’une cotisation, elle a également statué que cette Cour n’avait
pas la compétence voulue pour trancher des questions de procédures administratives.
La convergence de ces deux courants jurisprudentiels a eu pour conséquence que les
vérificateurs du fisc peuvent agir pratiquement en toute impunité.
Les auteurs soutiennent que l’intention du législateur n’était sûrement pas de donner
au fisc le pouvoir de victimiser les contribuables par le biais de vérifications abusives.
Les pouvoirs de surveillance et de contrôle des procédures administratives exercés par les
cours de justice existent précisément afin d’offrir aux contribuables une solution lorsque
le fisc exerce ses pouvoirs de manière impropre. Un examen des dispositions pertinentes
de la Loi de l’impôt sur le revenu confirme que la compétence conférée par le législateur
à la Cour canadienne de l’impôt sont suffisamment étendus pour inclure le pouvoir
d’annuler une cotisation émise à la suite d’une vérification abusive ou d’injustice dans le
processus d’établissement de cette cotisation. Les auteurs invitent les tribunaux à se
pencher sérieusement sur l’état actuel du droit et de prendre les mesures nécessaires
afin de remettre les pendules à l’heure.
Mots clés : Vérification n imposition n pouvoir n cotisation n appel
* De Davies, Ward, Phillips & Vineberg, S.E.N.C.R.L., Montréal (courriel : [email protected];
[email protected]). Nous tenons à remercier Nicolas X. Cloutier, Annemarie C. Geahel,
Marie-Thérèse Geahel, Kevin R. Speight, Sylvie Samson et Claudia Michaud pour leurs
commentaires éclairés et leur précieuse collaboration à la recherche. Les opinions exprimées
dans le présent article sont celles des auteurs uniquement.
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S o mm a i r e
Introduction
Aperçu du contrôle judiciaire d’un acte administratif
Contrôle judiciaire des décisions en matière de vérification
L’état insatisfaisant du droit
La recherche de solutions de rechange
Action en dommages-intérêts
Prohibition
Mandamus
Quo warranto
Prochains développements
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[traduction] Taxer, le pouvoir de détruire.
Juge en chef John Marshall, McCulloch v. State of Maryland (1819)
Introduc tion
Tant les tribunaux que les médias populaires ont documenté certaines causes où
l’exercice abusif de pouvoirs de vérification ou de cotisation a acculé des
contribuables à la faillite1. La récente (et toujours devant les tribunaux) cause
Leroux v. Canada Revenue Agency 2, par exemple, porte sur une vérification
« kafkaïenne » qui a duré 13 ans et au cours de laquelle, entre autres, les
vérificateurs de l’Agence du revenu du Canada (ARC) avaient saisi les documents
originaux du contribuable et les avaient déchiquetés, pour ensuite refuser les
déductions demandées par le contribuable au motif que ce dernier ne possédait
pas la documentation justificative adéquate. Les cotisations et procédures de
perception qui s’ensuivirent ont fini par entraîner la chute de l’important empire
commercial du contribuable.
Même si la plupart des agents du fisc sont consciencieux et jouent un rôle vital
dans l’administration du régime fiscal, des vérifications abusives peuvent
néanmoins se produire et ont effectivement lieu pour diverses raisons. Certaines
causes ont porté sur une malveillance personnelle envers un contribuable3,
1 En plus des jugements dont il est question dans le présent article, voir Paul Ryan, Quand le fisc
attaque : Acharnement ou nécessité (Montréal : Les Éditions La Presse, 2012), chapitre 6. Dans le
contexte provincial, le problème des vérifications abusives a également été soulevé dans le cadre
des consultations publiques sur le projet de loi no 107, qui instituait l’Agence du revenu du
Québec, substituée au ministère du Revenu Québec : voir « Consultations particulières et
auditions publiques sur le projet de loi no 107 — Loi sur l’Agence du revenu du Québec », dans
Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission des finances publiques, 22
septembre 2010, CFP-81, aux pp. 5-6, 9 et 13-14.
2 2012 BCCA 63, modifiant 2010 BCSC 865.
3Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403, autorisation de pourvoi en appel devant la
Cour suprême du Canada refusée, 27 janvier 2005, CSC dossier no 30739; et Chhabra v. The
Queen, 89 DTC 5310 (CF 1re inst.).
pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire  n  83
d’autres sur une confusion administrative de l’ARC (comme des documents perdus
ou des registres inexacts)4. D’autres encore ont simplement été le fruit d’une
formation ou d’une supervision inadéquates du vérificateur. Des mesures de
rendement fondées sur la perception, comme celle de l’« impôt généré par la
vérification » utilisée par l’ARC, qui incite les vérificateurs et leurs supérieurs à
trouver des façons créatives d’aller chercher autant d’impôt que possible chez leurs
« clients » ne peuvent qu’augmenter les risques de dérapage d’une vérification.
Malheureusement pour les Canadiens, la Cour d’appel fédérale (CAF) a, à
plusieurs reprises, miné les efforts des contribuables pour faire appel au pouvoir
de surveillance et de contrôle de la Cour à l’encontre de la conduite abusive,
capricieuse ou illégale d’agents de l’ARC dans le processus menant à l’établissement
d’une cotisation5. D’une part, la CAF a affirmé la compétence exclusive de la Cour
canadienne de l’impôt (CCI) dans la détermination de la validité de la cotisation,
tandis que, d’autre part, elle concluait que cette compétence exclusive ne
comprenait pas le pouvoir de se prononcer sur des questions de procédure menant
à l’émission de la cotisation établie.
Il résulte malheureusement de ces deux courants jurisprudentiels que les
vérificateurs de l’ARC peuvent généralement se permettre d’agir avec une impunité
à peu près totale. Ils peuvent proposer et établir des cotisations et de nouvelles
cotisations pour des montants substantiels d’impôt que la loi ou les faits ne
justifient pas. Ils peuvent faire durer une vérification pendant des années, faire des
demandes de renseignements importantes, répétitives et coûteuses et extorquer
des renonciations aux délais de prescription sous la menace de l’établissement d’une
cotisation immédiate. Ils peuvent, tout à fait gratuitement, présenter des demandes
inutiles à des banques et à des tiers, ce qui peut placer le contribuable dans
l’embarras et mettre ses sources de financement à risque. Pourtant, au Canada, un
contribuable ainsi visé ne dispose d’à peu près aucun recours en droit administratif
contre une ARC « sur le sentier de la guerre ». Au mieux, il peut, dans certains cas,
intenter une action en dommages-intérêts contre l’ARC, ce qui, comme on le verra
plus loin, représente une bien maigre consolation.
4Leroux, supra, note 2; Gallant c. La Reine, 2012 CCI 119 (le formulaire de l’ARC contenait des
erreurs qui avaient amené un contribuable à demander une déduction excessive); Agence du
revenu du Québec c. Groupe Enico inc., 2011 QCCS 1924 (cotisations gonflées résultant
d’importantes erreurs de calcul suivies de deux saisies qui n’auraient pas dû être effectuées).
5 Le présent article met l’accent sur les impôts et taxes visés par la législation fédérale relevant de
l’ARC et soumis à la supervision des tribunaux fédéraux. Les principes s’appliquent toutefois,
mutatis mutandis, aux impôts et taxes levés par les administrations fiscales provinciales, en
particulier au Québec, qui gère son propre régime d’impôt sur le revenu et de taxe de vente par
l’entremise de l’Agence du revenu du Québec (ARQ). La jurisprudence des cours du Québec
sur la supervision judiciaire de l’exercice des pouvoirs de vérification demeure très limitée et il
reste à voir si les principes adoptés par la Cour d’appel fédérale seront retenus par les cours du
Québec.
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Cela ne peut pas être l’état du droit. Le législateur n’avait sûrement pas
l’intention de permettre à l’agent du fisc d’ainsi victimiser les contribuables par
des vérifications abusives. Le pouvoir des tribunaux de contrôler les actes de
l’administration existe précisément pour assurer au contribuable un recours quand
un fonctionnaire exerce ses pouvoirs de façon inadéquate. En fait, un examen des
dispositions pertinentes de la Loi de l’impôt sur le revenu6 confirme que les
pouvoirs conférés à la CCI par le législateur sont certainement suffisamment
étendus pour inclure la compétence d’annuler une cotisation émise après une
vérification abusive ou un processus inéquitable. Il est plus que temps de corriger
le malheureux état actuel du droit.
Ap e r ç u d u co n t r ô l e j u d i c i a i r e
d ’ u n a c t e a d m i n i s t r at i f
Le contrôle judiciaire d’un acte administratif tire son origine d’anciens brefs de
prérogative où le roi ou la reine investissait un juge du pouvoir d’enquêter sur des
allégations de mauvaise conduite de la part de ses agents et de prendre des
mesures correctives 7. Aujourd’hui, cinq brefs (connus sous le nom de « brefs de
prérogative »)8 sont au cœur du contrôle judiciaire au Canada9 :
1.certiorari — pour demander à la cour d’annuler la décision ou l’action d’un
agent à cause d’une illégalité;
2.prohibition — pour demander à la cour d’empêcher un agent de prendre une
décision ou de poser un acte à cause d’une illégalité appréhendée10;
6 LRC 1985, c. 1 (5e suppl.), telle que modifiée (ci-après « la LIR ». À moins d’indication
contraire, les renvois législatifs dans cet article sont à la LIR. Le présent article met l’accent sur
la LIR, mais des arguments essentiellement semblables s’appliquent aux cotisations établies en
vertu de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c. E-15, telle que modifiée, et de diverses lois
fiscales provinciales.
7 Voir généralement S.A. de Smith, « The Prerogative Writs » (1951) 11:1 Cambridge Law
Journal 40-56. Il convient de noter que, traditionnellement, de telles procédures étaient
intentées au nom du Souverain et, au Royaume-Uni, qu’elles sont toujours intitulées « R. c.
[nom de l’agent ou de l’agence en cause] ex rel [nom du demandeur] ».
8 Le regroupement de l’habeas corpus, du mandamus, du certiorari et de la prohibition sous
l’appellation « brefs de prérogative » est relativement récent, le premier ayant été consigné
dans le jugement de Lord Mansfield, Rex v. Cowle (1759), 97 ER 587 (KB). Voir de Smith,
supra, note 7, aux pp. 53-56.
9 Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c. F-7, telle que modifiée, article 18(1). Voir généralement
Ian Holloway, « ‹ A Sacred Right ›: Judicial Review of Administrative Action as a Cultural
Phenomenon » (1993) 22:1 Manitoba Law Journal 28-71; et David Phillip Jones et Anne S. de
Villars, Principles of Administrative Law, 5e éd. (Toronto : Carswell, 2009), aux pp. 9-13.
10 La prohibition est étroitement liée au certiorari et, au Québec, les deux brefs ont été regroupés
en un seul recours, l’évocation avant jugement.
pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire  n  85
3.mandamus — pour demander à la cour d’ordonner à un agent de prendre
une décision ou de poser un acte qu’il est tenu de faire;
4.quo warranto — pour demander à la cour de destituer un agent d’une
charge publique à cause d’un défaut dans sa nomination;
5.habeas corpus — pour demander à la cour de libérer une personne détenue
illégalement.
Dans le contexte non criminel, le certiorari demeure le bref de prérogative le
plus fréquemment employé. Une requête en certiorari repose sur une certaine
forme d’illégalité alléguée dans le processus décisionnel de l’agent. Cette illégalité
peut viser soit le fond de la décision (c’est-à-dire que la décision était incorrecte en
droit ou déraisonnable à la lumière des faits), soit l’injustice du processus qui a
mené à la décision11.
Il convient de souligner que des violations de l’équité procédurale dans le
processus décisionnel peuvent vicier une décision par ailleurs correcte ou
raisonnable. Quand le pouvoir législatif donne à des représentants de l’État le
pouvoir de prendre des décisions, on présume qu’il veut que ce soit fait d’une
manière compatible avec l’équité procédurale, ce qui inclut, entre autres, le droit de
la personne directement visée par la décision d’être informée du processus et d’y
participer, et non qu’une décision soit contaminée par une crainte raisonnable de
partialité de la part du décideur, et celui d’obtenir une décision dans un délai
raisonnable.
Autrement dit, tout pouvoir conféré par le pouvoir législatif s’accompagne
d’une obligation de l’exercer d’une manière compatible avec l’équité procédurale;
l’exercice du pouvoir d’une manière incompatible avec l’équité procédurale peut
être contrôlé par les tribunaux. Comme l’expliquent Jones et de Villars :
[traduction] le droit administratif repose pratiquement en totalité sur deux maximes :
(a) le législateur est souverain; (b) le délégué à qui le législateur a conféré des
pouvoirs doit agir strictement à l’intérieur de sa compétence, et les tribunaux
détermineront si les actes du délégué sont ultra vires.
[…]
La prémisse implicite est que le législateur n’a jamais voulu que son délégué ne
respecte pas son obligation d’agir de façon équitable, ou qu’il tienne compte d’une
preuve non pertinente ou ignore la preuve pertinente, ou qu’il agisse de façon
malicieuse ou de mauvaise foi, ou de façon déraisonnable. […]
Même s’il est vrai qu’une violation de l’obligation d’agir de manière équitable
semble être une simple erreur procédurale commise après que le délégué a entrepris
d’exercer valablement le pouvoir que lui a conféré le législateur, il serait incorrect de
11 Pour un examen de la façon dont le certiorari en est venu à couvrir la révision d’actes abusifs,
commencer avec Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Police Commissioners, [1979] 1 RCS 311,
puis voir Jones et de Villars, supra, note 9, aux pp. 223-39.
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présumer qu’une telle erreur procédurale est d’une manière ou d’une autre moins
importante ou moins fondamentale qu’une tentative claire par le délégué de faire
quelque chose qui n’a absolument aucun lien avec le pouvoir qui lui a été conféré par
le législateur (par exemple, construire une autoroute plutôt qu’un parc). Depuis plus
d’un siècle, on a supposé que le législateur veut que les exigences procédurales de la
justice naturelle soient respectées par certains délégués, comme faisant corps avec le
pouvoir qui leur a été conféré; toute violation invalide la décision12.
Bien que de nombreuses parties de la législation contiennent des « clauses
privatives » visant à limiter, voire exclure la disponibilité du contrôle judiciaire,
les tribunaux interprètent depuis longtemps ces clauses de façon étroite et non
comme les privant de leur compétence13. Ils présument invariablement que,
nonobstant les clauses privatives, le pouvoir législatif n’autorise pas les
représentants gouvernementaux à ignorer les droits des membres du public sans
une supervision judiciaire importante.
Par ailleurs, les erreurs de l’administration ne donnent pas toutes lieu à un
recours; le pouvoir des tribunaux de revoir les décisions administratives est
discrétionnaire et la cour peut donc, dans les circonstances appropriées, refuser
d’accorder un recours même si une décision est viciée par quelque forme
d’illégalité14, comme dans le cas, par exemple, où une plainte concerne une
irrégularité procédurale mineure qui, en fait ou selon toute probabilité, n’a aucun
effet sur la décision ultime15.
Il faut noter que selon l’article 18 de la Loi sur les cours fédérales16, la Cour
fédérale (comme son prédécesseur, la Cour fédérale, Section de première instance,
collectivement) a compétence « exclusive » pour décerner un bref de certiorari, de
prohibition, de mandamus ou de quo warranto contre tout office ou tribunal
fédéral. La CCI n’a pas compétence pour émettre des brefs de prérogative.
12 Jones et de Villars, supra, note 9, aux pp. 248-50 (références omises) et généralement le
chapitre 8. Au Québec, l’article 2 de la Loi sur la justice administrative, LRQ, c. J-3 (ci-après
« la LJA »), a élevé cette présomption au niveau d’une obligation réglementaire expresse, en
prévoyant (inter alia) que les « procédures menant à une décision individuelle prise à l’égard
d’un administré par l’Administration gouvernementale, en application des normes prescrites
par la loi, sont conduites dans le respect du devoir d’agir équitablement ». L’article 79 de la Loi
sur l’Agence du revenu du Québec, LRQ, c. A-7.003 prévoit expressément que ces dispositions
de la LJA s’appliquent aux décisions de l’ARQ.
13 Jones et de Villars, supra, note 9, aux pp. 14-15 et 533-44.
14 Ibid., aux pp. 655-60.
15 Ibid., à la p. 659.
16 Supra, note 9.
pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire  n  87
Co n t r ô l e j u d i c i a i r e d e s d é c i s i o n s
e n m at i è r e d e v é r i f i c at i o n
Nulle part la LIR ne prévoit-elle expressément que les contribuables n’ont aucun
recours en droit public contre l’exercice abusif des pouvoirs de vérification par
l’administration fiscale17. C’est plutôt la convergence de deux courants
jurisprudentiels distincts qui fait obstacle au contrôle judiciaire des pratiques de
vérification abusives : essentiellement, selon le premier, les contribuables ne
peuvent contester la validité d’une cotisation devant la Cour fédérale; selon la
seconde, la CCI n’a pas compétence pour annuler une cotisation résultant d’abus
commis dans le cadre du processus d’établissement de celle-ci.
L’incapacité de la Cour fédérale à examiner la conduite d’agents du fisc qui a
mené à une cotisation découle de l’arrêt Parsons18. Dans cette cause, des
contribuables avaient agi comme administrateurs d’une société en activité. L’ARC
avait établi une nouvelle cotisation contre les administrateurs personnellement
pour l’impôt dû par la société sur la base de la responsabilité personnelle des
administrateurs en vertu de l’article 159 de la LIR. Les contribuables ont cherché
à faire annuler les nouvelles cotisations au moyen d’un certiorari au motif que
l’article 159 ne s’appliquait pas aux administrateurs de société et que les nouvelles
cotisations avaient donc été établies sans autorisation légale. Les contribuables
ont gagné leur cause devant la Cour fédérale, qui a conclu que la question
fondamentale de l’autorisation légale de l’ARC d’établir des cotisations19 demeurait
susceptible de contrôle judiciaire, nonobstant le processus d’appel statutaire créé
par la LIR. La CAF n’était pas d’accord et a conclu que la seule façon pour les
contribuables de contester les cotisations qui avaient été établies contre eux était
prévue aux articles 169 et suivants de la LIR20.
La CAF a cité Parsons dans Devor c. Canada (MNR)21, cause dons laquelle le
contribuable prétendait avoir été menacé de voir établir immédiatement une nouvelle
cotisation à moins de signer une renonciation à la période normale de cotisation.
L’ARC lui avait refusé un délai de 24 heures pour vérifier l’information contenue
dans les renonciations. Quand il eut découvert que les renonciations contenaient
des renseignements incorrects, les agents du fisc avaient refusé de les corriger.
De nouvelles cotisations furent ensuite établies, l’ARC reniant un engagement de
permettre au contribuable de faire valoir ses prétentions. Le contribuable
demanda l’annulation des nouvelles cotisations au moyen d’un certiorari et une
17 À noter qu’au Québec, une disposition limitant le contrôle judiciaire de décisions en matière de
vérification par l’administration fiscale provinciale est prévue à l’article 41 de la Loi sur
l’administration fiscale, LRQ, c. A-6.002. Cependant, les tribunaux doivent encore évaluer la
portée de cette disposition.
18 84 DTC 6345 (CAF); inf. 84 DTC 5329 (CF 1re ist.).
19 Ibid., à la p. 6346 (CAF).
20 Ibid.
21 93 DTC 5098 (CAF).
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injonction pour interdire toute autre cotisation. La CAF, infirmant la décision du
protonotaire et de la Cour fédérale, a accueilli une requête en irrecevabilité au
motif que la question de la validité et de la portée des renonciations pouvait être
entendue dans le cadre d’un appel statutaire de la cotisation devant la CCI 22.
La CAF a répété ses conclusions dans Optical Recording Laboratories Inc.23, où une
contribuable avait omis de s’opposer à une cotisation établie au milieu de l’année
ou encore d’en payer le montant, essentiellement parce qu’elle avait apparemment
été incitée par l’ARC à croire qu’il n’y avait aucune mesure à prendre avant la fin
de l’année d’imposition. Après que l’ARC eut entrepris des mesures de perception,
la contribuable demanda un certiorari à l’encontre de la cotisation et des moyens
de perception connexes, ainsi qu’une interdiction de toute mesure de perception
subséquente. La Cour fédérale, concluant que les questions en cause excédaient la
compétence d’appel de la CCI, accueillit la requête de la contribuable :
[traduction] Les questions en cause en l’espèce sont plus larges que des questions
liées aux avis de cotisation et vont au-delà de la portée de la disposition d’appel de la
Loi citée dans l’arrêt Parsons pour invoquer l’article 29 et refuser à la Cour d’exercer
sa compétence. Les problèmes en l’espèce soulèvent des questions d’illégalité
administrative fondamentale, de traitement inéquitable et d’estoppel qui engagent le
pouvoir de surveillance d’une cour supérieure justifiant ainsi l’intervention de la
Cour fédérale. […]
Les intimés, par un abus illégal de pouvoir et des incitations fausses, sont
clairement empêchés de tirer quelque avantage de leurs saisies-arrêts soudaines des
comptes du demandeur. Ils en sont à juste titre empêchés même en droit public et
même si l’avantage tiré ne vise pas un gain personnel mais concerne les fonds
publics. En l’espèce, la règle de l’estoppel se rapproche intimement de cette autre
règle générale et stricte de notre droit, ex turpi causa non oritur actio. Le ministre ne
peut être autorisé à mettre un contribuable dans une situation désavantageusement
préjudiciable en invoquant des moyens administratifs illégaux de sa propre invention,
qui placent illégalement le contribuable dans une position hautement vulnérable. Les
circonstances en l’espèce ne justifient pas la décision d’émettre des saisies-arrêts ni
les instruments eux-mêmes.
Les actions du ministre et de ses agents sont si entachées d’erreur de droit, de
conduite illégale, d’excès de compétence et d’attaque injuste sans avis raisonnable ou
avis quelconque, que ces décisions et ces actes contestés qui influent de façon
négative sur le requérant devraient, en toute justice, être annulés24.
22 Pour des causes où des contribuables ont fait valoir (sans succès), dans le contexte d’un appel
statutaire devant la Cour canadienne de l’impôt, qu’une renonciation devrait être déclarée nulle
car elle avait censément été obtenue à la suite de pressions inadéquates de la part d’agents de
l’ARC, voir, par exemple, Pearce c. La Reine, 2005 CCI 38; Nguyen c. La Reine, 2005 CCI 697;
McGonagle c. La Reine, 2009 CCI 168; conf. 2011 CAF 145; et Taylor c. La Reine, 2010 CCI 246.
Voir aussi Smerchanski c. Ministre du Revenu national, [1977] 2 RCS 23.
23 90 DTC 6647 (CAF), inf. [1987] 1 FC 339 (CF 1re inst.).
24 Ibid. (CF 1re inst), aux pp. 6471 et 6475.
pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire  n  89
Le premier juge a pris soin de souligner que cette annulation de la cotisation ellemême était « dissociable » du reste du jugement, si cet aspect particulier de la
décision était contraire à Parsons 25. Dans un tel cas, le reste du jugement qui
invalidait les divers moyens de perception et interdisait toute autre mesure de
perception tiendrait.
La CAF a cependant infirmé cette décision en totalité, concluant que tout
contrôle judiciaire d’une cotisation par la Cour fédérale ainsi que toute mesure de
perception connexe étaient interdits par le paragraphe 152(8) de la LIR, qui prévoit
qu’une cotisation est « réputée être valide » jusqu’à sa modification ou son
annulation lors d’une opposition ou d’un appel faits en vertu de la LIR.
Le courant jurisprudentiel Parsons a atteint sa conclusion logique dans Le
Procureur général du Canada c. Webster 26, où un contribuable avait déposé une
demande de contrôle judiciaire d’une cotisation pour inéquité procédurale dans le
processus d’opposition (essentiellement, le préposé aux appels avait omis de
divulguer des informations au contribuable, l’empêchant ainsi de faire des
déclarations adéquates). La CAF a infirmé le jugement de la Cour fédérale et rejeté
la demande de contrôle judiciaire27, au motif que le seul recours possible pour le
contribuable était un appel devant la CCI :
L’avocat de M. Webster a fait valoir que, si la Cour fédérale n’est pas compétente
pour statuer sur la demande de contrôle judiciaire qu’entendait présenter M. Webster,
son client serait privé d’un examen équitable de ses oppositions. Il est sans doute plus
exact de dire que, une fois achevée la procédure d’opposition, M. Webster serait
privé de la possibilité de soutenir devant la Cour fédérale, par demande de contrôle
judiciaire, que le ministre a l’obligation de conduire équitablement la procédure
d’opposition et que la procédure suivie dans son cas particulier n’a pas été équitable.
Cependant, le législateur s’est exprimé sur cette matière. Quels que soient les vices
ayant pu entacher la procédure d’opposition dans le cas de M. Webster, la décision
qui a résulté de cette procédure ne peut être contestée que d’une seule manière, par
un appel devant la Cour de l’impôt28.
La CAF a ajouté en obiter que la CCI n’avait également aucune compétence pour
annuler une cotisation pour des motifs d’équité procédurale et que, en conséquence,
un contribuable n’avait aucun recours de droit public à l’encontre d’une cotisation
établie de manière inéquitable :
J’ajouterais que le droit d’interjeter appel à la Cour de l’impôt à l’encontre d’une
cotisation n’est pas un droit négligeable. Le mandat de la Cour de l’impôt est de
25 Ibid., à la p. 6475.
26 2003 CAF 388, autorisation de pourvoi en appel devant la Cour suprême du Canada refusée,
19 décembre 2003, CSC dossier no 30095.
27 Le contribuable avait déposé une requête en prolongation du délai de dépôt de sa demande de
contrôle judiciaire, qui était l’objet à caractère procédural de l’arrêt Webster.
28 Supra, note 26, au paragraphe 20.
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dire, à la suite d’un procès au cours duquel les deux parties auront la possibilité de
produire des documents et des témoignages, si les cotisations visées par l’appel sont
valides ou invalides en droit. Si les cotisations sont invalides en droit, il n’importera
pas de savoir si la procédure d’opposition était viciée. Si elles sont valides, elles
subsisteront quand bien même la procédure d’opposition serait viciée29.
La Cour suprême du Canada (CSC) a refusé la demande d’autorisation de pourvoi,
de sorte que Webster fait aujourd’hui jurisprudence sur la non-disponibilité du
contrôle judiciaire par la Cour fédérale de cotisations établies par l’ARC.
Les dicta que la CAF avait formulés dans Webster, selon lesquels la CCI n’a pas
compétence pour évaluer les « lacunes » du processus de cotisation, ont été
confirmés par la CAF dans Main Rehabilitation30, une cause dans laquelle une société
en appelait d’une cotisation établie après « une vérification effectuée de mauvaise
foi et constituant un abus de pouvoir » sur la foi de faux renseignements fournis
par un actionnaire mécontent qui était un ami du superviseur du vérificateur.
Invoquant l’abus de procédure, le contribuable demandait la « suspension » de la
cotisation. La CAF a confirmé une décision de la CCI cassant l’appel, au motif qu’il
était « évident et manifeste que la Cour de l’impôt n’a pas compétence pour statuer
qu’un avis de cotisation est nul parce qu’il constitue un abus de procédure31 ».
Encore une fois, la CSC a refusé la demande d’autorisation de pourvoi32.
29 Ibid., au paragraphe 21.
30 Supra, note 3. Voir également Milliron c. Canada, 2003 CAF 283, et Sinclair c. Canada, 2003
CAF 348.
31 Main Rehabilitation, supra, note 3, au paragraphe 6.
32 Main Rehabilitation a appliqué Taylor v. The Queen, 95 DTC 591 (CCI), conf. 97 DTC 5120
(CAF), autorisation de pourvoi en appel devant la Cour suprême du Canada refusée [1997] 3
RCS xiv. La cause Taylor porte sur un fonctionnaire municipal accusé d’avoir détourné environ
500 000 $. La publicité entourant cette affaire avait entraîné une vérification fiscale dans le
cadre de laquelle des agents du fisc avaient déclaré à répétition au contribuable que s’il plaidait
coupable et restituait les sommes en question, il ne serait pas imposé sur celles-ci ni sur les
intérêts et pénalités correspondants. Le contribuable avait donc plaidé coupable et avait fait
l’objet d’une ordonnance de restitution. L’ARC avait ensuite renié ses promesses et établi une
nouvelle cotisation au contribuable pour le plein montant des sommes volées, plus les intérêts
et pénalités. Dans cet appel devant la Cour canadienne de l’impôt, le contribuable a demandé à
la cour d’annuler la nouvelle cotisation sur la base de la théorie de l’estoppel promissoire. La
Cour canadienne de l’impôt, tout en concluant que les conditions essentielles de l’estoppel
promissoire étaient réunies, a refusé d’annuler la cotisation au motif que l’obligation de payer
l’impôt relève de la LIR, que le ministre a une obligation, prévue au paragraphe 152(1),
d’établir une cotisation en conséquence, et, partant, que la doctrine de l’estoppel est donc
inapplicable à la question des impôts (ibid., à la p. 596 (CCI)). La Cour d’appel fédérale a
réaffirmé cette conclusion dans un bref jugement oral et la Cour suprême du Canada a refusé
l’autorisation de pourvoi en appel.
Une discussion de la théorie de l’estoppel en droit public et de la réticence observée dans la
jurisprudence à étendre ce recours en matière d’impôt dépasse la portée du présent article. Voir
cependant Goldstein v. The Queen, 96 DTC 1029 (CCI) et sa progéniture; Greg Weeks, Estoppel
pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire  n  91
Les conclusions formulées par la CAF dans Main Rehabilitation ont été reprises
par la cour dans Superior Filter Recycling Inc.33 ainsi que dans Luciano34, cause dans
laquelle le contribuable prétendait (inter alia) que l’agent des appels de l’ARC avait
omis d’effectuer une enquête adéquate et de rectifier des erreurs flagrantes dans
son dossier. La CAF a récemment réitéré Main Rehabilitation dans Ereiser 35, cause
dans laquelle où les agents du fisc ont sciemment proposé (et ensuite établi) une
nouvelle cotisation gonflée dans le but de contraindre le contribuable à plaider
coupable aux accusations criminelles, et ce, même si aucune poursuite criminelle
n’a jamais été intentée.
Depuis Main Rehabilitation, la CCI a répété qu’elle n’a aucun pouvoir d’accorder
réparation en cas de conduite abusive de la part d’agents du fisc qui ont mené à
l’établissement d’une cotisation, peu importe la gravité de l’inconduite36. Ainsi,
dans Faber c. La Reine, la CCI a radié les allégations d’inconduite potentiellement
très graves de la part des vérificateurs et autres fonctionnaires responsables du
dossier présenté par le contribuable :
À la partie F de l’avis d’appel, sous la rubrique [traduction] « Motifs que l’appelant
entend invoquer », tel que cité dans les paragraphes 49 à 55, inclusivement, [sic]
constituent une plainte relative à la conduite de l’équipe de vérification de l’ARC et
d’autres fonctionnaires de l’ARC y compris ceux de la section des appels et du service
de la perception, qui sont accusés de profilage racial, d’intention malveillante, de
harcèlement et de violation de confidentialité. Aucun de ces paragraphes ne contient
un quelconque élément susceptible d’influer sur la validité des avis de cotisation
établis relativement aux années d’imposition en cause37.
and Public Authorities: Examining the Case for an Equitable Remedy, University of New South
Wales Faculty of Law Research Series 2010, Working Paper 70 (Sydney : University of New
South Wales Faculty of Law, décembre 2010) (http://law.bepress.com/unswwps-flrps10/art70;
Glen Loutzenhiser, « Holding Revenue Canada to Its Word: Estoppel in Tax Law » (1999),
57:2 University of Toronto Faculty of Law Review 127-64; et Shafmaster v. United States, dossier
no 12-1726 (1st Cir. 2013).
33 2006 CAF 248.
34 2008 CAF 26.
35 2013 FCA 20.
36 Voir, par exemple, Santerre c. Canada, 2005 CCI 606, au paragraphe 15 : « Il est clair que la
façon dont le dossier de l’appelant a été traité est déplorable et qu’il faut bien reconnaître une
certaine négligence de la part des autorités fiscales à cet égard. Je comprends que l’appelant
puisse considérer qu’il a été traité injustement. Toutefois, je ne suis pas en mesure de lui
accorder la réparation demandée, soit l’annulation des cotisations. ». Cela dit, certains juges de
la Cour canadienne de l’impôt sont d’avis que le comportement flagrant dans le cours d’une
vérification par l’administration fiscale pourrait avoir une incidence sur une éventuelle
ordonnance pour les dépens en appel, quoique la discussion sur l’exactitude de cette théorie
soit ouverte. Voir Landry c. La Reine, 2009 CCI 399; inf. 2010 CAF 135.
37 2007 CCI 177, au paragraphe 17.
92  n  canadian tax journal / revue fiscale canadienne
(2013) 61 (supp.)
De plus, dans Hardtke38, la CCI a examiné le cas d’un contribuable qui demandait
l’annulation d’une cotisation établie uniquement après un délai inhabituel et
injustifiable qui non seulement avait entraîné l’accumulation d’intérêts substantiels,
mais avait également empêché le contribuable de se défendre lui-même parce que
ses documents comptables informatisés avaient été altérés par le temps. La CCI,
citant Webster et Main Rehabilitation, a radié les prétentions liées au délai dans
l’établissement de la cotisation39.
L’ é tat i n s at i s fa i s a n t d u d r o i t
Avec déférence, l’interprétation étroite des pouvoirs de la CCI faite par la CAF n’est
pas compatible avec la compétence conférée à la CCI par la LIR.
Le pouvoir de l’ARC d’établir des cotisations est prévu à l’article 152 de la LIR,
qui se lit comme suit :
152(1) Le ministre, avec diligence, examine la déclaration de revenus d’un
contribuable pour une année d’imposition, fixe l’impôt pour l’année, ainsi que les
intérêts et les pénalités éventuels payables et détermine :
a) le montant du remboursement éventuel auquel il a droit en vertu des
articles 129, 131, 132 ou 133, pour l’année;
b) le montant d’impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2),
122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) ou (3), 125.4(3), 125.5(3), 127.1(1), 127.41(3) ou
210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en
vertu de la présente partie pour l’année.
[…]
(4) Le ministre peut établir une une cotisation, une nouvelle cotisation ou une
cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que
les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la
présente partie ou donner avis par écrit, qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à
toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition.
Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de
nouvelle cotisation au contribuable pour l’année que dans les cas suivants [liste des
exceptions omise].
Bien que l’obligation d’un contribuable de payer l’impôt découle directement
de la LIR elle-même et non d’une cotisation en soi40, l’établissement d’une
cotisation est un acte administratif qui a des conséquences juridiques importantes,
dont celle de soumettre un contribuable à des mesures de perception statutaire
aussi bien qu’à un déclenchement du calcul du délai de prescription prévu pour
présenter une opposition ou se pourvoir en appel. C’est la LIR qui définit et
38 2005 CCI 263.
39 La Cour d’appel fédérale est arrivée à une conclusion semblable peu de temps après dans
Lassonde c. Canada, 2005 CAF 323.
40 Voir le paragraphe 152(3).
pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire  n  93
circonscrit le pouvoir de l’ARC d’établir des cotisations (et donc de ne pas avoir à
poursuivre les contribuables au civil pour l’impôt impayé).
La LIR ne prévoit pas expressément qu’une cotisation ne peut être établie
qu’après une enquête procédurale équitable des faits par l’ARC, mais une telle
exigence est réputée être présente dans tous les octrois de pouvoirs41. Il doit être
présumé que l’intention du législateur n’est pas d’habiliter les fonctionnaires à
exercer leurs pouvoirs de façon abusive sans faire cas des droits du contribuable.
L’équité exigée de l’ARC dans l’établissement d’une cotisation varie selon la
portée de l’examen effectué et de la différence d’avec la position du contribuable
dans sa déclaration. L’ARC jouit d’une vaste discrétion pour décider de la portée de
l’examen de la déclaration d’un contribuable donné et elle peut légitimement
décider (ce qu’elle fait dans la plupart des cas) de s’abstenir d’effectuer une
enquête approfondie et de procéder qu’à une simple vérification des calculs42.
Cependant, si l’ARC conteste la déclaration d’un contribuable, elle est tenue de
fournir une explication et, notamment pour les redressements importants,
d’effectuer les enquêtes appropriées et de permettre au contribuable de faire valoir
son point de vue. En termes simples, l’ARC n’a pas le pouvoir, en vertu de la LIR,
d’établir des cotisations sans respecter l’équité procédurale.
Les articles 169 et 171 de la LIR confèrent à la CCI la compétence d’annuler ou
de modifier une cotisation :
169(1) Lorsqu’un contribuable a signifié un avis d’opposition à une cotisation,
prévu à l’article 165, il peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt
pour faire annuler ou modifier la cotisation [soulignement des auteurs] :
a) après que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle
cotisation;
b) après l’expiration des 90 jours qui suivent la signification de l’avis
d’opposition sans que le ministre ait notifié au contribuable le fait qu’il a annulé
ou ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;
[…]
171(1) La Cour canadienne de l’impôt peut statuer sur un appel :
a) en le rejetant;
b) en l’admettant et en :
(i) annulant la cotisation,
(ii) modifiant la cotisation, ou
(iii) déférant la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle
cotisation [soulignements des auteurs].
41 En fait, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt-clé Johnston v. MNR, [1948] SCR 486, à la p.
490, parle de l’obligation de l’ARC de divulguer des conclusions de fait et de droit précises à
l’appui d’une cotisation : « [traduction] On doit évidemment supposer que la Couronne,
comme elle en a l’obligation, a entièrement divulgué au contribuable les conclusions de fait
précises et les décisions juridiques qui ont suscité la controverse. »
42 Voir, par exemple, Provincial Paper, Limited v. MNR, 54 DTC 1199, à la p. 1201 (Cour de l’É.).
94  n  canadian tax journal / revue fiscale canadienne
(2013) 61 (supp.)
Les articles 169 et 171 de la LIR indiquent clairement que la compétence de la CCI
concerne la cotisation et non simplement l’impôt à payer sous-jacent. Rien dans
les articles 169 ou 171 de la LIR ne prévoit qu’un appel d’une cotisation devant la
CCI est limité aux questions de fond et nulle part ces articles n’excluent-ils la
compétence de la CCI d’annuler une cotisation établie illégalement à cause d’un
processus abusif.
Selon le paragraphe 152(8) de la LIR, « [s]ous réserve des modifications qui
peuvent y être apportées ou de son annulation lors d’une opposition ou d’un appel
fait en vertu de la présente partie et sous réserve d’une nouvelle cotisation, une
cotisation est réputée être valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de
forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s’y
rattachant en vertu de la présente loi ». Cette disposition renforce la compétence
exclusive de la CCI de se prononcer sur la légalité d’une cotisation, mais elle ne fixe
cependant aucune limite à cette compétence.
L’article 166 de la LIR prévoit qu’une cotisation « ne peut être annulée ni
modifiée lors d’un appel uniquement par suite d’irrégularité, de vice de forme,
d’omission ou d’erreur de la part de qui que ce soit dans l’observation d’une
disposition simplement directrice de la présente loi ». L’utilisation du terme
« directrice » confirme que cette disposition met les cotisations à l’abri des
contestations fondées sur des vices de forme ou de procédure qui ne portent pas
substantiellement préjudice au contribuable43. Cependant, compte tenu de son
libellé même, cette disposition ne s’applique pas aux erreurs de procédure qui
causent un préjudice à un contribuable et qui représentent un écart important par
rapport à la volonté du législateur que la perception des impôts se fasse d’une
manière ordonnée et dans le respect des droits fondamentaux du public. Une telle
nouvelle cotisation peut présumément être annulée ou modifiée lors d’un appel.
Par conséquent, et avec égards pour la jurisprudence de la CAF à l’effet
contraire, la CCI a clairement compétence pour annuler une cotisation établie en
violation de l’équité procédurale. Une telle cotisation, même si elle est correcte
quant au fond, n’est pas autorisée par la LIR et peut être annulée par la CCI lors
d’un appel par l’application des mêmes principes que ceux qui sont utilisés dans
une demande de certiorari.
En fait, dans Parsons, la CAF a formulé des commentaires à cet effet même dans
ses dicta :
[traduction] Le savant juge de première instance a conclu, en l’espèce, que
l’article 29 ne privait pas la Section de première instance de la compétence
d’accueillir la requête déposée par les requérants en vertu de l’article 18 de la Loi sur
les Cours fédérales parce que, à son avis, l’appel prévu dans la Loi de l’impôt sur le
43 Voir The Queen v. Ginsberg, 96 DTC 6372 (CAF), autorisation de pourvoi en appel devant la
Cour suprême du Canada refusée, 20 février 1997, CSC dossier no 25520; Kyte v. The Queen,
97 DTC 5022 (CAF).
pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire  n  95
revenu était limité aux questions de « montant et responsabilité » tandis que la
demande des requérants soulevait la question plus fondamentale de la compétence
législative du ministre d’établir les cotisations en vertu de la loi. Nous ne pouvons
être d’accord avec une telle distinction. Le droit d’appel accordé par la Loi de
l’impôt sur le revenu n’est soumis à aucune limitation de la sorte44.
L a recherche de solutions de rechange
À cause du courant jurisprudentiel Webster-Main Rehabilitation, les contribuables
qui cherchent à obtenir réparation en cas d’exercice abusif de pouvoirs statutaires
de vérification et de cotisation ont dû intenter d’autres recours (dont les actions en
dommages-intérêts et autres recours en droit public) qui, dans de nombreux cas,
sont tout simplement inadéquats.
Action en dommages-intérêts
Au cours des dernières années, les tribunaux ont entendu un certain nombre de
causes civiles contre le gouvernement au titre des dommages résultant de la
conduite abusive d’un vérificateur. Certaines de ces poursuites ont été accueillies
et ont même donné lieu à l’octroi de dommages-intérêts exemplaires45. Toutefois,
comme un grand nombre de ces poursuites concernent, en totalité ou en partie,
l’illégalité d’une cotisation, l’ARC a été en mesure d’y résister en invoquant la
compétence exclusive de la CCI.
Dans Roitman 46, par exemple, un contribuable prétendait essentiellement que
l’ARC l’avait menacé d’une cotisation substantielle pour lui arracher un règlement
dans lequel il avait reçu une cotisation pour de l’impôt qui, en fait, n’était pas
exigible en vertu de la LIR. Comme, dans le cadre du règlement, le contribuable
avait renoncé à son droit d’appel devant la CCI, il avait alors intenté une poursuite
en dommages-intérêts devant la Cour fédérale. La CAF, infirmant la décision du
premier juge, a accueilli une requête en radiation de l’action, au motif que comme
le bien-fondé de la cotisation était au cœur même de la demande, seule la CCI avait
compétence exclusive pour entendre l’appel47.
À la suite de Roitman, un contribuable qui veut intenter une poursuite en
dommages-intérêts relativement à la conduite d’une vérification doit généralement
soit concéder le bien-fondé de la cotisation en cause, soit demander d’abord
44 Parsons, supra, note 18 (CAF), à la p. 6346.
45 Voir Chhabra, supra, note 3; Longley v. Canada (Minister of National Revenue), 1999 CanLII 5750
(BCSC); conf. 2000 BCCA 241; et Joncas c. Agence du revenu du Québec, 2012 QCCQ 5096.
46 2005 CF 1385, inf. 2006 CAF 266, autorisation de pourvoi en appel devant la Cour suprême du
Canada refusée, 7 décembre 2006, CSC dossier no 41274.
47 La Cour d’appel fédérale a cependant suggéré que c’est dans le cadre d’un appel devant la Cour
canadienne de l’impôt que le contribuable aurait dû demander d’écarter le règlement intervenu.
96  n  canadian tax journal / revue fiscale canadienne
(2013) 61 (supp.)
l’annulation de la cotisation à la CCI 48. Cette exigence, en plus d’entraîner un
dédoublement des procédures, risque de dresser des obstacles quasi insurmontables
dans une grande variété de poursuites pour conduite abusive potentiellement
fondées en droit. Par exemple, si une cotisation abusive entraîne la faillite d’un
contribuable (ou la faillite d’une société dont il est un actionnaire clé) et que le
syndic de faillite choisit de ne pas en appeler de la cotisation, un contribuable
n’aura peut-être aucun moyen d’alléguer et de prouver l’invalidité de la cotisation.
C’est bien ce qui semble s’être produit dans Swift 49.
En outre, la jurisprudence demeure incertaine quant à la gravité de la faute
requise de la part des agents du fisc pour justifier une action en dommages-intérêts.
Alors que, selon certaines jurisprudences, la simple négligence est suffisante50,
dans d’autres causes, la Cour a conclu que le contribuable doit prouver la
malveillance ou la conduite volontairement illégale (ce qui pourrait inclure la
conduite avec indifférence téméraire quant à sa légalité)51. En plus de soulever
fréquemment de sérieux obstacles en matière de preuve, le degré plus élevé de
faute permet au fisc d’échapper à la responsabilité pour les dommages — quelque
catastrophiques qu’ils soient — résultant de pratiques de vérification inadéquates,
par accident ou inexpérience.
Prohibition
Jusqu’à récemment, la jurisprudence reconnaissait la possibilité qu’un contribuable
puisse obtenir un bref de prohibition contre une cotisation non encore établie.
Dans McCaffrey 52, par exemple, la Cour fédérale a examiné la demande d’un
contribuable qui avait apparemment fait l’objet de vérifications multiples et
48 Voir David Jacyk, « The Dividing Line Between the Jurisdictions of the Tax Court of Canada
and Other Superior Courts » (2008) 56:3 Revue fiscale canadienne 661-707, à la p. 700. Mais voir
également Gardner v. Canada (Attorney General), 2012 ONSC 1837.
49 2003 FC 1454; inf. 2004 CAF 316.
50 Joncas, supra, note 45; Gibbon v. R, [1978] 1 CF 247, à la p. 255.
51 La question est principalement soulevée devant les tribunaux de common law où une action en
dommages-intérêts doit être qualifiée de tort nommé. Historiquement, « [traduction] le tort de
méfait dans une charge publique » exige la malveillance (Chhabra, supra, note 3, à la p. 5314),
quoique, selon une jurisprudence plus récente, la malveillance ne constituait plus un élément
essentiel du tort (Longley, supra, note 45 (BCSC), au paragraphe 85) et que la conduite
délibérément illégale (Leroux, supra, note 2 (BCCA), au paragraphe 33) ou l’indifférence
téméraire quant à la légalité des actes d’une personne (voir Obonsawin c. La Reine, 2004 CCI 3,
au paragraphe 9) suffisent pour justifier une demande. Le tort de « négligence » n’exige
évidemment pas la malveillance, quoique la jurisprudence soit divisée quant à savoir si une
poursuite pour négligence peut être intentée contre des employés de l’ARC pour une
négligence commise dans le cours d’une vérification : comparer Leroux, supra, note 2 (BCCA),
aux paragraphes 37-42 à 783783 Alberta Ltd. v. Canada (Attorney General), 2010 ABCA 226;
Canus v. Canada Customs, 2005 NSSC 283; Foote v. Canada (Attorney General), 2011 BCSC
1062, Leighton v. Canada (Attorney General), 2012 BCSC 961.
52 93 DTC 5009 (CF 1re inst).
pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire  n  97
prolongées pour les mêmes années d’imposition. Ce contribuable voulait, entre
autres, obtenir un bref de prohibition pour empêcher l’ARC ou n’importe lequel de
ses agents ou employés d’effectuer d’autres vérifications pour les années 1988,
1989 ou 199053. La Cour fédérale a rejeté une requête en radiation de la demande,
notant ce qui suit :
[traduction] L’avocat de l’intimée a porté à mon attention les dispositions de la Loi
de l’impôt sur le revenu qui confèrent au ministre et à ses représentants le pouvoir
d’effectuer des vérifications, ce qui est clair. Cependant, le requérant a formulé de
sérieuses allégations au sujet de l’exercice de ce droit par le ministre, et il a le droit
de porter plainte devant cette cour54.
La Cour fédérale a récemment appliqué McCaffrey dans Tele-Mobile Company
Partnership c. Canada Revenue Agency 55, où les contribuables (collectivement,
« TELUS ») voulaient obtenir un bref de prohibition pour empêcher l’ARC
d’établir des cotisations pour la taxe sur les produits et services (TPS) sur les frais
d’itinérance internationaux perçus par Telus de ses clients depuis octobre 2004. La
Cour fédérale a rejeté une requête en radiation de la demande présentée par l’ARC,
pour les motifs suivants :
[traduction] Les brefs de prohibition sont disponibles pour empêcher les autorités
d’agir au-delà de leur compétence ou prévenir l’iniquité. Dans sa demande, Telus
reconnaît que le ministre a compétence pour établir les cotisations proposées, mais
elle prétend qu’il serait injuste de le faire. Quoique je reconnaisse que Telus aura une
dure côte à monter pour convaincre la cour que le ministre a une obligation d’équité
dans ces circonstances et qu’il ne s’en est pas acquitté, je ne suis pas en mesure, à ce
premier stade, de dire qu’elle peut réussir à le faire56.
Dans un jugement succinct, la CAF a toutefois infirmé le jugement de la Cour
fédérale et a radié la demande de prohibition de Telus :
[4] Nous soulignons que si l’interdiction est accordée en raison de ces prétendues
conséquences, le ministre ne peut pas émettre une cotisation — en fait, en droit, le
ministre devra renoncer au montant d’impôt qu’il estime dû, du seul fait que le
contribuable subirait des difficultés.
[5] À notre avis, ça ne saurait être le cas. La Cour ne peut pas empêcher le
ministre de remplir ses fonctions prévues au paragraphe 275(1) de la Loi sur la taxe
d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, d’établir une cotisation au titre de la TPS payable en
53 Ibid., à la p. 5012.
54 Ibid., à la p. 5014.
55 2010 FC 839, au paragraphe 1; inf. 2011 CAF 89, autorisation de pourvoi en appel devant la
Cour suprême du Canada refusée, 29 mars 2012, CSC dossier no 34244.
56 Ibid., au paragraphe 30 (CF).
98  n  canadian tax journal / revue fiscale canadienne
(2013) 61 (supp.)
vertu de la loi simplement parce que cela aura pour effet d’imposer des obligations
injustes et onéreuses et de causer des difficultés financières au contribuable.
[6] Dans la mesure où l’ARC a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière
ayant indûment causé un préjudice à TELUS, TELUS peut se prévaloir d’autres
recours. Dans la mesure où l’exercice du pouvoir discrétionnaire a une incidence sur
le montant de l’impôt à payer, TELUS peut contester la cotisation conformément à la
partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15. Subsidiairement, elle
peut demander un décret de remise d’impôt en vertu de l’article 23 de la Loi sur la
gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11. En outre, elle pourra peut-être
intenter une action en responsabilité délictuelle dans le but d’obtenir une indemnité
pour les dommages causés par l’ARC.
[7] À notre avis, pour les motifs qui précèdent, il est manifeste et évident, compte
tenu des faits allégués dans l’avis de demande, que la demande d’interdiction
présentée par TELUS ne peut être accueillie57.
Les jugements ne sont pas explicites quant au fondement exact de la plainte de
Telus contre l’ARC. Si Telus a simplement allégué le préjudice (« hardship »), elle
n’avait guère le droit à un bref de prohibition et la CAF a eu raison de radier la
demande. Le raisonnement de la CAF semble toutefois énoncer une règle générale
troublante selon laquelle la Cour fédérale ne peut, en aucune circonstance, émettre
un bref de prohibition pour empêcher l’établissement d’une cotisation même en
cas de conduite abusive, comme des vérifications répétées et prolongées de la
même année d’imposition ou un refus flagrant de la part d’un vérificateur de
rectifier des erreurs manifestes et graves dans une proposition.
Mandamus
La jurisprudence a reconnu à plusieurs reprises que les contribuables peuvent
obtenir un bref de mandamus pour obtenir l’établissement d’une cotisation
originale (que l’ARC est légalement tenue d’établir « avec diligence » sur réception
de la déclaration de revenus initiale du contribuable)58. En fait, dans des causes où
un contribuable avait demandé l’annulation d’une cotisation à cause d’un délai
déraisonnable, les tribunaux ont souvent indiqué, en obiter, que le contribuable
devrait plutôt demander un mandamus contre le bureau des services fiscaux une
fois qu’un délai avait commencé à s’avérer coûteux59. De fait, la CSC elle-même
a formulé un tel commentaire dans Canada c. Addison & Leyen Ltd. :
57 Ibid., aux paragraphes 4-7 (CAF).
58 Schatten v. MNR, 96 DTC 6102 (CF 1re inst); Nautica Motors Inc. c. Canada (ministre du Revenu
national), 2002 CFPI 422; Millette c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2006 QCCS 3006; et
Ficek v. Canada (Attorney General), 2013 FC 502. Voir également Burnet v. MNR, 98 DTC 6205
(CAF) (mandamus pour émettre un avis de détermination).
59 Voir Ginsberg, supra, note 43, à la p. 6377; James v. The Queen, 2001 DTC 5075, au paragraphe
20 (CAF); Gretillat v. The Queen, 98 DTC 1483, à la p. 1487 (CCI).
pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire  n  99
Le ministre dispose du pouvoir discrétionnaire d’établir une cotisation à l’égard d’un
contribuable en tout temps. Cela ne veut pas dire que l’exercice de ce pouvoir ne
peut jamais faire l’objet d’un contrôle. Toutefois, en raison du terme « en tout temps »
à l’art. 160 LIR, la longueur du délai écoulé avant qu’il soit décidé d’établir une
cotisation à l’égard d’un contribuable ne suffit pas à fonder un contrôle judiciaire,
sauf, peut-être, s’il s’agit d’autoriser un recours comme le mandamus pour inciter le
ministre à faire preuve de diligence raisonnable une fois l’avis d’opposition déposé 60.
En pratique, toutefois, l’utilité d’une demande de mandamus est limitée dans le
cas d’un litige portant sur une vérification prolongée, car elle assure pratiquement
que l’ARC adoptera la position la plus audacieuse possible pour protéger ses droits
une fois la cause portée en appel. Par ailleurs, si une vérification prolongée retarde
le traitement d’une déclaration modifiée ou une demande de détermination de
perte, la requête en mandamus peut éventuellement aider à dénouer l’impasse61.
Quo warranto
Il ne semble pas que les cours canadiennes aient encore eu l’occasion de déterminer
si un contribuable peut demander un quo warranto contre un vérificateur du fisc ou
un autre représentant ministériel au bureau des services fiscaux qui s’engage dans
une conduite abusive dans le cours d’une vérification. Le quo warranto ne
s’applique généralement pas au personnel de base au service d’un supérieur. Qui
plus est, le quo warranto exige généralement un défaut dans la nomination initiale
d’une personne à une charge publique ou un défaut de respecter ou de maintenir
une qualification réglementaire. Cela dit, on peut imaginer que si un vérificateur
ou un autre agent du fisc démontre une inaptitude manifeste à occuper son poste,
un contribuable pourra en toute crédibilité alléguer que cette personne n’aurait
60 2007 CSC, au paragraphe 10. Cet énoncé peut être comparé à celui formulé dans Smerchanski,
supra, note 22, où le juge Laskin CCM a commenté comme suit la responsabilité de l’ARC en
vertu du paragraphe 220(1) de la LIR : « Celle-ci jouit d’une assez grande discrétion dans
l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, et je ne doute pas que les tribunaux dans les
limites de leur pouvoir discrétionnaire, surveilleraient ce qui semblerait être d’une rigueur
inutile à l’égard des contribuables, même si ces derniers ont délibérément violé la loi
[soulignement des auteurs]. » Notons également que l’ARC a mis en doute l’exactitude de
l’obiter de la Cour suprême du Canada selon lequel le mandamus peut servir à forcer le
traitement d’une opposition (comparativement à forcer l’établissement d’une cotisation), car le
contribuable peut toujours, dans les 90 jours, interjeter appel devant la Cour canadienne de
l’impôt alors que l’opposition demeure pendante. Voir Johanne D’Auray, Wilfrid Lefebvre et
David E. Spiro, « Current Cases », dans Report of Proceedings of the Fifty-Ninth Tax Conference,
2007 Conference Report (Toronto : Fondation canadienne de fiscalité, 2008) 6:1-18, à la p. 6:8.
61 Notons que la Cour fédérale a récemment conclu qu’une demande de contrôle judiciaire d’un
refus complet par l’ARC de traiter une demande d’avis de détermination devrait être qualifiée
de requête en certiorari plutôt que de mandamus : voir Signalgene R&D Inc. c. Canada (Revenu
national), 2012 CF 1375, au paragraphes 86-87, et sa décision complémentaire Theratechnologies
Inc. c. Canada (Revenu national), 2012 CF 1376, au paragraphe 76.
100  n  canadian tax journal / revue fiscale canadienne
(2013) 61 (supp.)
jamais dû être nommée dès le départ. Des innovations dans le droit pourraient
donc permettre à un contribuable de demander, par une requête en quo warranto,
la destitution d’un vérificateur ou d’un autre agent du fisc à cause de l’exercice
illégal et abusif de ses pouvoirs.
P r o c h a i n s d é v e l o pp e m e n t s
Depuis l’avènement des brefs de prérogative au Moyen-Âge, les tribunaux ont
joué un rôle vital dans le contrôle, au moyen des procédures du droit administratif,
de l’exercice des pouvoirs gouvernementaux et dans la protection des citoyens
ordinaires contre les abus62. La vigilance du pouvoir judiciaire a eu d’importants
effets salutaires pour le public. Dans le contexte de l’immigration, par exemple,
l’arrêt-phare de la CSC dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de
l’Immigration)63 en 1999, le contrôle judiciaire du refus d’une demande de sursis à
une ordonnance de déportation a provoqué un remaniement « dramatique » de
l’équité procédurale du service d’immigration du Canada dans ses rapports avec le
public 64.
Malheureusement, le pouvoir judiciaire ne semble pas s’acquitter de sa
responsabilité en ce qui a trait à l’exercice des pouvoirs de vérification et de
cotisation fiscales65. Comme Me David Sherman le relève dans ses annotations
du jugement de la CCI dans Pine Valley Enterprises 66, la compétence « exclusive
mais limitée » de la CCI sur les cotisations d’impôt a pour effet de priver les
contribuables de tout recours effectif contre une vaste gamme de conduites
injustifiées de la part de représentants du fisc. Pour contrer cette injustice,
Sherman propose d’élargir la compétence de la CCI afin d’y inclure des questions
relevant de l’administration du régime fiscal par l’ARC :
[traduction] Selon la version des faits de Pine Valley, l’ARC a établi une cotisation de
TPS que Pine Valley n’a jamais vue, a refusé de traiter avec Pine Valley ou son avocat
et a établi des ordonnances de saisie-arrêt à ses clients pour percevoir quelque
500 000 $ de TPS, incluant intérêt et pénalités […]
62 Pour un historique des brefs de prérogative, voir Holloway, supra, note 9.
63 [1999] 2 RCS 817.
64 Lorne Sossin, « The Politics of Soft Law: How Judicial Decisions Influence Bureaucratic
Discretion in Canada », dans Marc Hertogh et Simon Halliday, éds., Judicial Review and
Bureaucratic Impact: International and Interdisciplinary Perspectives (Cambridge, R.-U. :
Cambridge University Press, 2004), 129-60, aux pp. 146-52.
65 Voir cependant le récent jugement de la Cour fédérale, JP Morgan Asset Management (Canada)
Inc. c. Canada (Revenu national), 2012 CF 651 (en appel), où la Cour fédérale a refusé de radier
une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’ARC d’établir des cotisations
discrétionnaires en vertu du paragraphe 227(10) de la LIR au motif que « la présente demande
ne vise que le contrôle de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire du ministre qui aurait été
arbitraire, inéquitable et contraire aux règles de justice naturelle, ainsi que non conforme aux
propres politiques de l’ARC » (ibid., au paragraphe 36).
66 2010 TCC 324.
pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire  n  101
La Couronne a déposé une demande de radiation de parties importantes de l’avis
d’appel au motif qu’elles ne révélaient pas une cause d’action valide devant la Cour
de l’impôt.
La juge Diane Campbell est d’accord et elle a radié la majeure partie de l’avis
d’appel. Les détails au sujet du processus de vérification et de cotisation, et les
mesures de perception entreprises par l’ARC, ne sont pas pertinents pour l’exactitude
de la cotisation, qui est la seule question sur laquelle la Cour de l’impôt peut se
prononcer. […]
Cette décision met en lumière un problème qui se pose quant à la compétence
limitée de la Cour de l’impôt. Les plaintes de Pine Valley au sujet du processus de
cotisation pourraient bien être légitimes. Si l’ARC avait entrepris ses mesures de
perception sans avoir établi une cotisation à l’égard de Pine Valley de façon
appropriée, et que l’entreprise de Pine Valley en avait souffert, alors Pine Valley
aurait peut-être eu une cause d’action contre l’ARC. Cependant, une telle action ne
peut être intentée que devant la Cour fédérale ou la cour supérieure provinciale,
selon la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif.
Pourtant, les demandes devant la Cour fédérale selon lesquelles l’ARC a agi de façon
injustifiée sont contrées par la Cour fédérale qui déclare ne pas pouvoir se prononcer
sur l’exactitude de la cotisation et devoir donc radier les faits relatifs à l’exactitude de
la cotisation. […]
Il est à souhaiter que la compétence de la Cour de l’impôt sera élargie en temps
opportun pour qu’elle puisse se prononcer sur des questions relevant de
l’administration du régime fiscal par l’ARC, afin d’éliminer le problème67.
En fait, l’élargissement des pouvoirs de la CCI pour y inclure la compétence sur
toutes les questions d’impôt (y compris les problèmes de perception, toutes les
formes de contrôle judiciaire et même les demandes en dommages-intérêts pour
conduite illégale d’agents du fisc dans le cadre de leurs fonctions) permettrait aux
contribuables de voir toutes les questions relatives à une cotisation donnée être
entendues et traitées dans un seul recours, tout en bénéficiant de l’expertise de la CCI.
Cela dit, la LIR confère déjà à la CCI la compétence nécessaire pour annuler une
cotisation établie illégalement et les entraves à l’exercice de cette compétence ne
semblent pas compatibles avec la loi habilitante de la CCI et avec la tendance lourde
explicitée entre autres par Baker de favoriser l’équité procédurale. Par conséquent,
même si le législateur n’opte pas pour un élargissement des pouvoirs de la CCI afin
d’y inclure toutes les questions relatives à l’impôt, il y a encore une place pour que
le droit puisse se libérer des menottes imposées par le courant jurisprudentiel
Webster-Main Rehabilitation. Il est difficile d’accepter que des membres du public
ne disposent effectivement d’aucun recours lorsque confrontées à une injustice
flagrante comme l’abus des pouvoirs de vérification. Le temps est venu pour la
CAF de réévaluer le bien-fondé de permettre le maintien de cotisations illégales
établies en violation des droits des contribuables ou pour la CSC de remettre,
finalement, les pendules à l’heure.
67 David Sherman, annotation à Pine Valley Enterprises, dans Taxnet Pro (Toronto: Carswell) (en ligne).

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