La protection diplomatique des individus en droit international.
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La protection diplomatique des individus en droit international.
Université de Lille II, droit et santé. Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales. La protection diplomatique des individus en droit international. Bertrand BAUCHOT. Sous la direction de M. le Professeur Louis Antoine ALEDO. Mémoire de recherche en vue de l’obtention du D.E.A de droit international et communautaire, mention droit international. Année universitaire 2001-2002. 1 REMERCIEMENTS. Je tiens tout d’abord à remercier Monsieur le Professeur Louis Antoine Alédo qui a accepté d’être mon directeur de mémoire et qui m’a donné l’opportunité de travailler sur un sujet passionnant. Pour ne pas m’attarder plus longuement, je tiens également à remercier Monsieur José Guerreiro, conseiller social à l’Ambassade du Portugal à Paris, ainsi que son homologue anonyme de l’Ambassade d’Allemagne, qui tous deux m’ont fourni des documents, introuvables en France, essentiels pour mes recherches. 2 La faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans le présent rapport. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. 3 SOMMAIRE. PARTIE I : La protection diplomatique, une prérogative souveraine de l’Etat. Chapitre I : La justification du recours à la protection diplomatique ou l’existence d’un lien d’allégeance entre l’Etat et ses nationaux. Chapitre II : La mise en œuvre de la protection diplomatique par les Etats. PARTIE II : Le paradoxe de la protection diplomatique : droit absolu de l’Etat ou droit restreint de l’individu ? Chapitre I : La place limitée de l’individu dans le contentieux de la protection diplomatique. Chapitre II : Vers un droit subjectif à la protection diplomatique ? 4 TABLE DES ABREVIATIONS. Abréviations bibliographiques. A.F.D.I Annuaire français du droit international. Ann I.D.I Annuaire de l’Institut de droit international. A.J.I.L American journal of international law. Ann Annuaire. Ann C.D.I Annuaire de la commission du droit international Bull Bulletin des arrêts de la Cour de cassation. Jcl Juris-classeur. J.D.I Journal du droit international. J.O.C.E Journal officiel des Communautés européennes J.O.R.F Journal officiel de la République française. Leb Recueil Lebon. R.B.D.I Revue belge de droit international. R.C.A.D.I Recueil des cours de l’Académie de droit international. R.C.D.I.P Revue critique de droit international privé. R.D.H Revue des droits de l’homme. Rec Recueil. Recueil C.I.J Recueil des arrêts de la Cour internationale de justice. R.G.D.I.P Revue générale de droit international public. R.S.A Recueil des sentences arbitrales. S Recueil Sirey. Abréviations techniques. A.C Avis consultatif. Cass civ Chambre civile de la Cour de cassation. C.D.I Commission du droit international. C.E Conseil d’Etat. C.E.D.H Convention européenne des droits de l’homme. 5 Co.E.D.H Commission européenne des droits de l’homme. Cr.E.D.H Cour européenne des droits de l’homme. C.I.J Cour internationale de justice. C.J.C.E Cour de justice des Communautés européennes. C.P.A Cour permanente d’arbitrage. C.P.J.I Cour permanente de justice internationale. D.I.D.H Droit international des droits de l’homme. H.C.R Haut Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés. S.A Sentences arbitrales. T.C.E Traité instituant la Communauté européenne. T.P.I.C.E Tribunal de première instance des Communautés européennes. T.U.E Traité sur l’Union européenne. Vol Volume. 6 INTRODUCTION. 7 INTRODUCTION. L’actualité abonde de cas où un individu, lésé dans ses droits par les autorités d’un Etat étranger, sur le territoire duquel il réside ou tout simplement séjourne, fait appel à son Etat national pour défendre ses droits qui ont été bafoués. La place de l’individu en droit international est floue et mal définie. En partant de ce constat, comment peut-il se protéger efficacement sur la scène internationale ? Par le biais de son Etat. Combien de fois assiste-ton à une intervention étatique en faveur d’un national, dans le but premier de le protéger et de sauvegarder l’intégralité des droits dont il est le titulaire ou le bénéficiaire. Les appels au secours d’un national à son gouvernement, s’ils ne restent pas lettre morte, ont alors pour conséquence que l’Etat mettra tout en œuvre, au plan international et dans la mesure du possible, pour prendre fait et cause pour son ressortissant lésé. L’intervention de l’Etat en faveur de son ressortissant a pour but de rétablir la situation, de la rendre identique ou similaire à ce qu’elle était précédemment à l’outrage subi ou bien de permettre la réparation éventuelle du dommage. L’Etat peut être considéré comme la forme la plus aboutie d’organisation humaine et sociale. En droit international, tant la doctrine que la jurisprudence, s’accordent à reconnaître que l’Etat, en tant qu’entité souveraine, se caractérise par la réunion de trois éléments constitutifs et cumulatifs que sont la population, le territoire et l’autorité politique. Parmi ces trois éléments, deux vont, de par leur nature, se rattacher directement au caractère international de l’Etat, le territoire et la population. Dans le cadre de cette étude, nous allons nous intéresser plus particulièrement à l’élément « population » de l’Etat.1 En effet, l’Etat doit avant tout être considéré comme un groupement d’individus. Or qui dit population, dit devoirs et obligations étatiques envers celle-ci. Dès lors, l’Etat n’existera qu’en vue de missions précises, dont celle de protéger les individus qui le composent, où qu’ils se trouvent, pourvu qu’ils soient ses nationaux. Il existe donc, à la charge de l’Etat une obligation générale de protéger ses nationaux. Cette obligation de protection de ses ressortissants est perçue alors comme une de ses missions sacrées et fondamentales. Ce sera sur cette considération première que va se fonder et se justifier l’Institution de la protection diplomatique. La protection 8 diplomatique se justifie également par ce lien de souveraineté que chaque Etat exerce sur ses ressortissants, la compétence personnelle. En effet, un Etat a la possibilité d’invoquer pour justifier l’emprise qu’il exerce sur des individus « un lien d’allégeance particulière qui lui subordonne une personne donnée ». 2 Ce lien d’allégeance c’est le lien de nationalité, qui sera récurrente dans l’étude de l’institution de la protection diplomatique. L’emploi du terme « institution » n’est pas fortuit. En effet, dans le cadre des relations internationales, la pratique de la protection diplomatique a, au fil des siècles, et de par l’action des Etats, acquis une importance telle que l’on peut aisément avancer l’idée d’une véritable institutionnalisation de la matière, du moins de sa reconnaissance générale et universelle. Les normes de droit international relatives à la protection diplomatique ont essentiellement un caractère coutumier. L’institution de la protection diplomatique trouve son origine dans une « nationalisation » de la pratique des représailles privées.3 En effet, au Moyen Age, un individu lésé dans ses droits, en pays étranger, pouvait se dédommager, en nature, sur les biens des étrangers établis dans son propre pays, pourvu que justice ne lui ait pas été rendue dans l’Etat concerné. L’individu, en la matière, était alors titulaire d’un véritable droit subjectif, celui de faire valoir ses droits et de réparer son préjudice en faisant justice luimême. Cependant, ce droit n’était aucunement absolu puisque l’Etat de la victime devait délivrer à celle-ci des lettres de représailles l’autorisant à agir, s’assurant ainsi de la réalité et de l’illégalité du dommage, de l’épuisement des voies de recours interne ou encore du caractère proportionné entre dommages et représailles. Avec le développement et l’affermissement des Etats au détriment des souverains, le système des lettres de représailles disparaît progressivement. En effet, avec l’affirmation de la souveraineté des Etats sur les hommes, les biens et les territoires, au droit subjectif de l’individu succède un droit subjectif de l’Etat. Au système des lettres de représailles succède celui de la protection diplomatique. Cette théorie, dont la paternité doctrinale revient à Vattel, fait alors de la protection diplomatique un droit propre de l’Etat.4 La formation des règles classiques relatives à la 1 Dans le même ordre d’idée, cette étude entend par « nationaux », de manière générale, les personnes privées. Quand une affaire citée aura trait à une personne morale, il le sera précisé. 2 Nguyen Quoc Dinh, Daillier (P.), Pellet (A.), Droit international public, 6ème édition, L.G.D.J, 1999, 1455 p, et notamment sur la compétence personnelle des Etats, pp. 487 et s. 3 Sur les origines de la protection diplomatique, il est possible de se référer au Cours général de droit international public de Paul de Visscher, in R.C.A.D.I, 1972, vol 136, et notamment ses développements sur la protection diplomatique pp. 154 et s. 4 Vattel, Le droit des gens, 1758. 9 protection diplomatique est donc relativement récente. Outre les premiers débats doctrinaux nés à la fin du 18ème siècle, elle provient pour l’essentiel de la pratique ainsi que de la jurisprudence internationale des 19ème et 20ème siècles. La protection diplomatique a longtemps été perçue comme l’expression de la supériorité des Etats les plus puissants sur des Nations faibles, tant politiquement qu’économiquement, et de ce fait a souvent été l’objet de vives critiques. Cependant, la société internationale ne peut rester figée dans des principes, fussent-ils universels et ancestraux, hérités des siècles passés. En faisant de la protection diplomatique un droit coutumier, legs des théories de Vattel, les Etats risquent de verser dans une nostalgie des doctrines classiques, mais surtout dans un immobilisme dangereux.5 Pour pallier ce risque, l’Organisation des Nations Unies, par le biais de la Commission du droit international, s’ingénie à entreprendre la codification des grands principes coutumiers issus du droit international. Depuis 1996, la Commission du droit international s’intéresse à la thématique de la protection diplomatique. Dans le même esprit que celui relatif aux règles en matière de responsabilité internationale des Etats, la codification des règles coutumières de protection diplomatique est ainsi fréquemment inscrite à l’ordre du jour de la Commission. 6 Dans l’affaire David Pacifico7, Lord Palmerston, Premier ministre britannique, demanda à la Chambre des Communes, le 25 juin 1850, dans une célèbre allocution de décider si : « Comme le romain dans les temps antiques se considérait libre d’indignité quand il pouvait dire Cives Romanus sum, un sujet britannique également, quel que soit le pays où il se trouve, doit être sur que l’œil vigilant et le bras puissant de l’Angleterre le protègeront contre l’injustice et l’offense. »8 A elle seule, cette citation résume parfaitement la matière : une protection étatique des citoyens, à l’étranger, contre « l’injustice et l’offense ». Comment peut-on alors définir véritablement la protection diplomatique ? La doctrine semble divisée quant à la définition de cette institution mais, unanimement, en reconnaît le caractère coutumier. Qu’ils en retiennent 5 Car ces doctrines sont à priori toujours d’actualité. Voir le Rapport préliminaire de la Commission du droit international sur la protection diplomatique. Ce rapport sera reproduit en Annexes. 7 David Pacifico, citoyen britannique, de confession judaïque, né à Gibraltar et résidant à Athènes, avait vu ses biens détruits par la foule lors d’une cérémonie religieuse orthodoxe grecque en 1847. Il avait alors fait appel à la Grande Bretagne pour réparer le préjudice par lui subi . 6 10 l’aspect purement procédural ou bien qu’ils en privilégient l’aspect contentieux, les auteurs ont longuement débattu sur la question. Ainsi, le Président Jules Basdevant définit la protection diplomatique comme l’action : « d’un gouvernement qui, par ses agents diplomatique ou, éventuellement par voie judiciaire internationale, s’efforce d’obtenir, à l’égard de ses ressortissants, le respect du droit international par un autre Etat, la réparation des dommages causés en violation de ce droit, ou, éventuellement, certains avantages à leur profit »9 Suzanne Bastid fait, quant à elle, de la protection diplomatique une des manifestations essentielle de la compétence personnelle de l’Etat à l’égard de ses ressortissants et définit le système comme le fait pour un Etat de prendre fait et cause pour son ressortissant, en raison d’un dommage par lui subi, et pouvant de ce fait entraîner la responsabilité internationale de l’Etat auteur10. Pour le Professeur Georges Berlia, il s’agit essentiellement d’un « endossement par un Etat d’une réclamation individuelle restée, jusque là, soit sans aucune satisfaction, soit sans satisfaction jugée satisfaisante »11 Il est également possible de citer Jean Chappez pour qui la protection diplomatique est susceptible d’une double définition. Dans une conception large et dans une optique de protection gracieuse, la protection diplomatique est définie comme un « ensemble de démarches par lesquelles un Etat intervient auprès d’un autre Etat, sur le territoire duquel se trouvent ses nationaux pour faire respecter à leur égard leur traitement dû par le droit international ». D’un autre côté, dans une conception restrictive et cette fois contentieuse, le Professeur Chappez fait de la protection diplomatique une « action par laquelle un Etat décide de prendre à son compte la réclamation d’un de ses nationaux contre un autre Etat et de porter le différend sur le plan international et plus spécialement devant une juridiction internationale »12 8 Cité in Diez de Velasco (M.), Protection diplomatique des sociétés et des actionnaires, R.C.A.D.I, 1974, vol 141, pp. 91 et s. 9 Basdevant (J.), Dictionnaire de terminologie du droit international public, Sirey, 1960, 775 p, et en particuliers, p 484. 10 Bastid (S.), Cours de droit international public, tome I, 1976-1977, Les Cours de droit, 641p. 11 Berlia (G.), Contribution à l’étude de la protection diplomatique, A.F.D.I, 1957, pp. 63-72. 11 Le Professeur Rousseau quant à lui va axer ses développements sur l’aspect éminemment inter-étatique de la protection diplomatique qui selon son point de vue consiste essentiellement en « l’action diplomatique entreprise par le gouvernement du particuliers lésé auprès du gouvernement présumé responsable pour obtenir la réparation du dommage causé à son ressortissant »13 Paul de Visscher insiste sur le caractère coutumier de la pratique qu’il définit comme « une institution coutumière en vertu de laquelle tout Etat souverain est habilité à réclamer réparation des violations du droit international commises par un Etat étranger au préjudice de ses ressortissants »14. Pour Jean Salmon l’institution étudiée est avant tout une question de contentieux puisqu’elle consiste en un « droit pour un Etat de présenter une réclamation internationale à l’encontre d’un autre Etat lorsqu’un de ses ressortissants a été victime d’un fait internationalement illicite de la part de ce dernier »15 Enfin, ce panorama doctrinal peut être complété par l’approche procédurale de Michel Verwilghen pour qui la protection diplomatique consiste en une « aide et assistance générale qu’apportent les agents diplomatiques et consulaires à leurs nationaux dans l’exercice de leurs droits ou de leurs activités légales à l’étranger, [ ainsi que] les demandes de dommages et intérêts que l’Etat protecteur réclame à l’Etat qui aurait commis un manquement aux règles de droit international préjudiciable à un ou des nationaux de l’Etat demandeur ». 16 Aux vues de ces quelques définitions ainsi exposées, il semble que les approches des Professeurs Chappez et Salmon soient les plus larges et les plus complètes, puisque d’une part, elles insistent sur le rôle éminent de l’Etat dans l’instance et que d’autre part elles conditionnent son intervention à une violation du droit international constituant un fait illicite, fait préjudiciable en tant que tel à ses nationaux. 12 Chappez (J.), Protection diplomatique, JCL droit international, vol 4, éditions du Juris-classeur, 1999, fascicule 250. 13 Rousseau (C.), Droit international public, Tome 5, Paris, Sirey, 1983, pp. 97 et s. 14 De Visscher (P.), op cit, p. 154. 15 Salmon (J.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 904. 16 Verwilghen (M.), Conflits de nationalité, plurinationalité et apatridie, in R.C.A.D.I, 1999, vol 277, p. 91. 12 Il convient désormais de préciser ce que l’on entend par « nationaux ». Cette notion ne doit pas être interprétée de manière restrictive en ne retenant comme « nationaux » que les personnes physiques. Certes les cas les plus nombreux de protection concernent des individus victimes d’abus à l’étranger mais il est prévu que, en plus de ces individus, la protection diplomatique soit également ouverte aux personnes morales nationales, aux sociétés privées. Dans ce cas particuliers, l’Etat de nationalité de la société17, en cas de litige, assurera également la protection au plan international, en prenant fait et cause pour celle-ci et en appliquant les mêmes règles procédurales, dès lors qu’elle est implantée à l’étranger.18 De même dans le cadre des organisations internationales, une procédure analogue de protection fonctionnelle, ne tenant pas compte cette fois du lien de nationalité, s’est mise en place pour protéger les fonctionnaires internationaux, et ce uniquement dans le cadre de leurs missions. Bien que cette étude soit exclusivement consacrée à la protection diplomatique des individus en droit international, pour illustrer nos propos, il s’avérera utile, voire même nécessaire de faire appel à ces régimes particuliers. Deux constatations doivent à ce stade être apportées. D’une part, en raison de leur nature même, protection diplomatique et responsabilité internationale sont indubitablement liées. D’autre part, la protection diplomatique, comme nous l’avons déjà partiellement abordé dans le panorama doctrinal, trouve son origine dans un préjudice frappant le national. Selon le Professeur Jessup, ces deux notions de responsabilité et de protection diplomatique sont associées puisqu’il écrit à ce propos que : « la protection des nationaux à l’étranger (…)est la formule inversée qui sert à désigner la question de la responsabilité des Etats pour des dommages causés aux étrangers »19 La doctrine et la pratique s’accordent à reconnaître que la mise en jeu de la responsabilité international trouve son origine dans un fait internationalement illicite. Selon l’article 3 du projet de codification de la Commission du droit international sur la responsabilité internationale des Etats, « Il y a fait internationalement illicite de l’Etat lorsque a) un comportement consistant en une action ou une omission est attribuable, d’après le droit 17 L’Etat d’immatriculation de la société. Rentre également dans cette catégorie la protection diplomatique des actionnaires de ces sociétés. 19 Le Professeur Jessup est ainsi cité par le Professeur Diez de Velasco dans son cours à l’Académie de La Haye, op cit.. 18 13 international à l’Etat, et b) que ce comportement constitue une violation d’une obligation internationale »20 Cette définition subordonne donc la responsabilité internationale à un manquement à ses obligations internationales, manquement attribuable à un Etat. Le comportement causant un dommage doit être attribué à l’Etat, du fait de son action directe ou de celle de ses agents. Ainsi, la responsabilité d’un Etat peut être engagée du fait de son activité administrative21, du fait de son activité législative ou bien encore en cas de déni de justice.22 En effet, tout Etat a l’obligation d’accorder sur son territoire, aux ressortissants étrangers, une protection juridictionnelle certaine. La responsabilité internationale d’un Etat a souvent été invoquée en cas de violation des droits des étrangers. Il est reconnu par la jurisprudence arbitrale qu’un Etat doit se comporter, sur son territoire, avec des étrangers, de la même façon qu’il se comporte avec ses nationaux. A défaut, il verra sa responsabilité internationale engagée puisqu’il n’a pas agi avec la diligence requise, en ne protégeant pas suffisamment les étrangers et leurs droits ou en effectuant une différenciation de traitement entre étrangers et nationaux.23 Ce seront donc des cas de ce type qui donneront naissance à la protection diplomatique, puisque à la base se trouve un dommage qui touche le national dans ses droits. A partir du moment où ce fait internationalement illicite causera un dommage ou une atteinte aux droits d’un de ses nationaux, l’Etat pourra alors choisir de prendre fait et cause pour la victime et de mettre en jeu la protection diplomatique. Qu’il soit matériel ou moral, et selon une pratique constante, seul le préjudice direct est susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat. En effet, dès lors qu’un tel préjudice est reconnu, l’Etat pourra prendre fait et cause pour son national auquel le fait illicite a directement causé préjudice. Comment l’Etat s’engage-t-il ? Par la fiction de l’endossement. En fait, l’Etat va faire sien le dommage subi par la victime. Comme le fait remarquer Madame Bollecker-Stern, « le préjudice de l’Etat est donc identifié à celui de l’ individu, tout en ne l’étant pas »24. Le dommage subi est avant tout perçu comme un dommage subi par l’Etat. 20 Annuaire de la CDI, 1996, vol II, p. 63. Voir par exemple les hypothèses d’atteintes portées aux contrats de concession comme ce fut le cas dans l’affaire Martini entre l’Italie et le Pérou, in, R.S.A, vol X, p. 644. 22 Le déni de justice constitue en tant que tel le principal acte juridictionnel internationalement illicite. 23 Voir en cela les sentences arbitrales de Max Huber du 23 octobre 1924, dans l’affaire des biens britanniques au Maroc espagnol (R.S.A, vol III, pp. 639) et du 4 avril 1928, dans l’ affaire de l’île de Palmas (R.S.A, vol II, p. 839) 24 Bollecker-Stern (B.), Le préjudice dans la théorie de la responsabilité internationale, Paris, Pedone, 1973, 382 p. 21 14 L’Etat va représenter au plan international son national, puisque, selon une doctrine et une jurisprudence classiques l’individu n’est pas un sujet du droit international et de ce fait doit se retourner vers son Etat pour actionner le mécanisme de la protection diplomatique et pour éventuellement être représenté devant une instance internationale. Ce sera alors sur la base de cette fiction de l’endossement de la réclamation que reposera tout le système de l’institution de la protection diplomatique. Sans endossement, l’individu est dans la plupart des cas désarmé et ne pourra pas faire entendre sa cause au plan international. En tant que telle, la protection diplomatique apparaît comme un droit propre de l’Etat et non de l’individu. L’endossement n’est pas la seule caractéristique procédurale propre à la protection diplomatique. Si cette fiction relève dans son essence même de l’appréciation souveraine de l’Etat, il faut noter que l’individu apparaît comme un des éléments essentiels de l’instance. En effet, pour que l’Etat mette en œuvre, en faveur de son national, la protection diplomatique, celui-ci doit avoir rempli deux conditions cumulatives nécessaires. Le non-respect de ces conditions a pour conséquence que la protection diplomatique ne pourra être mise en œuvre, encore moins envisagée. Ainsi, avant de faire appel à son Etat national la victime doit avoir épuisé toutes les voies de recours interne. Cette formalité, classique en contentieux international, subordonne la protection diplomatique à une décision judiciaire. En effet, la victime doit avoir, dans l’Etat où elle a subi le préjudice, épuisé tous les recours légaux et obtenu une décision de justice définitive. Ce ne sera qu’après le prononcé de cette décision que l’Etat national pourra prendre fait et cause pour son ressortissant.25 Pour qu’un Etat protége diplomatiquement un de ses nationaux, ce dernier doit enfin avoir eu un comportement irréprochable. En effet, la protection diplomatique est également subordonnée à ce que l’on appelle la théorie des mains propres. Un individu ne pourra faire appel à son Etat qu’à la condition que son comportement ne lui soit pas préjudiciable. Si ce comportement individuel semble dommageable, répréhensible ou pénalement condamnable, il ne fera aucun doute que l’Etat se refusera à exercer sa protection en faveur de son ressortissant. La jurisprudence en ce point est assez évocatrice. De manière quasi-générale, les cas de refus de protection diplomatique sont justifiés par le non-respect de cette obligation de comportement à la charge des individus. En résumé, l’Etat n’endossera la réclamation et ne 25 Il est évident que l’Etat prendra fait et cause pour son ressortissant si celui-ci estime que la décision définitive n’a en aucun cas changé sa situation et que le dommage par lui subi existe toujours et n’a pas été réparé. 15 protégera diplomatiquement un individu que si, et seulement si, ce dernier est son national, qu’il s’est comporté d’une manière telle qu’aucun reproche ne peut lui être fait et qu’au préalable il a cherché à régler le litige par voie judiciaire. Ce ne sera alors qu’au regard de ces strictes conditions qu’un Etat décidera, discrétionnairement, de mettre en jeu une telle protection en faveur de ses nationaux. Cependant, comme nous l’avons déjà évoqué, la place de l’individu en droit international est plus que problématique. En effet, il faut noter ce paradoxe troublant qui renie à l’individu le caractère de sujet de droit, tout en lui reconnaissant pléthore de droits fondamentaux. Les atrocités commises au cours de la seconde guerre mondiale ont abouti à la prise de conscience de la part de la communauté des Etats du caractère fragile de l’individu, des trop grandes discriminations existantes et de la violation beaucoup trop fréquente de ses droits. Dès les années cinquante, s’est développée et a été reconnue, sous l’impulsion à la fois des Etats et de nouvelles organisations internationales, toute une série de droits et libertés fondamentaux inhérents à la personne humaine.26 De par l’affirmation internationale de ces droits, l’individu s’est vu, non pas reconnaître un statut propre, mais reconnaître un certain nombre de droits que l’on pourrait qualifier de naturels. Parallèlement à l’affirmation de ces droits, de nouveaux systèmes juridictionnels protecteurs des droits fondamentaux ont fait leur apparition. Logiquement favorables aux intérêts de la personne humaine, ces nouvelles juridictions facilitent l’accès des individus à leur prétoire, sans passer nécessairement par le canal étatique. Au droit propre de l’Etat de protéger ses nationaux il semblerait que l’on assiste à une tendance, somme toute légitime, des individus à vouloir s’auto protéger, et ceci lorsque leurs droits fondamentaux ont été violés. En d’autre termes, sans pour autant disparaître, il existe désormais, à côté de la protection diplomatique des individus un nouveau type de protection, celui des droits de l’homme, qui ne subordonne plus le déroulement de l’instance à l’intervention majeure des Etats.27 C’est ici tout le paradoxe qui semble à l’heure actuelle caractériser l’institution de la protection diplomatique. En effet, celle-ci apparaît en plus d’un point comme tombant en déliquescence, au profit des droits de l’homme, mais au nom de leur compétence personnelle, les Etats ne sont pas prêts à abandonner cette prérogative souveraine qu’est la protection diplomatique. 26 Ainsi, la déclaration universelle des droits de l’homme fut adoptée en 1948, tandis que deux ans plus tard, sous l’impulsion du Conseil de l’Europe, fut rédigée la Convention européenne des droits de l’homme. 27 Si ce n’est par la procédure de ratification permettant l’application en droit interne du texte protecteur des droits de l’homme. 16 Il est clairement reconnu que la protection diplomatique reste un droit propre de l’Etat, tant dans sa mise en œuvre que dans son exercice. Mais il convient de se demander si, à ce droit propre, et ce eu égard aux pratiques étatiques ainsi qu’à la jurisprudence internationale ou régionale, l’on assisterait pas à l’émergence d’un droit individuel. En d’autres termes, la protection diplomatique n’aurait-elle pas tendance à devenir non plus un droit propre de l’Etat mais un droit propre de l’individu ? Pour cela, nos propos seront axés autour de deux points. Tout d’abord, il conviendra de rappeler et de développer les conditions dites classiques de la protection diplomatique qui permettent d’en affirmer le caractère éminemment étatique ( PARTIE I ), avant de s’intéresser aux évolutions récentes qui peuvent laisser penser que l’on assisterait à la naissance d’un droit propre aux individus. ( PARTIE II ) 17 PARTIE I: LA PROTECTION DIPLOMATIQUE , UNE PREROGATIVE SOUVERAINE DE L’ETAT. En tant qu’entité souveraine et indépendante, l’Etat doit être considéré comme l’acteur premier des relations internationales, leur élément clef, indispensable voire même fédérateur. A ce titre, il est titulaire d’un nombre non-négligeable de droits et d’obligations internationales, qui peuvent s’exercer aussi bien à l’égard des Etats eux-mêmes, qu’à l’égard d’autres entités plus ou moins souveraines telles les organisations internationales et bien évidemment à l’égard des individus. De ce fait, ils sont majoritairement considérés comme les sujets primaires de cet ordre juridique international, n’étant que partiellement limités dans leurs droits par ce sacro-saint principe de l’égalité souveraine entre Etats. Comme nous l’avons déjà quelque peu abordé, l’Etat se caractérise par une population sur laquelle il exerce sa compétence. C’est sur la base de cette compétence personnelle, que va alors s’organiser toute l’Institution de la protection diplomatique. En effet, rentre dans ce cas en ligne de compte la problématique de la nationalité, dont l’attribution mais aussi la jouissance permettent à un Etat de prendre fait et cause pour un de ses nationaux. ( Chap I ). Dès lors que sera établi ce lien de nationalité, dont on verra qu’il s’avère nécessaire à l’instance, l’Etat pourra choisir, librement et discrétionnairement, de mettre en œuvre la protection diplomatique (Chap II ). 18 CHAPITRE I : La justification du recours à la protection diplomatique ou l’existence d’un lien d’allégeance entre l’Etat et ses nationaux. Pour ne faire que le rappeler, la compétence personnelle d’un Etat sur ses nationaux peut se définir comme « un lien d’allégeance particulière qui lui subordonne une personne donnée ».28 Cette allégeance particulière reste la nationalité qui, en tant que telle, est un des éléments inhérents à toute entité humaine. Qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale, toute personne se doit, en théorie, d’être rattachée à un Etat. Dès lors, ce sera sur la base de ce lien d’allégeance bien particulier que se justifiera le recours à la protection diplomatique. En effet, pour qu’un Etat décide de prendre fait et cause en faveur d’un individu, il faut qu’il y ait, entre l’Etat et la victime, un lien de nationalité bien établi ( Section 1. ) Mais par individus il faut également entendre d’autres types de personnes privées qui elles aussi bénéficient d’un lien de rattachement national, parfois bien établi, parfois ténu. C’est alors cette nationalité qui justifie également une éventuelle intervention étatique. ( Section 2.) 28 Nguyen Quoc Dinh, Daillier (P.), Pellet (A.), op cit p. 488. 19 Section 1 : Le lien de nationalité : fondement incontournable de la protection diplomatique. Comme le note un auteur, « Tous les Etats sont confrontés à la nécessité de définir leur patrimoine humain »29 Ce patrimoine humain est la population, dont chaque individu la composant possède la nationalité de l’Etat. Ainsi, dans le cadre de la protection diplomatique, il est évident que, pour son éventuelle mise en œuvre un lien de rattachement est nécessaire. Ce lien, qui fera l’objet d’importants développements, n’est autre que le lien de nationalité. (I.). Ce critère de la nationalité devra cependant présenter certaines caractéristiques pour qu’un endossement étatique soit possible. (II.) I. La nationalité : un préalable nécessaire à la mise en œuvre de la protection diplomatique. Après avoir défini le concept de nationalité, pour en arriver au constat que la nationalité, tant dans son attribution que dans son contrôle, doit être reconnue comme un droit de l’Etat (A.), il sera utile, une fois ce principe posé, de comprendre, comment la protection de ses nationaux à l’étranger demeure une mission de l’Etat (B.) A. De la nationalité comme droit de l’Etat. La possession d’une nationalité précise est, de manière générale, un des éléments caractéristiques propres à chaque individu ( bien que dans certains cas, que nous étudierons ultérieurement, la nationalité fasse défaut ). Ayant une place toute à fait particulière dans le contentieux de la protection diplomatique, il est nécessaire, voire même obligatoire de définir cette notion de nationalité (1.), avant de s’intéresser à sa reconnaissance, par le droit international, comme un droit dont l’attribution appartient exclusivement à l’Etat. (2.) 29 Verwilghen (M.), op, cit p. 47 20 1. La nationalité un véritable lien d’allégeance souveraine. La question de la nationalité appelle plusieurs commentaires et constats. Tout d’abord, il est nécessaire de voir en la nationalité un lien d’allégeance fort entre un citoyen et son Etat de rattachement. En raison de cette soumission, l’individu prend ainsi la qualité de « sujet » de l’ordre juridique interne de cet Etat, car il se trouve en situation de sujétion vis à vis de lui. Comme tous les concepts porteurs, la nationalité ne fait pas l’objet d’une définition unanime. Il semblerait que l’on puisse cependant se fier à la définition posée par la Cour internationale de justice dans l’affaire Nottebohm. Selon la Cour la nationalité constitue le : « (…) lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d’existence, d’intérêts, de sentiments jointe à une réciprocité de droits et de devoirs. »30 Selon la Convention européenne sur la nationalité signée le 6 novembre 1997 à Strasbourg sous les auspices du Conseil de l’Europe, la nationalité désigne « le lien juridique entre une personne et un Etat et n’indique pas l’origine ethnique de la personne »31 Dés lors, ne serait-il pas superflu de définir le national comme un individu (dans la plupart des cas) uni à un Etat par un lien d’allégeance ? Ces définitions ont pour avantage de refléter l’état d’esprit du droit international à propos de la nationalité, tant la doctrine que la jurisprudence ou le droit conventionnel. En effet, la nationalité est avant tout un lien juridique et politique entre un individu et un Etat, lien qui justifiera la soumission de cet individu à la compétence personnelle de son Etat. La nationalité peut être analysée comme une sorte de lien sacré entre l’homme et sa patrie. De ce fait, la possession pour un individu d’une nationalité, lui confère toute une série de droits et l’astreint à certaines obligations, tant envers le groupement d’individus auquel il appartient qu’envers l’Etat lui-même dont il est sujet de son ordre juridique. En fait, la nationalité doit être analysée comme un des corollaires de l’existence des Etats, quelle qu’en soit la forme de gouvernement ou de la population qui y vit. La nationalité permettra donc de déterminer l’existence de cette population.32 Comme va alors très bien le faire remarquer le Professeur Audit, l’Etat va donc exercer : 30 Affaire Nottebohm ( Liechtenstein c. Guatemala ), CIJ, 6 avril 1955, Recueil CIJ, 1955, p. 23. Article 2 de la Convention de Strasbourg sur la nationalité. 32 En cela il faut de référer à la définition classique de l’Etat. 31 21 « (…) à l’égard de ses nationaux une compétence dite personnelle, reconnue par le droit international. Celle-ci lui permet de prendre des mesures à leur égard où qu’ils se trouvent : les nationaux ne sont soumis au pouvoir normatif de l’Etat que du seul fait qu’ils franchissent la frontière. »33 En tant que lien juridique de rattachement, la nationalité produit donc des effets tant au plan interne qu’au plan international. Parmi ces effets, il serait hasardeux de ne pas mentionner la protection diplomatique. Ainsi, dans le cadre qui nous intéresse, le professeur Perrin estime que, c’est en raison de l’incapacité traditionnelle des individus de se pourvoir devant les juridictions internationales que se justifie la protection diplomatique d’un Etat envers un individu. Pour lui : « l’une des conditions de l’exercice de cette protection est l’existence d’un lien juridique rattachant l’individu à l’Etat qui veut intervenir en sa faveur »34 Ce sera donc à partir de ce constat du rattachement national permettant protection diplomatique que seront axés nos développements ultérieurs. 35 2. La détermination de la nationalité : un pouvoir discrétionnaire de l’Etat. Il est unanimement reconnu, peut-on même dire internationalement, qu’il appartient à l’Etat de fixer lui-même ses règles propres à la détermination et à l’attribution de sa nationalité. A partir du moment où l’attribution d’une nationalité relève exclusivement de la compétence souveraine d’un Etat, il est claire que la condition de nationalité, dans le contentieux de la protection diplomatique, présente un caractère éminemment étatique. D’une manière générale, pour attribuer une nationalité, un Etat va soit avoir recours aux critères soit du jus sanguinis, le lien du sang déterminé par la nationalité des parents, soit au jus soli, en référence au lieu de naissance sans référence aucune à la nationalité des parents. Il ne fait plus aucun doute du caractère discrétionnaire et éminemment étatique de l’attribution de la nationalité. En effet, depuis qu’il existe une Cour internationale, ce principe est, si non pas fréquemment rappelé, du moins officiellement posé en droit positif. 33 Audit (B.), Droit international privé, 3ème édition, Economica, 2000, 973 p, dont p. 771. Perrin (G.), Les conditions de validité de la nationalité en droit international public, in Hommages à Paul Guggenheim, I.H.E.I, 1968, pp. 853-883. 35 En aparté, il est utile de rappeler que la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 prévoit en son article 15 que « Tout individu a droit à une nationalité ». 34 22 Ainsi, chaque Etat jouit dans la détermination de ses nationaux d’une compétence exclusive. Au nom de l’égalité souveraine entre Etats, cette compétence est donc universellement reconnue à toutes entités étatiques. C’est en tout cas ce qu’il ressort de l’Avis consultatif de la Cour permanente dans l’affaire des Décrets de nationalité en Tunisie et au Maroc. Cette affaire trouvait son origine dans un différend franco-britannique relatif à l’application aux ressortissants britanniques de décrets de nationalité pris par le gouvernement français dans ses deux protectorats nord-africains. Ainsi, elle estime que : « (…) dans l’état actuel du droit international, les questions de nationalité sont, en principe, de l’avis de la Cour, comprises dans le domaine réservé. » des Etats. 36 La Cour confirme donc ici la suprématie des Etats pour attribuer une nationalité à un individu. Ce principe est essentiel dans le cadre de la protection diplomatique puisque, si l’Etat a une compétence exclusive pour attribuer sa nationalité, il possède également le droit exclusif, et cette fois discrétionnaire, de mettre en œuvre la protection diplomatique en faveur de son national. 37 Comme le remarque le Professeur Rigaux,38 ce principe posé par la Cour permanente en 1923 a été confirmé en 1955 par la Cour internationale de justice, dans la célèbre affaire Nottebohm. Cette espèce peut être considérée comme fondamentale puisque d’une part, elle reprend les préceptes de la Cour permanente en matière de nationalité et que d’autre part, et dans l’optique que nous suivons, elle pose les grands principes propres à la protection diplomatique des individus. Il était ici question d’un citoyen allemand résidant depuis plus de trente cinq ans au Guatemala et ayant acquis, par naturalisation, la nationalité de la Principauté du Liechtenstein. Pour ne pas s’attarder ici sur les autres points de l’arrêt, il convient juste de préciser que la Cour a retenu à son tour qu’il « (…) appartient au Liechtenstein comme à tout Etat souverain de régler par sa propre législation l’acquisition de sa nationalité ainsi que de conférer celleci par la naturalisation octroyée par ses propres organes conformément à cette législation (…)la nationalité rentre dans la compétence nationale de l’Etat » 39 36 Affaire des Décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc, C.P.J.I, A.C du 7 février 1923, série B, n° 4, p. 24. 37 Nous reviendrons sur ce point ultérieurement mais il convient tout de suite de noter que l’enjeu pour un Etat qui met en œuvre la protection diplomatique est de protéger ses nationaux. 38 Rigaux (F.), Droit public et droit privé dans les relations internationales, Paris, Pedone, 1977, 486 p, et plus particulièrement p 122. 39 C.I.J, Recueil 1955, p. 20. 23 En fait la solution posée par la Cour, tout en reprenant celle de l’Avis consultatif de 1923, vient confirmer le principe posé dans la Convention de codification de La Haye du 12 avril 1930 concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité. Ce texte, expression des principes généraux du droit international en matière de nationalité énonce de façon succincte en son article 1er qu’il « appartient à chaque Etat de déterminer par sa nationalité quels sont ses nationaux »40 Comme viennent l’indiquer les travaux préparatoires à la Convention, les Etats, en inscrivant au texte un tel principe n’ont rien fait d’autre que de reprendre le droit coutumier en matière de nationalité.41 Dans le même ordre d’idée, et logiquement, l’article 2 de la même Convention prévoit lui que : « Toute question relative au point de savoir si un individu possède la nationalité d’un Etat doit être résolue conformément à la législation de cet Etat »42 Cependant, l’article 1er n’en vient pas moins poser certaines limites à l’action discrétionnaire des Etats puisqu’il prévoit que : « Cette législation doit être admise par les autres Etats, pourvu qu’elle soit en accord avec les conventions internationales, la coutume internationale et les principes de droit généralement reconnus en matière de nationalité »43 Il est ici question des relations entre Etats souverains quant à la reconnaissance de la nationalité.44 Cette primauté reconnue à l’Etat en matière d’attribution et de contrôle de sa nationalité n’est donc pas absolue. En fait cette disposition traduit le principe du droit international selon lequel chaque Etat se doit de reconnaître les législations internes d’un autre Etat, au nom de l’égalité souveraine. Pour que l’attribution de la nationalité produise ses effets en ce qui concerne la protection diplomatique, elle devra alors répondre à certaines conditions somme toute restrictives. En effet, cet article 1er pose le principe que les législations de droit interne intéressant la nationalité doivent respecter les prescriptions du droit international. Les principes ainsi dégagés à la Haye, même s’ils ont pris forme conventionnelle, n’en demeurent pas moins la transposition du droit coutumier et de ce fait s’imposent à tous les Etats. Ainsi, un Etat lorsqu’il confère sa nationalité doit le faire, et ce 40 Cité in Rousseau (C.), op cit…p. 104. Nguyen Quoc Dinh, Daillier (P.), Pellet (A.), op cit…p. 489. 42 Verwilghen (M.), op cit…p. 131. 43 Cité in Rousseau (C.), op cit…p.104. 44 En tant que telle, cette disposition sera confirmée par l’article 3§2 de la Convention européenne sur la nationalité du 6 novembre 1997 qui prévoit que « Cette législation doit être admise par les autres Etats, pourvu qu’elle soit en accord avec les conventions internationales applicables, le droit international coutumier et les principes de droit généralement reconnus en matière de nationalité. » 41 24 fort logiquement, dans le respect de la coutume internationale, des principes généraux et surtout des conventions auxquelles il est lié. Cette règle de conformité avait déjà été énoncée puisque dans un Avis consultatif de 1923, la Cour permanente retenait que la liberté discrétionnaire de l’Etat en matière d’attribution de la nationalité « n’est applicable que sous réserve des engagements conventionnels »45 qui lient l’Etat concerné. Les Etats sont également limités dans leur liberté d’octroi de la nationalité par le contrôle de l’arbitre ou du juge international. En effet, le juge en vient souvent à effectuer un contrôle sur les conditions d’octroi de la nationalité, et notamment sur le caractère fictif ou non d’une naturalisation. Le juge va donc effectuer un contrôle permettant de vérifier si la nationalité ainsi octroyée est ou non opposable à un Etat tiers. En 1932, le Tribunal égyptoaméricain retenait comme principe que l’examen d’une réclamation ayant trait à l’attribution de la nationalité par naturalisation n’est absolument pas en conflit avec le principe reconnu de la compétence discrétionnaire d’attribution de l’Etat. 46 Dans l’affaire Nottebohm, la Cour va quant à elle contrôler les conditions d’attribution de la nationalité par le Liechtenstein en tenant certes compte du principe d’attribution discrétionnaire mais surtout en basant son argumentaire sur deux points : la fictivité de la naturalisation associée au caractère effectif de la nationalité ainsi accordée. (Nous y reviendrons plus tard). B. De la protection des nationaux à l’étranger comme mission de l’Etat. L’Etat se caractérise par une population, population sur laquelle il exerce des droits mais aussi envers laquelle il est soumis à un certain nombre d’obligations. Parmi celles-ci, on peut trouver, entre autres, celle de protéger ses ressortissants, sur l’ensemble du territoire national, mais aussi à l’étranger. Cette mission prendra beaucoup plus d’ampleur dés lors que seront en jeu les droits d’un national. A partir de ce moment, un Etat est censé prendre fait et cause pour son ressortissant, se trouvant à l’étranger et en principe uniquement pour celui-ci (1.). Cependant, ce lien de nationalité ne se suffit pas à lui seul puisque pour que le 45 46 Affaire de l’acquisition de la nationalité polonaise, C.P.J.I, A.C du 15 septembre 1923, série B, n° 7, p 16. Affaire Salem ( Etats-Unis c. Egypte ), S.A. 8 juin 1932, R.S.A, vol II, p. 1163. 25 mécanisme de protection diplomatique soit enclenché, encore faut-il que ce lien de nationalité soit l’expression d’un rattachement réel et effectif (2.) 1. Les nationaux, destinataires privilégiés de la protection diplomatique. Les Etats ont pour mission traditionnelle de protéger les étrangers qui se trouvent sur leurs territoires. En effet, les Etats se doivent de protéger les individus sur leur territoire, sans discrimination aucune, pourvu qu’ils se réfèrent à un « standard minimum » dans le traitement des étrangers.47 Dès lors que cette protection identique, mais aussi spécifique, a fait défaut ou bien n’a pas été suffisamment efficace, le mécanisme de protection diplomatique peut se mettre en œuvre. Il est reconnu, tant par la doctrine que par la jurisprudence internationale, que le sujet de droit interne, et plus particulièrement l’individu, ne pourra bénéficier de l’assistance diplomatique de l’Etat dont il réclame la protection que s’il en est possède la nationalité. Cette exigence, que l’on pourrait qualifier d’impérative, a été officiellement posée en jurisprudence internationale par la Cour permanente de justice internationale,48 d’abord dans l’affaire Mavrommatis,49 puis réaffirmée en permanence par la suite. Dans une célèbre affaire opposant l’Estonie à la Lituanie, les juges internationaux ont reconnu que le droit à la protection diplomatique : « (…)ne peut être nécessairement exercé qu’en faveur de son national, parce que, en l’absence d’accords particuliers, c’est le lien de nationalité qui seul donne à l’Etat le droit de protection diplomatique. »50 Il est donc clair que si un Etat décide de prendre fait et cause pour un individu, il ne le fera qu’à la condition que celui-ci soit son national. L’individu lésé doit posséder un titre de rattachement suffisamment probant pour permettre une telle protection. Ce titre, en tant que 47 Ainsi, selon le Mémoire français dans l’affaire du Lotus, « lorsque les sujets d’un Etat sont à l’étranger, d’après le droit commun leur Etat national a le droit de demander à l’Etat de séjour que celui-ci les traite selon les règles du droit international (….) », cité in Kiss (A.C), Répertoire de la pratique française en matière de droit international public, tome III, CNRS, 1965, p. 450. 48 Bien que parfois la jurisprudence arbitrale ait retenu une solution analogue comme dans l’affaire des propriétés religieuses, et notamment le sentence arbitrale Dame Ménard c. Portugal du 2 septembre 1920, RSA, vol…p. 13. 49 Affaire des concessions Mavrommatis en Palestine (Grèce c. Royaume-Uni), CPJI, 30 août 1924, série A, n°2. 50 Affaire du chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, (Estonie c. Lituanie), CPJI, 28 février 1939, série A/B, n°74, p. 28. 26 tel ne peut être que la nationalité. Seul compte donc le lien de nationalité, puisque a, par exemple, été rejeté, comme justifiant la protection diplomatique, le seul lien ethnique.51 Ainsi, M. Delcassé, ministre français des affaires étrangères rappelait le 10 novembre 1902 à M. Bapst, chargé d’affaire de la France à Constantinople que : « le droit de protéger ses nationaux est pour chaque Etat un doit primordial, et aucun n’accepterait de paraître, par un acte écrit, déroger à sa propre souveraineté en aliénant une partie de ce droit ». 52 En tant que telle, la suppression de la faculté d’intervention des gouvernements étrangers en faveur de leurs nationaux est contraire au droit international. Sans cette condition de nationalité, l’endossement ne pourra ainsi pas être effectué. La protection pourra alors s’exercer en faveur de tous les nationaux qui subissent, en dehors du territoire national, en violation du droit international, un dommage direct. Pour qu’il y ait endossement, la national doit avoir subi un dommage touchant ses droits, ses biens 53 ( telle la propriété privée) ou encore sa personne54. Dans le cas particuliers des personnes morales, les règles posées par la Cour permanente sont généralement reprises. Ainsi, dans la célèbre affaire de la Barcelona Traction, affaire phare en matière de protection diplomatique des sociétés, la Cour internationale de justice a estimé que lorsqu’il fallait établir un lien de rattachement entre une société et un Etat aux fins de protection diplomatique, il est utile de se fonder sur une analogie avec les règles qui régissent la nationalité des individus pour les juges : « La règle traditionnelle attribue le droit d’exercer la protection diplomatique d’une société à l’Etat sous les lois duquel elle s’est constituée et sur le territoire duquel elle a son siège. » 55 Ainsi, seul pourra donc être envisageable un endossement se faisant en faveur d’un national. Même si dans certains cas bien particuliers un Etat pourra choisir de protéger des étrangers, à l’étranger ( ces cas seront étudiés ultérieurement ), il est unanimement reconnu que seul le national peut être protégé par son Etat de nationalité. Cependant, même si ce lien de rattachement qu’est la nationalité, s’avère nécessaire aux fins de la protection diplomatique, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas à lui seul suffisant. 51 Affaire des communautés gréco- bulgare, CPJI, A.C, 31 juillet 1930, série B, n°17. Kiss (A.C), op cit p. 451. 53 La plus célèbre affaire dans ce cas demeure l’affaire précitée Nottebohm. Cependant, pour plus de détails quant au lien existant entre protection diplomatique et propriété privée, il est possible de se référer au cours du Professeur Bindschelder (Bindschelder (R.), La protection de la propriété privée en droit international public, in R.C.A.D.I, 1956, vol 90, pp. 228-244.) 54 On peut ici citer par exemple la récente affaire Lagrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), C.I.J, 27 juin 2001, in www.icj-cij.org. 52 27 2. La nationalité : un lien de rattachement nécessaire mais non suffisant. Dans l’affaire du Chemin de fer Panevezys Saldutiskis, Charles de Visscher et le comte Rostworowski estimaient, dans leur opinion individuelle que le lien de nationalité « constitue seulement le titre d’un Etat déterminé à produire une réclamation »56. Cette opinion a pour avantage d’illustrer la nécessité du lien de nationalité dans le contentieux de la protection diplomatique, mais elle est restrictive à outrance puisqu’elle limite la nationalité à un simple moyen procédural. Cependant, en ne retenant que cet aspect de la nationalité ces juges semblent avoir implicitement voulu reconnaître le caractère non suffisant du lien de rattachement dans la mise en jeu de la protection diplomatique. En effet, depuis l’affaire Nottebohm, la Cour internationale de justice a officiellement reconnu que, aux fins de la protection diplomatique, le lien de nationalité n’est plus suffisant puisque pour que l’Etat intervienne en faveur de son national, la nationalité de la personne dont les droits ont été bafoués doit traduire un véritable lien de rattachement effectif. Comme le note très pertinemment Suzanne Bastid : « Il est assez remarquable de noter que c’est la première fois que la Cour internationale de justice a eu à se prononcer sur l’application du « principe bien établi du droit international » suivant lequel « c’est le lien de nationalité entre l’Etat et l’individu qui seul donne à l’Etat le droit d protection diplomatique »et notamment le droit d’user de cette forme qu’est l’action judiciaire internationale »57 Dans cette espèce, le sieur Nottebohm, né à Hambourg en 1881, de nationalité allemande, se rend au Guatemala au tout début du 20ème siècle, s’y installe, y fonde une famille et y développe de prospères affaires. Il conserve des relations commerciales avec l’Allemagne et se rend occasionnellement au Liechtenstein en visite chez un de ses frères. Au tout début de la seconde guerre mondiale, étant resté de nationalité allemande, il présente une demande de naturalisation auprès des autorités du Liechtenstein, naturalisation qui lui est accordée le 16 novembre 1939 sur décision souveraine du Prince régnant. Muni d’un passeport liechtensteinois, il retourne en 1940 au Guatemala où il est arrêté en 1943 et emprisonné jusqu’en 1946. De 1943 à 1950, la quasi-totalité de ses biens a fait l’objet de mesures de séquestres puis d’expropriations. C’est à ce moment que va intervenir le 55 56 Affaire de la Barcelona Traction, (Belgique c. Espagne), 5 février 1970, Rec CIJ, 1970, p. 43. Cité in Verwilghen (M.), op cit p. 93. 28 Liechtenstein pour prendre fait et cause en faveur de son national. Il est intéressant de noter que la naturalisation de Nottebohm est basée sur une loi du 4 janvier 1934. Cette loi subordonne la naturalisation à la réalisation de nombreuses conditions, dont celle de l’exigence d’un domicile légal en principauté depuis au moins trois ans. Cependant, cette condition n’est en rien absolue puisqu’il est toujours possible d’y échapper, à titre exceptionnel et dans des cas « particulièrement dignes d’intérêt ».58 Il ne fait aucun doute que dans cette espèce, le problème du rattachement à un Etat est primordial, puisque la nationalité permet de mettre en jeu la protection diplomatique, mais encore faut-il que cette nationalité présente certaines caractéristiques dont celle de l’effectivité. La Cour va ainsi « chercher les critères permettant de donner plein effet à la nationalité invoquée » 59. Selon la Cour, pour permettre un éventuel endossement : « La nationalité est un lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d’existence, d’intérêts, de sentiments joints à une réciprocité de droits et de devoirs. Elle est, peut-on dire, l’expression juridique du fait que l’ individu auquel elle est conférée, soit directement par la loi, soit par un acte de l’autorité, est, en fait, plus étroitement rattaché à la population de l’Etat qui la lui confère qu’à tout autre Etat. » 60 La Cour a ainsi inauguré sa théorie du degré minimum d’effectivité. Selon le célèbre dictum de la Cour, la règle de l’effectivité permet de déterminer si la nationalité accordée par un Etat lui donne un titre suffisant pour exercer la protection diplomatique vis à vis d’un autre Etat. Ceci est donc une véritable question d’opposabilité. Ainsi, sera considérée comme effective une nationalité permettant un rattachement plus qu’étroit à un Etat déterminé. Le critère de la nationalité effective est donc primordial dans la mise en œuvre de la protection diplomatique, puisque ce sera au nom de ce rattachement réel entre l’Etat et l’individu que celui-ci pourra voir sa cause défendue au plan international. Toujours selon Mme Bastid, il est donc nécessaire « d’attacher la protection diplomatique non à un élément purement formel mais à une situation réelle, à un lien effectif ».61 57 Bastid (S.), L’affaire Nottebohm devant la Cour internationale de justice, R.C.D.I.P, 1956, pp 607-633. En se fondant sur cette loi, sera avancé l’argument de la naturalisation frauduleuse de Nottebohm car, n’ayant pas de domicile légal au Liechtenstein, la nationalité lui fût malgré tout accordée, selon « ces cas particulièrement dignes d’intérêt ». Or, rien en l’espèce ne nous laisse penser la situation du requérant rentre dans de telles considérations. Ces dernières peuvent être largement et frauduleusement interprétées. 59 Ibid p. 625. 60 Affaire Nottebohm, op cit p. 23 61 Bastid (S.), op cit…p. 632. 58 29 La Cour va donc analyser le degré d’effectivité et retenir que, à la différence des liens qu’entretient Nottebohm avec l’Allemagne ou le Guatemala, « ses liens de fait avec le Liechtenstein sont extrêmement ténus », puisque rien ne le rattache réellement à la Principauté, si ce n’est la possession d’un passeport. En se basant sur le principe qu’elle a elle-même dégagé, la Cour estime donc qu’au moment de sa naturalisation le sieur Nottebohm n’avait pas fait acte de résidence prolongée à Vaduz, qu’il n’avait pas l’intention d’y fixer sa résidence principale et qu’aucun intérêt d’ordre économique ou privé ne justifiait sa présence dans la Principauté. La demande du Liechtenstein est donc déclarée irrecevable. Dés lors, le principe est posé : pour qu’un Etat prenne fait et cause pour un individu, il faut que celui-ci lui soit rattaché par un lien de nationalité effectif. II. Appréciation de la nationalité et protection diplomatique. Une fois qu’a été établi un lien de nationalité effectif, un Etat peut, en théorie, mettre en œuvre les mécanismes propres à la protection diplomatique pour prendre fait et cause pour un de ses ressortissants. Cependant, une fois cette nationalité établie, certains critères devront être remplis. En effet, à ce niveau, deux questions peuvent se poser. Tout d’abord, à quel moment doit-on apprécier la possession de la nationalité pour permettre à un Etat d’agir diplomatiquement en faveur d’un de ses ressortissants ? En d’autres termes se pose le problème de la date critique (A). Ensuite, reste à répondre à la question tout aussi fondamentale des moyens de preuve de cette nationalité (B). A. La naissance du préjudice ou l’appréciation nécessaire de la date critique. Il est unanimement reconnu que lorsqu’un Etat décide de prendre fait et cause pour un de ses nationaux c’est parce que celui-ci a subi un préjudice, qu’il a été victime d’un dommage à l’encontre de ses biens, ses droits ou bien encore de sa personne. Nous l’avons vu, seul un national peut prétendre jouir de la protection de son Etat. Cependant, il convient de se demander à quel moment doit survenir le préjudice pour qu’il y ait protection diplomatique ? Autrement dit, tout est question de date critique, à savoir qu’il convient de se 30 demander à partir de quel moment la victime doit posséder la nationalité effective pour qu’il y ait endossement de son Etat ? (1.). De même, il est possible de se poser une question analogue en cas de changement de nationalité : quand doit être pris en compte le lien de nationalité s’il y a eu changement de nationalité ? (2.) 1. Nationalité et appréciation de la date critique. Il est claire que si le lien de nationalité entre un individu et un Etat a été établi, l’une des conditions majeures de la protection diplomatique a été remplie. Cependant, il n’en reste pas moins à déterminer la date à laquelle doit exister la nationalité de la victime pour que la réclamation puisse être endossée. On parle ici de date critique en référence au moment où la nationalité de l’individu pourra être effectivement opposée à l’Etat auteur du préjudice. Une chose est sure, pour que l’Etat intervienne en faveur de son national aux fins de la protection diplomatique, la demande doit être nationale dès l’origine. En effet, en reprenant l’adage « a claim must be national in origin »62, tant la doctrine que la jurisprudence s’accordent à reconnaître que la personne lésée doit, au moment de la survenance du préjudice, posséder la nationalité de l’Etat dont elle espère l’intervention. La date critique sera donc celle du jour de la survenance du fait illicite. La règle de la nationalité à l’origine justifie la théorie classique de la protection diplomatique63 puisqu’elle est parfois perçue comme un « pont » entre le préjudice privé et le préjudice devenu étatique par endossement, ce qui « accrédite l’idée de la dualité de victimes, l’individu et l’Etat national étant frappés simultanément par l’acte dommageable »64 Cette idée du caractère national de la réclamation à l’origine n’est pas récente puisque dès 1932, le rapporteur spécial de l’Institut du droit international, le Professeur Borchard, proposait, dans un projet de résolution, une théorie analogue. En effet, selon lui, « La protection diplomatique peut être exercée en vue de présenter une réclamation pour un préjudice subi par une personne, à condition que : a) au moment où le dommage a été causé, la personne qui a subi le dommage d’où la demande a surgi, ait été un national de l’Etat requérant et n’ait pas été un national de l’Etat contre lequel la demande est introduite (…)»65 62 Rousseau (C.), op cit p. 117. La théorie vattelienne. 64 Wyler (E.), La règle dite de la continuité de la nationalité dans le contentieux international, Genève, Puf, 1990, 293 p. 65 AIDI, vol 37, 1932, p. 278. 63 31 Bien que cette résolution ait été rejetée pour d’autres raisons, elle n’en traduit pas moins l’état du droit international en la matière, surtout du droit coutumier, à savoir la nécessité du caractère national de la réclamation et ce dès l’origine du préjudice subi, pour que soit mise en œuvre la protection diplomatique. Cette position a d’ailleurs été maintes fois reprise et semble être une modalité nécessaire et récurrente de la protection diplomatique.66 Une autre règle propre à la protection diplomatique, concernant la nationalité de la victime, et touchant directement la date critique est celle de la continuité de la nationalité. Ayant fait l’objet de nombreux débats, cette règle n’en demeure pas moins, elle aussi, primordiale. La règle de la continuité de la nationalité est considérée comme un corollaire du principe selon lequel la protection diplomatique dépend de la nationalité de la personne en cause. En effet, il convient à juste titre de se demander jusqu’à quelle date doit persister la nationalité du réclamant pour qu’il y ait un éventuel endossement. Deux conceptions sont ainsi envisageables. Tout d’abord, la victime devrait posséder la nationalité de l’Etat réclamant depuis la commission de l’acte dont elle s’estime victime jusqu’au prononcé de la décision de son Etat. C’est certainement la position la plus restrictive puisqu’elle subordonne l’intervention d’un Etat à la continuité permanente de la nationalité. Une autre conception envisageable peut être celle de la nationalité au moment de la requête, selon laquelle l’individu doit jouir de la nationalité de l’Etat dont il réclame protection, « au moment où la réclamation est portée sur la scène internationale »67 C’est en tout cas ce qu’il ressort de la jurisprudence arbitrale qui reconnaît que : « C’est un principe bien établi de la jurisprudence internationale qu’une réclamation doit être nationale du point de vue de l’Etat demandeur dès l’origine jusqu’à sa présentation comme réclamation de droit international »68 La portée de cette règle a fait l’objet elle aussi de projets de codification. Ainsi, l’Institut du droit international a estimé, toujours en 1932, dans le même projet de résolution, que la protection diplomatique : 66 Pour preuve, l’Institut de droit international, à sa session de Varsovie en 1965, a repris de nouveau ce principe dans un nouveau projet de résolution concernant « Le caractère national d’une réclamation internationale présentée par un Etat en raison d’un dommage subi par un individu ». L’article 3 a) retient ainsi qu’une « réclamation internationale présentée en raison d’un dommage subi par un individu possède le caractère national d’un Etat lorsque cet individu est un national de cet Etat ou une personne que cet Etat est autorisé, en vertu du droit international, à assimiler à ses propres nationaux aux fins de la protection diplomatique », in AIDI , 1965, vol 51, p.261. 67 Wyler (E.), op cit, p. 12. 68 Affaire Benchiton, S.A de Max Huber du 1er mai 1925, R.S.A, vol II, p. 706. 32 « (…) peut être exercée en vue de présenter une réclamation internationale pour un préjudice subi par une personne, à condition que (…) b) lorsque la demande est présentée, la personne intéressée soit un national de l’Etat requérant et que l’intérêt dans la demande n’ait à aucun moment, entre la date à laquelle le dommage a été subi et la date de la présentation de la demande, appartenu à une personne qui n’était pas un national de l’Etat requérant ou à une personne qui était un national de l’Etat requis »69 De même, l’American Institute of International law, dans un projet de 1924 concernant la protection diplomatique prévoyait que l’individu lésé devait être national de l’Etat requérant « at the time of the occurrence of the act or event giving rise to to the claim, and he must be so at the time the claim is presented “70 Il semble donc que la règle retenue soit celle de la possession de la nationalité, au moment du fait illicite jusqu’à l’endossement, à savoir la position restrictive qui subordonne l’intervention étatique à la possession continue de la nationalité. Cette continuité de la nationalité entre ces deux dates critiques semble logique en ce sens que de cette manière, il soit possible de rattacher à un même Etat, celui de nationalité, d’une part le préjudice subi et d’autre part sa réparation envisagée ainsi que l’action internationale qui va s’en suivre du fait de la mise en œuvre de la protection diplomatique. Le débat quant à la nature de cette règle a souvent été avancé. En effet, comment doiton considérer cette règle, règle de recevabilité ou de fond ? Dans l’affaire du chemin de fer Panevezys Saldutiskis, a été soulevée pour la première fois une exception préliminaire basée sur la règle de la continuité de la nationalité. En effet, dans cette affaire, l’Estonie entendait prendre fait et cause pour une société, certes estonienne, mais qui à l’époque du fait dommageable (saisie par les autorités de la Lituanie d’une partie de la ligne de chemin de fer), en 1919, était encore une société russe. Pour la Lituanie la demande était irrecevable en raison du défaut de nationalité estonienne lors de la commission du préjudice. Pour la Cour permanente cette question est une question touchant au fond de l’affaire et non à sa recevabilité. Si la Cour devait se prononcer sur les effets du Traité de cession entre la Russie soviétique et l’Estonie ( Traité qui a entres autres cédé la société litigieuse ), elle aurait 69 70 AIDI, Vol 37, op cit. Wyler (E.), op cit p. 42. 33 inévitablement dû interpréter ce texte conventionnel, ce qui en tant que telle relève du fond de l’affaire. Ainsi la Cour précise que : « En effet, la question de savoir si la société Esimene est à considérer comme la propriétaire ou le concessionnaire de la ligne PanevezysSaldutiskis appartient indubitablement au fond de l’affaire (…) De même, la Cour, en examinant le fond de la demande estonienne, devrait nécessairement se prononcer sur l’interprétation du Traité de Tartu ; car on a plaidé que l’effet de ce Traité était de maintenir en existence la société russe et de la transformer automatiquement en une société estonienne. Ici encore, cette question exerce une répercussion directe sur la question de la nationalité [et bien évidemment sur la question de la continuité de cette nationalité], que soulève la première exception lituanienne. » 71 2. Changement de nationalité et date critique. Un problème peut se poser en matière de continuité de la nationalité lorsque la victime lésée a, en cours d’instance, c’est à dire entre le dommage subi par elle et le prononcé de la décision internationale, changé de nationalité. Quel Etat va pouvoir alors protéger diplomatiquement la victime, son Etat de nationalité lors de la survenance du préjudice ou bien son nouvel Etat de nationalité ? A partir de quel moment doit être pris en compte ce changement de nationalité pour le rendre opposable à l’Etat ? Comment un individu peut-il changer de nationalité ? Ce changement peut s’opérer soit par la voie de la naturalisation, soit par mariage, si une femme épouse un homme qui n’a pas sa nationalité ou bien encore par cession de territoire ou succession d’Etats. Ce dernier point sera étudié ultérieurement. Le cas le plus fréquent demeure cependant celui du changement volontaire de nationalité par le mariage. En ce cas, l’une des affaires les plus célèbres de la jurisprudence arbitrale, souvent citée pour illustrer le cas de changement de nationalité appliqué à la protection diplomatique, demeure l’affaire dite des veuves du Lusitania. 72 En pleine première guerre mondiale, le Lusitania, paquebot anglais, fut coulé par le sous-marin allemand U-20 le 7 mai 1915. A son bord se trouvaient un certain nombre de ressortissants américains qui périrent et laissèrent sur terre leurs veuves éplorées. A la fin de la guerre, certaines d’entre-elles, par le biais de la protection diplomatique, décidèrent de se 71 72 Affaire du chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, op cit, p. 17. L’affaire des veuves du Lusitania a donné lieu à plusieurs décisions reproduites dans le R.S.A vol VII. 34 retourner contre le gouvernement allemand pour obtenir réparation du préjudice moral subi. Pour répondre à leurs attentes, une Commission des réclamations germano-américaine a été instituée par le Traité de Berlin du 25 août 1921. Cependant, entre temps, quelques-unes de ces veuves décidèrent de se remarier, perdant ainsi leur nationalité américaine. Le surarbitre Parker a alors rendu deux types de décisions. Tout d’abord, il a estimé que la veuve qui s’était remariée et qui n’avait donc plus la nationalité américaine lors de l’entrée en vigueur du Traité de Berlin, n’avait pas droit à indemnité et ne pouvait plus bénéficier de la protection du gouvernement américain du fait de son nouveau statut matrimonial. 73 En revanche, il a été décidé qu’une américaine, dont l’époux britannique avait péri en mer, et ne s’étant pas remariée, était redevenue ressortissante américaine et l’était restée jusqu’à l’entrée en vigueur de l’accord de conciliation. A ce titre, la Commission lui reconnût qualité pour présenter une réclamation et lui indemnisa son préjudice. 74 Il semblerait donc que dans cette espèce ait été appliquée l’approche restrictive de la règle de la continuité de la nationalité. En effet, le surarbitre a d’une part, et fort logiquement, fait œuvre de classicisme en se référant tout d’abord à la nationalité à l’origine, mais il a estimé, à juste titre, que la nationalité des victimes devait perdurer jusqu’à l’entrée en vigueur de l’accord de conciliation, c’est à dire jusqu’à la mutation du préjudice en préjudice international. Le changement de nationalité empêchera donc dans certains cas la mise en jeu de la protection diplomatique, et ce en raison même des théories classiques de la protection diplomatique tel le lien de nationalité nécessaire et effectif. La Commission du droit international s’est également penchée sur cette question. En effet, dans son deuxième rapport sur la protection diplomatique, elle prévoit un article 9 au terme duquel : « 1. Si une personne lésée a changé de nationalité de bonne foi après avoir subi un dommage, le nouvel Etat de nationalité peut exercer la protection diplomatique à l’égard de cette personne pour ce dommage, à condition que l’Etat de nationalité d’origine n’ait pas exercé ou ne soit pas en train d’exercer la protection diplomatique à l’égard de cette personne à la date du changement de nationalité ».75 Ainsi, la Commission va retenir la règle de la continuité de la nationalité, mais va la codifier en la reliant aux règles particulières du changement de nationalité. Il est donc établi 73 Affaire Maud Thompson de Gennes, S.A du 11 mars 1925, R.S.A, vol VII, pp. 168-170 Affaire Mary Barchard Williams, ibid, pp. 173-176. 75 Premier rapport de la Commission du droit international sur la protection diplomatique in www.un.org. 74 35 ici un lien fort entre la règle de la continuité de la nationalité ( en parallèle avec la pratique du changement de nationalité ) et la cession de réclamation internationale. La règle de la continuité amène donc logiquement à une session de la réclamation, sous réserve d’une part de la bonne foi de l’individu, et d’autre part du droit d’endossement étatique qui demeure (malgré le changement de nationalité) discrétionnaire et subjectif. Un autre aspect du changement de nationalité peut, à l’aune des règles de la protection diplomatique, poser certains problèmes, celui du changement involontaire de nationalité dû à une succession de souveraineté étatique sur un territoire et sur sa population. En effet à qui va revenir le droit d’endossement en faveur du national : l’ancien Etat de nationalité ou bien son successeur ? La question n’a pas été traitée dans l’optique de la protection diplomatique, cependant, la Commission du droit international s’est intéressé à cet aspect de la nationalité. Tout d’abord la succession d’Etat peut se définir comme la substitution d’un Etat à un autre dans la gestion d’un territoire, aussi bien au plan interne que dans le cadre plus large des relations internationales. Dans son projet de codification des règles de « la nationalité en relation avec la succession d’Etats », la C.D.I a retenu, dès son article 1er que : « Toute personne physique qui, à la date de la succession d’Etats, possédait la nationalité de l’Etat prédécesseur, quel qu’ait été le mode d’acquisition de cette nationalité, a droit à la nationalité d’au moins un des Etats concernés, conformément aux présents articles »76 Cette disposition est primordiale dans le projet puisqu’elle énonce le principe selon lequel tout individu a droit à la nationalité, même en cas de succession d’Etat.77 Bien que cette disposition ne soit pas expressément prévue pour produire des effets sur les règles de la protection diplomatique des individus, on peut, par analogie l’appliquer à la procédure qui nous intéresse. En effet, de par la succession, il y a création d’un nouveau lien de rattachement entre un individu et un Etat. Ce nouveau lien d’allégeance demeure la nationalité. Dès lors que ce lien à été recrée vis à vis d’un autre Etat, il est logique de constater que seul l’Etat successeur sera apte, à la date critique, la date de succession, de prendre fait et cause pour ses nouveaux nationaux. Dans cet ordre d’idée a été établie une présomption de nationalité, fonction du lieu de résidence, en faveur des individus touchés par 76 77 La nationalité en relation avec la succession d’Etats, A.C.D.I, 1997, vol II, p. 19. En cela le projet s’inspire de l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. 36 la succession.78 Ainsi, la protection diplomatique n’a pas à souffrir des changements géopolitiques qui sont intervenus. B. La preuve de la nationalité. Dès qu’ont été établi le lien de rattachement effectif ainsi que la date critique (celle de la possession de la nationalité), il restera à prouver, le cas échéant si un litige vient à s’élever, la possession de cette nationalité. En effet, apporter la preuve de la nationalité permet de confirmer l’implication d’un Etat envers son national et constitue, en quelques sorte, une justification ultime de la protection diplomatique (1.). Restera alors à se demander comment prouver cette nationalité (2.). 1. L’importance de la preuve de la nationalité dans le contentieux de la protection diplomatique. Prouver la nationalité permet, dans le contentieux de la protection diplomatique de fournir ce que l’on pourrait appeler une justification ultime à l’intervention étatique en faveur d’un national. Se pose alors la question de savoir à qui appartient la charge de la preuve, au requérant individuel ou à l’Etat intéressé ? Il possible de distinguer entre trois systèmes de preuve de la nationalité. Tout d’abord, le système qui à priori paraît d’un logique implacable reste celui de la preuve selon la loi de l’Etat dont l’individu se dit ressortissant. Selon cette approche, la loi de l’Etat est la seule à pouvoir fixer les conditions propres à la nationalité de ses ressortissants. Un second système prône quant à lui que la preuve de la nationalité, permettant ainsi l’endossement étatique, doit être fournie par la législation de l’Etat qui, par son action ou son omission est responsable du préjudice subi. Enfin, un dernier système doit être mis en évidence, celui selon lequel la nationalité est déterminée par le juge international en fonction du seul droit qu’il est amené à appliquer, le droit international. Selon Charles Rousseau, ce système « n’est que l’application de la règle plus large d’après laquelle le juge 78 L’article 4 du projet prévoit ainsi que : « Sous réserve des dispositions des présents articles, les personnes concernées qui ont leur résidence habituelle sur le territoire affecté par la succession d’Etats sont présumées acquérir la nationalité de l’Etat successeur à la date de la succession » 37 ou l’arbitre doit avoir toute liberté dans l’établissement de la preuve »79 puisqu’il vient confirmer que le juge international a la possibilité de vérifier la nationalité du requérant qui se voit défendu par son Etat, à raison de la protection diplomatique. Un tel système semble avoir les préférences de la doctrine puisqu’il a pour avantage d’être le seul qui par définition est idéologiquement neutre. En effet, le juge international, encore plus l’arbitre, se caractérise par sa neutralité et son impartialité. Appliquer à un cas d’espèce (la preuve de la nationalité) le droit international revient à appliquer le droit en vigueur entre tous les Etats, le droit des relations internationales. Ce droit est par définition supérieur et indépendant de toutes les législations nationales. Il est donc idéologiquement neutre, puisque applicable à toute entité souveraine sans restriction. Retenir le droit interne soit de l’Etat requérant, soit de l’Etat requis, dans le cadre de la recherche de la preuve de la nationalité aurait ainsi pour conséquence d’appliquer un droit plutôt qu’un autre et de ce fait certainement privilégier l’un ou l’autre des Etats dans la résolution du litige. En ce sens, il appartiendra au juge de vérifier, en toute objectivité les preuves apportées au titre de la nationalité et d’en déclarer le bien fondé pour l’affaire, au regard du droit international, dans l’optique bien évidemment de la protection diplomatique. La grande affaire généralement citée en matière de preuve de la nationalité dans le cadre du contentieux de la protection diplomatique demeure l’affaire des propriétés religieuses80. Suite à l’instauration de la République au Portugal en 1910, des biens religieux appartenant à des ressortissants français, britanniques et espagnols furent confisqués puis nationalisés. Vingt réclamations furent alors soulevées par ces trois Etats qui agissaient pour le compte de leurs ressortissants lésés, par le biais de l’action diplomatique. Dix huit de ces sentences ont pour objet des biens appartenant à des ressortissants espagnols. Les réclamations espagnoles ont toutes été rejetées, se basant sur la règle que la nationalité des requérants doit être prouvée selon la législation de l’Etat responsable, le Portugal, à défaut selon la loi espagnole. Ainsi, qu’elles aient trait à des biens meubles ou immeubles les réclamations espagnoles ont toutes été déclarées sans objet ou irrecevables, au motif commun que : « le réclamant ne prouve pas, de la manière qui est prescrite tant par le Code civil espagnol que par le Code civil portugais, qu’il appartient à une des nationalités susdites ».81 Dans ce cas, ont donc été appliquées les deux premières règles précitées. 79 Rousseau (C.), op cit, p. 107 et s. Affaire des propriétés religieuses, S.A du 4 septembre 1920, R.S.A, vol I, pp. 7-57. 81 Ibid, pp. 17-57. 80 38 2. Les modalités de preuve de la nationalité. Une fois qu’ont été établies les règles applicables en droit international en matière de preuve de la nationalité, il reste à évoquer rapidement par quels moyens ce lien d’allégeance peut, dans les faits, être réellement prouvé. Souvent la preuve de la nationalité reposera sur une présomption que viendra étayer la fourniture d’actes officiels. Plusieurs possibilités s’offrent alors au requérant. La meilleure possibilité offerte en matière de preuve de la nationalité demeure la fourniture de documents officiels d’état civil. Les documents qui retiennent le plus l’attention des juges restent les certificats consulaires d’immatriculation et d’enregistrement. Pourvu qu’ils soient régulièrement établis, ils présentent un caractère probant tout à fait pertinent. Ainsi, dans la décision concernant le cas de Dona Tomasa Rocatallada y Escartin, les arbitres chargés de régler le litige ont estimé, que la demanderesse a suffisamment prouvé sa nationalité en produisant « un certificat du Consulat d’Espagne considéré comme suffisant »82. Dans l’affaire Georges Pinson, l’arbitre estima que : « les certificats d’immatriculation à titre de ressortissants français, délivrés par les consulats de France au Mexique, en conformité avec la législation spéciale, ont pour moi une force probante telle, que je les accepte comme pleinement suffisants à asseoir ma conviction que le porteur du document est de nationalité française(…) ». 83 Dans le même esprit, concernant les actes de naissance, bien que leur valeur soit jugée inférieure aux certificats consulaires, il n’en demeure pas moins que, s’ils ont été officiellement établis, ils sont considérés comme une preuve suffisante de la nationalité. En revanche, les certificats de baptême présentent une valeur probante toute à fait discutable étant donné leur caractère non officiel, du fait de la non-interventionn d’un officier d’état civil, garant et représentant de son Etat. Enfin il convient peut être de réservé des développements, certes rapides mais nécessaires, tout du moins à part, en ce qui concerne les certificats de naturalisation. En effet, leur valeur en ferait une preuve non négligeable de la possession d’une nationalité précise et du nouveau lien de rattachement d’un individu à un Etat, mais l’apport de la jurisprudence Nottebohm vient en limiter les effets. Ainsi, la Cour internationale de justice, en reconnaissant que « la naturalisation n’est pas une chose à prendre à la légère »84 vient implicitement 82 Décision Dona Tomasa Rocatallada y Escartin, idem, p. 46. Affaire Georges Pinson, Commission franco-mexicaine des réclamations, S.A, 19 octobre 1928, R.S.A vol V, pp. 361-369, et plus particulièrement p. 371. 84 Affaire Nottebohm, op cit, p. 24. 83 39 limiter la force probante des certificats de naturalisation. Ainsi, et suivant cette position, pour qu’une naturalisation soit une preuve suffisante de la nationalité, encore faut-il qu’elle ait été accordée sans fraude et surtout qu’elle traduise explicitement ce fameux lien de rattachement réel et effectif. Section 2 : Des cas particuliers de protection diplomatique des nationaux. Il est des cas où le lien de nationalité sera difficilement identifiable, en raison même du statut propre de l’individu. En effet, comme ce lien de rattachement que constitue la nationalité est jugé primordial pour la mise en œuvre de la protection diplomatique, il arrive parfois qu’il soit nécessaire de s’interroger sur le titulaire de cette nationalité. Ce sera le cas pour les individus bénéficiant de la double nationalité (I), mais aussi pour certaines catégories spécifiques de personnes privées, qui en tant que telles n’ont rien à voir ensemble, mais dont on sait que la protection sera problématique: les actionnaires de sociétés, les réfugiés et les apatrides. (II). I. Protection diplomatique et conflits de lois : la double nationalité. L’individu titulaire de la double nationalité est souvent vu comme un privilégié sur la scène internationale. En effet, son rattachement juridique à deux Etats, lui permet de se prévaloir d’une double législation nationale et de tous les droits et avantages qui y sont associés. Cependant, cette situation, au demeurant fort courante, n’en demeure pas moins problématique, dès lors qu’est abordée la question de la protection diplomatique. (A). A ces difficultés, le droit international a apporté des solutions (B). A. La problématique de la double nationalité. Quand est avancé lors d’une instance internationale la question de la double nationalité, se pose toujours un problème de conflit de lois. Comme il est reconnu que, selon le droit international, chaque Etat détermine, souverainement, les conditions d’octroi de sa nationalité, il est donc évident que certains individus, selon les cas, vont pouvoir être 40 titulaires, en toute légalité, de deux nationalités parfaitement différentes. Ce que le Professeur Rousseau décrit comme une situation « anormale »85, n’en est pas moins une situation courante. En effet, la possession de deux nationalités peut s’expliquer par de nombreux facteurs, comme la naturalisation, ce fût le cas pour Friedrich Nottebohm, ou tout simplement par la naissance, selon que les parents aient tous deux étaient de nationalité différent, et que l’Etat de naissance applique soit le droit du sol ou le droit du sang. Cette approche bien particulière de la nationalité prendra une ampleur toute différente lorsqu’il s’agira de mettre en œuvre la protection diplomatique. En effet, quel sera l’Etat compétent pour exercer une telle protection à partir du moment où la victime du préjudice possède deux nationalités et donc que deux souveraineté étatiques peuvent s’exercer à l’égard de la même personne ? En effet, face à de telles complications d’allégeance, on serait tenté de considérer, à l’instar du Professeur Perrin que « l’acte internationalement illicite devrait en effet être considéré comme portant préjudice aux deux Etats d’origine, qui pourraient l’un et l’autre présenter une réclamation, chacun sur la base du droit qui lui appartiendrait en propre ». 86 Cependant, un autre problème se pose et, celui-ci a certainement beaucoup plus retenu l’attention. En effet, la protection diplomatique sera d’autant plus complexe et difficile à mettre en œuvre, à partir du moment où le national possède aussi bien la nationalité de l’Etat requérant que celle de l’Etat présumé coupable. En d’autres termes, « (…) lorsque la personne en faveur de laquelle se réalise [la protection diplomatique] est à la fois national de l’Etat demandeur et de celui contre lequel s’adresse la réclamation ».87 B. Les apports du droit international concernant la protection diplomatique des doubles nationaux. La conception classique du droit international veut que soient exclus de la protection les cas de double nationalité, en raison du principe de l’égalité souveraine entre Etats. En effet, il semble difficilement admissible qu’un individu puisse être protégé, aussi bien par 85 Rousseau (C.), op cit, p. 123. Perrin (G.), Réflexions sur la protection diplomatique, Mélanges Bridel, Lausanne, 1968 ; 87 Yanguas Messia (J.), La protection diplomatique en cas de double nationalité, in Hommage d’une génération de juristes au Président Basdevant, Paris, Pedone, 1960, p. 546-558. 86 41 l’Etat requérant que par l’Etat défendeur. On ne peut protéger un réclamant contre son propre Etat. Pour éviter de telles situations, le droit positif, aussi bien conventionnel (1) que jurisprudentiel (2), a tenté d’apporter des solutions. Certaines notions qui seront développées ici l’ont déjà été précédemment, mais il semble utile de les rappeler quelque peu, en les adaptant au cas précis qu’est la double nationalité. 1. L’apport du droit conventionnel. Le texte conventionnel de référence en matière de double nationalité demeure la Convention de la Haye du 12 avril 1930, traitant des conflits de lois en matière de nationalité. Bien que ce texte n’ait pas été l’objet de nombreuses ratifications étatiques, il n’en demeure pas moins qu’il est considéré comme le texte majeur, et de référence, en ce cas précis de possession de la nationalité. En matière de protection diplomatique des doubles nationaux, deux solutions peuvent être envisagées. Tout d’abord, l’article 4 de la Convention prévoit que : « Un Etat ne peut exercer sa protection diplomatique au profit d’un de ses nationaux, à l’encontre d’un Etat dont celui-ci est aussi le national ».88 Cette disposition peut être considérée comme la disposition fondamentale de la Convention, lorsqu’elle traite de la double nationalité. En effet, ce texte présente l’immense avantage de mettre en exergue et de préciser le rôle que doit avoir un Etat dans cette procédure bien particulière. L’Etat requérant ne pourra jamais mettre en jeu la responsabilité d’un Etat, dès lors que ce dernier est aussi l’Etat de nationalité de la victime. Il y a de manière évidente un conflit de lois, autour de la victime, en raison de son double lien de rattachement national. En définitive, aucune réclamation internationale ne peut être exercée à l’encontre d’un Etat dont la victime est également le ressortissant. Ainsi, comme le remarquait le Professeur Borchard devant l’Institut du droit international en 1931, « C’est une règle bien fondée de droit international, qu’une personne en possession de deux nationalités ne peut pas demander qu’un des deux pays dont elle est sujet soit obligé à comparaître devant un tribunal international ».89 88 Le texte intégral de la Convention étant difficilement trouvable, il convient de se référer aux nombreux articles de doctrine qui mentionnent les dispositions pertinentes, tel celui du Professeur Yanguas Messia cité cidessus. 89 Ann I.D.I, 1931, vol II, p. 212, cité in Yanguas Messia (J.), op cit, p. 552. 42 Se pose alors véritablement un problème puisque le défaut de protection ne pourrait se justifier qu’en l’absence de nationalité. Or en l’espèce il n’y a pas une mais deux nationalités. La solution a été apportée par l’article 5 de la même Convention. Selon ce texte, un Etat « (…) pourra, sur son territoire, reconnaître exclusivement, parmi les nationalités que possède un tel individu, soit la nationalité du pays dans lequel il a sa résidence habituelle et principale, soit la nationalité de celui auquel, d’après les circonstances, il apparaît se rattacher le plus en fait ». Cet article fait de la recherche de l’effectivité le critère déterminant pour savoir lequel des deux Etats sera apte à exercer sa protection diplomatique en faveur de son national. La théorie de l’effectivité, dégagée en matière de, ce que l’on pourrait appeler, par opposition, « simple nationalité », prend ici toute sa valeur en matière de double nationalité. Comme le remarque le Professeur Yanguas Messia, ce principe de l’effectivité est un principe qui appartient aux grandes thématiques du droit international privé mais qui a été transposé tel quel en droit international public.90 Pour ne pas revenir sur ce concept porteur qu’est l’effectivité, il est logique que la victime se retourne vers l’Etat avec lequel elle entretient le plus de liens, avec lequel elle est effectivement rattaché, pourrait-on même dire le plus proche. La nationalité réelle va ici l’emporter. C’est en tout cas ce qui a été retenu dans le cas Nottebohm, où il était question d’une part de double nationalité et d’autre part de rattachement effectif. Bien que nos développements soient consacrés au droit conventionnel, il est possible de s’intéresser à l’Institut du droit international qui, à sa session de Varsovie, consacrée à la protection diplomatique des individus, a proposé une Résolution qui reprend des principes analogues. Dans son projet de Résolution du 7 septembre 1965, l’Institut reprenait en son article 4 ces deux principes, dont le non-respect est susceptible d’entraîner l’irrecevabilité de la requête. Ainsi selon son alinéa premier : « Une réclamation internationale en faveur d’un individu qui possède en même temps les nationalités de l’Etat requérant et de l’Etat requis est irrecevable, à moins que l’intéressé possède un lien de rattachement prépondérant avec l’Etat requérant ».91 Après avoir repris le caractère de l’irrecevabilité, restait alors à l’Institut de reprendre, en le précisant, le caractère de l’effectivité. Ainsi, le troisième alinéa le précise : 90 Yanguas Messia (J.), op cit, p. 554. 43 « Les critères permettant de déterminer le caractère prépondérant du rattachement d’un individu comprennent : sa résidence habituelle, l’Etat dans lequel il exerce d’ordinaire ses droits civils et politiques, et d’autres liens de rattachement d’où l’on peut dégager une solidarité effective d’existence, d’intérêts et de sentiments avec un Etat ». 92 Dans la Résolution qui a été finalement adoptée le 10 septembre 1965, ces deux critères furent repris, mais dans de termes différents et beaucoup plus généraux, surtout en ce qui concerne l’effectivité. Ainsi, l’article 4 prévoyait : « a) Une réclamation internationale présentée par un Etat en raison d’un dommage subi par un individu qui possède en même temps les nationalité de l’Etat requérant et de l’Etat requis (…) est irrecevable devant la juridiction saisie.(…). c) Une réclamation internationale présentée par un Etat en raison d’un dommage subi par un individu peut être rejetée par l’Etat requis ou déclarée irrecevable lorsque, compte tenu des circonstances propres à la cause, il apparaît que la naturalisation a été octroyée à cet individu en l’absence de tout lien de rattachement ».93 2. Les solutions jurisprudentielles en matière de protection diplomatique des doubles nationaux. La jurisprudence, tant arbitrale qu’internationale (il n’est peut être pas nécessaire de revenir sur l’affaire Nottebohm) semble retenir le critère de l’effectivité. En effet, dès 1912, la Cour permanente d’arbitrage a fait prévaloir ce critère dans l’affaire Canevaro. Vers le milieu du 19ème siècle, le baron Canevaro, italien d’origine, s’était établi au Pérou pour affaires. Une fois fortune faite et famille crée, il transmet ses affaires à ses fils, dont Raffaele Canevaro « italien aux yeux de la loi italienne, péruvien au yeux de la loi du Pérou ». 94 Des dettes ayant été contractées par Lima auprès de la Maison José Canevaro é Hijos, les gérants et propriétaires de la société, les frères Canevaro, en appelèrent à leur Etat de nationalité, l’Italie, pour prendre fait et cause en leur faveur. Le problème essentiel résidait dans la détermination de la nationalité de Raffaele Canevaro. Italien de par son père, péruvien de par sa mère, et résidant au Pérou, la C.P.A a retenu : 91 Ann I.D.I, Session de Varsovie, 1965, p. 160. Ibid. 93 Ibid, p. 262. 94 Boeck de (C.), La sentence arbitrale de la Cour permanente d’arbitrage dans l’affaire Canevaro (3 mai 1912), R.G.D.I.P, 1913, p. 317-372, S.A, pp. 328-333. 92 44 « (…) Raffaele Canevaro s’est, à plusieurs reprises , comporté comme citoyen péruvien, soit en posant sa candidature au Sénat (…), soit surtout en acceptant [ des fonctions officielles ]. Considérant que, dans ces circonstances, quelle que puisse être en Italie, au point de vue de la nationalité, la condition de Raffaele Canevaro, le gouvernement du Pérou a le droit de le considérer comme citoyen péruvien et de lui dénier la qualité de réclamant italien. ». 95 Dans cette affaire, la Cour a explicitement reconnu le critère de l’effectivité comme critère d’exercice de la protection diplomatique en cas de double nationalité. En effet, en reconnaissant au baron Canevaro la nationalité péruvienne, la Cour a reconnu que selon le critère de l’effectivité, en cas de protection diplomatique des doubles nationaux, doit prévaloir le jure soli plutôt que le jure sanguinis. Dans le même ordre d’idées, la Commission de conciliation italo-américaine a dû, au lendemain de la seconde guerre mondiale, statuer sur cinquante-deux cas de double nationalité. Parmi les affaires les plus souvent retenues, il y a celle de Mme Florence Strunsky-Mergé.96 Cette dernière, américaine de naissance, épouse d’un italien, avait sa résidence principale et le siège de ses intérêts et de sa vie professionnelle, en Italie. De 1937 à 1946, elle vécut à Tokyo, auprès de son époux, fonctionnaire à l’Ambassade italienne. A la fin du conflit mondiale, Mme Mergé refusa de rentrer aux Etats-Unis et préféra retourner en Italie. En effet, elle était toujours considérée par les Etats-Unis comme l’une de leurs ressortissantes, et ce en raison de nombreuses formalités accomplies par elle devant les autorités consulaires américaines, tant au Japon qu’en Italie. Dans cette espèce, la Commission a retenu la position traditionnelle, celle reconnue tant par la doctrine que par le droit jurisprudentiel ou conventionnel, l’effectivité. La Commission va même aller plus loin puisque, d’une part elle va reprendre les deux principes issus de la Convention de la Haye et d’autre part elle ne retiendra comme efficace et probant que celui de la nationalité effective, à partir du moment où cette nationalité est celle de l’Etat réclamant.97 En somme, l’effectivité s’appréciera au regard d’un certain nombre d’indices factuels comme le caractère permanent de la résidence, le siège de la vie civile ou professionnelle, la participation éventuelle à la vie politique locale, ou bien encore l’inscription sur des registres militaires. De ce fait, comme le seul lien qui rattachait Mme Mergé aux Etats-Unis était la présence de ses parents sur le territoire américain, il a été reconnu par la Commission que la nationalité effective était 95 Ibid, p. 329. Affaire Florence Stunsky-Mergé, Commission de conciliation italo-américaine, S.A du 10 juin 1955, R.S.A, vol XIV, pp. 236-248. 96 45 italienne. De ce fait, seule l’Italie pouvait présenter une réclamation internationale au nom de Mme Mergé. II. Protection diplomatique et groupements spécifiques d’individus. Il faut entendre par groupements spécifiques d’individus, des personnes privées qui, en raison de leur statut spécial, lié à la nationalité, sont susceptibles de bénéficier, ou non, des règles propres à la protection diplomatique. Au nombre de ces individus, on peut mentionner d’une part les actionnaires de sociétés (A), et d’autre part les apatrides et les réfugiés (B). A. La protection diplomatique des actionnaires de sociétés. Bien que cet aspect de la protection ne nous concerne pas directement, il est nécessaire de rappeler que les personnes morales sont titulaires d’une nationalité précise et qu’à ce titre elles peuvent également bénéficier de la protection diplomatique de leur Etat. Un problème peut être lié à celui-ci, savoir si les actionnaires de ces sociétés, en leur qualité même de détenteurs de droits, peuvent faire appel à leur Etat et réclamer la protection diplomatique contre l’Etat dont a à se plaindre la société. Traditionnellement, la protection diplomatique est refusée aux actionnaires (1), mais une nouvelle tendance du droit international semble finalement nous amener à penser le contraire (2). 1. Le refus traditionnel de protection diplomatique. Lorsqu’une société anonyme subi un dommage, on peut parler de « double répercussion de l’acte préjudiciable » sur la société et sur ses actionnaires. 98 Cependant, dans ce cas précis il ressort de la pratique et de la jurisprudence internationale que l’actionnaire est dépourvu de toute action ou de tout droit et doit se retourner vers sa société. Ainsi, la position classique est rappelée, pour mémoire, par la Cour internationale de justice dans l’affaire de la Barcelona Traction, 97 98 Ibid, p. 247. Diez de Velasco (M.), op cit, p. 146. 46 « (…) chaque fois que les intérêts d’un actionnaire sont lésés par un acte visant la société, c’est vers la société qu’il doit se tourner pour qu’elle intente les recours voulus car, bien que deux entités distinctes puissent souffrir d’un même préjudice, il n’en est qu’une dont les droits soient violés ». 99 Il est donc évident que, dans ce cas, l’actionnaire lésé doit composer avec la société, à partir du moment où elle est considérée comme avoir seule subi le préjudice, même si selon une pratique constante en la matière, les intérêts des actionnaires peuvent être divergents de ceux de la société. Ceci va s’expliquer en raison de la personnalité morale indépendante de la société. En somme, la protection diplomatique des actionnaires se réalise indirectement grâce à la protection diplomatique de la société. Un actionnaire ne peut pas être considéré comme détenant un titre sur le patrimoine de la société, mais en revanche peut subir un préjudice comme l’impossibilité pour lui de siéger en assemblée générale, l’interdiction d’y exercer son droit de vote… Pour reprendre les termes du Professeur Borchard, « (…) l’actionnaire manquant d’un titre juridique sur le patrimoine sociale d’une société solvable, on peut difficilement lui reconnaître une légitimation devant un tribunal arbitral (…) »100 Ainsi, déjà en 1865, le Département d’Etat américain avait, dans l’affaire de l’Antioquia, refusé à des actionnaires américains toute protection diplomatique en raison du dommage subi du fait de la confiscation, par le gouvernement colombien, de ce bateau, appartenant à une société colombienne. Pour les Etats-Unis, aucune protection ne peut être accordée à ces actionnaires puisque, selon la conception américaine, ces derniers ne peuvent être protégés contre des actes qui ont causé un préjudice au patrimoine de la société. De surcroît, la société à qui appartenait le bateau était une société de droit colombien, ce qui rend encore plus difficilement envisageable une éventuelle protection américaine.101 De même, dans l’affaire Kunhardt 102, la demande de la société américaine Kunhardt and Co, actionnaire majoritaire d’une société de droit vénézuélien, a été rejetée car « les actionnaires manquent, tant individuellement que collectivement, d’un droit de propriété sur les biens de la société ». 99 Affaire de la Barcelona Traction, op cit, p. 36. Cité in Diez de Velasco (M.), op cit, p. 149. 101 Affaire de l’Antioquia, cité in, Rousseau (C.), op cit, p. 132. 102 Affaire Kunhardt,, S.A du 16 novembre 1900, R.S.A, vol IX, pp. 172 –180. 100 47 103 En définitive, dans le cas de la protection diplomatique des actionnaires, seule la nationalité de la société doit être prise en considération. 2. La prise en compte des intérêts des actionnaires ou la reconnaissance d’un droit à protection ? Il est évident que, lorsqu’une société subi un préjudice, ce préjudice aura des répercussions sur ses actionnaires. Comme le remarque la Belgique dans l’affaire de la Barcelona Traction, « les ressortissants belges, personnes physiques et morales, actionnaires de la Barcelona Traction, (…) ont subi de ce fait une atteinte directe et immédiate à leurs intérêts et à leurs droits, qui se sont trouvés vidés de toute valeur et de toute efficacité ».104 De même, dans sa plaidoirie, le Professeur Virally parle de « communauté de destins et d’intérêts » entre une société et ses actionnaires.105 Il est donc évident que ne pas reconnaître un droit à la protection diplomatique en faveur des actionnaires serait quelque peu problématique. Pour cela a été appliquée aux actionnaires la théorie dite de la réalité juridique. Selon cette dernière, « la société [n’est rien d’autre] qu’un simple procédé technique d’organisation économique permettant à des personnes physiques de réunir des capitaux, de créer des entreprises et de réaliser des bénéfices ». 106 Cette opinion ne fait que traduire l’état de la jurisprudence internationale qui a progressivement commencé à reconnaître ce droit qu’ont les actionnaires à être diplomatiquement protégés par leur Etat de nationalité, bien que parfois la conception classique soit retenue. C’est donc tout le paradoxe de la protection diplomatique des actionnaires puisque d’un côté, toute protection leur est déniée, malgré cependant une reconnaissance occasionnelle d’un tel droit. Ainsi, parmi ces cas d’espèce, on peut remarquer que, dans l’affaire du chemin de fer de la baie de Delagoa, les Etats-Unis et la Grande Bretagne sont intervenus en faveur d’un 103 Diez de Velasco (M.), op cit, p. 151. Affaire de la Barcelona Traction, op cit, p. 23. 105 Cité in Diez de Velasco (M.), op cit, p. 152-153. 106 Rousseau (C.), op cit, p. 133. 104 48 ressortissant américain, M. Mc Murdo et d’une société britannique, la Delagoa Bay and East Africa Railway Co, contre le gouvernement portugais. Ce dernier avait concédé à Mc Murdo et à la dite société, qui elle possédait des intérêts dans une société portugaise similaire, la concession d’une ligne de chemin de fer en Angola. Mc Murdo était en fait actionnaire principal de cette société de droit britannique. Pour diverses raisons, le Portugal annula la concession et en vint à saisir la ligne de chemin de fer. Pour cette raison, les gouvernements britanniques et américains prirent fait et cause pour leurs nationaux, le concessionnaire et la société. Le Portugal de son côté n’entendait régler l’affaire qu’en traitant avec la société portugaise. Le 29 mars 1900 a été rendue une sentence arbitrale au terme de laquelle Lisbonne devait payer aux requérants une forte indemnité, indemnité qui comprenait les dommages et intérêts à allouer à la veuve Mc Murdo, ayant droit de son époux décédé entre temps. 107 Dans l’affaire Alsop, actionnaire américain d’une société chilienne, basée au Chili, Alsop and Co, l’arbitre, le roi Georges V, qui a rendu sa sentence le 5 juillet 1911, a retenu le droit à indemnisation du sieur Alsop, en raison de sa qualité d’actionnaire et du fait que les dommages subis par la société l’ont été du fait des autorités chiliennes.108 Dans le même ordre d’idées, le Traité de Versailles de 1919 retenait en son article 297 que : « Les ressortissants des puissances alliées ou associées auront droit à une indemnité pour les dommages ou les préjudices causés à leurs biens, droits ou intérêts, y compris les sociétés ou associations dans lesquelles ils étaient intéressés sur le territoire allemand tel qu’il existait au 1er août 1914, par l’application tant de mesures exceptionnelles de guerre que des mesures de disposition qui font l’objet des paragraphes 1 et 3 de l’annexe ci-jointe ».109 D’un autre côté, cette pratique jurisprudentielle n’a parfois pas été retenue. Dans l’affaire Ziat et Ben Kiran, la demande d’indemnité a été rejetée en raison du comportement des autorités espagnoles au Maroc espagnol. 110 Dans l’affaire de la Barcelona Traction, la Belgique entendait, en s’inspirant de la jurisprudence arbitrale, protéger ses nationaux actionnaires. La Cour lui dénia cette possibilité en rappelant que si protection diplomatique il devait y avoir, celle-ci devait être mise en œuvre par le Canada, Etat de nationalité de la société. 107 Des extraits de cette Sentence sont reproduits dans la R.G.D.I.P, 1901, pp. 194-195. Affaire Alsop, S.A du roi Georges V du 15 juillet 1911, R.S.A, vol XI, pp. 355-375. 109 Cité in Rousseau (C.), p. 145. 110 Affaire Ziat, Ben Kiran, (Grande-Bretagne c. Espagne), S.A de Max Huber du 24 décembre 1924, in Sentence arbitrale relative aux Réclamations britanniques dans la zone espagnole du Maroc, R.S.A, vol II, pp. 729-732. 108 49 Le recours à la protection diplomatique en faveur des actionnaires de sociétés est donc une matière éminemment fluctuante. Il est donc évident que le droit international général ne connaît pas, en la matière, de principe directeur. Ainsi, pour qu’une telle protection soit accordée tout dépendra donc de l’appréciation souveraine des Etats, du juge ou de l’arbitre, et surtout des circonstances de droit et de fait entourant l’affaire. B. Le cas particuliers des apatrides et des réfugiés. Comme nous l’avons vu, la protection diplomatique repose sur ce lien de rattachement réel et effectif qu’est la nationalité. Dès lors que la nationalité est prouvée et établie, l’Etat est censé accepter de prendre fait et cause pour son national en cas de litiges. Cependant, il se peut que, dans certains cas ce lien de nationalité soit difficile à définir, en raison même du statut de la victime. Dans le pire des cas ce lien n’existe même plus. C’est ce qui se passe pour les réfugiés et les apatrides. Ces derniers ne peuvent se prévaloir d’un rattachement réel envers un Etat (1). De ce fait, le droit positif a tenté de trouver des solutions (2). 1. Le défaut de rattachement réel. Un réfugié peut être défini comme une personne qui, par suite d’évènements particuliers craint d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut, en raisons de ces circonstances, y retourner ou en demander la protection. Un apatride est un individu qu’aucun Etat ne considère légalement comme son ressortissant. Dans les deux cas se pose bien évidemment le problème du lien de rattachement et de la nationalité. Il ressort de ces deux cas que, d’un côté, même si elle existe, la nationalité ne pourra être invoquée par la victime et de l’autre que la nationalité ne peut être retenue puisqu’elle n’existe même pas. Dans ce cas, qu’en sera-t-il de la protection diplomatique ? Il est claire que sans lien de rattachement réel et effectif, la protection serait difficilement envisageable. Ces individus seraient-ils alors condamnés à errer de camps en camps, sans statut, subissant d’odieuses vexations, sans pouvoir se défendre et sans Etat pour les secourir ? Il semble en tout cas que cette solution, que d’aucun trouverait normale, soit 50 malgré tout retenue par la jurisprudence. Ainsi, la Commission des réclamations Etats-UnisMexique, dans l’affaire de la Dickson Car Wheel C°, a estimé en substance qu’un Etat ne verrait pas sa responsabilité internationale engagée pour un dommage qu’il causerait à un apatride. 111 En l’occurrence, le défaut de rattachement national à un Etat va dégager la communauté internationale de son obligation de respecter ces fameux standards de civilisation. Ainsi, le défaut de lien de nationalité entraîne qu’aucun Etat ne pourra prendre fait et cause pour un individu et que par conséquent, ni la protection diplomatique, ni l’internationalisation d’une réclamation ne pourront être envisageables. Cette solution, au demeurant fort choquante, constitue semble-t-il l’état de la jurisprudence internationale. Ce qui vaut pour les apatrides vaut aussi pour les réfugiés puisque il est inconcevable qu’un réfugié obtienne la protection diplomatique de son Etat de nationalité, Etat justement qu’il cherche à fuir. Cette conception qui se base sur des théories classiques ancestrales semble faire l’unanimité, du moins en jurisprudence. Il est vrai que pour certains cette approche est légitime, mais n’en est-elle pas pour autant inhumaine ? Comment accepter que, au nom du grand principe de la nationalité, un individu soit dépourvu de toute action au plan aussi bien interne qu’international ? L’exigence de la nationalité a donc pour conséquence choquante que de nombreux individus se voient privés de tout type de protection juridique, ce qui aggrave encore plus une situation déjà fort précaire. 2. Les solutions du droit positif. Le statut du réfugié, (et cela vaut aussi pour l’apatride) « étant un statut provisoire destiné à combler la lacune de l’absence de protection étatique dont [ ils ] souffrent » 112, ont été conclues, dans le cadre du droit internationales certaines Conventions dont la mission première est d’améliorer le sort des apatrides et des réfugiés. Concernant les apatrides, deux Conventions ont été adoptées à New York. La première du 28 septembre 1954113 a trait au statut même des apatrides, tandis que la seconde du 30 août 1961114 porte sur la réduction des 111 Affaire Dickson Car Wheel C° c. United Mexican Sates, Commission des réclamations Etats-UnisMexique, S.A, juillet 1931, R.S.A, vol IV, p. 682-691. 112 Aledo (L.A), La perte du statut du réfugié en droit international public, R.G.D.I.P, 1991, pp. 371-403. 113 Convention de New York du 28 septembre 1954 sur le statut des apatrides, in www.legifrance.gouv.fr 114 Convention de New York du 30 août 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, ibid. 51 cas d’apatridie. Concernant les réfugiés, leur statut a été débattu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951115 et par son Protocole de New York du 31 janvier 1967 116 . En tant que telles ces Conventions ne traitent pas de la protection diplomatique de ces individus. Il est logique qu’une telle question soit hors propos face à la nécessité de donner à ces personnes un statut propre. Dans le paragraphe 16 de l’Annexe de la Convention de New York de 1954, il est prévu que « La délivrance du titre [ de voyage ] ne donne au titulaire aucun droit à la protection des représentants diplomatiques et consulaires du pays de délivrance, et ne confère pas ipso facto à ces représentants un droit de protection ». 117 La Convention de Genève sur le statut des réfugiés prévoit une disposition analogue. Ainsi, il ne peut être reconnu à ces individus un droit à la protection diplomatique, dès lors qu’ils auraient obtenu dans l’Etat de résidence un titre de séjour ou un visa. En revanche, et ceci est paradoxal, ces textes conventionnels accordent aux apatrides et aux réfugiés un traitement identique à celui des nationaux de leur Etat de résidence, et de ce fait les rattache à la législation de cet Etat, sans pour autant leur en accorder la nationalité, ni le cas échéant sans leur en reconnaître le droit à la protection diplomatique. Concernant plus particulièrement les réfugiés, leur statut même les place sous le contrôle du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ( le H.C.R ). Il serait envisageable et souhaitable que cet organe exerce, en relation directe avec l’Etat de résidence, la protection des réfugiés dans des pays tiers. Cette position, qui a été parfois défendue, ferait donc du H.C.R l’équivalent de l’Etat dans l’Institution de la protection diplomatique. Cependant, en raison du défaut de nationalité effective, cette protection serait à tort qualifiée de « diplomatique », et il serait peut être opportun de la qualifier plus simplement de « protection internationale » des réfugiés. 115 Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, in Alland (D.), Textes du droit de l’asile, Puf, 1998, pp. 7-22. 116 Protocole à la Convention de Genève du 31 janvier 1967, ibid, p. 24-27. 117 Op cit. 52 CHAPITRE II : La mise en œuvre de la protection diplomatique par les Etats. L’Institution de la protection diplomatique repose donc sur la possibilité offerte à un individu, pourvu qu’il soit le national d’un Etat, de se faire protéger et représenter par ce dernier sur la scène internationale. Ce sera donc grâce à une intervention étatique que l’individu pourra espérer faire entendre sa cause et pourquoi pas obtenir réparation du préjudice par lui subi. Ainsi, aux fins de la protection diplomatique, un Etat pourra souverainement décider de prendre fait et cause pour son national. L’emploi de la locution « souverainement » n’est pas fortuit. En effet, comment un Etat peut-il choisir de mettre en œuvre une protection de ce type ? Par quels moyens va-t-il décider de défendre les droits lésés de son ressortissant ? Une chose en tout cas est certaine et reconnue, cette mise en œuvre est une prérogative hautement discrétionnaire qui appartient à tout Etat (Section 1). Dès lors, comment va se caractériser, dans la pratique, cette intervention diplomatique discrétionnaire ? (Section 2). 53 Section 1 : Un pouvoir discrétionnaire de mise en œuvre. Affirmer que la mise en œuvre de la protection diplomatique repose sur une intervention discrétionnaire d’un Etat revient en fait à confirmer la position, tant doctrinale que jurisprudentielle, selon laquelle l’Etat est maître de décider d’intervenir en faveur de son ressortissant. En cela, il ne fait aucun doute que la protection diplomatique constitue un droit propre de l’Etat. (I). En tant que droit propre, rien n’empêchera alors l’Etat d’aménager à sa guise une Institution qui est sienne. (II) I. La protection diplomatique : un droit propre de l’Etat. Reconnaître à la protection diplomatique la qualité de droit éminemment étatique, droit propre de l’Etat, n’est en soi pas chose nouvelle. En effet, cette théorie doit être considérée comme une des grandes théories classiques, traditionnelle et constante du droit international. (A.). Cependant, l’on peut se demander comment va se traduire, dans les faits, ce droit de l’Etat ? Il va prendre la forme d’une fiction, la fiction dite de l’endossement. (B.) A. Une théorie classique du droit international. On peut à juste titre estimer que la protection diplomatique constitue un droit propre et subjectif de l’Etat. Ce constat n’a jamais cessé d’être affirmé par des générations de juristes. En effet, selon une doctrine classique (1.) mais aussi une jurisprudence constante, (2.) l’action diplomatique en faveur d’un de ses ressortissants a été reconnue comme constituant un droit éminemment étatique. 1. Une doctrine classique. Il n’est pas vain de rappeler que la paternité de cette doctrine qui fait de la protection diplomatique un droit étatique revient à Vattel. Ce dernier peut, à juste titre être considéré 54 comme LE premier grand théoricien de la protection diplomatique. En effet, dès 1758, il écrit que : « Quiconque maltraite un citoyen offense directement l’Etat. Le souverain de celui-ci doit venger son injure, obliger, s’il le peut, l’agresseur à une entière réparation ou le punir, puisque autrement le citoyen n’obtiendrait point la grande fin de l’association civile qu’est la sûreté. »118 En retenant la conception selon laquelle une offense faite à un individu constitue une offense à son Etat de nationalité, Vattel fait de l’atteinte aux intérêts individuels, à l’étranger, une atteinte directe aux intérêts étatiques. Cette conception est de nos jours à la base de tout le système de la protection diplomatique. Elle voit ainsi dans la mise en œuvre de la protection diplomatique un véritable acte de souveraineté étatique, une compétence purement souveraine, dont on verra par la suite qu’elle est surtout discrétionnaire. Vattel base en fait ses développements sur la sauvegarde des intérêts de l’Etat souverain. Reconnaître que l’Etat est le seul titulaire de la protection diplomatique a été largement repris en doctrine moderne internationaliste. On pourrait citer pléthore d’éminents auteurs, mais serait-ce bien utile puisque tous reprennent les théories de Vattel et font de la protection diplomatique un véritable droit propre de l’Etat ? Dès 1906 Anzilloti estime que : « Le droit que l’Etat fait valoir lorsqu’il affirme la responsabilité d’un Etat étranger à raison des dommages soufferts par ses nationaux n’a donc pas son fondement dans les dommages éprouvés par les individus, mais dans la violation du droit de l’Etat sur ceux-ci. »119 Ainsi, le Professeur Chappez rappelle tout d’abord que : « La protection diplomatique est un droit propre de l’Etat qu’il exerce de façon discrétionnaire avec toutes les conséquences qui s’attachent à une telle compétence » plus loin de rappeler que « L’Etat national (…) est libre d’endosser ou non la réclamation de son ressortissant. Cette compétence lui appartient en propre »120 De même, les Professeurs Combacau et Sur estiment quant à eux que : « En vertu du lien de rattachement entre l’Etat, sujet de droit international, et un sujet de droit interne, les dommages causés à celui-ci peuvent être, dans 118 Vattel (E.), op cit, cité in, Rapport préliminaire sur la protection diplomatique de Mohamed Bennouna, C.D.I, cinquantième session, 1998, in www.un.org. 119 Anzilloti (D.), La responsabilité internationale des Etats à raison des dommages soufferts par les étrangers, R.G.D.I.P, 1906, pp. 5-29 et s, dont p. 10. 120 Chappez (J.), op cit…p. 28. 55 certains cas, ressentis par celui-là, qui peut dès lors en réclamer la réparation »121 Pierre Marie Dupuy, en donnant une série d’exemples précis, axe ses développements sur le dommage direct que subi l’Etat, lui permettant ainsi d’obtenir réparation du préjudice par lui subi, du fait de ses ressortissants. 122 Enfin, il nous est possible de mentionner Charles Rousseau qui lui préfère développer les effets, sur la réclamation, de ce droit étatique. En effet, il retient que : « Les effets de l’endossement ou de la protection diplomatique se ramènent à cette idée que, lorsque l’Etat endosse une réclamation, il la fait sienne : d’individuelle, celle-ci devient nationale et étatique »123 Il ne fait donc aucun doute que la protection diplomatique est analysée par la doctrine comme un droit de l’Etat. Du préjudice individuel on passe au préjudice étatique du seul fait d’une intervention gouvernementale. Cependant peut se poser un problème majeur, celui du véritable titulaire du droit à la protection diplomatique. En faisant de l’Etat la victime directe du préjudice, n’y aurait-il pas tendance à oublier que la victime originaire du dommage n’est autre qu’un individu. Certes les intérêts de l’Etats peuvent avoir été atteints mais uniquement de façon indirecte. Faire de l’Etat le titulaire exclusif du droit à la protection diplomatique semble quelque peu problématique puisqu’il est clair que les intérêts de l’Etat passeraient avant ceux de l’individu. Nous y reviendrons. 2. Une jurisprudence constante. La grande jurisprudence, si tenté que l’on puisse effectuer une distinction de la sorte, qui reprend et confirme en droit positif les théories de Vattel reste l’affaire des concessions Mavrommatis en Palestine. Dans cette célèbre affaire, la Grèce prit fait et cause pour son ressortissant, le sieur Mavrommatis qui, établi en Palestine, s’était vu accordé, sous formes d’accords et contrats, par le gouvernement impérial ottoman, un certain nombre de concessions pour la réalisation de travaux publics en Palestine. A la chute de la Sublime Porte, la Palestine passa sous mandat britannique et Mavrommatis se vit menacé dans ses droits sur ces concessions par le nouvel administrateur de la région qui refusait de reconnaître 121 Combacau (J.), Sur (S.), Droit international public, Montchrestion, 4ème édition, 1999, 801 p, dont p. 528. Dupuy (P.M), Droit international public, Dalloz, 4ème édition, 1998, 684 p et notamment pp. 431 et s. 123 Rousseau (C.), op cit…p. 190. 122 56 tout ou partie des droits issus de ces contrats de concessions. La Grèce saisit alors le 13 mai 1924 la Cour permanente de justice internationale pour trancher le litige et faire respecter les droits qu’elle détient par l’entremise de son ressortissant. La Cour rendit son arrêt le 30 août 1924. Après avoir défini ce que l’on entendait par la notion de « différend » la Cour, dans son célèbre obiter dictum , confirme la doctrine classique en énonçant officiellement que : « En prenant fait et cause pour l’un des siens, en mettant en mouvement, en sa faveur, l’action diplomatique ou l’action judiciaire internationale, cet Etat fait, à vrai dire, valoir son droit propre, le droit qu’il a de faire respecter, en la personne de ses ressortissants, le droit international » 124 Le principe est ainsi officiellement posé, le recours à la protection diplomatique est un droit de l’Etat. Confirmation des théories classiques, l’Etat, par le biais de son national subit un préjudice direct. L’action diplomatique aura alors pour but d’obtenir réparation de ce préjudice. La jurisprudence internationale va par la suite reprendre ce principe directeur. Ainsi, dans l’affaire précitée du chemin de fer, la Cour permanente reprend mot pour mot son dictum, abstraction faite de l’expression « à vrai dire »125. Dans l’affaire Nottebohm, la Cour internationale de justice va également reprendre le dictum de sa devancière, en le citant intégralement. 126 Dans l’espèce de la Barcelona Traction, il est rappelé par la Cour que : « (…) dans les limites fixées par le droit international, un Etat peut exercer sa protection diplomatique par les moyens et dans la mesure qu’il juge appropriés, car c’est son droit propre qu’il fait valoir »127 De même, mais ceci sera étudié ultérieurement, la Cour en vient à préciser quelle doit être l’attitude des autorités étatiques en fonction de ce principe. Il faut noter que ce principe n’est pas seulement appliqué par les juridictions internationales. En effet, il arrive que le juge interne, quant il se trouve confronté à un cas ayant trait à la protection diplomatique, fasse une application intégrale de ce principe de droit international. Ainsi, l’on peut citer pour illustrer nos propos la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse dans l’affaire Gschwind du 14 octobre 1932 selon laquelle : 124 Affaire des concessions Mavrommatis en Palestine (Grèce c. Royaume-Uni), CPJI, 30 août 1924, série A, n°2 , p. 12. 125 Affaire du chemin de fer Panevezys- Saldutiskis, op cit, p. 16. 126 Affaire Nottebohm, op cit, p. 24. 127 Affaire de la Barcelona Traction, op cit, p. 44. 57 « Etant donné qu’en intervenant auprès d’un gouvernement étranger, en raison d’une violation du droit des gens, l’Etat fait valoir son droit propre, il est exclu que naisse un rapport de mandat du fait que l’Etat décide d’agir et fait part de son intention à son ressortissant lésé »128 De même, la jurisprudence civile française s’est inspirée, plus récemment de cette conception de la protection diplomatique. Ainsi, la Cour de cassation, dans son arrêt du 14 juin 1977, Société européenne d’études et d’entreprises c. République socialiste fédérative de Yougoslavie,129 va reprendre à son tour la jurisprudence Mavrommatis et l’appliquer au cas d’espèce en retenant que lorsqu’un Etat met en œuvre la protection diplomatique, il le fait en ayant à l’esprit que ses droits propres ont été bafoués. Comme le note un commentateurs de l’arrêt, la Cour de cassation fait véritablement acte d’ « allégeance » à un des principes majeurs du droit international en le reprenant à son compte.130 B. La fiction de l’endossement. Après avoir présenté et développé la théorie selon laquelle le recours à la protection diplomatique constitue un droit propre de l’Etat, il convient de s’intéresser à la manière dont l’Etat fera effectivement valoir son droit propre en prenant fait et cause pour son ressortissant. C’est ce que l’on appelle l’endossement. En tant que tel, l’endossement constitue une véritable novation du préjudice (1.) et demeure avant tout un acte discrétionnaire d’Etat souverain (2.). 1. L’endossement : une novation du préjudice. L’endossement doit être considéré comme une fiction, fiction qui, en application des théories classiques de la protection diplomatique, fait du préjudice subi par un national un préjudice de son Etat. L’Etat va réaliser cet endossement par l’exercice de la protection diplomatique. On peut véritablement considéré que cette fiction constitue une novation du préjudice. En effet, l’objet de la protection diplomatique est de substituer un sujet de droit 128 Cité in Rousseau (C.), op cit, p. 190. Cass civ, 1ère, 14 juin 1977, Société européenne d’études et d’entreprises c. République socialiste fédérative de Yougoslavie, Bull, 1977, vol I, pp. 219-220. 129 58 international à une personne privée, pour que sa cause soit entendue et défendue sur la scène internationale. L’expression même « prendre fait et cause » est la parfaite illustration de cette endossement puisque l’Etat prendra la place de son ressortissant, au nom de son droit propre, pour régler au mieux le préjudice et éventuellement le porter devant une juridiction internationale compétente. Comme il l’est précisé dans l’affaire Mavrommatis, « Du moment qu’un Etat prend fait et cause pour un de ses nationaux devant une juridiction internationale, cette juridiction ne connaît comme plaideur que le seul Etat ».131 Dès que l’Etat est intervenu par le biais de l’endossement, l’on assiste à une mutation du préjudice originel. En effet, de par l’intervention étatique, le préjudice d’ordre interne devient un préjudice inter-étatique, véritable vecteur de la responsabilité internationale des Etats. D’un dommage d’ordre privé on passe à un dommage d’ordre international. En somme, il y a internationalisation du préjudice, le litige opposant désormais l’Etat national de la victime à l’Etat territorial où s’est produit le dommage. La responsabilité internationale de l’Etat pourra alors être mise en œuvre pour violation, à l’encontre de l’individu, du droit international. L’individu qui a subi la préjudice cessera alors d’être partie au litige du fait même de la novation. L’endossement prend ici toute sa valeur puisqu’à défaut de celui-ci il n’y aura pas de liaison du contentieux et encore moins d’internationalisation du préjudice. En conséquence, à partir du moment où un Etat prendra fait et cause pour son national, le dommage subi par lui entraînera la responsabilité internationale de l’Etat qui a commis l’acte dommageable. Comme le remarque très bien Mme Bollecker-Stern, « Tout se passe donc (…) comme si le préjudice de l’Etat était le préjudice du particuliers »132 Pour ne faire que reprendre ses développements, le préjudice direct souffert par l’individu devient de ce fait le préjudice direct souffert par l’Etat. 2. Un endossement discrétionnaire. Qui dit en matière de protection diplomatique droit propre de l’Etat, dit logiquement droit discrétionnaire. La faculté d’endossement appartient en propre à l’Etat, qui décide en toute discrétionnarité d’y recourir. En effet, l’endossement est avant tout un droit discrétionnaire. L’Etat est libre d’endosser ou non la réclamation de son national, puisqu’il va 130 Dubouis (L.), La distinction entre le droit de l’Etat réclamant et le droit du ressortissant dans la protection diplomatique, R.C.D.I.P, 1978, pp. 615-640. 131 Affaire Mavrommatis, op cit , p. 12. 59 en décider en pure opportunité. En cela, la jurisprudence de la Barcelona Traction est riche d’enseignements, du moins en ce qui nous intéresse, la protection diplomatique. Ainsi, la Cour a retenu comme étant l’état du droit international que : « L’Etat doit être considéré comme seul maître de décider s’il accordera sa protection, dans quelle mesure il le fera et quand il y mettra fin. Il possède à cet égard un pouvoir discrétionnaire dont l’exercice peut dépendre de considérations d’ordre politique, notamment étrangères au cas d’espèce. Sa demande n’étant pas identique à celle du particulier (…) dont il épouse la cause, l’Etat jouit d’une liberté d’action totale »133 Selon cette jurisprudence constante, l’Etat est entièrement libre de mettre en œuvre la protection diplomatique et d’endosser une réclamation. L’endossement étant alors un véritable droit discrétionnaire de l’Etat, d’une part un individu ne peut pas bénéficier de ce droit et, d’autre part, rien n’oblige l’Etat à l’endossement. En effet, si un individu est lésé dans ses droits à l’étranger, rien ne l’empêche de se tourner vers les autorités consulaires ou diplomatiques de son Etat en poste à l’étranger. C’est son droit le plus sacré. En revanche, rien ne l’autorise à bénéficier de la protection diplomatique. En effet, et c’est là toute l’ambiguïté de la pratique, si un de ses nationaux réclame à son Etat sa protection, absolument rien n’oblige ce dernier à la lui accorder.134 L’Etat est donc libre de décider souverainement s’il y aura endossement ou non. Dans le même ordre d’idée, un Etat pourra discrétionnairement décider de prendre fait et cause pour un de ses ressortissants, quand bien même celui-ci n’en a pas fait la demande. La Cour internationale nous parle de « considérations d’ordre politique ». Il est vrai que l’endossement dépendra de toute une série de considérations qui ne peuvent rien à voir avec l’espèce mais qui semblent vitales pour la bonne entente des Etats. Ainsi, parmi ces considérations parfois purement mercantiles l’on peut trouver aussi bien des Traités commerciaux ou des accords d’association, dont le respect passe parfois par le refus d’endossement, dans le but du bon équilibre des relations interétatiques, et bien entendu au détriment de la victime. Cette conception a été vivement critiquée par Georges Scelle, ennemi des fictions, pour qui la protection diplomatique étant 132 Bollecker-Stern (B.), op cit, p. 100. Affaire de la Barcelona Traction, op cit…p. 44. 134 Il est possible d’illustrer ce propos par le cas de la France que l’on présent souvent comme le berceau des droits de l’homme mais qui, en de nombreuses occasions n’a pas réagi face à aux situations alarmantes de ses ressortissants. Pour ne citer que ce cas, il convient de rappeler qu’un ressortissant français, Michael Blanc est détenu depuis plus de deux ans dans une prison de Manille, sans que la France ne soit, jusqu’à présent, officiellement intervenue. 133 60 une compétence liée, « et non l’octroi d’une faveur, elle doit être exercée toutes les fois qu’une situation juridique est mise en péril. ». 135 Cette approche discrétionnaire est, en droit interne français confirmée par la jurisprudence du Conseil d’Etat. En effet, pour la Haute juridiction administrative, tout acte qui touche, de prés ou de loin, à la protection diplomatique et à l’endossement, du fait de leur caractère discrétionnaire, est un acte de gouvernement insusceptible de tout contrôle juridictionnel. Les cas les plus fréquents de contestation concernent le refus du gouvernement français d’accorder sa protection diplomatique. Les juges administratifs, tout en se référant à la théorie des actes de gouvernement qu’ils ont eux-même crée, se refusent à tout contrôle juridictionnel de ce refus discrétionnaire.136 De même, le défaut d’assistance ou l’insuffisance de protection, lorsqu’ils peuvent être assurés par l’Etat étranger sont également des actes insusceptibles de contrôle et, de surcroît cela ne constituerait pas une justification de l’engagement de la responsabilité de la France.137 Il est donc logique que le Conseil retienne une solution analogue en ce qui concerne le retrait discrétionnaire de la protection diplomatique des ressortissants français. 138 II. L’aménagement de l’Institution de la protection diplomatique du fait des Etats. Le recours à la protection diplomatique est, nous le savons, un droit éminemment discrétionnaire d’Etats souverains. De ce constat peuvent alors être tirées plusieurs conséquences, outre bien sur celles que nous avons déjà abordées. En effet, puisque l’Etat possède un tel pouvoir discrétionnaire, il sera donc totalement libre d’aménager à sa guise l’Institution même de la protection diplomatique. Ainsi, dans cet ordre d’idée, l’Etat pourra 135 Scelle (G.) Droit de la paix, R.C.A.D.I, 1933, vol 46, pp. 333-763, dont ses développements sur la protection diplomatique, pp. 656-663, et plus particulièrement cette citation, p. 660. 136 CE, 23 décembre 1904, Poujade, Leb, p. 873 et s. (« Les questions soulevées par cette partie de la réclamation se rattachent à l’exercice du pouvoir souverain dans les rapports du gouvernement français avec les gouvernements étrangers, et ne sont pas de nature à être portés devant le Conseil d’Etat par la voie contentieuse »). 137 CE, 2 mars 1966, Dame Cramencel, R.GD.I.P, 1966, p. 791. 138 CE, 12 février 1904, Bachatori, Leb, p. 105. (« Considérant que les actes attaqués se rattachent à l’exercice des pouvoirs reconnus à la France par les Traités et les Conventions internationales, qu’ils ne sont pas des actes administratifs et ne peuvent, comme ces derniers, donner ouverture à un recours devant le Conseil d’Etat »). 61 souverainement renoncer à la protection diplomatique ( A.), et pourra aussi, en théorie du moins, organiser selon son bon vouloir, le versement des éventuelles indemnités. ( B ) A. Un aménagement à priori : la renonciation à protection diplomatique. On peut ici parler d’aménagement à priori en ce sens qu’un Etat décide, souverainement et conventionnellement, qu’il ne va pas recourir à la protection diplomatique en faveur de ses nationaux, dans des cas bien particuliers, et ce avant même qu’un éventuel préjudice se soit produit. ( 1 ). Bien que cette renonciation soit en pratique demeurée rarement appliquée, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’elle l’a été, elle constituait une belle illustration de la compétence discrétionnaire étatique. ( 2. ) 1. Une renonciation pour l’avenir à la protection diplomatique. Puisque tout Etat a droit discrétionnairement de mettre en œuvre la protection diplomatique par le biais de l’endossement, il est logique de constater que tout Etat a également la faculté discrétionnaire de renoncer à l’exercice de cette même protection. Pour un Etat, renoncer librement à la protection diplomatique est donc le corollaire logique de la discrétionnarité. En effet, la présentation d’une réclamation au plan international est un acte libre d’Etat souverain. Rien ne peut ou ne doit l’obliger à endosser une telle réclamation. En somme, l’Etat n’est absolument pas tenu d’endosser une réclamation d’un de ses nationaux, même si celle-ci présente toutes les conditions requises et adéquates pour l’être. S’il renonce à l’exercice de cette protection ce sera pour des raisons de relations inter-étatiques ou autres considérations d’ordre politique. De manière générale, cette renonciation vaut pour l’avenir, c’est à dire qu’elle va porter sur des préjudices non encore survenus mais dont on sait qu’ils sont susceptibles, en raison de leur nature, de porter éventuellement atteinte aux droits des individus et des Etats. Cette renonciation est également conventionnelle. En effet, certains Etats ont mis en place, 62 dans leurs relations, un système de renonciation à tout recours, en cas de litige. Généralement, l’Accord entérinant cette renonciation prévoit la création d’une juridiction impartiale chargée de régler les litiges nés de son application. En d’autres termes, les Etats renoncent à leur droits, pour éviter la survenance de litiges éventuels, pour une situation donnée. Ainsi, l’Etat en renonçant à l’avance à sa protection diplomatique, d’une part fait valoir son droit propre, mais d’autre part invite ses nationaux à utiliser la procédure de règlement mise en place par l’accord. Les Etats favorisent donc de la sorte le recours à l’arbitrage, puisque toutes les réclamations qui viendraient à naître entre un national et l’un des Etats partie à la Convention, rentrant bien sur dans le champ d’application de celle-ci, ne seront pas prises en charge par l’Etat national mais par le tribunal crée. Le seul problème que pourrait, éventuellement, poser cette pratique de renonciation est d’une part que sa mise en œuvre est relativement ancienne ( nous le verrons ) et de ce fait ne semblerait pas refléter l’Etat du droit positif, et surtout que d’autre part cette même mise en œuvre n’en reste pas moins exceptionnelle. 2. Une mise en œuvre exceptionnelle de cette renonciation. Quand bien même cette possibilité de renonciation offerte aux Etats par le droit coutumier est possible, il n’en demeure pas moins que rares sont les textes conventionnels qui prévoient, explicitement et effectivement, une telle possibilité. La pratique internationale est peu développée en la matière mais il est possible de retenir trois exemples notoires : deux Convention qui subordonnent la renonciation à la protection, à la compétence d’une juridiction instituée pour l’occasion, et un Accord intergouvernemental qui prévoit juste cette renonciation à recours. Restera à étudier une exception qui en reconnaissant la validité de la renonciation n’en reconnaît pas moins la faculté, pour un Etat, d’exercer son droit à la protection diplomatique. Le 18 mars 1965, fût conclue sous l’égide des Nations Unies La Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres Etats. Au départ, les auteurs de la Convention ont déploré l’absence de juridiction internationale dans le domaine précis des investissements internationaux. En fait, ce texte a pour but de protéger la circulation des capitaux étrangers. Pour assurer un tel contrôle est donc crée un véritable organe juridictionnel, le Centre international pour le règlement des 63 différends relatifs aux investissements. En somme, le Centre a pour fonctions d’offrir aux Etats et aux investisseurs des modalités de conciliation, d’arbitrage et de règlement de leurs différends. Dans le cadre qui nous concerne, seul l’article 27 de la Convention semble retenir notre attention. Selon cette disposition, il est prévu que : « Aucun Etat contractant n’accorde la protection diplomatique ou ne formule de revendications internationales au sujet d’un différend que l’un de ses ressortissants et un autre Etat contractant ont consenti à soumettre ou ont soumis à l’arbitrage dans le cadre de la présente Convention (…) » 139 Ainsi, pour pallier à tout problème éventuel d’impartialité liée à la nationalité, les Etats ont explicitement renoncé à la protection diplomatique et transféré leurs compétences, en matière de protection des investisseurs et des capitaux au Centre. De la sorte, la nonintervention de l’Etat dans l’instance permettra donc au Centre de rendre une décision, idéologiquement et politiquement, neutre. Une des grandes avancées opérée par la Convention reste quand même la reconnaissance du caractère obligatoire des engagements contractés par les parties. En effet, les Etats, pour rendre l’action du Centre effective, doivent obligatoirement donner leur consentement à la limitation de leurs droits. Ainsi, l’article 25 de la Convention précise que « Lorsque les parties ont donné leur consentement, aucune d’elles ne peut le retirer »140. Les parties, dès que leur consentement à été donné, sont alors assujetties à un ensemble d’obligations précises découlant de la Convention et « ne peuvent plus, sauf d’un commun accord, modifier la teneur de leurs obligations ».141 Dans le même esprit, mais dans un contexte politique totalement différend, fût crée par las Accords d’Alger du 19 janvier 1981 le tribunal des différends irano-américains. Ces Accords sont intervenus suite à la crise qui opposa les deux pays peu de temps après la révolution islamique et qui trouva son paroxysme avec la prise d’otages à l’Ambassade américaine à Téhéran. En appliquant un système analogue à celui de la Convention de 1965, il est donc crée un tribunal impartial chargé de régler les litiges d’ordre économique qui surviendraient entre ces deux Etats. Pour ôter tout caractère politique aux revendications et au règlement des litiges, un organe neutre était donc nécessaire. Ainsi, la mission du tribunal sera de régler tous les litiges de ressortissants américains contre l’Iran et ceux d’iraniens contre les 139 Convention du 18 mars 1965, in Dupuy (P .M), Les grands textes du droit international public, Dalloz, édition, 2000, pp. 347-365. 140 Idem. 141 Delaume (G.R), La convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres Etats, J.D.I, 1966, pp. 26-49. 2 ème 64 Etats Unis. Le Tribunal est dès lors compétent pour connaître de demandes qui naissent « de dettes, de contrats, d’expropriations ou de toutes mesures affectant les droits de propriété ».142 Pour preuve, depuis sa création le Tribunal a rendu prés de 4000 décisions arbitrales. En devenant parties aux Accords, Iran et Etats Unis ont tout deux renoncé à exercer leur protection diplomatique en faveur de leurs nationaux pour tous les litiges -c’est à dire ceux touchant à la propriété et qui traditionnellement rentreraient dans la logique de la protection diplomatique- qui rentrent expressément dans la compétence du Tribunal. Ainsi, les deux Etats ont renoncé à toute demande en responsabilité. De ce fait, par exemple, « les Etats Unis (…) interdiront et empêcheront la poursuite contre l’Iran de toutes réclamations en instance ou à venir de la part des Etats Unis ou d’un ressortissant des Etats Unis découlant d’évènements antérieurs à la date de la présente déclaration et relatif (…) au préjudice aux ressortissants des Etats Unis ou à leurs biens du fait des mouvements populaires au cours de la révolution islamique en Iran (…). Les Etats Unis interdiront et empêcheront également la poursuite contre l’Iran devant les tribunaux des Etats Unis de toute plainte en instance ou à venir intentées par des personnes qui ne sont pas ressortissants américains »143 et découlant des évènements révolutionnaires. Il y a donc bien une véritable renonciation à recours à la protection diplomatique. L’objectif des parties est donc de mettre fin à tous les litiges qui viendraient à s’élever entre un des deux Etats et les ressortissants de l’autre, par un arbitrage irrévocable. Un exemple original et plus récent de renonciation à protection peut être cité, celui du Mémorandum d’accord franco-russe du 26 novembre 1996, relatif au règlement définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au 9 mai 1945. Selon ce texte : « Les parties françaises et russes, en leur propre nom, ou au nom des personnes physiques ou morales, russes et françaises respectivement, ne présenteront pas l’une à l’autre, ni se soutiendront d’aucune autre manière les créances financières ou réelles, quelles qu’elles soient, apparues antérieurement au 9 mai 1945. Toutes ces créances sont réputées avoir été réglées définitivement et intégralement par le versement de la totalité de la somme mentionnée dans le présent Mémorandum » 144 142 Accords d’Alger du 19 janvier 1981 sur le règlement du contentieux entre le gouvernement des Etats Unis d’Amérique et le gouvernement de la République islamique d’Iran. Texte reproduit in Audit (B.), Les accords d’Alger du 19 janvier 1981 tendant au règlement des différends entre les Etat Unis et l’Iran, J.D.I, 1981, pp. 776783. 143 Accords d’Alger, déclaration du gouvernement algérien, paragraphe 11, in op cit, p. 779. 144 Mémorandum d’accord franco-russe du 26 novembre 1996, in R.G.D.I.P, 1997, p. 1091. Ce texte sera reproduit en Annexes de ce travail. 65 Contrairement aux exemples précédents, le Mémorandum d’accord a pour lui d’être un texte relativement récent ce qui pourrait faire penser à un renouveau de cette pratique spécifique d’aménagement de la protection diplomatique. De plus, toute son originalité réside dans le fait qu’il organise la renonciation étatique en substituant à la protection diplomatique un accord international qui prévoit lui la disparition des litiges et du contentieux qui s’en suit. Enfin, il semble possible de voir, en la jurisprudence du Tribunal arbitral austroallemand, une sorte d’exception, du moins d’atténuation, à l’aménagement étatique de la protection diplomatique. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’Autriche et la RFA conclurent le 15 juin 1957 un Traité portant règlement des biens allemands en Autriche. Il était alors institué un Comité de conciliation, que pouvaient saisir directement les particuliers, ainsi qu’un Tribunal arbitral, qui présentait le désavantage de ne pouvoir être saisi qu’à la demande des tribunaux nationaux. Ces deux organes étaient chargés de régler les revendications des « expulsés, rapatriés et persécutés de nationalité autrichienne ou d’origine ethnique allemande domiciliés en Autriche »145 En application ce Traité fût conclu un autre accord le 27 novembre 1961, portant règlement des dommages subis par des expulsés, rapatriés et persécutés, concernant d’autres questions financières et des questions dans le domaine social. Au terme de cet accord, l’Allemagne s’engageait à verser à l’Autriche 125 millions de Deutsch Mark en guise de compensation. L’article 24§2 de ce Traité prévoit ainsi : « (…) aucun des deux Etats contractants n’appuiera de pareilles revendications [ sur des biens ou des droits ] vis-à-vis de l’autre Etat contractant soit par la voie diplomatique soit autrement, même s’il possédait à cette fin un droit de protection selon les règles générales du droit international public, sauf si la revendication ou son exercice est basé sur des règles de droit de l’autre Etat (…) »146 Suite à ce Traité, une loi ouest allemande du 12 février 1969 sur « les dommages causés par les réparations » excluait de toutes les compensations les citoyens autrichiens et les personnes d’origine ethnique allemande domiciliés en Autriche. Cette loi fut jugée discriminatoire par l’Autriche et le Tribunal arbitral fût saisi. L’Autriche basa alors sa contestation sur l’article 24§2 du Traité de 1961. Le 15 janvier 1972, le Tribunal rendit une sentence arbitrale au terme de laquelle il reconnaissait, entre autre que, quand bien même une 145 Seidl-Hohenveldern (I.), La sentence du tribunal austro-allemand concernant la protection diplomatique, A.F.D.I, 1972, p. 323-327. 146 Article 24 du Traité austro-allemand du 27 novembre 1961, in Seidl-Hohenveldern (I), op cit…p. 324. 66 possibilité de renonciation soit conventionnellement prévue, l’article 24§2 du Traité de 1961 n’interdit pas à l’Autriche de faire valoir son droit à la protection diplomatique. En effet, la renonciation n’a pas cours dès lors que la loi litigieuse constitue une discrimination flagrante envers les ressortissants autrichiens, et ce en violation du droit international. Le Tribunal s’est donc soumis à une interprétation extensive de la disposition litigieuse, préférant privilégier le droit propre de l’Etat à la protection diplomatique plutôt que son droit à renonciation. B. Aménagement à posteriori : le versement des indemnités. Cet aménagement du recours à la protection diplomatique peut être qualifié d’aménagement à posteriori pour la simple raison qu’il concerne le versement de l’indemnité qui, par définition sera versée- si telle indemnité bien sur est accordée- à l’Etat, une fois que le litige inter-étatique aura été résolu. C’est également en matière d’indemnité que va s’illustrer le pouvoir discrétionnaire de l’Etat. Deux questions peuvent alors se poser qui est le bénéficiaire premier de cette indemnité (1) et par le biais de quelles procédures peut être organisé son reversement ? (2.) 1. L’Etat réclamant: bénéficiaire premier des indemnités. Reconnaître à l’Etat un droit propre et discrétionnaire à la protection diplomatique aurait-il pour conséquence de lui reconnaître un droit identique en matière d’indemnités ? Autrement dit vient à se poser la question du titulaire et du bénéficiaire de ces indemnités, une fois qu’il a été estimé utile d’organiser leur versement. En droit international a été posé la règle selon laquelle toute violation par un Etat du droit des gens entraîne sa responsabilité internationale. Cela vaut bien évidemment pour la protection diplomatique qui, avant tout reste un mécanisme de responsabilité. Comme nous l’avons vu, l’atteinte portée aux droits des ressortissants constitue pour leur Etat un préjudice direct, moral et indemnisable. L’obligation de réparer le préjudice se traduit donc, en raison de la théorie classique de la protection diplomatique, par le versement d’une indemnité à l’Etat protecteur. En effet, étant reconnu que l’Etat a lui seul subi un préjudice, il semblerait logique, du moins juridiquement, de faire de l’Etat le seul et unique bénéficiaire de l’indemnité obtenue à raison de la protection 67 diplomatique. C’est en tout cas ce qu’à reconnu la Cour Permanente quand elle énonce, dans l’affaire de l’usine de Chorzow, que « le dommage subi par le particuliers ne peut que fournir une mesure convenable de la réparation due à l’Etat ».147 L’Etat protecteur peut donc aménager à sa guise la procédure de versement de l’indemnité, puisque le droit international lui laisse, en théorie, toute la latitude pour réglementer et éventuellement organiser le reversement de l’indemnité à la victime. En effet, en justification de son pouvoir discrétionnaire, l’Etat est libre de choisir les modalités de versement des indemnités. Soit l’Etat décidera, et il en a tout à fait le droit, de conserver pour son compte la totalité de l’indemnité.148 Soit il reversera l’intégralité des compensations versées. Soit enfin il ne reversera à la victime qu’une partie de l’indemnité par lui reçue. Si l’Etat conservait à son propre chef l’indemnité, il agirait comme s’il ne tenait absolument pas compte des dommages subis directement, non par lui, mais par son national. « En d’autres termes, l’Etat qui conserverait par devers lui l’indemnité versée réaliserait un véritable enrichissement sans cause »149. Cet auteur, partisan de la théorie qui fait de la protection diplomatique un droit véritablement subjectif, prend en compte, non pas les intérêts étatiques mais les intérêts individuels et relève l’illégalité d’une telle procédure. Il n’est alors pas vain de rappeler de nouveau que l’individu est la principale victime de l’acte dommageable qui entraîne endossement. Bien que la décision de reversement ou non de l’indemnité soit considérée comme un acte de gouvernement par le Conseil d’Etat français,150 il est claire que, voir en un tel comportement étatique un « enrichissement sans cause », contribuerait, d’une part à porter atteinte au pouvoir discrétionnaire des Etats en la matière et, d’autre part, à discréditer la pratique de la protection diplomatique. 2. Vers un reversement équitable des indemnités ? 147 Affaire de l’usine de Chorzow (Allemagne c. Pologne), C.P.J.I13 septembre 1928, série A, n° 17. Cette solution peut paraître choquante mais serait conforme à la doctrine classique puisque rappelons le, c’est avant tout un droit propre de l’Etat qui a été bafoué. 149 Berlia (G.), Contribution à l’étude de la nature de la protection diplomatique, A.F.D.I, 1957, pp. 63-72. 150 De nombreuses jurisprudences ont été rendus en ce sens par la Haute juridiction administrative, mais pour mémoire il est possible d’en retenir certaines comme, CE, 18 novembre 1869, Jecker, Leb, 1869, p. 890, ou bien encore CE, 15 mai 1935, Strauss, Rec, p. 548. Ainsi, dans l’arrêt Jecker, la Haute juridiction va retenir que « les questions soulevées appartiennent à l’interprétation et à l’exécution d’actes diplomatiques, il ne peut appartenir à notre Conseil d’Etat d’en connaître (…) ». 148 68 Les Etats, pour permettre à leurs ressortissants d’être effectivement indemnisés du préjudice par eux subi, ont décidé, en quelque sorte de renoncer partiellement à leur pouvoir discrétionnaire, en matière d’indemnités, en prévoyant, en droit interne des procédures spécifiques de reversement. On assiste en effet de plus en plus à une sorte de régularisation de la procédure de distribution des indemnités, par la mise en place du système des Commissions nationales de réparation. Selon ce système, les indemnités issues de demandes en réparation sont confiées à des Commissions qui, en statuant en toute équité et selon les règles du droit international, sont chargées de les redistribuer aux victimes, surtout lorsque l’Etat responsable a versé à l’Etat réclamant une indemnité forfaitaire globale. Ainsi, l’on assiste à une véritable « juridictionnalisation de la procédure relative à la distribution des indemnités dont [dispose] les Etats réclamants ».151 Au lendemain de la seconde guerre mondiale, des Commissions de ce type ont été mises en place dans certains Etats dont la France, le Royaume Uni, les Etats Unis ou encore la Suisse. La France et le Royaume Uni se trouvèrent confrontés à des situation similaires dans leurs relations avec des Etats tels la Hongrie, la Tchécoslovaquie ou bien encore la Yougoslavie. En effet, ces Etats, suite à l’instauration d’un régime communiste, pratiquèrent toute une série de nationalisations qui eurent pour effet de porter atteinte aux droits de propriété des ressortissants français et britanniques. Paris et Londres prirent donc en charge les réclamations de leurs ressortissants. Les réticences des nouveaux gouvernements à accorder les indemnités demandées à raison des préjudices subis vinrent en plus désagréger les relations, déjà mauvaises, entre tous ces Etats. Pour régler au mieux la situation, la France conclut des accords indemnitaires tant avec la Yougoslavie ( 14 avril 1951), qu’avec la Tchécoslovaquie ( 2 juin 1950 ). Le Royaume Uni fit de même et ce respectivement les 23 décembre 1948 et 23 septembre 1949. En France, il existe une Commission spéciale pour chaque Accord à exécuter. Ces Commissions mixtes, véritables autorités administratives, sont très actives et viennent en quelque sorte porter atteinte aux prérogatives discrétionnaires traditionnelles de l’Etat français en matière de protection diplomatique. Ainsi, la Commission chargée des réclamations hongroises a mis prés de huit ans pour statuer sur quelques 3200 demandes. C’est dire si le versement des indemnités était attendu par les victimes. En Grande Bretagne, la Foreign 151 Berlia (G.), op cit, p. 66. 69 compensation Commission a été établie le 12 juillet 1950. Cette Commission a pour mission d’étudier, parmi les demandes d’indemnisation qu’elle a reçu, quelles sont celles qui sont susceptibles d’être retenues. A la différence du cas français, cette Commission n’applique pas le droit international mais le droit interne. Aux Etats Unis, fût institué l’International Claims Commission en 1949, chargée de régler les indemnités versées notamment par le Japon et Panama, tandis que la Suisse, le 13 juillet 1948, mis en place un organe had hoc, la Commission des indemnités de nationalisation, très active en ce qui concerne les demandes contre la R.D.A. Ces Commissions ont donc un rôle primordial puisqu’elles réceptionnent l’indemnité globale forfaitaire versée par l’Etat responsable et qu’elles sont chargées de la redistribuer, en toute impartialité. En tant que tels, ces organes sont véritablement la preuve que les Etats acceptent de restreindre et d’auto limiter leur pouvoir discrétionnaire, en aménageant le versement de ces indemnités. La victime apparaît donc comme l’élément essentiel de cette procédure puisque ses intérêts propres vont venir justifier la renonciation de l’Etat national à l’indemnité qui lui est versée. Cette attitude est qualifiée de « réaction réaliste » par Charles Rousseau, pour qui elle « tend à élargir le rôle du réclamant dans la procédure internationale de détermination de la responsabilité et de distribution de l’indemnité ».152 Section 2 : Protection diplomatique et pratiques étatiques. Dès que l’Etat a décidé d’endosser une réclamation et de prendre fait et cause pour un de ses nationaux, il va donc intervenir sur la scène internationale, à l’encontre d’une autre entité étatique. C’est là tout le fondement pratique de la protection diplomatique des individus: une intervention en faveur d’un ressortissant. Il est alors possible de se demander quelles sont, dans la pratique, les modalités d’intervention offertes aux Etats pour protéger leurs nationaux (I), et comment doivent être appréciées ces interventions au regard du principe de souveraineté étatique (II). 152 Rousseau (C.), op cit, p. 195. 70 I. Les caractéristiques de l’intervention étatique en faveur des nationaux. Lorsqu’un Etat intervient en faveur de l’un de ses nationaux lésés dans ses droits à l’étranger, il choisit, discrétionnairement, les moyens qu’il va mettre en œuvre pour prendre fait et cause en son égard. Cependant, en raison de l’évolution même du droit international, l’Etat verra ses modalités d’action encadrées. En effet, pendant longtemps, protection diplomatique était synonyme d’intervention militaire ( A ). Grâce à la prise de conscience des dangers du recours à la force, les cas d’interventions diplomatiques coercitives ont disparu au profit de modalités pacifiques de règlement des litiges ( B ). A. Les interventions diplomatiques coercitives. Il est vrai que, pendant des siècles, la protection diplomatique se caractérisait, en pratique, par de nombreux conflits armés ou interventions militaires, souvent meurtriers, entre Etats souverains. (1). Avec les prémices de codification du droit coutumier de la guerre, il est vite apparu que les Etats, lassés de conflits à répétition, ont commencé à prendre conscience, dans des cas bien précis, que protection diplomatique et recours à la guerre n’étaient peut être pas conciliables. ( 2 ). 1. Protection diplomatique et interventions armées. La protection diplomatique des individus trouve son origine dans des faits d’armes qui, en opposant des Princes souverains, avait pour but de faire respecter le droit, de protéger des individus et accessoirement constituait une démonstration militaire non négligeable. Est-il nécessaire de rappeler que, sous la Haute Antiquité, les princes grecs, autour de Ménélas se sont ligués contre Troie pour libérer la belle Hélène, prisonnière de Pâris ? Doit-on y voir les prémices de la protection diplomatique des individus ? On peut l’envisager. Plus proche de nous, il est fréquent de voir des Etats intervenir militairement pour protéger diplomatiquement un de leurs ressortissants. L’intervention militaire britannique en Grèce, pour protéger les 71 intérêts de David Pacifico en est une bonne illustration. 153 Comme le note très bien Mme Bastid, aux fins de la protection diplomatique « Les Etats ont eu, fréquemment, recours aux procédures coercitives reconnues par le droit international, c’est à dire aux procédures de rétorsion, de représailles, voire de recours à la guerre »154 Ces manifestations militaires et coercitives de la protection diplomatique étaient alors graves de conséquences puisque, de manière générale, elles opposaient de grandes puissances militaires à des Etats faibles, tant au point de vue économique que militaire. De ce fait, ces interventions étaient souvent vues comme une preuve éclatante des visées impérialistes des grandes puissances.155 Pour illustrer nos propos, il est possible de se référer à l’intervention militaire européenne, américaine et japonaise en Chine en 1901. A cette époque, les grands ports de Chine sont colonies des grandes puissances mondiales. A Pékin, au pied de la Cité Interdite, se trouve le quartier occidental des légations, d’où en quelque sorte, est économiquement dirigée la Chine. Des évènements précurseurs avaient déjà laissé penser à la nécessité d’une intervention militaire en Chine, en faveur des nationaux. Ainsi, comme le précise le ministre français des affaires étrangères devant les députés le 3 juillet 1900, « La France n’a aucune envie de faire la guerre à la Chine ; mais elle ne peut pas non plus se dérober au devoir de protéger ses nationaux ». 156 En juin1900, la secte dite des massacreurs, communément appelés les Boxers, se révolta et prit d’assaut le quartier des légations européennes. Soutenu par l’armée officielle, le siège dura 55 jours, aux termes desquels, un corps expéditionnaire international allemand, américain, anglais, autrichien, français, italien, japonais et russe, vînt libérer leurs ressortissants en défaisant, en quelques heures, les troupes rebelles.157 Cette intervention, qui avait pour but de protéger diplomatiquement les nombreux habitants occidentaux prisonniers des légations, fût lourde de conséquences, tant au plan économique que politique. En effet elle acheva, d’une part de détruire une armée chinoise 153 Affaire évoquée en introduction. Bastid (S), Cours de droit international public, Tome I, Les cours de droit, 1976-1977, 641p, dont p. 573. 155 Il est possible de citer ici le juge Padilla-Nervo qui, dans son opinion individuelle dans l’affaire de la Barcelona Traction estimait que « L’histoire de la responsabilité des Etats en matière de traitement des étrangers est une suite d’abus, d’ingérences illégales dans l’ordre interne des Etats faibles, de réclamations injustifiées, de menaces et même d’agressions militaires sous le couvert de l’exercice des droits de protection, et de sanctions imposées en vue d’obliger un gouvernement à faire les réparations demandées », Rec C.I.J, 1970, p. 246. 156 Discours de M Delcassé devant la Chambre des députés, in Kiss (A.), Répertoire français de la pratique française en matière de droit international public, tome IV, 1962, p. 316. 157 Pour une version plus romancée, mais au combien réaliste et historiquement juste, du moins en ce qui concerne le siège des légations, il est possible de se référer au classique hollywoodien, « Les 55 jours de Pékin », film de Nicholas Ray de 1963 avec Charlton Eston et Ava Gardner. 154 72 déjà très affaiblie et fût, d’autre part, l’un des catalyseurs de la chute du régime impérial. En effet, moins de dix après, s’effondrait en quelques jours le millénaire Empire du Milieu. De nombreux cas de ce genre pourraient être retenus mais l’intervention militaire la plus fréquemment citée pour illustrer cette protection coercitive reste quand même la coercition collective de l’Angleterre, de l’Allemagne et de l’Italie, contre le Venezuela en 1902. Au début de l’année 1902, les ambassades d’Allemagne et de Grande Bretagne à Caracas présentèrent un ultimatum au gouvernement vénézuélien par lequel ils exigeaient, sous quarante huit heures, le paiement immédiat des créances dues au titre de la dette publique et la réparation des atteintes à la propriété privée. Ces créances étaient essentiellement dues aux dommages subis par les ressortissants allemands et britanniques en raison de la guerre civile qui ravageait alors le pays. Les circonstances justifiaient donc bien un recours à la protection diplomatique. Caracas déclarant que ces créances seraient honorées dès la fin du conflit interne, les autorités militaires allemandes et britanniques, aidées par l’Italie, s’emparèrent et détruisirent des navires de guerre vénézuéliens en stationnement dans le port de la Guayra, bombardèrent la ville de Puerto Cabello et ordonnèrent le blocus de tous les ports du pays. La situation va durer plusieurs mois et ne sera résolue que par l’intervention conjointe de l’Argentine et des Etats Unis. Quand bien même, la légitimité d’une pareille intervention militaire aux fins de la protection diplomatique a largement été débattue en doctrine.158 Pour éviter à l’avenir de tels débordements militaires, fût alors conclu, à l’initiative de l’Argentine et des Etats Unis un texte fondamental, la Convention Drago-Porter. 2. L’apport de la Convention Drago-Porter à la théorie de la protection diplomatique. Suite à la crise vénézuélienne de 1902, fût conclue la deuxième Convention de la Haye du 18 octobre 1907 portant renonciation au recours à la force armée pour le recouvrement des dettes contractuelles. Cette Convention est dite Convention Drago-Porter, du nom de ses deux négociateurs, Luis Drago, ministre argentin des affaires étrangères et le Général Porter, délégué des Etats Unis à la Conférence de la Haye. Selon la doctrine Drago, et pour reprendre ses propres mots : 73 « Le principe que je voudrais voir reconnu est celui selon lequel la dette publique ne peut donner lieu à une intervention armée, et encore moins à l’occupation physique du sol des nations américaines par une puissance européenne »159 Luis Drago condamne ici explicitement l’impérialisme européen qui est la cause de l’intervention au Venezuela. En fait, cette doctrine pose le principe du non-recours à la force pour le recouvrement des emprunts d’Etat. Par extension, cette interdiction est applicable aux cas de protection diplomatique des créanciers de ces emprunts. Ainsi, selon l’article 1er de la Convention de la Haye, « Les Puissances contractantes sont convenues de ne pas avoir recours à la force armée pour le recouvrement de dettes contractuelles réclamées au gouvernement d’un pays par le gouvernement d’un autre pays comme dues à ses nationaux »160 Cette disposition, de par sa rédaction, fait directement référence à la protection diplomatique ( « comme dues à ses nationaux »). De par cette Convention les Etats contractants s’engagent donc à ne pas recourir à la force, aux fins de la protection diplomatique des créanciers d’un Etat étranger. L’avantage de cette Convention réside dans le fait qu’elle est le premier texte, au plan international, à prohiber le recours à la force. Certes son champ d’application ne se limite qu’aux dettes contractuelles, mais elle a le mérite de remettre en question des siècles de pratique étatique et de recours à la guerre. Concernant la protection diplomatique, son champ d’application est certes aussi limité, mais cela augure, pour la suite une renonciation totale, et générale, à tout emploi de la force pour la protection des ressortissants d’un Etat. Ainsi, les Etats sont encouragés à avoir recours aux juridictions internationales pour tout litige ayant trait à la protection diplomatique. C’est en tout cas ce qu’il ressort du second alinéa de cet article qui, autorise malgré tout le recours à la force lorsque l’Etat fautif refuse un arbitrage international ou bien refuse de se soumettre à la décision arbitrale rendue. 158 Basdevant (J.), L’action coercitive anglo-germano-italienne contre le Venezuela (1902-1903), R.G.D.I.P, 1902, pp. 362 et s. 159 Cité in Barberis (J.A), Les règles spécifiques du droit international en Amérique latine, R.C.A.D.I, 1992, vol 235, pp. 85-230, et particulièrement p. 187. 160 Convention de la Haye du 18 octobre 1907 portant renonciation au recours à la force armée pour le recouvrement des dettes contractuelles, dite Convention Drago-Porter, J.O.R.F, 8 décembre 1910. 74 B. Les interventions diplomatiques non coercitives. A partir de 1907, le droit international a donc commencé à prohiber le recours à la force pour toute action diplomatique en faveur de ressortissants d’un Etat. Cette interdiction trouvera confirmation avec le Pacte Briand-Kellogg, puis la Charte des Nations-Unies (1.) et favorisera de ce fait, en cas de protection diplomatique, le recours au règlement pacifique, par l’intervention consulaire ou l’appel à la justice internationale (2.). 1. L’interdiction générale du recours à la force : un principe applicable aux cas de protection diplomatique. Dans la droite ligne de la Convention de 1907, le Pacte Briand-Kellogg est véritablement le premier grand texte qui interdit, de manière générale, le recours à la force dans le cadre des relations internationales. En effet ce Pacte met simplement hors la loi le recours à la guerre. En 1927, France et Etats-Unis entament des négociations quant au renouvellement d’un Traité d’arbitrage. Aristide Briand, ministre français des affaires étrangères, proposa d’adjoindre à ce Traité un engagement bilatéral de renonciation de tout recours à la guerre dans leurs relations mutuelles. Son homologue Kellogg proposa quant à lui d’élargir ces négociations à d’autres Etats pour conclure un Accord universel d’interdiction générale de recours à la force. Ainsi, selon ce Pacte, il était prévu que : « Les Hautes Parties contractantes déclarent solennellement qu’elles condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncent pour en tant qu’instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles »161 Au titre des ces relations mutuelles, on trouve bien évidemment la protection diplomatique qui, est-il besoin de le rappeler constitue une action entre Etats, pour un dommage inter-étatique. Dès lors, il n’ y a donc qu’un pas à franchir pour affirmer que le Pacte de 1927 vient, d’une part confirmer la Convention de 1907, et d’autre part entériner la disparition des pratiques coercitives en matière de protection diplomatique. En effet, on pourrait s’avancer quelque peu en datant du Pacte la fin de toutes pratiques coercitives de ce 161 Article 1er du Pacte Briand-Kellogg, J.O.R.F, 26 juillet 1929. 75 type. En quelques sortes, la crise du Venezuela, bien évidemment largement amplifié par la première guerre moniale et son cortège d’horreurs, doit être vue comme le catalyseur qui a fait prendre conscience à la Communauté internationale de la nécessité d’encadrer, limiter puis interdire tout type de recours à la guerre dans les relations internationales. Cette idéologie sera officiellement confirmée par la Charte des Nations Unies. L’article 2§4 de la Charte des Nations Unies prévoit une prohibition générale de tout recours à la force. En effet, il est prévu que : « Les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies »162 Il est donc possible de réitérer les commentaires faits pour le Pacte Briand-Kellogg, à savoir que l’interdiction générale de recours à la force prévue par la Charte s’applique évidemment à la protection diplomatique, puisqu’au titre de ces « relations internationales », on trouve bien évidemment le recours à la protection diplomatique. En somme, il est possible de considérer la Charte comme, suite à la Convention Drago-Porter et au Pacte BriandKellogg, constituant la justification finale du non emploi de moyens coercitifs aux fins de la protection diplomatique. Cette interdiction concerne tous moyens coercitifs militaires, mais les Etats ont toujours la possibilité d’avoir recours à des coercitions de type économique. Ainsi, en 1960, suite à la saisies des raffineries de pétroles par le gouvernement Castro, saisies portant directement atteinte aux intérêts de ressortissants américains, les Etats Unis répliquèrent immédiatement, par le biais de la protection diplomatique, en mettant en place des mesures de rétorsions consistant en une réduction puis une suppression des importations sucrières de Cuba. 2. De l’intervention consulaire au recours au juge international. Dans la mise en œuvre pratique de la protection diplomatique, les Etats sont encouragés, par le droit international, à avoir recours à des règlements pacifiques des différends. Généralement, l’endossement d’une réclamation se traduit de prime abord par 162 Charte des Nations Unies du 29 juin 1945, in www.legifranc.gouv.fr. 76 l’action des représentants diplomatiques à l’étranger, et peut aboutir, soit à un arbitrage, soit au recours au juge international. Les agents diplomatiques et consulaires ont pour mission de servir d’intermédiaires entre un Etat et un gouvernement étranger. Ils sont en fait les mandataires de l’Etat qu’ils représentent. Ils sont le lien qui existe entre un Etat et ses ressortissants à l’étranger. Les Consuls, dépourvus quant à eux de ce rôle de représentation, ont pour mission principale de protéger leurs nationaux. En effet, la Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963 prévoit en son article 5 que les fonctions consulaires consistent à : « a) Protéger dans l’Etat de résidence les intérêts de l’Etat d’envoi et de ses ressortissants, personnes physiques et morales, dans les limites admises par le droit international (…) h) Sauvegarder les intérêts des ressortissants, personnes physiques et morales, de l’Etat d’envoi, dans les successions sur le territoire de l’Etat de résidence, conformément aux lois et règlements de l’Etat de résidence. »163 C’est donc l’une des missions fondamentales des Consuls que de protéger les intérêts de tout ressortissant de l’Etat d’envoi sur le territoire de l’Etat de résidence. Comme le fait remarquer le ministre des affaires étrangères français dans une réponse parlementaire à un député, le 3 août 1983, « (…) nos compatriotes, non seulement ont le droit de bénéficier de la protection diplomatique et consulaire de leurs représentations à l’étranger, mais peuvent effectivement compter sur l’appui et le soutien de ces dernières. ». 164 Pour cela, le consul dispose d’une large panoplie de moyens qui vont de l’accès facilité aux informations à l’adoption de mesures provisoires visant à la sauvegarde des droits et intérêts des ressortissants ou bien encore, en raison même de sa qualité d’officiel, à l’accès simplifié aux organes et entités gouvernementales de l’Etat de résidence. Pour exemple, un français, emprisonné au Tchad pour les activités politiques de son épouse sera libéré grâce à l’intervention conjointe de l’ambassadeur et du consul.165 De même, dans l’affaire Moumbaris, ce dernier, ressortissant australien emprisonné en Afrique du Sud, était fréquemment visité par le chef de la section consulaire de l’ambassade d’Australie à 163 Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963, in Dupuy (P.M), Grands textes du droit international public, Dalloz, 1996, pp. 44-72. 164 Réponse du ministre des affaires étrangères à Q.E D’Harcourt, in Pratique française du droit international, A.F.D.I, 1987, p. 1008. 165 Réponse du ministre des relations extérieures à Q.E Bas, in Pratique française du droit international, A.F.D.I, 1983, p. 922. 77 Pretoria.166 Toujours en Afrique du Sud, grâce à l’intervention du gouvernement helvétique et de ses représentants sur place, deux ressortissants suisses furent libérés le 28 juin 1986 de la prison dans laquelle ils avaient été arbitrairement jetés.167 Pour faciliter l’intervention consulaire et parfois régulariser les relations diplomatiques entre Etats, des Conventions consulaires bilatérales sont signées. Ce fût le cas de la Convention consulaire francovietnamienne du 21 décembre 1981, au terme de laquelle est notamment défini le rôle et les fonctions du personnel consulaire en poste à Ho Chi Minh-Ville, à l’égard des ressortissants français et du gouvernement d’Hanoi.168 De même, il y a quelques jours, Londres a annoncé que tout allait être mis en œuvre pour assister par voie consulaire, aider, voire rapatrié, les ressortissants britanniques installés au Zimbabwe, victimes des grandes lois agraires de redistribution des terres ordonnées par le gouvernement de Harare. Dans le cadre de la jurisprudence internationale, dans l’affaire Lagrand169, l’Allemagne invoquait une violation de la Convention de Vienne de 1963170 qui, en son article 36, prévoit l’obligation d’informer un détenu de son droit à l’assistance consulaire. En l’espèce, les frères Lagrand n’avaient pas bénéficié de ce droit, ou du moins en avaient bénéficié prés de douze ans après leur arrestation. L’Allemagne avance l’argument selon lequel, en n’informant pas les frères Lagrand de leur droit à l’assistance consulaire, les Etats-Unis ont violé la Convention de Vienne en l’empêchant d’exercer un droit qui lui est conféré par l’article 36. Le grand intérêt de cet arrêt réside dans le fait que la Cour a jugé, d’une part que Washington a effectivement violé les dispositions de l’article 36, puisque d’autre part, cet article confère, en ses alinéas 1 et 2 des droits individuels dont les Lagrand, et l’Allemagne, n’ont pu se prévaloir.171 Cette affaire doit logiquement être rapprochée de l’avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l’homme du 1er octobre 1999, droit d’être informé de l’assistance consulaire à la lumière des garanties d’un procès équitable. Le problème dans cette affaire était de savoir si l’article 36 de la Convention de Vienne concernait la protection des droits de l’homme. Pour la Cour, cette disposition crée des droits subjectifs pour un 166 Réponse du ministre des affaires étrangères à Q.E David, in Pratique française du droit international, A.F.D.I, 1978, p. 1149. 167 Rousseau (C.), Chronique des faits internationaux, R.G.D.I.P, 1987, pp. 85-86. 168 Ibid, R.G.D.I.P, 1982, pp. 588-589. 169 Op cit… 170 Op cit, p. 58. 171 « Compte tenu du libellé de ces dispositions, la Cour conclut que le paragraphe 1 de l’article 36 créé des droits individuels qui, (…) peuvent être invoqués devant la Cour par l’Etat dont la personne détenue a la nationalité », § 77. « (…) par voie de conséquence, les droits visés au paragraphe 2 désignent, non seulement les droits de l’Etat d’envoi, mais aussi ceux des personnes détenue », § 89. 78 individu détenu dans des prisons étrangères, ces droits étant « les corollaires des droits de l’Etat d’origine »172 Elle estime également que cette assistance consulaire a pour but de favoriser, en le facilitant, l’exercice des droits de la défense. Dès lors, en transcendant les règles propres à la protection diplomatique, absolument rien ne s’oppose à ce que ce droit soit considéré comme un droit de l’homme. D’un autre côté, et ce beaucoup plus fréquemment, lorsqu’un Etat veut régler un litige ayant trait à la protection diplomatique, il peut le faire en ayant recours à l’arbitrage ou au juge international. L’Etat a alors discrétionnairement la liberté de choisir entre un recours à l’arbitrage ou un recours au juge. C’est cette possibilité qu’essaye d’imposer en quelque sorte le droit international aux Etats, vu le développement croissant des clauses compromissoires intégrées dans les Traités, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux. Comme le remarque Mme Bastid, ce procédé du recours à une juridiction est « le procédé d’exercice de la protection diplomatique qui est le plus évolué ». 173 Comme en droit international l’individu n’a pas la possibilité de faire entendre sa cause, de manière autonome, devant une juridiction, l’Etat interviendra à sa place en prenant fait et cause pour lui. Preuve en est les affaires qui sont soumises à la Cour internationale de justice, au nom de la protection diplomatique, au titre de l’article 34 du Statut de la Cour.174 Dans ces cas précis, les affaires de protection diplomatique prendront la forme d’une mise en jeu de la responsabilité internationale de l’Etat pour violation des obligations internationales propres au respect des droits des étrangers. II. protection diplomatique et souveraineté étatique. La protection diplomatique, nous venons de le voir, a longtemps pris la forme d’interventions coercitives et militaires sur le territoire d’un Etat étranger. Même s’il est vrai que la prohibition de recours à la force a entraîné la disparition des interventions diplomatiques coercitives, il n’en demeure pas moins que l’action consulaire, ainsi que le 172 Weckel (P.), Chronique de jurisprudence internationale, Avis consultatif du 1er octobre 1999, R.G.D.I.P, 2000, vol 2, p. 788 et s. 173 Bastid (S.), op cit, p. 575. 174 Ainsi, parmi les affaires ayant trait à la protection diplomatique des individus on peut citer les cas Nottebohm ou Lagrand. La Cour a eu aussi à connaître de cas concernant les personnes morales comme les affaires Barcelona Traction ou ELSI. De même, la Cour permanente s’est intéressée à des cas de la sorte. Outre l’affaire bien connue Mavromatis, la protection diplomatique des individus a été abordée dans des espèces telles notamment le cas des réclamations hongroises Pajzs, Csaky, Esterhazy. 79 recours à un mode de règlement juridictionnel du différend constitue une intervention étatique dans l’ordre interne d’un Etat étranger. Dès lors, intervention diplomatique et souveraineté étatique sont liées et ne font souvent pas bon ménage. En prenant fait et cause pour un individu, un Etat va nécessairement intervenir en sa faveur et ce contre un autre Etat, portant ainsi atteinte à la souveraineté de l’Etat auteur du dommage. La protection diplomatique constitue alors une véritable ingérence dans l’ordre interne d’un Etat. Est-elle licite ? ( A.) Dans l’affirmative, existe-t-il des cas particuliers d’ingérences et de protection qui seraient autorisés en droit international ? ( B ). A. La protection diplomatique : une ingérence licite dans les affaires internes d’un Etat ? Il est utile de se poser cette question de la licéité de l’ingérence étatique pour tenter de justifier, une dernière fois, la légitimité de l’action diplomatique d’un Etat. En effet, au nom de la sauvegarde des intérêts de nationaux, il apparaît que la protection diplomatique est une intervention plus que nécessaire dans les affaires internes d’un Etat (1), et qu’en somme elle est une ingérence admise et reconnue (2). 1. La protection diplomatique : une ingérence dans les affaires internes d’un Etat. Dans les relations inter-étatiques, la non-ingérence dans les affaires internes d’un Etat est amplement consacrée par le droit positif. En effet, la Cour internationale de justice, dès 1949 dans l’affaire du Détroit de Corfou, voit en l’ingérence une manifestation d’une politique de force. 175 De son côté, l’Assemblée générale des Nations Unies, en s’inspirant des dispositions de la Charte, condamne vivement une telle pratique. L’ingérence ne peut avoir cours au nom de l’égalité souveraine des Etats. Ainsi, la Résolution 2625 du 24 octobre 1970 retient comme principe que : 175 Affaire du Détroit de Corfou (Royaume Uni c. Albanie), C.I.J, 9 avril 1949, Rec C.I.J 1949, p. 35. 80 « Aucun Etat ni groupe d’Etat n’a le droit d’intervenir, directement ou indirectement, pour quelque raison que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre Etat. »176 Aux vues de ces exemples, il ne fait aucun doute que la protection diplomatique constitue une véritable ingérence de la part d’un Etat, dans les affaires internes d’un autre Etat. En effet, bien que l’intervention militaire ne soit plus, dans ce domaine, d’actualité, force est de constater que, dans l’optique de prendre fait et cause pour l’un de ses nationaux, un Etat va inévitablement s’ingérer, de prés ou de loin, dans les affaires internes de l’Etat dont il cherche à mettre en jeu la responsabilité internationale. Le fait même pour un Etat, dans le cadre de la protection diplomatique, de rechercher la responsabilité internationale d’un autre Etat n’est-il pas la preuve, qu’à la base de la procédure, il y a eu ingérence, par appréciation du fonctionnement interne de l’Etat coupable ? En quoi y aurait-il alors ingérence ? Des cas d’interventions militaires, aux fins de la protection diplomatique, comme les « Cinquante Cinq jours de Pékin » ou la crise vénézuélienne, constituent des exemples flagrants d’ingérence dans les affaires internes de la Chine et du Venezuela. A ce titre, il n’y a qu’un pas à franchir pour employer le terme « impérialisme ». Cependant des interventions de ce type n’ont plus cours de nos jours. Or ne peut-on pas alors considérer les interventions non coercitives comme des formes d’ingérence ? Il est peut être utile ici de rappeler que certains auteurs estiment que les mots « ingérence » et « intervention » ne sont rien d’autres que de simples synonymes177 et que de ce fait l’intervention diplomatique en territoire étranger pourrait être tout simplement assimilée à de l’ingérence. Lorsque les Etats interviennent en faveur de leurs nationaux lésés, c’est que ces derniers ont vu leurs droits et prérogatives bafouées, par un acte législatif, une décision judiciaire ou administrative ou bien encore par le comportement, action ou omission, des autorités locales. L’objet même de la protection diplomatique est alors de réparer le préjudice subi en recherchant la responsabilité internationale de l’Etat, du fait de son comportement, ou plus encore, du fait de son droit interne. Vu sous cet angle, il est fort probable que l’on puisse 176 Résolution 2625 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 24 octobre 1970 : Déclaration relative aux principes de droit international touchant les relations amicales et la coopération entre Etats, conformément à la Charte des Nations Unies, in Dupuy (P.M), Les grands textes du droit international public, op cit, pp. 32-41. 177 Nguyen Quoc Dinh, op cit, p. 438. 81 y voir une véritable ingérence qui, de ce fait violerait le droit international et serait fatale à la faculté discrétionnaire de l’Etat de prendre fait et cause pour ses ressortissants. Cette théorie, que l’on pourrait qualifier de restrictive, n’a cependant été retenue que par un nombre restreints d’Etats, pour qui le recours à la protection diplomatique était un moyen de porter atteinte à leurs intérêts politico-économiques. Cela permet-il de justifier, dans certains Etats, la multiplication des clauses individuelles de renonciation à la protection diplomatique ? C’est probable, mais nous étudierons ce point ultérieurement. 2. La protection diplomatique : une ingérence licite, admise et reconnue. En tant que telle, la protection diplomatique constitue une ingérence, puisqu’un Etat intervient et met en jeu la responsabilité d’un autre Etat, en raison souvent d’une défaillance de son droit interne qui a causé préjudice à ses nationaux . Mais cette ingérence est licite et reconnue en droit international, du moins dans sa forme non coercitive. En effet, la licéité de cette ingérence repose sur plusieurs éléments que nous nous proposons d’analyser. Tout d’abord, il n’est pas vain de rappeler que l’Institution de la protection diplomatique trouve son origine dans le droit international coutumier. De ce fait, on peut estimer que ses règles sont universelles, du moins générales. Or que penser d’une ingérence prévue en droit international et de surcroît qui impose ses règles à tous les Etats ? On peut, et à juste titre estimer qu’elle est toute à fait licite. Son caractère coutumier en fait donc une institution commune à tous les Etats, « une preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit », 178 et non une intervention prohibée par le droit. Ainsi, comme le reconnaît M.Pichon, ambassadeur de France à Pékin, dans une lettre adressée au Tsong-li-Yamen, le ministre impérial des affaires étrangères, « La suppression de la faculté d’intervention des gouvernements étrangers en faveur de leurs nationaux (…) est contraire aux traités et au droit international ». 179 Ensuite, pour prouver que la protection diplomatique constitue tout, sauf une ingérence illicite, l’on peut se baser sur la doctrine reconnue selon laquelle, en prenant fait en 178 Article 38 du Statut de la Cour internationale de justice, in www.legifrance.gouv.fr 82 prenant fait et cause pour un de ses ressortissants, l’Etat fait valoir son droit propre. Il est, nous l’avons vu, reconnu que l’Etat, par le biais de l’endossement, fait du préjudice individuel un préjudice étatique. Par fiction, l’Etat est réputé avoir été la victime directe de ce dommage. Dès lors, il semble logique qu’il en demande réparation. Ce sera donc par le biais de l’intervention diplomatique que réparation pourra être obtenue. En effet ici la protection diplomatique ne sera pas considéré comme une atteinte portée à la souveraineté étatique de l’Etat responsable, mais sera considérée comme le préalable nécessaire à toute mise en jeu de la responsabilité internationale de cet Etat, pour violation, du fait de son comportement interne, des droits de l’individu, des Etats et du droit international. Enfin, et pour confirmer ce dernier point, l’ingérence-intervention, se justifie par une violation des règles du droit international relatif au statut des étrangers. De manière générale, « le droit international tend, dans une mesure appréciable, à imposer le principe de l’égalité de traitement »180. Ainsi, sur le territoire d’un Etat, les étrangers sont soumis aux mêmes obligations que les nationaux, bénéficiant des mêmes droits et avantages dans tous les domaines. Au nom de l’égalité de traitement, il est interdit aux Etats de mettre en place un régime de faveur ou à contrario un régime discriminatoire, à l’encontre des étrangers. Ceci constituerait évidemment une violation du droit international. Si les Etats interviennent diplomatiquement en faveur de leurs ressortissants, c’est essentiellement en raison de la violation de ces règles du droit international propres au statut des étrangers. Les droits les plus fréquemment violés sont ceux ayant trait à la propriété privée. La sauvegarde de ces droits a donné lieu à de nombreuses jurisprudences, surtout arbitrales. En effet, lorsque le droit de propriété est concédé à un étranger, sa jouissance doit être protégée comme celle accordée à un national. A défaut, et sans justification d’utilité publique, il y aurait discrimination, au sens du droit international, ce qui légitimerait, bien évidemment, une intervention ou une ingérence, tout à fait licite, de l’Etat de nationalité dans l’ordre interne de l’Etat coupable. En conclusion, rien ne s’oppose à considérer, dans la pratique, et en fonction du droit international, que l’intervention étatique, aux fins de protection diplomatique, constitue une ingérence licite dans les affaires internes d’un Etat. 179 Kiss (A-C), op cit , Tome III, p. 451, n°818. Cavare (L.), Le droit international public positif, 3ème édition, Pedone, 1967, vol I, 806 p, notamment pp. 296et s. 180 83 B. Des cas particuliers de protection et d’ingérence. En droit international, il existe des cas tout à fait particuliers d’ingérence et de protection qui, en tant que tels, doivent être étudiés à part. Pourquoi effectuer une telle séparation ? Pour la simple raison que l’on se trouve, dans ce domaine, à la limite du droit de l’ingérence licite et de la protection diplomatique. Dans la forme, il s’agit d’ingérence licite et de protection d’individus, mais dans le fond, les conditions traditionnellement retenues font défaut : il est ici question de la protection des communautés religieuses (1) et des interventions d’humanité (2). 1. Une protection étatique spéciale en faveur des communautés religieuses. Comme l’a énoncé la Cour international de justice dans son célèbre avis consultatif, connu sous le nom d’avis « Bernadotte », la condition de la nationalité, dans le cadre de la protection diplomatique connaît des exceptions car : « (…) il existe des cas dans lesquels la protection peut être exercée par un Etat au profit de personnes qui n’ont pas sa nationalité »181 Bien que dans cette espèce, la protection soit accordée par une organisation internationale, à des étrangers, dans le cadre de leurs fonctions officielles ( ce n’est pas de la protection diplomatique mais de la protection fonctionnelle ), il arrive que dans certains cas, certes rares, l’Etat accepte de protéger diplomatiquement de individus qui ne possèdent pas sa nationalité. Dans des cas précis, la condition de nationalité n’est plus nécessaire en raison d’un lien d’allégeance particuliers existant, entre un groupement d’individus et un Etat déterminé. On est ici à la limite de la protection diplomatique puisque l’intervention de l’Etat en faveur d’individus ne sera pas conditionnée aux conditions traditionnelles de la protection diplomatique. Il en est ainsi des communautés religieuses. En effet, le Traité de Berlin de 1878 a confirmé une pratique ancestrale selon laquelle la France protégeait les communautés religieuses de rite catholique latin installées en territoire ottoman, et ce quelle que soit la 84 nationalité de ses membres. Sur cette base, la France, par l’intermédiaire de M. Paul Cambon, son ambassadeur à Constantinople, protesta contre le massacre dans la province de Marache de religieux franciscains en décembre 1895, religieux qui n’avaient pas la nationalité française. S’en suivi alors un échange de lettres entre le gouvernement français et le gouvernement impérial qui sembla tarder à réparer le préjudice. 182 Ainsi, dans le cas des communautés religieuses, on ne peut pas parler de protection diplomatique. En effet, puisque c’est la communauté dans son ensemble qui est protégée, le lien de nationalité n’est plus requis. Dans le cas précédemment cité, la Communauté franciscaine était composée de ressortissants français, mais aussi d’individus ayant d’autres nationalité. De même, les autres conditions classiques de la protection diplomatique, l’épuisement des voies de recours interne et le comportement irréprochable, que nous allons étudier par la suite, ne sont également pas nécessaires. De ce fait, peut-on véritablement parler de protection diplomatique ? Cela semble envisageable, bien que le terme de « protectorat étatique » soit peut être plus adapté à la situation. Concernant la justification de cette intervention, un Etat s’inquiètera du sort d’une communauté religieuse, d’une part pour des raisons élémentaires d’humanité, mais surtout en raison d’obligations internationales conventionnelles qui le lient en l’espèce. En fait la pratique a reconnu à chaque Etat d’intervenir en faveur de ses nationaux religieux183 mais, en vertu du traité de Berlin, il est reconnu à la France une protection générale des communautés catholiques en Orient.184 La France a donc une place importante dans le cadre de cette protection, puisqu’elle exerce un véritable protectorat religieux, qui s’étend à « la tutelle des sanctuaires [ainsi qu’à] la protection du clergé latin, séculier ou régulier dans ses rapports avec le Gouvernement ottoman ».185 Cette prérogative reconnue à la France est fort ancienne. Est-elle toujours d’actualité ? Il semblerait que non, bien qu’il n’appartienne qu’à la France de la ressusciter et certainement de la réactualiser. 181 Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, A.C, 11 avril 1949, Rec CIJ, 1949, p. 181. Kiss (A.C.), op cit…p. 474 et s. 183 Voir par exemple l’Annexe I de l’aide mémoire de l’ambassade de France à Rome au ministère des Affaires étrangères d’Italie, en date du 4 avril 1905, in Kiss (A.C), op cit, tome III, p. 481. 184 Ainsi, le 14 octobre 1902, M. Delcassé, ministre français des Affaires étrangères français rappelle à M. Boppe, nouveau consul général de France à Jérusalem que : « Les fonctions qui vous sont conférées comprennent (…) une mission spéciale, celle de maintenir aux Lieux Saints la situation reconnue à nos protégés latins. C’est un des plus anciens privilèges de la France en Orient ; et lorsque le Gouvernement de la République fut convié au Congrès de Berlin, il eut soin, comme vous le savez, de stipuler qu’aucune atteint ne serait portée au statu quo dans les Lieux Saints. », in Kiss (A .C), op cit, tome III, p. 472. 182 85 2. Les interventions d’humanité. Dans certains cas, il arrive que les Etats s’ingèrent dans les affaires internes d’un autre Etat, dans un souci de protection de la population, au nom de ces fameuses et souvent indéfinissables considérations élémentaires d’humanité. Ces interventions ont pour but de sauvegarder des droits, tout en protégeant des populations étrangères. Sans qu’il soit déontologiquement possible, voire envisageable d’établir une classification hiérarchique entre Etats, qu’ils soient considérés comme civilisés ou non, « il est des excès de sauvagerie qui apparaissent intolérables à la conscience des peuples (…) formés dans le culte de la morale et du droit. »186 On peut ainsi définir l’intervention d’humanité comme celle qui « reconnaît pour un droit l’exercice du contrôle international d’un Etat sur les actes de souveraineté intérieure d’un autre Etat contraires « aux lois de l’humanité » et qui prétend en organiser juridiquement le fonctionnement »187 Cette théorie, qui trouve son origine dans ce que la doctrine classique a appelé la question du Levant, est basée sur un lien de solidarité entre les peuples. La fameuse raison d’humanité intervient pour protéger les populations dans des droits qui, à l’époque, n’avaient pas encore pris le nom de droits de l’homme. Dans ce cas, « L’Etat agit dans l’intérêt de la communauté internationale ».188 Peut-on considérer l’intervention d’humanité comme une variante de la protection diplomatique des individus ? A priori cela semble difficile. Bien que les Etat décident d’intervenir discrétionnairement en faveur d’un population, il n’en demeure pas moins que cet aspect de l’intervention est le seul qui soit commun avec l’a protection diplomatique. En effet, il est évident que la condition fondamentale de nationalité fait défaut. Font également cruellement défaut les autres condition traditionnelles de la protection diplomatique propres au comportement de l’individu. De même, comment considérer une pratique qui, pendant des siècles s’est traduite par des actions militaires coercitives, alors même que le recours à la force est prohibé, en tant que mode de protection diplomatique ? L’un des exemples frappant portant sur les interventions d’humanité concerne la création même de l’Etat hellène. En effet, en 1827, en raison des atrocités et des barbaries commises dans la région d’Athènes par les troupes de la Porte, Londres, Paris et Saint-Pétersbourg sont intervenus militairement. Cette 185 Ibid. Rougier (A.), La théorie de l’intervention d’humanité, R.G.D.I.P, 1910, p. 468 et s. 187 Ibid, p. 472. 186 86 intervention avait pour but de rétablir l’ordre dans la région, mais surtout de sauvegarder une population mal-traitée. Ce qui différencie la protection diplomatique de l’intervention d’humanité c’est que cette dernière est totalement désintéressée puisque, si les Etats interviennent, c’est au nom de la protection des intérêts de l’humanité, et non en raison d’un éventuel préjudice direct qu’ils auraient subi. En ce sens, qu’elle soit individuelle ou collective, cette faculté d’intervention appartient à tout Etat qui estime nécessaire de protéger les intérêts d’une population, et pourquoi pas de l’humanité. D’un autre côté, ce qui différencie protection diplomatique et intervention d’humanité c’est que l’une est considérée comme de l’ingérence licite et légitime, tandis que l’autre est souvent décrite comme une simple ingérence dans les affaires internes d’un Etat. En effet, même si ce type d’intervention se justifie par un souci de sauvegarde de la population, il n’en demeure pas moins que l’Etat national de cette population n’y voit rien d’autre qu’une ingérence dans ses affaires internes. Même si le Président Mitterrand légitimait la pratique en retenant que « En droit international, la non-assistance à peuple en danger (…) est une faute morale et politique(..) »189, il est claire qu’une telle ingérence ne pourrait se justifier que par une autorisation explicite du Conseil de Sécurité sur la base du Chapitre VII. Ainsi, sur cette base, grâce à une initiative française, le Conseil autorisa, en 1994, l’envoi au Rwanda de contingents internationaux, dans le but premier de protéger les groupes ethniques menacés d’extermination. A l’époque, cette opération été vue comme un engagement militaire international « (…) où il peut être fait usage de la force, mais avec un objectif uniquement humanitaire, à savoir sauver des vies humaines et mettre à l’abri des enfants, des malades, des populations terrorisées ».190 Dans une optique différente, les bombardements de l’OTAN au Kosovo le 24 mars 1999, étaient présentés comme une intervention d’humanité visant à affaiblir les armées serbes tout en protégeant la population kosovare. Le seul problème est que ce recours à la force n’a jamais été autorisé par le Conseil de Sécurité, tel qu’il l’est prévu par l’article 53 de la Charte. Mis à part le caractère discrétionnaire de l’intervention, tout sépare donc protection diplomatique et intervention d’humanité : défaut de la condition de nationalité 188 Rousseau (C.), Droit international public, Tome IV, 1979, Sirey, 771 p, dont p. 49. Toutes les autres références à Charles Rousseau concernent le Tome V de son ouvrage. 189 Discours de François Mitterrand à Mexico du 21 octobre 1981, cité in, Spiry (E.), Interventions humanitaires et interventions d’humanité : la pratique française face au droit international, R.G.D.I.P, 1998, pp. 407-433, dont p. 415. 190 Ibid, p. 430. 87 et des autres caractéristiques de l’Institution diplomatique, ingérence illicite et recours à la force armée. 88 Aux vues des développements précédents, il ne fait aucun doute que la protection diplomatique est un droit éminemment étatique. En effet, l’Institution est basée sur ce lien d’allégeance qu’est la nationalité. Seul l’Etat a la prérogative souveraine d’accorder cette nationalité. Lorsque l’Etat décide de prendre fait et cause pour un de ses nationaux, il le décide discrétionnairement, car, sans avoir besoin de rappeler la jurisprudence et la doctrine en la matière, l’Etat fait valoir son droit propre, étant donné qu’il est considéré comme la victime première du préjudice subi. Discrétionnaires sont aussi les buts et les modalités de mise en œuvre de cette protection diplomatique. En tant que tel, le droit à la protection diplomatique est un donc un droit exclusif de l’Etat souverain. Cependant, il convient de se demander à quelle place se situe l’individu dans ce contentieux. En effet, est-il besoin de rappeler que c’est l’individu lui-même qui, avant l’Etat, est la victime première du dommage ? C’est donc là tout le paradoxe qui entoure la protection diplomatique. En effet, le droit international en a fait un droit propre de l’Etat alors que, selon la logique de la victime, il conviendrait d’en faire un droit de l’individu. Bien que la place de celui-ci soit plus que problématique en droit international, il n’en demeure pas moins que, sans sa participation indirecte à l’instance, la protection diplomatique perdrait toute sa substance. De même, les développements récents du droit, tant interne qu’international, tendent à modifier, voire à améliorer le statut de l’individu. Il en découlerait alors une modification du statut de l’individu dans le cadre même de l’Institution de la protection diplomatique. Qu’en est-il alors réellement ? Peut-on alors considérer que l’Institution de la protection diplomatique a évolué d’une manière telle que l’on pourrait y voir aujourd’hui, non plus un droit de l’Etat, mais un droit de l’individu ? Dans l’affirmative, comment est reconnu et prévu ce passage d’un droit étatique à un droit subjectif ? ( PARTIE II). 89 PARTIE II : LE PARADOXE DE LA PROTECTION DIPLOMATIQUE : DROIT ABSOLU DE L’ETAT OU DROIT RESTREINT DE L’INDIVIDU ? En dépit des grandes théories classiques qui font de la protection diplomatique un droit exclusif de l’Etat, force est de constater que, l’individu est au centre de cette Institution. En effet, il n’est pas besoin de rappeler que, avant l’Etat, c’est l’individu lui même qui est victime du préjudice qui conduit à l’endossement. Dans les faits, c’est l’individu qui subit un véritable dommage dans ses droits. Reconnaître à son Etat la qualité de victime fictive semblerait donc abusif, dès lors qu’il n’a subi aucun préjudice direct. L’Institution diplomatique n’a de sens qui si le national a subi un préjudice du fait d’un Etat étranger. Pour cela, malgré la position plus qu’ambiguë de l’individu en droit international, il n’en demeure pas moins qu’il s’est vu reconnaître un certain statut lui permettant de participer, certes indirectement, à l’instance de la protection diplomatique. De par son comportement personnel, le national ne sera pas totalement exclu de la procédure, au profit des Etats ( Chapitre I ). Parallèlement, il est possible de constater que, sous bien des égards, l’on assiste à une transformation, voire une mutation, de l’Institution de la protection diplomatique. Depuis quelques temps, la place de l’individu au sein de cette Institution, semble avoir pris beaucoup plus d’ampleur. Une nouvelle approche du droit international, prenant plus en considération les intérêts particuliers, semble reconnaître à l’individu un droit subjectif à la protection diplomatique, ou du moins, un droit restreint à cette protection, sous réserve bien entendu des prérogatives étatiques. Qu’en est-il réellement ? ( Chapitre II ). 90 CHAPITRE I : La place limitée de l’individu dans le contentieux de la protection diplomatique. Faire de la protection diplomatique un droit propre de l’Etat a pour conséquence logique de poser la question de la place de l’individu, de la victime, dans ce contentieux précis. En effet, si l’Etat a vu ses droits violés et bafoués, qu’en est-il de l’individu, victime première du préjudice? On peut en effet considérer que l’individu détient une place limitée dans la protection diplomatique. Ainsi, au regard des règles coutumières propres à l’Institution diplomatique, l’individu est, pour certaines raisons que nous étudierons, exclu de la phase contentieuse de la protection diplomatique (Section 1). Cependant, et paradoxalement, l’Institution n’existerait pas sans certaines conditions procédurales qui, elles, sont liées au comportement de l’individu. ( Section 2.) 91 Section 1 : L’exclusion classique de l’individu du contentieux de la protection diplomatique. Cette exclusion de l’individu est liée à sa place en droit international. En effet, la plus grande partie de la doctrine s’accorde à reconnaître que l’individu n’est pas un sujet de droit international et qu’il ne saurait en être autrement. Cette place va alors justifier l’exclusion de l’individu du contentieux de la protection diplomatique (I) et va avoir comme conséquence qu’il ne pourra pas, du moins, tel que cela est reconnu par le droit international, renoncer à cette protection étatique (II) . I. Une exclusion justifiée par la place de l’individu en droit international. Comme nous l’avons partiellement abordé, se pose donc la question de la place de l’individu dans l’ordre juridique international (A). En fonction des réponses qui seront apportées à cette problématique, il sera possible de comprendre pourquoi et comment ce statut particuliers va justifier l’endossement étatique de la réclamation. (B) A. Individu et ordre juridique international. La solution traditionnellement retenue en droit international est que l’individu est, sur la scène internationale, totalement dépourvu de personnalité juridique internationale (1), ce qui, en un certain sens pourrait paraître plus qu’ambigu (2). 1. Une exclusion de principe : l’absence de personnalité juridique internationale. La question de la place de l’individu dans l’ordre juridique international a fait l’objet de multiples débats doctrinaux. Il est vrai que de nombreuses doctrines, traduisant une situation de fait et de droit, pourraient être citées mais un exposé non exhaustif de ces dernières pourrait paraître, malgré tout, dénoter quelques peu avec le contenu de ce travail. Il 92 est en effet rarement admis, à l’exception des théorie de Georges Scelle, que l’individu possède une personnalité juridique internationale. On peut estimer qu’une entité a la personnalité juridique internationale quand elle est reconnue comme sujet de droit international, pouvant de ce fait recourir au droit international et entretenir des relations avec d’autres sujets de droit international. C’est donc ici faire référence au débat récurrent sujet/objet du droit international. En effet, sont reconnus comme ayant la personnalité juridique international les Etats, qui sont les sujets naturels de cet ordre juridique international, et dans une certaine mesure les organisations internationales. Ces deux entités sont donc des sujets de droit international, sujets qui en tant que tels ont la possibilité d’appliquer, de créer et de se prévaloir du droit international. Dès lors, l’individu est exclu de cet ordre juridique puisqu’il n’est considéré que comme un objet du droit international. Parmi cette doctrine nombreuse et répétitive, on peut retenir le Professeur Dupuy pour qui, l’individu occupe une place « subalterne » 191 , puisqu’on ne peut le considérer comme un sujet actif du droit international. En quelque sorte, sur la plan international on pourrait, par analogie, comparer l’individu au mineur en droit interne. Tous deux voient leur existence reconnue mais sont dépourvus de droits dans leurs ordres juridiques respectifs. Il est donc évident que l’individu est d’une part dépourvu de statut propre en droit international général, et que d’autre part, selon les théories volontaristes, seule la volonté des Etats prime en droit international. A contrario, dans l’ordre juridique international il ne sera pas tenu compte de la volonté des personnes privées. Cette pratique a été confirmée en jurisprudence internationale. Ainsi, la Cour internationale de justice, dans l’affaire de L’anglo-iranian Oil Company, a retenu en substance que le droit international ne peut pas régir les actes des personnes privées. 192 De même, il a été reconnu que « selon un principe de droit international bien établi, un accord international ne peut, comme tel, créer directement des droits et des obligations pour les particuliers » 193 Il est donc claire que l’individu ne peut se voir atteindre par le droit international de la même manière que les Etats. En l’excluant du champ du droit international, l’individu est, traditionnellement ( quoi que les évolutions 191 Dupuy (P.M) ; op cit, p. 189. Affaire de l’anglo-iranian Oil Company (Royaume-Uni c. Iran), C.I.J, 22 juillet 1952, Rec C.I.J, 1952, p. 192 93. 193 Affaire de la compétence des tribunaux de Dantzig, C.P.J.I, A.C du 3 mars 1928, série B, n°15, pp. 17-18. Il en est de même dans l’affaire du filetage dans le Golfe du Saint-Laurent (France c. Canada), où il est reconnu que « les Etat signataires de l’Accord [ de pêche ] n’en sont pas moins les seuls titulaires de ces droits (…) au plan du droit international public et les seuls sujets de droit habilités à en exiger le respect au bénéfice de leurs ressortissants. » S.A, 17 juillet 1986, R.G.D.I.P, 1986, p. 713-757, dont p. 732. 93 récentes du droit international tendent à prouver le contraire, nous y reviendrons ), dépourvu de tout droit de réclamation sur la scène internationale, c’est en partie ce qui va justifier l’intervention des Etats en sa faveur par le biais se la protection diplomatique. 2. Les ambiguïtés de la solution. Ne pas reconnaître de statut en soi à l’individu peut en effet paraître, sous certains aspects, ambigu. En effet, est-il besoin de rappeler la définition communément retenue de l’Etat : un territoire, un gouvernement et une population. Sans la réunion de ces trois éléments cumulatifs, l’Etat n’existerait pas. La population, pour ne pas nous répéter est un ensemble d’individus. Par conséquent, la population constitue un des éléments essentiels et fondateurs de la formation de tout Etat. De ce fait, sans population, l’Etat n’aurait, juridiquement, pas d’existence légale. Alors pourquoi vouloir cantonner l’individu dans son rôle d’objet du droit international alors qu’il est évident qu’il prend une part essentielle à la création des Etats, sujets originaires du droit international ? Cependant, comme tout Etat est souverain et par conséquent maître de ses éléments constitutifs, cet argument ne peut être retenu. Un autre constat qui revient de plus en plus souvent réside dans le fait que, de nos jours, les individus sont de plus en plus concernés par des grands textes conventionnels internationaux. Comme l’a fait remarquer la Cour permanente dans son Avis consultatif, Compétence des tribunaux de Dantzig, « On ne saurait contester que l’objet même d’un accord international, dans l’intention des parties contractantes, puisse être l’adoption par les parties de règles déterminées créant des droits et des obligations pour les individus (…) »194 Il n’y a qu’à citer, sans rentrer dans les détails, puisque ce point sera abordé ultérieurement, le développement massif depuis une cinquantaine d’année des textes sauvegardant les droits de l’homme. Dans cette optique, ce sont les individus, et non plus les Etats qui sont destinataires premiers des normes ainsi posées. Dans le même ordre d’idées, pendant longtemps, les individus devaient passer par la canal de l’Etat pour faire entendre leur cause au plan international. Or, pour ne citer que cet exemple, de par les Accords d’Alger, les 194 Ibid. 94 particuliers ont été autorisés à faire valoir leurs droits devant le Tribunal irano-américain, juridiction internationale had hoc, en le saisissant directement. Malgré ces quelques exemples, il est évident que la pratique internationale continue à dénier une place essentielle à l’individu. Comme pour le cas qui nous intéresse, la protection diplomatique, l’Etat intervient en faisant écran entre le droit international et l’individu. Pour reprendre les mots de Georges Scelle : « Non seulement la personnalité fictive de l’Etat engloutit la personnalité réelle de l’individu, mais il résulte de cette prestidigitation que le sujet de droit originaire et effectif se trouve complètement éliminé, et le rapport juridique initial remplacé par un rapport politique »195 Cette « prestidigitation » caractérise donc bien l’Institution de la protection diplomatique des individus. B. Un statut de l’individu justifiant l’endossement étatique. Dès lors que l’individu n’a pas de statut autonome en droit international, pour que celui-ci produise des effets à l’encontre des particuliers, s’est développé la théorie dite de l’écran étatique (1.). La protection diplomatique est une des illustrations de cette théorie, et c’est sur cette base que l’on va pouvoir considérer l’écran étatique comme le corollaire de l’endossement. (2). 1. La théorie de l’écran étatique. Comme nous l’avons vu, l’individu est, dans la plupart des cas, dépourvu de qualité pour invoquer des dispositions du droit international, en raison même de sa qualité d’objet du droit international. La qualité de sujet du droit international lui est déniée essentiellement en raison du fait que l’Etat est considéré comme un écran entre l’individu et le droit international. En effet, selon cette théorie, l’individu étant une entité isolée sur la scène internationale, seul son Etat pourra faire respecter les obligations les concernant. L’Etat est ainsi considéré comme le destinataire premier de ces normes. Ainsi, la norme internationale 95 n’atteindra l’individu qu’à la condition unique que l’Etat la rende invocable par les particuliers. En quelque sorte, l’Etat s’est érigé en barrage entre la norme de droit et l’individu qui est directement concerné par celle-ci. Ce sera donc de par cette théorie que va se justifier la qualité d’objet du droit international propre à chaque personne privée. Ainsi, dans la pratique, toujours en application des préceptes volontaristes, l’Etat sera habilité à conclure Traités ou Conventions internationales contenant des engagements ou des dispositions applicables aux individus. Ne pas retenir cette théorie aurait pour conséquence de conférer à l’individu une personnalité juridique internationale. Grâce à, ou à cause de cet écran étatique, va donc se justifier la fiction de l’endossement. Dans ce cas, une fiction vient en justifier une autre. 2. L’écran étatique : corollaire justificatif de l’endossement dans le cadre de la protection diplomatique. Comme nous l’avons déjà abordé, l’endossement est un acte discrétionnaire de l’Etat. Pour ne pas revenir non plus sur les considérations établies tant par la doctrine que par la jurisprudence, en prenant fait et cause pour un individu, l’Etat fait en somme valoir son droit propre. En effet, l’Etat va intervenir en faveur de son national pour justifier sa position défaillante dans l’ordre juridique international. En ce sens, il est possible de considérer l’endossement comme une variante propre à la protection diplomatique. Le Statut de la Cour international de justice prévoit en son article 35 que « La Cour est ouverte aux Etats parties au présent Statut ». 196 Il est donc clairement et conventionnellement reconnu que seules les entités étatiques, sous réserve de l’acceptation de la compétence de la Cour, peuvent saisir le juge international. La place controversée de l’individu justifiera donc, l’intervention étatique par le biais de l’endossement. Cette limite procédurale n’empêche cependant aucunement que des affaires portant directement sur la protection diplomatique soient portées devant la Cour. Cependant, et c’est là que réside tout le problème, la notion de droit propre de l’Etat empêche de reconnaître aux individus une faculté 195 196 Scelle (G.), op cit, p 661. Statut de la Cour internationale de justice, in www.legifrance.gouv.fr. 96 de mise en œuvre immédiate de la protection diplomatique à leur profit. N’étant pas titulaires d’un droit de réclamation internationale, ils devront alors, dans le cadre de cette protection, obligatoirement passer par le canal de l’Etat pour saisir le juge international. La doctrine classique en la matière n’autorise l’individu à intervenir dans l’instance qu’en l’obligeant, au préalable à régler le litige qui l’oppose à un Etat, selon ses propres règles de droit interne. C’est seulement à ce niveau qu’il pourra intervenir. En conséquence, dès qu’il sera question de défendre ses droits, au plan international, il devra se tourner vers son Etat. On peut donc estimer que la théorie de l’écran étatique est le corollaire de l’endossement, puisque par celuici, l’Etat va faire écran, en intervenant en faveur de son national, entre la réclamation individuelle et le recours à un mode international de règlement. II. La renonciation par les individus à la protection diplomatique ou la validité discutée de la clause Calvo. Comme nous l’avons déjà abordé, une des questions essentielles du contentieux de la protection diplomatique est de savoir qui est titulaire de ce droit. Il est reconnu que le droit à la protection diplomatique appartient à l’Etat, quand bien même les intérêts en jeu sont ceux des individus. En partant de ce simple constat, certains auteurs se sont demandés si l’individu pouvait renoncer à la protection diplomatique, de son propre chef, dès lors qu’étaient en jeu ses droits propres, même si sa place sur la scène internationale est plus que floue. En d’autres termes, se demander si l’on peut renoncer à un droit qui par définition n’appartient qu’à l’Etat. Cette position a été vigoureusement défendue par un homme d’Etat argentin, Carlos Calvo, qui au 19ème siècle développa une théorie basée sur la faculté offerte à l’individu de renoncer au recours à la protection diplomatique, à partir du moment où cette faculté est prévue dans une clause d’un contrat conclu entre un Etat étranger et un individu. La paternité de cette théorie revenant à Carlos Calvo, il était logique de dénommer de telles clauses des clauses Calvo. En tant que telle la clause constitue une véritable entorse au droit de protection internationale (A.) et de ce fait a été vivement critiquée. Il n’est donc pas étonnant que la validité de telles clauses de renonciation ait été âprement discutée (B.). 97 A. Une entorse au droit de protection international. La pratique de la clause Calvo trouve son origine première dans la pratique des Etats d’Amérique latine où, pour lutter contre l’impérialisme des puissances européennes (1. ), des clauses de renonciation à la protection diplomatique ont été insérées dans de nombreux contrats, généralement de concessions, conclus entre un individu et un Etat étranger (2.). Ces clauses peuvent être considérées comme étant une véritable restriction à la protection diplomatique dans le but unique d’empêcher l’ingérence. 1. Origine de la clause Calvo. Les premières manifestations de la renonciation à la protection diplomatique eurent lieu en Europe, dans l’ancienne Turquie ottomane. Bien que cette renonciation ne soit pas encore dénommée clause Calvo, elle n’en présente pas moins des effets analogues et des similitudes. En effet, depuis le 16ème siècle, la Turquie abritait en son territoire des colonies étrangères dont la population dépendait de leur Etat de nationalité. Dans le cadre précis de l’organisation des imprimeries impériales, une loi, portant réglementation de ces imprimeries, contenait une disposition selon laquelle des étrangers désirant créer en territoire ottoman une imprimerie devaient produire une déclaration selon laquelle « ils renonçaient à tirer profit des immunités et privilèges dont bénéficiaient les étrangers »197 et de ce fait renonçaient à un éventuel recours à la protection diplomatique de leur Etat pour s’en remettre, en cas de litige, aux juridictions de la Sublime Porte. Mais les développements les plus intéressants concernant ce type de renonciation ont sans aucun doute eut lieu dans les Etats latinoaméricains. Comme l’a très bien montré le Professeur Barbéris198, on peut considérer l’Amérique latine comme une sorte de laboratoire du droit international, en partant du constat que de nombreux principes forts du droit international trouvent leur origine dans la pratique de ces Etats. Tel est le cas des clauses Calvo. En effet, après plus de trois cent ans de colonialisme ibérique et de violentes guerres d’indépendance, les Etats latino-américains, jaloux de leur 197 Ténékides (C-G), Considérations sur la clause Calvo, essai de justification du système de la nullité intégrale, R.G.D.I.P, 1936, pp. 270-284. 198 Barbéris (J-A), op cit. 98 nouveau statut souverain, se sont préoccupés d’essayer d’empêcher tout type d’ingérence dans leurs affaires internes. Depuis le 19ème siècle, l’Amérique latine a vocation à être une terre d’accueil et d’immigration européenne. Dans des pays neufs, où tout reste à construire, nombreux sont ceux qui rêvent de fortune et de gloire et s’y installent, tout en conservant leur nationalité. Une telle situation, en cas de conflits, ne peut amener qu’au recours à la protection diplomatique. Or ces Etats se méfient de cette institution qu’est la protection diplomatique. Selon une telle clause, les individus acceptent de ne pas s’en remettre à leur Etat national en cas de litige, et de régler celui-ci en ayant recours aux moyens de droit de l’Etat du for. En tant que tel, il y a une véritable renonciation aux éventuels moyens de droit international. En effet, pour comprendre l’origine et le mécanisme des clauses Calvo, il faut comprendre cette sorte de répugnance que ressentent ces Etats à l’encontre de la justice internationale. Pour cela, il faut se placer dans une double optique. Tout d’abord, les Etats latino-américains sont des Etats politiquement faibles qui ne peuvent qu’avancer l’argument de leur égalité souveraine pour se faire entendre sur la scène internationale. L’intervention en faveur d’un national, par le biais de la protection diplomatique, est considérée selon eux comme une véritable ingérence dans leurs affaires internes, ingérence conduisant parfois à de véritables abus de droit.199 Ensuite, dans le même ordre d’idée que celui de la crainte pour leur souveraineté, ces Etats ont également avancé l’argument, non négligeable, de la partialité. En effet, le recours à une juridiction internationale ne serait pas fiable, dès lors qu’ il y aurait une opposition entre un Etat économiquement et politiquement puissant et un Etat ayant un poids minime sur la scène internationale. Le recours à la protection diplomatique pourrait alors être considéré comme la marque de l’impérialisme et tout recours international serait marqué par le sceau de la partialité. Ceci explique donc que ces Etats préfèrent régler un litige avec un étranger, selon leur propre droit interne, qui selon leurs propres critères est mieux adapté et impartial, en empêchant ainsi, pour l’avenir, tout recours à la protection diplomatique. La clause Calvo est donc née de la crainte ressentie par les Etats d’Amérique latine de voir les Etats d’Europe, ou les Etats-Unis, s’ingérer dans leurs affaires internes, sous couvert de protection diplomatique. 199 Voir notamment l’intervention militaire européenne en 1902 contre le Venezuela précitée. 99 2. Contenu de la clause Calvo. La clause Calvo est considérée comme une entorse au régime de protection diplomatique puisque, comme nous l’avons vu, elle trouve son origine dans une renonciation. Comme le remarque à juste titre Georges Ténékidès, la clause Calvo revêt une forme contractuelle200. En effet, en vertu de cette clause, insérée dans un contrat, généralement un contrat de concession201, conclu entre un individu et un Etat étranger, cet individu renonce expressément aux moyens de droit international qui sont traditionnellement mis à sa disposition. Ainsi, le co-contractant investisseur s’engage à ne pas recourir à la protection diplomatique de son Etat national concernant les différends directement nés de ce contrat, et ce sans l’aval de celui-ci. Tout litige né de ce contrat sera automatiquement renvoyé aux juridictions de l’Etat concédant et en aucun cas ne fera l’objet d’un quelconque règlement international. En tant que telle, la clause peut être considérée comme « une stipulation de nonendossabilité des réclamations d’origine contractuelle ».202 La renonciation à la protection diplomatique semble délicate quant à sa nature même. En effet, il semblerait logique de constater que, en acceptant cette renonciation, les individus renonceraient à un droit qui leur est propre, puisque l’on ne peut renoncer qu’à ce que l’on possède. Or, et c’est là toute l’ambiguïté de la clause, le droit à la protection diplomatique étant reconnu comme un droit qui, en propre, appartient exclusivement à l’Etat. Reconnaître à l’individu une faculté de renonciation permettrait alors de lui reconnaître implicitement un droit à la protection diplomatique, un véritable droit subjectif. Comme le remarque Carlos Calvo : « il est certain que les étrangers qui se fixent dans un pays ont au même titre que ses nationaux droit à la protection, mais ils ne peuvent prétendre à une protection plus étendue »203 C’est sur cette base que va se justifier le recours à la clause. Ainsi, le statut d’étranger, qui doit être protégé par l’Etat d’accueil, ne peut en aucun cas être avancé pour justifier 200 Ténékidès (G.), op. cit, p. 273. Les contrats conclus sont pour la plupart des contrats de concessions comme des contrats concernant les chemins de fer, les réseaux d’eau…..Ceci s’explique par le fait logique que pour l’essentiels d’entre eux, les pays d’Amérique latine étaient dépourvus d’infrastructures de ce type et firent massivement appel à l’étranger pour la construction de tels installations. Les Etats concédaient ainsi à des personnes privées ou morales le droit de créer et de développer ces infrastructures. 202 Rousseau (C.), op cit, p. 204. 203 Calvo (C.), Le droit international théorique et pratique, Paris, 1896, tome VI, 5ème édition, p. 231. 201 100 l’octroi de privilèges et immunités qui viendraient créer une discrimination entre nationaux et étrangers. Les droits accordés aux étrangers doivent être identiques à ceux reconnus aux nationaux, et ce réciproquement. Ainsi, en matière de droits civils, la grande majorité des pays latino-américain, conscients de la composition de leur population ont préféré faire primer la loi du domicile (la loi locale), plutôt que la loi de nationalité (généralement la loi européenne). Parmi ces privilèges, on trouve bien entendu le recours à la protection étatique, par le biais de l’action diplomatique. L’égalité de traitement entre nationaux et étrangers fait que, selon cette doctrine, tout type de litige doit être réglé selon les règles du pays d’accueil, en aucun cas selon celles de l’Etat de nationalité et encore moins selon les règles du droit international. Dés lors, on peut déduire de la pratique de la Clause Calvo qu’en cas de litige, un individu ne peut recourir à son Etat national pour qu’il mette en œuvre, à son profit, la protection diplomatique. Mais en guise de corollaire, il est logique qu’un Etat, du fait de la renonciation même de son ressortissant, ne puisse pas mettre en œuvre, en sa faveur, la protection diplomatique. Vue sous cette angle, la pratique de telles clauses constitue une importante exception à deux des principes fondamentaux posés par le droit international en la matière : celui de la protection diplomatique comme droit propre de l’Etat, auquel il convient fort logiquement d’associer celui de la discrétionnarité. Il n’est alors pas étonnant que le recours à la clause Calvo ait été l’objet de vives critiques, tant en doctrine qu’en jurisprudence internationale. B. Une reconnaissance délicate de la validité de la clause Calvo. En partant du principe que le recours à la protection diplomatique est considéré comme un droit exclusif et discrétionnaire de l’Etat, il semble difficile de considérer que la renonciation à celle-ci, par le biais de la clause Calvo, en fasse un droit propre de l’individu. Se pose alors inévitablement la question de la validité de telles renonciations. Le droit international s’est penché sur la question (1.) et a semble-t-il apporté une réponse différente de celle du droit régional d’Amérique latine (2.). 101 1. Le droit international face à la validité de la Clause Calvo : entre nullité absolue et reconnaissance partielle. Comme le reconnaît Mr Lillichh, la pratique de la clause Calvo est en parfaite opposition, d’une part avec les grands principes propres à la protection diplomatique, et d’autre part avec les principes de la démocratie internationale. 204 En ce sens, une renonciation à la protection diplomatique, reconnaissant ainsi implicitement un droit de l’individu, ne constituerait rien d’autre qu’une véritable négation des règles classiques du contentieux international. De ce fait la valeur et la validité de clauses de ce genre ont été largement débattues en doctrine. Deux positions s’opposent. On peut d’abord retenir la validité de la clause en estimant, et ce à juste titre, que si un individu a la possibilité de renoncer librement à une nationalité pour en acquérir une autre, pourquoi n’aurait-il pas alors la possibilité de renoncer, également librement, aux avantages liés à la possession de cette nationalité, à savoir la protection diplomatique de son Etat. D’un autre côté une doctrine majoritaire ne reconnaît pas de validité, ou du moins très peu, à une telle renonciation. En ce sens, la pratique des Etats Unis est évocatrice puisque ceux ci estiment dès le 19ème siècle que : « Ce gouvernement ne peut admettre que ses citoyens puissent par la simple conclusion de contrats avec des puissances étrangères (…) supprimer l’obligation de celui-ci de les protéger en cas de déni de justice. »205 Concernant la validité même de la clause, trois systèmes sont en cours : celui de la validité complète, celui de la nullité restreinte et enfin celui de la nullité absolue. Le souci de rendre nulle de telles clauses s’explique par le souci des Etats de conserver un lien de juridiction avec ses nationaux et de pouvoir ainsi, le cas échéant prendre fait et cause pour eux. La doctrine est divisée quant au caractère à accorder à une telle renonciation. Certains auteurs comme Charles Rousseau lui reconnaissent certes une certaine valeur, mais au demeurant restreinte206, tandis que d’autres s’opposent catégoriquement à lui accorder une quelconque valeur.207 Le problème essentiel de la validité d’une telle clause est donc de savoir 204 « (…)supporters of the Calvo doctrine have fallen back upon the anachronistic notion of state sovereignty in their attempts to discredit diplomatic protection, contending that it is in flagrant contradiction with international democratic tendencies”, in Lillich (R-B), The diplomatic protection of national abroad: an elementary principle of international law under attack, A.J.I.L, 1975, p. 362. 205 Cité in Nguyen Quoc Dinh, Daillier (P.), Pellet (A.), Droit international public, L.G.D.J, 6ème édition, p. 778. 206 Rousseau (C.), op cit… 207 Carreau (D.), Droit international, 6ème édition ,Paris, Pedone, 1999, 676 p, et notamment pp. 461-463. 102 si en tant que telle elle est opposable à l’Etat national du ressortissant qui a souscrit pareille disposition. Le système de la nullité restreinte de la clause a été soulevé à de nombreuses occasions dans le cadre de juridictions arbitrales. Deux décisions de ce type semblent venir confirmer la validité restreinte des renonciations : la sentence de la Commission mexicoaméricaine du 31 mars 1926 rendue dans l’affaire de la North American Dredging company of Texas208 et celle de la Commission anglo-mexicaine du 15 février 1930 dans l’affaire des Chemins de fer du Mexique.209 Dans l’affaire de 1926, où il était question d’un contrat de concession passé avec le gouvernement de Mexico concernant le dragage du port de Salina Cruz, le surarbitre estime qu’il est possible de reconnaître comme valables certaines formes de renonciation, « sans admettre pour autant comme valable et légal le principe même de cette renonciation ». 210 Ainsi, selon la Commission, est valable une renonciation qui ne portera que sur des intérêts privés, ceux du co-contractant, lorsque cette renonciation portera sur des droits dérivés du contrat comme tout ce qui touche à l’exécution ou l’interprétation du contrat de concession. En revanche, sera considérée comme nulle une renonciation qui touche directement aux doits souverains de l’Etat, comme une renonciation portant sur le recours à son Etat national en cas de déni de justice ou de violation d’une règle essentielle du droit international. Ce système de la nullité restreinte a pour avantage de prendre en considération les intérêts premiers du co-contactant en lui permettant de renoncer à un droit qui, par définition appartient à l’Etat, à partir du moment où ses intérêts personnels sont en jeu. De même, la Commission analyse la clause comme une promesse obligatoire, faite par un individu, d’épuiser tous les recours internes qui lui sont offerts, en vue d’obtenir une décision définitive à laquelle il entend se soumettre. En revanche, la grande majorité de la doctrine ne reconnaît aucune valeur à la clause Calvo, encore moins aux renonciations au recours étatique qui en découlent. Cette conception peut s’expliquer assez facilement. Tout d’abord, le droit à la protection diplomatique est un droit propre de l’Etat. Reconnaître à l’individu une faculté, voire un droit, de renonciation aurait pour conséquence d’une part de violer un droit souverain et essentiel de chaque Etat et 208 Affaire de la North American Dredging Company of Texas, Commission générale des réclamations EtatUnis-Mexique, S.A 31 mars 1926, R.S.A, vol IV, pp. 26-35. 209 Mexican Union Railway, Commission de réclamation Royaume-Uni-Mexique, S.A, 21 février 1930, R.S.A, vol V, p. 115. 210 Rousseau (C.), op cit…p 207. 103 surtout d’autre part de violer un droit, dont sont internationalement reconnues l’origine et la valeur coutumière. Une telle reconnaissance aurait donc pour conséquence de faire de la protection diplomatique un droit subjectif de l’individu. Mais on doit alors se poser la même question : doit-on toujours reconnaître un tel droit, malgré la conception classique de l’Institution, dès lors que ce sont les intérêts de l’individu qui ont été violés ? Si tel était le cas, une renonciation à la protection diplomatique pourrait être retenue. Concernant le droit de prendre fait et cause pour un individu, par une telle renonciation, celui-ci pourrait être considéré comme un droit mixte et scindable et serait de ce fait en parfaite opposition avec la coutume internationale et l’Institution même de la protection diplomatique. Ainsi, au nom des intérêts souverains des Etats, il semblerait difficilement envisageable d’accorder, en droit international, une quelconque valeur à de telles renonciations, quand bien même sont directement en jeu des intérêts privés. Dans cet ordre d’idées, la Cour internationale de justice a estimé que la renonciation à la protection diplomatique consentie par le bénéficiaire de celle-ci était inopposable à l’Etat protecteur. 211 Cependant, il y a peu, la Commission du droit international s’est à son tour intéressée à la pratique de la clause Calvo. Comme le note le rapporteur spécial, M. Dugard, le projet « tend à codifier une règle coutumière d’une des principales régions du monde et à préciser les contours d’une institution qui a occupé une place de choix dans l’histoire de cette branche du droit ».212 En effet, dans son projet de codification des règles de la protection diplomatique a été prévu un article 16 qui dispose que : « 1. Toute stipulation d’un contrat conclu entre un étranger et l’Etat dans lequel il exerce ses activités selon laquelle : a) L’étranger se satisfera des recours internes ; ou b) Aucun différend né du contrat ne sera réglé par voie de réclamation internationale ; ou c) Aux fins du contrat, l’étranger sera considéré comme un national de l’Etat contractant, Vaut au regard du droit international, renonciation valable au droit de l’étranger d’invoquer la protection diplomatique à raison du contrat. Cependant, une telle stipulation n’affecte en rien le droit de l’Etat de nationalité de l’étranger d’exercer sa protection diplomatique au bénéfice de cette personne lorsque celle-ci est lésée par un fait internationalement illicite 211 Affaire de la Barcelona Traction, exceptions préliminaires, ( Belgique c. Espagne), C.I.J, 24 juillet 1964, Rec. C.I.J, 1964, p. 23. 212 Troisième rapport de la Commission du droit international sur la protection diplomatique, juillet-août 2002, p. 19, in www.un.org. 104 attribuable à l’Etat contractant ou lorsque le préjudice qu’elle a subi concerne directement son Etat de nationalité. Toute stipulation contractuelle visée au paragraphe 1 est interprétée comme une présomption en faveur de l’épuisement des recours internes avant le recours à une procédure internationale de règlement judiciaire. ».213 Ainsi, la Commission vient reconnaître la validité de la clause Calvo, au regard du droit international. L’intérêt d’un tel article est triple. Tout d’abord, il reconnaît la validité internationale de la renonciation à la protection diplomatique, ce qui est en opposition, nous l’avons vu, avec la doctrine majoritaire. Ensuite, et c’est là la plus grande avancée en la matière, il est établi un lien entre clause Calvo et épuisement des remèdes locaux, puisque une telle clause va s’entendre comme « une présomption en faveur de l’épuisement des recours internes ». En d’autres termes, cette validité ne vaudra que si elle s’analyse en une obligation à la charge des étrangers de régler le litige selon les prescriptions du droit territorial. Enfin, et pour se référer aux règles classiques de la protection diplomatique, cette reconnaissance de validité n’a aucune conséquence sur le droit souverain et discrétionnaire qu’ont les Etats à endosser une réclamation. 2. Une reconnaissance régionale de la clause Calvo ? Carlos Calvo a exposé l’idée selon laquelle si un individu subit un préjudice dans un Etat étranger, il doit recourir aux tribunaux du lieu du domicile et non à ceux de son Etat national. Ceci justifie donc l’égalité entre nationaux et étrangers. Cette conception a longtemps été un des éléments fondamentaux de la doctrine latino-américaine du droit international, au point que certains Etats ont jugé nécessaire de constitutionnaliser la pratique de la clause Calvo. Or comment rendre une pratique ou une coutume régionale plus efficiente, si ce n’est en la constitutionnalisant, lui conférant ainsi une valeur certaine ? Ainsi, le droit interne latino-américain s’est inspiré des théories de Carlos Calvo pour officialiser les cas de limitations de l’exercice de la protection diplomatique, en constitutionnalisant le droit à renonciation. Certaines Constitutions demeurent en la matière assez générales puisque, en se basant sur l’égalité existant entre étranger et nationaux, elles viennent officialiser la renonciation 105 générale à la protection diplomatique. Il en est ainsi de la Constitution du Honduras de 1982 qui prévoit en son article 33 que : « les étrangers ne pourront formuler de réclamations ni exiger une indemnisation quelconque de l’Etat que dans la forme et dans les cas où pourraient le faire les Honduriens. Ils ne pourront recourir à la voie diplomatique que dans les cas de déni de justice »214 Ce texte est assez évocateur puisqu’il ne subordonne l’exercice de la protection diplomatique qu’aux cas précis de déni de justice. Cette interdiction quasi générale à tout recours vient donc en quelque sorte officialiser la possibilité offerte aux individus de renoncer à la protection diplomatique de leur Etat national et confirmer l’obligation faite aux étrangers de se soumettre aux juridictions internes. D’autres dispositions constitutionnelles se sont beaucoup plus inspirées de la doctrine de la clause Calvo puisqu’elles contiennent l’idée que certains contrats conclus avec des étrangers devront contenir une telle clause de renonciation. L’un des exemples le plus souvent retenu en la matière demeure la Constitution mexicaine de 1917. Bien que ce texte ne soit plus d’actualité, il contenait en son article 27 une disposition selon laquelle des étrangers ne pouvaient acquérir de terres ou des concessions minières et hydraulique que s’ils s’engageaient officiellement à se considérer comme des sujets mexicains concernant la propriété de ces biens et que de ce fait ils s’en remettaient, en cas de litige, aux autorités mexicaines et non à leur Etat national. Dans le même ordre d’idée, un décret colombien de 1983 prévoit en son article 74 que les contrats publics conclu avec des étrangers doivent obligatoirement contenir une clause de renonciation à la protection diplomatique, du genre clause Calvo. 215 De par ces quelques exemples, il semblerait que certains Etats latino-américains, en imposant constitutionnellement aux individus une renonciation à la protection diplomatique leur reconnaissent, implicitement, un droit subjectif à la protection diplomatique, puisque se voir imposer pareille obligation de renonciation n’aurait effectivement de sens que si, et 213 Ibid. Barbéris (J-A), op cit…p. 201. 215 Ibid, p. 202. Les dispositions constitutionnelles pertinentes étant relativement difficiles à trouver, il convient de se référer en la matière au cours du Professeur Barbéris relatif au droit international en Amérique latine. 214 106 seulement si, ce droit appartenait en propre aux individus.216 En tant que telle se pose malgré tout le problème de la validité et de la conformité de pareilles dispositions constitutionnelles avec le droit international.217 Y aurait-il cristallisation d’une coutume à partir du moment où une poignet d’Etats reconnaît une certaine validité à ces renonciations ? On peut penser qu’une coutume régionale serait en formation mais il semble que la pratique des Etats en la matière soit trop restreinte et parfois trop ancienne. De même, rien ne laisse penser que ces Etats aient eu véritablement l’intention de créer une telle norme. Et quand bien même, se poserait toujours l’inévitable conflit entre droit régional et droit international. 218 Il semble cependant que certains Etats, jadis promoteurs de la clause Calvo, préfèrent finalement l’abandonné. L’exemple le plus probant reste celui de l’Argentine, Etat dont Carlos Calvo fut pourtant en son temps ministre des affaires étrangères. En effet, dans un Traité conclu le 14 novembre 1991 avec les Etats Unis relatif à l’encouragement et à la protection réciproque des investissements, l’Argentine a officiellement abandonné les théories de Calvo, revenant ainsi sur une doctrine centenaire qu’elle avait pourtant contribuée à imposer dans la région.219 Section 2 : Des conditions procédurales liées au comportement de l’individu. Dans le cadre du contentieux diplomatique, même si la place de l’individu est relativement précaire, il n’en demeure pas moins qu’il est amené à jouer un rôle nonnégligeable dans l’instance. En effet, le droit international reconnaît que, pour que la protection diplomatique soit mise en œuvre en sa faveur, certaines conditions procédurales sont liées au comportement même de l’individu. Celles-ci sont obligatoires et l’exercice de l’action diplomatique est subordonné à leur existence. Il semble évident que certaines exigences procédurales liées au comportement de l’individu lui font jouer un rôle important dans l’instance internationale. Ainsi, puisque l’individu est la victime directe du préjudice, 216 Des dispositions analogues sont également présentes en droit interne équatorien, panaméen ou encore vénézuélien. 217 Ces questions de validité ont déjà été exposées précédemment. 218 Cependant, les dispositions constitutionnelles, bien qu’elles soient majoritaires en ce domaine, ne sont pas les seuls textes à prévoir une telle renonciation. Ainsi, Le Pacte andin, qui établi un marché commun entre la Bolivie, la Colombie, l’Equateur, le Pérou et le Venezuela, reconnaît, dans ses décisions, la valeur et l’intérêt des clauses Calvo. Pour plus de détails sur cette pratique régionale, il est possible de se référer au troisième rapport de la C.D.I précité. 219 Chappez (J.), Protection diplomatique, in JCL doit international, 1999, vol 4, fasc 250, pp. 29-30. 107 pour que son Etat prenne fait et cause en sa faveur, chronologiquement, la victime du préjudice doit avoir eu un comportement irréprochable (I) et doit avoir, au préalable épuiser toutes les voies de recours internes (II). I. la théorie dite des mains propres. Intimement liée au comportement de l’individu, la théorie des mains propres est l’une des conditions procédurales clef de l’endossement étatique. En effet, l’Etat ne prendra fait et cause pour son national qui si celui-ci a eu, dans l’ordre juridique interne de l’Etat responsable, un comportement irréprochable (A). A défaut, un comportement litigieux aura pour conséquence un refus de l’endossement. (B). A. La nécessité d’un comportement individuel irréprochable. La théorie des mains propres est, en tant que telle, souvent considérée comme une fiction. Au même titre que les autres fictions qui sont le fondement de la protection diplomatique, celle-ci est relativement courante dans le contentieux des réclamations internationales (1). Dans la protection diplomatique, le non-respect de cette fiction des mains propres constitue une cause d’irrecevabilité de l’endossement (2). 1. Une fiction courante dans le contentieux des réclamations internationales. Selon la théorie des mains propres, clean hands pour les juristes anglo-saxons, « La personne physique ou juridique étrangère doit avoir eu une conduite correcte envers l’Etat territorial, s’en tenant à ses lois et ne se mêlant pas de ses affaires politiques internes pour pouvoir se réclamer de la protection diplomatique de son propre Etat »220 220 Garcia-Arias (L.), La doctrine des « clean hands » en droit international public, Annuaire des anciens auditeurs de l’Académie de droit international, 1960, vol 30, pp. 14-22, cité in, Salmon (J.A), Des « mains propres » comme condition de recevabilité des réclamations internationales, A.F.D.I, 1964, pp. 225-266. 108 Dans le cadre du contentieux international, et plus spécifiquement devant la Cour internationale de justice, les Etats, lorsqu’ils présentent des exceptions préliminaires, ont fréquemment eu recours à celles fondées sur le comportement « antijuridique, immoral[e] ou inconvenant[e] »221 de l’individu qui se dit victime d’un préjudice de la part de l’Etat territorial. Les débats doctrinaux ont été nombreux en ce qui concerne le fondement et la portée de cette règle. Ainsi, le grand spécialiste de la protection diplomatique, le professeur Borchard retient que : « La protection diplomatique peut être refusée à un national ou retirée à ce dernier et une demande en sa faveur peut être rejetée ou rayée du rôle si la conduite blâmable de ce national lui a fait perdre le droit à la protection nationale »222 Dans la même optique, le Professeur Cavare estime que l’individu, se trouvant à l’étranger est tenu, voire obligé de se conformer à « une certaine attitude faite de discrétion [et] de loyauté envers l’Etat sur le territoire duquel il se trouve »223 Selon cette conception, le recours à la protection diplomatique ne pourra être envisageable qu’à la condition que cette conduite blâmable ait été involontaire. En somme, l’individu ne doit pas avoir, de par son comportement, causé le dommage dont il est la victime. Enfin, pour Charles Rousseau, « si l’étranger a droit à la légalité interne du pays où il réside, il est tenu en contrepartie de se conformer aux exigences de cette même légalité et d’en respecter les prescriptions ».224 Dans la Sentence arbitrale rendue le 5 janvier 1935 par la Commission arbitrale Canada-Etats-Unis, l’affaire dite du I’m alone225, certains auteurs ont reconnu que les arbitres ont estimé, à juste titre que, bien que le bateau canadien coulé par les gardes-côtes américains contenait un chargement illégal et frauduleux d’alcool de contrebande, il n’en demeurait pas moins que le gouvernement canadien devait être indemnisé de la perte de l’équipage. En effet, il ne pouvait être indemnisé de la perte du chargement frauduleux et du bateau, mais il avait subi un préjudice du fait de la disparition de ses nationaux. Ces derniers, en application de la théorie des mains propres et, eu égard aux faits, n’étant pas directement responsables du 221 Miaja de la Muela (A.), Le rôle de la condition des mains propres de la personne lésée dans les réclamations devant les tribunaux internationaux, Mélanges offerts à Juraj Andrassy, La Haye, Martinus Nijhoff, 1968, pp. 189-213. 222 Ann I.D.I, 1931, pp. 423-424. 223 Cavare (L.), op cit, vol I, p. 287 et s. 224 Rousseau (C.), op cit, p. 171. 225 Affaire du I’m alone, Commission des réclamations Canada-Etats-Unis, S.A, 5 janvier 1935, R.S.A, vol II, pp. 1611-1618. 109 dommage qui leur a coûté la vie. 226 Cette position est plus que discutable puisque, même s’il est reconnu que ce sont les Etats-Unis qui, les premiers, sont à l’origine directe du dommage, il est évident que les victimes n’avaient pas eu un comportement irréprochable étant donné qu’elles n’étaient pas sans savoir que la cargaison qu’elles transportaient avait une origine frauduleuse et était destinée à un trafic illégal. En ce sens, on peut estimer que, selon la théorie des mains propres, les marins canadiens étaient, en raison de leur comportement, responsables de leur dommage. Tout sera donc question d’appréciation du juge. 2. Une cause d’irrecevabilité de l’endossement. Comme nous l’avons vu, l’individu participe donc, directement, à l’instance en ayant eu un comportement irréprochable. Ce sera donc en appréciant souverainement ce comportement que l’Etat acceptera de prendre fait et cause pour son ressortissant lésé. En effet, en l’absence d’une conduite irrévérencieuse ou inconvenante envers l’Etat territorial l’Etat de nationalité pourra intervenir. Bien évidemment cet endossement reste discrétionnaire et l’Etat sera libre d’endosser ou non un réclamation d’un de ses ressortissants, quand bien même la condition des mains propres serait remplie. Ainsi, les Etats peuvent légitimement s’abstenir de prendre fait et cause pour leurs nationaux, en endossant leurs réclamations, s’ils ne les estiment pas dignes de leur appui. Malgré les débats doctrinaux en la matière, force est de constater que le non respect de la théorie des mains propres constitue à lui seul une véritable cause d’irrecevabilité de la demande. Serait donc irrecevable toute demande trouvant son origine dans un comportement individuel répréhensible. Reste donc à l’individu, lorsqu’il réside à l’étranger, s’il veut éventuellement un jour voir sa cause internationalement défendue par son Etat national, à se comporter d’une manière correcte et licite et de rester suffisamment neutre dans l’ordre juridique de l’Etat territorial. Ce sera donc uniquement à cette condition que l’individu pourra éventuellement exiger la protection de son Etat. Cette pratique restrictive est fort ancienne puisque, déjà en 1793, le premier président américain, Georges Washington déclarait que : « (…) celui des citoyens des Etats-Unis qui se rendra punissable de châtiment ou de confiscation en vertu du droit des gens en commettant, aidant ou encourageant des hostilités contre une des dites puissances (Autriche, Prusse, Sardaigne, Grande-Bretagne, Pays-Bas et France ) ou en lui transportant un 226 Delbez (L.), Les principes généraux du contentieux international, Paris, L.G.D.J, 1962, 340 p, dont p. 196-197. 110 des articles considérés comme contrebande par l’usage actuel des Nations ne recevra pas la protection des Etats-Unis contre cette punition ou confiscation. »227 Déjà à cette époque, et les exemples de ce genre sont nombreux, le non respect de la théorie des mains propres entraînait le refus discrétionnaire d’endossement. A contrario, cette Proclamation constitue la confirmation de la nécessité que les individus ont de devoir se comporter convenablement, s’ils souhaitent se voir diplomatiquement protégés par leur Etat de nationalité. Pour une grande partie de la doctrine internationaliste, la conduite blâmable et illicite de l’individu pourra alors être analysée comme une véritable cause d’exonération de la responsabilité internationale de l’Etat territorial.228 Il semble alors qu’une telle conduite doive être considérée comme une cause de non-endossement ou encore plus comme une justification du rejet de la réclamation par le juge international. Toute la difficulté sera alors de préciser ce que l’on entend par conduite blâmable. En somme, face à cette pratique, l’Etat pourra discrétionnairement choisir de refuser l’endossement et le juge international pourra y voir, soit une cause d’exonération de la responsabilité internationale de l’Etat territorial, soit une cause d’irrecevabilité de la requête. C’est certainement ce dernier aspect qui a été le plus fréquemment retenu. Une telle position est tout à fait discutable puisque, est-il besoin de rappeler qu’à l’origine de la demande se trouve un préjudice subi par un national ? Certes, le comportement de celui-ci doit avoir été licite, mais n’est-il pas au nombre des missions d’un Etat de devoir protéger ses ressortissants à l’étranger ? Cette condition procédurale, certes légitime, n’en demeure pas moins restrictive puisque, même en tant que victime, « son comportement peut conduire à la restriction, voire à la suppression de son droit d’agir »229 227 Proclamation de Georges Washington du 22 avril 1793portant déclaration de neutralité des Etats-Unis dans la guerre de coalition contre la France, cité in Salmon (J.), op cit, p. 223. 228 Voir par exemple Perrin (G.), Réflexions sur la protection diplomatique, in Mélanges Bridel, Lausanne, Imprimeries réunies, 1968, pp. 379-411. 229 Tigroudja (H.), Contribution à l’étude du statut de la victime en droit international des droits de l’homme, thèse dact, Lille II, 2001, 627 p, et plus particulièrement p. 246. 111 B. L’étendue du comportement litigieux de l’individu empêchant l’endossement. Dans sa plaidoirie du 27 avril 1964 dans l’affaire de la Barcelona Traction, Paul Reuter reconnaissait que l’on trouve « sous l’étiquette des mots clean hands, une substance assez riche mais hétérogène et désordonnée et que la théorie des clean hands, restait à faire ».230 En effet, force est de constater que sous cette appellation se retrouvent de nombreux comportements individuels qui, en tant que tels, empêchent l’endossement. De cette manière, l’individu participera à l’instance, certes dans une optique qu’il n’a certainement pas souhaité, en se voyant refuser par son Etat une protection à laquelle il aspire, en raison de son comportement dommageable. Il est alors possible de classer celui-ci selon deux catégories, en ce qu’il y a eu violation du droit interne de l’Etat territorial (1) ou bien violation du droit international (2). 1. Un comportement individuel fautif constituant une violation du droit interne de l’Etat territorial. Il est clair que, s’il y a comportement fautif et dommageable de l’individu, empêchant l’endossement étatique, c’est essentiellement en raison d’une violation de sa part des règles et des prescription de droit interne de l’Etat de résidence. Comme il l’est facilement concevable, la notion de conduite blâmables est assez floue, étant donné qu’elle va recouvrir un nombre important de situations variées, constituant une violation du droit interne. Sera donc déclarée irrecevable, dans la grande majorité des cas, bien que des exceptions subsistent en la matière, une réclamation qui trouverait son origine dans une violation du droit interne.231 En effet, il faut partir du constat que l’étranger est tenu de se conformer et d’adapter ses activités au droit interne de l’Etat de résidence. Ce qui sera véritablement apprécié reste le degré d’incorrection et le caractère illicite de l’intervention de l’individu dans l’ordre juridique interne, puisque la violation de ce droit interne par un individu n’est pas toujours analysée comme une condition d’irrecevabilité de la demande. En effet, des demandes portant sur la protection diplomatique, 230 Salmon (J.), op cit,, p. 226. Cette théorie a été développée par Borchard. Voir notamment ses développements sur la matière dans son ouvrage classique sur la protection diplomatique, Borchard (E.M), Diplomatic protection of citizens abroad or the law of international claims, New York, The banks law publishing Co, 1916, 988 p, dont pp. 713-792. 231 112 même si elles ont été rejetées au fond, n’en ont pas moins été déclarées recevables. C’est notamment le cas de l’affaire Ben Tillet232. Le 21 août 1896, M. Tillet, syndicaliste britannique, s’est rendu à Anvers pour y faire un discours aux ouvriers des docks de la ville. Les autorités belges lui ayant interdit une telle activité, il passa outre, fut arrêté et expulsé vers l’Angleterre le lendemain. L’Angleterre protesta en estimant que la Belgique avait abusé de ses droits en expulsant son ressortissant. Face aux réticences belges pour payer l’indemnité réclamée, Londres et Bruxelles décidèrent de soumettre l’affaire à l’arbitrage. Dans cette espèce, l’arbitre a retenu que certes, l’Angleterre pouvait prendre fait et cause pour son national, mais que la Belgique était de son côté libre de fixer ses propres règles en matière d’expulsion. Ainsi, l’incarcération de Ben Tillet et son expulsion étaient motivées par le souci de protéger l’ordre public, puisque le syndicaliste avait eu un comportement plus que préjudiciable à l’encontre de la Belgique. Quand bien même, la requête britannique a été déclarée recevable, même si elle a été rejetée au fond. Dans le même ordre d’idées, l’affaire Heidsick qui opposa la France aux Etats-Unis, concernant un citoyen français accusé d’espionnage à la Nouvelle Orléans, la demande d’indemnités soulevée par la France a été rejetée au fond, bien que la demande ait été déclarée, au préalable recevable.233 Le comportement fautif de l’individu sera donc question de l’appréciation du juge ou de l’arbitre. Parmi les comportements fautifs imputables aux étrangers, l’on peut citer leur ingérence dans les affaires politiques internes, voire leur participation à des mouvements insurrectionnels ou révolutionnaires. C’est ici le cas de l’affaire Ernesto Cerruti. Ce dernier, ressortissant italien résidant en Colombie, fut accusé en 1885 d’avoir participé à un mouvement révolutionnaire. De ce fait, Bogota confisqua tous ses biens et Rome décida d’intervenir en prenant fait et cause pour son national. L’affaire fut soumise à arbitrage. Le Président des Etats-Unis, Cleveland, dans sa sentence arbitrale du 2 mars 1897, décida que la Colombie devait verser à l’Italie une indemnité qui viendrait compenser le préjudice subi par son national. Cependant, comme Cerruti avait participé aux mouvements révolutionnaires, l’indemnité versée ne fut pas complète. 234 D’un autre côté, dans l’affaire du capitaine 232 Affaire Ben Tillet ( Royaume-Uni c. Belgique ), S.A Arthur Desjardins, 26 décembre 1898, R.G.D.I.P, 1899, p. 48-61. 233 Cité in Salmon (J.), op cit, p. 245. 234 Affaire Ernesto Cerruti, ( Colombie c. Italie), S.A du Président Cleveland, 2 mars 1897, R.G.D.I.P, 1899, pp. 539-541, et R.S.A, vol XI, pp. 379-393. 113 Melville White, qui opposa le Pérou au Royaume-Uni, pour des causes identiques, l’arbitre déclara l’affaire irrecevable et mal-fondée pour violation du droit péruvien. 235 Il semblerait cependant que la conception du Professeur Borchard puisse malgré tout être retenue. En effet, accorder une indemnité, même partielle, à un individu qui a méconnu le droit interne de son Etat de résidence, ou bien rejeter une réclamation au fond, en ayant pris soin de la déclarer recevable, revient en fait à méconnaître les règles du droit international. Selon celle-ci, d’une part un étranger doit impérativement se conformer aux règles de droit interne de l’Etat territorial, et d’autre part aucun traitement différencié, ou plus favorable, ne doit lui être accordé, en droit interne, en raison même de son statut d’étranger. 2. Un comportement individuel fautif constituant une violation du droit international. Le comportement fautif de la victime justifiant un refus d’endossement par son Etat de nationalité peut également trouver son origine dans une violation du droit international, qui constituerait de graves délits. L’individu va dans ce cas violer les règles établies par les Etats imposant à leurs ressortissants de se soumettre aux obligations internationales étatiques. L’Etat a donc l’obligation de veiller que ses nationaux ne violent pas ces règles établies. Au nombre de ces violations, l’arbitre en a retenu de deux sortes : la traite d’esclaves et l’atteinte à la neutralité étatique. Il est clair que de nos jours, la pratique de la traite d’esclave par un individu constituerait évidemment une cause d’irrecevabilité de sa demande et un refus d’endossement de sa réclamation. Mais cela ne fut pas toujours le cas. En effet, lorsque l’esclavage était encore d’actualité lors de la survenance d’un préjudice, il a été jugé que la réclamation des « propriétaires » était recevable. Tel a été notamment le cas dans l’affaire de L’Entreprize où, un navire américain, chargé d’esclaves colombiens, a dû, pour des raisons techniques s’arrêter, le 1er août 1834, dans le Port britannique d’Hamilton, aux Bermudes. Sur place, les autorités sont intervenues et ont libéré les esclaves. La Commission anglo-américaine, chargée de régler des affaires analogues, estima cependant que les réclamations de 235 Salmon (J.) op cit, p. 245. 114 l’esclavagistes, ainsi que celles du propriétaire du bateau et de son assureur, endossées par les Etats-Unis, étaient recevables, du seul fait que l’esclavage « ne pouvait être contraire à la loi des nations », pour la simple raison que cette pratique inhumaine n’avait pas été totalement abolie dans certains colonies britanniques. A ce titre, aux fins de la protection diplomatique, la Commission alloua une indemnité pour le dommage « matériel » subi par le propriétaire. Cette solution, au demeurant choquante, a été reprise par la même Commission dans des affaires analogues. 236 Ainsi, il a donc été retenu que l’esclavagisme ne constituait pas une atteinte à la théorie des mains propres et pouvait donner lieu à la protection diplomatique. (Dès lors que cette pratique n’était pas universellement prohibée, ou du moins que sa prohibition n’était pas universellement reconnue, à l’époque de la commission des faits dommageables.) En revanche, l’esclavage ayant était aboli en 1848, dans l’affaire du Lawrence, la même Commission a jugé le 4 janvier 1855 la demande irrecevable au motif que « le commerce africain des esclaves étant, à l’époque de la condamnation du navire, prohibé par toutes les nations civilisées, était contraire au droit des gens ».237 On est ici face à une véritable application de la théorie des mains propres, la conduite blâmable du requérant rendant l’endossement irrecevable devant l’arbitre international. Reconnaître la recevabilité d’une telle demande reviendrait alors à reconnaître qu’un Etat accepte sciemment de donner son aval à la violation d’une règle de droit international. Un raisonnement analogue doit être apporté en ce qui concerne la violation des règles de neutralité internationale étatique. En effet, dès lors qu’un Etat s’est déclaré neutre et ne prend aucune part dans un confit étatique, la participation, directe ou indirecte, d’un de ses ressortissants à ce conflit, constitue une violation évidente de sa neutralité et aura pour conséquence un refus total, et légitime, d’endosser éventuellement sa réclamation. En ce sens, l’individu s’est compromis en remettant en cause la neutralité de son Etat et son comportement blâmable l’empêche d’obtenir son assistance diplomatique. Ainsi, la jurisprudence arbitrale a, par de nombreuses occasions, retenu l’irrecevabilité de la demande d’un individu qui avait violé la neutralité de son Etat. Ainsi, pour ne citer que cette affaire, il est possible de se référer au cas, certes ancien, mais révélateur du Capitaine Clark, dans l’affaire du Medea et du Good Return. Cette espèce avait pour fond politique la guerre qui 236 Affaire de l’Enterprize, Commission anglo-américaine de 1853-1855, S.A 15 janvier 1855, cité in Rousseau (C.), op cit, p. 174-175. 237 Affaire du Lawrence, Commission anglo-américaine de 1853-1855, S.A 4 janvier 1855, cité in Rousseau (C.), op cit, p.175. 115 opposait l’Espagne à ses colonies, notamment celles qui allaient devenir la Colombie. Dans ce conflit, les Etats-Unis s’étaient déclarés neutres, ne désirant pas s’ingérer entre les belligérants. Cela n’a pas empêché le Capitaine Clark, ressortissant américain, de participer au conflit. Son navire ayant été capturé puis détruit au cours des hostilités, il demanda, à la fin de la guerre, réparation de son préjudice. Ces demandes furent rejetées, simplement en raison du fait que sa participation a été analysée comme constituant une violation de la neutralité américaine. D’ailleurs, pour Washington, « (…) il est du devoir du gouvernement américain (…) d’affirmer que dans cette affaire, M. Clark ne se présente pas comme citoyen américain. Une partie qui demande justice doit avoir les mains propres ». 238 Dans cette affaire, il a donc été fait application de la théorie des mains propres, condition d’irrecevabilité de la requête. Il est donc évident que, à sa manière, l’individu participe à l’instance de la protection diplomatique. En effet, ce sera en fonction de son comportement qu’une réclamation pourra être endossable et déclarée recevable. Loin ici de faire de la protection diplomatique un droit éminemment subjectif, il n’en demeure pas moins que l’on peut considérer cette participation de l’individu comme constituant, en quelques sortes, une atténuation, sous réserve bien évidemment, de la faculté d’endossement discrétionnaire, de la théorie du droit propre. II. L’épuisement des voies de recours internes. L’autre condition procédurale qui, plus explicitement, fera participé l’individu à l’instance, est l’épuisement des voies de recours internes. La règle des local remedies prescrit à l’individu, en cas de litige, de trouver d’abord une solution à celui-ci dans l’ordre interne de l’Etat territorial, avant d’avoir recours à son Etat national. Il faut d’abord remarquer que, eu égard à son objet et à son fondement, la règle de l’épuisement des voies de recours est une règle générale du contentieux international. (A), et ensuite que celle-ci a été adaptée à l’Institution de la protection diplomatique (B). 238 Salmon (J.), op cit, p. 252. 116 A. Une règle générale du contentieux international. La règle de l’épuisement des voies de recours internes, bien plus que celle des mains propres, fait directement participer l’individu à l’instance. En effet, il est reconnu que l’une des règles procédurales fondamentales en matière de protection diplomatique reste celle de l’épuisement. Ainsi, il appartiendra à l’individu d’épuiser tous les recours internes possibles pour que, s’il n’obtient pas satisfaction, son Etat puisse prendre fait et cause en sa faveur. La règle est donc fondamentale puisqu’elle va subordonner l’instance au comportement de l’individu, en droit interne, devant les juridictions internes. En fait, cette règle d’origine coutumière (1) a pour but de respecter la souveraineté étatique (2). 1. Une règle coutumière du droit international. Il est admis en droit international que, lorsque le préjudice a été causé à un individu, ce dernier doit chercher à obtenir réparation auprès des juridictions de l’Etat présumé responsable, avant que la protection diplomatique de son Etat national soit éventuellement mise en œuvre. Il appartient pour cela à l’Etat réclamant de vérifier que l’individu lésé a effectivement épuisé tous les recours que lui offre le droit interne, avant de prendre fait et cause pour lui. Cette règle est retenue tant en doctrine qu’en jurisprudence. Ainsi, il a été avancé l’idée que la responsabilité internationale de l’Etat était liée à la mise en oeuvre de cette règle et que : « (…) the respondent State has availed itself of the opportunity of redressing the alleged wrong by its own means and within the framework of its own domestic legal system. “239 De même, nombreuses sont les affaires qui peuvent être citées à l’appui de cette thèse. Ainsi, dans la célèbre affaire Mavrommatis, la Cour permanente retient que « C’est un principe élémentaire du droit international que celui qui autorise l’Etat à protéger ses nationaux lésés par des actes contraires au droit international commis par un autre Etat, dont ils n’ont pu obtenir satisfaction par les voies ordinaires. »240 239 Trindade (A.A.C), Origin and historical development of the rule of exhaustion of local remedies in international law, R.B.D.I, 1976, pp. 499-527. 240 Affaire Mavrommatis, op cit, p. 12. 117 Dans son arrêt du 14 avril 1939 relatif à l’affaire de La Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, la Cour Permanente a estimé qu’un arrêt en Cassation n’était pas une voie de droit extraordinaire. Cette décision doit être considérée comme définitive, puisque la Cour de cassation bulgare est l’ordre juridique suprême. Ainsi, selon la Cour, « La règle de l’épuisement des recours internes (…) implique l’épuisement de tous recours y compris ceux devant la Cour de cassation, laquelle seule peut, soit-en cassant la sentence de la Cour d’appel –renvoyer l’affaire pour un nouvel examen, soit-en rejetant le pourvoi-rendre la sentence définitive. »241 La valeur de cette règle n’en est pas moins importante à déterminer puisque, règle générale du contentieux international, elle est reconnue comme ayant une valeur coutumière, s’imposant de ce fait aux Etats. Max Huber, dans sa Sentence arbitrale du 29 décembre 1924 dans L’affaire Ziat, Ben Kiran, reconnaît à la règle le caractère de « principe reconnu du droit international » et confirme de ce fait sa valeur coutumière. 242 Le principe a du moins été officiellement posé dans l’affaire de l’Interhandel, dans laquelle la Cour Internationale de justice a confirmé que : « La règle selon laquelle les recours internes doivent être épuisés avant qu’une procédure internationale puisse être engagée est une règle bien établie du droit international coutumier. »243 Dans le même ordre d’idée, et beaucoup plus récemment, les juges de La Haye ont confirmé le principe posé en 1959. En effet, dans l’affaire de l’Electronica Sicula du 20 juillet 1989, le principe de l’épuisement des voies de recours internes est considéré comme « un important principe du droit international coutumier ».244 L’avantage de faire d’une règle générale du contentieux international une règle coutumière, réside dans le fait, qu’en tant que telle elle est opposable aux Etats, et applicable à leurs ressortissants. Ainsi, les nationaux voulant défendre leur cause sur la scène internationale devront, impérativement, épuiser les recours internes de l’Etat de résidence. 241 Affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie (Belgique c. Bulgarie), C.P.J.I, 14 avril 1939, série A/B, n° 77, et Haggenmacher (P.), Perruchoud (R.), Dipla (H.), Répertoire des documents de la Cour de la Haye, série I, 1922-1945, Tome V, la responsabilité internationale, la guerre et la neutralité, Genève, 1989, 1636 p, dont p. 1041. 242 Affaire Ziat, Ben Kiran, (Grande-Bretagne c. Espagne), S.AMax Huber, 24 décembre 1924, in Sentence arbitrale relative aux Réclamations britanniques dans la zone espagnole du Maroc, R.S.A, vol II, pp. 729-732. 243 Affaire de l’Interhandel (Suisse c. Etats-Unis), C.I.J, 21 mars 1959, Rec C.I.J, 1959, p. 27. 244 Affaire de l’Electronica Sicula, op cit, p. 42. 118 2. Une règle tendant au respect de la souveraineté étatique. Reconnaître une obligation à la charge des individus d’épuiser les voies de recours internes de l’Etat responsable du dommage qu’ils ont subi, a pour fondement essentiel d’assurer le respect de la souveraineté de cet Etat. En effet, si cette règle existe, c’est essentiellement pour permettre à l’Etat auteur du préjudice, de le réparer selon ses propres règles juridictionnelles internes. Est-il besoin de rappeler ce que l’on sait déjà concernant la soumission des étrangers, au même titre que les nationaux, au droit interne de l’Etat de résidence ? Si un dommage a été causé dans un Etat, il est plus que logique que, du moins au stade préliminaire de la procédure, ses règles de droit interne interviennent pour le réparer. En ce sens, l’individu aura l’obligation, pour réparer le préjudice par lui subi, de se tourner vers la loi de l’Etat territorial. Les Etats nationaux auront alors pour mission de contrôler le respect de cette condition. De plus, une intervention directe de l’Etat national serait mal vue, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, et pour ne pas s’attarder sur cette dernière, l’intervention directe d’un Etat en faveur de son ressortissant, sans avoir eu recours à l’épuisement, constituerait de manière évidente, pour reprendre les mots de la Cour, une violation, « d’un grand principe du droit international coutumier ». Plus grave de conséquences serait une telle intervention qui serait analysée comme une ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat. En effet, comment admettre qu’un individu fasse appel à son Etat de nationalité pour régler un litige, alors que des moyens de droit interne sont à sa disposition ? Dans ce cas, il y aurait véritablement une ingérence de l’Etat national dans les affaires intérieures de l’Etat territorial. Le recours aux remèdes locaux a donc bien pour but de permettre un exercice plein et entier de la souveraineté de l’Etat territorial sur les individus se trouvant sur son territoire. En ce sens, on peut se rapprocher de l’opinion dissidente du juge Cordova dans l’affaire de l’Interhandel.245 245 Pour le juge dissident Cordova, la raison de l’existence de cette règle « (…) est la nécessité absolue d’harmoniser les juridictions internationale et nationale-assurant ainsi le respect dû à la juridiction souveraine des Etats. (…) L’on parvient à cette harmonie, à ce respect de la souveraineté des Etats, en accordant priorité à la juridiction des tribunaux internes de l’Etat dans les affaires où des étrangers introduisent un recours contre un acte des autorités exécutives ou législatives ». Rec C.I.J, 1959, p. 45. 119 Pour éviter ces problèmes d’ingérence et de violation de la souveraineté étatique, les Etats ont été amenés, dans leurs relations conventionnelles, à prévoir le recours à cette règle. Ainsi, l’article 5 du Traité de Genève 10 mars 1928 entre la France et les Pays-Bas concernant le règlement pacifique des différends et des conflits prévoit que : « S’il s’agit d’une contestation dont l’objet, d’après la législation intérieure de l’une des Parties, relève de la compétence des tribunaux nationaux de celle-ci, le différend ne pourra être soumis à la procédure prévue par le présent Traité qu’après jugement passé en force de chose jugée et rendu dans des délais raisonnables par l’autorité judiciaire nationale compétente »246 De même, l’Accord de coopération franco-américain du 28 juin 1948, ayant trait à l’application en France du plan Marshall prévoit en son article 10 alinéa 3 : « Il est également entendu qu’aucun des deux gouvernements ne présentera aux termes du présent article, de réclamations d’un de ses ressortissants avant que celui-ci n’ait épuisé les voies de recours qui lui sont ouvertes devant les tribunaux administratifs et judiciaires du pays où la réclamation prend naissance. »247 En application de cette règle, le Quai d’Orsay a souvent fait parvenir à ses représentants diplomatiques des instructions visant à respecter l’épuisement des voies de recours. Tel était le cas de la note du service juridique en date du 7 septembre 1934, au terme de laquelle : « Le gouvernement français ne conteste pas le principe d’après lequel, si certains de ses ressortissants se regardent comme imposés à tort par le fisc polonais, il leur appartient d’introduire un recours auprès des juridictions locales compétentes »248 B. L’adaptation de la règle à la protection diplomatique. La règle de l’épuisement des recours internes est donc une règle générale du contentieux international qui fait participer les individus victimes à l’instance. Malgré les débats qui entourent sa nature, il n’en demeure pas moins que cette règle doit être considérée comme un préalable nécessaire à la mise en œuvre de la protection diplomatique (1). Parallèlement, la Commission du droit international, dans sa mission de codification des 246 Traité d’arbitrage et de conciliation franco-hollandais du 10 mars 1928, J.O.R.F, 9 juin 1930. Accord de coopération économique entre la France et les Etats-Unis du 28 juin 1948 relatif à l’application du programme de relèvement européen, in Chappez (J.), La règle de l’épuisement des voies de recours internes, Paris, Pedone, 1972, p. 114, ou J.O.R.F, 10 juillet 1948. 248 Note du service juridique du Ministère des Affaires étrangères du 7 septembre 1934, in Kiss (C.A), tome III, op cit, p. 500. 247 120 règles du droit international coutumier, s’est intéressée aux règles de la protection diplomatique, et plus particulièrement à celle de l’épuisement des recours internes. (2). 1. Nature de la règle et protection diplomatique. L’épuisement des voies de recours internes constitue un préalable nécessaire à toute action internationale, en générale, et à la protection diplomatique en particuliers. En tant que phase préalable à toute instance et puisque sont en jeu des intérêts privés, la règle n’en retirera pas moins un caractère fondamental voire même obligatoire, aux fins de la protection diplomatique. Reste à préciser comment doivent être effectivement épuisés les recours pour permettre l’endossement étatique aux fins de la protection diplomatique. Dans ce cas, l’individu jouera un rôle fondamental puisqu’il lui reviendra, au préalable, de régler le litige en mettant tout en œuvre pour rétablir la situation, selon les moyens légaux qui lui sont accordés en droit interne de l’Etat territorial, avant tout appel à son Etat de nationalité. Toujours est-il que, pour que l’individu puisse voir sa cause défendue par son Etat national, il doit avoir respecté les conditions fixées par le droit international en matière d’épuisement. En effet, pour que l’Etat endosse, la victime doit, au préalable avoir épuisé tous les recours effectifs qui lui sont offerts par le droit interne. Par cette condition, et en reprenant le projet de Résolution de Grenade, du 20 avril 1956, de l’Institut de droit international, les voies de recours doivent être « accessibles à la personne lésée » et être « vraisemblablement efficaces et suffisantes ».249 Ensuite, il appartiendra à la victime, aux fins de la protection diplomatique, d’épuiser tous les recours juridictionnels, judiciaires ou administratifs, de droit commun ou extraordinaires, successifs qui lui sont offerts par le droit interne, afin d’obtenir une décision définitive, insusceptible de cassation. C’est en tout cas ce qui a été retenu par la Cour permanente dans l’affaire précité de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie. La victime doit alors pouvoir obtenir concrètement et effectivement la mise à néant des conséquences de son préjudice et le redressement de sa situation. En définitive, pour qu’une réclamation individuelle aux fins de la protection diplomatique soit déclarée recevable, 249 Par cette expression de recours effectifs, il faut également entendre les recours existant et suffisants. Ainsi, le projet de Résolution prévoit-il que : « lorsque la lésion de la personne ou des biens d’un étranger engage par elle-même la responsabilité de l’Etat sur le territoire duquel elle a été commise et qu’il existe, dans l’ordre juridique interne du dit Etat, des voies de recours accessibles au lésé et pas inefficaces ou insuffisantes selon toute vraisemblance, toute réclamation diplomatique ou judiciaire, appartenant du chef de la lésion, à l’Etat compétent pour protéger, doit, en principe, rester en suspens jusqu’à ce que l’usage normal des voies de recours soit épuisé (…) », in Ann I.D.I, 1956, p. 13. 121 l’individu victime doit avoir épuisé tous les recours internes, juridiques et non gracieux, effectifs, efficaces, suffisants250, existants, accessibles par elle et surtout permettant d’obtenir une décision définitive. Ce sera donc uniquement à cette condition préalable liée à la victime, que pourra être internationalisée l’affaire. Les débats doctrinaux quant à la nature même de la règle de l’épuisement des recours internes ne sont pas nouveaux, et ne sont pas prêts de cesser. En effet, les auteurs y voient soit une règle de procédure, soit une règle de fond. Pour ceux qui y voient une simple règle de procédure, l’épuisement par la victime des voies de droit interne constitue une condition de l’action internationale des Etats. Ainsi, pour des auteurs comme Jean Chappez, la règle de l’épuisement est « une exigence de procédure qui tend à maintenir la balance égale entre la souveraineté de l’Etat présumé responsable et la sauvegarde du droit international ».251 Dans cette optique, la règle va donc s’inscrire dans cadre purement procédural, « l’exigence du local redress [n’étant] que la traduction technique de l’idée que la protection diplomatique est une voie exceptionnelle ou subsidiaire par rapport aux recours de droit commun ». 252 Puisque selon cette thèse le contentieux ne pourra être lié qu’à la condition que l’épuisement par les individus ait eu lieu, il devient claire que le non épuisement des voies de recours internes doit être analysé comme une condition d’irrecevabilité de la requête. En revanche, pour les auteurs qui y voient une condition de fond, ce sera seulement, et uniquement à cette condition, à partir de la décision interne définitive, c’est à dire à l’épuisement de toutes les voies de recours, que pourra être engagée la responsabilité internationale d’un Etat. Ainsi, pour Cavare, « la règle de l’épuisement des recours internes n’est pas une simple règle de procédure(…) cette règle vise à protéger les Etats contre des réclamations mal fondées ou prématurées »253. Plus loin d’ajouter « Lorsque la responsabilité de l’Etat apparaît certaine, la règle a alors pour effet, par sa mise en œuvre, de retarder l’exercice de l’action internationale ». 254 Il est évident que pour les tenants de cette thèse, épuisement des voies de recours internes va rimer avec responsabilité internationale, mais une 250 Ainsi, comme le répond, le 17 novembre 1937, devant la Cour Permanente, le Gouvernement français au Gouvernement italien dans l’affaire des phosphates du Maroc, « La règle de l’épuisement des recours internes suppose l’existence de recours suffisants, adéquats, efficaces : rien de plus », in Kiss (A.C), Tome III, p. 491 251 Chappez (J.), op cit, Jcl droit international, p. 22. 252 Rousseau (C.), op cit, p. 158. 253 Cavare (L.), op cit, vol II, p. 433. 254 Ibid, p. 434. 122 responsabilité que l’on pourrait qualifier d’ultime car ne pouvant être engagée qu’en cas de décision juridique interne définitive. Aux vues de ces deux thèses, comment alors considérer la règle de l’épuisement des voies de recours ? Il est évident que toutes deux se valent, mais la première semble, cependant, retenir l’attention de la doctrine. En effet, à l’instar de la théorie des mains propres et peut être encore plus, il convient de considérer celle de l’épuisement comme une cause, en cas de non-respect, d’irrecevabilité de la requête. En effet, force est de constater que, cette règle est avant tout une question de procédure internationale qui oblige la victime à suivre un certain comportement en droit interne. A défaut de celui-ci, comment considérer comme valable une requête dont les conditions requises ne sont même pas respectées ? Pour apprécier la nature de cette règle, il faut alors se placer à la date du dommage et considérer la règle de l’épuisement comme la suite logique, et procédurale de celui-ci. Comme le note le Professeur Kaufmann, « dans le cas où le délit a été commis avant tout recours judiciaire, il n’est pas douteux que cet initial tort est le fait générateur du dommage et que l’épuisement des recours internes n’est qu’une condition de recevabilité ».255 Pour preuve de ces arguments, la Cour internationale de justice n’a-t-elle pas estimé que la règle de l’épuisement constituait un « des moyens de défense qui visent la recevabilité de la réclamation » ? 256 2. L’apport de la Commission du droit international. Déjà en 1958, dans son 3ème Rapport sur la Responsabilité des Etats, le Rapporteur spécial, M. Garcia Amador, avait présenté au nom de la Commission du droit international (ci-après C.D.I), un Chapitre VII directement consacré à la règle de l’épuisement. Selon l’article 15 du projet de codification, « Les réclamations internationales tendant à obtenir réparation du dommage subi par un étranger (…) sont irrecevables aussi longtemps que tous les recours que prévoit l’ordre juridique interne n’ont pas été épuisés. »257 255 Cité in Delbez (L.), op cit, p. 198. Affaire Ambatielos, op cit, p. 23. 257 ème 3 rapport sur la responsabilité des Etats, Ann C.D.I, 1958, vol II, p. 57. 256 123 La C.D.I avait ainsi intégré cette règle générale à son projet de codification des règles de responsabilité internationale des Etats.258 Comme la protection diplomatique est une réclamation internationale liée à la responsabilité des Etats, cette règle ainsi posée s’appliquait de facto à la protection diplomatique des Etats envers leurs nationaux. Il aura cependant fallu attendre 1996 pour que la thématique de la protection diplomatique, et par conséquent celle de l’épuisement des voies de recours en la matière, soit inscrite à l’ordre du jour des travaux de la Commission, en vue d’une codification générale des règles coutumières. En effet, dans le deuxième rapport sur la protection diplomatique, lors de la cinquantetroisième session de la Commission en 2001, le Rapporteur spécial, John Dugard, a présenté des développements relatifs à la règle de l’épuisement. Après avoir rappelé les précédents en la matière visant à codifier les règles coutumières ( les projets de Résolutions de l’Institut du droit international ou les Conférences de La Haye de 1930 ) la Commission, s’attelle, au travers de quatre articles, à tenter une codification des règles de l’épuisement, propres à la protection diplomatique. Ainsi, selon l’article 10 du projet de codification, il est prévu que : «1. Un Etat ne peut formuler une réclamation internationale découlant d’un préjudice causé à un de ses nationaux (…) avant que le national lésé ait, (…) épuisé tous les recours juridiques internes disponibles dans l’Etat dont il est allégué qu’il est responsable du préjudice. 2. Par « recours juridiques internes » on entend les recours ouverts de droit aux personnes physiques ou morales devant les tribunaux ou autorités judiciaires ou administratifs ordinaires et spéciaux » 259 Cet article est véritablement le plus général du projet puisqu’il pose les conditions de l’épuisement et précise la place des requérants, des victimes du préjudice, dans l’instance diplomatique, en les obligeant à épuiser les voies de recours dont ils disposent. Cet article est également suffisamment général pour imposer aux individus d’épuiser tous les recours « disponibles », c’est à dire tous ceux qui leur sont ouverts en droit interne. En tant que tel, on peut considérer ceci comme une synthèse, tant de la doctrine que de la jurisprudence internationale. La suite du projet vient confirmer le caractère étatique de la protection diplomatique puisque la règle de l’épuisement ne viendra s’appliquer que lorsque que l’Etat aura subi un préjudice par le biais de son national. La C.D.I insiste ici sur le caractère national de la réclamation. Pour qu’il y ait endossement étatique, il faut donc, qu’à l’origine de la réclamation, il y ait un préjudice direct causé à un national. Ainsi, il est prévu que : 258 Cette règle de l’épuisement sera notamment reprise dans l’article 22 du Projet de 1977, voir Ann C.D.I, 1977, vol I. 124 « Les recours internes doivent être épuisés lorsqu’une réclamation internationale (…) repose principalement sur un préjudice causé à un national (…) ».260 Enfin, les deux articles suivants font de l’épuisement des voies de recours, d’une part une condition de recevabilité de la demande, et d’autre part le corollaire de la responsabilité internationale de l’Etat. Pour cela, l’article 12 énonce que « L’épuisement des recours internes est une condition de procédure qui doit être satisfaite pour qu’un Etat puisse formuler une réclamation internationale pour le préjudice causé à un national (…) »261 tandis que l’article 13 se veut plus précis, puisque « Lorsqu’un étranger introduit une instance devant les tribunaux internes d’un Etat pour obtenir réparation à raison d’une violation du droit interne de cet Etat qui ne constitue pas un fait illicite international, l’Etat dans lequel l’instance est introduite peut voir sa responsabilité internationale engagée s’il y a déni de justice au détriment du ressortissant étranger. »262 En retenant cette position, la C.D.I vient confirmer la doctrine majoritaire qui vient faire de la règle de l’épuisement des voies de recours internes, une condition de recevabilité de la réclamation internationale, et qui constitue un préalable nécessaire à la mise en jeu de la responsabilité internationale d’un Etat. 259 Article 10 du deuxième rapport su la protection diplomatique de la C.D.I, in www.un.org. Article 11, ibid. 261 Article 12, ibid. 262 Article 13, ibid. 260 125 CHAPITRE II : Vers un droit subjectif à la protection diplomatique? Nous l’avons vu, la protection diplomatique a été conçue comme un droit subjectif d’Etat souverain. Cependant, aux vues des développements récents du droit international, il semblerait que la position des individus sur la scène internationale soit, non pas radicalement, du moins partiellement, en évolution. En effet, depuis quelques années, on assiste à une sorte de mutation du statut de l’individu qui, de plus en plus, se voit reconnaître, au plan international, des droits qui jusqu’alors ou bien n’existaient pas, ou bien étaient l’apanage exclusif des Etats. Pour ne pas revenir sur les débats récurrents, sujet ou objet du droit international, l’individu semble, par certains aspects, être de plus en plus concerné par des règles de droit internationalement posées et tendant à lui être directement applicables. Ces évolutions ont bien entendu eu des impacts sur la protection diplomatique. En effet, comment imaginer une évolution du statut international de l’individu sans admettre que les règles spécifiques à sa protection n’aient pas, elles-aussi, évolué. Ainsi, il est possible de constater que les évolutions récentes du droit international, qui ont eu des conséquences nonnégligeables sur l’Institution de la protection diplomatique, amènent à penser que l’on assisterait à la naissance d’un véritable droit subjectif à la protection diplomatique en faveur des individus. Ceci s’explique d’une part par les nouvelles pratiques constitutionnelles en la matière, ainsi que par l’apparition d’un droit à la protection diplomatique dans le cadre de l’Union européenne (Section I), mais aussi par le développement accru du droit international des droits de l’homme qui semble concurrencer l’Institution. (Section II). 126 Section 1 : Les évolutions récentes du droit de la protection diplomatique favorables aux individus. Pour défendre l’argument selon lequel on assisterait à la naissance d’un véritable droit subjectif à la protection diplomatique, droit propre à l’individu et non plus droit discrétionnaire de l’Etat, il convient de s’orienter dans deux directions radicalement opposées. Tout d’abord en étudiant certaines constitutions récentes (I) et ensuite en s’intéressant au régime en vigueur depuis 1992 dans le cadre de l’Union européenne. (II) I. Le renouveau de l’institution : l’apport des nouvelles pratiques constitutionnelles. Depuis la chute du bloc communiste, l’Europe de l’Est s’est dotée d’un florilège de constitutions novatrices et pourrait-on dire révolutionnaires, qui axent l’essentiel de leurs contenus sur la place de l’individu dans l’ordre juridique interne. Ainsi, même s’il ne faut pas généraliser cette pratique constitutionnelle uniquement à l’Europe de l’Est, certains textes sembleraient reconnaître aux individus un véritable droit subjectif à la protection diplomatique (A). Cependant peut-on en déduire aux vues des cas qui seront exposés que l’on assiste à une véritable généralisation de cette pratique ? (B) A. Vers un droit constitutionnel à la protection diplomatique ? Les constitutions adoptées ces dernières années sont assez évocatrices quant à la reconnaissance de droits nouveaux. En effet, très axées sur la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, elles présentent l’immense avantage de garantir des droits qui jusqu’à présent ne l’étaient que dans le cadre de conventions internationales. De ce fait, en parallèle avec les intérêts des Etats eux-même, elles prévoient en leur sein toute une série d’avantages inhérents à la personne humaine. En matière de protection diplomatique, certains législateurs ont estimé nécessaire d’officialiser le recours à la protection diplomatique en le constitutionnalisant, même si cette approche demeure malheureusement limitée. Il est 127 alors évident que l’on pourrait qualifier l’ensemble de ces textes de panorama constitutionnel restreint. En effet, les textes constitutionnels qui reconnaissent aux individus un droit à la protection diplomatique sont peu nombreux, pour ne pas dire extrêmement rares. Il est en effet peu fréquent de voir des constitutions évoquer directement ce problème. Pendant une période assez longue, le seul texte qui véritablement affirmait la reconnaissance d’un droit à la protection diplomatique en faveur des nationaux à l’étranger était la constitution de Weimar du 11 août 1919. A cette époque, le constituant allemand avait introduit un article 112 qui faisait du bénéfice de la protection diplomatique un véritable droit de l’individu.263 Cette disposition, teintée de nationalisme, et qui ne fut en vigueur que jusqu’en 1933, s’explique par des facteurs d’origine géopolitique. En effet, suite à la Première guerre mondiale, l’immense empire allemand des Hohenzollern s’est désagrégé. De ce fait, il y eu ce que l’on pourrait qualifier de véritable diaspora du peuple allemand à travers l’Europe centrale. De nombreux individus, allemands d’origine se sont retrouvés hors de leurs frontières, privés ainsi d’un lien de rattachement réel avec Berlin. De même, on peut tenter d’expliquer ce désir de protection de tous les nationaux allemands à l’étranger par cette sorte de philosophie étatique visant à reconnaître une certaine influence ainsi qu’une hégémonie prusso-allemande sur certaines régions européennes.264 Ce texte était à l’époque révolutionnaire en ce qu’il était invocable par tout individu, où qu’il se trouvait, sans condition, pourvu qu’il fût simplement sujet allemand. De même, il accordait une protection égale aux allemands résidant sur le territoire national ou bien à l’étranger. En tant que telle, cette disposition de la constitution de Weimar était le premier texte d’origine constitutionnelle à reconnaître aux individus un véritable droit subjectif à la protection diplomatique, droit dont tout citoyen allemand était titulaire, sans condition. Cependant ce texte est pendant longtemps resté l’unique exemple en la matière, et de toute façon il a cessé de produire le moindre effet dès la chute de l’Allemagne nazie, de par l’adoption d’une nouvelle constitution fédérale qui n’a pas jugée utile de le reprendre. 263 Ainsi, dans son texte originel, l’article 112 de la constitution de Weimar est énoncé de la sorte : « Dem Ausland gegenüber haben alle Reichsangehörigen innerond außerhalb des Reichsgebietes Anspruch auf den Schutz des Reiches“. La traduction française qui nous a été fournie par l’Ambassade de la République fédérale d’Allemagne à Paris, peut se comprendre comme telle : « Vis à vis de l’étranger, tout ressortissant du Reich a droit à la protection du Reich, au-dedans et au dehors du territoire national ». 264 Cette idéologie a connu en Allemagne des extrêmes et a conduit quelques années plus tard aux atrocités que l’on sait. 128 Il fallu attendre plus de cinquante ans pour retrouver une disposition constitutionnelle analogue. Ainsi, la constitution du Portugal du 2 avril1976, telle que révisée en 1997, prévoit en son article 14 que : « Les citoyens portugais séjournant ou résidant à l’étranger jouissent de la protection de l’Etat pour l’exercice de leurs droits. Ils sont astreints aux devoirs qui ne sont pas incompatibles avec leurs absence du pays » 265 Une telle disposition trouve son fondement premier dans le souci de protéger tout citoyen portugais se trouvant à l’étranger à partir du moment où le Portugal a connu, et connaît toujours, d’importantes vagues d’émigration. En cela on peut considérer que la constitution du Portugal s’inspire de celle de Weimar. Selon cette disposition dès lors qu’un individu se trouve dans une situation délicate à l’étranger ( déni de justice, privation de ses droits ou libertés….) il a le droit de faire appel à son gouvernement pour qu’il prenne fait et cause en sa faveur. Ce droit à la protection diplomatique, constitutionnellement reconnu, a été mis en pratique par deux textes de droit interne, un décret-loi du Ministère des Affaires étrangères du 24 février 1994 portant fonction du Ministre des Affaires étrangères et un autre décret-loi du 30 décembre 1997 portant Règlement consulaire portugais. 266 En application de l’article 14 de la constitution, l’article 2 du décret-loi de 1994 retient, au nombre des missions du ministre des Affaires étrangères, la protection des citoyens portugais à l’étranger. 267 Quant au Règlement consulaire, il énonce, toujours selon l’article 14 de la Constitution, les missions propres aux postes consulaires et permettant une protection rapide et efficace des citoyens portugais. A ce titre est mis en place, à la charge du représentant consulaire en poste à l’étranger, un devoir de secours et d’assistance nécessaire à la sauvegarde de tous les intérêts en jeu des citoyens portugais. Cependant, le texte portugais n’a été que le premier à reconnaître un tel droit à la protection. En effet, d’inspiration beaucoup plus libérales et humanistes, les nouvelles constitutions des pays de l’Est ont, pour certaines, affirmé à leur tour ce droit. Tirant les conséquences de prés de cinquante ans de communisme et de son lot d’atteintes aux libertés individuelles, elles ont reconnu à l’individu pléthore de droits fondamentaux, dont celui de la 265 Vallée (C.), Notes sur les dispositions relatives au droit international dans quelques constitutions récentes, A.F.D.I, 1979, pp. 255-280, et plus particulièrement p. 277. Même si la constitution de 1976 a été plusieurs fois modifiée, ces révisions successives n’ont jamais altéré le contenu de l’article 14. Voir en cela Grewe (C.), Oberdorff (H.), Les Constitutions des Etats de l’ Union européenne, Paris, La documentation française, 1999, 511 p 266 Ces deux décrets-lois sont reproduits en Annexes et nous ont été aimablement fournis par Mr José Guerreiro, conseiller social à l’Ambassade de Portugal à Paris. 129 protection diplomatique. Ainsi, il est prévu dans la constitution de Bulgarie du 12 juillet 1991, un article 25 § 5 selon lequel : « Les citoyens bulgares résidant à l’étranger sont sous la protection de la République de Bulgarie »268 La loi constitutionnelle lettone du 10 décembre 1991 portant droits et devoirs de l’homme et du citoyen, prévoit une disposition analogue puisque son article 7 est libellé de la sorte : « Les citoyens de la République de Lettonie jouissent de la protection de l’Etat letton à l’étranger »269 Le constituant lituanien a quant à lui cherché à constitutionnaliser à son tour ce droit de protection mais celle-ci semble être plus largement entendue puisque la protection, prévue par l’article 13, dont jouira le national s’étendra à l’extradition : « L’Etat lituanien protège ses citoyens à l’étranger. Il est interdit d’extrader un citoyen de la République de Lituanie vers un autre Etat sauf si une convention internationale dont la république de Lituanie est partie en a décidé autrement » 270 Ainsi, ce droit à la protection diplomatique demeure un droit au profit des nationaux et ne sera éventuellement remis en cause que par l’existence d’un traité d’extradition. L’article 17 de la Constitution roumaine du 21 novembre 1991 portant « Les citoyens roumains à l’étranger » s’inspire directement de l’exemple portugais puisqu’il prévoit que : « Les citoyens roumains jouissent à l’étranger de la protection de l’Etat roumain et ils sont tenus de remplir leurs obligations, exception faite de celles qui ne sont pas compatibles avec leur absence du pays »271 Enfin, dans le cadre de cette étude des dispositions constitutionnelles tendant à reconnaître un droit des individus à la protection diplomatique, il est possible de mentionner la constitution polonaise du 2 avril 1997. Ce texte prévoit une protection bien spécifique des nationaux se trouvant à l’étranger et c’est justement ce qui en fait toute l’originalité. En effet, selon son article 6 § 2 : « La République de Pologne accorde son aide aux Polonais résidant à l’étranger pour qu’ils puissent entretenir les liens avec le patrimoine national culturel »272 267 « Protecçao dos cidadaos portugueses no estrangeiro » Lesage (M. ), Constitutions d’Europe centrale, orientale et balte, Paris, La documentation française, 1995, 410 p. 269 Ibid, p. 344. 270 Ibid, p. 122. 271 Ibid, p. 178-179. 268 130 Cette approche spécifique peut être considérée comme un type de protection étatique tout à fait particulier puisque dans cette espèce la protection diplomatique prend, étymologiquement, la forme d’une véritable « aide » portée aux individus. Cette assistance est également beaucoup plus précise puisqu’elle se réfère à un domaine spécifique, celui des « liens avec le patrimoine national culturel ». Le double avantage de cette disposition est qu’elle concilie deux des aspects fondamentaux de la protection diplomatique que sont l’assistance apportée aux ressortissants et le lien de rattachement avec l’Etat national. B. Vers une généralisation de cette pratique constitutionnelle ? Aux vues des quelques exemples constitutionnels précédents, il est évident que la place de l’individu en droit international évolue, surtout en matière de protection diplomatique. Comment analyser de telles dispositions constitutionnelles ? L’on peut y voir la reconnaissance d’un droit individuel et subjectif à la protection diplomatique en droit interne (1). Parallèlement, peut-on y voir une coutume internationale en cours de formation ? (2) 1. Ordre juridique interne et reconnaissance constitutionnelle d’un droit individuel à la protection diplomatique. L’affirmation de droits propres à l’individu, pour être effective, doit être reconnue dans un ordre juridique distinct. Que cet ordre juridique soit international, régional ou national, il semble logique que, pour y être reconnus, les droits individuels doivent y être protégés. Dans le cadre de l’ordre juridique national, en d’autres termes en droit interne, certains textes constitutionnels reconnaissent aux individus un panel de droits plus étendus. Il en est ainsi, et nous venons d’en voir quelques exemples, de certaines constitutions qui reconnaissent expressément, qu’au titre des missions de l’Etat se trouve celle de protéger ses nationaux à l’étranger. Il s’agit d’un devoir de protection diplomatique à la charge des Etats qui peut, en tant que tel, être l’objet de multiples interprétations. Conférer à un individu un véritable droit à la protection diplomatique, un droit subjectif, n’aurait de sens que si cette 272 Ibid. 131 faculté est prévue en droit interne. En effet, en inscrivant une telle faculté dans la constitution, les constituants nationaux ne reconnaîtraient-ils pas, et ce explicitement, un véritable droit à la protection diplomatique en faveur des individus? Dans l’affirmative, il y aurait par conséquent un passage d’une disposition coutumière internationale à une norme de droit interne fondamentale. En guise de corollaire, il y aurait un passage d’un droit propre et exclusif de l’Etat à un droit propre et exclusif de l’individu. Pour présenter un caractère efficace, un tel droit, qui touche à la condition internationale des personnes doit être inscrit, ce qui semble logique, dans les dispositions constitutionnelles ayant trait à la nationalité. La protection des nationaux à l’étranger va ainsi acquérir une telle valeur à partir du moment où de nombreux nationaux se seront expatriés pour des raisons avant tout professionnelles. Se pose alors un véritable problème de validité. Reconnaître à un individu un tel droit à la protection diplomatique ne sera pas sans difficulté. En effet si l’Etat accepte de faire de son droit propre un droit de l’individu, il va devoir le faire valider en droit interne. Pour que ce nouveau droit individuel soit opposable, une loi ne suffit pas. La valeur de ce droit doit être supérieurement reconnue car touchant à la nationalité. A priori, seule la constitution a une valeur suffisamment suprême et fondamentale pour faire de ce droit à la protection diplomatique, d’une part un droit opposable à l’Etat et surtout un droit invocable par l’individu. Comme dans les cas de renonciation précédemment étudiés,273 l’inscription d’une telle modalité dans les textes constitutionnels les rend officiellement opposables et invocables. Dès lors, il n’y a qu’un pas à franchir pour considérer que, dans certains pays, à partir du moment où le recours à l’action diplomatique est constitutionnellement protégé, et ce en faveur des individus, il y a véritablement un passage d’un droit étatique à un droit individuel274. La valeur de ce droit ne semble alors faire aucun doute puisqu’il est inscrit dans la norme fondamentale qu’est la constitution et donc officiellement reconnu. Ce sera alors cette valeur constitutionnelle qui va conférer toute sa quintessence à ce droit. Ce droit deviendrait subjectif du seul fait de sa valeur constitutionnelle. Ces constitutions feraient alors de la protection diplomatique un droit propre de l’individu. En effet, comment expliquer, si ce 273 Voir en cela les textes constitutionnels latino-américains qui ont pour certains reconnu la validité des renonciations à la protection diplomatique. Même si dans le cas colombien cette renonciation est prévue par un décret, il convient de rappeler que ce texte présente une valeur certaine car issu de l’exécutif. 274 La valeur de telles dispositions a été débattue en doctrine. Certains auteurs tel Georges Berlia (op cit note n° 9,p. 70) reconnaissent qu’elles confèrent un véritable droit subjectif aux citoyens, tandis que d’autres tels Jean Chappez ne les considèrent pas comme étant créatrices d’un droit en faveur des individus. 132 n’est en retenant le caractère éminemment subjectif de la matière, que des Constitutions, comme celle de Roumanie, inscrivent ce droit dans leurs « dispositions communes », au même titre que ce droit fondamental, universellement reconnu en matière de droits de l’homme et propre à chaque individu, qu’est la liberté d’accès à la justice ? 275 De même, serait-il logique de consacrer un droit à la protection diplomatique au Portugal, en l’article 14 du texte fondamental, alors même que la Constitution prévoit explicitement en son article 13 un autre droit fondamental et sacré, propre à chaque individu, celui de la non-discrimination ? La place accordée à ce genre de dispositions, au sein même des textes constitutionnels, parmi les droits fondamentaux, est donc assez révélatrice de l’état d’esprit dans lequel le constituant s’est placé. Il semble qu’en inscrivant ce droit à une telle place, il lui ait accordé une valeur toute aussi importante que celle accordée aux droit fondamentaux. Il n’y aurait alors qu’un pas à franchir, pour faire de le protection diplomatique un droit de l’homme mais il serait peut être hasardeux, voire malvenu de s’y résoudre. Mis à part le fait que désormais, certaines Constitutions prévoient expressément ce droit à la protection diplomatique, il faut peut être rappelé que l’individu est la victime directe et première du préjudice subi, et qu’à ce titre réparation leur est toujours accordée. Comment alors imaginer qu’un individu, un citoyen bulgare par exemple, qui est victime, directement, d’un dommage à l’étranger, qui voit sa protection inscrite dans sa Constitution et qui, pour ce dommage obtient réparation, ne soit pas titulaire d’un véritable droit propre à la protection diplomatique ? Peut-on alors véritablement parlé de droit subjectif ? Le recours à une telle expression est ambiguë puisque malgré tout, rien ne nous indique que la jurisprudence et la doctrine reconnaissent aux individus un tel droit. Très rares sont les auteurs qui s’aventurent sur le terrain du droit subjectif.276 Faire du recours à la protection diplomatique un droit propre de l’individu, pour être valable, doit être reconnu. Reconnaître à ce droit une telle valeur irait à l’encontre des grands principes du droit international coutumier de la protection diplomatique, plongés dans un immobilisme certain depuis Vattel et le dictum de Mavrommatis. En effet, force est de constater que la protection diplomatique reste un droit discrétionnaire et 275 276 C’est nous qui le soulignons. Berlia (G.), op cit… 133 souverain de l’Etat, droit dont il est le titulaire et son ressortissant le bénéficiaire.277 Cependant, même si reconnaître à l’individu la qualité de titulaire de ce droit n’est pas à l’ordre du jour, on peut estimer qu’il bénéficie, de par ces constitutions, d’un droit restreint à la protection diplomatique, en raison même du rôle qui demeure malgré tout prépondérant de l’Etat dans l’instance. En d’autres termes, l’individu a à sa disposition une faculté à invoquer à l’encontre de son Etat ses propres dispositions constitutionnelles.278 Pour évoluer, l’Institution doit pouvoir s’adapter aux mutations du droit international et à la place grandissante de l’individu dans l’ordre juridique international. 2. La cristallisation d’une coutume ? Peut-on voir en cette reconnaissance la cristallisation d’une coutume internationale ? Selon l’article 38 du Statut de la Cour internationale de justice, la coutume internationale est « la preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit ».279 La formation d’une coutume internationale va s’appuyer sur l’ensemble des comportements et des pratiques des sujets du droit international. Pour qu’une coutume se forme, il faut d’une part qu’un acte accompli par un sujet du droit international (élément matériel) soit répété, aussi bien dans le temps que dans l’espace, et d’autre part que les Etats aient le sentiment d’être juridiquement liés par celui-ci (opinio juris). En fonction de cette définition, peut-on considérer une telle pratique reconnaissant à l’individu un droit propre à la protection diplomatique comme constituant une coutume international en formation ? A vrai dire, cela semble difficile. En effet, la pratique constitutionnelle d’une petite dizaine d’Etats ne peut, à priori, être considérée comme « la preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit ». Dans leurs relations mutuelles bilatérales, il est probable que ce droit soit reconnu, mais au plan international, les Etats n’acceptent pas de se voir dépouiller d’une de leur prérogative souveraine au nom des intérêts de l’individu. Faire de la reconnaissance d’un droit subjectif une coutume internationale en formation paraît alors hasardeux. 277 Il ne fait aucun doute que, dans l’ordre juridique des Etats qui ont inscrit un tel droit dans leur texte constitutionnel, cette reconnaissance est assurée. En revanche, au plan international, le problème est tout autre. 278 Cependant, cela ne reste qu’une faculté puisque le droit d’endosser demeure discrétionnaire. C’est justement cette discrétionnarité qui va empêcher une reconnaissance absolue de ce droit, ou bien le passage d’une faculté à un droit. 279 Op cit. 134 Il conviendrait peut être de voir en cette reconnaissance partielle d’un droit subjectif, la formation d’une coutume, non pas internationale, mais régionale. Ainsi, l’on peut considérer que cette pratique s’est répétée dans l’espace, certains pays européens, dans le temps, les Constitutions d’Europe de l’Est datent toutes de la même époque, et que ces Etats ont eu l’intention de conférer un droit à l’individu en s’inspirant du développement des droits de l’homme. Bien que ce débat n’ait jamais été tranché, encore moins abordé, il est clair cependant, que pour un Etat, le Portugal, ce droit est relayé dans un cadre politique important : l’Union européenne. En somme, même si ce droit subjectif à la protection diplomatique n’est pas reconnu en droit international, il est au moins tout aussi important et fondamental qu’il soit reconnu en droit interne. II. Protection diplomatique et Union européenne. A l’instar des Constitutions de certains Etats européens, le Traité sur l’Union européenne (ci-après le TUE), a pris conscience de la nécessité du renouveau juridique. Le TUE a été voulu par ses rédacteurs comme un texte de refonte du système communautaire. En effet, après des décennies de règne de l’Europe économique, est apparu le souhait de créer, tant à Strasbourg qu’à Bruxelles, une Europe politique, basée sur des concepts nouveaux et unionistes. Notamment, le Traité a insisté sur le rôle et la place de l’individu dans l’ordre juridique communautaire. Ainsi, il a été prévu de nouvelles dispositions propres à la protection diplomatique (A), en substituant à la notion de nationalité celle de citoyenneté européenne (B). A. Traité sur l’Union européenne et protection diplomatique. En prévoyant en son sein des dispositions propres à la protection diplomatique, le TCE (Traité instituant la Communauté européenne), tel que modifié par le TUE, a fait œuvre de modernité. En effet, force est de constater que, de par de telles dispositions conventionnelles, l’Union européenne et ses Institutions se sont attachées à prendre en compte les intérêts des ressortissants communautaires. Ceci va pouvoir expliquer l’apparition dans le Traité d’un texte portant sur la protection diplomatique des individus. (1). De même, ce nouveau droit 135 ainsi consacré se trouve réaffirmé dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2). 1. La prise en compte des intérêts des ressortissants communautaires. Le TUE a pour ambition d’instituer, dans le cadre régional de l’Europe communautaire, une véritable union politique entre Etats. Or une telle ambition doit pouvoir reposer, si elle veut être efficace, sur une base solide. On peut estimer que cette base solide, outre l’action concertée des Etats, serait le peuple européen. En effet, depuis les prémices de la construction européenne, les grands textes communautaires, ainsi que les actes des institutions, ont pris conscience de la nécessité de sauvegarder les intérêts des particuliers. Très emprunte de droits de l’homme, l’action normative et conventionnelle de la Communauté a donc fait de la sauvegarde des intérêts particuliers son cheval de bataille. A ce titre, l’article 6.2 du TUE prévoit que : « L’Union respecte les droits fondamentaux tels que garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (…) »280 Dans ce même ordre d’idée, pour faire respecter ces droits fondamentaux, est créée une citoyenneté de l’Union. Selon l’article 17 du T.C.E, « est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre ». Dans les respect des droits fondamentaux, tout ressortissant communautaire sera réputé être citoyen de l’Union. Ainsi, ces derniers jouiront, en tant que citoyens, de certains droits. A l’intérieur du territoire de l’Union, chaque citoyen bénéficiera de droits comme la liberté de circulation et de séjour281, le droit de vote et d’éligibilité282 ainsi que le droit de pétition.283 Par contre, à l’extérieur de l’Union, et ceci va plus nous intéresser, chaque citoyen va bénéficier de la protection diplomatique. Ainsi, au titre de l’article 20 du TCE, « Tout citoyen de l’Union bénéficie, sur le territoire d’un pays tiers, où l’Etat membre dont il est ressortissant n’est pas représenté, de la protection de la 280 Article 6§2 TUE ( version consolidée ), in Dubouis (L.), Gueydan (C.), Les grands textes du droit de l’Union européenne, Tome I, 6ème édition, p. 3-24. 281 Article 18 TCE ( version consolidée ), ibid, p. 24-136. 282 Article 19 TCE, ibid. 283 Article 21 TCE, ibid. 136 part des autorités diplomatiques et consulaires de tout Etat membre, dans les mêmes conditions que les nationaux de cet Etat »284 Cette disposition est capitale pour notre étude puisqu’elle est la première du genre qui va faire de la protection diplomatique un droit propre de l’individu, dans un cadre supraétatique. En prévoyant un tel article, la citoyenneté de l’Union va bénéficier d’une véritable reconnaissance au plan international. Mais nous y reviendrons plus longuement. Il faut quand même noter que cette disposition présente un côté pratique non négligeable, puisque, pour exemple, en 1997, la totalité des Etats membres de l’Union n’était, au plan international, représentée que dans cinq Etat : la Chine, les Etats-Unis, le Japon, la Russie et la Suisse. De même, dans 17 pays, seuls deux Etats membres étaient représentés.285 C’est dire alors la caractère nécessaire d’un tel texte. 2. Traité sur l’Union européenne et Charte des droits fondamentaux : une complémentarité de textes. Le TCE n’est pas le seul texte à caractère communautaire qui prévoit une telle faculté. En effet, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 prévoit en son article 46 que : « Tout citoyen de l’Union bénéficie, sur le territoire d’un pays tiers, où l’Etat membre dont il est ressortissant n’est pas représenté, de la protection de la part des autorités diplomatiques et consulaires de tout Etat membre, dans les mêmes conditions que les nationaux de cet Etat »286 Cette disposition de la Charte, rédigée à l’identique de celle du T.C.E, est importante étant donnée qu’elle est inscrite dans un texte dont on sait qu’il est directement destiné aux ressortissants communautaires, aux citoyens. En effet, il est évident qu’un tel texte s’inspire directement des droits de l’homme et plus particulièrement de la Convention européenne des droits de l’homme. En reprenant une telle disposition, la Charte fait œuvre d’humanisme 284 Article 20 TCE, ibid. 285 Rideau (J.), Droit institutionnel de l’Union européenne et des Communautés européennes, L.G.D.J, 1999, 7ème édition, 1092 p, p. 287. 286 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, in Dubouis (L.), Gueydan (C.), op cit, p. 229-240. 137 puisque, en tant que telle, elle vient combler la lacune des Traités communautaires, dont la défaillance en matière de droits individuels est parfois trop évidente. En disposant de tels articles similaires, on peut considérer que la Charte et le TCE sont deux textes complémentaires. En effet, en reprenant cet article du TCE, la Charte est venue officialiser la position selon laquelle la protection diplomatique deviendrait un droit individuel, dès lors que la qualité de citoyen serait reconnue à un ressortissant communautaire. Ainsi, pour un Etat comme le Portugal, membre des Communautés et de l’Union, même si l’article 14 de sa Constitution qui prévoit ce droit à la protection diplomatique pour ses nationaux, semble difficilement invocable en dehors de son ordre juridique interne, il semble que ses nationaux puissent se prévaloir des dispositions de l’article 20 du TCE, à partir du moment où le Portugal est partie au Traité depuis 1986. B. L’étendue de cette protection. L’intérêt d’une telle protection réside dans le fait qu’elle est beaucoup plus large que la protection diplomatique classique. En effet, le lien de rattachement traditionnel qu’est la nationalité disparaît au profit de la notion de citoyenneté. De ce fait, l’étendue de la protection s’en trouve modifier (1), de même que le rôle des Etats dans l’instance (2). 1. De la nationalité à la citoyenneté. La problématique de la nationalité dans le cadre communautaire n’est pas nouvelle. En effet, les juges de Luxembourg ont été amenés à se prononcer sur des cas de double nationalité qui, sans se rapporter à la protection diplomatique, n’en demeurent pas moins intéressants et méritent d’être soulevés. Ainsi, dans l’affaire Michelleti, à propos d’un ressortissant italo-argentin à qui l’Espagne refusait en substance de reconnaître sa nationalité argentine, la Cour a jugé que, dans le système communautaire, la nationalité d’un Etat membre (l’Italie) devait être reconnu par les autorités d’un autre Etat membre (l’Espagne).287 287 Affaire Michelleti c. Delegacion del gobierno en Cantabria, C.J.C.E, 7 juillet 1992, Rec,1992, p. I-4239 138 En tout état de cause, prévoir une protection diplomatique en faveur des citoyens de l’Union est assez lourd de conséquences. En effet, le fait de vouloir créer une Union politique entre Etat a entraîné la substitution de la notion de citoyenneté à celle de nationalité. Il est vrai qu’accorder sa protection diplomatique à des citoyens plutôt qu’à des nationaux rentre dans une conception plus large de l’Institution diplomatique puisque cette protection sera accordée, non plus à des ressortissants d’un Etat précis, mais à des membres d’une entité politique dépassant le simple cadre territorial. Le lien effectif de rattachement est donc passé d’un cadre strictement territorial à un cadre largement supra-national. Et c’est là toute l’évolution de la matière puisque, dans ce cas, sera privilégiée l’appartenance à une union d’Etat au détriment de la soumission à une souveraineté étatique. En somme, le citoyen européen va bénéficier de la part de tout Etat membre de l’Union d’une protection diplomatique et consulaire sur le territoire d’un Etat tiers à l’Union, à la seule et unique condition que son Etat de nationalité n’y soit pas représenté. Cette disposition a été mise en œuvre par une décision du Conseil du 19 décembre 1995 288 , prévoyant que tout citoyen bénéficiera de cette aide et assistance auprès de toute représentation diplomatique ou consulaire d’un Etat membre, en cas de non représentation de l’Etat national. Rentrera dans cette protection, l’assistance en cas de décès, en cas d’accident ou de maladies graves, en cas d’arrestation ou de détention, l’assistance aux victimes de violences, l’aide et le rapatriement des citoyens de l’Union européenne en difficulté. A l’heure actuelle, la procédure de protection prévue à l’article 20 du Traité n’a été mise en œuvre qu’une seule fois, dans la cadre de la protection d’une personne morale. Il s’agissait de l’affaire Odigitria, jugée par le Tribunal de première instance le 6 juillet 1995289 et par la Cour de justice des Communautés le 28 novembre 1996. 290 Dans cette espèce, il était reproché à la Commission de ne pas avoir assumé et assuré son devoir de protection diplomatique. Pour la société requérante, ce droit découlerait de la capacité juridique internationale de la Communauté. Les juges de Luxembourg reconnaissent un tel droit à la Commission mais ne retiennent pas en l’espèce la moindre carence de l’Institution. 288 Décision des représentants des gouvernements des Etats membres, réunis au sein du Conseil, du 19 décembre 1995, concernant la protection des citoyens de l’Union européenne par les représentations diplomatiques et consulaires, J.O.C.E, série L, 28 décembre 1995, n°314, p. 73-76. Cette décision sera reproduite en Annexes de ce travail. 289 Affaire Odigitria AAE c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes, T.P.I.C.E, 6 juillet 1995, Rec, 1995, p. II-2025. 290 Affaire Odigitria AAE c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes, C.J.C.E, 28 novembre 1996, Rec ,1996, p. I-6129. 139 Bien que le Traité prévoit expressément une « protection diplomatique », il semble cependant qu’il faille, dans les faits, considérer cette « protection » comme une assistance consulaire telle que prévue par la Convention de Vienne de 1963, plutôt que comme une illustration de la protection diplomatique dans le sens contentieux du terme. En effet, celle-ci reste de la compétence de l’Etat national. Au vue de la décision du Conseil précitée, le champ d’application de l’article 20 s’étend donc à une protection consulaire au sens classique du terme. 2. Un droit individuel à l’assistance consulaire dans le cadre de l’Union européenne. La reconnaissance de par l’article 20 du TCE d’une telle assistance consulaire ne constitue pas en soi une nouveauté car nombreux sont les Etat qui, en l’absence de représentation diplomatique à l’étranger, demandent à un autre Etat d’assurer cette mission auprès de ses nationaux. En revanche, ce qui est nouveau, voire même révolutionnaire, c’est que pour la première fois, à un plan supra-national, est reconnu, au profit des citoyens, un droit à la protection et à l’assistance consulaire. En effet, il est reconnu désormais qu’un Etat membre des Communautés ne pourra, refuser d’accorder son aide et son soutien à un ressortissant d’un autre Etat membre, à moins de remettre en cause de ce fait la validité de la norme conventionnelle. En d’autres termes, les Etats ont l’obligation d’accorder cette assistance dès lors qu’elle leur a été demandée. A la différence des cas constitutionnels évoqués précédemment, il est clairement annoncé ici que les citoyens européens sont les bénéficiaires et les titulaires de ce droit. Le Traité a créé un droit à la protection et à l’assistance consulaire au profit des citoyens de l’Union et uniquement à leur profit. De par leur qualité même de citoyens, les individus sont véritablement titulaires d’un droit subjectif. Cependant, également à la différence des textes constitutionnels cités, ce droit subjectif ne vaut que pour l’assistance consulaire. En effet, reconnaître un véritable droit subjectif à la protection diplomatique aurait eu pour conséquence de devoir reconnaître à l’Union européenne une personnalité juridique internationale. Ce débat avait eu lieu devant le Parlement européen, mais il n’a pas été jugé utile de le poursuivre, du moins dans les faits et la pratique. Peu importe, puisque les individus se sont vus reconnaître conventionnellement un droit subjectif à l’assistance consulaire. Est-ce un premier pas vers la reconnaissance d’un droit de ce type en matière de protection diplomatique ? C’est envisageable, du moins cela en 140 constituerait un préalable logique. Si les citoyens européens obtiennent un jour cette faculté de solliciter la protection diplomatique d’un Etat qui n’est pas le leur, pourvu bien sur qu’il soit un Etat de l’Union, le visage du droit international en serait inévitablement changé, la protection diplomatique n’étant plus alors considérée comme une prérogative nationale, étatique et souveraine. Section 2 : Protection diplomatique et droit international des droits de l’homme. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale et de son cortège d’horreur, le droit international des droits de l’homme est en constante évolution. En effet, force est de constater que les Etats et les organisations internationales ont pris conscience de la nécessité de protéger et sauvegarder les droits fondamentaux, inhérents à chaque individu. Pour cela, des textes conventionnels, universels ou régionaux, sont intervenus pour, d’une part énoncer toute une série de droits fondamentaux, et pour d’autre part organiser la protection des titulaires de ces droits : les individus. Parallèlement, la juridictionnalisation de la protection des droits de l’homme s’est accrue, faisant de l’individu le bénéficiaire premier de cette nouvelle pratique. Vu sous cette angle, il semblerait donc que les individus soient mieux protégés, de par la reconnaissance de ces droits de l’homme, droits subjectifs par leur essence, que par le recours à la protection diplomatique. Qu’en est-il réellement ? Tout d’abord, l’individu s’est vu reconnaître un droit d’action international (I) et, les conditions procédurales, propres à la protection diplomatique, ont été reprises mais aménagées (II). I. Le nouveau statut de l’individu en droit international des droits de l’homme. On peut estimer que l’invocation des droits de l’homme est un moyen peut être plus efficace de protection de l’individu, que ne l’est la protection diplomatique. En effet, dans ce cadre précis et spécifique qu’est le droit international des droits de l’homme (ci-après D.I.D.H), l’individu est considéré, à juste titre, comme le sujet direct du contentieux des droits 141 de l’homme (A.). De ce fait, et ce fort logiquement, la protection de l’individu n’est l’objet d’aucune limitation discrétionnaire de l’Etat. (B.). A. L’individu : sujet direct du contentieux des droits de l’homme. Puisque sont en jeu ses droits et libertés fondamentaux, l’individu est reconnu comme étant le destinataire premier des normes de D.I.D.H (1). Pour cela, l’accès au prétoire des juridictions internationales, protégeant les droits de l’homme, lui est facilité (2). 1. L’individu : destinataire privilégié des normes de Droit international des droits de l’homme. Les droits de l’homme sont souvent vus comme les droits et libertés inhérents à la personne humaine. En tant que tels, ils sont garantis par un nombre important de textes conventionnels, qui constituent la matière du D.I.D.H. On peut estimer que l’évolution du D.I.D.H a entraîné, en quelque sorte l’amenuisement du champ d’application de la protection diplomatique. En effet, les nouveaux mécanismes juridictionnels instaurés en matière de droits de l’homme, prennent directement en considération les intérêts propres des individus. En tout état de cause, il existe un grand nombre de Traités et Conventions qui reconnaissent à l’individu le droit d’être protégé dans ses droits et libertés fondamentaux. Dans cet esprit, a été développée, par la Cour internationale de justice, l’idée selon laquelle les droits fondamentaux inhérents à toute personne humaine constituent pour les Etats des obligations impératives. Ainsi, le dictum de l’affaire de la Barcelona Traction reconnaît que : « vu l’importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à agir ; les obligations dont il s’agit sont des obligations erga omnes. Ces obligations découlent par exemple, dans le droit international contemporain, (…) des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine ». 291 291 Affaire de la Barcelona Traction,op cit, p.32. 142 De même, la doctrine internationale a retenu une conception analogue à celle de la Cour. Ainsi, il est reconnu une grande différence entre protection diplomatique et protection des droits de l’homme puisque : « In asserting a claim for alleged treatment of its nationals in violation of international law, the State acts in its own interests. A dispute arising from alleged violation of the minimum standards for the treatment of aliens in international law may constitute a dispute on account of violation of human rights inasmuch as the minimum standards correspond to certain human rights. The dispute is however of a bilateral nature, between the State of nationality and the State responsible for the violation. The observance of human rights, on the otherhand, is the concern of the international community and, in case, where treaty obligations are involved, of all States parties to the treaty. Materials interests need not be shown”.292 Il est donc clair que, de par cette reconnaissance, les Etats se doivent d’assurer, envers tout individu se trouvant sur leur territoire, la protection de ses droits fondamentaux. Pour le respect de ces obligations, la Convention européenne des droits de l’homme prévoit en son article 33, tel que modifié par le Protocole n° 11 du 11 mai 1994 que : « Toute Haute partie contractante peut saisir la Cour de tout manquement aux dispositions de la Convention et de ses protocoles qu’elle croira pouvoir être imputée à une Haute partie contractante »293 Au plan universel, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 met en place un système analogue devant le Comité des droits de l’homme. Ainsi, l’article 41 prévoit que : « 1. Tout Etat partie au présent Pacte peut, en vertu du présent article, déclarer à tout moment qu’il reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications dans lesquelles un Etat partie prétend qu’un autre Etat partie ne s’acquitte de ses obligations au titre du Présent Pacte ».294 Il ressort donc de ces exemples que les Etats ont l’obligation de s’assurer du respect, par un autre Etat, dans leurs relations internationales, des droits fondamentaux . Cependant, la grande nouveauté du système est ailleurs. En effet, l’individu est reconnu comme le bénéficiaire premier de droits fondamentaux qui lui ont été conventionnellement reconnus. A ce titre, ces droits lui sont attribués du fait même de sa qualité de personne humaine. De ce 292 Weis (P.), Diplomatic protection of nationals and international protection of human rights, R.D.H, vol III, 1971, pp. 643-678. 293 Convention européenne des droits de l’homme, in www.ech.coe.int, et plus particulièrement les nouvelles dispositions procédurales issues du Protocole n°11, in Dupuy (P.M), Grands textes du droit international public, 2ème édition, Dalloz, 2000, pp. 144-154. 294 Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16décembre 1966, ibid, p. 71, et notamment pour son article 41, p. 83. 143 fait, et c’est là la grande révolution, quand ses droits ont été violés, l’individu peut, directement et individuellement, saisir une juridiction international compétente en la matière. Cette évolution du droit international a donc eu pour conséquence de donner à l’individu les moyens de rendre effectifs les droits qui lui sont reconnus. C’est ce droit d’action internationale qui différencie protection diplomatique et protection des droits de l’homme. Dans ce cas, l’individu est réputé avoir directement subi le dommage et, pour en obtenir réparation, il est habilité à saisir directement, sans passer par le canal étatique, le juge international des droits de l’homme. L’exemple le plus abouti de protection des droits de l’homme étant, sans conteste, le cas européen, il est possible de retenir l’article 34 de la Convention, au terme duquel : « La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique (…) qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles ».295 Dès lors, protection diplomatique et protection des droits de l’homme diffèrent quant aux règles procédurales établies. Dans le nouveau cadre des droits fondamentaux, en revenant sur le statut précaire de l’individu, celui-ci devient la pièce centrale d’une instance qui n’est plus inter-étatique mais mixte, c’est à dire opposant un requérant privé à un Etat. 2. L’évolution de la notion de victime. Pour faciliter le droit d’action international, la notion de victime a également évolué. En effet, dans le cadre de la protection diplomatique, l’Etat n’intervient en faveur d’un individu qu’à la condition, au demeurant fort restrictive, que celui-ci soit la victime directe du préjudice allégué. En ce qui concerne la protection des droits de l’homme, cette condition de victime est largement entendue. Nombreux sont les cas, en matière de droits de l’homme, où le juge a dû se prononcer sur le préjudice directement subi par un individu, mais nombreux sont aussi les cas où le juge a dû se prononcer sur des préjudices indirects, éventuels, voire potentiels ou virtuels. De plus, dans ce cadre particuliers des droits de l’homme, force est de constater que les individus sont bénéficiaires d’un panel extrêmement large de droits, contrairement à la protection diplomatique. Ainsi, dans l’Institution diplomatique, le droit le plus souvent violé par un Etat reste le droit de propriété. En revanche, sont protégés, en tant 295 Article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme, op cit, p. 148. 144 que droits de l’homme, pléthore de droits comme le droit à la vie, à la sûreté, la liberté d’expression, d’association…Ceci a alors comme conséquence logique d’accroître le nombre et la qualité des victimes. Ainsi, pour exemple, la Cour européenne s’est souvent intéressée aux cas de la victime indirecte, « personne pouvant démontrer qu’il existait un lien particuliers et personnel entre elle-même et la victime directe, et que la violation de la Convention lui avait causé un préjudice ou qu’elle avait un intérêt personnel justifié à ce qu’il soit mis fin à la violation ». 296 Ainsi, les organes de Strasbourg ont souvent eu recours à ce critère lorsqu’une loi nationale était vue comme incompatible avec la Convention, pouvant de ce fait causer un préjudice éventuel à un individu. Il est possible de retenir comme exemple classique les lois réprimant les comportements homosexuels entre adultes consentants. Pour la Cour, l’article 34 de la Convention ( l’ancien article 25 ) exige certes « (…) qu’un individu requérant puisse se prétendre effectivement lésé par la mesure qu’il dénonce (…). [Mais] l’article 25 [34] habilite les particuliers à soutenir qu’une loi viole leurs droits par elle-même, en l’absence d’acte individuels d’exécution, s’ils risquent d’en subir directement les effets ».297 Le simple fait que cette loi discriminatoire existe constitue une atteinte aux libertés fondamentales, et est indirectement préjudiciable aux individus. De même, une protection dite par ricochet pourra être accordée aux individus. Dans l’hypothèse où un droit n’est pas prévu par la Convention, celui-ci sera garantie du fait d’une autre disposition. Ainsi, rien n’est prévu dans la Convention en matière d’extradition. Cela n’empêche que la Cour de Strasbourg a retenu que cette extradition, en ce qu’elle aurait conduit à l’exécution du requérant, constituait un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Le requérant, dans cette célèbre espèce a donc été protégé sur la base d’un article qu’il n’avait pas invoqué. 298 Dans le même ordre d’idées, le Comité des droits de l’homme a reconnu, dans une affaire analogue à l’affaire Norris, la qualité de victime indirecte et potentielle, en ce sens que « l’auteur avait avancé suffisamment d’arguments pour démontrer que le maintien de ces 296 Decaux (E.), La notion de victime au sens de l’article 25 de la Convention européenne des droits de l’homme, 5ème colloque international sur la CEDH, Paris, Pedone, 1982, p. 63. 297 Affaire Norris c. Irlande, Cr.E.D.H, 26 octobre 1988, A, n° 142, § 31. 298 Affaire Soering c. Royaume-Uni, Cr.E.D.H, 7 juillet 1989, A, n° 161. 145 dispositions, qui risquaient à tout moment d’être appliquées, lui avait été et continuait de lui être préjudiciable ». 299 Il faut donc admettre que, selon ces quelques exemples exposés, le D.I.D.H, en élargissant considérablement la notion de victime du préjudice, vient faciliter l’accès de l’individu aux prétoires internationaux. En effet, à la différence de la protection diplomatique, cet accès facilité a pour but de protéger des droits qui ont été internationalement reconnu comme étant propres aux individus et vient confirmer le fait que c’est un individu et non un Etat qui a subi le dommage allégué. B. Le rôle minoré des Etats dans l’instance. L’une des caractéristiques essentielle de la protection des droits de l’homme est que les Etats n’interviennent pas, ou du moins très peu, dans l’instance, à la différence du recours à la protection diplomatique. En effet, nous ne sommes plus face à un droit de l’Etat mais face à un droit de l’individu. Preuve en est, les conditions de nationalité (A) et de discrétionnarité (B) ne sont plus requises. 1. La disparition de la condition de nationalité. Alors que dans le contentieux de la protection diplomatique, la condition de nationalité est analysée comme un impératif, dont le défaut entraîne l’irrecevabilité de la requête, il apparaît que dans le contentieux des droits de l’homme, cette condition n’est pas impérative, encore moins nécessaire. La condition qui voudrait que l’individu qui demande la protection de ses droits fondamentaux ait la nationalité de l’Etat vers lequel il se retourne, n’a même pas été envisagée en D.I.D.H. En effet, dans le cadre de la protection internationale des droits fondamentaux, du seul fait que l’individu s’est vu reconnaître un droit d’action international, celui-ci peut, en tant que victime, se retourner aussi bien contre son Etat de nationalité que contre un Etat tiers.300 A la différence de la protection diplomatique, la victime pourra alors chercher directement réparation de son préjudice, en raison d’un dommage imputable à une 299 Affaire Nicholas Tooen c. Australie, Communication n° 488/1992, 31 mars 1994, Rapport du Comité des droits de l’homme, 1994, vol 2, p. 241. 146 personne publique étatique, auprès d’un Etat, peu importe que cet Etat soit le sien ou non. Dans le même ordre d’idée, peu importe le lieu de commission du dommage, sur le territoire national ou à l’étranger. La seule condition à cette saisine demeure malgré tout que l’Etat de nationalité ait ratifié les textes conventionnels existant en la matière. Cette disparition de la condition de nationalité va donc permettre à la victime d’agir plus facilement en vue de la protection de ses droits fondamentaux mais va aussi, fort logiquement, améliorer la situation de l’individu sur la scène internationale, du moins son statut procédural. Quelque que soit le système protecteur des droits de l’homme, il est reconnu que les Etats doivent faire respecter, dans leur ordre juridique interne, les droits et libertés prévus dans les Conventions auxquelles ils sont parties, pour tout individu se trouvant sous sa juridiction, sans référence aucune à un lien de nationalité quelconque. Ainsi, la Convention interaméricaine des droits de l’homme prévoit explicitement en son article 1§1 que : « Les Etats parties s’engagent à respecter les droits et libertés reconnus dans la présente Convention et à en garantir le libre et le plein exercice à toute personne relevant de sa compétence, sans aucune distinction fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale (…) ». 301 En application de cet article, la Cour interaméricaine de droits de l’homme, dans son Avis consultatif du 1er octobre 1999, droit d’être informé de l’assistance consulaire à la lumière des garanties d’un procès équitable, a retenu une position toute à fait originale, quoique logique. Cette espèce opposait le Mexique aux Etats-Unis à propos du droit des détenus mexicains aux Etats-Unis d’obtenir une assistance consulaire. Washington avait invoqué l’argument selon lequel la Convention de Vienne sur les relations consulaires, et plus particulièrement son article 36, ne pouvait bénéficier qu’aux personnes ressortissants des Etats parties à la Convention. L’application de cet article était donc subordonnée à une condition de nationalité. Ces droits, en tant que tels, concernait selon la conception américaine « le droit des étrangers et non la protection des droits de l’homme qui devraient bénéficier à tous sans distinction, notamment de nationalité ».302 Comme le souligne à juste titre Philippe Weckel, « la Cour dépasse la distinction des domaines de la protection 300 Pour preuve, les nombreuses affaires qui, en jurisprudence, opposent un national à son propre Etat, auteur de violations graves de droits fondamentaux. 301 Article 1§1 de la Convention interaméricaine des droits de l’homme du 22 novembre 1969, in www.droitshumains.org. 302 Weckel (P.), Chronique de jurisprudence internationale, Avis consultatif du 1er octobre 1999, R.G.D.I.P, 2000, vol 2, p. 788 et s. 147 diplomatique et de la protection des droits de l’home en se référant à, l’objet des droits qui résultent de la Convention de Vienne. ». Pour la Cour, « (…) les droits réciproques de communiquer qui sont accordés à l’agent consulaire et au détenu sont destinés à permettre la mise en œuvre des droits de la personne et c’est cette finalité qui les intègre au domaine des droits de l’Homme ».303 Le D.I.D.H a donc le mérite considérable d’avoir permis à l’individu, victime d’une violation de ses droits, de se libérer totalement de la tutelle de son Etat, en ayant directement recours au juge international. 2. La disparition de la condition de discrétionnarité. L’autre aspect qui différencie la protection des droits de l’homme de la protection diplomatique classique est la disparition, au même titre que la nationalité, de toute condition d’endossement étatique discrétionnaire. L’avantage de reconnaître à l’individu un droit d’action international, quand sont en jeu ses droits fondamentaux, est qu’il est ainsi libéré de d’une quelconque tutelle étatique. En effet, en faisant de l’individu le titulaire et le bénéficiaire de droits fondamentaux conventionnellement posés, la théorie de l’écran étatique devient immédiatement inopérante. Pour saisir une quelconque juridiction des droits de l’homme, aucun endossement n’est requis, étant donné que des requêtes individuelles sont prévues. Quand sont en jeu des droits fondamentaux, pour internationaliser le préjudice, l’individu n’aura plus besoin que son Etat de nationalité prenne fait et cause pour lui. Comme l’individu est véritablement reconnu comme étant la victime unique et directe du préjudice qu’il a subi, il fera entendre sa cause, individuellement, sans qu’aucun recours étatique ne soit nécessaire. La seule intervention notable de l’Etat de la victime se fera, mais cela a déjà été abordé, au niveau de la ratification de la Convention prévoyant, d’une part la reconnaissance de ces droits individuels et d’autre part la création d’une juridiction indépendante et impartiale apte à en connaître. Une autre nouveauté du système des droits de l’homme, dans la logique du nonendossement, réside dans le fait que les organes internationaux saisis ont le devoir d’examiner toutes les requêtes qu’ils reçoivent. Cette phase, qui a trait à la recevabilité, traduit l’idée que 303 Ibid, p. 792. 148 ces organes ne peuvent choisir de rejeter discrétionnairement une requête. A la différence de l’attitude des Etats dans le contentieux diplomatique, l’analyse de la recevabilité de celle-ci est donc nécessaire et obligatoire. Il est évident qu’un refus discrétionnaire de la demande, basé sur des considération politiques de relations internationales, serait choquant de la part d’une juridiction, dont on sait qu’elle doit être indépendante et impartiale. Ainsi, l’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme précise que : « 3.La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsqu’elle estime la requête incompatible avec les dispositions de la Convention ou de ses protocoles, manifestement mal fondée ou abusive. ».304 Pour illustrer pareilles évolutions il reste à s’intéresser aux cas du versement des indemnités, une fois qu’a été reconnu la réalité du dommage allégué. En effet, dans le cadre de la protection diplomatique, puisque l’Etat fait valoir son droit propre, la conception classique a voulu que, si versement d’indemnité il devait y avoir, celui-ci devait se faire en faveur de l’Etat et non de la victime. En matière de protection des droits de l’homme, cette approche est différente. En effet, pour prendre l’exemple du système européen, il est prévu, en cas de violation des obligations de la Convention, le versement d’une « satisfaction équitable »305, fonction du préjudice physique ou moral subi. Par « satisfaction équitable », il ne faut pas entendre réparation du préjudice par le prononcé de la caducité de la loi interne en cause. Même si les arrêts de la Cour sont définitifs et obligatoire, de jurisprudence constante, les organes de Strasbourg se sont toujours refusés à enjoindre un Etat, à titre de réparation, à modifier sa législation interne. Ainsi, dans l’affaire F c. Suisse, la Cour estima que « (…) la Convention ne lui attribue pas compétence pour enjoindre l’Etat suisse de modifier sa législation. ».306 La Cour va donc rester relativement large en matière de réparation pour ne pas donner l’impression qu’elle adresse une injonction à un Etat, bien qu’elle reconnaisse la nécessité d’indemniser directement la victime. Plus précise est certainement la Convention interaméricaine des droits de l’homme qui, en son article 63§1 déclare que : « lorsqu’elle reconnaît qu’un droit ou une liberté protégés par la présente Convention ont été violée, la Cour ordonnera que soit garantie à la partie lésée la jouissance du droit ou de la liberté enfreints. Elle ordonnera également, le cas échéant, la réparation des conséquences de la mesure ou de 304 Article 35-3 de la Convention européenne des droits de l’homme, op cit, p. 148. Article 42 de la Convention tel que modifié par le Protocole n°11. 306 Affaire F c. Suisse, Cr.E.D.H, 18 décembre 1987, A, n°128, § 43. 305 149 la situation à laquelle a donné lieu la violation de ces droits et le paiement d’une juste indemnité. ».307 Ainsi, sans prendre le risque de prononcer une quelconque injonction à l’encontre d’un Etat, cette Convention n’en prévoit pas moins le versement obligatoire « d’une juste indemnité », notion certainement moins vague et ambiguë que celle de « satisfaction équitable ». II. L’aménagement des conditions procédurales. Le contentieux de la protection diplomatique, nous l’avons vu, fait de l’épuisement des voies de recours internes et des mains propres des conditions procédurales, dont le défaut entraîne l’irrecevabilité de la requête. Dans le nouveau cadre de la protection des droits de l’homme, seule la condition d’épuisement a été reprise, quoique aménagée, (A), tandis qu’il n’a pas été jugé adéquat de reprendre la condition des mains propres (B). A. L’épuisement des voies de recours internes et le contentieux de la protection des droits de l’homme. La règle de l’épuisement des voies de recours internes, comme en matière de contentieux international classique, est une règle obligatoire du contentieux des D.I D.H (1). Cette condition procédurale a cependant certes été reprise, mais a été adaptée aux spécificités de la matière, puisqu’on été posées quelques exceptions caractéristiques. (2). 1. Une règle obligatoire du contentieux des D.I.D.H. Dans le contentieux de la protection diplomatique, la règle de l’épuisement des voies de recours internes est analysée comme une condition procédurale dont le défaut entraînerait l’irrecevabilité de la requête. Il en est de même en matière de protection internationale des 307 Convention interaméricaine des droits de l’homme, op cit. 150 droits de l’homme. Ainsi, l’article 35 ( ancien article 26 ) de la Convention européenne prévoit que : « La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes du droit international généralement reconnus ». 308 De son côté, l’article 5§2 b) du Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civiles et politiques retient une condition identique selon laquelle : « 2. Le Comité n’examinera aucune réclamation d’un particulier sans s’être assuré que : b) Le particuliers a épuisé tous les recours internes disponibles (…) ». 309 Cette condition ainsi prévue est donc une condition procédurale qui, au même titre que celle retenue en matière de protection diplomatique, subordonne l’existence de la requête. Ainsi, un organe protecteur des droits de l’homme ne pourra connaître d’une affaire que si au préalable les voies de recours ont été épuisées. Cette condition est somme toute logique puisque, est-il besoin de le rappeler, elle est une règle classique du contentieux international, et elle permet à un Etat de tenter de réparer, selon ses propres moyens de droit interne, la violation des droits de l’homme qui est alléguée. Ainsi, les organes de Strasbourg ont eu, à plusieurs reprises, l’occasion de rappeler cette règle qui laisse à l’Etat l’occasion de remédier à la situation selon sa propre législation nationale. 310 Cependant, la Convention européenne vient poser une condition procédurale nouvelle ce qui la différencie de la protection diplomatique. En effet, dans la protection diplomatique, l’endossement étatique discrétionnaire, après épuisement des voies de recours, se fait sans condition de temps. En ce qui concerne la protection européenne des droits de l’homme, une requête ne pourra être recevable que si, d’une part les recours internes ont tous été épuisés, et que d’autre part, à compter de la décision interne définitive, la Cour est saisie dans un délai de 6 mois. Cette condition du délai a pour but d’éviter un trop grand afflux de requêtes et permet, malgré tout d’opérer déjà un « tri » de recevabilité. 308 Article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme, op cit, p. 148. Article 5§2 b) du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, in Dupuy (P.M), Grands textes du droit international public, op cit, p. 89 et s. 310 Voir par exemple l’arrêt De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, série A, n°12, p. 29. Il a été ici rappelé que la règle de l’épuisement « (…) dispense les Etats de répondre de leurs actes devant un organe international avant d’avoir eu l’occasion d’y remédier dans leur ordre juridique interne » (§ 50). De même, dans l’affaire Ahmet Sadik c. Grèce, 15 novembre 1996, la Cour « (…) rappelle que le mécanisme de contrôle instauré par la Convention est subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de protection des droits de l’homme. ». (§ 30). 309 151 2. Une règle adaptée aux spécificités de la matière. Dans le cadre de la protection contentieuse des droits de l’homme, la condition d’épuisement n’est pas absolue. Il existe des cas bien précis où, à la différence de la protection diplomatique, cette condition n’est pas nécessaire, en raison même de la spécificité de l’espèce. En effet, on peut parler dans ce cas d’assouplissement de la règle de l’épuisement puisque certaines limites sont acceptables. Ainsi, « le réalisme de la jurisprudence européenne l’a conduite à ne pas imposer l’épuisement des voies de recours à chaque fois que cela apparaît en fait inutile ou impossible ».311 Cinq exceptions à la règles sont alors envisageables. Tout d’abord, l’épuisement n’est pas requis lorsque la victime du dommage n’a à sa disposition aucune voie de droit adéquate ou bien qu’une telle voie ne lui est pas accessible, à savoir qu’il ne peut l’exercer directement, lui-même. Ensuite, si ce recours lui est accessible mais qu’il s’avère inefficace, la condition de l’épuisement n’en est plus nécessaire. Il existe enfin certaines circonstances particulières ou bien à certaines pratiques administratives illicites, dont la répétition, tolérée par les autorités étatiques, entraîne une violation manifeste de la Convention. Ces conditions font que l’épuisement des voies de recours ne sera pas exigée.312 Tout sera donc question, d’une part de preuve effective et suffisante et d’autre part d’appréciation des faits par le juge. Ainsi, dans l’affaire Askoy c. Turquie, du 18 décembre 1996, la Cour a retenu que, « (…) rien n’impose d’user des recours qui ne sont ni adéquats, ni effectifs. De plus (…) certaines circonstances particulières peuvent dispenser le requérant de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes qui s’offrent à lui . » 313 Dans cette espèce, en raison, des mauvais traitements subis par la victime lors de sa garde à vue policière, du défaut de soins médicaux et surtout du défaut de réaction de la part du Procureur turc, la victime pouvait être exonérée de son obligation d’épuisement des remèdes locaux. Selon Strasbourg, « ces circonstances suffisaient à elles seules, à lui inspirer un sentiment de vulnérabilité, d’impuissance et d’appréhension face aux représentants de l’Etat. On conçoit qu’ayant vu que le Procureur s’était rendu compte de ses blessures mais s’était abstenu d’agir à cet égard, le requérant se soit mis à 311 Picard (E.), Etude de l’article 26 de la C.E.D.H, pp. 591-620, in Petiti (L.E.), Decaux (E), Imbert (P.H.), La Convention européenne des droits de l’homme, Economica, 1995, 1230 p. 312 Ibid. 313 Aksoy c. Turquie, Cr.E.D.H, 18 décembre 1996, § 52. 152 croire qu’il ne pouvait espérer susciter l’intérêt et obtenir satisfaction par les voies de droit interne ». 314 La Convention interaméricaine des droits de l’homme se veut quant à elle plus précise concernant les exceptions à la règle de l’épuisement puisqu’en son article 46§2, elle retient que cette condition procédurale ne sera pas nécessaire lorsque : « a) il n’existe pas, dans la législation interne de l’Etat considéré, une procédure judiciaire pour la protection du droit ou des droits dont la violation est alléguée, b) l’individu qui est présumé lésé dans ses droits s’est vu refuser l’accès des voies de recours internes ou a été mis dans l’impossibilité de les épuiser, c) il y a un retard injustifié dans la décision des instances saisies ». 315 Force est donc de constater que dans le cas de la protection des droits de l’homme, l’épuisement n’est pas une condition absolue. En effet, même si, en tant que telle, elle se présente comme une condition de recevabilité de la requête individuelle, il n’en demeure pas moins que les juges, dans leur mission protectrice, vont tenir compte des circonstances propres de l’affaire et de la situation de la victime avant de se prononcer définitivement sur la recevabilité et par conséquent sur l’obligation d’épuisement. A la différence de la protection diplomatique, cette règle de l’épuisement des voies de recours est donc beaucoup moins restrictive et absolue. B. La disparition de la condition des mains propres. Alors qu’en ce qui concerne la protection diplomatique, tant la doctrine que la jurisprudence, ont fait de la condition des mains propres une condition de recevabilité de la requête, il apparaît qu’en matière de protection des droits de l’homme, cette condition devient inopérante. Le comportement irréprochable de l’individu n’entre pas en ligne de compte dans ce contentieux spécifique. En effet, ce que les organes protecteurs des droits de l’homme auront à juger, n’est pas un comportement individuel et personnel, répréhensible ou non, mais une violation alléguée des droits fondamentaux de l’individu. La neutralité et l’impartialité de tels organes prend ici toute sa valeur puisque le comportement passé de l’individu sera totalement étranger au déroulement de l’instance. Les juges ont à connaître d’une violation 314 315 Ibid, § 56. Convention interaméricaine des droits de l’homme, op cit. 153 des droits fondamentaux et, à la différence des Etats, ne s’attarderont pas sur un comportement individuel qui, en tant que tel pourrait rendre la requête irrecevable. L’individu semblera dès lors mieux protégé du fait de l’invalidité de pareille condition. Ainsi, nombreux sont les cas soumis à la Cour européenne qui ont trait à des terroristes, des criminels de guerres ou autres tortionnaires et qui ont été déclarés recevables par les organes de Strasbourg car une violation des droits fondamentaux, généralement le droit à un procès équitable, était alléguée. Pour exemple, la Commission européenne des droits de l’homme, dans l’affaire Iles Koch, se range derrière cette conception. Il était demandé à la Commission de statuer sur le cas d’une criminelle de guerre nazie à qui l’on avait donné le surnom de « chienne de Buchenwald ». Pour la Commission : « (…) la requérante se trouve détenue en exécution d’une condamnation qui lui a été infligée à raison de crimes perpétrés au mépris des droits les plus élémentaires de la personne humaine. [ Mais ce passé de criminelle ] ne la prive cependant point de la garantie des droits et libertés définis dans la Convention (…) ». 316 Dans le même ordre d’idées, la Cour européenne a plus récemment repris cette position en posant comme principe que la victime a eu certes un comportement blâmable et répréhensible, mais que, malgré cette attitude personnelle : « (…)[ le requérant ] était fondé à s’attendre à ce que lui soient garantis (…) les droits et libertés inscrits dans la Convention. Sa fuite ultérieure, certes répréhensible, ne modifie rien à son intérêt légitime à obtenir des Institutions de la Convention une décision sur la violation » alléguée. 317 316 Affaire Ilse Koch c. RFA, Co.E.D.H, Rec n°8, p. 91. Van der Tang c. Espagne, Cr.E.D.H, 13 juillet 1995, A, n°321, § 53. Dans cette espèce, la Cour a donc rejeté l’exception préliminaire espagnole fondée sur la pratique internationale des mains propres. 317 154 CONCLUSION. 155 CONCLUSION. Quelles conclusions peut-on retenir de cette étude des règles de la protection diplomatique des individus ? Il est évident que dénier le caractère éminemment étatique et hautement discrétionnaire de l’Institution reviendrait à remettre en cause des siècles de doctrine, de jurisprudence et de pratiques étatiques. Tel n’a pas été notre but. En revanche, ce qui peut paraître choquant c’est que l’individu n’est que le bénéficiaire d’un droit dont l’Etat est le seul titulaire, alors même qu’il a directement subi un préjudice. Faire de la protection diplomatique un droit subjectif de l’Etat est la norme en cours actuellement. Faire de cette même protection un droit subjectif de l’individu ne semble pas encore être à l’ordre du jour. Cependant, certains indices nous laissent penser que l’ individu pourrait bien être un jour titulaire d’un tel droit. En effet, alors que pendant des siècles il était totalement dépourvu sur la scène internationale, l’individu commence à se voir reconnaître un statut à part entière, au sein de ce groupement fort élitiste qu’est la société internationale. L’on assiste de plus en plus à une reconnaissance, en faveur de l’individu, de droits naturels et fondamentaux. Peut-on considérer que la protection diplomatique soit comprise au nombre de ces droits ? Pourquoi pas. En tout cas, ce qui est certain c’est que l’Institution a tendance à évoluer. En effet, comment expliquer que certaines constitutions prévoient en leur sein des dispositions qui font de la protection des nationaux à l’étranger une des missions sacrées et reconnues de l’Etat ? De même, comment expliquer que dans le cadre de l’Union européenne, un Traité reconnaisse aux citoyens européens un véritable droit à la protection diplomatique sous la forme de l’assistance consulaire ? Pourquoi la Commission du droit international vient-elle, il y a quelques jours de rendre un rapport au terme duquel est reconnue la validité de la renonciation individuelle à la protection diplomatique ? Si de telles possibilités ont été prévues, c’est que le passage d’un droit objectif à un droit subjectif est envisageable. Si tel est le cas, n’en reviendrait-on pas au système moyenâgeux des lettres de représailles ? Ces indices sembleraient alors constituer les prémices d’une reconnaissance, en droit international, d’un véritable droit subjectif et individuel à la protection diplomatique. 156 Quand bien même cela ne serait pas le cas, les mécanismes des droits de l’homme permettent désormais aux individus de se défendre eux-mêmes, en invoquant leur qualité de victime directe, au plan international. La protection diplomatique disparaîtra-t-elle alors au profit de ces nouveaux mécanismes ? Cela semble difficilement envisageable, même si les individus préféreront peut être y avoir recours plutôt que de devoir attendre une hypothétique intervention souveraine de leur Etat. 157 BIBLIOGRAPHIE. 158 BIBLIOGRAPHIE. 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ACCORDS, CONVENTIONS ET TRAITES. - Convention de la Haye du 18 octobre 1907 portant renonciation au recours à la force armée pour le recouvrement des dettes contractuelles, dite Convention Drago-Porter, J.O.R.F, 8 décembre 1910. - Traité d’arbitrage et de conciliation franco-hollandais du 10 mars 1928, J.O.R.F, 9 juin 1930. - Traité général de renonciation à la guerre comme instrument de politique nationale du 27 août 1928, dit Pacte Briand-Kellog, J.O.R.F, 26 juillet 1929. - Convention de la Haye sur les conflits de loi en matière de nationalité du 12 avril 1930, cité in Yanguas Massia (J.), La protection diplomatique en cas de double nationalité, in Hommages d’une génération de juriste au Président Basdevant, Paris, Pedone, 1960, pp. 546-558. - Charte des Nations Unies du 26 juin 1945, in www.legifrance.gouv.fr - Statut de la Cour international de justice du 26 juin 1945, in www.legifrance.gouv.fr - Accord de coopération économique entre la France et les Etats-Unis relatif à l’application du programme de relèvement européen du 28 juin 1948, J.O.R.F, 10 juillet 1948. - Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, in Dupuy (P.M), Grands textes du droit international public, 2ème édition, Dalloz, 2000, pp. 65-70. - Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, in www.ech.coe.int. 163 - Convention de Genève sur le statut des réfugiés du 28 juillet 1951, in Alland (D.), Textes du droit de l’asile, Puf, 1998, pp. 7-22. - Convention de New York du 28 septembre 1954 sur le statut des apatrides, in www.legifrance.gouv.fr - Traité de Rome du 25 mars 1957 portant création de la C.E.E in Dubouis (L.), Gueydan (C.), Les grands textes du droit de l’Union européenne, Tome I, 6ème édition, Dalloz, 2002, pp. 24-136. - Traité austro-allemand sur les biens allemands en Autriche du 15 juin 1957, cité in Seidl-Hohenveldern (I.), La sentence du tribunal austro-allemand concernant la protection diplomatique, A.F.D.I, 1972, p. 323-327 - Convention de New York du 30 octobre 1961 sur la réduction des cas d’apatridie in www.legifrance.gouv.fr. - Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963, in Dupuy (P.M), Grands textes du droit international public, Dalloz, 1996, pp. 44-77. - Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres Etats du 18 mars 1965, in Dupuy (P.M), Grands textes du droit international public, 2ème édition, Dalloz, 2000, pp. 347-365. - Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, in www.legifrance.gouv.fr - Protocole à la Convention de Genève sur le Statut des réfugiés, du 31 juillet 1967, in Alland (D.), Textes du droit de l’asile, Puf, 1998, p. 24-27. - Convention interaméricaine des droits de l’homme du 22 novembre 1969, in www.droitshumains.org. - Accords d’Alger sur le règlement du contentieux entre le gouvernement des EtatsUnis d’Amérique et le gouvernement de la République islamique d’Iran du 19 janvier 1981, in J.D.I, 1981, pp. 776-783. - Traité de Maastricht du 7 février 1992 sur l’Union européenne, in Dubouis (L.), Gueydan (C.), Les grands textes du droit de l’Union européenne, Tome I, 6ème édition, Dalloz, 2002, pp. 3-24. - Protocole n° 11 à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales portant restructuration du mécanisme de contrôle établi par la Convention du 11 avril 1994, in Dupuy (P.M), Grands textes du droit international public, 2ème édition, Dalloz, 2000, pp. 144-154. 164 - Mémorandum d’accord franco-russe du 26 novembre 1996 relatif au règlement définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au 9 mai 1945, in R.G.D.I.P, 1997, p. 1091. - Convention européenne du 6 novembre 1997 sur la nationalité, in www.conventions.coe.int - Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, in Dubouis (L.), Gueydan (C.), Les grands textes du droit de l’Union européenne, Tome I, 6ème édition, Dalloz, 2002, pp. 229-240. DOCUMENTS OFFICIELS D’ORGANISATIONS INTERNATIONALES. Organisation des Nations-Unies. - Résolution 2625 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 24 octobre 1970 : Déclaration relative aux principes de droit international touchant les relations amicales et la coopération entre Etats, conformément à la Charte des Nations Unies, in Dupuy (P.M), Les grands textes du droit international public, 2ère édition, Dalloz, 2000, pp. 32-41. Conseil de l’Union européenne. - Décision des représentants des gouvernements des Etats membres, réunis au sein du Conseil, du 19 décembre 1995, concernant la protection des citoyens de l’Union européenne par les représentations diplomatiques et consulaires, J.O.C.E, série L, 28 décembre 1995, n°314, p. 73-76. 165 ANNUAIRES ET REPERTOIRES DE PRATIQUE INTERNATIONALE. Commission du droit international. - Troisième rapport sur la responsabilité des Etats, Ann C.D.I, 1958, vol II. - Rapport de la Commission du droit international sur la responsabilité des Etats, Ann C.D.I, 1996, vol II. - La nationalité en relation avec la succession d’Etats, Ann C.D.I, 1997, vol II. - Rapport préliminaire sur la protection diplomatique, juillet-août 1998, in www.un.org. - Premier rapport sur la protection diplomatique, juillet-août 2000, in www.un.org. - Deuxième rapport sur la protection diplomatique, juillet-août 2001, in www.un.org. - Troisième rapport sur la protection diplomatique, juillet-août 2002, in www.un.org. Institut du droit international. - Annuaire de l’Institut de droit international, Session de Cambridge, 1931, vol II. - Annuaire de l’Institut de droit international, Session d’Oslo, 1932. - Annuaire de l’Institut de droit international, Session d’Aix en Provence, 1954, vol I. - Annuaire de l’Institut de droit international, Session de Grenade, 1956, vol II. - Annuaire de l’Institut de droit international, Session de Varsovie, 1965, vol II. Répertoires et documents de pratique internationale. - Chronique des faits internationaux, R.G.D.I.P. - Kiss (A.C.) Répertoire de la pratique française en matière de droit international public, Tome II, III et IV, Paris, C.N.R.S. - Pratique française du droit international, A.F.D.I. 166 TABLE DE JURISPRUDENCE. JURIDICTIONS INTERNATIONALES. Cour permanente de justice internationale. Avis consultatifs. - Affaire de l’acquisition de la nationalité polonaise, C.P.J.I, A.C du 15 septembre 1923, série B, n° 7. - Affaire des Décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc, C.P.J.I, A.C du 7 février 1923, série B, n° 4 - Affaire de l’acquisition de la nationalité polonaise, C.P.J.I, A.C du 15 septembre 1923, série B, n° 7 - Affaire de la compétence des tribunaux de Dantzig, C.P.J.I, A.C du 3 mars 1928, série B, n°15, - Affaire des communautés gréco- bulgare, CPJI, A.C, 31 juillet 1930, série B, n°17 Arrêts. - Affaire des concessions Mavrommatis en Palestine (Grèce c. Royaume-Uni), C.P.J.I, 30 août 1924, série A, n°2. - Affaire du Lotus (France c. Turquie), C.P.J.I, 7 septembre 1927, série A, n° 10. - Affaire de l’usine de Chorzow (Allemagne c. Pologne), C.P.J.I, 13 septembre 1928, série A, n° 17. - Affaire des phosphates du Maroc (Italie c. France), C.P.J.I, 14 juin 1936, série A/B, n° 74. - Pajzs, Csaky, Esterhzay (Hongrie c. Yougoslavie), C.P.J.I, 16 décembre 1936, série A/B, n° 68. 167 - Affaire du chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, (Estonie c. Lituanie), CPJI, 28 février 1939, série A/B, n°74. - Affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie (Belgique c. Bulgarie), C.P.J.I, 14 avril 1939, série A/B, n° 77. Cour internationale de justice. Avis consultatifs. - Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, A.C, 11 avril 1949, Rec CIJ, 1949, pp. 174-189. Arrêts. - Affaire du Détroit de Corfou (Royaume Uni c. Albanie), C.I.J, 9 avril 1949, Rec C.I.J 1949, pp. 4-37. - Affaire de l’anglo-iranian Oil company (Royaume-Uni c. Iran), C.I.J, 22 juillet 1952, Rec C.I.J, 1952, pp. 93-115. - Affaire Ambatielos (Grèce c. Royaume-Uni), C.I.J, 19 mai 1953, Rec C.I.J, 1953, pp. 10-24. - Affaire Nottebohm ( Liechtenstein c. Guatemala ) 2ème phase, CIJ, 6 avril 1955, Rec CIJ, 1955, pp. 4-27. - Affaire de l’Interhandel (Suisse c. Etats-Unis), C.I.J, 21 mars 1959, Rec C.I.J, 1959, pp. 6-30. - Affaire de la Barcelona Traction ( Belgique c. Espagne), exceptions préliminaires, C.I.J, 24 juillet 1964, Rec. C.I.J, 1964, pp. 6-50. - Affaire de la Barcelona Traction, (Belgique c. Espagne), C.I.J, 5 février 1970, Rec CIJ, 1970, pp. 4-51. - Affaire de l’Electronica Sicula (Etats-Unis c. Italie), C.I.J, 20 juillet 1989, Rec C.I.J, 1989, pp. 15-82. - Affaire Lagrand (Allemagne c. Etats-Unis), C.I.J, 27 juin 2001, in www.icj-cij.org 168 SENTENCES ARBITRALES. - Affaire du Lawrence, Commission anglo-américaine de 1853-1855, S.A 4 janvier 1855, cité in Rousseau (C.), Droit international public, Tome V, Paris, Sirey, 1983, p. 175. - Affaire de l’Enterprize, Commission anglo-américaine de 1853-1855, S.A 15 janvier 1855, cité in Rousseau (C.), Droit international public, Tome V, Paris, Sirey, 1983, p. 174. - Affaire Ernesto Cerruti, ( Colombie c. Italie), S.A du Président Cleveland, 2 mars 1897, R.G.D.I.P, 1899, pp. 539-541, et R.S.A, vol XI, pp. 379-393. - Affaire Ben Tillet ( Royaume-Uni c. Belgique ), S.A Arthur Desjardins, 26 décembre 1898, R.G.D.I.P, 1899, p. 48-61. - Affaire du chemin de fer de la baie de Delagoa (Etats-Unis, Royaume-Uni c. Portugal), S.A, 29 mars 1900, cité in Rousseau (C.), Droit international public, Tome V, Paris, Sirey, 1983, p. 134. - Affaire Kunhardt, Commission Etats-Unis-Venezuela, S.A, 16 novembre 1900, R.S.A, vol IX, pp. 172 –180. - Martini (Italie c. Venezuela), S.A Jackson Ralston, 8 juillet 1904, R.S.A, vol X, p. 644669. - Affaire Alsop, S.A roi Georges V, 15 juillet 1911, R.S.A, vol XI, pp. 355-375. - Canevaro (Italie c. Pérou), C.P.A, S.A, 3 mai 1912, R.G.D.I.P, 1913, p. 328-333. - Affaire des propriétés religieuses, ( France, Royaume-Uni, Espagne c. Portugal), S.A, 4 septembre 1920, R.S.A, vol I, pp. 7-57. - Affaire des veuves du Lusitania, Commission mixte de réclamations Etats-UnisAllemagne, S.A, 1er novembre 1923, R.S.A, vol VII, p. 9-44. - Affaire Ziat, Ben Kiran (Royaume-Uni c. Espagne), S.A Max Huber, 24 décembre 1924, R.S.A, vol II, pp. 729-732. - Affaire Maud Thompson de Gennes, S.A, 11 mars 1925, R.S.A, vol VII, pp. 168-170. - Affaire Mary Barchard Williams, S.A, 11 mars 1925, R.S.A, vol VII, pp. 173-176. - Réclamations britanniques dans la zone espagnole du Maroc (Royaume-Uni c. Espagne), S.A Max Huber, 1er mai 1925, R.S.A, vol II, p. 615-742. - Affaire Benchiton, S.A Max Huber, 1er mai 1925, R.S.A, vol II, p. 706. 169 - Affaire de la North American dredging company of Texas, Commission générale des réclamations Etats-Unis-Mexique, S.A, 31mars 1926, R.S.A, vol IV, pp. 26-35. - Ile de Palmas (Etats-Unis c. Pays-Bas), C.P.A, S.A Max Huber, 4 avril 1928, R.S.A vol II, p. 831-871. - Affaire Georges Pinson, Commission franco-mexicaine des réclamations, S.A, 19 octobre 1928, R.S.A vol V, pp. 361-369. - Mexican Union Railway, Commission de réclamation Royaume-Uni-Mexique, S.A, 21 février 1930, R.S.A, vol V, pp. 115-129. - Affaire Dickson Car Wheel C° c. United Mexican Sates, Commission générale des réclamations Etats-Unis-Mexique, S.A, juillet 1931, R.S.A, vol IV, p. 682-691. - Salem (Etats-Unis c. Egypte), S.A, 8 juin 1932, vol II, pp. 1163-1203. - Affaire du I’m alone, Commission des réclamations Canada-Etats-Unis, S.A, 5 janvier 1935, R.S.A, vol II, pp. 1611-1618. - Affaire Florence Stunsky-Mergé, Commission de conciliation italo-américaine, S.A, 10 juin 1955, R.S.A, vol XIV, pp. 236-248. - Tribunal austro-allemand, SA, 15 janvier 1972, A.F.D.I, 1972, p. 323-327. - Affaire du filetage dans le Golfe du Saint-Laurent, S.A, 17 juillet 1986, R.G.D.I.P, 1986, p. 713-757. JURIDICTIONS REGIONALES. Commission européenne des droits de l’homme. - Affaire Ilse Koch c. RFA, Co.E.D.H, Rec n°8, p. 91. Cour européenne des droits de l’homme. - Affaire De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, série A, n°12, ou www.ech.coe.int. - Affaire F c. Suisse, Cr.E.D.H, 18 décembre 1987, A, n°128, ou www.ech.coe.int 170 - Affaire Norris c. Irlande, Cr.E.D.H, 26 octobre 1988, A, n° 142,ou www.ech.coe.int - Affaire Soering c. Royaume-Uni, Cr.E.D.H, 7 juillet 1989, A, n° 161 - Van der Tang c. Espagne, Cr.E.D.H, 13 juillet 1995, A, n°321,ou www.ech.coe.int - Ahmet Sadik c. Grèce, 15 novembre 1996, www.ech.coe.int. - Aksoy c. Turquie, Cr.E.D.H, 18 décembre 1996, www.ech.coe.int. Cour interaméricaine des droits de l’homme. - Avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l’homme du 1er octobre 1999, Droit d’être informé de l’assistance consulaire à la lumière des garanties d’un procès équitable, in Chronique des faits internationaux, R.G.D.I.P, 2000, vol II, pp. 788-796. Tribunal de première instance des Communautés européennes. - Affaire Odigitria AAE c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes, T.P.I.C.E, 6 juillet 1995, Rec, 1995, p. II-2025. Cour de justice des Communautés européennes. - Affaire Michelleti c. Delegacion del gobierno en Cantabria, C.J.C.E, 7 juillet 1992, Rec, 1992, p. I-4239. - Affaire Odigitria AAE c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes, C.J.C.E, 28 novembre 1996, Rec ,1996, p. I-6129. JURIDICTIONS NATIONALES. Cour de cassation française. - Cass civ, 1ère, 14 juin 1977, Société européenne d’études et d’entreprises c. République socialiste fédérative de Yougoslavie, Bull, 1977, vol I, pp. 219-220. 171 Conseil d’Etat français. - CE, 18 novembre 1869, Jecker, Leb, 1869, p. 890. - CE, 12 février 1904, Bachatori, Leb, p. 105. - CE, 23 décembre 1904, Poujade, Leb, p. 873. - CE, 15 mai 1935, Strauss, Rec, p. 548. - CE, 2 mars 1966, Dame Cramencel, R.GD.I.P, 1966, p. 791. Tribunal fédéral suisse. - Tribunal fédéral suisse, 14 octobre 1932, Gschwind, cité in Rousseau (C.), Droit international public, Tome V, Paris, Sirey, 1983, p. 190. 172 TABLE DES ANNEXES. ANNEXE I : Rapport préliminaire de la Commission du droit international sur la protection diplomatique. ANNEXE II : Mémorandum d’accord du 26 novembre 1996 relatif au règlement définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au 9 mai 1945. ANNEXE III : Textes constitutionnels portant sur la protection diplomatique. ANNEXE IV : Décret-loi portugais n° 48 /94 du 24 février 1994 portant fonctions du ministre des affaires étrangères. ANNEXE V : Décret-loi portugais n° 381/97 du 30 décembre 1997 portant règlement consulaire. ANNEXE VI : Décision des représentants des gouvernements des Etats membres réunis au sein du Conseil du 19 décembre 1995, et concernant la protection des citoyens de l’Union européenne par les représentations diplomatiques et consulaires. 173 TABLE DES MATIERES. SOMMAIRE...................................................................................................................... 4 TABLE DES ABREVIATIONS. ...................................................................................... 5 INTRODUCTION. ............................................................................................................ 8 PARTIE I: LA PROTECTION DIPLOMATIQUE , UNE PREROGATIVE SOUVERAINE DE L’ETAT. .................................................................................................. 18 CHAPITRE I : La justification du recours à la protection diplomatique ou l’existence d’un lien d’allégeance entre l’Etat et ses nationaux. ........................................................................ 19 Section 1 : Le lien de nationalité : fondement incontournable de la protection diplomatique. .................................................................................................................................................. 20 I. La nationalité : un préalable nécessaire à la mise en œuvre de la protection diplomatique............................................................................................................................. 20 A. De la nationalité comme droit de l’Etat. .............................................................. 20 1. La nationalité un véritable lien d’allégeance souveraine. .................................... 21 2. La détermination de la nationalité : un pouvoir discrétionnaire de l’Etat. ........... 22 B. De la protection des nationaux à l’étranger comme mission de l’Etat................. 25 1. Les nationaux, destinataires privilégiés de la protection diplomatique. .............. 26 2. La nationalité : un lien de rattachement nécessaire mais non suffisant. .............. 28 II. Appréciation de la nationalité et protection diplomatique. ...................................... 30 A. La naissance du préjudice ou l’appréciation nécessaire de la date critique. ........ 30 1. Nationalité et appréciation de la date critique...................................................... 31 2. Changement de nationalité et date critique. ......................................................... 34 B. La preuve de la nationalité. .................................................................................. 37 1. L’importance de la preuve de la nationalité dans le contentieux de la protection diplomatique..................................................................................................................... 37 2. Les modalités de preuve de la nationalité. ........................................................... 39 Section 2 : Des cas particuliers de protection diplomatique des nationaux......................... 40 I. Protection diplomatique et conflits de lois : la double nationalité. .............................. 40 A. La problématique de la double nationalité. .......................................................... 40 174 B. Les apports du droit international concernant la protection diplomatique des doubles nationaux................................................................................................................. 41 1. L’apport du droit conventionnel........................................................................... 42 2. Les solutions jurisprudentielles en matière de protection diplomatique des doubles nationaux............................................................................................................. 44 II. Protection diplomatique et groupements spécifiques d’individus............................ 46 A. La protection diplomatique des actionnaires de sociétés. .................................... 46 1. Le refus traditionnel de protection diplomatique. ................................................ 46 2. La prise en compte des intérêts des actionnaires ou la reconnaissance d’un droit à protection ?....................................................................................................................... 48 B. Le cas particuliers des apatrides et des réfugiés................................................... 50 1. Le défaut de rattachement réel. ............................................................................ 50 2. Les solutions du droit positif................................................................................ 51 CHAPITRE II : La mise en œuvre de la protection diplomatique par les Etats................. 53 Section 1 : Un pouvoir discrétionnaire de mise en œuvre................................................... 54 I. La protection diplomatique : un droit propre de l’Etat................................................. 54 A. Une théorie classique du droit international......................................................... 54 1. Une doctrine classique. ........................................................................................ 54 2. Une jurisprudence constante. ............................................................................... 56 B. La fiction de l’endossement. ................................................................................ 58 1. L’endossement : une novation du préjudice......................................................... 58 2. Un endossement discrétionnaire........................................................................... 59 II. L’aménagement de l’Institution de la protection diplomatique du fait des Etats..... 61 A. Un aménagement à priori : la renonciation à protection diplomatique. ............... 62 1. Une renonciation pour l’avenir à la protection diplomatique. ............................. 62 2. Une mise en œuvre exceptionnelle de cette renonciation. ................................... 63 B. Aménagement à posteriori : le versement des indemnités. .................................. 67 1. L’Etat réclamant: bénéficiaire premier des indemnités........................................ 67 2. Vers un reversement équitable des indemnités ? ................................................. 68 Section 2 : Protection diplomatique et pratiques étatiques.................................................. 70 I. Les caractéristiques de l’intervention étatique en faveur des nationaux...................... 71 A. Les interventions diplomatiques coercitives. ....................................................... 71 1. Protection diplomatique et interventions armées. ................................................ 71 175 2. L’apport de la Convention Drago-Porter à la théorie de la protection diplomatique..................................................................................................................... 73 B. Les interventions diplomatiques non coercitives. ................................................ 75 1. L’interdiction générale du recours à la force : un principe applicable aux cas de protection diplomatique.................................................................................................... 75 2. II. De l’intervention consulaire au recours au juge international.............................. 76 protection diplomatique et souveraineté étatique..................................................... 79 A. La protection diplomatique : une ingérence licite dans les affaires internes d’un Etat ? 80 1. La protection diplomatique : une ingérence dans les affaires internes d’un Etat. 80 2. La protection diplomatique : une ingérence licite, admise et reconnue. .............. 82 B. Des cas particuliers de protection et d’ingérence................................................. 84 1. Une protection étatique spéciale en faveur des communautés religieuses........... 84 2. Les interventions d’humanité. .............................................................................. 86 PARTIE II : LE PARADOXE DE LA PROTECTION DIPLOMATIQUE : DROIT ABSOLU DE L’ETAT OU DROIT RESTREINT DE L’INDIVIDU ?.................................. 89 CHAPITRE I : La place limitée de l’individu dans le contentieux de la protection diplomatique............................................................................................................................. 90 Section 1 : L’exclusion classique de l’individu du contentieux de la protection diplomatique............................................................................................................................. 91 I. Une exclusion justifiée par la place de l’individu en droit international. .................... 91 A. Individu et ordre juridique international. ............................................................. 91 1. Une exclusion de principe : l’absence de personnalité juridique internationale. . 91 2. Les ambiguïtés de la solution. .............................................................................. 93 B. Un statut de l’individu justifiant l’endossement étatique..................................... 94 1. La théorie de l’écran étatique. .............................................................................. 94 2. L’écran étatique : corollaire justificatif de l’endossement dans le cadre de la protection diplomatique.................................................................................................... 95 II. La renonciation par les individus à la protection diplomatique ou la validité discutée de la clause Calvo..................................................................................................................... 96 A. Une entorse au droit de protection international. ................................................. 97 1. Origine de la clause Calvo. .................................................................................. 97 176 2. B. Contenu de la clause Calvo. ................................................................................. 99 Une reconnaissance délicate de la validité de la clause Calvo........................... 100 1. Le droit international face à la validité de la Clause Calvo : entre nullité absolue et reconnaissance partielle.............................................................................................. 101 2. Une reconnaissance régionale de la clause Calvo ? ........................................... 104 Section 2 : Des conditions procédurales liées au comportement de l’individu. ................ 106 I. la théorie dite des mains propres. ............................................................................... 107 A. La nécessité d’un comportement individuel irréprochable. ............................... 107 1. Une fiction courante dans le contentieux des réclamations internationales....... 107 2. Une cause d’irrecevabilité de l’endossement. .................................................... 109 B. L’étendue du comportement litigieux de l’individu empêchant l’endossement.111 1. Un comportement individuel fautif constituant une violation du droit interne de l’Etat territorial............................................................................................................... 111 2. Un comportement individuel fautif constituant une violation du droit international.................................................................................................................... 113 II. L’épuisement des voies de recours internes........................................................... 115 A. Une règle générale du contentieux international................................................ 116 1. Une règle coutumière du droit international. ..................................................... 116 2. Une règle tendant au respect de la souveraineté étatique................................... 118 B. L’adaptation de la règle à la protection diplomatique........................................ 119 1. Nature de la règle et protection diplomatique. ................................................... 120 2. L’apport de la Commission du droit international. ............................................ 122 CHAPITRE II : Vers un droit subjectif à la protection diplomatique? ............................. 125 Section 1 : Les évolutions récentes du droit de la protection diplomatique favorables aux individus. ................................................................................................................................ 126 I. Le renouveau de l’institution : l’apport des nouvelles pratiques constitutionnelles. . 126 A. Vers un droit constitutionnel à la protection diplomatique ? ............................. 126 B. Vers une généralisation de cette pratique constitutionnelle ? ............................ 130 1. Ordre juridique interne et reconnaissance constitutionnelle d’un droit individuel à la protection diplomatique.............................................................................................. 130 2. II. La cristallisation d’une coutume ? ..................................................................... 133 Protection diplomatique et Union européenne. ...................................................... 134 A. Traité sur l’Union européenne et protection diplomatique. ............................... 134 177 1. La prise en compte des intérêts des ressortissants communautaires. ................. 135 2. Traité sur l’Union européenne et Charte des droits fondamentaux : une complémentarité de textes.............................................................................................. 136 B. L’étendue de cette protection. ............................................................................ 137 1. De la nationalité à la citoyenneté. ...................................................................... 137 2. Un droit individuel à l’assistance consulaire dans le cadre de l’Union européenne. 139 Section 2 : Protection diplomatique et droit international des droits de l’homme. ........... 140 I. Le nouveau statut de l’individu en droit international des droits de l’homme........... 140 A. L’individu : sujet direct du contentieux des droits de l’homme......................... 141 1. L’individu : destinataire privilégié des normes de Droit international des droits de l’homme. ........................................................................................................................ 141 2. B. L’évolution de la notion de victime. .................................................................. 143 Le rôle minoré des Etats dans l’instance............................................................ 145 1. La disparition de la condition de nationalité. ..................................................... 145 2. La disparition de la condition de discrétionnarité. ............................................. 147 II. L’aménagement des conditions procédurales. ....................................................... 149 A. L’épuisement des voies de recours internes et le contentieux de la protection des droits de l’homme............................................................................................................... 149 B. 1. Une règle obligatoire du contentieux des D.I.D.H............................................. 149 2. Une règle adaptée aux spécificités de la matière................................................ 150 La disparition de la condition des mains propres............................................... 152 CONCLUSION. ............................................................................................................ 155 BIBLIOGRAPHIE......................................................................................................... 158 TABLE DE JURISPRUDENCE. .................................................................................. 166 TABLE DES ANNEXES. ............................................................................................. 172 TABLE DES MATIERES............................................................................................. 173 178