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RETOUR SUR TERRE, RETOUR À NOS LIMITES
Après le krach et avant Copenhague :
de quelle « reprise » parle-t-on ?
Le principe de responsabilité, sous la forme où nous l’avons
habituellement, à savoir sous sa forme juridique ou morale,
est trop court, parce que, au plus, nous sommes responsables
des conséquences immédiates de notre action et aussi des
torts qui s’ensuivent, des suites qui ont déjà fait leurs effets.
Tandis que le problème de la responsabilité, ce sont des
suites qui n’ont pas encore fait leurs effets mais qu’on peut
déjà évaluer1.
POURQUOI établir un lien entre la crise financière de l’automne 2008
et les questions environnementales ? Est-ce un artifice rhétorique de
mettre en rapport les excès de la finance et les risques créés par la surexploitation des ressources naturelles ? Le calendrier, qui fait intervenir
le rendez-vous crucial des négociations sur le climat à Copenhague
dans la suite de la séquence des effondrements boursiers, semble faire le
rapprochement pour nous. Mais plus que cette coïncidence, il y a aussi
l’intuition selon laquelle, au-delà des excès de la finance, c’est l’ensemble de notre modèle de développement qui est mis en cause par la
crise2.
En effet, on peut retrouver en amont du choc bancaire provoqué par
le retournement du marché immobilier américain un phénomène de
fond qui n’est pas indépendant de la suite des événements. L’affaiblissement du régime salarial qui avait permis, dans le cadre des institutions
1. Paul Ricœur, « L’éthique, le politique, l’écologie », dans Écologie politique, 1993, no 7. Ce
texte est disponible en ligne sur le site du Fonds Ricœur : http://www.fondsricoeur.fr
2. Ce dossier s’inscrit dans la suite de l’ensemble paru dans notre précédente livraison :
« Les contrecoups de la crise », novembre 2009 mais aussi dans le prolongement des deux dossiers présentés « à chaud » : « Dans la tourmente (1). Aux sources de la crise financière »,
novembre 2008 et « Dans la tourmente (2). Que fait l’État ? Que peut l’État ? », décembre 2008,
ainsi que le numéro plus distancié sur « Les mauvais calculs et les déraisons de l’homme économique », juin 2009.
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de l’après-guerre et de l’industrie fordiste, un fort compromis social,
équilibrant en particulier la répartition des fruits de la croissance et
permettant ainsi, en soutenant de manière continue le revenu des
ménages, la consolidation d’une large classe moyenne dans toutes les
économies développées3. Il ne faut pas voir dans la crise d’un type de
crédit immobilier américain très particulier (les fameux prêts
subprime) un problème sectoriel qui se serait étendu à l’ensemble de
l’économie par manque de barrières réglementaires ou de frontières.
Car il faut la replacer dans un mouvement d’ensemble qui touche les
États-Unis comme les autres pays : la difficulté pour les classes
moyennes fragilisées de faire face au coût croissant de l’alimentation,
des matières premières et de l’énergie du fait des déséquilibres de notre
modèle de consommation, du changement climatique et du décollage
de parts croissantes de la population mondiale (Chine, Inde, Brésil…).
Comment les ménages font-ils face à cette augmentation continue, et
appelée à se poursuivre, du coût des biens de base ? Alors que le pouvoir
d’achat des classes moyennes stagne depuis longtemps et que les inégalités explosent, c’est, aux États-Unis et dans de nombreux pays qui ont
imité leur modèle, par le développement de l’endettement (notamment
par les emprunts immobiliers de plus en plus faciles) que le niveau de
vie a été maintenu4. Mais quand les ménages n’arrivent plus, devant
l’augmentation du coût du transport, du logement et de l’alimentation,
à rembourser leurs échéances, ils deviennent insolvables et entraînent
dans leurs difficultés leurs prêteurs, ceux à qui ces derniers ont revendu
les risques sous forme titrisée etc., créant une chute généralisée de la
confiance qui étend le discrédit à l’ensemble des acteurs… jusqu’à ce
que l’État soit contraint d’intervenir pour rétablir le jeu habituel des
échanges.
Il n’existe donc pas une succession de difficultés sectorielles qui se
sont enchaînées par hasard mais bien une seule crise globale, qui associe l’accumulation excessive des déséquilibres du mode de développement occidental étendu à l’ensemble du monde, la rupture du compromis salarial, le modèle de croissance économique et les premiers effets
du changement climatique sur l’agriculture dans un contexte de forte
croissance démographique mondiale.
Même s’il est vrai que la sophistication des produits financiers, la
complexification des échanges, l’interdépendance des systèmes à
3. Voir par exemple l’argumentaire d’Alain Lipietz dans Face à la crise : l’urgence écologiste,
Paris, Textuel, 2009 qui insiste sur la paupérisation moyenne des salariés américains depuis les
années 1980, donc sur l’impossibilité de séparer la question sociale de la question environnementale.
4. Comme l’écrit Daniel Cohen à propos des États-Unis : « Alors même que les inégalités de
revenus n’ont cessé de croître au cours des quinze dernières années, on n’observe aucune hausse
visible des inégalités en matière de consommation : le crédit a compensé, et au-delà, le revenu
comme moteur de la consommation », dans « Sortie de crise. Vers l’émergence de nouveaux
modèles de croissance ? », rapport pour le Conseil d’analyse stratégique, octobre 2009, p. 6.
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l’échelle du globe ont donné à la crise une allure de complexité inouïe,
dont les rouages intimes n’étaient peut-être accessibles qu’à ceux-là
mêmes qui l’avaient provoquée, elle ne s’en résume pas moins, considérée comme un événement global, à une question simple : comment les
ménages pourront-ils boucler leurs fins de mois, alors que les biens de
base, du fait de la manière dont notre mode de développement est percuté par les contraintes environnementales, seront en augmentation
continue sur une longue période ? Tout élémentaire, ou familière,
qu’elle paraisse, cette question n’en est pas moins déroutante car elle ne
trouvera probablement pas de réponse sans changements profonds dans
nos modes de vie.
Les fausses pistes de la croissance
Au-delà des mécanismes de la crise de 2008, ce sont aussi les
réponses déjà apportées, ou encore en exploration, qui incitent à intégrer plus étroitement la dimension environnementale aux réflexions sur
notre mode de vie. En effet, l’argument des écologistes selon lequel
notre système de production néglige de manière aveugle son coût environnemental prend davantage de poids quand on constate l’aggravation des dommages causés à l’environnement (menaces sur la biodiversité, tensions sur les ressources en eau, effets à long terme de la
pollution…).
L’exemple des acteurs financiers a en outre considérablement endommagé le présupposé des acteurs économiques rationnels, en montrant
une inconséquence, mais aussi finalement une impunité, qui plaide difficilement pour l’idée que le marché encourage les acteurs économiques
à anticiper correctement les conséquences négatives (y compris pour
eux !) de leurs décisions. Laisser la collectivité supporter le poids des
« externalités négatives » tandis qu’on s’arrange pour faire limiter les
règles voire qu’on s’ingénie à les contourner par les jeux d’influence, la
corruption ou le recours aux paradis fiscaux n’est plus un débordement
local ou anecdotique. De telles dérives, qui ont fait des ravages dans le
domaine du crédit, seront (et sont déjà) insupportables du point de vue
environnemental.
Mais c’est aussi la manière de se tourner vers la « croissance verte »
pour prendre le relais du modèle précédent qui occasionne des malentendus sur l’« après-crise » comme s’il s’agissait d’un simple trou d’air à
passer. On ne peut pas seulement « relancer la machine » et renouer avec
la croissance, il faut aussi changer le moteur et modifier notre trajectoire. La mutation à venir est plus vaste et ne consiste pas à trouver uniquement un « bon relais » de croissance, c’est-à-dire le secteur qui assurera l’emploi et quelques précieux points de croissance. On ne pourra pas
simplement remplacer la production automobile par celle des panneaux
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solaires pour inventer l’économie de demain, c’est l’ensemble de notre
système de production et de consommation qu’il faut revoir.
L’amorce d’une réflexion sur un nouveau mode de croissance montre
aussi rapidement qu’il ne faudra pas trop compter sur les nouvelles
technologies (y compris quand elles sont favorables à l’environnement,
comme les green techs) pour surmonter les contradictions au milieu
desquelles nous nous trouvons5. L’économie high-tech n’a en effet pour
le moment pas de réponses à proposer au renchérissement des biens fondamentaux. Les dimensions vitales de notre expérience − dormir,
manger, se déplacer, prendre soin de soi et des autres… − restent hors
d’atteinte des bénéfices procurés par l’aménagement high-tech de notre
environnement et opposent une limite à son expansion actuelle. Daniel
Cohen l’explique bien dans un rapport récent :
Si le progrès technique divisait soudain par deux le prix du logement
ou de l’alimentation, les ménages y trouveraient instantanément leur
compte. Mais ce n’est pas ainsi qu’il procède. Les produits de haute
technologie ne rendent pas meilleur marché la vie ordinaire. Ils créent
de nouveaux besoins, sans donner directement aux consommateurs les
moyens de les satisfaire. On tient ici l’un des paradoxes centraux de la
mondialisation. Elle permet aux consommateurs d’acheter de moins en
moins chers des produits manufacturés en provenance d’Asie. Mais elle
renchérit aussi le prix des matières premières, du fait de la demande
croissante qui émane des pays émergents. Tandis que le prix de la
micro-informatique baissait de 50 % en trois ans, celui du fioul domestique augmentait de 56 % au cours de la même période. La hausse du
prix des matières premières, qu’on croyait limitée à l’énergie, se propage à l’ensemble de ce qu’il faut bien appeler les ressources rares, produits agricoles inclus, et tend à neutraliser les effets positifs de la
baisse du prix des biens manufacturés sur le pouvoir d’achat6.
Certes, les nouvelles technologies n’apportent pas que des gadgets
vite consommés, elles contribuent déjà à créer des emplois dans le secteur des énergies renouvelables ou des transports mais les ordres de
grandeur restent incomparables7. Surtout, il importe de rappeler que les
besoins fondamentaux comme le logement8, l’alimentation (la sousalimentation touche aujourd’hui 2 milliards de personnes), l’hygiène
(l’accès à l’eau salubre manque aujourd’hui à 1,1 milliard d’habitants9)… restent déterminants dans la consommation des ménages et
5. Voir François Ascher, « Effet de serre, changement climatique et capitalisme cleantech »,
Esprit, février 2008.
6. D. Cohen, « Sortie de crise. Vers l’émergence de nouveaux modèles de croissance ? », art.
cité, p. 8.
7. Dans un ouvrage qui a le mérite de multiplier les exemples de ce qui se fait déjà en
matière d’action pour une économie durable, Corinne Lepage montre que nous sommes déjà
« en transition » : Vivre autrement, Paris, Grasset, 2009.
8. Voir notamment Françoise Choay, « L’utopie et le statut anthropologique de l’espace
édifié », Esprit, octobre 2005.
9. Ces deux chiffres sont tirés du rapport de la Direction générale de la recherche de la
Commission européenne, le Monde en 2025, p. 15 et 17, voir http://ec.europa.eu/research/rese
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qu’ils vont même s’imposer à nouveau à notre attention à mesure que
les défis environnementaux se feront plus urgents.
Mais en avons-nous bien pris la mesure et serons-nous capables de
faire les bons choix pour y répondre ? Notre situation a ceci de particulier qu’il ne s’agit pas seulement de faire face à un « emboîtement des
crises10 » où la remise en cause du leadership occidental, le rendezvous énergétique, les difficultés alimentaires, les rivalités pour les
matières premières peuvent se combiner en des conflagrations inédites
mais aussi que le calendrier du changement est assez précis. D’ici
2050, en effet, des échéances majeures se profilent. Certaines incitent à
un relatif optimisme. Ainsi, selon les démographes, la population mondiale devrait se stabiliser en 2050 aux environs de 9 milliards d’habitants. En outre, le développement économique des pays émergents permet à des milliards d’habitants de la planète, en particulier en Chine et
en Inde, de s’extraire d’une misère séculaire. Cela implique bien sûr un
changement complet des rapports de force au niveau international.
Surtout, cette double évolution démographique et économique sera difficile à synchroniser, d’ici cette échéance, avec les efforts nécessaires du
point de vue de la protection de l’environnement, en premier lieu de la
lutte contre le réchauffement, pour préserver les équilibres d’une planète
humainement vivable. Comme le montre ici l’article de Dominique
Bourg qui fait le point sur la montée et l’accélération des contraintes
environnementales, il devient vital, à tous points de vue, d’éviter la
« surchauffe » et de nous projeter dès aujourd’hui dans les échéances de
205011.
Agir en développant la démocratie
Mais qu’est-ce qui a changé depuis les premiers travaux du Club de
Rome dans les années 1970, où l’on découvrait, avec Ivan Illich par
exemple dans Esprit (mais aussi André Gorz ou Jacques Ellul12), les
critiques radicales de notre mode de développement ? Certaines
menaces se sont précisées. Des promesses de la croissance n’ont pas été
tenues. Mais les difficultés auxquelles nous faisons face ne sont pas
toujours celles qui ont été annoncées. Surtout, la réflexion, avec le
thème consensuel du « développement durable », qui s’est rapidement
diffusé dans les discours des institutions internationales, propose une
perspective d’accompagnement du système économique plutôt que de
rupture avec ses logiques. Il ne s’agit plus de renoncer, en préalable, à
la croissance mais de la rendre compatible avec les contraintes environ10. Voir Pierre Hassner, « L’emboîtement des crises : sécurité, légitimité, influence », Esprit,
août-septembre 2008.
11. Voir notre numéro intitulé « Le temps des catastrophes », mars-avril 2008.
12. Nous reviendrons prochainement dans la revue sur les œuvres de Gorz et Illich.
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nementales. Ne faut-il y voir qu’une résolution rhétorique des contractions ? La formule, qui ne résout rien, a potentiellement le mérite d’offrir des perspectives partageables, où l’action du simple citoyen ne
serait pas insignifiante. Le risque existe bien, en effet, de confier à un
magistère technique global le soin de décider d’en haut ou alors, à l’inverse, de maintenir le statu quo en entretenant le scepticisme et le déni
des problèmes, tout en poussant des minorités agissantes vers des solutions extrêmes. Comment offrir des alternatives crédibles, des perspectives d’initiative et d’action, même si tout le programme classique du
« progrès » est largement pris à défaut ?
Ces sujets ne doivent pas rester du domaine de l’expertise, ils constituent en effet une question politique globale qui concerne de manière
solidaire l’ensemble des pays et l’ensemble des dimensions de la vie
individuelle. C’est pourquoi nous avons demandé à un responsable politique européen, l’eurodéputé Daniel Cohn-Bendit et à un syndicaliste,
François Chérèque, le secrétaire général de la CFDT, comment le nouveau modèle en gestation pouvait se défaire de la visée productiviste qui
a donné forme tant au compromis social lié au monde industriel qu’au
projet d’émancipation porté par la gauche, largement tributaire de la
croissance perpétuelle du revenu des ménages. Quel est le compromis
politique et social qui peut se nouer dans un modèle qui n’est plus
industrialiste et productiviste mais qui cherche une nouvelle alliance
entre qualité de vie et préservation des conditions de la vie collective ?
C’est, reprend Joël Roman dans son article, au-delà des nécessaires
stratégies politiques, l’ensemble du rapport de la gauche à ces questions
de fond qu’il s’agit de reprendre désormais.
Mais à côté de ces enjeux collectifs, il reste bien difficile de savoir en
quoi le changement climatique, qui aura pourtant un impact sur la vie
quotidienne de chacun, est susceptible de placer les citoyens dans une
position d’acteur responsable. Edwin Zaccai, auteur de nombreux travaux sur le développement durable, fait pour nous le point sur la
manière dont le citoyen et le consommateur peuvent être concernés,
dans l’évolution du mode de vie, par ces questions globales.
La question climatique est, de ce point de vue, tout à fait représentative. On sait désormais que la température moyenne du globe augmentera dans une échéance rapide. Pourtant, toutes les zones géographiques ne seront pas également affectées par les conséquences du
réchauffement global. Les zones tropicales sont en effet plus exposées
que les autres aux événements extrêmes. Ce sont donc les pays les plus
pauvres et les moins bien équipés qui seront les premiers affectés.
Aujourd’hui, 3 351 villes et 380 millions d’habitants vivent dans la
zone côtière de faible altitude (moins de 10 m) menacée par une montée
des eaux. En 2050, d’après le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le monde pourrait compter 150 millions de réfugiés climatiques. Ce ne sont pourtant pas les villes les plus pauvres qui
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contribuent le plus au réchauffement : la ville de São Paulo au Brésil,
quatre fois plus grande que la ville californienne de San Diego, émet
un dixième des émissions de cette dernière13. Ce type d’exemple pose la
question de la solidarité internationale dans l’effort de lutte contre le
réchauffement et de l’équité : quelle est la juste répartition de l’effort de
réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Tel est l’enjeu de la rencontre de Copenhague qui, même si elle ne débouche pas directement
sur un accord, posera les jalons des négociations à poursuivre après le
sommet médiatique des chefs d’État et de gouvernement.
La négociation est compliquée par le constat d’une inégalité historique dans la jouissance des biens naturels : les pays émergents ne peuvent pas se développer dans la même insouciance des impacts environnementaux qui fut celle des pays occidentaux depuis la révolution
industrielle. Pourtant, de quel droit imposer aux pays qui rejoignent
notre mode de développement des contraintes dont nous avons pu, pour
notre part, nous affranchir ? C’est l’argument que feront valoir les pays
du Sud à Copenhague, tout en étant bien conscients que leur contribution à la lutte contre le réchauffement est indispensable au nom du bien
commun. Le rapport de force qui se met en place, avec la Chine comme
chef de file dans la négociation, capable de coaliser les pays de l’Opep
et les pays en développement, montre bien que nous n’en sommes plus à
la question Nord-Sud des années de guerre froide. La Chine est bien
consciente d’occuper une place centrale et les États-Unis, qui ont bien
vu à quel point leur abstention après les accords de Kyoto en 1997 leur
a coûté en termes de leadership international, ont ménagé en premier
lieu avec elle les termes de la négociation.
Mais la limite des négociations ne vient pas seulement du trop faible
engagement des États. Pour Nicolas Bouleau, que nous publions ici,
les négociations se présentent mal et ne pousseront pas les États à
prendre des engagements à la hauteur du défi parce qu’elles restent tributaires d’une représentation du changement des comportements par
l’incitation économique alors que le raisonnement économique implicitement partagé par les négociateurs favorise les attitudes de « passagers clandestins » : tout le monde est censé partager les efforts mais le
gagnant sera celui qui en fera le moins. L’échec du marché des permis
négociables en est d’ailleurs un inquiétant indice14.
13. Grégoire Allix, « Depuis 2008, la moitié de l’humanité vit en ville », Le Monde, 24 octobre 2008.
14. Sur le choix entre le marché des droits négociables et une taxe carbonne, voir la récente
mise au point de Katheline Schubert, Pour la taxe carbone. La politique économique face à la
menace climatique, Paris, Éd. rue d’Ulm, coll. du « Cepremap », 2009. Voir aussi la nouvelle
collection « Développement durable et innovation institutionnelle », dirigée aux Presses universitaires de France par Dominique Bourg et Alain Papaux, avec deux livres : Augustin Fragnière,
la Compensation carbone : illusion ou solution ?, Paris, Puf, 2009, et Patrick Criqui, Benoît
Faraco et Alain Grandjean, les États et le carbone, Paris, Puf, 2009.
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Quel serait le modèle alternatif ? À problème global, réponse globale, suggère Nicolas Bouleau : la bonne volonté des États ne suffira
pas, il faut imaginer un système de contraintes qui s’imposerait à tous.
Pourtant, cette solution par le haut devrait être complétée par une
action en aval. Cela nous conduit à la question du gouvernement local,
puisque les questions de changements de mode de vie toucheront aux
transports, au logement, à l’agriculture locale, aux solidarités en cas
d’épidémie ou d’incidents climatiques. Lors de la catastrophe de la
Nouvelle-Orléans (ouragan Katrina en 2005), il n’a pas manqué aux
habitants un pouvoir mondial mais une municipalité capable de
prendre en charge sa propre population de manière responsable.
En 2050, 5,3 milliards d’habitants vivront en ville, dont les deux
tiers en Asie et un quart en Afrique15. La ville ne donne pas seulement
un cas d’application pratique du « développement durable », elle permet aussi de comprendre quelles peuvent être nos prises sur la dynamique de la mondialisation. Albert Levy examine cette formule du
durable à l’épreuve d’un projet urbain spécifique, celui de Seine-Arche
qui doit rétablir le lien entre la Défense et Nanterre, pour savoir s’il
recouvre plus qu’une formule et s’il permet de faire face aux véritables
questions urbaines, qui sont par nature politiques. Pour Olivier Mongin, la métropole est une échelle d’analyse révélant la nouvelle interrogation portant sur l’abondance et la rareté. Alors que le développement
des échanges a été mené au nom d’une promesse d’abondance, la force
de la pression sur l’environnement nous conduit à redécouvrir la question, fondatrice pour l’économie, de la rareté. La rareté ne concerne
plus des biens exceptionnels et superflus. La nature elle-même se fait
rare, de même que les services environnementaux qu’elle fournit. Contre
la perspective d’un emballement ou d’un effondrement, il convient de se
demander comment freiner la mondialisation par le bas, c’est-à-dire
maintenir le jeu des échanges mondiaux tout en retrouvant le sens des
limites.
Marc-Olivier Padis
15. G. Allix, « Depuis 2008, la moitié de l’humanité vit en ville », art. cité.
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