Souffrance psychologique : quel soutien attendent les soignants ?

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Souffrance psychologique : quel soutien attendent les soignants ?
Souffrance psychologique : quel soutien
attendent les soignants ?
09.11.16 par Bernadette Fabregas.
Infirmiers.com
En 2015, près de 50 % des professionnels de santé français estimaient être
ou avoir été concernés par le burnout et 14% par des conduites addictives.
Ces résultats d'enquête menée par l'association Soins aux Professionnels de
Santé (SPS) sont aujourd'hui complétés par d'autres : la souffrance
psychologique des soignants est une urgence à prendre en compte - et en
charge - et, pour ce faire, 80 % des soignants souhaitent disposer d'un centre
qui leur est spécifiquement réservé, de préférence éloigné de leur lieu
d'exercice. Retour sur quelques constatations particulièrement de
circonstance.
L'épuisement professionnel des soignants : une dure réalité qui nécessite repérage, aide et
accompagnement.
La souffrance psychologique des professionnels de santé... voilà bien un thème d'actualité
chez une profession soignante en souffranceet qui ne cesse de la crier à qui voudrait bien
l'entendre... L'Association Soins aux Professionnels de Santé (SPS)1 a conduit une nouvelle
étude sur les vulnérabilités des professionnels de santé2 - qu'ils exercent en secteur hospitalier
ou libéral -, en vue du 2eColloque national qui aura lieu sur le sujet le 29 novembre prochain à
l'Ecole du Val-deGrâce, à Paris. Rappelons que les résultats de leur première enquête3 révélaient
que près de la moitié des soignants interrogés estimaient avoir été en situation de souffrance
dans leur carrière. La préoccupation était donc de savoir quelles étaient leurs attentes en la
matière et quel était leur niveau de connaissance des structures aidantes et de soutien.
Première constation : en situation de souffrance, les trois quarts des professionnels de santé
interrogés chercheraient de l'aide s'ils se retrouvaient en burn out ou face à un comportement
addictif et les femmes seraient plus enclines à se faire aider (79% vs 69%). Mais problème : la
moitié ne saurait pas à qui s'adresser... Les autres solliciteraient volontiers leur entourage familial
(43%), leur consoeur/confrère (38%), une connaissance amie (30%), leur médecin traitant (15%),
voire un psychologue/psychothérapeute/psychanalyste. Des chiffres qui montrent bien
l'importance de mettre à disposition une structure d'écoute et de soutien spécifique.
Progressivement et sans m’en rendre compte, mon comportement,
au travail et dans la vie, a changé. J’étais animé par le désir d’en
faire toujours plus pour mes patients, la recherche de leur
satisfaction totale. Le cabinet prenait le dessus sur tout, et
notamment sur ma vie de famille.
Deuxième constation : la quasi-totalité des soignants ne connaît ni associations d'aide ni
numéros d'écoute dédiés aux professionnels de santé en souffrance psychologique. Les
médecins sont un peu plus nombreux (14%) que les autres professionnels de santé à connaître
une association engagée. Parmi les structures ressource ils citent l'Association d'aide aux
professionnels de santé et médecins libéraux (AAPML), Médecin Organisation Travail et Santé
(MOTS) ou l'Aide aux soignants de Rhône-Alpes (ASRA).
Troisième constatation : la majorité des soignants (80%) préféreraient que ce soit des
associations professionnelles (régionales ou nationales) qui gèrent un numéro vert gratuit, dédié
et garantissant l'anonymat. Le psychologue, professionnel de l'écoute, se révèle être
l'interlocuteur privilégié (plus de la moitié des réponses). Cités également un confrère de même
spécialité, une personne formée à l'écoute psychologique, un psychiatre ou un médecin du
travail. Ces personnes ressource devraient pour les trois quarts des répondants proposer des
"prestations" telle que l'écoute psychologique, l'orientation, le suivi et l'accompagnement.
Concernant les structures d'appui, ce sont les consultations "physiques" (avec des médecins
généralistes ou spécialistes, psychiatres...) ou mieux encore "dédiées" qui sont plébiscitées.
Un matin de mars 2015, vidé, épuisé, sans force, je n’ai pas pu me
lever. J’ai été conduit en urgence auprès de mon psychiatre qui a
diagnostiqué un syndrome d’épuisement professionnel. Il m’a alors
donné le choix entre arrêter mon activité ou être hospitalisé. J’ai
choisi de me mettre en arrêt.
Quatrième constatation : la souffrance psychologique a un impact potentiellement majeur sur
la qualité des soins pour plus de la moitié des répondants, susceptible de mettre en danger la vie
du patient... d'où l'intérêt réaffirmé de disposer rapidement d'appui en la matière. Se pose
parallèlement la question de l'arrêt maladie chez les libéraux, plus de deux tiers soulignent ne
pouvant s'offrir ce luxe économique (si les trois quarts ont un contrat de prévoyance, la motié
seulement se savent assuré pour le manque à gagner en cas d'interruption temporaire de travail),
mais aussi ne souhaitant pas que leur situation de fragilité soit connue...
Il faut trouver les moyens de dépister et repérer de manière précoce
les personnes en difficulté. Pourquoi ne pas mettre en place une
médecine du travail pour les professions libérales ?
Cinquième constatation : les structures désignées comme devant se préoccuper et prendre
en charge ce problème de santé publique sont d’abord l’État (57 %), les ordres professionnels
(49 %), la CNAM (47 %), les syndicats professionnels (31 %), les assurances privées (15 %). Emails et sites internet dédiés sont les canaux de communication à privilégier pour communiquer
sur les actions mises en place. Plus d’un quart des soignants interrogés formulent enfin le
souhait de participer eux-mêmes à la prise en charge des soignants souhaitant être aidés. Parmi
eux, 75 % ont accepté que leurs coordonnées soient transmises à l’association SPS pour être
informés et contactés dans le cadre d’un investissement personnel.
Pour la grande majorité des personnes ayant répondu à l’enquête, il y a vraiment urgence à
prendre en charge ce problème de souffrance psychologique. Les dernières manifestations hier
mardi 8 novembre partout en France de l'ensemble des professionnels de santé et plus
spécifiquement des infirmiers le soulignent d'autant plus. Récemment, la Coordination nationale
infirmière (CNI) adressait au Gouvernement 45 000 signatures pour dire stop à la souffrance des
soignantssoulignant ceci : aujourd'hui, de plus en plus de soignants se trouvent en situation de
profonde souffrance au travail. La majorité d'entre eux ressentent un fort sentiment d'abandon,
pris entre les recommandations et le manque de moyens donnés pour les atteindre, tout en étant
en première ligne, au chevet des patients. De son côté, Marisol Touraine, ministre des affaires
sociales et de la santé, revenant (très en retard) sur la vague de suicides qui avait touché
récemment les infirmiers, avait déclaré fin septembre dernier : c'est pour apporter des réponses
concrètes à cette situation particulièrement préoccupante que je présenterai très prochainement
un plan pour l’amélioration de la qualité de vie au travail des professionnels de santé. Je veux
que vous soyez associés à l’élaboration de son plan. Cela me parait indispensable pour garantir,
par la suite, sa mise œuvre et son suivi au sein des établissements de santé. Un plan qui, pour
l'heure, n'a toujours pas été développé par la ministre.
Bernadette FABREGAS
Rédactrice en chef Infirmiers.com [email protected]
Notes
1.
L’association Soins aux Professionnels de Santé (SPS) a pour origine le rassemblement d’un groupe
d’experts souhaitant partager et défendre la santé des professionnels de santé vulnérables. Son objectif est
de susciter une véritable prise de conscience et de proposer des actions concrètes.
2.
L'enquête a été menée sur internet du 19 septembre au 10 octobre 2016 et 4019 professionnels de santé y
ont répondu - kinésithérapeutes, médecins, orthophonistes, infirmiers (12% ; moyenne d'âge 45 ans ; 45% en
exercice hospitalier ; 52 % en exercice libéral ; 3% en exercice mixte), podologues, pharmaciens, chirurgiensdentistes, orthoptistes, aides-soignants, bilogistes, autres - Les trois quarts des répondants exercent en
secteur libéral.
3.
Cette enquête, menée en novembre 2015, visait à évaluer la souffrance psycholgique des professionnels de
santé, en particulier les addictions à l'alcool, aux anxyolitiques et psychotropes. Enquête réalisée
gracieusement par Stethos via Internet, avec l’implication du Centre National des Professions Libérales de
Santé (CPNS) et des syndicats de professionnels de santé qui ont activement sollicité leurs adhérents.
Enquête totalement anonymisée par Karapace, une société “tiers de confiance”.