Panorama littéraire Ecrivains algériens aujourd`hui
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Panorama littéraire Ecrivains algériens aujourd`hui
L'ACTUALITE LITTERAIRE Panorama littéraire • Ecrivains algériens aujourd'hui par Christiane Chaulet-Achour "je sais l'oiseau -ma main s'y brûlefléché comme une flamme dans l'azur. je sais l'oiseau au coeur qui bat, l'oiseau posé comme une plainte sur l'arbre assailli de chasseurs" (Tahar Djaout, Pérennes) "Née à la modernité dans la tension coloniale et prise aujourd'hui entre les langues qui se la disputent, la littérature algérienne n'a pu occuper avec sérénité son espace attendu, l'Algérie, et n'a pas acquis, de ce fait, la légitimité qui permet à la littérature d'une nation d'affirmer sa présence et de rêver son avenir." On pensait qu'avec l'indépendance, enracinée dans un espace national moins crispé sur sa sauvegarde, elle s'ouvrirait aux courants artistiques et littéraires multiples, en amont et en aval, dans l'échange fécond de l'ici et de l'ailleurs qui assure la richesse des flux esthétiques. Il n'a pu en être ainsi. Suspectée d'imperfection de tous côtés, elle n'a pas bénéficié des circuits de diffusion consacrés, sur son propre territoire. Elle s'est surtout éditée en dehors du pays — Paris, Beyrouth, Damas... S'affirmant en position défensive, elle n'a pu s'épanouir véritablement. Suspecte pour délit de langue lorsqu'elle s'écrit en français; suspecte pour délit de norme et de pensée lorsqu'elle s'écrit en arabe ou en berbère, la continuité de sa présence, malgré tout, tient du miracle. Mais sa position de défense et sa mise en accusation ont marqué et marquent ses thématiques dominantes. 1 ALGERIE LITTERATURE / ACTION "Elle" n'est pas morte! Les écrits de témoignage sont, depuis toujours, une constante de l'histoire littéraire algérienne, constante due à son rapport étroit à l'actualité. Certaines oeuvres tiennent, à la fois, de l'autobiographie, du témoignage et de la fiction. Seule une analyse plus fouillée permettrait d'apporter les nuances nécessaires. Ces textes pourraient souscrire, dans leur ensemble, à cette affirmation de Zineb Labidi : "Je suis acculée à l'écriture. Les mots sont silex frappés les uns contre les autres pour habiter les ténèbres. Parce que je me sens sans défense devant l'horreur, parce que j'ai peur, terriblement peur, je n'ai pas d'autre issue que l'Écriture" (Alger, février 1996). Ils sont le résultat d'une négociation plus ou moins réussie entre la personnalité du témoin, les informations qu'il ou elle livre, sa capacité à les transmettre dans un style personnel ou dans une écriture d'époque. En 1994, les Éditions Le Fennec à Casablanca éditent le journal de Naïla Imaksen, encore en Algérie, sous le titre, La troisième fête d'Ismaïl, chronique algérienne. Les publications de témoignage s'accélèrent en 1995 : Une femme à Alger, Chronique du désastre de Feriel Assima (Arléa); Vivre traquée de Malika Boussouf (Calmann Lévy); Une Algérienne debout, entretiens de Khalida Messaoudi avec E. Schemla (Flammarion); Piège ou le combat d'une Algérienne de Tassadit Yacine (Publisud/Awal); Le blanc Régulièrement, de nouvelles oeuvres ont été éditées. Les ondes de choc qu'elles ont déclenché dans un système verrouillé par l'unicité comme dogme et technique de gestion du culturel, ont reçu leur réplique brutale depuis 1993 par l'élimination violente de certains de ses représentants : Tahar Djaout, Abderrahmane Chergou, Laâdi Flici, Youcef Sebti, Bakhti Benaouda, Azzedine Medjoubi et Abdelkader Alloula. Des Écrivains, comme Merzak Bakhtache, ont échappé à la mort de justesse, d'autres — nombreux — ont dû s'exiler. Et puis la mort "naturelle" a aussi fait son travail : dès 1989, c'était la disparition de Mouloud Mammeri, de Mustapha Kateb et de Kateb Yacine; en 1991, celle de Bachir Hadj Ali; plus récemment, dans ces deux dernières années, celles de Rachid Mimouni, de Rabah Belamri, d'Ould Abderrahmane dit Kaki, d'Amar Belhacène, de Farouk Smira, d'Abdelhamid Benhadouga et de Nourredine Aba. Beaucoup se sont exilés : à l'intérieur du pays ou à l'extérieur. De leurs nouvelles "résidences" précaires ou provisoires, ils essaient de poursuivre leur oeuvre créatrice. Tentons un parcours éditorial, depuis 1994 pour participer, à notre tour, à cette entreprise de survie. Etre acculé à l'écriture 2 L'ACTUALITE LITTERAIRE Kabylie, la vie et la guerre (Tome 1, L'Harmattan); et surtout de Rabah Belamri, Chronique du temps de l'innocence (Gallimard, "Haute Enfance"). En 1997 devraient paraître deux ouvrages d'importance : les mémoires de Mostefa Lacheraf (en recherche d'éditeur); Une enfance Algérienne, seize textes inédits, réunis par Leïla Sebbar, d'écrivains des différentes communautés algé-riennes, ("Haute Enfance" chez Gallimard). de l'Algérie d'Assia Djebar (Albin Michel); Un été de cendres d'Abdelkader Djemaï (Michalon). L'année 1996 n'est pas moins riche avec les essais ou les récits, de Rachida Titah, La Galerie des absentes (Editions de l'aube) et, aux mêmes Éditions, de Fatiah, Chronique d'une femme dans la tourmente; La nuit tombe sur Alger la blanche. Chronique d'une Algérienne de Nina Hayat (Tirésias), La fille de la Casbah de Leïla Marouane (Julliard), Un oued pour la mémoire de Fatima Bakhaï (L'Harmattan); Etre journaliste en Algérie de Ghania Mouffok et Une autre voix pour l'Algérie, entretiens de Louisa Hanoune avec Ghania Mouffok (La Découverte), Peurs et mensonges d'Amine Touati (Marsa Editions, Paris); le récit de Djilali Khellas est publié en feuilleton dans le quotidien algérien de langue arabe, Al Khabar, l'été 1996, Une mer sans mouette. Continuité de l'écriture romanesque algérienne La part la plus conséquente de la littérature algérienne revient toujours au roman. En 1994, Mohammed Dib a poursuivi sa "saga" finlandaise avec L'Infante maure (Albin Michel), complément et revers subtil de Neiges de marbre. Rachid Boudjedra publie Timimoun (Denoël). En 1995, Malika Mokeddem édite Des rêves et des assassins (Grasset) et Assia Djebar, Vaste est la prison (Albin Michel). L'année 1996 qui s'achève est riche de romans et de nouveaux écrivains : Dieu-le-fit de Nourredine Saadi (Albin Michel), Le jour dernier de Mohamed Kacimi (Stock), L'année des chiens de Sadek Aïssat (Anne Carrière), Rhoulem ou le sexe des anges de Feriel Assima (Arléa), Sable rouge d'Abdelkader Djemaï (Michalon), les nouvelles de Leïla Sebbar au Seuil, La jeune fille au balcon, un Une autre constante de la littérature algérienne a toujours été le récit autobiographique ou les mémoires; elle est moins représentée ces derniers mois car elle est compensée par les livres que nous venons de recenser. On peut citer, pour l'année 96, les deux romans de Nordine Zaïmi, Le tombeau de la folle et Contes des vies rusées (L'Harmattan), de Saïd Amadis, La loi des incroyants (Plon), de Abed Charef, L'Enfant d'Algérie (Éditions de l'aube); de A. Chemini Shamy, Orgueilleuse 3 ALGERIE LITTERATURE / ACTION roman traduit de l'arabe de Waciny Larej, La Gardienne des ombres (Marsa Éditions) et le tout dernier de Maïssa Bey, Au commencement Était la mer (Marsa Éditions), roman qui vient de Sidi Bel Abbès en Algérie. Toutes ces fictions n'ont pas la même intensité; toutefois, il y a toujours la volonté affichée par l'auteur et mise en pratique avec plus ou moins de bonheur, d'une média-tion par l'écriture et la recherche esthétique. Elles témoignent d'une continuité assez remarquable de l'écriture romanesque algérienne. Si l'aspect mosaïque de la production littéraire algérienne est patent à travers notre présentation, il l'est encore plus lorsqu'on recense les publications collectives. Car ces temps de la violence et de l'exil sont aussi des temps de solidarité : l'Algérie littéraire veille et survit en s'appuyant sur ses propres créations mais aussi en retrouvant le dialogue avec ceux qui ont quitté cette terre antérieurement ou qui partagent un destin maghrébin. La poésie, quant à elle, ne cesse de se dire même si elle est peu publiée. Attiser l'alarme de Jamel Eddine Bencheikh paraît en 1993 (Jean Marcourel) après sa lecture au Marché de la poésie. La même année, Farida Aït Ferroukh et Nabile Farès publient Effraction. La poésie du tiroir (Anthologie poétique algérienne, Le Dé Bleu, Le Noroît). Des poètes se font entendre dans des lectures publiques, comme Habib Tengour, Zineb Laouedj, Abdel-hamid Laghouati et font paraître quelques textes dans différentes revues (dont nous parlerons plus loin). En juillet 1996, un recueil poétique de Tahar Djaout a été publié à titre posthume par Europe-Poésie / Le temps des cerises, Pérennes. La revue Sud à Marseille (hors série en octobre 1995, "Algérie, l'exil intérieur", coordonné par J. C. Xuereb) s'ouvre par les textes de trois écrivains disparus, Djaout, Sebti et Abdallah Boukhalfa. Trois parties suivent : "une longue mémoire", "Intermèdes" et "Pour que vive le présent" avec des textes d'écrivains consacrés (Dib, L. Sebbar, M. Mokeddem, N. Farès, R. Belamri, J.E. Bencheikh, Z. Laouedj, H. Tengour), moins connus (L. Ben Mansour, A. Kaouah, Amin Khan), inconnus (Manz'ie, S. Ammar-Khodja, R. Khawazem, Z. Labidi), textes traduits de l'arabe ou écrits en français. Ils sont accompagnés de textes d'écrivains des communautés d'Algérie qui ne vivent plus au pays depuis 1962.Ce sont des textes inédits à lire en complément d'oeuvres déjà familières ou comme Temps de solidarité et écritures collectives 4 L'ACTUALITE LITTERAIRE L'intérêt de ces publications est la rencontre d'hommes et de femmes des différentes générations, des trois langues et d'écrivains des trois communautés algériennes : un ensemble de quatre recueils qui atteste d'une richesse, d'une diversité et d'une vivacité de la littérature algérienne à se maintenir en ensemble homogène dans les tourmentes de l'Histoire. Une entreprise beaucoup plus ambitieuse est celle de Algérie Littérature / Action, revue mensuelle créée au printemps 1996 qui, malgré les difficultés, parvient à relever le défi lancé de faire connaître et de promouvoir la littérature algérienne actuelle dans les deux langues; de publier dans chaque numéro, une oeuvre intégrale accompagnée de l'interview de l'auteur et d'informations bio-bibliographiques, de rendre compte, le plus exhaustivement possible, de l'actualité littéraire algérienne (Marsa Editions). C'est une entreprise originale qui a été un véritable ballon d'oxygène, pour les écrivains algériens, ces derniers mois. Le numéro 2 (juin 1995) a consacré justement tout un dossier au théâtre, genre sur lequel nous voudrions terminer notre panorama. introduction aux oeuvres à découvrir. Les éditions Le Fennec de Casablanca publient en novembre 1995, Algérie, textes et dessins inédits réunis par Leïla Sebbar et Rabah Belamri. Ce livre "offrande", auquel contribuent peintres et écrivains maghrébins, est divisé en trois sections (on retiendra ici les noms des écrivains algériens) : "Poésie" avec R. Belamri, J.E. Bencheikh, M. Dib, Z. Laouedj; "Fictions" avec A. Benhedouga, N. Farès, M. Mokeddem, L. Sebbar; "Chroniques" avec A. Djebbar et W. Larej. En juin 1996, cette fois, La Nouvelle Revue Française publie 76 pages de son numéro sous le titre "L'Algérie des Écrivains", dossier réalisé par Denise Brahimi. Le choix est ici réduit à quelques écrivains connus : R. Boudjedra, A. Djebar, M. Dib, J. Pelegri, J.E. Bencheikh, J. Sénac, R. Belamri, W. Larej (traduit de l'arabe) et Amar Mezdad (traduit du berbère). En septembre 1996 paraît à Marseille (Editions Autres Temps, Les Écrits des forges), Ecrits d'Algérie, collectif de onze écrivains algériens, organisé par Salima Aït Mohamed. Le recueil s'ouvre par la dernière interview radiodiffusée de T. Djaout. Les auteurs sont en France depuis peu : S. Aït Mohamed, A. Bouabaci, Z. Labidi, A. Kaouah, A. Metref, C. Ouahioune et M. Ben ; deux sont connus : N. Aba et N. Farès. Le théâtre Ce domaine est très actif d'une part grâce à l'édition de textes d'auteurs, d'autre part par la multiplication de spectacles : pièces 5 ALGERIE LITTERATURE / ACTION textes de femmes algériennes(avril 1995) et Les Enfants du mendiant (1993) de Myriam Ben. En 1996, plusieurs spectacles sont donnés : En attendant dodo, texte et mise en scène de Mohamed Zemaïch par la Troupe Exil Zéro (anciens acteurs du T.N.A.), repris au Théâtre interna-tional de langue française à Paris. Algérie en Éclats, spectacle par des acteurs algériens et français, avec des textes de vingt deux écrivains algériens, par la Compagnie l'Amour fou de Paris. La femme cosmonaute, adaptation de Françoise Longeard, Théâtre quatre-vingt d'Amiens, autour de Assia Djebar, Mokeddem, Kafka, Milocz, Rosa Luxembourg, Bobin, Ionesco... Signalons aussi la lecture de la pièce de Ould Abderrahmane Kaki, A chacun son jugement (1966), traduite de l'arabe par M. Benyoucef. Trois spectacles créés et mis en scène par des femmes sont aussi à citer pour ces derniers mois : Regard Aquarel de Fatiha Berezak à l'Aktéon Théâtre en juin 1994; Hajera ou cinq mille ans de la vie d'une femme de Hawa Djabali, à Bruxelles en mars 1996 ; Un couteau dans le soleil, choix de textes poétiques et adaptation par Hamida Aït El Hadj et Farid Bennour au théâtre de Proposition à Montreuil-Paris en novembre 1996. mises en scène, montages poétiques, lectures publiques. Nourredine Aba publie en 1994, L'exécution au beffroi (Lansmann) et en 1996, Le jour où le conteur arrive (Éd. aux quatre vents). Messaoud Benyoucef traduit la trilogie, très célèbre en Algérie, d'Abdelkader Alloula, Les Généreux (suivi de Les Dires et Le Voile) et le volume est publié en 1995 par Actes Sud / Papiers. Slimane Benaïssa a édité trois de ses pièces, chez Lansman : en 1994, Le Conseil de discipline ; en 1995, Marianne et le marabout; en 1996, Les Fils de l'amertume. M'Hamed Benguettaf publie La Répétition (Lansmann) en 1994. Fatima Gallaire fait paraître deux pièces, dans le n°954 de L'Avant-Scène, Molly des sables et Au coeur, la brûlure. En Avignon, en 1994, Masrah El Kalaa-Théâtre de la citadelle, de Ziani Cherif Ayad présente une première étape (mise en espace) de La Répétition de M'Hamed Benguettaf, jouée en 1995 au Théâtre interna-tional de langue française à Paris. En 1995, Les Généreux d'A. Alloula ont été représentés dans le cadre des activités de FranceCulture; en 1996, le Festival In d'Avignon a accueilli Les Fils de l'amertume de Slimane Benaïssa. Mais il faut aussi se tourner vers le Festival Off. En 1995, l'Atelier Théâtr'elles de Mont-pellier, avec Jocelyne Carmichael, monte deux spectacles : Kitman de Christiane Chaulet-Achour, conte incrusté de 6 L'ACTUALITE LITTERAIRE Son gage d'épanouissement est certainement la possibilité, pour elle, de retourner dans son espace géographique quand la violence cessera, rétablissant la possibilité de vivre au pays. En attendant, elle doit être là où elle peut être. Comme le disait Hawa Djabali, à Bruxelles, en février 1996, "l'Algérie est blessée, culturellement, quoi que nous écrivions, nous sommes d'Elle et participerons à sa survie". Et enfin, Les Fils de l'amertume de Slimane Benaïssa à Bobigny, en janvier 1997. Ce panorama de la littérature algérienne de ces deux dernières années montre qu'on peut freiner une littérature, on peut la museler pour un temps, on peut la dépeupler, mais on ne peut la faire disparaître. Paris, décembre 96 7