Article charlot-clément basket race
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Les Blancs et les Blacks : Stéréotypes sportifs et Stéréotypes raciaux - L’exemple du basket-ball professionnel à Pau (France) CHARLOT Vincent Docteur en STAPS Laboratoire « Sports, Organisations & Identités » UFR STAPS Toulouse III – EA 3690 Email: [email protected] CLÉMENT Jean-Paul Professeur - Laboratoire « Sports, Organisations & Identités » UFR STAPS Toulouse III – EA 3690 Email: [email protected] « T’as des news sur le nouveau pivot américain ? Il paraît qu’ils sont sur un gars qui sort des camps d’été de la NBA… C’est un black, un costaud ? » « Non… apparemment c’est un blanc, un mormon de 2m 08 réputé fort shooteur » « P… ; on va encore être léger à l’intérieur, il faut pas tergiverser, il nous faut un black qui saute, un intimidateur » (Echanges sur un forum de supporters – septembre 2006) Le monde sportif est quasi-systématiquement présenté comme un vecteur privilégié d’intégration sociale et ethnique. Pourtant, la normalisation de l’accès des populations de couleur dans les grands sports contemporains est relativement récente. Ainsi, au début du mouvement olympique moderne (1890), les populations d’origine africaine (à l’instar des femmes) n’étaient pas conviées à participer aux épreuves. Aussi, aux USA comme en Europe, « l’expérience athlétique » des sportifs noirs (pour reprendre les termes de Harrison, 2001) ne s’est pas construite sans difficultés. Pendant de longues années, les réussites pionnières de Jack Johnson, Joe Louis ou encore Jesse Owens à l’occasion des Olympiades organisées en 1936 dans l’Allemagne nazie sont exceptionnelles (Ross, 1999 ; Hache, 2000). Soixante dix ans après les Jeux de Berlin et la démonstration d’Owens, la présence des athlètes noirs est aujourd’hui incontournable. Plus encore, l’avènement du sport spectacle en fait des « icônes » sportives de référence dans de nombreuses disciplines universellement médiatisées. A ce niveau, les exemples contemporains ne manquent pas : des basketteurs noirs américains (Michael Jordan, Earving Johnson et désormais Allen Iverson ou Vince Carter) au golfeur Tiger Woods en passant par les français Jackson Richardson en handball, Tony Parker et Boris Diaw en basket-ball, Yannick Noah et à présent Gaël Monfils en tennis ou encore Thierry Henry en football, tous illustrent ce type de modèles dans leurs disciplines respectives. Il est dès lors intéressant de tenter de comprendre quels sont les processus qui construisent la position de ces vedettes sportives de couleur dans l’espace des modèles sportifs. Les données fournies par des enquêtes sur le club Pau-Orthez, en basket-ball 1 professionnel masculin français, discipline au sein de laquelle évolue une large population de joueurs noirs1, permettent d’apporter quelques éléments de réponses. Il s’agira ainsi d’évaluer la prégnance de certains stéréotypes socialement construits concernant les athlètes noirs, révélant souvent la persistance du processus de naturalisation des différences entre les races, comme la survalorisation des dispositions physiques « naturelles » des populations noires, qui provoquent en fonction du contexte des stigmatisations « positives » ou « négatives » (Edwards, 1971 ; Mercer, 1994). L’athlète “black” dans le spectacle sportif Le statut des personnes de couleur dans le monde sportif a nettement évolué depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Dans la lignée de Jesse Owens en 1936 ou encore de Jackie Robinson2 en base-ball à la fin des années 40, les performances répétées d’athlètes de couleur dans des évènements majeurs bénéficient d’une large exposition médiatique à partir des années cinquante et l’avènement de la télévision, surtout aux Etats-Unis. Dans un contexte de lutte pour les droits civiques au USA, les performances sportives servent parfois de vecteur politique pour certains athlètes, très engagés (on se souvient notamment du poing ganté de Smith sur le podium des Jeux Olympiques de Mexico en 1968 ou encore des discours de Mohammed Ali. - Milza, Jequier & Tétart, 2004). La question raciale comme celle de la ségrégation (racial stacking) sont toujours largement d’actualité (Coakley, 1998), essentiellement dans la littérature sociologique et historique nord américaine, même si certains travaux historiques commencent à s’intéresser au statut des athlètes issus des colonies en France (Bancel & Gayman, 2004). En effet, si le monde sportif est devenu progressivement un espace de pratiques privilégié afin de célébrer « rituellement » la tolérance et les rapprochements interethniques, il reste également un lieu d’expression et de commentaire de la différenciation sociale, raciale ou encore sexuée aux ressorts complexes3. L’impact des vedettes sportives noires et le retentissement universel de leurs performances dans un milieu de plus en plus intégré dans le marché économique (notamment via les médias et la consommation de masse) conduisent à interroger les effets de cette conjoncture sur les 1 Nous faisons ici référence aux niveaux Pro A et Pro B comptant respectivement 64 % et 59 % de joueurs noirs en 2005/06 (sources personnelles - ces chiffres incluent les joueurs d’origine afro américaine, africaine et les métis). 2 Robinson fut le premier joueur noir à intégrer une franchise professionnelle aux USA en 1947, les noirs évoluant jusqu’alors en Negro League. 3 A ce sujet, l’analyse du supportariat est extrêmement révélatrice de cette complexité. Ainsi, certains groupes de supporters de football en Europe se déclarent d’extrême droite et affichent des comportements racistes (en particulier envers les joueurs de couleur adverses) tout en faisant preuve d’une grande fidélité à leur équipe fétiche en grande partie composée de joueurs de couleur. 2 représentations en terme de race (Andrews, 1996 ; 2001). Depuis les années 60, de nombreux travaux anglo-saxons s’intéressent aux relations entre l’univers sportif et la question de la distinction raciale voire de la discrimination, notamment les rapports entre les communautés blanche et noire aux Etats-Unis. La question d’un sport vecteur d’intégration et de réussite sociale est fréquemment évoquée, le modèle de l’afro-américain « scholar-baller » (combinaison du bon étudiant et du bon sportif) incarnant une sorte d’idéaltype (Brown, 1997). A la fin des années 80, la médiatisation des modèles sportifs afro-américains (notamment les basketteurs Magic Johnson, Kareem Abdul-Jabbar, Julius Earving ou encore les boxeurs Ray Leonard et Marvin Hagler) s’effectue conjointement à celle de personnalités noires américaines du monde du spectacle (on peut citer les acteurs Eddy Murphy, Woopi Goldberg ou encore Bill Cosby, les chanteurs Mickael Jackson ou MC Hammer). Cette explosion médiatique facilite dans l’Amérique reaganienne la pérennisation d’une pensée dichotomique à l’égard des populations noires : d’un côté, le « bon noir » (the good black) intégré, diplômé, modèle de réussite à la fois professionnelle et sociale, de l’autre, le « mauvais noir » (the bad black) reprenant les clichés de l’afro-américain ghettoisé, égoïste, violent et participant à l’entretien d’une certaine « peur du noir » (the fear of a black planet) alimentée par des thèses naturalistes douteuses (le corps musculeux du noir, effrayant, dédié à la violence, perçu comme physiquement supérieur aux blancs4. Lule, 95 ; Andrews, 1996 ; Wilson, 1997 ; 1999). A ce titre, sportifs et artistes afro-américains font l’objet d’une catégorisation : les « good black » comme les sportifs Jordan ou Johnson ou les acteurs Murphy et Cosby, les « bad black » tel le groupe de rap Public Enemy prônant une quête de reconnaissance de la communauté noire par l’exercice de la violence sur les blancs comme avant eux le mouvement politique et identitaire des Blacks Panthers. Au-delà de la question du corps, la particularité des sportifs et artistes de couleur est régulièrement interprétée en terme de créativité, comme par exemple les passes dites « aveugles » de Magic Johnson, les arabesques de Jordan dans le domaine sportif ou encore les improvisations des jazzmen tels que Miles Davis ou Ray « the Genius » Charles pour ne citer qu’eux. Les catégorisations fonctionnelles de l’espace sportif nord américain, fondamentalement inscrites et construites en relation avec l’histoire des noirs dans la société américaine (Davis, 2007) ne peuvent être importées sans précaution. Néanmoins, l’histoire particulière de la France avec ses champions maghrébins ou noirs issus des colonies dans certains grands sports 4 Notons que l’hégémonie des athlètes noirs sur une discipline telle que le sprint entretient régulièrement ce type de débat. 3 laisse apparaître quelques similitudes quand à la valorisation des « qualités techniques » au détriment des qualités tactiques, en football en particulier, dés les années cinquante (Bromberger, 1995). Par ailleurs, la médiatisation des modèles sportifs dans les années soixante, en particulier l’impact des coupes du monde de football avec l’émergence des africains (souvent présentés comme de « fabuleux techniciens » inexpérimentés tactiquement), des championnats mondiaux de sports collectifs, du développement du basket spectacle (Harlem Globe Trotters), l’émergence plus tard du modèle NBA etc. participe à la mondialisation des modèles « ethniques » américains et d’un certain nombre de stéréotypes, pour reprendre la problématique d’Arjun Appadurai (2001). Sans renvoyer exactement aux mêmes significations qu’aux Etats-Unis, l’inventivité technique des athlètes noirs (de Larbi Ben Barek « la perle noire » à Yannick Noah) et leurs qualités physiques « naturelles » sont régulièrement mises en avant lorsqu’il s’agit de caractériser ces champions. Dans cet article, nous aborderons la question de la caractérisation des qualités des athlètes noirs par les spectateurs du basket-ball professionnel palois, un des clubs français historique de très haut niveau. Le cas du basket professionnel est particulièrement intéressant en raison de sa référence médiatique, la ligue américaine NBA, entreprise de spectacle ayant, comme nous le verrons par la suite, une propension certaine à fournir des modèles d’identification (role model). La professionnalisation du basket-ball américain : l’avènement progressif des joueurs noirs Le basket-ball est aujourd’hui une des disciplines sportives collectives massivement investies par les athlètes noirs. Cette surreprésentation de joueurs d’origine afro-américaine est un phénomène relativement récent et débute aux Etats Unis. En effet, dans la continuité du processus de diffusion initié par les promoteurs de la YMCA au début du 20ème siècle, le basket-ball occupe une position centrale au sein des universités américaines à très forte dominante « blanche ». Avec le développement des compétitions interuniversitaires après la seconde guerre mondiale, les caractéristiques réglementaires spécifiques de l’activité (cible haute, règle du « non contact », personnalisation des fautes de jeu etc.) ne tardent pas à exiger des qualités à la fois athlétiques et d’adresse chez les pratiquants. Parallèlement à ce basketball universitaire blanc et « académique » se développe, après la seconde guerre mondiale, une modalité de pratique plus urbaine (et souvent sur des terrains extérieurs, les fameux playgrounds) particulièrement prisée des afro-américains des ghettos (contrairement au baseball ou bien évidemment au hockey, toujours à dominante « blanche » et sans version urbaine) 4 dans un contexte de professionnalisation progressive du sport américain (création des franchises professionnelles dès la fin des années 40 aux Etats Unis) (Axthelm, 1970 ; Bourg, 2003). Au moment où l’accès à l’université s’ouvre timidement aux noirs, à la fin des années cinquante dans le nord, le niveau d’excellence de certains joueurs noirs leur permet d’intégrer le système universitaire au sein duquel le sport participe de plus en plus à bâtir la renommée des facultés (on observera plus tard un phénomène similaire dans le cas du football américain. Hughes, 2004). Très rapidement l’excellence sportive constitue, surtout pour les afroaméricains, un « droit d’entrée » supplantant l’excellence scolaire au sein du système (les étudiants noirs de certaines universités prestigieuses sont dans les années 1980 quasi exclusivement des sportifs). Même si les règles fondatrices du basket-ball sont préservées, l’appropriation de la pratique5 par les afro-américains entraîne une transformation radicale du jeu qui devient excessivement spectaculaire et valorise l’image de « joueurs artistes » et improvisateurs (le basketteur est régulièrement comparé dans la littérature au jazzman ; Novak, 1976). A ce titre, dès le début des années 50, l’impact des tournées internationales effectuées par les Harlem Globe Trotters, illustration exemplaire du style afro-américain, participe à la reconnaissance de ce « nouveau » modèle de pratique. Cette composante « ethnique » et spectaculaire de la discipline, dans un contexte de « mise en scène » du sport de compétition dans les années 60 aux USA, octroie naturellement au basket-ball une place de choix dans l’espace des sports américains (Bourg, 2003). Le modèle du basketteur américain « professionnel, noir et spectaculaire » s’installe désormais comme référent (Boyd, 1997). Les migrations de certains joueurs noirs américains dans les championnats occidentaux, notamment en France à la fin des années 60, participent progressivement à la diffusion du modèle américain qui s’imposera en France à la fin des années 90 avec la professionnalisation institutionnellement organisée du basket français (Bosc, 1999 ; 2003). A ce niveau, la structuration progressive du championnat professionnel américain (NBA), l’efficacité de ses méthodes de promotion et sa totale inscription dans le processus de mondialisation des images6 et des modèles confortent à la fois la portée « universelle » du modèle américain et la construction d’un idéal-type du joueur de basket-ball de couleur7 dans les imaginaires collectifs (Jackson & Andrews, 1999). 5 Cette appropriation technique s’accompagne parfois d’une appropriation symbolique qui s’exprime par exemple dans l’introduction de nouveautés notamment sur le plan des interactions « joueur / public » ou encore des codes vestimentaires (dressing codes – à ce niveau les exemples de Monfils ou des sœurs Williams en tennis sont éloquents). 6 A ce niveau, la démonstration offerte par la « Dream Team » aux JO de Barcelone en 1992 a constitué un véritable catalyseur. 7 Michael Jordan est appréhendé dans la littérature (Andrews, 2001) comme l’incarnation de cet idéal-type. 5 « Air » Jordan, « Magic » Johnson et les autres : l’émergence des modèles afro-américains Le modèle de la ligue professionnelle nord-américaine (National Basket-ball Association) s’impose aujourd’hui comme la référence en matière de « spectacularisation » et de « commercialisation » des sports en général8. Le pouvoir universalisant du modèle NBA, directement en relation avec la mondialisation des modèles culturels, repose sur deux caractéristiques majeures : sa propension à produire des héros sportifs « humains » (et donc à fort pouvoir identificatoire) aux styles de jeu identifiables9 évoluant dans des salles aux allures de parcs d’attraction10 (Bryman, 1999 ; Jary, 1999 ; Bromberger, 2000) et sa constante connexion à l’univers des médias qui exacerbe son caractère spectaculaire11 (Andrews, 2001). La très forte exposition médiatique de la ligue accroît bien évidemment la visibilité de phases de jeu « déposées » et particulièrement prisées des réalisateurs de retransmissions. Cette stratégie conduit indirectement à catégoriser les joueurs selon leur couleur de peau. Ainsi, dans la quasi-totalité des cas, les prouesses athlétiques prisées par le public et les médias sont l’apanage de joueurs noirs, le joueur blanc étant plutôt reconnu pour ses qualités d’adresse et de stratège (John Stockton, le passeur décisif ; Larry Bird, Chris Mullin, John Paxson, Bill Lambeer, les tireurs à longue distance d’exception). En revanche, ces athlètes se caractérisent par leur incapacité à « sauter » (le fameux white men can’t jump)12. La discrète présence d’afro-américains à des postes décisionnels au sein de la ligue (entraîneurs et dirigeants de franchise) renforce cette idée selon laquelle ils ne seraient pas efficaces dans la dimension stratégique de la pratique13 (Loy & Mc Elvogue, 1971). Cette surexposition du versant sportif s’accompagne d’une insistance particulière concernant les personnalités des acteurs en dehors du terrain. De fait, la « fabrication » d’une vedette de la NBA exige la mise en valeur de certaines trajectoires personnelles au-delà des exemples de 8 Tony Parker est actuellement le sportif français le mieux payé dans le monde toutes disciplines confondues (son contrat avec les San Antonio Spurs s’élevant à 66 millions de dollars sur 6 saisons) . 9 Certains exploits techniques deviennent ainsi des « marques de fabrique », un surnom leur étant bien souvent attribué selon leur style de jeu : Michael « Air » Jordan, Allen « the Answer » Iverson, Earving « Magic » Johnson, Gary « the Glove » Payton, etc. 10 Cette stratégie tend à se diffuser dans d’autres activités parfois peu inscrites dans la culture Nord Américaine telle que le rugby à XV. Ce constat s’applique notamment dans des clubs professionnels moins soucieux de la tradition du jeu (l’exemple du Stade Français CASG dans le rugby français est à ce titre exemplaire). 11 Dans une forme de jeu renforçant le caractère « individuel » de la pratique (omniprésence du jeu de un contre un), son mode de mise en image s’appuie sur des moyens techniques (ralenti, angles de diffusion divers etc.) qui visent à constamment souligner les exploits techniques et athlétiques des joueurs (Bolotny, 2003). Notons également que la réglementation NBA contribue à valoriser une forme de jeu spectaculaire et rapide (ligne de tir à trois points particulièrement éloignée de la cible, règle des 24 secondes pour tenter un tir, tolérance accrue des contacts entre joueurs etc.). 12 Dès lors, les joueurs blancs présentant des dispositions à sauter et jouer « comme des blacks » sont très médiatisés (comme Brent Barry, vainqueur du Slam Dunk Contest en 1996 ou Jason Williams, meneur de jeu reconnu pour ses passes fantasques et surnommé « White Chocolate »). 13 Cette situation évolue quelque peu ces dernières années avec les reconversions d’anciennes vedettes de la ligue et leur investissement financier dans certaines franchises (Jordan, Johnson ou encore Thomas…) 6 réussite professionnelle et sociale qu’incarnent ces joueurs. La création de « personnages » diversifiés participe au renforcement des représentations sociétales de l’afro-américain construites dans les années 80 et évoquées préalablement14 (the good black vs the bad black) (Lule, 95 ; Andrews, 1996 ; Wilson, 1997, 1999). On peut cependant remarquer que les dirigeants de la NBA (et son éminent directeur exécutif David Stern, reconnu comme le principal artisan du développement exponentiel de la ligue ces vingt dernières années) éprouvent certaines difficultés à digérer les arrêts de carrière des joueurs emblématiques de la dernière décennie (Jordan, Johnson, Barkley, Robinson, Drexler, etc.). En effet, à l’exemplarité sportive et comportementale de ces joueurs (qui les avait érigés en modèle pour les afro-américains comme pour les américains blancs15) se substituent des stratégies de suspension des cursus scolaires afin de rejoindre précocement la ligue chez la nouvelle génération plutôt adepte du « trash talking »16 et de l’exposition ostentatoire de sa réussite professionnelle (à l’instar de certains artistes de rap US). Cette dynamique conduit à la construction de modèles antagonistes et à la production d’une sorte de contre mouvement chez les amateurs de basket-ball, notamment en Europe, valorisant un style de jeu plus académique17 (et plus « blanc », qualifié de style « old school » privilégiant le jeu de passes) au sein duquel la stratégie et l’adresse prennent le pas sur les qualités athlétiques18. Dès lors, il n’est pas étonnant de constater que les équipes dominantes à l’échelle européenne ces dernières années (Barcelone, Moscou, Trévise, Tel-Aviv ou Athènes) développant ce style de jeu extrêmement collectif, construisent leurs effectifs avec un faible contingent de joueurs américains contrairement à ce que l’on pouvait observer dans un passé proche. 14 On identifie ainsi par exemple les « mauvais garçons » (tel Allen Iverson) correspondant aux joueurs incarnant une persistance des codes sociaux en vigueur dans les ghettos nord-américains ou a contrario les « gendres idéaux » (tel Grant Hill) plus en accord avec une certaine idée de l’intégration des afro-américains (hautes études universitaires, codes verbaux et vestimentaires correspondant à une éducation particulière) (Cole & Andrews, 1996 ; Boyd, 1997 ; Wilson, 1997 ; Hughes, 2004). De la même manière, un événement tel que l’annonce de la séropositivité d’une vedette comme Earving « Magic » Johnson, la médiatisation de son combat contre la maladie et sa « rédemption » quant à d’éventuels écarts conjugaux, participent à ce puissant processus d’identification que suscitent les vedettes de la ligue. 15 Le « lissage » de ces vedettes a par ailleurs été à l’origine de travaux (notamment sur Jordan ; Andrews, 1996) mettant en exergue la disparition de leur dimension raciale au profit d’une reconnaissance universelle. A ce sujet, le film « Do the right thing » (1989) du réalisateur Spike Lee fourmille de dialogues éloquents. 16 Pratique issue du basket de rue qui consiste à agresser verbalement l’adversaire direct pour le déstabiliser. 17 Ce style de jeu académique basé, essentiellement sur le « passing game », est également développé dans le basket-ball universitaire américain. 18 Ce constat est illustré par les commentaires dithyrambiques de la presse spécialisée et des journalistes télé suite à la victoire en demi-finale de la formation grecque, équipe maîtrisant parfaitement les fondamentaux du jeu, sur la formation US à l’occasion du dernier championnat du monde en 2006 7 Le « terrain palois » La forte représentation des joueurs noirs (afro-américains, français d’origines africaines ou originaires des DOM-TOM) permet d’appréhender le milieu du basket-ball français comme un terrain d’investigation privilégié pour analyser l’état des rapports à l’appartenance ethnique dans le monde sportif. Même si les modèles culturels Nord Américain et Français ne sont pas similaires, on peut penser que certaines représentations concernant les joueurs de couleur peuvent être partagées. A ce niveau, la médiatisation mondiale de la NBA et d’une manière plus générale le processus de mondialisation des produits culturels favorise la diffusion d’un certain « idéal type » du sportif noir par agrégation de qualités spécifiques. Dans cette perspective, un certain type de catégorisation dominante fonctionne dans le processus de différenciation et de définition des athlètes en basket-ball comme dans d’autres sports. Nous avons ainsi décidé d’employer de manière complémentaire une approche de type quantitative et qualitative. Un questionnaire19 fut diffusé (à 400 exemplaires) dans l’enceinte du club professionnel français de l’Elan Béarnais Pau- Orthez20 (évoluant en Pro A et en Euroligue) à l’occasion d’une rencontre majeure21 (Pau- Orthez Vs Le Mans, demi finale retour du championnat de France 2005). La diffusion se déroula lors de l’avant match (30 minutes avant le coup d’envoi), la récupération s’effectuant à la mi-temps de la rencontre. Ce type de diffusion se justifie par un souci d’assurer à la fois un délai optimal de remplissage et de réflexion et également un taux de retour conséquent. Le questionnaire mobilise des variables « classiques » destinées à établir le profil sociodémographique des spectateurs interrogés (sexe, âge, lieu de résidence, CSP) et à évaluer leur « rapport au sport » en règle générale et au basket-ball en particulier (pratiquant ou non, lectures sportives généralistes ou spécialisées, suivi des rencontres hexagonales, européennes et du championnat NBA). Plusieurs enquêtes par questionnaires ayant déjà été réalisées dans l’enceinte de Pau, nous pouvons avancer que, compte tenu de la fidélité du public et des données antérieures, la structure de la population interrogée à cette occasion est représentative du public de spectateurs, toutes rencontres confondues. Le document diffusé comprend par ailleurs une autre série de questions interrogeant indirectement les rapports des spectateurs à l’appartenance ethnique dans l’univers sportif en général et dans le basket-ball plus précisément (citations d’athlètes de référence dans diverses disciplines et qualificatifs à leur encontre, connaissance du basket-ball américain et de ses vedettes passées et présentes, 19 Les questionnaires sont dans ce cas anonymes. L’effectif de l’Elan Béarnais pour la saison 2005 /06 compte 9 joueurs noirs sur 13 inscrits dans la rotation. 21 Le nombre de questionnaires diffusés dans chaque tribune de la salle fut proportionnel au nombre de spectateurs qu’elle peut accueillir. 20 8 profil du joueur selon les postes de jeu, qualités affichées, caractère spectaculaire et styles de jeu, etc.). Au final, sur les 400 questionnaires distribués, 312 questionnaires exploitables furent traités informatiquement. L’enquête quantitative fut complétée par la réalisation d’une série d’entretiens (22 entretiens pour l’ensemble du corpus) avec des spectateurs dont furent extraits et analysés les passages faisant référence aux origines ethniques des joueurs, en particulier lorsqu’il s’agit des joueurs de couleur. Structure sociale de l’échantillon et rapport au spectacle du basket-ball Le profil sociodémographique des répondants est détaillé sous la forme d’un tableau récapitulatif (tableau 1) incluant les effectifs concernés (n) pour chaque variable testée. Le public de Pau étant particulièrement fidèle, on retrouve dans les grandes lignes les caractéristiques structurelles des différents publics du basket-ball professionnel masculin en France effectuées par différentes enquêtes (Bromberger, 2000 ; Charlot & Clément, 2004 ; Charlot, 2006). Le taux de féminisation est important (35,6 % ; n=111), et la jeunesse du public confirmée (58,3 % des spectateurs ont moins de 35 ans; n= 182). De la même manière, on relève une forte proportion de spectateurs appartenant aux « classes moyennes urbaines »22 (49,7 % de l’effectif total si l’on agrège les étudiants, les professions intermédiaires et les cadres ; n= 156). Avec seulement trois hommes de moins de 35 ans (c'est-à-dire moins de 1 % de l’ensemble de la population interrogée), le nombre de spectateurs de couleur est très faible. Conformément aux observations formulées dans un travail antérieur s’intéressant à la structure du public du basket-ball palois (Charlot & Clément, 2004), la proportion des résidents de la ville et de son agglomération est majoritaire (67 % ; n= 209) malgré un effectif non négligeable de spectateurs provenant des départements environnants (et notamment des Landes à 13,1 % ; n= 41)23. De la même manière, les tendances relatives au « rapport au sport » des spectateurs révélées à l’occasion de l’étude précédente sont confirmées. Ainsi, le public de l’Elan Béarnais entretient toujours un rapport intense à la pratique sportive en règle générale et au basket-ball en particulier. En effet, 78,5 % (n= 245) des répondants 22 Nous utiliserons ici le terme de « classes moyennes urbaines » pour définir les catégories sociales et professionnelles qui se caractérisent généralement chez les actifs par un capital scolaire (et culturel) relativement important (cadres et professions intellectuelles supérieures, professions intermédiaires), travaillant dans le secteur tertiaire et adoptant des styles de vie « urbains » qui incluent un taux de pratique sportive plutôt important. Cette notion est à mettre en relation avec la « classe mondiale urbaine » définie par des caractéristiques similaires dans les travaux anglo-saxons (Maguire, 1994 ; Donnelly, 1996). 23 Le caractère régional du recrutement se justifie par la position privilégiée de la pratique dans l’espace des sports local et par l’importante popularité dont jouit l’Elan Béarnais dans la zone landaise, notamment en raison du recrutement de nombreux joueurs originaires des Landes dans les années 80-90. 9 déclarent pratiquer de manière régulière une activité physique et 72,1 % (n= 225) adhèrent à une association sportive. Cette place importante du sport dans le style de vie des spectateurs est renforcée par la lecture régulière de la presse sportive omnisports (63,5 % de lecteurs réguliers ; n= 198). Plus précisément, ils sont 46,1 % (n= 144) à déclarer être joueur (se) ou ancien (ne) joueur (se) de basket-ball. Cet investissement est à mettre en relation avec l’intérêt pour la presse spécialisée basket (50,6 % ; n= 158). Les résultats relatifs à l’assiduité du suivi de l’équipe à domicile (62,8 % de l’effectif total ; n= 196) comme ceux concernant l’intérêt pour le championnat hexagonal et la compétition européenne (65,4 % pour le basket français ; n= 204 et 73 % pour le basket européen ; n= 228) traduisent une relativement bonne connaissance de l’activité, surtout à l’aune du taux important de pratiquants ou ex-pratiquants. Par ailleurs, dans notre échantillon, les spectateurs sont plus intéressés par les championnats français et européens que par la NBA (41 % suivent la NBA ; n= 128). Néanmoins, comme on peut s’y attendre, les jeunes spectateurs palois s’intéressent au championnat Nord Américain de manière plus régulière que leurs aînés (78 % des 15-25 ans ; n= 45). Enfin, 61 % (n= 190) des spectateurs sont favorables à la mesure autorisant le recrutement de 4 joueurs américains par équipe dans le cadre du championnat de France24, confirmant ainsi l’assimilation du processus de professionnalisation et d’internationalisation de la pratique dans le milieu du basket-ball français. Cette dernière observation renvoie aux résultats relatifs au second volet du questionnaire dont l’objectif est d’appréhender les rapports des spectateurs aux athlètes de couleur dont nous avons précédemment évoqué la présence massive dans le basket-ball européen et surtout français. 24 Dans le cadre de la compétition européenne, il n’y a aucune restriction en matière de recrutement étranger. 10 Tableau 1 : Le profil des répondants Effectifs (n) Variables testées Total : n=312 Expression en % Sexe Homme Femmes 201 111 64,4 % 35,6 % 309 3 99 % 1% 58 124 68 40 22 18,6 % 39,7 % 21,8 % 12,8 % 7,1 % 209 28 10 41 9 15 67 % 9% 3,2 % 13,1 % 2,9 % 4,8 % 49 52 8 17 28 33 74 34 19 15,6 % 16,5 % 2,5 % 5,4 % 9% 10,5 % 23,6 % 10,9 % 6% 245 67 78,5 % 21,5 % 225 87 72,1 % 27,9 % 198 114 63,5 % 36,5 % 158 154 50,6 % 49,4 % 144 168 46,1 % 53,9 % 130 66 74 42 41,6 % 21,2 % 23,7 % 13,5 % 204 108 65,4 % 34,6 % 228 84 73 % 27 % 128 184 41 % 59 % 190 122 61 % 39 % Appartenance ethnique Blanc De couleur Age [15 à 25 ans] ] 25 à 35 ans] ] 35 à 45 ans] ] 45 à 55 ans] ] 55 ans et plus] Lieu de résidence Pau et agglomération Département des Pyrénées Atlantiques Département des Hautes Pyrénées Département des Landes Département du Gers Autres Catégorie socioprofessionnelle d’appartenance Etudiants Retraités Sans activité Ouvriers Employés Professions intermédiaires Cadres et PIS Artisans, Commerçants et Chefs d’entreprise Agriculteurs exploitants Pratique d’une ou plusieurs activités sportives Oui Non Adhésion à une ou plusieurs associations sportives Oui Non Lecture de la presse sportive généraliste Oui Non Lecture de la presse spécialisée basket Oui Non Pratiquant ou ex-pratiquant de basket-ball Oui Non Assistance aux rencontres de Pau-Orthez à domicile Très régulière Fréquente Occasionnelle Abonné du club Suivi du championnat français Oui Non Suivi du championnat européen (Euroligue) Oui Non Suivi du championnat NBA Oui Non La règle autorisant 4 américains par équipe est-elle ? Une bonne mesure Une mauvaise mesure 11 L’impact de la médiatisation dans la construction des « modèles » La seconde partie du questionnaire regroupe un ensemble de questions visant à évaluer le statut et les caractéristiques statistiquement attribuées par les spectateurs palois aux athlètes de couleur dans l’espace sportif puis dans le milieu du basket-ball de manière plus spécifique. Nous illustrerons les résultats relatifs à ce volet de l’enquête et leur interprétation par des extraits d’entretiens réalisés avec des spectateurs fidèles du club durant la saison 2004 / 05. La première série de questions tente de vérifier le statut des sportifs de couleur comme athlètes de référence dans des disciplines relativement médiatisées (basket, tennis, golf, handball, boxe, football, rugby – Cf. Tableau 2). Tableau 2 : Athlètes de couleur et qualificatifs Pouvez-vous citer un sportif d’exception dans les disciplines suivantes : basket, tennis, golf, handball, boxe, football, rugby ? Principal sportif par discipline (en % de citations) Basket-ball Michael Jordan (94 %) Tennis Yannick Noah (81 %) Golf Tiger Woods (74 %) Handball Boxe Jackson Richardson (80 %) Mike Tyson (66 %) Football Zinédine Zidane (91 %) Rugby à XV Serge Blanco (68 %) Les 3 termes les qualifiant le mieux (en % de citations) Spectaculaire (26 %), aérien (19 %), nike (17 %) Sympa (34 %), félin (14 %), chanteur (12 %) Noir (36 %), sang froid (19 %), riche (8 %) Créativité (42 %), spectacle (16 %), rasta (11 %) Violent (38 %), fou (22 %), KO (9 %) Génie (39 %), coupe du monde (38 %), inventif (18 %) Rapide (42 %), intelligent (30 %), vêtements (15 %) On constate que, hormis dans le football avec Zinédine Zidane (qui masque probablement la « montée en puissance » de Thierry Henry), les champions de référence sont noirs (Jordan recueille 94 % de citations en basket-ball, Noah est cité à 81 % en tennis, Richardson à 80 % en handball et Tyson à 66 % concernant la boxe) et cela y compris dans des activités au sein desquelles les populations de couleur sont peu représentées (Tiger Woods recueille 74 % des citations en golf et Serge Blanco 68 % en rugby). On peut admettre que, même si la question était générale, sa position dans un questionnaire consacré aux joueurs de couleur a constitué probablement un artefact. Par ailleurs, la sur-médiatisation nationale de Noah en tennis, de Richardson au handball, et de Blanco en rugby explique en partie ces résultats dans l’espace français. Ils confirment les effets de ce processus de sur-médiatisation de carrières d’autant plus exceptionnelles qu’elles concernent des « minorités visibles ». Les caractéristiques attribuées à ces champions ne sont pas homogènes. Elles renvoient dans une large majorité des cas, soit à des performances marquantes, soit à un style de pratique ou encore à la médiatisation de certaines marques (lien entre la firme Nike et le 12 basketteur américain Jordan - Kellner, 2001). L’évocation de l’appartenance ethnique n’apparaît que dans le cas du golf25, activité toujours socialement distinctive en dépit de stratégies de démocratisation développées depuis les années 90 en France et très faiblement investie par les sportifs de couleur (Cf. Tableau 3). Cependant, l’item correspondant à la citation des pratiques perçues comme les moins investies par les populations de couleur n’identifie pas ou peu cette dimension (seulement 4 % de citations). Tout se passe comme si la forte médiatisation du champion noir américain Tiger Woods et la régularité de ses performances sur le circuit suffisaient à rendre la discipline, au regard des questionnés, plus accessible aux noirs et aux populations de couleur. L’exceptionnalité du cas suffit donc ici à masquer la réalité de la pratique. En revanche, on retrouve majoritairement des disciplines fortement instrumentalisées dans le panel des pratiques jugées peu investies par les sportifs de couleur (la course automobile représente 43 % des citations et la voile 38 %). Il est probable à ce propos que les succès récents de Lewis Hamilton en F1, quasiment inconnu au moment de la passation du questionnaire, auraient modifié ces données, en produisant en quelque sorte un « effet Tiger Woods ». Tableau 3 : athlètes de couleur, sous investissement disciplinaire et justifications Pouvez-vous citer trois disciplines sportives dans lesquelles, selon vous, les athlètes de couleur sont très peu représentés ? (% de citations) Course automobile (43 %) Voile (38 %) Judo (29 %) Pouvez-vous citer selon vous les trois raisons principales de cette sous représentation ? (% de citations) Argent (28 %), stratégie (19 %), racisme (14 %) Prédispositions (23 %) tactique (16 %), argent (11 %) Culture (27 %), technique (17 %), volonté (8 %) Avec 29 % de citations, le judo est considéré comme faiblement investi par les athlètes de couleur malgré la présence de plusieurs d’entre eux dans les équipes tricolores masculines et féminines (ou encore les performances répétées des compétiteurs et compétitrices cubain(e)s lors des compétitions internationales). On peut évoquer à ce titre, pour le public du basket-ball et probablement pour le grand public, une sous estimation de l’investissement de sportifs de couleur par rapport à la réalité de la pratique en France26. La faible médiatisation des champions de couleur dans la discipline27, contrairement à celle proposée par certaines de ses homologues des sports de combat, peut expliquer ce résultat (boxe bien entendu, mais également par exemple le Tækwondo avec le médiatique Pascal Gentil). Pour bon nombre de 25 Le cas du rugby à XV se démarque quelque peu à ce niveau puisque depuis Serge Blanco, d’autres joueurs noirs sont régulièrement médiatisés sur la scène nationale ou internationale. 26 Il reste qu’au niveau international comme au niveau national, la proportion des athlètes de couleur ou d’origine maghrébine dans cette discipline est pourtant importante. 27 A l’exception de Djamel Bourras, d’origine maghrébine, dont l’image a été écornée par une affaire de dopage. 13 spectateurs interrogés, les caractéristiques historiques de la pratique ainsi que ses usages (image rigoureuse, maîtrise technique corporelle et célébration de la force morale) étant fréquemment évoqués pour justifier les réponses. Ces réponses révèlent en grande partie l’effet de la médiatisation sur la construction des modèles de référence sportifs. La sur-médiatisation des sportifs de couleur est d’autant plus importante que la réussite reste exceptionnelle dans certaines disciplines, comme dans le cas de Tiger Woods et probablement, dans un avenir proche, celui du Britannique Lewis Hamilton en F1. La persistance des catégorisations Il reste, comme le cas de Noah peut l’illustrer dans le monde du tennis, que certaines caractéristiques, qualités ou défauts selon les contextes, sont « naturalisées », perçues en quelque sorte comme des attributs ethniques : « On critique souvent les blacks pour leur côté fantasque… mais heureusement qu’ils sont là pour réveiller le public parfois ! Il faut reconnaître qu’ils ont des éclairs de génie, qu’ils tentent des trucs et ça … je crois que c’est dans leur nature, tu prends Noah par exemple, bien sûr des fois il en faisait trop mais quand même… quel joueur, il faisait se lever les foules » (supportrice – 54 ans). Ce type de propos illustre cette mise en relation conforme à des catégorisations de sens commun. Il serait en effet aisé de montrer que de nombreux joueurs blancs de tennis, comme John Mac Enroe ou Ilie Nastase furent à la même époque bien plus fantasques et au moins aussi géniaux d’un point de vue tennistique que Yannick Noah. On retrouve dans les réponses des spectateurs de Pau ces catégorisations techniques, stratégiques ou éthiques fonctionnant sur la base d’oppositions quasi structurales pour différencier joueurs noirs et joueurs blancs dés que l’on dépersonnalise les questions (cf. tableau 4). Ainsi, pour caractériser « le joueur de basket-ball », les spectateurs évoquent l’appartenance ethnique aux côtés des considérations techniques. En effet, l’idéal type du basketteur est ici résumé par le triptyque « grande taille (78 %) – noir (56 %) – adroit (22 %) ». Tout se passe comme si les conditions historiques de l’accès des noirs à la pratique s’objectivaient avec la domination progressive du « modèle » idéal typique d’excellence que leurs performances et leurs qualités28 imposent au sein du complexe médiatico-économique (NBA). Cette perception est en effet assez unanimement partagée par les spectateurs palois quelles que soient les catégories construites à partir des variables « sexe, âge, CSP » ou 28 Il convient à ce niveau de prendre en considération les critères de recrutement des jeunes talents mis en place par le système fédéral français qui invitent les centres de formation et les pôles espoirs à retenir les jeunes de couleur à fort potentiel athlétique (à Pau, les frères Piétrus ou par le passé Rony Coco et Jean-Michel Montabord sont de parfaites illustrations de cette situation). 14 encore « pratiquant de basket-ball ou non ». Il n’est donc pas surprenant, en ce qui concerne les vedettes du championnat nord américain, que la totalité des citations renvoie à des joueurs afro-américains (Cf. Tableau 4). Dans le même ordre d’idée, l’expression d’une certaine difficulté à rappeler spontanément le nom d’un joueur blanc évoluant ou ayant évolué en NBA (44 % des spectateurs interrogés ne sont pas en mesure de citer un joueur blanc de la ligue US) comme la relative méconnaissance autour de Larry Bird, joueur blanc emblématique de la fin des années 80 (seuls 39 % des interrogés29 déclarent connaître ce joueur et quasiment un sur deux pense qu’il est noir) traduisent cette prédominance du joueur de couleur comme idéal type du pratiquant d’élite (nous verrons par la suite que le statut du « métis », au fond assez fréquent en basket, brouille quelque peu ce type de différenciation). L’expression d’une distinction entre joueurs blancs et noirs en terme de style de jeu apparaît pour 74% des spectateurs. Elle s’exprime dans la perception de capacités athlétiques supérieures chez les joueurs de couleur, et corrélativement dans l’idée d’aptitudes inférieures au niveau de l’adresse générale et de la tactique chez ces mêmes joueurs (respectivement 44 % et 25 % de citations). Par ailleurs, la présumée supériorité athlétique des basketteurs noirs fait l’objet d’un véritable consensus dans l’ensemble des catégories de spectateurs testées. A ce niveau, il semble que les qualités athlétiques des noirs garantissent pour les spectateurs une certaine qualité de jeu. « Les plus grands joueurs américains qu’on ait eu, ils étaient tous noirs… Carter, Jones, Mac Rae, Winslow, Funderburke etc. Se remémorer ces figures du club, c’est se rappeler de belles phases de jeu, du spectacle… des showmans quoi ! » (Supporter – 38 ans) « On nous a bourré le mou avec des images de blacks qui smatchent, de passes dans le dos et tout ça… résultat, les gens pensent que le beau basket se résume à ça et qu’un gars qui ne smatche pas n’est pas un super joueur... quand ils voient un yougo de 2 mètres faire un double pas en contre-attaque, ils disent « ouais bof… c’est pas très spectaculaire ! » En revanche, les écarts au niveau de l’adresse et de la stratégie accroissent selon les catégories de spectateurs. Ainsi, les carences en terme d’adresse générale et de sens tactique des joueurs noirs par rapport aux blancs sont d’une manière générale moins avancées par les jeunes que par les anciens (chez les moins de 25 ans, l’adresse n’est mobilisée qu’à 7 % et la stratégie à 3 % tandis que cet argument représente 19 % de citations chez les plus de 40 ans), par les femmes que par les hommes (adresse à 11 % et stratégie à 9 % contre respectivement 21 % et 17 % chez les hommes), par les catégories socioprofessionnelles supérieures que par 29 On peut légitimement discuter le caractère biaisé de cette variable auprès des jeunes spectateurs palois qui pour la plupart n’étaient pas nés à l’époque de Bird (ils ont 82 % des 15/25 ans du public à déclarer ne pas le connaître) mais il convient également de rappeler que le merchandising actuel de la NBA s’appuie de manière très importante sur la célébration de vedettes du passé (DVD, retransmissions et produits dérivés « NBA Classics », portraits « rétro » dans la presse). Aussi, le jeune amateur de NBA peut difficilement se soustraire à ce phénomène. 15 les fractions les plus populaires (adresse à 10,7 % et stratégie à 6 % contre respectivement 22 % et 19 % pour les catégories populaires) et par les pratiquants [ou ex] que les non pratiquants (adresse à 8 % et stratégie à 7% contre 23 % et 18 % chez les non pratiquants). Tout se passe comme si, comme dans d’autres domaines du social, les effets cumulés de ces différentes variables (femme, capital culturel et jeunesse) diminuaient à ce niveau l’impact des « catégorisations ». L’effet de cette différenciation en terme de style est perceptible lorsque sont abordés les postes de jeu jugés « de prédilection » selon l’appartenance ethnique des joueurs. Ainsi, le stéréotype du joueur intérieur athlétique (86 % de citations), « forcément » noir et du meneur de jeu stratège (74 % de citations), « par définition » blanc semble toujours actif chez les amateurs de basket-ball (les taux de citations sont dans ce cas sensiblement identiques quelles que soient les catégories de spectateurs testées). « Une équipe sans blacks… ça impressionne moins, c’est sûr ! C’est pas que j’aime pas les basketteurs blancs mais physiquement, ils sont moins intimidants dans la raquette… après c’est pas un gage de réussite mais quelque part, je pense que les adversaires y pensent » (supporter – 46 ans) « Ils ne vont pas nous prendre un blanc, un poète des raquettes… ce qu’il faut c’est une brute ! » (supporterforum non officiel du club) « Moi, j’ai toujours préféré les meneurs blancs… ils étaient plus réfléchis, plus posés. Si tu regardes, les meilleurs que l’on ai vu ici Freddy (Hufnagel), Rigaudeau, Bailey ou Luvkoski… que des maestros. J’ai l’impression que les meneurs noirs pensaient plus à briller individuellement qu’à faire jouer l’équipe » (supportrice – 41 ans). Un fois de plus, il faut rappeler que cette catégorisation « fonctionnelle » pour certains spectateurs n’est pas conforme à la réalité de la pratique au plus haut niveau comme le confirme la présence de stratèges de couleur reconnus comme de joueurs blancs rugueux au sein de nombreux effectifs en Europe comme aux USA. L’extrait d’entretien précédent évoquant l’individualisme des joueurs de couleur illustre les résultats concernant les distinctions de « comportement perçu » selon l’appartenance ethnique des joueurs : « Je ne regarde pas la NBA parce que moi, j’aime le vrai basket… celui fait d’adresse, de stratégie et non de un contre systématique ou d’un gars qui préfère tirer dans des positions invraisemblables pour rajouter deux points à son compteur perso plutôt que de faire la passe à un copain mieux démarqué… » (supporter – 38 ans) Ainsi, 72 % des spectateurs interrogés estiment qu’il est plus difficile de « gérer » un joueur noir que son alter ego blanc. L’attitude égocentrique (31 % de citations), le caractère (20 % de citations) et l’instabilité (14 % de citations) des joueurs noirs sont les arguments les plus fréquemment invoqués pour justifier ce positionnement. La perception du joueur noir « moins collectif » et plus instable que les autres est assez unanimement partagée, quel que 16 soit le type de spectateurs interrogé. En revanche, « l’attrait prononcé pour l’argent par les joueurs noirs » est plus souvent évoqué par les spectateurs masculins, âgés et appartenant à des classes sociales populaires (le facteur « économique » est évoqué à 36 % par le public masculin contre 16 % chez le public féminin, à 41 % par les spectateurs de plus de 50 ans contre 17 % chez les moins de 20 ans, à 36 % par les ouvriers et employés contre 19 % chez les cadres et professions intellectuelles supérieures). Ici encore, on mesure les effets du genre et du capital culturel sur cette position plutôt réticente à l’égard du cosmopolitisme professionnel. Cette partie du public, plutôt masculin, âgé et « populaire » craint que le cosmopolitisme dénature une certaine « morale » du sport en galvaudant notamment la notion de fidélité au club. Ce dernier aspect est d’autant plus sensible dans le cas palois que l’Elan Béarnais est reconnu pour sa capacité à la fois à conserver ses vedettes « locales » (Gadou, Henderson…) dans l’environnement du club mais également à « localiser » les recrues étrangères (Charlot, 2006). Tableau 4 : Appartenance ethnique et représentations en basket-ball Résultats pour l’ensemble l’ensemble du public testé Pouvez-vous citer les termes qui selon vous définissent le mieux un joueur de basket-ball ? (% de citations) Grand (78 %), noir (56 %), adroit (22 %) Existe-t-il selon vous des différences au niveau du jeu entre joueurs noirs et joueurs blancs ? Oui : 74 % / Non : 26 % Si oui, dans quels domaines s’expriment-elles ? (% de citations) Athlétique (71%), adresse (44 %), stratégie (25 %) Quel est, selon vous, le poste de prédilection (% de citations): Du joueur noir : pivot (86 %), ailier (29 %) Du joueur blanc : meneur de jeu (79 %), ailier (34 %) Pour un entraîneur, vous semble-t-il plus difficile de diriger Un joueur blanc : 28 % Un joueur noir : 72 % Pour quelles raisons (% de citations) ? Egocentrisme (31 %), argent (20 %), tempérament (14 %) Selon vous, quel joueur est le plus « professionnel » Un joueur blanc : 68 % Un joueur noir : 32 % Pouvez vous citer trois joueurs de NBA (% de citations) ? Jordan (99 %), O’neal (31 %), Johnson (28 %), Parker (19 %), Carter (10 %), James (7 %) Connaissez vous Larry Bird ? Oui : 39 % Non : 61 % Etait-il ? Noir : 48 % Blanc : 52 % Pouvez vous citer un joueur blanc évoluant ou ayant évolué en NBA ? Oui : 56 % Non : 44 % Pouvez citer vos trois joueurs de l’Elan préférés sur ces vingt dernières années ? (en % de citations - joueur de couleur en gras) Rigaudeau (31 %), Carter (28 %), Mac Rae (22 %), Hufnagel (18 %), Bisséni (14 %), Diaw (11 %), M. Piétrus (7 %) 17 On comprend donc que les joueurs de couleur sont perçus comme moins « pro » par une majorité de spectateurs, ce qui ne signifie pas qu’ils soient moins bons. Les 68 % des spectateurs appréciant « la professionnalité du joueur blanc » objectivent au fond les luttes de définition du « bon » professionnel en basket-ball caractérisé par son dévouement au collectif et adoptant une éthique conforme à l’idéal sportif (fidélité au club, relatif désintéressement). Les stéréotypes raciaux renvoyant aux modèles du noir « plutôt individualiste » et sensible au gain par opposition au blanc plutôt altruiste, solidaire sont donc ici utilisés pour défendre certaines conceptions du métier. « Les américains traînent parfois une sale réputation… ils rechignent à s’intégrer, à communiquer, ils jouent « pour leur gueule » (sic)… faut pas exagérer mais quand même, certains exemples ne plaident pas en leur faveur il faut le reconnaître et ça ne concerne pas que notre club. Moi, je lis des magazines de basket depuis 20 ans… et si j’avais du relever toutes les anecdotes qui parlent des dérapages des uns et des autres… » (supporter – 35 ans) A ce stade, on ne peut occulter l’importance de la sphère médiatique, plus précisément la presse spécialisée, qui relate de façon régulière voire récurrente les déboires de clubs remarqués en raison de la conduite de certains joueurs noirs (ce qui est « statistiquement » prévisible compte tenu de leur présence massive dans les rangs de l’élite). D’autre part, l’intérêt pour la dimension économique du spectacle, jugé comme plus marqué chez les joueurs de couleur que chez leurs homologues blancs est amplifié par les images véhiculées par la génération des jeunes millionnaires de la NBA et leur style de vie ostentatoire. « Les médias n’arrêtent pas de parler des sommes astronomiques gagnées par les joueurs de NBA, de leurs contrats de pub etc. Forcément, les gens commencent à penser qu’ils ne pensent qu’au fric … pareil quand un gars refuse de signer une saison de plus chez nous parce qu’on ne met pas assez d’argent sur la table… alors qu’il s’est révélé ici… ils prennent cette attitude pour de l’égoïsme, du non respect vis-à-vis du club alors qu’en réalité, c’est la loi du milieu » (supporter – 34 ans) Enfin, les derniers résultats concernent l’évocation des joueurs préférés du club par les spectateurs durant les deux dernières décennies. Si Antoine Rigaudeau, joueur blanc français reconnu sur le plan international est plébiscité (31 % de citations), cinq joueurs de couleur figurent parmi les sept les plus cités (Howard Carter, Conrad Mac Rae, Mathieu Bisséni, Boris Diaw, Michael Piétrus). Ces données insistent sur la complexité de la relation entre le public et les joueurs noirs. Les spectateurs ont pour ces derniers une certaine admiration tout en les jugeant cependant limités dans certaines dimensions de la pratique (aptitudes tactiques ou engagement professionnel notamment). Dans cette perspective, il est intéressant de tenter de comprendre comment se positionnent les vedettes métisses. Le cas de Boris Diaw-Riffiod (joueur métis français évoluant actuellement en NBA et membre de l’effectif du club palois durant trois saisons) et notamment la manière dont il est présenté par l’univers médiatique est en ce sens particulièrement révélateur. 18 Un athlète idéal ? L’exemple de Boris Diaw-Riffiod Nous allons analyser le cas Diaw-Riffiod (métis, son père, d’origine sénégalaise, fut un sauteur en hauteur de bon niveau et sa mère, blanche, fut la figure de proue du basket féminin français dans les années 70) en abordant dans un premier temps sa trajectoire individuelle, pour, par la suite, évoquer la manière dont il est présenté par la sphère médiatique. Boris est, avec Tony Parker30 (métis lui aussi), l’une des figures de proue du basket-ball français. Il intègre la ligue NBA en 2003 après avoir brillé d’abord sous le maillot du Centre Fédéral (ex- INSEP) puis sous celui du club de Pau-Orthez durant 3 saisons (20002003). Il achève son expérience paloise en remportant le titre national et en étant élu meilleur joueur français de l’exercice à seulement 21 ans. Ses débuts en NBA furent relativement difficiles. Il éprouve en effet certaines difficultés à s’imposer dans la franchise d’Atlanta qui le sélectionna dans la Draft 2003 (21ème choix). Transféré aux Phoenix Suns en 2005, il en devient rapidement un joueur majeur, sa progression statistique lui permettant même d’être élu « Most Improved Player » à l’issue de la saison (joueur ayant le plus progressé). L’intérêt présenté par le cas Diaw-Riffiod réside dans sa proximité, aussi bien en terme de style de jeu que de personnalité, avec les modèles du « good black » (et du « scholar baller ») évoqués dans la première partie de ce travail. Ainsi, au-delà de ses qualités athlétiques incontestables (grande taille pour un joueur extérieur31 et verticalité), il fait preuve d’une grande polyvalence sur le terrain32. Les techniciens du jeu (et les médias) insistent sur la qualité de sa lecture du jeu comme sur sa capacité à faire briller ses partenaires. Aussi, quand de nombreux joueurs de NBA développent un style de jeu qualifié d’égoïste33 par les experts, Diaw fait figure d’exception34 en déclarant son admiration pour l’exceptionnel passeur Magic Johnson (années 80-90) alors que la majorité de ses confrères s’identifient au scoreur Jordan35. Au delà d’un style de jeu peu commun dans l’univers de la NBA, Boris affiche certaines dispositions « sociales » proches des standards développés par les vedettes de l’âge d’or de la ligue américaine. Elevé par sa mère, Elisabeth Riffiod, figure majeure du basket-ball féminin 30 Notons que bon nombre des sportifs « blacks » de référence évoqués par le public dans ce travail sont en fait des métis (Blanco, Parker, Noah, Tiger Woods…) 31 Boris mesure environ 2m05, sa dextérité comme sa vitesse lui permettent d’évoluer aux postes extérieurs (meneur, ailiers) comme intérieur (ailier fort voire pivot). 32 Cette polyvalence s’exprime sur le plan statistique, Boris figurant en bonne place parmi les rares spécialistes du « triple-double » en NBA (dix unités ou plus par rencontre dans trois catégories statistiques, généralement points, passes, rebonds). 33 Rappelons à ce sujet que dans l’économie de la NBA, la plupart des contrats se négocient sur la base du rendement statistique des joueurs ce qui génère en partie ce style de jeu individualiste. 34 Au point de faire l’objet, de la part des spécialistes, d’une incitation à tirer. 35 A l’issue de la saison 2005/06 qui l’a révélé, les médias américains le comparent régulièrement à Johnson (taille identique et style de jeu comparable). 19 français dans les années 7036 qui par la suite fit une carrière d’enseignante universitaire, Diaw fit preuve d’une impressionnante maturité dès ses débuts dans le monde professionnel qui le conduit très tôt à réfléchir sur sa condition de jeune prodige et lui confère l’image d’un joueur stable, humble à l’élocution maîtrisée (autant de qualités socialement légitimes et relativement exceptionnelles dans le milieu sportif professionnel contemporain). Cette dimension est dès lors également relayée par les médias (notamment français) qui, audelà de ses qualités de basketteur et d’athlète (son corps « longiligne, félin, et harmonieusement musclé », pour reprendre les termes d’une journaliste de France 2, est qualifié de « sexy »37), insistent sur sa disponibilité et la justesse de ses analyses. Diaw jouit donc d’une couverture médiatique importante voire d’un lien privilégié avec la sphère journalistique qui lui offre de fréquentes possibilités d’expression (il rédige des chroniques dans des magazines spécialisés et intervient comme consultant de luxe lors de retransmissions télévisées). On retrouve chez le joueur français, à l’instar des analyses s’intéressant à Jordan (Andrews, 2001), cette combinaison « idéale » du corps noir séduisant, voué à l’excellence sportive, avec des « manières » traduisant une maîtrise certaine des codes sociaux en vigueur auprès de la population blanche favorisée. Tout ce passe comme si il exprimait un système de dispositions à la fois efficace socialement et sportivement cumulant les qualités du noir athlétique et du blanc stratégique à des compétences extra sportives révélatrices de ces dispositions familiales et sociales. Il peut en ce sens représenter une figure idéaltypique du sportif parfait combinant toutes les qualités possibles à la fois sur le plan symbolique et dans le domaine du sport. La trajectoire de Diaw n’est pas sans rappeler celles d’autres métis symboles de réussite et d’intégration dans diverses pratiques. Comme Yannick Noah ou Tony Parker, Boris est le fruit d’une union mixte entre deux parents reconnus pour leur expertise sportive, physique et/ou culturelle38, cette caractéristique étant largement relatée et médiatisée. Cette combinaison quasi eugénique moderne offre « un prodigieux potentiel de créativité » (Elizondo, 1987, p.156) à ces acteurs de « l’entre-deux » (in-beetween-people pour reprendre Elizondo, 1987) et constitue une éloge du métissage qui construit une figure du métis réussie qui cumule les qualités de leurs origines. Le mode de traitement du cas Diaw 36 Elément majeur des « Demoiselles de Clermont » qui ont dominé le basket-ball hexagonal dans les années 70, elle est aujourd’hui considérée comme la meilleure joueuse française jusqu’ici. 37 Notons à ce niveau que la silhouette longiligne de Diaw contraste avec les corps bodybuildés et tatoués de nombreux joueurs de NBA américains. 38 Le père camerounais de Noah fut un footballeur professionnel reconnu tandis que celui de Parker, noir américain, fit une carrière de basketteur professionnel en Europe (et en France notamment). Leurs mères respectives exerçaient les professions d’enseignante et de mannequin. 20 illustre donc à la fois la persistance de la distinction raciale comme une certaine idée du métissage ici fondamentalement ouvert et productif. Conclusion Le basket-ball constitue un espace de pratique privilégié en vue d’analyser l’état des représentations liées à l’appartenance ethnique compte tenu à la fois de sa trajectoire historique et de la forte représentation des joueurs de couleur parmi la population des élites de la discipline à l’heure actuelle notamment en France. Les résultats de ce travail exploratoire mené auprès du public de l’Elan Béarnais Pau-Orthez objectivent des convergences entre les représentations concernant les athlètes de couleur telles qu’elles sont présentées dans la littérature anglo-saxonne et celles exprimées à ce niveau par les spectateurs palois. La question d’une supposée supériorité athlétique des joueurs noirs, de leur créativité technique intrinsèque, comme de leurs carences sur le plan stratégique et psychologique semble en effet structurer les imaginaires en règle générale, à l’instar des observations relevées dans le sport américain, et révéler leur inertie (Sailes, 1998 ; Brooks & Althouse, 2000). Dans cette perspective, la figure de l’athlète métis combinant les qualités perçues des blancs et des noirs semble en quelque sorte constituer l’idéaltype du sportif contemporain en réalisant une synthèse quasi parfaite. Le processus de mondialisation des produits culturels, dont les spectacles sportifs font bien évidemment partie, n’est pas étranger à ce phénomène. Ainsi, ce travail permet d’insister sur le fait que la diffusion des techniques corporelles, des modes d’organisation comme des modèles de pratique s’accompagne indubitablement de la diffusion des idées et représentations. Par ailleurs, les résultats de cette étude soulignent une fois de plus le caractère différenciateur des variables que sont l’âge, le sexe et l’appartenance socioprofessionnelle dans le processus de construction des positionnements individuels, en particulier autour des questions touchant à l’internationalisation (Charlot & Clément, 2004 ; Charlot, 2006). Ce travail exploratoire appelle bien entendu la réalisation d’autres études s’appuyant sur des corpus plus conséquents dans d’autres espaces de pratique du sport français pour vérifier une éventuelle homogénéité des représentations autour de l’appartenance ethnique. 21 Références - Andrews, D. (1996). The Fact of Michael Jordan’s Blackness: Excavating a Floating Racial Signifier, Sociology of Sport Journal, 13, 125-158. - Andrews, D. (2001). Michael Jordan, inc. Corporate sport, Media culture and late modern America, NewYork, Suny Series on Sport, Culture and Social Relations. - Appadurai, A. (2001). Après le colonialisme. 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