La France dans la mondialisation

Transcription

La France dans la mondialisation
dossier
France
dans la mondialisation
La
Par Jean-Christophe Gracia
Nelson Mandela 2001
et Claude Revel
Voltaire 1980
L
a mondialisation est un fait acquis
et la France, notamment ses acteurs
économiques, y joue en réalité depuis
au moins une vingtaine d’années. Il est
cependant toujours deux thèses qui
s’affrontent à propos de l’insertion de la
France dans la mondialisation.
D’un côté, notre pays serait dans une phase
2
/ octobre 2014 / n°445
inexorable de déclin dont témoigneraient
la montée continue du chômage qu’aucun
gouvernement n’arrive à endiguer ni a
fortiori à inverser l’implacable croissance
de la dette et des déficits publics ; la perte
de crédibilité et d’influence en Europe et
dans le monde. Cette thèse trouve une
illustration éclatante dans l’apparition
d’un nouveau genre littéraire, celui des
« déclinologues1», dont le succès ne se
dément pas depuis le livre de Nicolas
Baverez publié en 2003, La France qui
tombe2, au récent essai d’Eric Zemmour,
Le suicide français3.
Loin d’être une sinistrose franco-française,
expression d’une haine de soi nationale, le
constat serait largement partagé hors de
nos frontières : ainsi, le journal Les Échos
publiait le 18 décembre 20134 un manifeste
de 50 entreprises étrangères affirmant que
« Depuis quelques années, nous avons
de plus en plus de mal à convaincre
nos maisons mères d’investir et de créer
des emplois en France ». Plus largement
ce déclin serait ratifié par les différents
classements mondiaux, tels le classement
du forum économique mondial de Davos
qui classait, en 2013, la France au 23e
rang, en recul de deux places par rapport
à l’année précédente, mais qui, comme
par un étrange concours de circonstances,
classait la Suisse au premier rang.
D’un autre coté, il y a la conviction, sans
doute moins audible mais tout aussi
dossier
vivace, qu’en dépit de la crise qui perdure
et de la croissance qui peine à repartir,
la France dispose d’atouts majeurs : le
dynamisme de sa démographie, un espace
maritime qui est le second du monde en
superficie, un rayonnement culturel qui
en fait le premier pays touristique au
monde et sur le plan économique, des
pôles de savoir-faire reconnus notamment
dans les domaines de l'aéronautique,
les infrastructures d'assainissement
(Veolia, GDF Suez), les infrastructures
de transport (TGV, ponts) ou l'industrie
pharmaceutique et une administration
efficace et intègre. La permanence de ce
rayonnement international serait attestée
en dernier lieu par les deux récents prix
Nobel attribués respectivement en littérature
à Patrick Modiano et en économie à Jean
Tirole.
Au-delà de la conviction, il existe des
économistes étrangers et non des
moindres, comme Paul Krugman, prix
Nobel d’économie 2008, qui s’étonne, au
simple vu des chiffres, du mauvais procès
fait à la France et, en ricochet, à l’Europe,
et en déduit qu’il est plus d’ordre politique
qu’autre chose. Il est aussi de grands
entrepreneurs français qui croient en l’avenir
de la France et le disent. Et quand on met
davantage l’accent sur certains critères des
classements internationaux existants ou que
l’on se fonde sur des notions différentes
mais tout aussi défendables, les valeurs
françaises apparaissent, comme par
exemple dans le classement Mines Paritech
sur la place des universités françaises dans
le monde6.
Alors, ces deux thèses sont-elles
exclusivement le produit de deux
tempéraments opposés, donnent-elles
chacune une part de vérité ou, troisième
hypothèse, se situent-telles sur des registres
différents, celui de la réalité et celui de
la perception ? La France serait-elle tout
simplement moins habile à faire valoir
ses performances que d’autres pays ?
Les Français seraient-ils moins aptes à
communiquer sur leurs forces et faiblesses
que leurs voisins ? Y aurait-il des lacunes
dans la capacité française d’influence
et de soft power, qui alimenterait ainsi
la confusion spontanée ou voulue des
diagnostics ? Au-delà des indispensables
adaptations de notre environnement
juridique et administratif, de moins en moins
contestées, les Français détiendraient-ils
des spécificités par rapport à la pensée
(de moins en moins) unique qui régit les
mécanismes économiques internationaux ?
La France ne possède-t-elle pas des atouts
et une valeur ajoutée face à la concurrence,
que nous-mêmes nous dénions ?
La question vaut en tout cas d’être posée.
Pour tenter d’y répondre et de se faire une
idée dans le dissonant concert ambiant,
la revue a invité ce mois-ci des auteurs
d’horizons divers afin de tenter de dresser
le bilan des atouts et des faiblesses dans
quelques domaines clefs constitutifs de la
France : son territoire, sa population, sa
langue, sa culture, son système juridique,
son armée, son influence internationale à
travers la vision iranienne de la France,
son économie avec l’exemple concret
de l’industrie du luxe, son agriculture et
ce qui fait peut-être la spécificité de la
France, son attractivité conceptuelle. Ces
différents points de vue seront encadrées
par deux articles portant sur les actions
entreprises pour encore mieux relever le
défi de la mondialisation, avec, en ouverture, le ministre des Affaires étrangères
et du développement international et, en
clôture, le secrétaire d’État au commerce
■
extérieur.
1 - Terme popularisé par Dominique de Villepin, alors Premier ministre, lors de
ses vœux à la presse le 10 janvier 2006.
2 - N. Baverez, La France qui tombe : un constat clinique du déclin français,
Perrin, Paris, 2003.
3 - E. Zemmour, Le Suicide français, Albin Michel, Paris, 2014.
4 - http://www.lesechos.fr/18/12/2013/lesechos.fr/0203199645307_50entreprises-etrangeres-installees-en-france-tirent-la-sonnette-d-alarme.htm
5 - Paul Krugmar, The fall of France, Nytimes.com, 28 août 2014.
6 - http://www.mines-paristech.fr/Ecole/Classements
/ octobre 2014 / n°445
3

Documents pareils