Après le Team X, les expérimentations sur l`habitat : entre
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Après le Team X, les expérimentations sur l`habitat : entre
1 Après le Team X, les expérimentations sur l’habitat : entre recherches formelles et recherche du sens. Dufau Frédéric, Fourcaut Annie, Le monde des grands ensembles, Grâne, Créaphis, 2004. Il ne faut pas oublier le passage de Jacques Chaban-Delmas – dont le directeur de cabinet était un certain Jacques Delors – à la tête du gouvernement en 1969-1971. C’est dans le cadre du mouvement réformiste (la “nouvelle société”) initié par Chaban-Delmas que Robert Lion, directeur de la Construction, a fondé le Plan Construction en 1971. 2 Jean-Michel Léger Q ue faut-il entendre par “architecture expérimentale” ? L’expression paraît abusive si l’on s’en tient au protocole expérimental de Claude Bernard. Toutefois, si l’on considère que les termes “expérience” et “expérimentation” sont issus de l’experentia latine, à la fois enrichissement de la connaissance par la pratique et épreuve, essai, provocation d’un phénomène pour l’étudier, et si l’on tient compte que le terme est aussi utilisé pour la pratique artistique, on doit admettre que les architectes peuvent légitimement nommer “expérience” leur simple recherche de solutions nouvelles. Ceci explique que le catalogue des expérimentations se confond en partie avec l’histoire de l’architecture, la plupart des œuvres retenues par les historiens l’étant au nom de la différence qu’elles ont représentée – ou représentent encore – dans la multitude des œuvres dont une infime partie entrera dans l’Histoire. L’expérimentation, une expérience Rue intérieure, double hauteur du séjour, loggia : trois des points majeurs de l’architecture de l’Unité d’habitation de Marseille, réinterprétés par A. Josic et F. Calsat pour le concours des Mille Logements à Villeneuve d’Ascq (1972). 230 En France, les pratiques du métier ont peu changé après 1971, date de l’institutionnalisation de l’innovation, en France, par un organisme tel que le Plan Construction, qui a donné une légitimité intellectuelle à la démarche sans parvenir à la discipliner, de manière à ce que les hypothèses soient fondées sur une réflexion préalable et que les résultats de l’observation soient considérés comme validant ou infirmant les hypothèses. Il n’en demeure pas moins que, par des canaux indirects, le feed-back se diffuse, au risque d’interprétations erronées allant rejoindre les rumeurs, qui ne sont jamais cependant qu’un avertissement sur la complexité de l’évaluation des expérimenta- tions, dont le résultat peut toujours être l’objet d’un débat contradictoire. Si aujourd’hui les terres de l’innovation sont plutôt arides, les années soixante-dix et quatre-vingt ont été les plus fécondes, venant après deux décennies de construction intensive d’habitat collectif, qui ne furent d’ailleurs pas exemptes de novations dans la mise au point des procédés techniques et dans la modernisation de l’appareil de production1. Mais c’est bien contre l’obsolescence très rapide du modèle des grands ensembles que s’est levé le mouvement réformiste de l’innovation2, quitte à ce que nombre de ses propositions soient à leur tour rapidement dépassées – ce qui invite à un certain discernement dans les ruptures avec les conventions typologiques et techniques. Malgré leurs insuffisances méthodologiques, les évaluations offrent au moins des repères, face aux opinions émises par tout un chacun – critique d’architecture y compris – au nom de la parole démocratique, dont on ne sait parfois si elle est plus proche de l’information éclairée ou de la brève de comptoir. C’est pourquoi la présentation de quelques moments significatifs de l’expérimentation se fera à partir d’opérations ayant été l’objet d’une évaluation de leur réception par leurs habitants. L’hommage rendu au CIAM 9 est l’occasion de partir d’un projet d’Alexis Josic datant de 1972. Si Josic a participé à ce CIAM, c’est à titre personnel, puisque le team CandilisJosic-Woods ne s’est formé qu’en 1956. Mais, puisque ce sont Candilis et Woods qui ont présenté leurs travaux au CIAM 9, le troisième homme y a sa place, d’autant que son De la question du logement à l’habitat comme milieu : au-delà du Team-Ten 231 3 Moley Christian (1995), “Les tendances de conception”, in Ascher François (dir.), Le logement en questions, Paris, Editions de l’Aube, p. 258. 4 Eleb Monique (2000), “Ensemble d’habitations Les Hautes-Bruyères”, in Cohen Jean-Louis, Eleb Monique, Paris. Architectures 1900-2000, Paris, Editions Norma, p. 246-251. Dit aussi “concours du Pont de Bois”, d’après le nom du quartier. A noter que Candilis avait répondu de son côté à cette compétition avec un certain Delannoy. 5 6 Dont les résultats ont été repris in Léger JeanMichel (1990), Derniers domiciles connus. Enquête sur les nouveaux logements 1970-1990, Paris, Créaphis. 7 Josic Alexis (1973), in “Lille Est, Pont de Bois, projet Josic (lauréat)”, Techniques & Architecture, n°293, mai-juin 1973, p. 112. projet de Villeneuve d’Ascq apparaît comme une synthèse entre les idées du Team-Ten et celles de Le Corbusier, plus précisément entre les systèmes non hiérarchiques prônés par Team-Ten et certains dispositifs de l’Unité d’habitation de Marseille. La deuxième direction de recherche présentée est celle du concept radical de “bande active”, dont l’expérimentation à Villejuif (Val-de-Marne) a été considérée par Christian Moley comme la “proposition-phare rationaliste d’Yves Lion”3, tandis que Jean-Louis Cohen et Monique Eleb la retenaient parmi l’une des trente-trois réalisations de Paris et de sa proche banlieue significatives du XXe siècle4. Le troisième exemple sera celui de l’application en France du “plan bâlois”, typologie de logement inédite et proposée par deux équipes bâloises dans leur projet parisien, dont le rapport respectif au contexte a provoqué la polémique, pour des raisons au demeurant opposées. Enfin, la construction de 1 200 maisons en bandes dans la périphérie d’Evora (Portugal) par Alvaro Siza révèle une série de paradoxes : conçue dans le contexte de la Révolution de 1974, elle refuse le réflexe “collectiviste” et propose des maisons en rangées ; l’apparente répétitivité typologique décline en réalité une centaine de types différents ; le systématisme de l’assemblage des maisons est assoupli par les variations de l’accroche à la topographie ; enfin, le tracé des “aqueducs”, réseau de galeries techniques aériennes à forte valeur symbolique, est une référence au stem, le fameux système d’organisation linéaire du Team-Ten. Un avatar de Team-Ten : Josic à Villeneuve d’Ascq Assemblage de deux cellules dans un programme de logements sociaux à Champs-sur-Marne, Y. Lion, architecte (1991-1995). 232 En 1972, Alexis Josic, François Calsat et Douchanka Josic gagnent le concours de Mille Logements5 à Villeneuve d’Ascq, qui était à l’époque la ville nouvelle de Lille-Est. Ce concours est soutenu par le Plan Construction naissant. On sait que Candilis et Woods avaient travaillé chez Le Corbusier avant de s’éloigner de la Charte d’Athènes pour développer un habitat adapté à d’autres cultures et à d’autres climats, ainsi qu’ils l’ont appris de leur expé- rience de constructeurs en Afrique. En 1961, les projets pour Caen-Hérouville et pour Toulouse-Le Mirail avaient appliqué les principes selon lesquels la structure des villes se basait sur les activités humaines et non plus sur des schémas d’ordonnancement géométrique. Une structure minimale d’organisation devait pouvoir être la matrice du développement futur du quartier, d’où le vilain nom de “proliférant” donné alors à ce principe de croissance. Entre la cellule, unité de base de la vie familiale et la ville, un système de relations règle les différentes échelles ; c’est ce que l’on retrouve dans le schéma d’organisation du quartier de Villeneuve d’Ascq, divisé en îlots, euxmêmes subdivisés en unités de voisinage, elles-mêmes formées de cellules. Au système linéaire d’Hérouville et du Mirail, le stem, correspond ici un réseau de rues, voulues aussi par Josic comme les rues intérieures de l’Unité d’habitation de Marseille, qui distribuent directement les logements. Vingt ans après Marseille, Josic cite explicitement quelques-uns de ses dispositifs majeurs (la rue intérieure, la double hauteur du séjour, la loggia), exprimés par une représentation graphique très corbuséenne. La réalisation du projet traversera de nombreuses vicissitudes, depuis la mort prématurée de François Calsat jusqu’aux marchandages avec les maîtres d’ouvrage, depuis la densification du programme jusqu’au déshabillage final du projet. En 1980, lors d’une enquête réalisée pour l’IAURIF6, la réception de cette architecture était assez dépendante de la situation de l’occupation du logement, dans la mesure où la chambre d’en bas, par exemple, était privée d’autonomie si elle était utilisée comme telle – mais A. Josic n’écrivait-il pas que “le découpage de l’emploi du temps de chacun cède devant l’unité de la vie familiale7“ ? Le confort de chaque “cellule” était également fortement contraint par la mono-orientation, selon que l’on était exposé au nord-est (à Lille, sans double vitrage l’hiver, ce qui sera corrigé dans la réhabilitation) ou au sud-ouest. Faute d’une véritable entrée faisant sas, il était dommage que l’intimité du logement soit compromise par le statut public de la rue intérieure, véritable voie de circulation piétonne dans le quartier. Les cellules ne manquaient pourtant pas de qualités spatiales : outre l’intimité de la De la question du logement à l’habitat comme milieu : au-delà du Team-Ten 233 terrasse-loggia (ouverte comme une terrasse, mais protégée latéralement comme une loggia), les appartements proposaient une division efficace entre salon, en bas face à la loggia, et coin-repas, à un demi-niveau supérieur et devant la cuisine. La façade active selon Yves Lion : évolution d’un concept Au milieu des années quatre-vingt, Yves Lion applique à Villejuif (Val-de-Marne) le concept de “bande active” qu’il a défini avec François Leclerc quelques années auparavant8. Il s’agit de placer en façade les pièces humides (cuisines, salles de bains, WC), de manière à libérer le plan du logement et à attribuer une salle de bains à chaque chambre, tout en escomptant sur une industrialisation des cuisines et des salles de bain, selon le rêve de plusieurs générations successives d’architectes. Avec ses 78 logements, l’opération de Villejuif n’a pas pu cependant amortir la moindre industrialisation de ses composants. Les chambres-bains ont révélé de leur côté que les difficultés d’usage ne résidaient pas dans le voisinage du sec et de l’humide, comme on pouvait l’attendre, mais dans le face-à-face (bruit, pudeur) entre le dormeur et le baigneur. Le bénéfice est assuré pour l’occupant seul (adolescent, parent isolé), mais compromis pour tous ceux qui (parents ou enfants), partageant une chambre, doivent partager aussi leur intimité individuelle. Dans une opération réalisée peu après à Marne-la-Vallée (1991-1995), Y. Lion met un peu de distance entre la chambre et la salle de bains, tout en gardant la position de cette dernière en façade, devant le refus, par le maître d’ouvrage, des plans avec bande active initialement proposés. En sandwich entre deux chambres, la salle de bains n’a plus besoin de couloir, dont le gain va au reste de l’appartement ; pour les ablutions ordinaires, un lavabo dans le WC suffit. A la salle de bains en façade et dans l’enfilade des chambres correspond une cuisine elle-même en enfilade entre un office et le séjour, ce qui multiplie les opportunités de circulation. La générosité des logements s’oppose à la simplicité d’une architecture de barre 234 peu appréciée des élus locaux. Y. Lion devra attendre dix ans (2005) avant de pouvoir, lors d’un concours gagné à Grenoble, convaincre un maître d’ouvrage grâce au même type de cellule avec salle de bains en façade commandée par deux chambres9. Deux applications du “plan bâlois” à Paris Lion Yves, Leclercq François (1987), “Domus demain, la bande active”, L’Architecture d’Aujourd’ hui, n°252, septembre, p. 16-20. 8 9 Léger Jean-Michel, Yves Lion. Logements avec architectes, Grâne, Créaphis, 2005. 10 Alder Michael, Diener Roger, Morger Meinrad, Senn Richard, Steinmann Martin (1993), “Réflexions sur le logement contemporain”, Faces, n°28, p. 4-9. Léger Jean-Michel (2003), L’ invitation au voyage. Import-export d’architectures du logement en Europe, rapport de recherche pour la Dapa (avec la coll. de Sophie Rousseau et Benoite Decup-Pannier). 11 Ce qui peut être appelé “plan bâlois” est une typologie pensée10 et pratiquée par des architectes de Bâle. A partir de plans développés en Allemagne sous la République de Weimar, l’intention est de répondre à l’individualisation présumée de l’usage des logements : dans des immeubles minces permettant des appartements traversants, la distribution se fait par couloir, la partition jour/nuit est inversée, la taille des pièces est rééquilibrée. Cette typologie est testée par Diener & Diener dans leur projet parisien de la rue de la Roquette (1992-1996) et par Herzog & de Meuron dans l’un des trois bâtiments édifiés rue des Suisses et rue Jonquoy (1996-2001)11. A surface égale, les appartements de la rue de la Roquette ont une pièce en plus (et donc un ou deux occupants en plus) que ceux de la rue des Suisses12. Voulu à Bâle comme une pièce à part entière, le couloir rétrécit au lessivage des normes parisiennes : de 1,83 m (le Modulor !), par exemple, dans une opération réalisée à Bâle, Burgfelderstrasse, par Richard Senn, il passe à 1,30 m, puis à 90 cm dans le goulot d’étranglement de tel appartement de la rue de la Roquette, si bien que son usage se réduit à une fonction de circulation encombrée de rangements, alors que sa taille représente davantage (15 m2) que la surface d’une chambre. En revanche, l’équilibrage des pièces au profit de chambres mesurant jusqu’à 16 m2 (au prix de la suppression des rangements et de l’inclusion des WC dans la salle de bains) est un élément de confort inédit dans le logement social. Cette opération est une nouvelle illustration de la différence entre la perception extérieure, “froide” du visiteur, que celui-ci soit un critique cultivé ou un passant ordinaire – voir la perception de “médiocrité” architecturale, exprimée littéralement par l’architecte-voyer et par l’ABF refusant un premier permis de Rue de la Roquette, un appartement de 100 m2 est un cinq pièces ; rue des Suisses (bâtiment sur cour), c’est un quatre pièces. 12 Plan “bâlois” dans sa patrie et dans ses versions exportées à Paris. Surfaces généreuses dans le programme construit par R. Senn à Bâle (n°3) et dans celui construit par Herzog & de Meuron à Paris, rue des Suisses (n°4, exemple d’une famille de quatre personnes). Surfaces plus contraintes dans l’opération réalisée par Diener & Diener à Paris, rue de la Roquette. La distribution de l’appartement n°5 (grande taille des chambres et bonne largeur du couloir) est cependant préférable à celle de l’appartement n°6 (couloir trop étroit pour une superficie pourtant équivalente à celle d’une pièce, alors que l’appartement héberge une famille de six personnes). Un appartement de 100 m2 est un cinq pièces rue de la Roquette, un quatre pièces rue des Suisses: pour le test du plan bâlois à Paris, le même maître d’ouvrage (la Régie immobilière de la Ville de Paris) s’est montré plus charitable avec Herzog & de Meuron qu’avec Diener & Diener, ce qui fausse bien sûr la comparaison de l’expérimentation. De la question du logement à l’habitat comme milieu : au-delà du Team-Ten 235 construire et par une partie de la critique architecturale –, et celle, “chaude” de l’habitant pour lequel l’architecture n’existe pas sans son usage et sans la vie collective, positive ou négative, qui s’y attache. Dans le bâtiment sur cour de la rue des Suisses, à l’ampleur des mètres carrés s’ajoute la mise en façade de toutes les pièces humides (y compris des WC !) et du bénéfice d’une véranda ou d’une terrasse habillées de bois brut et fermées par des volets en pin glissant le long de rails galbés. Un tel cumul de privilèges dans la situation résidentielle, de la spatialité de la distribution aux ambiances architecturales, urbaines et sociales avantageuses (décor vrai bois, cour plantée, quatorzième arrondissement, voisinage “choisi”) ne se retrouve que partiellement dans les deux immeubles alignés sur la rue des Suisses et sur la rue Jonquoy. La distribution des logements y est radicalement différente et la peau des façades en volets d’aluminium repliables provoque une opposition entre habitants, entre critiques et entre riverains13 à la hauteur des enjeux esthétiques posés par Herzog & de Meuron. Ni Siedlung ni pittoresque : Siza à Evora Le projet de Malagueira, à Evora, est pour Siza la troisième opportunité ouverte par la révolution du 25 avril 1974, après ceux de Bouça (1973-1977) et de S. Vitor (19741977) à Porto. Dans chacun des trois, il recherche des typologies visant la densification de l’habitat individuel : à Bouça, des duplex superposés ; à S. Vitor, une simple rangée de maisons en bande à la Oud. A Malagueira, quartier dont il assure depuis 1977 jusqu’à aujourd’hui la conception globale du projet, du plan de zone à la poignée de porte, les 1 200 petites maisons affrontent deux des principaux défis de l’urbanisme en bandes : l’uniformité et la mitoyenneté. Alors que les premiers projets du plan de développement de Malagueira prévoyaient de continuer la construction d’immeubles collectifs programmés avant la Révolution, Malagueira pousse aux limites la typologie de la maison individuelle en voulant donner sur une même petite parcelle (8 x 12 m) le plus d’individualité possible14. Par ailleurs, l’écriture architecturale de Siza est certes 236 fait un système : on ne les retrouve pas, même sous une forme différente, dans les seuls projets comparables : ceux de La Haye (Schilderswijk, 19851988, et Doedijnstraat, 1989-1993). L’universel et le territorial Le chercheur, qui ne se lasse pas de constater combien l’architecte se montre peu curieux des résultats de ses propres expérimentations, même lorsqu’ils sont encourageants, doit d’abord s’étonner du désir de l’architecte pour un changement social par l’architecture, qui suffit à expliquer les difficiles relations entre architecte et sociologue. Les coups de poker auxquels se livrent les architectes expérimentateurs doivent être pris au sérieux et “moderne”, mais elle introduit dans le code architectural moderne des éléments hérétiques comme la fenêtre vernaculaire, la haute cheminée en refend, la marche de seuil en marbre, etc.15. La démarche de compromis de Siza cherche une voie entre une position rationaliste, justifiée par un choix éthique et par la rationalisation de la conception et de la construction, et une attention aux conventions et à l’architecture domestique. Avec un territoire et une quantité de logements semblables à ceux d’un grand ensemble, Malagueira est à l’opposé de cette forme urbaine. Ce n’est pas un modèle mais une démarche non reproductible, parce que spécifique d’un contexte historique, politique et social – le logement au Portugal au lendemain de la révolution – et à un site, du quartier “clandestin” déjà implanté aux détails de la topographie. Les “aqueducs” sont le fil conducteur qui devait rassembler toutes les pièces de ce grand territoire de 27 ha, mais dont l’efficacité fonctionnelle est contestable et l’efficacité symbolique, invérifiable. Siza n’en a cependant pas La polémique sur les façades a pris de l’ampleur à la suite de la mobilisation de l’association Monts 14, dont le président, Patrice Maire, fort d’une pétition de 400 riverains, s’élève (dans une lettre du 8 septembre 2001 auprès maire du XIVe arrondissement) contre la construction de cet “immeuble horrible avec des façades de couleur noire (une véritable prison)” et demande “que les volets soient supprimés et que les façades soient repeintes en couleur claire, genre blanc cassé”. (Source : archives RIVP). 13 Hoddé Rainier, Léger Jean-Michel (2003), La leçon de l’étranger. Aalto, Siza et la maison de masse, PUCA, septembre. ?????????????????? 14 15 Rayon Jean-Paul (1992), “Alvaro Siza Vieira. Il quartiere Malagueira”, Casabella, n°478, p. 2-10. Construire en métal et en bois à Paris (rue des Suisses, Herzog & de Meuron, architectes, 1996-2001). Persiennes en tôles d’aluminium perforé sur un bâtiment, volets roulants en bois sur un autre, auxquels répond le bois du plancher et de la sous-face des balcons. De la question du logement à l’habitat comme milieu : au-delà du Team-Ten 237 Winnicot, Donald W. (1975), Jeu et réalité, Paris, Gallimard. 16 17 “Mon métier d’architecte consiste à accompagner des évolutions dans les modes d’habiter, ce qui était le but poursuivi à Villejuif. L’expérimentation de Villejuif ne relevait pas de la recherche du logement idéal, ne prétendait pas à l’universalité mais visait à proposer une alternative, en sachant qu’elle serait observée par des sociologues. Une opération comme celle de Villejuif essaie simplement d’apporter un type de choix dans la corbeille de la collectivité. C’était une expérimentation, pas une modélisation.” (Entretien d’Y. Lion avec l’auteur). 18 Mouvement de l’avant-garde des années vingt, actif à Bâle autour de la revue ABC. Voir Abram, Joseph (1992), “L’Ecole de Bâle : Diener & Diener. De la Neue Sachlichkeit au Réalisme Contemporain”, in Diamond Rosamund, Wang Wilfried. (eds), From City to Detail / De la Cité au Détail / Von der Stadt zum Detail. Selected Buildings and Projects by Diener & Diener Architekten, Londres, The Architecture Foundation / Berlin, Ernst & Sohn, p. 8-16. 19 Lucan, Jacques (dir.) (2001), Matière d’art. Architecture contemporaine en Suisse, Bâle, Birkhäuser. 20 Herzog & de Meuron citent à Paris deux parmi leurs premières réalisations bâloises : l’immeuble en bois de la Hebelstrasse (1984-1988), la façade en fonte de la Schützenmattstrasse (1992-1993). 21 Lapierre, Eric (2000), “La ville contre l’architecture”, Le Moniteur Architecture AMC, n°112, décembre 2000-janvier 2001, p. 135. 22 Ibid. Schéma du “stem” (structure linéaire de l’articulation public-privé) dans le projet de Candilis-Josjc-WoocJs pour Fort-Lamy (Tchad, 1962) et schéma du tracé des aqueducs “irriguant” les 1 200 maisons du quartier Malagueira à Evora (Portugal) dessinées par A. Siza (1977). 238 être compris en dehors de la logique scientifique expérimentale. L’opposition créativité/soumission décrite par Winnicott16 permet un déplacement dans la compréhension de la conception architecturale pour reformuler l’opposition innovation/convention. L’expérimentation (ou ce que l’architecte prend pour telle) est un acte premier, un acte de rupture destiné à affirmer une autonomie dont l’architecte est le premier à savoir qu’il devra plus ou moins l’abandonner pour, au moment du passage à l’acte de construire, se soumettre. D’où la vision universaliste des objets de l’expérimentation, parce que l’Homme répond à l’Architecture, parce que les icônes de la modernité du XXe siècle persistent dans la mémoire, parce que le détail des manières d’habiter est une affaire privée. “Universel” ne signifie pas pour autant “obligatoire”, ainsi que l’exprime Yves Lion à propos de l’expérimentation de Villejuif17 : il est possible de penser le changement selon une alternative – la réserve étant que, dans le logement social qui est le terrain des expérimentations, l’habitant ne soit pas libre de choisir. Après une longue période qui avait vu le triomphe d’une modernité universalisante, les positions de Team-Ten ont été les premières à rechercher la synthèse entre l’universel et le territorial qui caractérisera les démarches les plus ouvertes, hors des approches étroitement contextualistes menées dans le sillage mal compris de Aldo Rossi et de Bernard Huet. C’est le cas de Siza à Evora, qui apporte des réponses novatrices aux contradictions entre modernité et conventions, entre pureté doctrinale et négociations avec le site, entre architecture et construction vernaculaire. C’est le cas de Diener & Diener rue de la Roquette – et davantage encore dans leurs opérations bâloises – où, si l’on peut discuter de l’universalité du “plan bâlois”, l’intemporalité de l’architecture est obtenue par une démarche se réclamant la tradition historique de la Neue Sachlichkeit (Nouvelle objectivité18) qui voudrait que le projet soit seulement le résultat d’une démarche intellectuelle, le produit de la raison, sans l’intervention de la sensibilité de l’architecte. Diener & Diener refusent la notion de beau ? Ce n’est pas le cas de Herzog & de Meuron, pour lesquels l’architecture est à l’évidence une “matière d’art”19, mais dont le statut parvient à concilier l’universalité de l’objet et la spécificité de sa relation au contexte. Pour Eric Lapierre, la grande leçon parisienne de la rue des Suisses est en effet que, en montrant, dès le concours, que deux de leurs réalisations bâloises pouvaient être reproduites à Paris20, les deux architectes se proposaient de démontrer la relativité de tout contexte : “Au lieu de dissoudre leur architecture dans une impossible continuité comme les autres candidats du concours, ils assument la dimension universelle, “délocalisée”, de leur projet 21.” La manière dont les immeubles respectent la topologie du site, en s’alignant sur la rue et en se posant sur la cour, sans toucher aux héberges, introduit de nouveaux rapports entre l’architecture et la ville, “entre la continuité pittoresque de l’architecture urbaine et la dislocation de la ville par les modernes”22. Le point de vue d’Eric Lapierre sur une architecture qui échapperait à une vision étroite de la continuité tout en respectant les rapports fondamentaux entre l’espace public et la vie privée, ne serait pas contredit par de nombreux habitants qui, contrairement à ce que l’on croit, ne sont pas englués dans la pensée unique sur la ville. De la question du logement à l’habitat comme milieu : au-delà du Team-Ten 239