petit guide de l`aveu judiciaire en milieu prud`homal

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petit guide de l`aveu judiciaire en milieu prud`homal
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CONTENTIEUX, PROCEDURE ET JURIDICTIONS
Sous la responsabilité de Tiennot Grumbach, avocat du Barreau de Versailles,
et Evelyne Serverin, Directeur de recherches au CNRS, IRERP, UMR 7029, Université Paris-Ouest Nanterre La Défense
Petit guide de l’usage de l’aveu judiciaire en milieu prud’homal
Soc. 22 mars 2011, n° 09-72.323 et Soc. 30 mars 2011, n° 09-41.583, à paraître au Bulletin
« Mais attendu que, selon l’article 1356 du Code civil,
l’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la
partie; qu’il fait pleine foi contre celui qui l’a fait et ne peut
être divisé contre lui; que, dès lors, la cour d’appel a
exactement décidé que la seule mention figurant dans les
motifs du jugement, selon laquelle “le salarié reconnaît et
ne conteste plus les faits”, alors qu’aucune note d’audience
contenant les déclarations précises qui avaient été faites par
le salarié devant le bureau de jugement n’était produite, ne
pouvait valoir aveu judiciaire » (n° 09-72.323).
« Attendu que l’arrêt relève, par motifs adoptés, que
l’employeur a, le 21 avril 2000, adressé au salarié la lettre
recommandée avec accusé de réception l’informant de la
rupture de son contrat de travail, et, par motifs propres, que
le courrier le libérant de l’obligation de non-concurrence est
daté du 2 mai 2000 et ne lui a été présenté que le 4 mai
suivant, ce dont il résulte qu’il n’a pu être envoyé au salarié
que le 2 mai 2000 au plus tôt; Qu’il en résulte que la
renonciation de l’employeur à l’exécution de la clause de
non-concurrence était tardive; Que par ce motif de pur
droit substitué à ceux critiqués, la décision déférée se trouve
légalement justifiée; » (n° 09-41.583)
Les conseillers prud’hommes qui font « acter » par le
greffier d’audience les propos des parties sur des faits
conditionnant l’issue du litige, n’ont pas toujours
conscience d’enregistrer un aveu judiciaire. D’une certaine manière, ils font de l’aveu comme M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir. L’aveu judiciaire est, en
effet, un mode de preuve qui ne vieillit pas, malgré son
grand âge. Si le serment judiciaire civil, déféré par les parties ou par le juge, est aujourd’hui une curiosité juridique
dans un monde désenchanté, l’aveu judiciaire, défini par
l’alinéa 1er de l’article 1356 du Code civil comme « la
déclaration que fait en justice la partie ou son fondé de
pouvoir spécial », continue à avoir les honneurs de la
jurisprudence. La raison de cette persistance est d’abord
sa force probante : l’article 1356 du Code civil, alinéas 2
à 4, précise qu’il fait pleine foi contre celui qui l’a fait,
qu’il ne peut être divisé contre lui, qu’il ne peut être révoqué, à moins qu’on ne prouve qu’il a été la suite d’une
erreur de fait, et qu’il ne pourrait être révoqué sous prétexte d’une erreur de droit. L’autre raison est l’absence de
formalisme : l’aveu judiciaire peut être écrit ou oral, il
peut émaner des parties ou de leurs représentants 1, il
peut être recueilli devant toutes les juridictions, et à toute
étape de la procédure.
Mais l’aveu ne se donne pas comme tel. C’est l’adversaire qui l’identifiera, en le recherchant dans les
déclarations de l’autre partie, qui peuvent être écrites
(pièces ou conclusions), ou transcrites (dans les procédures orales, ou lors des comparutions personnelles). En
pratique, bien qu’il puisse figurer dans un écrit, l’aveu
surgit le plus souvent dans le feu des échanges oraux
lors de la comparution des parties, en personne et/ou
par leurs représentants. Hier, l’aveu était recherché principalement au cours de la procédure « d’interrogatoire
sur faits et articles », demandé par une partie 2.
Aujourd’hui, on l’attend lors de la procédure de comparution personnelle 3. En effet, le juge peut, en toute
matière, faire comparaître personnellement les parties
ou l’une d’elles (art. 184 C. pr. civ.), en présence des
parties et de leurs défenseurs. Cette procédure fournit à
la fois un formalisme à l’interrogatoire, et un support
aux déclarations, notamment par la rédaction d’un procès-verbal dont les termes sont prévus par le Code de
procédure civile (art. 194 et 195).
En-dehors du recours à la comparution personnelle,
la procédure orale, qui donne un statut procédural aux
déclarations faites oralement par les parties, se prête,
mieux que la procédure écrite, à la production d’aveux
(1) L’art. 417 C. pr. civ. prévoit que le mandat de représentation investit les représentants du pouvoir de « faire ou accepter un désistement, d’acquiescer,
de faire, accepter ou donner des offres, un aveu ou un consentement ».
(2) Dans l’ancien Code de procédure civile de 1806, deux procédures étaient prévues pour obtenir l’aveu. Les art. 324 à 336 organisaient une procédure
spéciale dénommée « interrogatoire sur faits et articles », qui permettait à une partie de demander au juge de soumettre l’autre à un interrogatoire en
chambre du conseil, dont les résultats étaient consignés sur un procès-verbal. Par ailleurs, les art. 119 et 428 prévoyaient la comparution personnelle, respectivement devant les tribunaux civils et les tribunaux de commerce, sans cependant l’organiser. Abrogé par une loi du 23 mai 1942, l’interrogatoire sur
« faits et articles » était fusionné avec la comparution personnelle, pour donner lieu à un régime unique de « comparution personnelle des parties et de
leur interrogatoire » (art. 324 et s.), donnant lieu à procès-verbal. Réécrite lors de la recodification du Code de procédure civile, cette procédure figure
aujourd’hui ss. les art. 184 à 198.
(3) L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 6e éd., Litec, 2009, n°s 591 à 594.
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judiciaires. En effet, dans les procédures écrites, seules
les conclusions déposées par l’avocat peuvent contenir
des aveux, à l’exclusion des déclarations faites lors de
la plaidoirie 4. En revanche, ces déclarations peuvent
être retenues si la procédure est orale 5, et ces aveux se
suffisent sans qu’il soit besoin de les corroborer par un
écrit 6. La procédure prud’homale, avec sa comparution
personnelle renforcée devant le bureau de conciliation,
est un lieu privilégié de production de déclarations factuelles susceptibles d’être retenues comme autant
d’aveux. Les arrêts de la Chambre sociale du 30 et du
22 mars 2011, tous deux publiés au Bulletin, sont l’occasion de faire le point sur les circonstances et la portée de l’aveu judiciaire en milieu prud’homal. Le premier arrêt rappelle d’abord que l’aveu ne peut porter
utilement sur la signification d’une règle, dont l’interprétation appartient au seul juge (I). Le second arrêt
vaut avertissement qu’un aveu émis oralement n’existe
qu’autant qu’il est retranscrit dans des écritures judiciaires, ce qui soulève à nouveau la question de la transcription devant le bureau de conciliation (II). Un peu de
prospective jurisprudentielle nous conduira à réfléchir à
la place de l’aveu dans le nouveau régime des écritures
récapitulatives, applicable à toutes les procédures orales par le décret du 1er octobre 2010 (III).
I. - De l’objet de l’aveu en milieu réglementé
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CHRONIQUES I Contentieux, procédure et juridictions
(4) Civ. 1re, 14 janv. 1981, n° 78-15.288, Bull. civ. I, n° 13 ; Civ. 1re, 14 mai 1991, n° 90-12.688, Bull. civ. I, n° 150.
(5) Civ. 1re, 3 févr. 1993, n° 91-12.714, Bull. civ. I, n° 57 ; RTD civ. 1993. 642, obs. R. Perrot ; ibid. 1994. 106, obs. J. Mestre.
(6) Civ. 2e, 29 avr. 2004, n° 02-20.249, Bull. civ. II, n° 196 ; D. 2004. IR 1639.
(7) Cette règle d’évidence fait l’objet de rares illustrations jurisprudentielles. Pour une distinction claire entre les objets de l’aveu, v. Civ. 1re, 17 oct 1995,
Bull. civ. I, n° 230 ; JCP 1996. I. 3938, obs. L. Cadiet ; RTD civ. 1996. 171. obs. J. Mestre. « Mais attendu que si les déclarations d’une partie ayant pour
objet l’analyse juridique de ses rapports avec une autre partie, ou avec des tiers, ne peuvent constituer un aveu car elles portent sur des points de droit,
les déclarations concernant l’existence même de ces rapports, comme c’est le cas en l’espèce, portent sur des points de fait et sont, dès lors, susceptibles de constituer des aveux ».
(8) Pour un exemple récent, v. Soc. 2 déc. 2009, n° 08-43.350, non publié au Bulletin. Une cour d’appel faisait droit à la demande du salarié en paiement
d’un rappel de congés payés pour la période d’absence pour maladie, en se fondant sur le seul fait que l’employeur avait précédemment versé une indemnité pour une absence liée à la maladie, ce qui valait aveu du droit du salarié aux congés. La Cour de cassation cassait l’arrêt, au visa principal de l’art. 1354
C. civ., en retenant que « la déclaration d’une partie ne peut être retenue contre elle comme constituant un aveu que si elle porte sur un point de fait et
non un point de droit et alors que le litige avait pour objet l’acquisition de droits à congé et non l’exercice de ces droits ».
CH
L’aveu étant un moyen de preuve, il ne peut porter
que sur des points de fait et non sur des points de droit 7.
Cependant, la distinction n’est pas toujours aisée à appliquer dans les relations juridiques très réglementées,
comme en droit du travail, où les contours du fait sont
déterminés par une règle de droit. Les occasions de
contrôler l’objet de l’aveu sont rares en jurisprudence,
dans la mesure où il n’est pas fréquent qu’une décision
se fonde principalement sur ce moyen de preuve 8. L’arrêt de la Chambre sociale du 30 mars 2011 est intéressant en ce qu’il procède par substitution de motifs, pour
écarter l’allégation d’un aveu portant sur un point d’interprétation d’une convention collective.
Le litige concernait un salarié, directeur général au
sein de la société Kohler France, à qui l’employeur notifiait sa mise à la retraite par lettre du 21 avril 2000 reçue
le 25 avril suivant. Par un courrier daté du 2 mai 2000
et présenté pour la première fois au salarié le 4 mai suivant, l’employeur faisait savoir qu’il renonçait à l’application de la clause de non concurrence, dans des conditions prévues par l’article 28 la convention collective
nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie. Cette
disposition libérait l’employeur de son obligation de verser l’indemnité compensatrice en cas de dispense d’exécution de la clause de non-concurrence, effectuée dans les
huit jours de la notification de la rupture du contrat de
travail. La cour d’appel condamnait l’employeur à payer
une indemnité au titre de la clause, en relevant la date du
25 avril 2000 comme date de rupture du contrat de travail, et du 4 mai comme date de notification de la renonciation. L’employeur contestait cette décision, en se fondant sur un aveu judiciaire émis par le salarié dans ses
écritures de première instance et d’appel, selon lequel la
notification de la rupture du contrat était intervenue à la
date d’envoi du courrier, soit le 2 mai 2000. Autrement
dit, l’employeur considérait que la question de la date de
notification constituait un problème de fait, et non de
droit. La Cour de cassation refuse de se placer sur ce terrain, et se livre à l’interprétation de l’article 28 de la
convention collective : « le délai de huit jours dont dispose l’employeur pour prévenir le salarié qu’il le dispense,
en cas de cessation d’un contrat de travail qui prévoit une
clause de non-concurrence, de l’exécution d’une telle
clause, a pour point de départ la date d’envoi de la lettre mettant fin au contrat, et son respect s’apprécie à la
date d’envoi de la lettre dispensant le salarié d’exécuter
la clause de non-concurrence, ledit délai s’imputant de
date à date, sans qu’il y ait lieu d’en déduire les samedis,
dimanches et jours fériés ». Se fondant sur les constatations de l’arrêt, la Cour retient un envoi de la lettre de
rupture le 21 avril 2000, et un courrier le libérant de
l’obligation de non-concurrence du 2 mai 2000, soit audelà du délai de huit jours. Par ce motif de « pur droit »,
substitué à ceux critiqués, la décision déférée se trouve
légalement justifiée.
En se plaçant sur le terrain du « pur droit », la Cour
de cassation indique que certaines données apparemment factuelles, comme les dates d’envoi ou de réception d’une lettre, ont une portée juridique dès lors qu’elles sont prévues dans des textes légaux ou
conventionnels. Elles ne sont alors pas susceptibles de
faire l’objet d’aveux, mais sont soumises à l’interprétation du juge du droit.
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Sur le plan du droit, la portée de l’aveu est bien différente de celle qui résulte d’un acte judiciaire avec lequel
il présente quelques similitudes, l’acquiescement à la
demande. Cet acte, qui ne peut émaner que du défendeur,
éteint l’instance accessoirement à l’action (art. 384, al.
1er, C. pr. civ.), « emporte reconnaissance du bien-fondé
des prétentions de l’adversaire et renonciation à l’action », et n’est admis que pour les droits dont la partie a
la libre disposition (art. 408 C. pr. civ.). L’acquiescement
pouvant être exprès ou implicite (art. 410), les déclarations des défendeurs peuvent être retenues contre lui à ce
titre, à condition de ne pas être équivoques 9, dès lors
qu’elles mettent fin au litige 10.
II. - Transcrire l’aveu oral
Dans les procédures orales, les déclarations des parties faites devant le juge peuvent être retenues comme
aveux, dès lors qu’elles ont fait l’objet de transcriptions
adaptées. L’arrêt du 22 mars 2011 rappelle l’exigence
d’une transcription détaillée des aveux pour fonder une
décision. On le prolongera en posant spécifiquement la
question de l’aveu constaté au cours de l’audience de
conciliation.
La situation litigieuse rapportée dans l’arrêt est de
celles où la preuve des faits joue un rôle central. Un
cadre de la Société Connecteurs électriques Deutsch était
convoqué à un entretien en vue d’une sanction disciplinaire. La veille de l’entretien, il passait un appel téléphonique à la responsable des ressources humaines, en la
menaçant de révéler des faits relevant de sa vie privée,
pour influencer son témoignage. Le salarié était licencié
sur le seul motif retenu par l’employeur qu’il avait exercé
un chantage et des pressions sur la responsable des ressources humaines. Le salarié était d’abord débouté par
le conseil de prud’hommes, qui se fondait à titre principal non sur le témoignage de la responsable des ressources humaines, mais sur son propre aveu : « M. X... a été
licencié pour un motif unique, avoir fait pression sur
Mme Y... lors d’un appel téléphonique du 18 avril 2006
afin d’obtenir son intervention en sa faveur dans le but
d’éviter une sanction ; qu’il apparaît de façon claire que
M. X... a tenté d’utiliser l’existence d’une relation privée
et intime pour obtenir une intervention en sa faveur ; que
M. X... a reconnu les faits et ne les conteste plus ; que
M. X... a indiqué sans qu’il ne se contredise que ce
n’était pas du chantage mais un moyen de défense ». La
Cour d’appel réforme le jugement au motif « qu’il
n’existe pas au dossier de la procédure et il n’est pas produit de note d’audience reprenant les déclarations de
M. X... ou de son conseil sur ce point ; que la formulation utilisée ne permet par ailleurs pas de déterminer s’ils
considéraient qu’il avait reconnu un chantage et des
pressions ou seulement le fait d’avoir téléphoné à la responsable des ressources humaines le 18 avril 2006 ; qu’il
ne peut ainsi être considéré que M. X... aurait passé un
aveu judiciaire concernant les faits de chantage et de
pressions reprochés ». Ce qui était en jeu était donc la
détermination du fait reconnu par le salarié, que les
énoncés relevés par le conseil de prud’hommes ne permettaient pas d’identifier. Dans son pourvoi contre l’arrêt qui le condamne à payer au salarié une somme de
42 000 € à titre de dommages et intérêt « pour licenciement illégitime », la Société revient aux constatations du
conseil de prud’hommes, en réaffirmant qu’elles faisaient
preuve d’un aveu judiciaire. La Cour de cassation
confirme l’arrêt, en retenant que la cour d’appel a
« exactement décidé que la seule mention figurant dans
les motifs du jugement, selon laquelle “le salarié reconnaît et ne conteste plus les faits”, alors qu’aucune note
d’audience contenant les déclarations précises qui
avaient été faites par le salarié devant le bureau de jugement n’était produite, ne pouvait valoir aveu judiciaire ».
Cet arrêt souligne un point sur lequel nous avons à
maintes reprises attiré l’attention dans cette chronique 11,
et ailleurs 12, la nécessité et la difficulté de transcrire soigneusement les dires des parties dans le cadre des procédures orales, chaque fois que la question factuelle est au
centre du débat 13. Si ces déclarations sont mentionnées
avec précision, elles vaudront aveu et fonderont la solution du litige. C’est une des raisons qui commandent de
faire acter certaines des déclarations formées devant le
bureau de conciliation. Si la réforme de la procédure
orale du 1er octobre 2010 n’a pas vraiment amélioré la
situation, faute de « certification judiciaire » du contenu
des débats 14 ces textes confirment la nécessité de découper l’audience de conciliation en plusieurs séquences 15.
La première séquence est décrite par la première partie du premier alinéa de l’article R. 1454-10 du Code du
travail : « Le bureau de conciliation entend les explications des parties [et s’efforce de les concilier] ». Ce
(9) Notamment, le fait pour un employeur de « s’en remettre à la décision du conseil », devant un bureau de conciliation ne vaut pas acquiescement à la
demande, et implique au contraire une contestation. Soc. 20 sept. 2005, n° 03-46.502, inédit.
(10) Civ. 2e, 12 févr. 1975, n° 73-13.748, Bull. civ. II, n° 45.
(11) E. Serverin et T. Grumbach, « L’oral et l’écrit dans la procédure prud’homale », RDT 2007. 468.
(12) E. Serverin et S. Bruxelles, « Enregistrements, procès-verbaux, transcriptions devant la Commission d’enquête : le traitement de l’oral en questions »,
Droit et cultures « Parole(s) : L’affaire d’Outreau », n° 55, 2008, p. 149-180.
(13) Civ. 2e, 29 avr. 2004, préc. Le litige opposait devant le bâtonnier l’avocat et son client, sur le contenu d’une convention verbale d’honoraires. La Cour
de cassation relève que « la décision déférée mentionnait la déclaration personnelle faite devant l’avocat rapporteur désigné lors de débats contradictoires par laquelle l’avocat reconnaissait expressément qu’une convention verbale d’honoraires d’un montant de 30 000 F avait été conclue avec sa cliente,
déclaration actée par le rapporteur, de sorte qu’elle constituait un aveu judiciaire. »
(14) V. Orif, « La règle de l’unicité de l’instance à l’épreuve du projet de réforme de la procédure orale », RDT 2010. 594.
(15)T. Grumbach et E. Serverin, « L’audience initiale devant le conseil de prud’hommes : de sa phase de conciliation à sa phase juridictionnelle », Dr. ouvrier
2009. 469.
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Contrairement aux autres prétentions et déclarations
des parties, qui peuvent être modifiées tout au long de
l’instance en procédure orale, une déclaration reconnue
comme aveu judiciaire ne peut être révoquée « à moins
qu’on ne prouve qu’il a été la suite d’une erreur de fait »
(art. 1356, al. 4, C. civ.). L’aveu va donc poursuivre celui
qui l’a fait tout au long de la procédure, et à toutes ses éta-
(16) Ces demandes doivent être actées, faute de quoi un recours peut-être formé par la voie de l’appel nullité pour excès de pouvoir négatif et déni de
justice déni de justice » E. Serverin et T. Grumbach, « Des devoirs et des pouvoirs des conseillers prud’hommes lors de l’audience initiale », RDT 2009.
462.
(17) V. notre commentaire de ce décret, E. Serverin et T. Grumbach, « La réforme de la procédure orale en perspective prud’homale », RDT 2011. 193.
(18) Art. 753, al. 3 « Les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. À défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et le tribunal ne statue que sur les dernières conclusions déposées. ».
(19) Art. 954, al. 3 : « Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans
leurs conclusions antérieures. À défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées. ».
(20) Civ. 1re, 20 mai 2003, n° 00-18.295, Bull. civ. I, n° 117 ; RJDA 2003, n° 1271 ; J. Mestre et B. Fages, « Aveu judiciaire et conclusions récapitulatives »,
RTD civ. 2004. 293.
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CHRONIQUES I Contentieux, procédure et juridictions
III. - La portée de l’aveu en cas de recours
aux conclusions récapitulatives
pes, et, sauf révocation dans les conditions de l’article 1356
du Code civil, ne pourra être contredit par une autre déclaration orale, ni par un écrit. Dans l’arrêt du 22 mars 2011,
nous avons vu que les déclarations avaient été formées au
cours de l’instance prud’homale, et qu’elles fondaient le
moyen principal du pourvoi en cassation. On peut se
demander dans quelle mesure l’admission par le décret du
1er octobre 2010 des conclusions récapitulatives dans les
procédures orales, au premier degré de juridiction comme
en appel, peut modifier la portée d’une déclaration, écrite
ou orale, formée très tôt dans la procédure.
L’alinéa 2, de l’article 446-2 nouveau du Code de
procédure civile prévoit que : « Lorsque les parties formulent leurs prétentions et moyens par écrit, le juge
peut, avec leur accord, prévoir qu’elles seront réputées
avoir abandonné les prétentions et moyens non repris
dans leurs dernières écritures communiquées » 17. Cette
disposition, qui requiert un accord spécifique des parties,
reproduit la règle des écritures dites « récapitulatives »,
prévues par l’article 753, alinéa 3, du Code de procédure
civile pour les procédures contentieuses devant le tribunal de grande instance 18, et l’article 954, alinéa 3 pour
la cour d’appel 19.
La notion de présomption « d’abandon des prétentions et moyens non repris dans les dernières écritures »,
figurant dans ces différents textes, suggérerait qu’une
déclaration pouvant valoir aveu, mais non reprise par
l’une ou l’autre des parties ne pourrait plus être invoquée
dans la suite du litige. À cette question, la première
chambre civile a donné une réponse nettement négative
par un arrêt du 20 mai 2003, qui n’est pas passé inaperçu 20. Cet arrêt concernait l’application de l’article 954, alinéa 2, du Code de procédure civile, issu du
décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998, qui rendait
obligatoires les conclusions récapitulatives dans les
matières avec représentation obligatoire devant les cours
d’appel. Mme L., réparatrice de bateaux, avait fait effectuer sur une péniche des travaux de hissage, et avait
reconnu sa dette dans les conclusions d’appel déposées
par son avocat, mais non reprises dans ses conclusions
récapitulatives. L’absence de rappel de cette mention
valait-elle « révocation » de l’aveu ? La Chambre civile
répond par la négative, en faisant prévaloir la règle de
preuve prévue par l’article 1356 sur la règle de procédure posée par l’article 954 : « Mais attendu, sur la première branche, qu’un aveu judiciaire ne pouvant, selon
l’article 1356 du Code civil, être révoqué, ne saurait
l’être du fait qu’ayant été contenu dans des conclusions
CH
moment est essentiel. Il impose aux deux juges l’écoute
des dires de chacune des parties : d’abord le demandeur,
dans l’objet et les moyens de ses prétentions, puis le
défendeur dans ses arguments de fait et de droit visant à
les réfuter. Au cours de cette séquence, les conseillersconciliateurs prennent connaissance des faits, pour pouvoir informer les parties sur l’étendue de leurs droits. À
ce moment, il n’est pas encore temps de faire transcrire
quelque déclaration que ce soit. S’ouvre ensuite une
deuxième séquence, celle de la conciliation, introduite par
la deuxième partie du premier alinéa de l’article R. 145410 : « Le bureau de conciliation [...] s’efforce de les concilier. ». Cette séquence est confidentielle. Il s’agit d’une
étape d’écoute, sans prise de notes de la part du greffier.
À l’issue de cette séquence de conciliation, s’ouvre une
troisième séquence qui peut être juridictionnelle, si des
demandes de mesure sont formées 16, mais qui comporte
également une série d’enregistrements, mis à la charge du
greffier par le troisième alinéa de l’article R. 1454-10 :
« À défaut de conciliation totale, les prétentions qui restent contestées et les déclarations faites par les parties sur
ces prétentions sont notées au dossier ou au procès-verbal par le greffier sous le contrôle du président ». C’est
au cours de cette séquence, après constat de non conciliation, que les déclarations peuvent être actées, et retenues s’il y a lieu comme aveu judiciaire. Autrement dit,
l’audience initiale offre aux conseillers l’occasion d’interroger de manière contradictoire les parties et/ou leurs
représentants, en vue d’obtenir des déclarations factuelles sur les litiges, et d’assurer leur enregistrement sous le
contrôle du président. On n’insistera jamais assez sur la
nécessité de mener avec le plus grand soin cette audience
initiale, qui permet de faire advenir de façon contradictoire des éléments de preuve détenues par les parties. Ce
moment est crucial. En effet, sauf mesures d’enquêtes, ou
convocation à une comparution personnelle, les parties
ne se reverront pas avant le bureau de jugement.
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d’appel antérieures aux dernières conclusions, il ne se
trouve pas dans celles-ci ; qu’ayant relevé que Mme X...
ne démontrait aucune erreur d’appréciation dont elle
aurait pu se convaincre depuis l’aveu de sa dette à
l’égard de la société Sacha, dans ses premières conclusions d’appel, la cour d’appel a décidé, à bon droit, que
Mme X... était mal fondée à élever de nouvelles contestations sur ce point, dans ses conclusions récapitulatives ;
que le grief n’est pas fondé ». Cet arrêt est venu atténuer
la portée impérative de l’article 954, alinéa 3, en complétant un avis de la Cour de cassation portant sur son
interprétation, et qui dispensait le juge de revenir aux
écritures antérieures, sauf pour celles qui entraînent des
effets de droit, au regard notamment de l’interruption de
la prescription ou de la péremption » 21.
La solution a vocation à s’appliquer tant devant les
conseils de prud’hommes que devant les cours d’appel
lorsque les parties auront accepté le principe des conclusions récapitulatives. Même si ces déclarations ne sont
pas reprises, elles pourront valoir aveu devant la formation de jugement. Il suffira pour la partie qui aura relevé
chez son adversaire des déclarations valant aveu dans des
écritures antérieures, mais non reprises par lui, d’en faire
état dans ses propres conclusions récapitulatives. De plus,
les parties pourront toujours se référer aux déclarations
actées par le greffier de la juridiction et figurant au dossier. La persistance de l’aveu n’est donc pas remise en
cause par la réforme de procédure. Dès lors, on perçoit
bien tout l’intérêt d’une démarche active des conseillers
prud’hommes dès la phase de conciliation, qui pourront
poser des questions aux parties sur des éléments de fait,
dans l’esprit de l’ancienne procédure « d’interrogatoire
sur les faits et articles », tout en s’assurant d’un recueil
soigneux des déclarations dans un procès-verbal signé par
les parties. À ces conditions, il est permis de penser que
l’aveu judiciaire a encore de beaux jours devant les juridictions prud’homales.
Evelyne Serverin et Tiennot Grumbach
(21) Cass. avis, 10 juill. 2000, n° 02-200007, Bull. avis n° 6 ; D. 2000. Jur. 837, note A. Lacabarats ; RTD civ. 2000. 893, obs. R. Perrot.
394 I Juin 2011 - Revue de Droit du Travail