Plus d`écoute pour mieux soigner
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Plus d’écoute pour mieux soigner 1 sur 2 http://abonnes.lemonde.fr/sciences/article/2015/02/16/plus-d-ecoute-po... Plus d’écoute pour mieux soigner LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 16.02.2015 à 18h07 | Par Sandrine Cabut (/journaliste/sandrine-cabut/) « Prenez cinq à dix minutes pour écrire une histoire de prise en charge d’un de vos patients, une histoire qui vous a marqué. La forme et le style sont à votre convenance, l’orthographe et la syntaxe secondaires. Vos talents littéraires ne sont pas jugés dans cet exercice », explique, tout sourire, le docteur Luce Condamine à ses étudiants. FRANCK CHARTRON Ils sont une dizaine, filles et garçons d’une bonne vingtaine d’années, tous en DCEM2 – quatrième année de médecine – à la faculté Paris-Descartes. Au quotidien, ces futurs médecins font leurs premières armes à l’hôpital, avec un statut d’externe. En cet après-midi de janvier, ils assistent à leur troisième enseignement dirigé (ED) de médecine narrative. L’objectif de ce module, pour l’instant presque exclusivement dispensé à l’université Paris-Descartes, est de les sensibiliser à l’écoute des récits des patients et de stimuler leur réflexion sur le métier de médecin. A la base de cette discipline venue des Etats-Unis, l’utilisation des principes de la narratologie, analyse structurelle de textes littéraires. Avant le top départ, Luce Condamine, chargée de l’ED et pédiatre, rappelle les règles : stricte confidentialité ; respect des autres ; possibilité de poser un joker en cas de situation embarrassante. Certains étudiants se mettent immédiatement à écrire, d’autres restent quelques minutes le nez en l’air. Un quart d’heure plus tard, tous ont reposé le stylo. Le tour de table commence, chacun lit son texte, point de départ d’une discussion parfois animée. Beaucoup présentent « leur » cas comme une observation qu’ils consigneraient dans le dossier médical du patient, avec une grande précision sur le plan technique, mais sans beaucoup se mettre en scène comme narrateur. Une jeune femme décrit ainsi au scalpel tout le processus de réanimation d’une patiente, y compris le massage cardiaque. Seul ses derniers mots, quoique tout en retenue, traduisent une certaine empathie : « C’était une dame fort sympathique par ailleurs. » Récit personnel Quelques-uns ont opté pour un récit beaucoup plus personnel. Comme ce garçon encore traumatisé par le premier patient qu’il a examiné. C’était en réanimation, et aucun médecin de l’équipe ne l’avait prévenu que le malade en question était un jeune homme du même âge que lui, dans le coma, intubé et perfusé de partout… « Il n’était pas concevable pour moi de faire l’observation de quelqu’un avec qui je ne pouvais pas parler, explique l’étudiant. J’ai juste relevé des constantes évidentes [comme le pouls, la tension artérielle], ce qui n’a pas plu aux internes. » « Ce n’était pas très sympa de donner un tel cas comme première observation », rebondit le docteur Condamine. « Vous trouvez cela normal ? », demande-t-elle à l’assemblée. Personne ne semble vraiment choqué. « C’est comme cela que l’on apprend », lâche un étudiant. « Je pense que cela fait partie des moyens pour apprendre à se mettre à distance », renchérit sa voisine. Luce Condamine n’est pas vraiment d’accord. « La juste distance, c’est l’un des paramètres les plus difficiles à trouver pour vous. Il ne faut pas s’interdire toute humanité. Ici on vous enseigne l’empathie, ce qui ne veut 17/02/2015 01:35 Plus d’écoute pour mieux soigner 2 sur 2 http://abonnes.lemonde.fr/sciences/article/2015/02/16/plus-d-ecoute-po... pas dire se mettre en danger », explique-t-elle. Au fil des interventions, des sujets de préoccupation émergent. Le déni de la maladie, par exemple. « Il y a parfois de gros malentendus entre malades et médecins. La médecine narrative peut vous aider à savoir où en sont vos patients, ce qu’ils peuvent entendre », assure Luce Condamine. Le thème de la mort, aussi, que les futurs médecins apprennent cahin-caha à côtoyer. Un garçon s’étonne du détachement de ses aînés qui, dans les réunions de service, signalent simplement que « Monsieur X est mort pendant le week-end », avant de passer au dossier suivant. « Dans l’unité où je suis, si on veut pleurer, il faut aller dans les toilettes », témoigne une jeune femme. Un travail sur soi A la fin de la séance, tous semblent plutôt contents. « Pour moi, il s’agit surtout d’un travail sur soi par l’écriture, c’est important de le faire au moins une fois », estime une étudiante. Une autre avoue qu’elle préférerait faire l’exercice à l’oral. « Le fait d’écrire fait venir d’autres choses à la conscience dont on peut discuter ensuite, justifie Luce Condamine. Ici, on ne fait pas d’éthique ni de psycho, on n’interprète rien. On vous donne des outils pour vous permettre de grandir, d’être un meilleur soignant. » En amont, les étudiants ont eu un cours magistral sur la médecine narrative avec la projection d’un film, The Doctor. Puis ils ont été invités lors d’enseignements dirigés à raconter par écrit l’histoire de leur vocation médicale et celle de leur nom, ainsi qu’un épisode personnel ou familial de maladie. Pour leur dernière session, ils simuleront des consultations avec des patients acteurs. A l’initiative de cet enseignement original, le professeur François Goupy, un médecin de santé publique. « Il y a quinze ans, pour un projet de recherche sur les relations entre événements de vie et survenue de maladies, j’ai enregistré des récits de vie de patients, raconte-t-il. J’ai alors réalisé qu’ils pouvaient faire face à des événements majeurs – séparations, deuils… – avec de potentielles conséquences sur leur santé sans que le médecin assurant leur suivi en ait connaissance. » Ce n’est que quelques années plus tard que François Goupy a découvert qu’il avait alors fait de la médecine narrative sans le savoir. En 2008, il rencontre Rita Charon, médecin interniste à l’université Columbia (New York), à l’origine du développement de cette discipline, dans la tradition des séminaires de littérature et médecine d’Amérique du Nord. Pour cette ambassadrice, la médecine narrative est l’un des piliers de la formation des futurs médecins, et une réponse aux « insuffisances d’un système de santé qui laisse parfois des patients ignorés dans leur souffrance, et des médecins isolés dans leur pratique ». Conquis, François Goupy lance dès l’année suivante un enseignement optionnel à Paris-Descartes avec Claire Le Jeunne, chef du service de médecine interne de l’Hôtel-Dieu. C’est un succès, confirmé par une enquête auprès d’une quarantaine d’étudiants. Désormais, quelque trente praticiens hospitaliers assurent cette formation dont bénéficient actuellement tous les DCEM2 de Paris-Descartes. D’autres universités commencent à se lancer dans le mouvement. (/journaliste/sandrine-cabut/) Sandrine Cabut (/journaliste/sandrine- Suivre cabut/) Journaliste au Monde 17/02/2015 01:35