textes islam - Central Authentication Service (CAS)

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JÉRUSALEM AU Xe SIECLE
L’eau abonde à Jérusalem, et l’on dit que l’on n’y trouve rien aussi facilement que
l’eau et l’appel à la prière. Peu de maisons qui n’aient leur citerne, voire plusieurs. La ville
possède trois immenses bassins – des enfants d’Israël, de Salomon et d’Iyad, dont les bains
sont tributaires et qui sont eux-mêmes alimentés par des rigoles (tracées) au long des rues. La
mosquée renferme vingt citernes, qui forment un véritable lac. Rares sont les quartiers où il
n’y ait pas une jarre d’eau à l’usage du public, mais cette eau est prise dans la rue. Aussi a-ton pensé à une vallée, et construit deux bassins où les torrents d’hiver viennent mêler (leurs
eaux). De là part, en direction de la ville, une canalisation que l’on met en service au
printemps pour emplir les citernes, à la mosquée ou ailleurs.
Quant à la Mosquée éloignée (al-Masgid al-aqsa), elle est à l’angle oriental de la ville,
dans la direction de la qibla. Ses fondements sont l’œuvre de David. Les blocs sont longs de
dix coudées au plus, sculptés, ajustés, appareillés et solides. C’est sur eux qu’Abd al-Malik fit
bâtir, avec des pierres de petites dimensions, belles, (surmontées) de créneaux. L’édifice
surpassait en beauté la mosquée de Damas, mais survint, sous les Abbassides, un tremblement
de terre, qui jeta à bas la salle couverte, excepté les alentours du mihrab. Le calife, apprenant
cette nouvelle et s’entendant dire que la trésorerie de l’Islam ne suffirait pas pour remettre les
choses en l’état, écrivit aux gouverneurs des (différentes) parties (de l’empire) et aux chefs
d’armée de faire rebâtir, chacun pour son compte, une galerie. Et l’on refit l’édifice, de façon
plus solide mais aussi plus grossière. La partie ancienne est restée comme une tache noire
dans la mosquée ; elle s’étend aussi loin que la colonnade de marbre : tous les piliers de
maçonnerie, eux, sont de date récente.
La salle couverte à vingt-six portes, celle qui fait face au mihrab étant appelée grande Porte de
Cuivre, car elle est plaquée de cuivre doré. Ses battants ne peuvent être ouverts que par un
homme aux bras vigoureux et la poignée solide.
L’esplanade tout entière est dallée. Au milieu est une plateforme, comme dans la
mosquée de Yatrib (Médine) à laquelle on accède, sur chacun des quatre côtés par un large
escalier. La plate-forme supporte quatre coupoles ; les coupoles de la Chaîne de l’Ascension
et du Prophète – Dieu lui accorde ses bénédictions et le salut- sont élégantes, lamées de
plomb, supportées par des colonnes de marbre et sans murs. Au centre se trouve la quatrième
coupole (celle du Rocher (Qubbat as-Sahra). Elle prend appui sur un bâtiment octogonal et a
quatre portes, chacune dans l’axe d’un escalier.
L’intérieur de l’édifice abrite trois nefs concentriques reposant sur des colonnes faites
d’une pâte extraordinaire, plus belle et plus somptueuse que le marbre ; sur ces colonnes
prennent appui des arcs surbaissés. Au cœur de l’édifice est une autre nef entourant le Rocher
(as-Sahra) ; circulaire et non point octogonale (comme les deux autres), elle repose sur des
colonnes de la même pâte que les précédentes, avec arcs de plein cintre. (…) Le Rocher est
vaste de trente-trois coudées sur vingt-sept. La grotte qui est au-dessous peut accueillir
soixante-neuf personnes. L’entretien de la mosquée représente mensuellement cent mesures
d’huile et huit cent mille coudées de nattes. Le service est fait par des esclaves (mamalik) qui
y ont été affectés par ‘Abd al-Malik, à raison d’un cinquième des prisonniers de guerre, ce
pourquoi on les appelle « les gens du quint » (al-Ahmas). Le service (de la mosquée) est
assuré exclusivement par eux, selon un tour de rôle soigneusement.
AL-MUQADDASI, 5945-991), originaire de Jérusalem, La meilleure répartition pour la connaissance des
Provinces, trad. A. MIQUEL, Damas, 1963, p. 189.
1
DAMAS AU Xe SIECLE
D A M A S (Dimasq), métropole du Sam, résidence royale sous les Ummayades, renferme les
vestiges de leurs châteaux, constructions de bois et de brique, qui furent édifiées du temps que
j’étais moi-même à Damas. La plupart des marchés sont couverts mais il en est un, fort beau,
à ciel ouvert, qui court sur toute la longue de la ville.
C’est un pays sillonné de cours d’eau, cerné d’arbres, où les fruits abondent et où les
tarifs sont bas ; il peut y neiger et l’on y trouve les produits des deux hémisphères, On ne voit
nulle part des bains aussi beaux, des fontaines aussi merveilleuses, des habitants (de caractère)
aussi ferme (…)
La ville, dans les deux sens, s’étend en plaine sur une demi-parasange. La grande mosquée est
ce que les Musulmans ont de plus beau aujourd’hui et nulle part ailleurs on ne voit
concentrées d’aussi vastes richesses. (Les murs) trouvent leur assise dans de grosses pierres
appareillées et ajustées ; tout en haut court un magnifique crénelage. Les colonnes se
présentent sous la forme de fûts noirs et lisses, largement espacés sur trois rangs. Au centre de
l’édifice, au niveau du mihrab, est une grande coupole. On a entouré la cour d’une haute
galerie surmontée d’arcades. Le pavement est tout entier de marbre blanc. Les murs, qui
représentent deux fois la hauteur d’un homme, sont couverts d’une marqueterie de marbre,
elle-même surmontée, jusqu’au plafond, d’une mosaïque bigarrée où les ors se détachent en
autant d’inscriptions ou de figures d’arbres et de grandes villes le tout d’une beauté, d’une
finesse et d’une facture extraordinaires. Il y a peu d’arbres ou de pays connus qui ne soient
ainsi représentés sur les murs. (…)
Sur le côté droit de la tour, le trésor repose sur huit colonnes ornées d’incrustations ;
les murs sont couverts de mosaïque. (…)
On dit qu’al-Walid réunit pour cette œuvre des spécialistes persans, hindous,
maghrébins et byzantins, et qu’il y consacre le produit de l’impôt foncier du Sam pendant sept
ans, sans compter la cargaison, en or et en argent, de dix-huit navires venus de Chypre, ni les
matériaux et mosaïques fournis par le roi des Rum.
Le peuple entre dans la mosquée par quatre portes : la Porte de la Poste (Bab al-Barid),
à droite, est grande et flanquée, sur sa droite et sa gauche, de deux portes secondaires.
Chacune des trois portes a deux battants planqués de cuivre doré. Elles donnent sur un triple
vestibule, en ouvrant chacune sur une longue galerie dont les voûtes prennent appui sur des
colonnes de marbre et dont les murs ont reçus l’ornementation déjà dite. Les plafonds sont
tous splendidement ornementés. Cette Porte de la Poste est à cheval sur la cour et la salle
couverte (…) D’al-Hadra’ (la Maison Verte), qui est le palais du gouvernement, des portes
(permettent de passer) à la place réservée au gouvernement pour la prière (maqsura) elles sont
plaquées de cuivre doré. (…)
Extraits d’AL-MUQADDASI, La meilleure répartition pour la connaissance des Provinces, trad. A. MIQUEL,
Damas, 1963, p. 165.
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La vie urbaine à Damas au début du XIIe siècle
Année 520 (27 janvier 1126 – 16 janvier 1127)
Cette année-là, l’influence de Bahrâm, le propagandiste des Bâtiniya, devint
considérable et il fallut compter avec lui à Alep et en Syrie. Il vivait dans le plus grand secret
et la plus grande retraite, changeait d’accoutrement et de vêtement, si bien qu’il circulait dans
les villes et les places fortes sans que personne sût qui il était. Puis un jour il se trouva à
Damas par suite d’un accord que Najm ad-dîn Il Ghâzî avait négocié avec l’émir Zahîr ad-dîn
atâbeg, et porteur d’une lettre où il était chaudement recommandé à cet effet. Il fut très bien
reçu, par précaution contre sa malfaisance et celle de sa bande ; on lui témoigna des égards et
on lui assura une vigilante protection, après les vicissitudes qu’il avait subies, après qu’il avait
erré de place en place, suivi par une masse ignorante et sans bon sens, et par le rebut et la lie
des paysans, des gens sans jugement et sans pitié qui cherchaient à s’abriter derrière lui et ne
voulaient faire que le mal en adhérant à son parti. Le vizir Abou-‘Alî Tâhir b. Sa’d alMazdaqânî s’entendit avec lui bien qu’il n’appartînt pas à sa secte, et l’aida à jeter de tous
côtés les lacets de sa malfaisance et à produire au jour ses secrets les plus cachés. Quand son
action fut devenue publique et eut pris de l’extension et qu’il eut obtenu du vizir de Zahîr addîn dont il vient d’être question qu’il l’aidât dans son action et lui prêtât la main dans son
travail, il demanda à l’atâbeg Zahîr ad-dîn une forteresse pour s’y abriter, une place forte pour
s’y retrancher et y trouver un point d’appui : l’atâbeg lui céda la forteresse de Banyâs en
Dhou-l-Qa’da 520 (18 novembre – 17 décembre 1126)
Lorsqu’il y fut installé, il fut rejoint par son ramassis de pauvres diables, de déséquilibrés, de
paysans, de gens du commun, par un essaim de voyous qu’il égarait par ses absurdités et ses
mensonges et qu’il influençait par ses ruses et ses roueries. Cette calamité prit de l’ampleur et
la découverte au grand jour de leur action et de leur cause, accrut l’épreuve de tout le monde ;
les fogaha, les pieuses gens, les savants, les tenants de la Tradition et les chefs militaires, les
amis de la discrétion et de la paix, les meilleurs parmi les croyants, eurent le cœur serré. Mais
tous s’abstinrent de parler de Bâtiniya et de se plaindre de l’un d’eux, afin de prévenir leur
malfaisance et de se mettre en garde contre les périls qui rôdaient, car les Bâtiniya avaient
commencé à tuer ceux qui leur résistaient et à soutenir ceux qui les aidaient et les
approuvaient dans leurs égarements, tant et si bien que personne ne les désapprouvait
publiquement, ni Sultan, ni Vizir, et qu’aucun chef, ni aucun émir ne pratiquai t de brèche
dans le bloc de leur malfaisance. (…)
Année 522 (6 janvier – 24 déc.1128) et 523 (25 déc.1128-14 déc.1129)
On a déjà parlé de Bahrâm, propagandiste des Bâtiniya, et de la raison qui amena à lui céder
la place de Banyâs ; il est inutile de répéter cet exposé. Lorsqu’il fut installé à Banyâs, il se
mit à la fortifier et à y réparer ce qui tombait en ruine ou était lézardé. Puis il envoya ses
propagandistes de tous les côtés ; ils séduisirent un grand nombre d’ignorants provinciaux, de
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vauriens parmi les paysans des villages et dans la pègre, gens qui n’ont ni conscience pour les
détourner et les empêcher de mal faire, ni crainte de Dieu pour les éloigner et les préserver
des actions blâmables. Leur pouvoir de nuire fut renforcé ; leur doctrine, jusque-là secrète,
apparut au grand jour dans sa nocivité : par la parole et l’action, ils attaquèrent, jusqu’aux
meilleurs des citoyens qu’ils blâmaient et couvraient d’insultes, jusqu’aux isolés sur les
chemins qu’ils attaquaient et dépouillaient, dont ils s’emparaient par la violence et qu’ils
traitaient indignement sous la menace ; ainsi périrent beaucoup de gens sous le coup de
l’injustice et de l’oppression. Les Bâtiniya furent aidés au-delà de toute attente dans leurs
intrigues néfastes par le vizir Abou-Tâhir al-Mazdaqâni. Celui-ci subit le contrecoup
malheureux de sa conduite et ses conséquences blâmables, du fait qu’il conclut avec Bahrâm,
le propagandiste nommé plus haut, un pacte d’assistance, d’aide, de secours, de soutien, en
contradiction avec le service de Dieu et l’obéissance qui Lui est due ; ils devaient unir leurs
efforts contre quiconque chercherait à les attaquer et mettre en commun leurs desseins contre
quiconque leur voudrait du mal. (…)
(Le vizir al-Mazdaqani est assassiné le 4 septembre 1129 sur l’ordre de Tadj al-Muluk
Buri…)
La nouvelle fut divulguée sur le champ et la milice de Damas (ahdâth), accompagnée de la
plèbe et de la pègre se répandit [dans la ville], avec des sabres et des poignards nus. Tous les
Bâtiniya qu’ils rencontrèrent furent mis à mort, ainsi que leurs partisans et tous ceux qui
avaient des attaches ou des relations avec eux ; on les poursuivait jusque chez eux, on les
arrachait de leur demeure et on les mettait tous à mort, en les déchiquetant à coup de sabre ou
en les égorgeant à coups de poignard, puis on mettait leurs corps sur les tas d’ordures, comme
des charognes qu’on jette au rebut ou un cadavre repoussant. Bon nombre d’entre eux, qui
s’étaient réfugiés en des milieux où ils se croyaient protégés et espéraient la vie sauve grâce à
des intercessions de ce côté-là, furent saisis de force et leur sang fut versé impunément. Au
matin, les rues et les places étaient débarrassées d’eux et les chiens hurlants se disputaient
leurs membres et leurs cadavres.
Histoire de Damas d’Ibn al-Qalanisi, (1073-1160), gouverneur de Damas, trad. R. Le
Tourneau, Damas, 1952, p. 169 sq.
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La Chronique de Damas d’al-Gazari, (1136-1206)
(Années 689-698 de l’Hégire (1290/91 – 1298/99)), éd. J. Sauvaget, Paris, 1945, p.8-9)
N°43 : Le 9.XI. arrivée d’un courrier apportant l’ordre de faire une cérémonie pour
l’anniversaire de la mort de Qalawun, comme il a été fait au Caire. On réunit les cadis, les
émirs, les commandants et le plus grand nombre des habitants de Damas sur l’Hippodrome
Vert, en face du Qasr Ablaq, hors la ville, dans la soirée du lundi 11.XI, sur ordre du naïb
(‘gouverneur’)… Depuis le dimanche à midi jusqu’au coucher du soleil on fit des récitations
complètes du Coran, après quoi on servit un festin et les gens mangèrent, tout ce qui fut servi
y passa. On se mit ensuite à réciter le Coran jusqu’au milieu de la nuit : à eux tous ils en firent
la récitation complète, à l’intention du sultan (c.-à-d. Qalawun). Après quoi /le naïb/ ordonna
aux prédicateurs de monter sur le minbar et de faire des sermons dans lesquels ils parleraient
de la mort du sultan. Le premier sermon fut fait par le’sayh at-tasawwuf’ Izz ad-dîn al Farûtî,
puis par le cheikh Nagm ad-dîn Ibn al-Buzûri ; puis des spécialistes…
N°44 : Ordonnance de police : dans la première décade de Ramadân le naïb interdit, sous
peine de sanctions, de circuler après la prière du soir et de laisser les boutiques ouvertes tard
dans la soirée. On n’y prête pas attention, mais les patrouilles de piétons et de naqîb saisissent
les contrevenants qui sont emprisonnés. Ordre aux cheikhs des quartiers de tenir le naïb au
courant de tout ce qui s’y passe. Le 25.XI le naïb interdit aux femmes de porter « un gros
turban » ; interdiction d’inscrire la basmala et des versets coraniques sur les mandîl ; on
interdit à nouveau (saddada) aux habitants d’az-Zabadâni, qui faisait partie de la donation au
naïb, de fabriquer du vin…
Naqîb – le magistrat désigné par le calife
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DESCRIPTION DE LA VILLE D’ALEP (au XIIe s.)
Nous dirons donc que cette forteresse a ceci d’éminent que, selon le rapport qu’on en fait, elle
fut, à l’origine des temps, une colline où vint habiter Abraham, l’Ami (de Dieu), - sur lui et
sur notre Prophète, prière et salut ! – avec quelques brebis qu’il allait traire et dont il
distribuait le lait en aumône, d’où lui vint son nom d’Alep, Halabe (…)
C’est pour parfaire les qualités qui confèrent à une citadelle sa défense complète que l’eau y
jaillit ; on y a construit deux puits où l’eau vient sourdre ; ainsi on n’aura jamais à y craindre
la soif, et les aliments s’y conservent indéfiniment : de toutes les qualités d’une citadelle,
aucune n’est plus importante, plus essentielle que ces deux-là. Les deux puits sont garantis du
côté qui regarde vers la ville par deux solides murailles, devant lesquelles s’interpose un
fossé, dont le regard a peine à sonder la profondeur et où l’eau vient sourdre. La puissance
défensive et la beauté de cette citadelle sont trop complètes pour que l’on parvienne à la
décrire. Sa muraille supérieure est garnie tout entière de tours rangées en un ordre parfait, qui
referment des salles hautes et des pavillons, qui tous prennent jour par des fenêtres. Chacune
des tours est habitée. L’intérieure de la citadelle contient des demeures princières, des
habitations superbes et royales.
Quant à la ville, le site en est grandiose et le plan excellent, la beauté merveilleuse. Les souks,
vastes et grands, se suivent les uns les autres en ordre allongé ; on sort du quartier d’un
métier, pour entrer dans celui d’un autre, jusqu’à ce qu’on ait épuisé tous les genres de
métiers citadins. Tous sont recouverts de plafonds de bois. (…)
La qaisariaya est si propre et si belle qu’elle semble être l’enclos d’un jardin ; elle entoure la
vénérable mosquée principale. Quand on y est assis, on ne désire point un autre spectacle, fûtce celui d’un parterre fleuri. Les comptoirs sont, pour la plupart, des armoires en bois d’un
magnifique travail. Chaque file de boutiques est jointe en une seule clôture de bois dans
laquelle s’insèrent des auvents en bois, admirablement menuisés, qui s’ouvrent tous pour
former les boutiques, l’aspect en est vraiment beau. Chaque allée de boutiques vient aboutir à
l’une des portes de la mosquée-cathédrale.
Celle-ci est l’une des plus belles et des plus magnifiques qui soient. Sa vaste cour est entourée
d’un grand et large portique qui s’ouvre tout entier sur cette cour par des portes aussi belles
que celles d’un palais, au nombre de plus de cinquante. C’est un spectacle captivant pour les
regards. Dans la cour, deux puits d’eau vive. La galerie de la qibla n’a point de maqçoura,
mais elle est d’une largeur extrême et d’un développement splendide. (…)
Le mihrab est tout entier incrusté d’ivoire et d’ébène, et ces incrustations se joignent sans
interruption, de la chaire jusqu’au mihrab, ainsi qu’à la partie du mur de la qibla qui joint
l’une à l’autre, sans qu’il apparaisse de séparation. Les yeux y jouissent du plus beau
spectacle qui soit au monde. D’ailleurs, cette mosquée est belle au-delà de toute description.
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Du côté de l’ouest, une madrassa pour les Hanéfites est accolée à la mosquée elle égale par sa
magnificence et par la solidité de sa construction. Toutes deux sont, en leur beauté, pareilles à
un parterre de fleurs en rejoignant un autre. De toutes les madrassa que nous avons vues,
celle-ci est la plus considérable par sa construction et la rareté de son architecture. (…) La
ville a quatre ou cinq autres madrassa et un hôpital.
La majesté de son rang est considérable, et c’est une capitale qui conviendrait au califat.
Toute sa beauté est intérieure et non extérieure. Elle n’a qu’une petite rivière qui y coule du
nord au sud et qui traverse le faubourg qui s’incurve sur elle. Car elle a un grand faubourg qui
renferme d’innombrables khans. Ce cours d’eau, il y a des moulins, qui touchent à la ville et
qui se dressent au milieu du faubourg.
Ibn Jobayr, (1145-1217), secrétaire du gouverneur de Grenade, Voyages, éd. Gaudefroy –
Demombynes, p. 289, sq.
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BAGDAD AU Xe SIECLE
Madinat al-Salem (Bagdad), fondée sous l’islam, a été construite par ordre d’Abu dja’far
Mansur sur la rive occidentale du Tigre. Sa banlieue fut répartie en concessions aux
fonctionnaires de son entourage, à ses affranchis, aux membres de sa suite, comme, par
exemple, la concession de Rabi’ et celle de Harbiya. Puis la ville prospéra et se développa.
Lorsque Mahdi y régna, il établit son camp sur la rive orientale, et l’endroit fut nommé le
Camp de Mahdi. Dès lors, ce quartier s’agrandit et se peuple, et les constructions s’y
multiplièrent : le nom du califat s’attacha donc à la rive orientale, où vinrent s’installer ceux
qui occupaient des situations gouvernementales ; ils étaient transportés à Mukkarim, au bas de
cette rive. Un hôtel y fût fondé pour servir de résidence au souverain, et aucun édifice
particulier n’y fut attenant. Le palais et le parc du calife s’étendaient sur deux parasanges, de
Bagdad au Nahr Bin, protégés par un seul mur, et se prolongeaient du Nahr Bin jusqu’au bord
du Tigre. Au-delà du palais du califat, les constructions bordaient le Tigre en remontant
jusqu’au Karkh. La rive orientale était appelée le quartier de Bab al-Taq, ou quartier de
Rusafa, ou encore Camp de Mahdi, parce que ce camp était établi en face de la cité d’Abu
Dja’far Mansur
Les deux rives sont aujourd’hui reliées par un pont, qui prend à l’extrémité de Bab al-Taq : il
y en avait autrefois deux, mais vu le petit nombre de passants, l’un d’eux, qui avait besoin de
réparations, a été fermé à la circulation. La plupart des quartiers ont dépéri : jadis les
constructions s’étendaient de la porte du Khorassan jusqu’au pont et se prolongeaient
jusqu’au Bab Yasiriya, sur la rive occidentale. En largeur (242), on constate un abandon dans
les deux rives sur un parcours d’un peu plus de cinq milles, et la plupart des édifices sont
démolis. Le quartier le plus animé est aujourd’hui la rive de Karkh, car la population de
Yasiriya y vient, et l’on y voit la majeure partie des maisons commerçantes…
Les arbres et les canaux de la rive orientale et de l’Hôtel du califat étaient alimentés par l’eau
du Nahrawan et de Tamarra, ils n’empruntaient au Tigre qu’une très petite quantité d’eau, qui
n’aurait pas suffi pour la culture. La rive occidentale prenait son eau du Nahr Isa, qui sortait
de l’Euphrate à proximité d’Anbar sous le pont de Dimimma, et qui donnait naissance à de
petits canaux : ceux-ci se regroupaient et formaient un cours d’eau appelé le Sarat, qui coulait
également en direction de Bagdad. Il y avait sur ses bords de nombreux terrains de culture qui
comptaient à la rive occidentale de la ville…
C’est sur ses bords que s’élèvent les maisons particulières, les hôtels privés et les vergers. Le
Nahr Isa est navigable depuis l’Euphrate jusqu’à son confluent avec le Tigre. Mais sur le
Sarat il y a des barrages et des obstacles qui interdisent la navigation des digues ou des roues
d’irrigation…
Ibn Hawqal, (Xe siècle), Configuration de la terre, trad. G. Wiet, Paris, p. 233 sq.
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Emeute à Bagdad, 919
En 307/919 les gens se rassemblèrent à Bagdad, se plaignant du grain (du blé). Le peuple se
mit à piller les boutiques des marchands de farine, puis se rendirent au palais du
gouvernement.
Les militaires, le lendemain, se postèrent eux aussi au palais du gouvernement, protestant
contre l’augmentation du grain. La foule se rendit dans les grandes mosquées de Bagdad,
brisant les minbars et, interrompant la Prière après la première inclinaison, arrachant les
vêtements et jetant des briques, faisant de nombreux blessés. Un grand nombre d’entre eux se
rassemblèrent dans la grande mosquée du Palais et s’en prirent au chambellan Nasr qui fut
lapidé. Ils se rendirent ensuite à l’Hôtel du vizir Hamid ibn al-‘Abbas qui lança contre eux ses
gardes, lesquels lancèrent des briques et des flèches, tuant beaucoup de monde. Hamid envoya
un groupe de ses gardes à la grande mosquée de la rive occidentale où ils pénétrèrent à cheval,
massacrant beaucoup de monde et subissant quelques pertes.
La nuit du vendredi au samedi les habitants rentrèrent sur le qui-vive, craignant pour euxmêmes, leurs biens, leurs femmes et le préfet de Police fut impuissant à résister à la foule en
raison du nombre de gens qui s’étaient rassemblés. Le matin du samedi un groupe important
se rendit aux portes qui furent incendiées ; les prisons furent ouvertes, l’hôtel du préfet de
Police fut pillé. Le calife al-Muktadir ordonna alors à une unité de gardes hinjaristes de
combattre le peuple : Haroun, à la tête d’un important détachement se rendit au marché de
Bab al-Taq et incendia divers bâtiments ; la foule s’enfuit alors vers la grande mosquée, et
Haroun se rendit maître des issues de la mosquée, arrêta tous ceux qui s’y trouvaient, sans
faire de distinction entre gens honnêtes et malandrins, les mena à la préfecture de Police ; là
certains furent fouettés, d’autres qui furent convaincus d’avoir causé le désordre eurent la
main coupée. Le lendemain dimanche l’émir Yanes apaisa la foule et fit revenir le calme.
(d’après Makawayh)
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Les Hanbalites à Bagdad au Xe siècle
En cette année 323/935 l’activité des hanbalites devint grande et leur influence se renforça. Ils
pénétraient de force dans les demeures des chefs militaires et du petit peuple et s’ils y
trouvaient du vin, ils le répandaient ; s’ils y trouvaient une chanteuse, ils la frappaient et
brisaient ses instruments. Ils s’interposaient aussi lorsque des hommes marchaient en
compagnie de femmes et de jeunes garçons. Dès qu’ils les voyaient, ils leur demandaient qui
était la personne qui les accompagnait, et s’ils refusaient de les renseigner, ils les frappaient et
les conduisaient au préfet de Police, témoignaient de leur immoralité. Ils causèrent un grand
tumulte dans Bagdad. (…)
En l’an 323/935 Badr al-Kharashi, préfet de Police, sortit à cheval le 10 djumada II et fit une
proclamation sur les deux rives de Bagdad relative aux hanbalites, disciples d’Abu
Muhammad al-Barba-hari, déclarant qu’ils ne devaient en aucun cas se réunir, même à deux,
ni discuter de leur doctrine, qu’aucun d’eux ne devait diriger les Prières du matin et du soir
sans réciter à haute voix la formule « Au nom de Dieu le Clément le Miséricordieux ». Mais il
n’eut aucun succès ; leurs méfaits et leurs violences ne firent qu’augmenter ; ils eurent recours
aux aveugles qui trouvaient refuge dans les mosquées et lorsqu’un shafi’ite passait, ils
excitaient contre lui les Aveugles qui le frappaient avec leurs bâtons au point qu’il manquait
d’en mourir.
Un édit du calife al-Radi fut pris à l’encontre des hanbalites où il condamnait leurs actes, entre
autres, leur croyance à l’anthropomorphisme et où l’on lisait notamment : « Vous prétendez,
dit-il alors, que l’apparence de vos visages laids et affreux est à l’image du Seigneur des
mondes et que votre aspect horrible rappelle Son aspect. Vous parlez de sa paume, de Ses
doigts, de Ses deux pieds, de Ses deux sandales dorées, de Ses cheveux crépus, de Sa montée
au ciel et de Sa descente vers ce monde – Dieu transcende de beaucoup ce que disent les
égarés et les négateurs. Vous attaquez les meilleurs de la Communauté ; vous accusez
d’impiété et d’égarement les partisans de la famille de Muhammad ; vous invitez les
musulmans à adopter dans la religion des innovations manifestes et des doctrines perverses et
inconnues du Coran. Vous réprouvez la visite des tombes des imams et accusez leurs visiteurs
d’innovation, alors que vous-mêmes vous vous réunissez pour visiter la tombe de tel homme
du commun qui n’a ni noblesse, ni naissance, ni lien avec l’Envoyé de Dieu, ordonnant qu’on
visite sa tombe, lui attribuant les miracles des prophètes er les prodiges des saints. Que Dieu
maudisse Satan – ce séducteur – qui vous a inspiré ces pratiques abominables : L’émir des
Croyants jure devant Dieu par un serment solennel que si vous n’abandonnez pas votre
doctrine blâmable et votre méthode erronée, il vous accablera de coups, vous dispersera, vous
tuera, vous disséminera, fera tomber le sabre sur vos nuques, le feu sur vos demeures et sur
vos résidences ».
Ibn al-Athir, (1160-1233), Yanid, VIII, p. 307-309; auteur de La perfection des Histoires.
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Un quartier de Bagdad au milieu du XIe siècle
Ibn Aqil dit : un personnage important du quartier appelé « route du Khurasan » m’interrogea
au sujet de Bagdad et je lui répondis ce qui suit.
Je ne veux pas décrire ce que vous auriez de la peine à croire. Je veux simplement vous faire
une description de mon propre quartier, qui n’est qu’un des dix quartiers (de la ville), chacun
de ces quartiers ayant les dimensions d’une ville syrienne. Je vous parle de Bab al-Taq.
Parmi ses rues, il en est une qui est toute proche du Tigre. D’un côté, elle est bordée de palais
dominant le fleuve et disposés de telle façon qu’ils occupent tout l’espace entre le Pont et le
Jardin de Zahir. Ce jardin, qui appartient au Roi (c’est-à-dire au Grand émir), a une superficie
de 200 jarib (1). De l’autre côté se trouvent les oratoires des propriétaires de ces demeures et
les habitations de leurs soldats, ainsi que les écuries.
Tout près de cette rue, près du Pont, se trouve le Marché de Yahya, qui comprend les palais
des vizirs et des émirs, le long de la rive du fleuve. A la fin de ce marché est la Demeure de
Faraj, où sont situées les habitations des hommes pieux.
De l’autre côté (du Marché de Yahya) se trouvent des boutiques et des rues avec les
marchands de farine, les boulangers, les marchands de sucreries. Puis le dernier des palais
dominant le fleuve est celui de l’émir Mu’izz al-dawla qui a un magnifique balcon.
Tel est l’aspect de Bab al-Taq le long du Tigre. Quant à la partie intérieure, on trouve d’abord
l’espace appelé la Place du Pont. De là partent deux grandes rues, dont l’une est celle des
Cordonniers. Puis on rencontre le Marché aux oiseaux, où l’on trouve aussi toutes sortes de
fleurs, et à côté duquel sont les élégantes boutiques des Changeurs. Puis le Marché
d’alimentation, le Marché des orfèvres, inégalé pour sa beauté architecturale : haute
construction avec des poutres en bois de teck supportant des pièces en surplomb.
Puis on rencontre le Marché des copistes, qui est aussi le point de rencontre des lettrés et des
poètes, le Marché de Rusafa, vaste et complet (…), le palais de Mahdi, la grande mosquée de
Rusafa, la rue des chrétiens (…) et les merveilleuses fontaines situées sur la route menant à la
mosquée.
Comparable (à ce quartier) est celui du Karkh, sur la rive occidentale, au bord duquel se
situent des palais disposés en ordre, avec des norias, des jardins et des balcons dominant le
fleuve. Dans les marchés du Karkh et de Bab al-Taq, les marchands de parfums ne doivent
pas se mêler aux marchands de graisse ou de produits malodorants, pas plus que les
marchands de vêtements neufs ne doivent se mêler aux fripiers. Certaines rues sont le lieu de
résidence de notables : ainsi la rue d’al-Za’faran au Karkh est habitée, non par les artisans,
mais par les négociants en tissus et en parfums. De même à Rusafa, la rue de Sulayman est
habitée exclusivement par des cadis, des témoins-notaires et des marchands aux tenues
élégantes. (1) le jarib vaut environ 1500 m2
Ibn Aqil, (1040-1114), théologien hanbalite, Bagdad, d’après G. Makdisi, Arabica, 1959.
11
Description de Bagdad par Ibn Jubair (XIIe siècle)
Cette antique cité est bien toujours la résidence du califat abbasside et le centre de la
diffusion de la doctrine de l’imam coraichite et hachimite. Mais la plus grande partie de ses
édifices a disparu, et il ne lui reste plus que le prestige de son nom.
La ville est divisée en deux parties, l’orientale et l’occidentale, et le Tigre passe entre
les deux. La partie ouest est, en majeure partie, envahie par les ruines ; elle fut peuplée la
première ; le peuplement de la partie orientale est plus récent. Pourtant, bien qu’elle soit
envahie par les ruines, elle comprend dix-sept quartiers dont chacun forme une ville isolée, et,
en chacun d’eux, il y a deux et trois bains ; huit d‘entre eux ont des mosquées principales où
l’on célèbre la prière du vendredi.
La demeure du calife est à l’extrémité de la ville orientale, dont elle occupe au moins
le quart. En effet, les membres de la famille abbasside vivent retirés dans ces habitations, en
une retraite grandiose, sans en sortir, sans se montrer ; ils subsistent des pensions qui leur ont
été attribuées. Le calife en habite une grande partie où il s’est réservé des pavillons altiers, des
palais magnifiques, des jardins délicieux. Actuellement, il n’a point de vizir, mais un
serviteur ; celui-ci préside au divan qui règle les affaires. Il a un intendant, sur l’ensemble des
demeures abbassides et un homme de confiance, sur tout le harem des femmes qui ont
survécu aux règnes du père du calife et de son aïeul, et sur toutes celles que protège l’honneur
califien. Le calife se montre parfois sur le Tigre et à certaines époques, il chasse dans la
campagne. Ces rares apparitions donnent à son existence, suivant le sentiment de la foule, un
caractère mystérieux, et ce mystère ne fait qu’accroître son prestige. Pourtant il aimerait à se
montrer à ses sujets et à manifester son amour pour eux. Ils ont foi en sa fortune favorable, et
ils attendent de son règne prospérité, justice et vie meilleure ; grands et petits font des vœux
pour lui.
La partie orientale de Bagad a de grands souks, d’une large ordonnance ; elle renferme
une population innombrable, sauf pour Dieu qui fixe un nombre à toutes choses. Elle a trois
mosquées ; en chacune desquelles on célèbre la prière du vendredi ; la Mosquée du Calife, qui
est contiguë à sa demeure, est une grande mosquée, avec de vastes conduites d’eau et toutes
sortes de commodités pour l’ablution et la purification ; - la mosquée du Sultan, hors de la
ville, attenante à des palais qui portent le nom du Sultan, qui fut le maître des affaires sous les
ancêtres de ce calife et qui y demeurait : il fit bâtir la mosquée en face de son logis ; - la
mosquée d’ar-Roçafa est sur le côté est, à un mille environ de la mosquée du Sultan.
Les bains y sont innombrables. L’un des cheikhs de la ville m’a rapporté qu’il y en
avait environ deux mille tant dans la partie est que dans la partie ouest.
Quant aux mosquées secondaires de la Rive orientale et de la Rive occidentale, bien
loin d’en donner un chiffre précis on ne saurait en évaluer approximativement le nombre. Il y
a environ trente madrassa, qui sont toutes dans la Rive orientale et il n’en est aucune à quoi ne
le cède en beauté un palais magnifique. La plus considérable et la plus célèbre est la Nizamiya
qui fut construite par Nizam al-Molk et restaurée en l’année 504 (1110). Ces madrassa
jouissent de fondations considérables pour l’entretien des juristes qui y enseignent : elles
fournissent aussi aux étudiants de quoi subsister. Les madrassa et les hôpitaux ont acquis à
cette ville un grand honneur et une gloire durable.
12
L’IRAQ AU XIVe SIECLE
La ville de Basra : (…) J’avais aperçu, en approchant, à la distance de deux milles environ de
la ville, un édifice élevé, semblable à un château fort. Je demandai ce que c’était, et on me
répondit que c’était la mosquée de ‘Ali ibn Abi Talib. Ainsi, Basra occupait anciennement
une si vaste enceinte et couvrait un si grand espace, que cette mosquée était au milieu ; tandis
qu’à présent il y a deux milles entre elle et la ville. I y a aussi deux milles entre cette mosquée
et l’ancienne muraille qui entourait Basra ; de sorte que la mosquée se trouve à mi-chemin
entre la ville et la muraille. Basra est une des principales ville de l’Iraq, et célèbre en tout
pays ; elle occupe un vaste terrain ; elle possède des avenues admirables, beaucoup de vergers
et des fruits excellents. Sa part de beauté et d’abondance a été grande, car c’est le lieu de
réunion de deux mers, l’une salée, et l’autre d’eau douce. Il n’y a pas dans le monde entier de
lieu plus riche en palmiers que cette ville.
(…) Basra renferme les sépultures d’une grande quantité de compagnons du Prophète et de
leurs successeurs immédiats qui sont morts martyrs de la foi dans la « Journée du Chameau »
La ville de Kufa : C’est une des métropoles de l’Iraq, et elle est distinguée parmi celles-ci par
un mérite supérieur ; c’est le lieu où ont séjourné les compagnons de Mahomet et leurs
successeurs immédiats ; et ce fut l’habitation des savants et des hommes pieux. Elle a été la
résidence de ‘Ali Ibn Abi Talib, Commandant des fidèles. Mais elle est maintenant en grande
partie ruinée, parce que les mains de l’iniquité se sont étendues vers elle. Le désordre qui y
règne provient des Arabes Khafadja, qui demeurent près de Kufa, et qui pratiquent le
brigandage sur son chemin.
Cette ville n’a pas de murailles ; elle est construite en briques, et ses marchés sont beaux. On
y vend principalement des dattes et du poisson. Sa mosquée du Vendredi la plus considérable
est une grande et noble mosquée qui contient sept nefs supportées par des colonnes de grosses
pierres de taille, placées l’une sur l’autre, et liées avec du plomb fondu ; leur hauteur est
immense. La mosquée possède de nobles restes, et parmi ceux-ci une cellule en face du
mihrab, à droite de celui qui regarde la qibla ; l’on dit qu’Abraham, sur qui soit la bénédiction
de Dieu, avait un oratoire dans cet endroit. Tout à côté se voit un autel, entouré de planches de
bois de teck ; il est élevé et c’est le mihrab de ‘Ali Ibn Abi Talib. C’est dans ce lieu que le
scélérat Ibn Muldjam l’a frappé, et le public s’empresse d’y venir prier.
(…) Quant au palais du gouvernement à Kufa, qu’avait bâti Sa’ad Ibn Abi Wakkas, il n’en
reste que les fondements. L’Euphrate est situé à une demi parasange de cette ville, du côté de
l’Orient. Il est bordé d’enclos de palmiers touffus et entrelacés. (…)
Bagdad : Le côté occidental de cette ville est celui qui a été fondé le premier, et il est
maintenant en grande partie ruiné. Malgré cela il en reste encore treize quartiers, dont chacun
ressemble à une ville, et contient deux ou trois bains ; huit de ces quartiers possèdent des
mosquées principales. (…)
Le côté oriental de Bagdad abonde en places et offre une disposition magnifique. Le
plus grand de ses marchés est celui appelé « du mardi », et où tous les métiers ont leur lieu
séparé. Au milieu, se voit la madrasa al-Nizamiyya, qui est admirable, et dont la beauté a
donné naissance à des proverbes. Au bout du marché se trouve la madrasa al-Mustansiriyya,
attribuée au Comandant des Croyants al-Mustansir Abu Dja’far, fils du Comandant des
Croyants al-Nasir. Elle renferme les quatre rites orthodoxes et chaque secte a son pavillon
séparé, où se trouvent la mosquée et le lieu de la classe. La leçon du professeur a lieu sous une
13
petite coupole de bois, et sur une chaire recouverte de tapis. Le professeur s’assied et montre
du calme et de la gravité. Il est revêtu d’habits noirs et coiffé d’un turban. A sa droite ainsi
qu’à sa gauche se tiennent deux répétiteurs, qui redisent tout ce qu’il dicte. C’est de cette
manière que se passent toutes les assemblées des quatre sectes orthodoxes. A l’intérieur de la
madrasa il y a un bain pour les élèves et une maison pour les ablutions.
Voyages d’Ibn Battuta, (1304-1377), Berbère du Maroc, trad. Defremery et Sanguinetti, pp. 8 sp, 93 sq et 167
14
D’après al-MAS’UDI : Le Livre de l’avertissement.
Mu’tasim est le premier calife de la maison d’Abbas qui abandonne la résidence de Bagdad,
depuis la fondation de cette ville par al-Mansour. Le motif de son départ fut que les habitants
le supportèrent avec peine et se montrèrent mal disposés contre son entourage, lorsqu’il prit
pour serviteurs des Turcs et d’autres non Arabes. Les mœurs et la rudesse de ces hommes
déplurent au peuple qui plus d’une fois se jeta sur eux et les massacra quand, bousculant les
gens, ils allaient au galop dans la ville. Le calife jugea meilleur de les emmener et de
s’éloigner de Bagdad. (…) Il commença la construction de la ville nouvelle en l’an 221/836 ;
elle fut achevée en peu de temps ; sa population s’accrut, ses rues et ses châteaux se
multiplièrent ; on y transporta les ministères, les services publics, les maisons du trésor ; les
immigrants y affluèrent parce qu’elle était la résidence du calife, bâtie dans un climat
agréable, dans un beau site, avec tous les signes de la prospérité et toutes les promesses de la
fortune.
D’après al-YA’QUBÌ (mort en 897) : « Le Livre des Pays »
Mutawakkil voulu, pour y résider, se faire construire une ville, qui prendrait son nom
et perpétuerait ainsi sa mémoire.
Il envoya creuser un canal qui devait traverser le centre de la ville : pour ce travail, les
frais furent évalués à 1.500.000 dinars. Cette dépense ne causa nulle préoccupation à
Mutawakkil, qui s’en montra satisfait : aussi commença-t-on à creuser ce canal, qui exigea
des sommes énormes. Il fit délimiter la place de ses palais et de ses logements, puis distribua
des concessions aux héritiers présomptifs, à tous ses autres enfants, à ses officiers, à ses
secrétaires, à ses troupes et à des particuliers. L’avenue principale fut prolongée d’environ 3
parasanges, depuis la maison d’Ashnas, jusqu’à ses palais. Ceux-ci furent précédés de trois
magnifiques portes monumentales, sous lesquelles pouvait passer un cavalier, lance au poing.
Des concessions furent données à droite et à gauche de cette grande avenue, dont la largeur
prévue fut de 200 coudées. Il fut entendu qu’on creuserait de chaque côté de l’avenue un canal
dont l’eau serait dérivé du grand canal, en cours de creusement. Les palais furent bâtis, les
maisons s’élevèrent et les constructions prirent de l’essor : Mutawakkil s’y rendit de sa
personne et donnait des récompenses et des gratifications à ceux qui se hâtaient de
construire ; aussi le zèle fut-il extrême. Mutakkil nomma cette ville Dja’fariya.
Les marchés furent établis à l’écart des agglomérations, mais il y en avait un à chaque
carrefour et dans chaque quartier. La grande mosquée fut également terminée, et Mutawakkil
vint résider dans le palais de cette ville le 1er muharram de l’an 247 (17 mars 861).
Après son installation, il fit des largesses à la population et des distributions
considérables ; il accorda des donatives à tous les officiers et fonctionnaires civils, ainsi qu’à
ceux qui avaient travaillé à cette entreprise. Sa joie fut entière : « Je sais maintenant que je
suis prince, déclara-t-il, puisque j’ai pu fonder moi-même une ville pour ma résidence ». On y
transféra les administrations, direction de l’impôt foncier, direction des domaines, direction
du contrôle des finances, direction de l’armée et des mercenaires, direction du service des
affranchis et des gardes, direction de la poste, en un mot, tous les services. Seul, le canal
n’était pas terminé, l’eau n’y coulait qu’en très faible quantité et même d’une façon
15
intermittente. On y avait pourtant consacré déjà la valeur d’un million de dinars. Mais il était
extrêmement pénible d’en creuser le lit ; on devait entamer des parties composées de cailloux
et de graviers, pour lesquelles le pic était inopérant.
Mutawakil n’habita dans le palais de Dja’fariya que pendant neuf mois et jours, car il fut
assassiné le 3 shawwal de l’an 247 (10 décembre 861), dans son palais de Dja’fari, qui fut
bien le plus néfaste des palais.
Dès son avènement, Muhamma Muntasir, successeur et fils de Mutawakkil, rentra à
Samarra, et donna à toute la population l’ordre de quitter Dja’fariya, d’en démolir les
maisons, dont les matériaux devaient être transportés à Samarra. Ainsi on démolit dans le plus
bref délai les palais de Dja’fari, les logements et les maisons d’habitation, les marchés de cette
cité. L’emplacement devint aussi inculte, désert, inhabité, que s’il n’avait jamais été cultivé ni
habité.
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AL-MÙQADDASI, Description d’al-Fustât, trad. J. Sauvaget,
Historiens arabes, Paris, 1946, p.69-70
Al-Fustat est la capitale de l’Egypte, au sens plein du mot : c’est là que sont groupés les
bureaux de l’administration et que réside le Prince des Croyants. C’est elle qui marque la
limite entre le Maghreb et les pays arabes. Sa surface est vaste, ses habitants nombreux, son
district florissant, son nom célèbre, sa valeur estimée. C’est elle la capitale de l’Egypte, celle
qui éclipse Bagdad, celle dont s’enorgueillit l’Islam, celle où toute l’humanité vient
commercer : plus considérable que la ville de la Paix (Bagdad), elle est l’entrepôt du
Maghreb, le dock de l’Orient, le marché achalandé. On ne saurait trouver parmi les villes, plus
populeuse qu’elle : des grands et des cheikhs nombreux, des marchandises et des spécialités
merveilleuses, de bons souks et de bons métiers, des bains qui sont le summum de
l’excellence, des marchés clos pleins d’élégance et de splendeur. Dans tout l’Islam on ne
trouve pas plus fréquenté que les assemblées dans sa grande-mosquée, plus magnifique que
les vêtements de ses habitants, plus abondant en navires que son port. Plus peuplée que
Nichapour, plus considérable que Bassorah, plus grande que Damas, elle offre des nourritures
fines, des assaisonnements délicats, des douceurs à bon marché : riche en bananes et en dattes
fraîches, foisonnant de légumes et de bois à brûler, ayant des eaux légères et un climat sain,
mine de savants, agréable en hiver, pays de gens tranquilles et paisibles, de charité et
d’œuvres pies. Leur manière de psalmodier le Coran est admirable, leur propension à faire le
bien manifeste, la piété avec laquelle ils servent Dieu célèbre dans tous les horizons. Ils sont
exempts de l’incommodité des pluies, préservés de la turbulence des méchants. Ils ne
choisissent comme khatib et comme imam que les plus dignes, n’élèvent aux premières
charges que les meilleurs, même s’il leur est offert de l’argent ; leur cadi jouit toujours d’un
grand prestige, le mohtasib y est aussi respecté qu’un prince ; jamais ils ne cherchent à se
soustraire à l’autorité du gouvernement et du vizir. Bref, si elle ne possédait nombre de vices,
elle n’aurait pas sa pareille au monde.
NB ! Al-Muqaddasî (mort v. 988) est né à Jérusalem ; il a voyagé beaucoup pour visiter les
parties de l’Empire islamique. Il nous a laissé un ouvrage intitulé « Les régions de la terre »,
qui est capital pour la connaissance du Monde musulman au Xe siècle.
17
Le Caire à l’époque de Salah al-Din
… La nuit de ce jour nous la passons dans le cimetière appelé al-Qarâfa, qui est aussi l’une
des merveilles de ce monde, car il contient les monuments funéraires de prophètes, de gens de
la maison (du Prophète), de Compagnons, de Suivants, de savants, d’ascètes, de saints qui ont
été pourvus d’illustres mérites et porteurs d’avertissements extraordinaires. (….)
Nous visitâmes aussi les bâtiments de la citadelle, forteresse aux puissantes défenses,
qui dépend du Caire et que le sultan a l’intention de choisir pour résidence. Il en fait
prolonger la muraille de façon à réunir ensemble les deux cités du Misr et du Caire. Les
ouvriers occupés à ces constructions et les gens chargés d’en exécuter tous les travaux et d’en
fournir le matériel considérable, par exemple de scier le marbre, de tailler les grosses pierres,
de creuser le fossé qui entoure le mur de la forteresse, fossé qu’il faut attaquer à même le roc
avec des pics, en un travail qui est bien l’une de ces merveilles qui laissent de durables traces,
ces ouvriers sont des prisonniers chrétiens roums en nombre incalculable ; o ne peut employer
à ces travaux d’autres ouvriers qu’eux. Le sultan fait exécuter encore ailleurs des
constructions auxquelles les chrétiens sont employés ; ainsi les musulmans qui auraient pu
être occupés à ces ouvrages d’utilité générale en sont dispensés, et nul ne subit de tout cela
une charge quelconque. -- C’est encore un titre de gloire pour ce sultan que l’hôpital que nous
avons visité au Caire : c’est un palais d’une beauté et d’une étendue remarquable, qu’il a
consacré à cette action méritoire, pour gagner la récompense et la rémunération (de l’autre
monde). Il y a désigné un directeur, homme de savoir, auquel il a confié les armoires aux
remèdes, et qu’il a chargé de préparer les potions et de les administrer aux malades, suivant
les variétés de celles-ci. Dans les petites chambres de ce palais, des lits sont à la disposition
des malades qui y trouvent des couches complétement garnies de couvertures. Ce directeur a
sous ses ordres des serviteurs qui ont pour fonction de s’enquérir matin et soir de l’état des
malades et de leur présenter les aliments et boissons qui leur sont convenables. A côté de cet
établissement, il y en a un autre séparé, pour les femmes malades ; elles y trouvent, elles
aussi, des personnes qui prennent soin d’elles. Enfin, adjoint à ces deux édifices, un autre, fort
vaste, renferme des chambres grillagées de fer, qui sont destinées à loger les fous : des
personnes s’enquièrent aussi chaque jour de leur état et leur apportent de ce qui est salutaire.
Le sultan surveille toutes ces institutions par enquêtes et inspections ; il y porte un intérêt
extrême et y donne tous ses soins. – Il y a au Caire, un autre hôpital, exactement sur le modèle
de celui-ci.
C’est dans la vile de Misr que s’élève la mosquée principale qui porte le nom de ‘Amr
Ibn al-‘As. La ville de Misr conserve la trace de la ruine que lui a causée l’incendie survenu à
l’époque des troubles, à la disparition de la dynastie des Obaïdites, en l’année 564 (1169).
Mais la plus grande partie en est aujourd’hui reconstruite et les édifices s’y suivent sans
interruption. C’est une grande cité ; et les restes antiques que l’on voit à l’intérieur de la ville
et dans ses environs témoignent de l’étendue de son enceinte à l’époque antérieure.
Sur la rive du Nil, de façon à être séparé par lui du quartier occidental de la ville, il y a
un village considérable par sa renommée et par ses constructions, qu’on appelle Gizeh et qui
a, chaque dimanche, un marché fort important où l’on se rend en foule. Entre ce village et
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Misr s’élève une île où il y a de fort belles habitations et des pavillons élevés dominant le
fleuve ; c’est le rendez-vous des distractions et des plaisirs. -- Elle est séparée de Misr par une
dérivation du Nil, qui a environ un mille de longueur et qui est sans issue. Dans cette île, il y a
une mosquée principale où l’on fait la khotba. C’est tout contre cette mosquée qu’est le
Nilomètre où l’on observe, chaque année, la hauteur de la crue du Nil au moment de
l’inondation
IBN DJUBAYR, Voyages, trad. GAUDEFROY-DEMOMBYNES, p. 48 sp.
19
LES MARCHÉS DU CAIRE AU XVe SIECLE
Le Boulevard (Al-Qasaba) -. Selon Ibn Sida, le mot qasaba s’applique au chef-lieu d’un pays,
tout au moins à la ville la plus importante. La qasaba est donc le plus vaste des marchés de
l’Egypte. D’après ce que j’ai entendu conter par plus d’un vieillard, il y avait douze mille
boutiques (hanut) dans le Boulevard. (…) Dans ce Boulevard il y avait des souqs : certains ont
été abandonnés, et il en est d’autres qui existent encore. Je vais procurer là-dessus les
renseignements les plus courants (…)
(37) Souq du quartier de Bargawan
(…) Ce souq, qui s’étendait depuis le souq du han des marchands de têtes de mouton
(rawwasin) jusqu’au souq des ciriers (samma’in), était pourvu des deux côtés d’un nombre
imposant de boutiques, où l’on trouvait des vendeurs de viande de mouton écorché et de
viande échaudée, ainsi que de viande de bœuf. On y comptait également de nombreux
marchands d’huile et de fromages, de boulangers, des marchands de lait, des traiteurs, des
rôtisseurs, des marchands de condiments confits, des droguistes, des marchands de légumes,
et beaucoup de vendeurs de diverses denrées, si bien que dans telle boutique on ne vendait
que des ingrédients pour la table, des légumes divers, poireaux, fenouil, menthe ; que dans
telle autre on ne vendait que du sésame et des mèches de coton pour les lampes que l’on
allume pendant la nuit (…). La plupart des boutiques de ce souq ont disparu et il n’en reste
pas de trace. Le souq a cessé toute activité après l’année 806/1403, et il est devenu plus
solitaire qu’un pieu dans une fosse profonde, alors qu’autrefois on n’y pouvait circuler, de
nuit comme de jour, qu’avec la plus grande difficulté, à cause de l’encombrement des
passants. On y trouvait un peseur qui pesait les denrées, la monnaie et les diverses
marchandises : il n’arrêtait pas d’opérer et était sans cesse occupé, au point qu’il y avait
toujours des clients qui insistaient pour qu’il s’occupe d’eux (...)
(72) Souq des ciriers (Suq al-Samma’in) – Ce souq, qui s’étendait de la mosquée al-Aqmar au
souq des marchands de volailles (daggagin), était appelé, sous la dynastie fatimide, souq des
marchands de blé : c’est dans son voisinage que Ma’mun ibn Bata’ihi fonda la mosquée alAqmar au nom du calife al-Amir bi bi-ahkam Allah. Il fit aménager des boutiques et des
magasins au rez-de-chaussée de la mosquée, sur la face qui regarde la bab al-Futuh. J’ai
connu le souq des ciriers plein de boutiques des deux côtés. On y trouvait des cierges de
cérémonie, des bougies pour lanternes et des flambeaux pour les sergents du guet : les
boutiques étaient ouvertes jusqu’à minuit. Pendant la nuit, cet endroit était le rendez-vous des
filles qu’on appelait les ribaudes des ciriers, qui portaient des insignes spéciaux et une tenue
appropriée pour se faire reconnaitre : c’était un ample manteau surmonté d’un voile, et ces
femmes étaient chaussées de sandales de cuir rouge. Elles exerçaient leur métier de
prostituées, frayant avec les mauvais garçons, pendant que ces derniers se livraient à leurs
ébats. Certaines portaient sur elles un poignard. Chaque nuit on vendait dans ce souq des
cierges pour des sommes énormes ; aujourd’hui ce souq est désert et c’est à peine si l’on
compte sin boutiques, alors que j’en ai auparavant dénombré plus de vingt. Les raisons en
sont simples : la population s’est appauvrie et a abandonné l’usage des cierges. Pour la fête de
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l’Epiphanie, on suspendait des lanternes dans ce souq, et le coup d’œil était un spectacle des
plus agréables. De même, l’affluence y était grande durant le mois de ramadan. (…)
(17) – Souq d’Entre-les-deux-Palais (suq Baïn al-Qasraïn) – C’était, d’après ce que nous a
rapporté, le plus important des marchés du monde : à l’époque fatimide, l’emplacement était
si vaste qu’il pouvait contenir dix milles personnes, tant cavaliers que piétons. A la chute de la
dynastie, il cessa d‘être une place libre et fut converti en marché : on est capable de décrire ce
qu’il était auparavant. Nous en avons parlé dans le chapitre des quartiers, et ma tristesse est
grande de voir la médiocrité des vestiges à laquelle il est réduit.
(32) Souq des drapiers (suq al-guhiyyn). – Ce souq venait à la suite du souq des bourreliers et
était consacré à la vente des draps importés des pays d’Europe, pour en faire des coussins, des
rideaux, des couvertures de selles ; légères ou lourdes. J’ai connu une époque où presque
personne ne s’habillait de drap. Le drap faisait toutefois partie de la garde-robe des grands
pour les seuls jours de pluie. D’ailleurs il servait exclusivement aux Maghrébins, aux
Européens et aux Alexandrins, ainsi qu’au menu peuple du Caire. Les notabilités, les
principaux fonctionnaires ou les personnes distinguées ne mettaient du drap qu’en cas de pluie
et enlevaient leur tenue de drap lorsque cessait le mauvais temps (…)
Après les récents évènements, les vêtements augmentèrent de prix, et la nécessité
contraignit les Egyptiens à abandonner certains usages délicats de la vie courante : la plupart
des gens se vêtirent de drap, et l’on put voir les émirs, les vizirs, la qadi et des personnages
moins élevés que nous avons mentionnés précédemment s’habiller de drap (…)
(35) Souq des confiseurs (halawiyyin). Il est réservé à la vente de tous les gâteaux et bonbons,
qu’on appelle aujourd’hui communément des confiseries. C’était un marché des plus
plaisants, à cause des ustensiles qu’on voyait dans les boutiques : c’étaient de vastes récipients
en cuivre, d’un poids très lourd, d’une facture splendide, qui atteignaient des prix très élevés.
On y trouvait les sortes les plus diverses de confiseries. J’ai vu dans ce marché vendre du
sucre à la criée au prix de cent soixante-dix dirhems le quantar. Après les calamités, lorsque le
prix du sucre augmente à la suite de la ruine des pressoirs de la Haute Egypte et des
raffineries qui se trouvaient au Vieux-Caire, la fabrication des confiseries diminua, car la
plupart des confiseurs étaient morts. J’ai vu une fois un plat, sur lequel se trouvaient des fruits
secs, et des tessons de poterie rouge contenant le lait ou des fromages variés ; entre ces
tessons s’étalaient des concombres et des bananes. Mais tout cela était en sucre modelé. Il y
avait en ce domaine des fantaisies curieuses qui réjouissaient la vue. Ce souq constituait,
durant la fête du mois de ragab, un spectacle des plus merveilleux, car on y modelait en sucre
des chevaux, des lions, des chats et d’autres animaux.
Extraits de A. Raymond et G. Wiet,
Les marchés du Caire, Le Caire, 1979, p. 146 sq
21
KAIROUAN
(La mosquée) :
(…) Ziyadat Allah, fils d’Ibrahim Ibn al-Aghlab, étant monté sur le trône, fit démolir
toute la mosquée, et ordonna même de renverser le mihrab. On eut beau lui présenter que ses
prédécesseurs s’étaient tous abstenus de toucher à cette partie de l’édifice, parce que ‘Uqba
Ibn Nafi l’avait construite ; il persista dans sa résolution, ne voulant pas que le nouveau
bâtiment offrit la moindre trace d‘une construction qui ne serait pas de lui (…) Jusqu’à nos
jours, la mosquée de Kairouan est restée telle que Ziyadat Allah l’avait laissée. Le mihrab
actuel ainsi que tout ce qui l’entoure, depuis le haut jusqu’en bas, est construit en marbre
blanc percé à jour et couvert de sculptures. Une partie de ces ornements se composent
d’inscriptions ; le reste forme des arabesques à dessins variés…La mosquée renferme 414
colonnes formant 17 nefs. Sa longueur est de 330 coudées, et sa largeur de 150…Ibrahim, fils
d’Ahmad Ibn al-Aghlab étant parvenu à la souveraineté fit prolonger les nefs de la mosquée et
construire à l’extrémité de la nef qui aboutit au mihrab la coupole appelée « la coupole de la
porte du pavillon ». Elle est entourée de 32 colonnes de beau marbre (…)
Dans les temps anciens, cette ville était entourée d’une muraille de briques, large de
dix coudées que Muhammad Ibn al-Ashath Ibn al-‘Uqba al-Khuzai avait fait construire en
l’an 144 (761-762). Cet émir fut le premier Général que les Abbassides envoyèrent en
Ifrikiya… En l’an 209 (824-825), Ziyadat Allah fils d’Ibrahim l’Aghlabide, abattit cette
muraille, parce que les habitants de la ville avaient pris part à la révolte d’al-Mansur,
surnommé al-Tunbudi. Après la défaite du rebelle, évènement qui eut lieu le mercredi 15 du
Ier djumada de l’année susdite (14 septembre 824), les habitants de Kairouan sortirent audevant de Ziyadat Allah et implorèrent sa miséricorde. Pour les châtier, il se contenta de raser
les fortifications de leur ville (…)
Avant que les marchés de Kairouan fussent transférés à al-Mansuriya, une double
ligne de boutiques s’étendait, sans interruption, du nord au sud, à travers la première de ces
villes. Depuis la porte d’Abul-Rabi’a jusqu’à la grande mosquée, cette rue avait une longueur
de deux milles moins un tiers et, depuis la grande mosquée jusqu’à la porte de Tunis, deux
tiers de mille. D’une extrémité à l’autre elle était couverte d’un toit, et elle renfermait, à elle
seule, tous les dépôts de marchandises et toutes les fabriques. Ce fut Hisham ibn ‘Abd alMalik (le calife umayyade) qui donna l’ordre d’installer de cette façon le marché de Kairouan.
En dehors de la ville se trouvent quinze réservoirs bâtis par l’ordre d’Isham et d’autres
princes, afin d’assurer aux habitants une provision d’eau. Le plus grand et le plus utile de ces
bassins est situé auprès de la porte de Tunis, et doit sa construction à Abu Ibrahim
l’Aghlabide (…)
Rakkada, ville située à quatre milles de Kairouan, a un circuit de vingt-quatre mille
quarante coudées ; mais la plus grande partie de cet emplacement est occupé par des jardins. Il
n’y a point de localité en Ifrîkiya où l’air soit plus tempéré, les zéphyrs plus doux et le sol
plus fertile. Ibrahîm ibn Ahmad, le premier de ces princes qui y établit son séjour, abandonna
al-Qsaral-qadim « le Vieux château », et construisit des palais magnifiques et une grande
22
mosquée dans cette nouvelle ville, qui se remplit promptement de marchés, de bains et de
caravansérails. Elle continua d’être la résidence de cette famille jusqu’à ce que Ziadat Allah
(le dernier souverain aghlabide) se vît contraint à l’abandonner et à s’enfuir devant les armées
victorieuses de Fatimides (…)
La ville d’al-Qasr al-Qadim « Le Vieux château » fondée par Ibrahim Ibn al-Aghlad
Ibn Salim, en l’an 184 (800), devint la résidence des émirs aghlabides. Elle est située au sud
de Kairouan à la distance de trois milles et possède une grande mosquée dont la tour, de
forme cylindrique, est construite en briques ornées de colonnes disposées en sept étages.
Jamais on n’a rien bâti de plus solide ni de plus beau. Outre les nombreux bains,
caravansérails et bazars dont cette ville est remplie, on y remarque plusieurs réservoirs d’où
l’on transporte de l’eau à Kairouan pendant les grandes chaleurs, quand les citernes de cette
ville sont épuisées (…)
AL-BÀKRI, (1014-1094), Description de l’Afrique septentrionale, trad. M. G. D, Alger 1913
23
LA VILLE DE MAHDIYA D’APRES AL-BAKRI
La ville d’al-Mahdiya porte le nom d’Obeid-Allah al-Mahdi, prince qui, suivant les
historiens, en posa les fondations. Elle est à soixante milles de Kairouan ; on arrive à alMahdiya vers la fin de la seconde journée.
La ville est environnée par la mer, excepté du côté occidental, où se trouve l’entrée de la
place. Elle possède un grand faubourg appelé Zouila, qui renferme les bazars, les bains et les
logements des habitants de la ville. Ce faubourg, d’al Moïzz ibn Badis entoura d’une muraille,
a maintenant environ deux milles longueur ; la longueur varie et sa plus grande dimension,
elle paraît peu considérable, tant le faubourg se développe en longueur. Toutes les maisons de
Zouila sont construites en pierre. La ville d’al-Mahdiya a deux portes de fer, dans lesquelles
on n’a pas fait entrer le moindre morceau de bois ; chaque porte pèse mille quintaux et a
trente empans de hauteur ; chacun des clous dont elles sont garnies pèse six livres. Sur ces
portes on a représenté plusieurs animaux. Al-Mahdiya renferme trois cent soixante grandes
citernes, sans compter les eaux qui arrivent par des conduits et qui se répandent dans la ville.
Ce fut Obeid-Allah (le Fatimide) qui les fit venir d’un village des environs, nommé
Menanech. Elles coulent dans des tuyaux et vont remplir une citerne, auprès de la mosquée
d’’al-Mahdiya d’où on les fait remonter jusqu’au palais par le moyen de roues à chapelets.
Dans le voisinage de Menanech on élève l’eau de la même manière jusqu’à un réservoir d’où
elle s’écoule par les tuyaux dont nous avons parlé. Al-Mahdiya est fréquenté par les navires
d’Alexandrie, de Syrie, de la Sicile, de l’Espagne et d’autres pays. Son port, creusé dans le
roc, est assez vaste pour contenir trente bâtiments ; il se ferme au moyen d’une chaine de fer
que l’on tend entre deux tours situées une à chaque côté de l’entrée du bassin. Quand on veut
laisser entrer un navire, les gardes des tours lâchent un bout de la chaine, ensuite ils la
rétablissent dans son état ordinaire. Par cette précaution, on se garantit contre les tentatives
hostiles des Roum « chrétiens de l’Europe ». Obeid-Allah, voulant augmenter l’étendue de sa
ville, gagna sur la mer un terrain qui, mesuré du sud au nord, a la largeur d’une portée de
flèche. Al-Mahdiya est défendue par seize tours, dont huit font partie de l’ancienne enceinte ;
les autres s’élèvent sur le terrain ajouté de la ville.
La mosquée, la cour des comptes et plusieurs autres édifices s’élèvent sur le terrain que l’on
gagna sur la mer. La mosquée, composée de sept nefs, es très belle et solidement bâtie. Le
palais d’Obeid-Allah est très grand, et se distingue par la magnificence de ses corps de logis.
La porte de cet édifice regarde l’occident. Vis-à-vis, sur l’autre côté d’une grande place,
s’élève le palais d’Abu’l Kacem, fils d’Obeid-Allah. La porte de ce palais est tournée vers
l’Orient. L’arsenal, situé à l’est du palais d’Obeid-Allah peut contenir plus de deux cents
navires et possède deux galeries voutées, vastes et longues, qui servent à garantir les agrès et
les approvisionnements de la marine contre les atteintes du soleil et de la pluie.
Obeid-Allah s’était décidé à construire la ville d’al-Mahdiya à cause de la révolte
d’Abou Abd-Allah el-Chîaï qui, secondé par une partie des Ketama, avait cherché à le
détrôner, et dont les partisans furent massacrés par les habitants de Kairouan. En l’an 300
(912-913), il commença par examiner l’emplacement de sa nouvelle ville ; cinq années plus
tard, il avait achevé les fortifications, et dans le mois de choual 308 (février-mars 921), il alla
s’y installer.
24
LA VILLE DE FES D’APRES AL-BAKRI
Fas « Fèz » se compose de deux villes situées l’une à côté de l’autre et entourées
chacune d’une muraille. Elles sont séparées par une rivière très rapide qui fait tourner des
moulins et que l’on traverse au moyen de ponts. L’une de ces villes, appelée Adoua-t-alKarawïïn « le côté ou quartier des Kairouanides » est située à l’ouest de l’autre, laquelle se
nomme Adoua-t-al-Anadalosïïn « le côté des Andalous ». Dans le premier de ces quartiers
chaque habitant a devant sa porte un moulin à lui et un jardin rempli d’arbres fruitiers et
coupé par des rigoles. Sa maison est traversée par un courant d’eau. Les deux villes
renferment plus de trois cents moulins et environ une vingtaine de bains. Les juifs sont plus
nombreux à Fèz que dans aucune autre ville du Maghreb ; de là ils font des voyages dans
toutes les contrées (du monde).
Les deux quartiers de Fez sont bâtis au pied d’une colline ; la rivière qui les sépare
vient d’une source très abondante qui jaillit au milieu d’un marécage, dans le territoire des
Matghera, et à une demi-journée de la ville de Fez. Le quartier des Andalous fut fondé en l’an
192 (807-808) et celui des Kairouanides l’année suivante. Idris ibn Idris, qui régnait alors,
mourut dans le premier mois de rabia de l’an 213 (mai-juin 828) ; il finit ses jours à Oulili,
ville située dans le territoire de Fez et à une journée de cette capitale, du côté de l’occident. Le
quartier des Andalous a plusieurs portes. C’est par les portes d’al-Haoud et de Soleiman que
sortent les habitants du quartier (des Andalous) lorsqu’il survient des querelles entre eux et
leurs voisins de l’autre quartier ; alors ils se livrent bataille sur le terrain nommé Kodya-t-alFoul « le tertre aux fèves ». Dans le quartier de Bab al-Faouwara est une belle mosquée
renfermant six nefs qui se dirigent de l’est à l’ouest. Les colonnes qui le soutiennent sont en
pierre calcaire ; son parvis, qui est très grand, renferme plusieurs pieds de noyers et d’autres
arbres.
La fleur de farine, dans le quartier des Andalous, est meilleure que celle de l’autre
quartier, grâce à l’habileté des ouvriers qui la préparent. Dans le quartier des Andalous, les
hommes sont plus braves et les femmes plus belles que dans le quartier opposé ; mais dans
celui-ci, les hommes sont plus beaux.
Le quartier de la porte du Souk al-Ahad (dans le quartier des Kairouanides) possède
une mosquée à trois nefs, qui se dirigent d’orient en occident. Cet édifice, fondé par Idris ibn
Idris a plusieurs vestibules et une grande cour où l’on voit des oliviers et d’autres arbres. On
compte, dans ce quartier, une vingtaine de bains ; on y remarque aussi un grand nombre de
jardins et de ruisseaux. Ces eaux y arrivent après avoir traversé le quartier des Andalous. Les
citrons viennent très bien dans le quartier des Kairouanides et ils atteignent une grosseur
extraordinaire ; mais ils ne réussissent pas dans l’autre quartier. Au reste, ces deux parties de
la ville se distinguent également par leur importance et par leurs ressources. La rivière de Fez
se jette dans le Sebou. Dans le canton de Maghila, à l’occident du quartier des Kairouanides,
on remarque un endroit appelé al-Seikh « l’enfoncement », parce qu’il s’abima en terre avec
tous ses habitants. En l’an 341 (952-953), l’armée d’al-Bouri, fils d’Abou-l-Afiya, abandonna
ses tentes et ses bagages en cette localité, après avoir été mise en déroute par les Banu
Mohammad. Dans la rivière de Fez on trouve beaucoup de poissons de l’espèce nommée lebis
(carpes).
25
Cordoue au Xe siècle
Description par le géographe Ibn Hawqal
La plus grande ville d’al-Andalus est Cordoue, qui n’a pas son équivalent dans tout le
Maghreb, pas plus qu’en Haute Mésopotamie, en Syrie ou en Egypte, pour le chiffre de la
population, l’étendue de sa superficie, le grand espace occupé par les marchés, la propreté des
lieux, l’architecture des mosquées, le grand nombre des bains et des caravansérails. Plusieurs
voyageurs originaires de cette ville, qui ont visité Bagdad, disent qu’elle équivaut à un des
quartiers de la cité mésopotamienne.
Cordoue n’est peut-être pas égale à une des deux moitiés de Bagdad, mais elle n’en est
pas loin, à peu de choses près. C’est une ville entourée d‘un mur en pierre, pourvue de beaux
quartiers, de vastes esplanades. Il y a très longtemps que le souverain de cette cité règne sur
cette ville, qu’il y a sa résidence et son palais, à l’intérieur de la cité de plusieurs côtés. Deux
portes de son palais aboutissent à l’intérieur de la cité de plusieurs côtés. Deux portes de la
ville, ouvertes dans le rempart même, donnent sur la route qui mène de Rusafa au fleuve.
Rusafa se compose des habitations qui forment le haut bourg de la ville et dont les
constructions touchent au faubourg bas. C’est une agglomération qui entoure la ville sur les
côtés est, nord et ouest : le sud donne sur le fleuve, le long duquel se développe la route
nommée le Quai. C’est dans le faubourg que se trouvent les marchés, les tavernes, les
caravansérails, les bains et les demeures des classes inferieures de la population. La grande
mosquée, qui est fort belle et grande, se trouve dans la ville même ; la prison est située dans
son voisinage.
Cordoue elle-même est bien séparée des maisons de ses faubourgs qui ne la touchent
pas immédiatement. La ville est admirablement disposée. Plus d’une fois j’ai fait le tour du
mur d’enceinte en une heure : c’est une muraille de forme circulaire, très solide, en pierre (…)
Cordoue a sept portes de fer. C’est une ville considérable et étendue présentant un plan
élégant. On y rencontre de grandes fortunes et le luxe s’y déploie de plusieurs façons, par des
étoffes et des vêtements précieux, en lin souple, en soie, grossière ou souple, par des montures
agiles, et différentes sortes de comestibles et de boissons.
26
Description d’Almeria sous la domination des Berbères dans la première moitié
du XIIe siècle :
Almeria1 était la ville principale des musulmans à l’époque des Almoravides2. Elle
était alors très industrieuse et on y comptait, entre autres, huit cents métiers à tisser la soie, où
l’on fabriquait des étoffes connues sous le nom de holla3, de dibâdj4, de siglaton5,
d’ispahâni6, de djûrdjâni7 ; des rideaux ornés de fleurs, des étoffes ornées de clous, de petits
tapis, des étoffes connues sous le nom d’attâbi8, de mi’djar9, etc.
Avant l’époque actuelle, Almeria était également fort renommée pour la fabrication
d’ustensiles en cuivre et en fer et autres objets. La vallée qui en dépend produisait une
quantité considérable de fruits qu’on vendait à très bon marché…On y voyait un nombre de
vergers, de jardins et de moulins et ses produits étaient envoyés à Almeria. Le port de cette
ville recevait des vaisseaux d’Alexandrie et de toute la Syrie, il n’y avait pas dans toute
l’Espagne de gens plus riches, plus industrieux, plus commerçants que ses habitants, ni plus
enclins soit au luxe et à la dépense, soit à l’amour de thésauriser…
A l’époque où nous écrivons le présent ouvrage, Almeria est tombée au pouvoir des
Chrétiens. Ses agréments ont disparu, ses habitants ont été emmenés en esclavage ; les
maisons, les édifices publics ont été détruits et il n’en subsiste plus rien.
IDRISI, (1100-1165 ?), Description de l’Afrique et de l’Espagne, trad. R. DOZY et M. DE
GOEJE, pp. 239-241, Leyde, 1866
1
Port de la côte méridionale de l’Espagne, séparé de Grenade par la Sierra Nevada, chef-lieu de province.
Dynastie berbère fondée par un marabout (al morabitoun) qui régna sur le Maroc et une partie de l’Espagne
de 1055 à 1147
3
Non identifié
4
Tissus de soie, satin
5
Brocart de soie
6
Tissus de la région d’Ispahan, en Iran.
7
Tissus de la région de Gurgan, au S. E. de la Caspienne
8
Région voisine de Bagdad où l’on fabriquait une certaine espèce de carpette
2
9
27
LE MUHTASIB A SÉVILLE AU DEBUT DU XIIe SIÈCLE
Le cadi ne doit pas désigner un muhtasib sans en rendre compte au prince ; il pourra
ainsi faire état d’un acte de nomination officiel s’il désire ensuite le révoquer, ou bien le
maintenir dans ses fonctions (…). L’office du muhtasib est « frère » de celui du cadi : aussi
import-t-il que ce magistrat ne soit choisi que parmi des personnes de conduite exemplaire. Il
est le porte-parole du cadi, son chambellah, son vizir et son lieutenant. (…)
Le muhtasib doit prescrire à tous les corps de métiers d’engager régulièrement le
vendredi un crieur chargé de leur faire entendre à haute voix l’invocation « Allah est grand » !
au moment où l’imam prononcera lui-même cette invocation (…) Chaque vendredi, les
commerçants rassembleront une somme destinée à ce crieur, pour l’aider à subsister ; le cadi
et le muhtasib les obligeront à se conformer à cette prescription (…)
Le muhtasib doit interdire qu’on laisse stationner quelque bête de somme sur le parvis
de la mosquée ; car sa fiente ou son urine pourraient mettre les gens en état d’impureté légale
(…)
Il importe de ne tolérer aucun vendeur dans les cimeterres, car ils pourraient voir les
femmes en deuil le visage découvert. On n’y laissera pas non plus les jeunes gens, les jours de
fêtes, se placer dans les allées, de façon à se placer sur le passage des visiteuses. Le muhtasib
veillera soigneusement à faire respecter cette interdiction, et le cadi le soutiendra de son
autorité (…)
Pour ce qui est des bâtisses, elles constituent des refuges où s’abritent les âmes, les
esprits et les corps. Aussi doit-on veiller à tout ce qui a trait aux matériaux de construction.
C’est ainsi qu’il faut tout d’abord s’assurer que l’épaisseur donnée aux murs est suffisante,
que les grosses poutres maîtresses employées pour la bâtisse ne sont pas trop écartées les unes
des autres car ce sont elles qui supportent le poids de l’édifice et le soutiennent. L’épaisseur
de chaque pan de maçonnerie de la façade ne devra pas être inférieure à deux empans et demi.
Les recommandations qui précèdent feront l’objet de prescriptions du cadi et du muhtasib
auprès des maîtres d'œuvre et des maçons (…)
Ceux qui transportent des poutres ou des pierres à dos d’animaux ne doivent pas
charger trop lourdement leurs bêtes ; quiconque sera surpris par le muhtasib à agir de la sorte
sera châtié (…)
On ne vendra pas plus d’un kafiz de blé à la fois, à ceux qui sont connus pour accaparer cette
denrée. Ces individus se mettent préalablement d’accord avec les courtiers sur un prix
d’achat, retournent chez eux et n’assistent à aucune des opérations de mesurage ou autres ; ils
laissent au courtier le soin d’y faire procéder et de leur envoyer le lot de blé tout entier, sans
qu’une tierce personne puisse arriver à l’acheter. Dans ces conditions, le prix du blé se trouve
et s’étant trouvée vendue tout de suite ; il en résulte une augmentation dans le prix d’achat et
une hausse du cours, et c’est la cause de dommage pour les Musulmans. De pareilles
manœuvres doivent faire l’objet d’enquêtes de la part du muhtasib, et il mettra les courtiers en
garde contre elles. (…)
Extraits du Traité d’Ibn Abdun, (fin XIe-début XIIe), juriste de Séville, trad. E. LéviProvençal, Paris 1947
28
ISPAHAN AUX Xe ET XIe SIÈCLES
Ispahan se compose en réalité de deux villes, l’une appelée Yahudiya, et l’autre
Shahristan, séparées par deux milles environ. C’est la situation de Cordoue et de Zabra, En
Espagne, qui forment deux agglomérations distinctes.
Dans chaque cité, il y a une mosquée ; la plus grande, celle de Yahudiya, est le double de
celle de Shahristan : les deux édifices sont construits en terre. Ce sont les deux villes les plus
prospères du Djibal, qui offrent la superficie la plus étendue, qui soient les plus riches et les
plus peuplées, qui présent le plus grand nombre de troupeaux, de produits agricoles, de fruits
et de douceurs. C’est le centre commercial du Fars, du Djibal, du Khorassan et du Khuzistan.
Dans tout le Djibal, il n’y a pas de ville qui possède autant de chameaux pour le transport des
marchandises. On en exporte des soieries rayées, des tissus de soie fine, d’autres tissus de fil
de soie et de coton, vers l’Iraq, le Fars. L’ensemble du Djibal, la Khorassan et le Khuzistan. Il
n’y a rien de supérieur aux soieries rayées d’Ispahan en beauté et en qualité intrinsèque. On y
récolte du safran et des fruits qui sont expédiés en Iraq et autres lieux. Depuis l’Iraq jusqu’au
Khorassan, il n’y a après Raiy, aucune ville plus commerçante qu’Ispahan.
Ibn HAWQAL, ( milieu Xe siècle), Configuration de la terre, trad. G.Wiet, paris, p. 354 sq.
La ville est entourée d’une muraille solide et fort haute, percée de portes, et au sommet
de laquelle on a établi des plates-formes pour y placer des combattants. L’enceinte est, dans
toute son étendue, garnie de créneaux. La ville est sillonnée par des canaux d’eau courante et
les maisons y sont belles et fort élevées. Une superbe mosquée, où l’on fait la prière du
vendredi, se trouve au centre de la ville. On prétend que le mur d’enceinte d’isfahan a trois
fersengs et demi de développement. L’intérieur de la ville présente l’aspect d’une grande
prospérité et je n’y ai remarqué aucun bâtiment en ruines. Les bazars sont nombreux, je citerai
particulièrement celui des changeurs ou banquiers où se tiennent deux cents personnes
exerçant cette profession. Chaque bazar est fermé par une clôture avec une grande porte ; il en
est de même pour les rues et les différents quartiers. Les caravansérails sont propres et bien
tenus ; il y en a cinquante, remarquables par leur beauté, qui sont dans une rue appelée Kou
Tharraz (la rue des Brodeurs) ; des marchands et des locataires sont logés dans chacun d’eux.
La caravane dont nous faisions partie avait apporté treize cents kharvar de marchandises.
Quand nous fûmes entré dans la ville, on ne s’aperçut pas de notre arrivée, tant il y avait de
place, tant il était facile de trouver un gîte et de se procurer des vivres.
NASSIRI KHOSRAU, (1004-1074), chiite iranien, SEFER NAMEH, trad. Ch. Scherfer, Paris,
1881,
29
LES VILLES DE TRANSOXIANE : BUKHARA ET SAMARQUAND
Bokhara est le siège du gouvernement sur l’ensemble du Khorassan ; la province
s’étale en ligne droite sur la voie qui mène aux arrondissements de La Transoxiane. Les
régions limitrophes en dépendent. Le nom de la coté est Numidjath. C’est une ville située en
plaine ; ses maisons sont construites en lattis disposés en treillage. Les constructions sont
serrées les unes contre les autres ; la ville comprend des palais, des vergers, des quartiers, des
rues pavées, des agglomérations continues sur une longueur de douze parasanges avec une
largeur de même étendue. Tout cet ensemble est contenu à l’intérieur d’un rempart qui
entoure ces palais, ces bâtiments, ces bourgs et la cité centrale. Dans toute cette surface on en
voit ni un espace désert, ni délabré, ni un terrain inculte. Ce rempart environne spécialement
la cité, ainsi que les palais, les demeures et les quartiers qui en font réellement partie et où
sont domiciliés en permanence hiver comme été, les véritables citoyens de la ville. Il y a là à
l’intérieur de ce rempart une autre muraille d’un parasange sur une parasange : cette muraille
puissante englobe à son tour une ville. La citadelle est située en dehors de la cité, mais
contiguë à celle-ci ; c’est comme une petite ville, pourvue d’une forteresse ; on y voit dans
cette citadelle les demeures des seigneurs samanides du Khorassan. Il y a un faubourg long et
large. La mosquée cathédrale s’élève dans la ville à la porte de la citadelle ; la prison est à
l’intérieur de la citadelle et les marchés sont situés dans le faubourg. Il n’y a dans l’ensemble
du Khorassan et de la Transoxiane aucune agglomération plus dense que Bokhara, plus
peuplée, compte tenu de sa superficie. Le faubourg et les marchés sont traversés par le fleuve
du Sughd, dont c’est l’extrémité : il fait marcher des moulins, arrose les domaines et les
terrains de culture.
Le chef-lieu du Sughd est Samarcande, située au sud du fleuve du Sughd sur une
élévation : l’agglomération se compose d’une citadelle, d’une cité et d’un faubourg ; la prison
est placée de nos jours dans la citadelle ; l’hôtel du gouvernement s’y trouvait jadis, mais il
est présentement en ruines…
C’est une ville pourvue de grands marchés, et, comme toutes les métropoles, elle
possède des quartiers, des bains, des khans, et des maisons d’habitation. Les eaux pénètrent en
ville par des conduits en partie en plomb et surélevés, et on a construit à cet effet une digue
assez haute au-dessus du sol, et qui, en certains endroits, forme une véritable colline de pierre,
au centre du marché, à partir de l’emplacement des changeurs ; l’eau y coule depuis le marché
des dinandiers jusqu’à l’entré en ville par la porte de Kish. Le lit de ce canal est entièrement
en plomb. Les environs de la ville sont en contrebas, parce qu’on a utilisé la terre pour la
construction de la muraille, de sorte qu’un profond fossé s’est formé par suite de l’extraction
de la terre et de l’argile. Un aqueduc a donc été nécessaire pour amener l’eau à travers ce
fossé à l’intérieur de la ville. C’est un canal antique, antérieur à l’islam ; il est établi au milieu
des marchés et passe en un point nommé Ras al-Taq, un des quartiers les plus peuplés de
Samarcande. Des deux côtés de ce canal, il y a des terrains cultivés, constitués waqf pour ses
réparations et son entretien ; des gardes zoroastriens en assurent la protection, hiver comme
été ; c’est une prestation obligatoire et, pour cette raison, ils sont dispensés de la capitation.
30
La moquée cathédrale se trouve en ville au-dessous de la citadelle, dont elle est
séparée par la largeur d’une rue. La ville est alimentée par les eaux de ce canal et l’on y voit
des vergers. En ville il y a plusieurs bureaux administratifs, dans un endroit nommé Asfizar ;
ces bâtiments appartiennent aux Samanides, mais l’hôtel du gouvernement est placé dans la
citadelle. La ville est bordée par le faubourg et elle en est séparée par le fleuve du Sughd
qu’elle domine. Le marché et le faubourg s’étenden derrière le fleuve du Sughd si bien que ce
cours d’eau sert de fossé au faubourg dans la région du nord. Le diamètre de l’espace
circonscrit par le mur qui entoure le faubourg est de deux parasanges environ. Le point
central, avec le groupement des marchés, est Ras al-Taq, et c’est bien l’emplacement d’où
parvient les marchés, les rues et les avenues. A l’intérieur de ce périmètre se trouvent des
quartiers très dispersés, des palais, des vergers : presque toutes les rues et les maisons
disposent d’eaux courantes, et bien peu de ces demeures sont dépourvues de vergers au point
que si d’un point quelconque de la citadelle on porte ses regards sur la ville, on ne peut
l’apercevoir parce qu’elle est cachée par les vergers et les arbres qui sont au milieu des
habitations qui bordent les cours d’eau et les marchés. Les khans et le siège des corporations
de marchands sont placés dans le faubourg ; à l’exception d’un tout petit nombre qui résident
en ville. C’est le comptoir commercial de la Transoxiane et c’était la capitale
gouvernementale jusqu’au règne d’Isma’il ibn Ahmad, que Dieu ait pitié de lui !
Extraits d’IBN HAWQAL, Configuration de la terre,
Trad. G. Wiet, Paris, P. 463 sq.
31

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