Le Cameraman

Transcription

Le Cameraman
SOMMAIRE
The Cameraman
SYNOPSIS
2
GÉNÉRIQUE
2
BUSTER KEATON
ELÉMENTS BIOGRAPHIQUES
3
L'ACTEUR
5
LE METTEUR EN SCÈNE
7
FILMOGRAPHIE
9
LA STRUCTURE DRAMATURGIQUE
11
LA SIGNIFICATION DE L'OEUVRE
13
ANALYSE D'UNE SÉQUENCE
15
KEATON ET LE CINÉMA
16
BUSTER K. & FRANTZ K.
18
L'ACCUEIL CRITIQUE
20
LE BURLESQUE
22
LE GAG
25
LE CINÉMA AMÉRICAIN AU TEMPS DU SLAPSTICK
27
BIBLIOGRAPHIE
30
Dossier rédigé par Jean-Marie TIXIER
The Cameraman
2
SYNOPSIS
Luke Shannon (Buster Keaton) est un photographe
professionnel qui gagne (fort modestement) sa vie
en faisant des photos des passants dans les rues de
New-York. Luke rencontre Sally (Marceline Day) et
tombe amoureux d'elle. Ayant découvert que Sally
travaille aux actualités de la M.G.M., il décide de se
faire engager comme opérateur après avoir troqué
son appareil photographique contre une caméra
d'occasion. Touchée par sa candeur, Sally l'aide en
lui donnant des informations de première
importance.
Ces débuts sont extrêmement malheureux et
ressemblent à des montages avant-gardistes.
Evidemment, Luke provoque les moqueries des
professionnels de la profession et tout
particulièrement de la part du bellâtre qui courtise
Sally.
Luke ne renonce pas. Envoyé par Sally filmer la fête
du quartier chinois, Luke réalise, au mépris du
danger, un reportage remarquable sur l'émeute qui
embrase Chinatown. Hélas, il n'a pas de pellicule à
donner au patron des actualités qui le chasse
définitivement.
GÉNÉRIQUE
Titre original:
The Cameraman
Titre Français:
L'opérateur
Sortie aux USA:
15 septembre 1928
Durée:
70 minutes (8 bobines et 2.133 m)
Noir & Blanc et format 1/1,33
Production:
Metro Goldwyn .Mayer
Producteur délégué: Joseph SCHENCK
Producteur associé:
Buster KEATON
Réalisateur:
Edward SEDGWICK
Scénario:
E. Richard SCHAYER d'après un sujet de
Clyde BRUCKMAN et Lex LIPTON
Photographie: Elgin LESSLEY et Regie LANNING
Montage:
Hugh WYNN
Le jour suivant, il va tourner malgré tout des régates
auxquelles participent Sally et son "fiancé". Prenant
des risques insensés pour impressionner sa
passagère, le "fiancé" fait chavirer son embarcation.
Vraiment haïssable, il se sauve et laisse Sally en
grand danger. N'écoutant que son courage, Luke
plonge et lui porte assistance. Sur la plage, Sally
évanouie affole Luke qui se précipite à la première
pharmacie pour chercher de quoi la ranimer. En son
absence, le lâche bellâtre prend la place de Luke:
Sally se réveille dans ses bras et lui attribue son
sauvetage. L'imposteur savoure sa victoire.
Interprétation:
Pas pour longtemps, le petit ouistiti, compagnon
fidèle de Luke a tourné mécaniquement, en
"singeant son maître" toute la scène, de l'accident
au sauvetage. C'est lui également qui a subtilisé le
chargeur de la caméra avec l'émeute à Chinatown.
Parvenue à la M.G.M. cette bobine visionnée en
présence des principaux protagonistes démontre à la
fois le talent de Luke, son courage et l'imposture de
son rival.
Sally se précipite à la recherche de Luke revenu à
son ancienne activité de photographe et lui annonce
son triomphe. En route pour les bureaux de la
M.G.M., ils précèdent de peu Lindberg qui est
accueilli en héros par les new-yorkais. Luke trouve
que certes ses concitoyens en font un peu trop mais
il finit par accepter cette juste reconnaissance de son
mérite...
Buster Keaton:
Luke Shannon
Marceline Day:
Sally Richards
Harold Goodwin:
Harold Stagg
Sidney Bracy:
Edward J. Blake
Harry Gribbon:
le cop Henessey
Edward Brophy: le voisin de la cabine à la piscine
The Cameraman
3
ELÉMENTS BIOGRAPHIQUES
La vie de Joseph Francis KEATON dit Buster KEATON se confond avec celle du cinéma. Cette
affirmation n'est en rien une clause de style. Né le 4 octobre 1895 à quelques semaines de la première
représentation publique du cinéma 1, Buster KEATON fait ses premiers pas au théâtre où ses parents
étaient acteurs de vaudeville; il monte sur les planches dès 3 ou 4 ans où il devient vite une grande
vedette. Il doit, du reste, son surnom, au grand Harry HOUDINI qui s'exclama "My, what a buster !" 2
en assistant à un spectacle des Trois Keaton. Buster fait donc partie de ces personnes qui assurèrent
avec bonheur la transition de la scène à l'écran. Ce passage fut dicté par la nécessité: Buster KEATON
avait grandi, les rapports avec son père se dégradaient et les Keaton étaient en conflit ouvert avec les
plus gros organisateurs de vaudeville. Même avec un salaire fort modeste de 40$ la semaine, le
cinéma lui est apparu comme une solution aux problèmes rencontrés sur scène et comme la condition
de son indépendance: à 22 ans, il était plus que temps de couper avec ses parents...
La conversion à cette nouvelle forme de spectacle s'est effectuée sans difficulté grâce à l'expérience
accumulée, "à vingt ans, j'étais déjà un vétéran" 3, et à la complicité amicale de Roscoe (Fatty)
ARBUCKLE. Cet ancien du vaudeville dirigeait une compagnie cinématographique pour Joseph M.
SCHENCK, producteur de films dans un studio de la 48e rue. Joe SCHENCK venait d'engager ARBUCKLE
qui sortait de chez SENNETT ; Roscoe engagea, à son tour, son ami pour The Butcher Boy (Fatty,
garçon boucher - 1917), son premier film.
En un peu plus d'un an, entre le printemps 1917 et l'été 1918, Buster KEATON interprète une douzaine
de courts métrages de deux bobines (le format standard du burlesque) réalisés par Fatty. Le couple
fonctionne bien: la frêle silhouette de Buster contraste avec les 140 kilos de Fatty, la retenue
naturelle de Keaton avec la grossièreté exubérante de Roscoe, l'impassibilité avec les grimaces et les
jeux de scène obscènes. D'emblée, Buster se passionne pour le cinéma qu'il cherche à maîtriser
totalement en apprenant toutes les techniques. La taille modeste des équipes et l'organisation
artisanale du travail lui permettent de faire un apprentissage complet du cinéma: de la prise de vues
au montage.
Après une entracte de sept mois en France où il a été mobilisé, Buster KEATON retrouve Hollywood
et Joe SCHENCK. Il reprend son rôle dans le couple qu'il incarne avec Fatty pour une quinzaine de
nouveaux courts métrages. Après le départ à la fin de l'année 1919 de Roscoe à la Famous Players,
Joe SCHENCK mise tout sur Buster KEATON à qui il confie la direction artistique de son unité de
production baptisée Studio Keaton. Joe se charge de la gestion, Buster de la réalisation. Cette
division des tâches sera extrêmement féconde en libérant de tout souci matériel la créativité de
Buster KEATON; mais, elle lui sera fatale lorsque Joe ne sera plus en mesure d'assurer la maîtrise de la
production.
En attendant, leur société constitue une bonne illustration du fonctionnement du système
hollywoodien qui est en train de se mettre en place. La Comique Film Corp. possède ses propres
studios et une équipe de salariés réduite mais soudée. Buster KEATON est un salarié (1000, 2000 puis
2500$ par semaine) intéressé aux bénéfices à hauteur de 25%. Dans la mesure où tous les films
réalisés par le studio dégagent un bénéfice conséquent, les revenus de Buster KEATON sont
considérables et son train de vie fabuleux. La Comique Film est de plus une affaire de famille, Joe et
1
- Le 1er novembre au Wintergarten de Berlin par les frères SKLADANOWSKY, bien sûr!
- "Whaou, quel casse-cou!"
3
- Entretien avec Buster KEATON par Christopher BISHOP, in Cinéma 60, n°49, août-septembre 1960, p. 68.
2
The Cameraman
4
Buster ont épousé deux soeurs: Norma et Natalie T ALMAGE. Indépendante, la compagnie passe
néanmoins des accords de distribution avec une major afin d'avoir accès aux salles dans de bonnes
conditions. Leurs courts métrages seront donc distribués dans un premier temps par Metro Pictures,
puis par la First National; leurs longs métrages par la M.G.M. puis par United Artists.
Entre, le printemps 1923 et le début 1929, Buster KEATON réalise douze longs métrages à raison de
deux par an sortis invariablement l'un au printemps et l'autre à l'automne. Des méthodes de tournage
basées sur une excellente organisation de l'équipe et une stricte économie de temps (peu de
répétitions, une ou deux prises seulement par plan, sauf accident ou difficultés particulières)
permettent de tenir des budgets relativement modestes par rapport à ses deux concurrents Harold
LLOYD et surtout Charlie CHAPLIN et, par conséquent, de dégager des bénéfices considérables.
Cette série de longs métrages se distinguent par une grande variété de thèmes traités; le personnage
est nouveau également pour chaque récit. Aucun film n'exploite la formule du précédent. Le cadre et
le héros changent à chaque fois: modeste opérateur-projectionniste dans une petite ville anonyme
(Sherlock Jr.), milliardaire sur un océan (The Navigator), riche oisif à Los Angeles (Seven Chances),
pauvre photographe à New York (The Cameraman), conducteur de locomotive en Georgie et
Tennessee (The General), graduate fils d'un capitaine de vapeur sur le Mississipi (Steamboat Bill
Jr.), etc. Malgré ces importantes disparités, le héros keatonien existe bien de film en film non dans
l'apparence mais dans le comportement: il ne renonce jamais. Inébranlable dans la poursuite de son
dessein, il avance toujours en utilisant tous les moyens (même les plus extravagants) à sa disposition.
Amorcée dans les courts métrages, la réussite tant formelle qu'auprès du grand public est consacrée
par les longs métrages: Buster KEATON est devenu une star à Hollywood. Malheureusement, lorsque
Joe ne pourra plus maintenir l'indépendance de sa société, il convaincra Buster KEATON de signer à la
M.G.M. un contrat lui assurant 3000$ par semaine mais lui faisant perdre sa précieuse et féconde
indépendance. Malgré toutes les assurances qu'il avait obtenues, Buster KEATON ne fût plus jamais le
maître de ses productions. A la M.G.M. la production dirigé par Irving T HALBERG était en effet
organisée selon des principes industriels; l'artisanat y était proscrit. Considéré avant tout comme un
acteur, Buster fût donc dessaisi des autres tâches. On raconte que THALBERG mit vingt-deux
scénaristes sur The Cameraman et que Buster KEATON obtint l'autorisation exceptionnelle de tourner
sans tenir compte du script écrit par ces vingt-deux talents... Son film suivant, Spite Marriage, revint
aux normes strictes de production M.G.M., Buster KEATON ne participant ni à l'écriture du scénario ni
à la réalisation. Buster se contente d'y faire quelques "numéros" qu'il reprendra ensuite sur scène à
Medrano (la fameuse nuit de noce où il tente de mettre son épouse au lit).
Le slapstick condamné par l'industrialisation du cinéma fut achevé par l'avènement du parlant.
Buster KEATON devient un acteur de comédie. Tant que ses films eurent du succès, il conserva son
statut mais les échecs professionnels et son divorce entraîneront son licenciement de la M.G.M. par
Louis B. Mayer dès 1933. Buster KEATON entre alors dans une spirale de l'échec qui le conduit de
cure de désintoxication en petits boulots pour le cinéma où il sera honteusement sous-employé.
Fort heureusement, sur la fin de sa vie, il pourra assister à la réévaluation de sa contribution au 7 ème
Art. En 1959, il reçoit un Oscar spécial pour l'ensemble de son oeuvre; les hommages et les
rétrospectives se succèdent: Cinémathèque Française en 1962 et Festival de Venise en 1963... Il peut
alors se retirer dans un ranch près de Los Angeles où il s'éteint le 1er février 1966.
The Cameraman
5
L'ACTEUR
En mal de slogan, les marchands de cinéma ont vendu Buster KEATON sous le label "l'homme qui ne
rit jamais" et, en France, il fut de surcroît affublé du surnom de Frigo ou de Malec 4. Cette image
publicitaire accolée à Buster KEATON peut paraître assez surprenante car le sérieux est de mise chez
les comiques plutôt que le contraire. Pour autant, elle permettait de conférer au personnage joué par
Buster KEATON une qualité distinctive par rapport à ses principaux concurrents qui incarnaient
toujours un personnage identique.
"Christopher BISHOP: Est-ce votre père qui vous a persuadé de ne jamais sourire?
Buster KEATON: Non ce n'est personne; j'ai toujours travaillé ainsi parce que le contact avec le public
m'avait appris, tout jeune, que je devais être ce genre de comique: si je riais de ce que je faisais, le public
ne riait pas... Plus j'étais sérieux, plus je faisais rire. Quand j'ai fait du cinéma, c'était devenu
automatique, je ne me rendais même plus compte..." 5
Comme Buster KEATON le dit lui-même, son jeu est le fruit de son expérience de la scène et du
contact direct avec un public exigeant qu'il convient impérativement de faire rire. Pourtant, s'il garde
en toutes circonstances son sérieux et s'il refuse systématiquement les grimaces racoleuses, le visage
de Buster KEATON qui conserve en permanence sa beauté classique, n'est jamais inexpressif. Au
contraire, les gros plans, assez rares cependant, sur son regard permettent de souligner les états
d'âme de KEATON. Quelques exemples extraits du Cameraman permettront d'illustrer cette fonction
assignée principalement au regard. Contraint par la foule à serrer de près Sally au point de plonger
son visage dans sa chevelure, Luke tombe instantanément amoureux d'elle: tous les spectateurs
l'auront lu dans ses yeux perdus dans un plaisir extatique. Plus tard dans les locaux de la M.G.M.
News, il saura jouer du charme de son regard pour séduire sa belle. Enfin dans la piscine, la froide
détermination du prédateur sera manifeste sur le visage de Luke nageant vers sa proie pour lui
dérober son bas de maillot. Cet usage du gros plan est tout simplement du cinéma.
"Buster, "le grand visage de pierre", obsédé par le problème de l'expression, ne savait pas qu'il n'avait
jamais ri. On le lui fit remarquer, il continua. Plus tard, au cours d'une scène acrobatique, il se brisa le
cou sans s'en apercevoir. Lui dira-t-on un jour qu'en choisissant le silence et la gravité, il est devenu à
notre insu le plus solennel, le plus inouï des classiques du rire." 6
Dans un théâtre, le public se répartit entre l'orchestre, les balcons et également le paradis. Sur scène,
le comique doit garder à l'esprit cette donnée afin que ses effets soient perçues par tous. De plus la
présence du public et son exigence excluent les trucages grossiers: l'acteur ne saurait se faire doubler.
Jusque dans son surnom, Buster incarne cette éthique de la scène qui lui causa quelques mémorables
blessures car il ne fut pratiquement jamais doublé 7. Non seulement, il assura, sans doublage et au
prix de nombreuses chutes, la fameuse scène de poursuite en moto dans Sherlock Jr., mais c'est lui
qui, au début de la scène, doubla le policier qui pilotait la moto et tombait au premier chaos:
"Le refus de tout trucage, la volonté qu'a l'acteur d'assumer absolument sa présence à l'écran (ce qui lui
vaut plusieurs accidents graves) achèvent de conférer aux plus extravagantes situations une qualité de
réel rare dans le domaine du comique." 8
En revanche, il ne lui était pas interdit d'utiliser des numéros rodés sur scène. Dans Sherlock Jr, il
dispose un tambourin contenant une robe dans l'embrasure d'une fenêtre; lorsqu'à l'intérieur, il est
4
- Georges SADOUL pense qu'il s'agit peut-être de l'anagramme de "calme"; in Histoire générale du cinéma, Paris: Denoël, Tome 6,
1975, p. 273.
5
- Entretien entre Buster KEATON et Christopher BISHOP, traduit par Jean-Pierre COURSODON in Cinéma 60, n°49, août-septembre
1960, p.68.
6
- Robert BENAYOUN, "France Observateur", 1962, cité in Cinéma 66, avril, n°105, p.38.
7
- Ce refus du doublage est également le signe de l'artisanat. Dans l'industrie, on n'imagine pas prendre le risque de mettre en
danger la vedette principale du film. Les assureurs ne le permettraient pas...
8
- Claude-Michel CLUNY, Dictionnaire du Cinéma, Paris: Larousse, 1995, p. 1199.
The Cameraman
6
sous la menace des bandits, il leur échappe en plongeant à travers la fenêtre et en se retrouvant à
l'extérieur instantanément habillé comme une vieille dame. La scène tournée en continu dans une
maison en coupe permet au spectateur de mesurer toute l'habilité de l'acteur-cascadeur.
Résolue et réfléchie, la contenance keatonienne confère à tous les personnages qu'il incarne une unité
fondée sur une volonté sans faille servie par une énergie jamais entamée. Dans les pires situations
(cyclone, émeutes, naufrage, etc.), le héros tente l'impossible et tant qu'il n'a pas mis tout en oeuvre
pour réussir, il ne saurait renoncer. Ses premiers essais d'opérateurs sont vraiment catastrophiques et
provoquent les moqueries de tout le personnel de la M.G.M. News et en particulier de son rival;
Luke persévère et réussit l'admirable séquence du quartier chinois. Dans toutes les situations, il
cherche un moyen pour s'en sortir par ses propres moyens. Après avoir connu les pires déboires à la
piscine, Luke est enfin habillé et s'apprête à partir lorsqu'il trouve Sally encore en compagnie d'un bel
homme; Luke mesure ses chances d'un affrontement direct avec ce nouvel obstacle et s'aperçoit qu'il
n'en a aucune, aussi emploie-t-il une méthode détournée pour se débarrasser de l'importun: il fait
tomber le mouchoir de Sally aux bords de la piscine et lorsque le rival se baisse pour le ramasser,
Luke le précipite dans l'eau d'un coup de pied bien ajusté.
Le cinéma américain propose des héros maître de leur destin (le western) dans l'obligation de
résoudre des problèmes pratiques ardus et sortant de l'ordinaire: Keaton est bien le maître, le héros
par excellence. Maître de soi et du monde en faisant preuve d'une remarquable adaptation au milieu,
d'un inégalé savoir-faire... Keaton possède bien le signe distinctif du héros américain qui fait ce qu'il
doit faire sans avoir recours à une aide extérieure 9. Mais pour être digne d'intérêt, le héros se doit
d'affronter des situations extraordinaires. C'est pourquoi, le héros keatonnien se mesure à des
adversaires hors du commun: pas un ou deux policiers mais tous les policiers de la ville, tout un
troupeau de vaches, toutes les célibataires de Los Angeles en mal de mariage, toute l'armée
nordiste... Il est bien le seul à oser affronter le cyclone dans Steamboat Bill Jr. pour sauver son père,
son aimée et le père de cette dernière. Il faut le voir faire face aux vents pour mesurer sa
détermination. A aucun moment, il ne cherche à apitoyer le public; en rejetant une facile sympathie,
le héros keatonnien est un homme libre qui se confronte au monde. Evidemment, dans ces situations
périlleuses, rien ne prête à rire et le héros doit faire preuve d'une vigilance de tous les instants pour
surmonter tous les obstacles conçus par des hommes de cinéma particulièrement imaginatifs. Or,
n'oublions pas que toutes ces situations vraiment dramatiques devaient se transformer en pur
divertissement; il fallait oser et surtout réussir; pour cela il fallait bien du talent.
LE METTEUR EN SCÈNE
Buster KEATON est un des plus grands metteurs en scène de l'histoire du cinéma. Cependant pour le
profane, il n'apparaît pas d'emblée comme un grand réalisateur tant son art est entièrement soumis à
son récit et à son impact sur le public; KEATON n'hésitait pas à effectuer des previews et à transformer
son film en fonction des réactions de ce public-test 10. Luis BUÑUEL a été, sans doute, le premier à
souligner cet apparent paradoxe:
"On parle beaucoup de la technique des films comme METROPOLIS, NAPOLÉON... Jamais on ne parle de celle
de films comme Sportif par amour et c'est que celle-ci est indissolublement mêlée aux autres éléments
9
- C'est bien pour cela que John WAYNE et Howard HAWKS trouvaient High Noon (Le train sifflera trois fois) unamerican parce que
le Marschal Kane (Gary COOPER) passait son temps à quémander de l'aide auprès de ses concitoyens pour affronter les hors-la-loi
alors qu'en tant que représentant de l'ordre, il était payé pour cela...
10
- "Même pendant les années 20, nous montrions les films avant leur sortie à un public non prévenu. (...) Après de telles
previews, j'ai souvent coupé des scènes que je pensais hilarantes quand nous les avions vues en projection. Il m'est arrivé aussi de
conserver des scènes que j'avais trouvées faibles, mais que les spectateurs trouvaient drôles." in My wonderful world of Slapstick,
cité in Cinéma 66 n°105, p. 37.
The Cameraman
7
qu'on ne s'en rend même pas compte, de même qu'en vivant dans une maison, nous ne nous rendons plus
compte du calcul de résistance des matériaux qui la composent. Les super-films doivent servir pour
donner des leçons aux techniciens: ceux de Keaton pour donner des leçons à la réalité même."11
La notion d'auteur au cinéma ne va pas de soi. Cependant Buster KEATON peut, sans conteste, être
considéré comme le véritable auteur de ses films et cela paradoxalement même s'il n'en assure pas
toujours la réalisation comme c'est effectivement le cas pour The Cameraman où il n'est pas crédité
de la mise en scène. Dans ce type de configuration, Edward SEDGWICK doit être plutôt considéré
comme un assistant, Buster KEATON restant maître de son projet de bout en bout comme il le dit bien:
"J'étais presque toujours le producteur de mes films muets. J'ai utilisé un coréalisateur pour quelques
films, mais, dans la plupart des cas, j'ai travaillé seul. Et je montais mes films moi-même. Je suis le
monteur de tous les films muets que j'ai réalisés." 12
Et Buster KEATON maîtrisait parfaitement le montage. Il suffit de revoir n'importe quel film de sa
production pour s'en persuader. Tous les apprentis monteurs étudieront avec profit la séquence de
Scherlock Junior où Buster pénètre dans le film qu'il projette. Le héros, étranger au film, doit
affronter les changements de plans qui entraînent des situations périlleuses. Le tout est filmé au
cordeau 13. Pour autant, The Cameraman ne possède pas la perfection et l'unité des grands chefsd'oeuvre du maître du burlesque. Le film porte les stigmates des conflits qui ont opposé Buster
KEATON aux méthodes de la M.G.M. Buster a du se battre contre une armée de scénaristes dûment
appointés par le studio pour imposer ses propres idées.
La difficulté ontologique du long métrage burlesque réside, cela peut sonner comme une tautologie,
dans sa longueur. Le two-reeler était un format idéal auquel les comiques s'étaient parfaitement
adaptés. Le passage au long métrage après 1920 ne fut pas motivé par un besoin esthétique mais par
la politique de développement mise en œuvre par les propriétaires de salles de cinéma: création de
grandes salles dans le centre des villes, augmentation du prix des places, fidélisation du public en col
blanc... La longueur calculée en bobines (6, 7 ou 8 bobines) pose problème au burlesque dans la
mesure où le réalisateur doit avancer sur une corde raide en balançant entre les nécessités de la
cohérence de l'ensemble et le devoir de développer ces unités narratives autonomes qui font la
spécificité du genre: les gags, mais qui menacent continuellement l'unité globale de l'ensemble. Il faut
donc gérer continuellement des éléments antagonistes. La plupart des réalisateurs abandonnèrent
tout simplement le burlesque et passèrent à la comédie; après avoir fait leurs armes dans le two
reeler, Leo MCCAREY et Franck CAPRA devinrent les maîtres de la comédie des années trente. Dans
une moindre mesure et tout en restant fidèle à son personnage, CHAPLIN fit de même.
Buster KEATON eut vraiment l'inspiration et le génie nécessaire pour triompher avec constance des
difficultés de cet exercice. Pour ce faire, ces films étaient conçus comme un tout où les gags venaient
s'intégrer harmonieusement dans le récit global. L'unité se trouvait, de ce fait, préservée. Le plus bel
exemple de cette adéquation se trouve dans l'itinéraire aller-retour dans The General où les gags se
répondent point par point avec une rigueur géométrique dans la construction narrative: à chaque gag
de l'aller où Buster poursuit les nordistes correspond exactement un gag symétrique au retour où il
est poursuivi par toute l'armée nordiste.
Dans tous ses grands films, il sait utiliser à merveille l'espace et les paysages qu'il traite non comme
des éléments décoratifs mais comme des acteurs de l'action; Buster KEATON est bien en cela
également un grand réalisateur américain. Dans The Cameraman, le cadre urbain qu'il a déjà utilisé
11
- Luis BUÑUEL, Cahiers d'Art, 1927, cité par Marcel OMS in, Buster KEATON, Premier Plan, n°31, janvier 1964, p. 52.
- Au cours de l'ultime entretien réalisé à Venise le 4 septembre 1965, cité in Cinéma 66 n°105, p.51.
13
- Lors de la sortie de "La rose pourpe du Caire", les critiques s'extasièrent sur l'idée géniale de Woody ALLEN qui avait fait sortir
un personnage de l'écran pour aller dans la salle de cinéma. Plus de soixante ans avant, Buster KEATON avait eu l'idée
symétriquement opposée qui était cinématographiquement infiniment plus forte. Distance entre le muet et le parlant, critiques
acculturés!
12
The Cameraman
8
cependant dans Cops par exemple, mais qu'on lui impose, va restreindre cette utilisation dynamique
de l'espace. D'autant qu'il lui fut impossible de tourner dans les rues de New-York en raison de son
immense popularité et des attroupements qu'elle générait. Le film fut donc presque intégralement
réalisé en décor. Mais ce qui frappe le plus par rapport à ces chefs-d'œuvre précédents, c'est
l'existence de légers flottements dans la cohésion interne. Alors que Luke Shannon s'est fixé un but:
devenir opérateur d'actualité à la M.G.M. pour séduire sa belle, de nombreux moments du film
apparaissent comme des pauses, voire comme des perte de temps. Le héros keatonnien ne nous avait
pas habitués à ce genre de digressions tant il est habituellement construit par les nécessités de la
réalisation de son dessein... Ainsi toute la journée du dimanche où Shannon accompagne Sally à
Coney Island peut être ressentie comme une pause dans le déroulement de la ligne dramatique.
Certes, cette journée permet de développer quelques moments merveilleux: le bus à impériale, les
différents épisodes de la piscine dont le premier (Luke prend tous les billets de la caisse) est une
citation de Coney Island tourné avec Fatty à ses débuts en 1917. Pourtant malgré toutes ces
réserves, The Cameraman reste un grand film à la facture extrêmement complexe; hier la moviola,
aujourd'hui un magnétoscope sont indispensables pour en analyser une séquence.
Pour ce qui est de la construction globale, l'analyse de Luis BUÑUEL citée plus haut peut s'appliquer
parfaitement à The Cameraman. Les divers moments sont montés de tel façon que le spectateur "ne
s'en rend même pas compte". Des fondus au noir ou enchaînés ponctuent les principales séquences.
Chaque séquence est découpée de manière précise et importante (les plans sont très brefs: un insert,
un regard), pourtant le récit avance aussi vite que Luke se déplace dans la ville. Le cinéma de Buster
KEATON se met entièrement au service du jeu de l'acteur Buster KEATON. Ainsi même lorsqu'il prend
des distances évidentes avec les codes déjà dominants de la représentation, le spectateur le suit sans
en prendre nécessairement conscience: ainsi la séquence du téléphone dans une maison en coupe où
le point de vue est par conséquent situé hors récit, est une des plus réussies du film. En prenant
délibérément ses distances avec la transparence, Buster KEATON joue sciemment avec le péril de
rompre la fascination du film sur le spectateur mais il fait confiance à son art. Et ce flirt avec la
distanciation et le danger qu'elle fait courir au récit ajoutent encore au plaisir du spectateur.
Se mettre au service du jeu de Buster KEATON, c'est garantir également au spectateur l'absence de
trucage afin d'attester la qualité de son art. La mise en scène sera donc conditionnée par cet
impératif. Ainsi pour respecter ce que Jean-Pierre COURSODON nomme "l'éthique du réellement
accompli"14, Buster KEATON préfère-t-il les plans généraux qui restituent l'ensemble de l'action et
répugne-t-il à utiliser les plans rapprochés et les gros plans qui non seulement fractionnent le
déroulement de l'action et gomment l'espace mais permettent également des trucages. Buster KEATON
utilise certes ce type de plans mais jamais dans des conditions qui le feraient soupçonner de
manipuler les spectateurs. Dans la mesure où il affectionne les déplacements amples dans l'espace,
l'utilisation des capacités de mobilité de la caméra (travellings et panoramiques) s'avère
indispensable:
"Le recours à la caméra mobile est le prolongement logique de la répugnance de Keaton à fragmenter le
champ de l'action et à isoler ses personnages de l'environnement. La fréquence des mouvements
d'appareil donne à ses films un dynamisme qui contraste avec le statisme de la caméra dans la plupart
des films de l'époque." 15
Cette parfaite adéquation entre l'action représentée et sa mise en image explique que la mise en scène
keatonienne ait pu passer aussi longtemps inaperçue alors même que Buster KEATON ne s'est jamais
soumis entièrement aux canons de la transparence.
14
- in Buster KEATON, op. cité, p. 237. La maison en coupe est utilisée dans cet esprit; elle permet de montrer sans montage et, par
conséquent, sans trucage cinématographique, l'action dans son intégralité.
15
- Jean-Pierre COURSODON , Buster KEATON, Paris: Seghers ("Cinéma Club"), 1973, p. 246.
The Cameraman
9
FILMOGRAPHIE
Courts métrages: pour la plupart, il s'agit de films de 2 bobines
Période Arbuckle
1917 The Butcher Boy
Films produits par
A reckless Romeo
Joseph M. Schenck
The Rough House
distribués par
His wedding night
Paramount
Oh, Doctor!
Coney Island
A country Hero
1918 Out West
The Bell Boy
Moonshine
Good Night Nurse
The Cook
1919 Back Stage
The Hayseed
The Garage
Période Metro
1920 The Saphead
Films produits par
One Week
Joseph M. Schenck
Convict 13
distribués par
The Scarecrow
Metro Pictures Corp.
Neighbours
1921 The Haunted House
Hard Luck
The High Sign
The Goat
Periode
The Playhouse
First National
The Boat
Films produits par
1922 The Paleface
Joseph M. Schenck
Cops
et distribués par First
My wife's relations
Fatty, Garçon Boucher
Fatty en bombe
Fatty chez lui
La noce de Fatty
Fatty Docteur
Fatty à la fête
Fatty m'assiste
Fatty Bistro
Fatty groom
La mission de Fatty
Fatty à la clinique
Fatty cuisinier
Fatty Cabotin
Fatty au village
Fatty et Malec garagistes
Ce crétin de Malec
La maison démontable
Malec Champion de golf
L'épouvantail
Voisin-voisine
Malec et les fantômes
La guigne de Malec
Malec champion de tir
L'insaississable
Frigo-Frigoli
Frigo, capitaine au long cours
Malec chez les indiens
Les flics ou Frigo déménageur
Les parents de ma femme
National
The Blacksmith
The Frozen north
The Electric House
Day Dreams
1923 The Balloonatic
The Love Nest
Malec forgeron
Frigo et la baleine
Frigo à l'Electric Hotel
Grandeur et Décadence
Malec aéronaute
Le nid d'amour
The Cameraman
10
Longs métrages: Ces films font entre 5 bobines (Scherlock) et 8 bobines (The General)
Première Période
M.G.M.
Période
United Artists
1923 The Three Ages
Our Hospitality
1924 Sherlock Junior
The Navigator
1925 Seven Chances
Go west
1926 Battling Butler
Les trois âges
The General
1927 College
1928 Steamboat Bill, JR.
Le mécano de La Générale
Les lois de l'Hospitalité
Sherlock Junior, détective
La croisière du navigator
Les Fiancées en folie
Ma vache et moi
Le dernier round
Sportif par amour
Cadet d'eau douce
L'opérateur
The Cameraman
Le figurant
1929 Spite Marriage
Films produits et
Hollywood Revue
The Hollywood
distribués par M.G.M.
Revue
passage au parlant
Wir shalten um auf version allemande de The
Hollywood Revue
Hollywood
Le metteur en scène
1930 Free and Easy
version espagnole de Free and
Estrellados
Seconde Période
M.G.M.
Doughboys
Easy
Buster s'en va-t-en guerre
Dès 1929 et Spite Marriage, Buster KEATON n'est plus qu'un interprète et ne participe plus à la
réalisation.
The Cameraman
11
LA STRUCTURE DRAMATURGIQUE
* Après le générique, quelques images à la gloire des héros des temps modernes: les
New-York
opérateurs des actualités. Jouant sur la polysémie du terme, un carton note: "And there
are other types of photographers"
City
* Ouverture sur Luke Shannon (Buster K
) qui fait des photos à 10 cents dans les
EATON
The
Great
Central House
is on fire
Sally: I'm sorry... I
have a sort of date.
But give me your
phone number ... I may
call you
Luke: I'll be waiting
Luke: I'm sorry if I'm a
little late
rues de New-York. Luke "accroche" un client.
* La foule envahit les trottoirs, un événement important se produit, et empêche Luke de
réussir son portrait. Dans la bousculade, Luke rencontre Sally (Marceline Day) dont il
tombe aussitôt amoureux.
* La foule reflue et laisse Luke en compagnie de Sally. Il lui propose une photo, elle
accepte. Pendant qu'il développe son cliché, Sally est partie avec un des opérateurs qui
ont filmé l'événement. Luke la regarde partir.
Fondu au noir. L'exposition est terminée.
* Ouverture en gros plan sur le tableau localisant les différents bureaux d'un immeuble:
la M.G.M.-News est située au bureau n°323. Un travelling arrière, permet de découvrir
Luke lisant ce tableau
* Survient l'opérateur de la veille, Luke le suit. Quelques gags plus tard, Luke pénètre
dans les bureaux de la M.G.M. et découvre que Sally y occupe les fonctions de
secrétaire-standardiste.
* Luke lui offre sa photo et aussitôt commence sa cour. Elle ne sortira que dans trois
heures, il attendra. Echanges de regards. Séduction...
* L'opérateur du début apparaît comme un rival bien qu'il soit remis en place par Sally.
Luke décide de devenir opérateur pour pouvoir demeurer auprès d'elle.
* Elle lui conseille d'acheter une caméra afin de commencer par pigiste. Luke court
acheter avec toutes ses économies une caméra chez un prêteur sur gages.
* Retour à la M.G.M., Luke fait son apparition avec son appareil impossible. Il n'est
évidemment pas pris au sérieux et le boss de la M.G.M. le vide...
* Un incendie est annoncé, les opérateurs se précipitent. Sally suggère à Luke de les
imiter. Il obéit et brise la vitre de la porte du bureau en partant.
* A l'extérieur, il tente de trouver le lieu du sinistre, demande à un policier. Quiproquo,
le policier le prend pour un fou. Un camion de pompiers passe, Luke le prend au vol.
Malheureusement, il rentre au dépôt. Fondu au noir.
* Luke décide de filmer tout ce qu'il peut...
* Plongée, Luke pénètre dans un stade désert. Le gardien, avec un panneau à la main
"No Game Today" avertit que les Yankees ne jouent pas à New-York. Sans occupation,
Luke mime seul le match de base-ball. Devant le gardien dubitatif, il finit sa partie en
saluant la foule imaginaire. Fondu au noir.
* Dans la salle de projection de la M.G.M., Luke provoque l'hilarité générale; ses
images sont complètement ratées. Sally est désolée. Furieux, le boss met fin à la séance.
Luke s'en va complètement dépité.
* Sortie par une autre porte, Sally tente de lui remonter le moral. Luke en profite pour
l'inviter à sortir le lendemain dimanche. Elle lui laisse un espoir.
* Complètement remonté (il remet sa casquette à l'envers), il part en brisant à nouveau
la vitre de la M.G.M.. Fondu au noir.
* Le lendemain, ouverture sur la petite chambre de Luke où dès l'aube il attend fin prêt
l'appel de Sally. Il a besoin d'argent et brise sa tirelire avec bien des difficultés. Il se
rassoit.
* La sonnerie du téléphone retentit. Il se précipite dans les escaliers que le spectateur
découvre dans un plan de coupe par un travelling à la grue. Dans ce décor en maison de
poupée, on peut suivre Luke en un seul plan. Arrivé au rez-de-chaussée, une femme a
déjà pris. Luke n'a plus qu'à remonter. Perdu dans sa déception, il gravit lentement les
escaliers jusqu'au toit et s'effondre sur le plan incliné. On l'appelle à nouveau, fonce
jusqu'à la cave, remonte et s'empare enfin du téléphone, c'est Sally!
* Pendant que Sally bavarde au téléphone, Luke traverse la ville à toute allure sous les
yeux ébahis du même policier... Lorsqu'elle raccroche, Luke est derrière elle. Gros plan
sur le policier de plus en plus perplexe.
* Après quelques minutes pénibles à attendre Sally en compagnie de ses camarades de
pension, ils partent pour leur après-midi.
The Cameraman
12
Luke: I'll show you
some real fancy
diving!
Sally: I'm sorry you
got so wet
Luke: It was worth it...
to be near you
Monday
Morning
Luke: I took the
whole blamed war!
Thursday
morning
Wenesday
morning
Sally:
Eveybody's
talking about you!
They're all waiting to
give you a great
reception.
* Ils décident de prendre le bus. La foule les sépare. Sally est en bas, Luke au
premier juste au-dessus. Luke s'installe sur le garde-boue et bavarde avec Sally. Un
dos-d'âne le fait chuter, il reprend aussitôt sa place avec nonchalance. Toujours le
même policier effaré a assisté à toute la scène. Fondu au noir.
* A la piscine municipale, Luke prend tous les tickets comme dans le court métrage
Coney Island. Dans la piscine, il partage sa cabine avec un grossier personnage. Ils
échangent leurs maillots.
* Sally a une meute de beaux garçons autour d'elle qui sont effondrés lorsqu'apparaît
Luke dans sa tenue ridicule. Afin d'impressionner Sally, Luke décide de plonger. Le
plongeon est lamentable et Luke perd son maillot.
* Heureusement, une grosse dame se présente. Luke la suit avec un regard de
prédateur déterminé à faire subir un sort à sa victime. La dame hurle au voleur et
Luke sort de l'eau en courant avec le bas du costume de bain dérobé. Fondu au noir.
* Sally attend Luke. Aussitôt un bel homme vient lui faire la cour. Luke arrive,
mesure ses chances dans une éventuelle confrontation avec ce nouveau rival et
décide d'user de la ruse pour s'en débarrasser. Il jette à terre le mouchoir de Sally et,
d'un bon coup de pied, précipite le fâcheux dans la piscine.
* Le bus étant complet, Luke et Sally acceptent la proposition de l'opérateur de la
M.G.M. de les reconduire. Sally monte sur le siège à côté du conducteur, Luke n'a
que la place dans le coffre. Une pluie battante trempe complètement le malheureux
Luke. Un petit baiser de Sally récompense largement la ténacité de Luke. Il est
transporté; sur son petit nuage, il ne remarque même plus la pluie. Le policier
décide de l'interpeller et de tester ses réflexes. Luke s'en débarrasse.
* Luke est présent dans les locaux de la M.G.M. à la première heure. Sally arrive
après lui pour apprendre d'un informateur que quelque chose se prépare à ChinaTown. Elle donne l'information à Luke.
* Luke quitte la M.G.M. avec précaution mais un courant d'air brise la vitre malgré
tout. Dans sa précipitation, il renverse un joueur d'orgue de barbarie et assomme son
singe. Le tzigane fait un scandale et arrive à se faire acheter son singe par Luke.
Avec son nouveau compagnon, Luke tourne l'émeute à Chinatown avec un sangfroid à toute épreuve.
* Les deux pieds de son trépied sont brisés par des balles. Luke présente le troisième
pour égaliser. Sur un échafaudage qui s'effondre, il réalise un travelling descendant.
* Il redonne le couteau à un protagoniste pour pouvoir filmer au mieux et n'hésite
pas à en assommer un autre qui cachait son objectif. D'une fenêtre où il s'est posté, il
jette des ampoules pour attirer des bagarreurs dans son champ.
* La police intervient enfin et sauve Luke du traquenard où il s'était jeté. Avec
fièvre, Luke exprime sa gratitude au policier qui le suit depuis le début. Il s'échappe
une nouvelle fois.
* Les opérateurs de la M.G.M. arrivent trop tard, Luke ne cache pas sa fierté. Le
policier tente de l'embarquer dans une ambulance, il lui échappe à nouveau. Fondu
au noir.
* A la M.G.M., la porte a été renforcée. Luke ne peut produire de film, son magasin
est vide. Sally est compromise. Luke part honteux. Fondu au noir.
* Régate au Yacht Club de Wesport. Sally et le bellâtre sur un hors-bord. Luke rame
sur une barque dont le singe tient la barre.
* Luke tourne. Pour impressionner Sally, le bellâtre prend des risques inconsidérés.
A l'eau, il abandonne Sally dans une situation périlleuse.
* Luke se précipite et sauve Sally. Sur la plage, affolé devant Sally évanouie, il court
à la pharmacie chercher des remèdes. Pendant ce temps, le lâche revient et s'attribue
le sauvetage de Sally. Effondré, Luke les regarde s'éloigner. Mais le singe a
enregistré toute la scène.
* Revenu à son premier métier, la caméra de Luke est à nouveau à vendre. En
parallèle, dans la salle de projection de la M.G.M., un coursier porte le film tourné
par Luke. Le film démontre à la fois le talent et le courage de Luke.
* Le boss, enthousiaste, charge Sally d'aller chercher Luke pour l'engager. Sally
court et annonce la bonne nouvelle à Luke. Lindbergh est accueilli triomphalement
par les new-yorkais. Luke savoure sa victoire!
The Cameraman
13
LA SIGNIFICATION DE L'OEUVRE
L'homme à la caméra dans les rues de New-York
L'œuvre de Buster KEATON recèle une difficulté majeure pour la plupart de ses exégètes: elle ne
possède pas de signification explicite permettant une analyse de contenu simple et rassurante:
"Keaton, en effet, a été le premier (et le seul) génie comique à ne pas suivre le schéma d'évolution
"molièresque": "dépassement" du "simple" comique (pour Molière, les farces des années provinciales,
pour Chaplin, les Keystone de 1914) pour atteindre à des niveaux de plus en plus prestigieux,
psychologie, satire de moeurs, critique sociale, pathétique et vision humaniste. Pour la critique
traditionnelle, et aussi paradoxal que cela puisse, en théorie, paraître, il ne peut y avoir de grand
comique que dans ce dépassement du comique par celui qui le pratique." 16
Cette absence apparente de contenu a été souvent exploitée pour "démontrer" la supériorité de
CHAPLIN ou, au rebours, par une minorité formaliste défendant "l'art pur", pour plaider celle de Buster
KEATON. Mais au-delà de cette lutte stérile pour la suprématie du burlesque, il est important de noter
que l'œuvre de Buster KEATON, metzien17 malgré lui, contraint nécessairement à revenir au film et au
cinéma lui-même.
The Cameraman occupe une place unique dans la vie et l'œuvre de Buster KEATON. Il vient de
réaliser une série de chefs d'œuvre grâce à une collaboration unique avec un producteur unique
également, Joseph SCHENCK. Joseph SCHENCK appartient, en effet, à la première génération des
hommes qui ont fait le cinéma américain. Issu de l'exploitation, il est le frère de Nicholas SCHENCK,
surnommé The General, patron de la Loew's Inc, la Major Company qui possède la M.G.M.. Joseph,
lui dirige la petite maison de production, une affaire de famille, qui réalise les films de Buster K EATON
et, en même temps, il est également à la tête de United Artists, la compagnie fondée par Charlie
CHAPLIN, GRIFFITH et PICKFORD. Ne pouvant plus ou ne voulant plus assurer toutes ces tâches surtout
dans une période pleine d'incertitudes18, Joseph annonce à Buster KEATON à la fin de Steamboat Bill
Jr. qu'il ne produira plus ses films et que la meilleure solution pour lui est de signer à la M.G.M.
puisque son frère Nicholas est prêt à lui consentir des conditions de travail inchangées accompagnées
de conditions salariales très confortables 19. De plus, Joe ne manque pas de souligner que
l'appartenance à une grande compagnie permet de bénéficier de tout son potentiel: les meilleurs
professionnels sont déjà sous contrat dans ces Majors.
Malgré tous ces avantages, CHAPLIN lui déconseille vivement de signer, car:
"Tout le monde voudra te montrer comment faire tes films. Ils te détruiront en voulant t'aider. Ils te
fausseront le jugement, tu t'épuiseras à discuter en sachant que tu as raison." 20
Harold LLOYD fait de même, bien qu'il ait signé à la Paramount dans des conditions similaires. Mais
Buster KEATON n'avait pas vraiment le choix. Et malgré toutes les garanties reçues, les méthodes de
travail étant incompatibles, Buster perdit son autonomie qui s'avéra être la condition nécessaire à sa
créativité. Pour The Cameraman, il obtint effectivement encore quelques marges de manœuvre, mais
après il ne retrouvera jamais ni sa liberté, ni sa réussite. Après une série d'échecs commerciaux, Louis
16
- Jean-Pierre COURSODON , Buster KEATON, op. cité, p. 358.
- Christian M ETZ pose comme préalable à tout travail sur le cinéma le principe suivant: "On n'étudiera pas le cinéma en se
passant de lui". in Une étape dans la réflexion sur le cinéma, Critique n°214, mars 1965, p. 235.
18
- Le succès de The Jazz Singer annonce des mutations profondes dans l'industrie du film.
19
- Un salaire hebdomadaire de 3000$, une participation aux bénéfices, un bungalow privé à l'intérieur des studios. Bref, il obtient
le statut d'une star en vertu des bénéfices que la compagnie escompte bien réaliser grâce à lui.
20
- My Wonderful World of Slapstick cité par Jean-Pierre COURSODON in Buster Keaton, op. cité, p. 136.
17
The Cameraman
14
B. Mayer, le patron de la M.G.M., le licencie en 1933. En vertu de l'autonomie de gestion des
branches de la société Loew's Inc., The General n'intervient pas et Keaton sombre corps et biens 21.
Le cinéphile d'aujourd'hui qui connaît l'histoire de KEATON, sa biographie comme sa filmographie,
perçoit The Cameraman avec une nostalgie qui en fait tout le prix. C'est un chant du cygne doublé
d'une lucidité ironique et décapante. Buster KEATON eût toutes les peines du monde à réaliser son film
selon ses méthodes qui avaient fait leurs preuves mais qui étaient antagonistes avec celles des
studios. La réussite du film fut ensuite récupérée, non sans cynisme, par la M.G.M. qui présenta The
Cameraman comme un modèle d'école aux nouveaux comiques que la compagnie venaient
d'engager...
Presque tous les analystes de l'œuvre de Buster KEATON optent pour ce prisme de lecture. C'est ainsi
que Michel DENIS peut écrire:
"Mais où finit Luke Shannon et où commence Buster Keaton? Dans ce film étonnamment drôle, on ne
peut s'empêcher de voir une sorte de dernier hommage rendu par Keaton au cinéma, à travers lequel il
put s'accomplir pendant les dix années passées. THE CAMERAMAN nous restitue l'image vivante de
Keaton aux prises avec le cinéma et, à travers le cinéma, avec le monde. Ce reportage sur la création
keatonienne, tourné au moment où Buster Keaton est sur le point d'y renoncer, est à cet égard le film le
plus attachant de son auteur." 22
Les imperfections sont alors considérées comme autant de stigmates de l'intervention castratrice des
gestionnaires des studios acharnés contre la liberté de l'artiste-roi. Le procédé est trop souvent utilisé
dans les histoires du cinéma:
"Les récits de fiction traditionnels tournent souvent autour de conflits entre un groupe de personnages,
avec lequel le lecteur est censé sympathiser et un autre groupe, donné comme négatif ou indigne.
L'histoire du cinéma est parfois présentée de la sorte avec ses héros et ses "méchants". L'histoire
esthétique est particulièrement sujette à cette tendance dangereuse qui crée une confusion entre
interprétation du rôle historique des individus et une description romanesque de leurs actions." 23
Le réalisateur artiste romantique qui fait face aux pratiques philistines de nababs cupides et dénués
de sensibilité hante bien des histoires du cinéma et fournit le ressort de presque toutes les fictions
consacrées à Hollywood. D'autant que la légitimité se trouve sans conteste du côté des créateurs et
que les marchands sont soupçonnés de tous les péchés du monde. Prendre le parti des premiers
contre les seconds permet de gagner la sympathie de tous les publics.
Même avec ces réserves pertinentes à l'esprit, il est malheureusement légitime au sujet de Buster
KEATON et de son dernier film d'évoquer sa défaite personnelle et artistique face aux hommes du
studio et au premier d'entre eux Louis B. MAYER.
21
- Littéralement, puisqu'il est ruiné, qu'il divorce et qu'il perd jusqu'à sa santé. Il fera quelques séjours en psychiatrie pour des
cures de désintoxication alcoolique. Le naufrage est complet. Il y aurait un parallèle à la fois historique et poétique à faire entre
Buster KEATON et DZIGA-VERTOV, autre grand réalisateur du muet, qui, à la même époque mais à l'autre bout du monde, perd son
emploi, son logement, sa santé à la suite des nouvelles normes de cinématographie imposées dans son pays...
22
- Michel DENIS, Buster Keaton, Anthologie du Cinéma, n°62, mars-avril 1971, p.98.
23
- Robert C. ALLEN & Douglas GOMERY, Faire l'histoire du cinéma, Paris: Nathan (Université), 1993, pp. 60 & 61.
The Cameraman
15
ANALYSE D'UNE SÉQUENCE
La journée horrible du samedi s'est finalement achevée au mieux pour Luke. Après qu'il eût osé l'inviter pour
une longue promenade le lendemain, dimanche, Sally lui a répondu qu'elle l'appellerai peut-être. Evidemment,
Luke ne doute pas un instant que Sally lui téléphonera. Fondu au noir.
1 carton: "From the peep of dawn on Sunday morning"
2 Ouverture sur un plan moyen. Intérieur sur la chambre de Luke pauvrement meublée. La caméra fixe à
hauteur d'homme (incidence angulaire nulle) est positionnée au centre du quatrième mur de la chambre, posée
à la place du monsieur de l'orchestre comme dans le cinéma des premiers temps. A droite du cadre un lit, à
gauche une commode avec un nécessaire à toilette. Au centre du cadre, contre le mur du fond et assis sur une
chaise, Luke endimanché est prêt et attend...
Tout à coup, il s'agite, se relève et ouvre le dernier tiroir de sa commode et en retire un objet.
3 Insert sur cet objet dans les mains de Luke: une tirelire
4 Retour au plan 2 Luke cherche à casser sa tirelire à l'aide d'un marteau. Il pose la tirelire sur son lit et tape
fort. Le lit se brise, la tirelire est intacte. Luke cherche un autre support. Il sort presque totalement du champ
par la gauche.
5 Raccord sur le mouvement. Plan américain. Luke est contre le mur de sa chambre et tente toujours de briser
sa tirelire. Il traverse la cloison et perd sa tirelire.
6 Cadre légèrement resserré sur Luke. Il casse le mur pour récupérer sa tirelire. Il y parvient, cherche un appui
plus solide sur le mur et reçoit une planche sur la tête. Il se retourne vers la droite du cadre et jette sa tirelire.
7 Gros plan sur la tirelire qui s'est brisée sur le tapis.
8 Contre-Champ de Luke surpris (l'étonnement se lit dans son regard) constate qu'il a enfin réussi alors qu'il
renonçait...
9 Plan moyen sur la chambre un peu décalé sur la gauche par rapport au plan 2. La porte ouverte est dans le
cadre à gauche. Luke pénètre dans le cadre par le bas gauche. A genoux, il récupère ses pièces.
10 La caméra s'est rapprochée. Luke se remplit les poches et dans sa précipitation met quelques pièces dans
son pantalon. Il se redresse
11 La caméra suit son mouvement discrètement.
12 Retour au plan 9. Luke met de l'ordre dans son costume et se rassoit.
13 Insert sur une sonnerie
14 Luke se précipite et sort du champ par la gauche du cadre
15 Raccord sur le mouvement. Luke entre par la droite du cadre dans un plan moyen du palier de son
immeuble.
Dans un seul mouvement d'appareil, la caméra accompagne la descente de Luke dans un décor en maison de
poupées. En bas, une jeune femme a déjà pris. Luke remonte.
16 Plan américain sur la jeune femme téléphonant
17 Retour au plan sur la cage d'escaliers. Luke monte jusqu'au toit, s'effondre et redescend toujours dans le
même mouvement d'appareil jusqu'à mi-palier
18 Plan américain en plongée (dans le sens du regard de Luke) sur une dame (la concierge?) qui appelle.
19 Reprise du plan d'ensemble sur la maison de poupée où Luke dévale les escaliers jusqu'à la cave. Il remonte
et bouscule la concierge.
20 Plan américain de Luke qui s'empare du téléphone
21 Plan identique mais symétriquement inversé de Sally à l'autre bout du fil
22 Carton: "My date's off and -"
23 Plan identique au 20: Luke entend ce qu'il attendait depuis l'aube.
24 Plan sur le palier. Luke est au centre, la dame est toujours à terre. Luke s'éloigne violemment et arrache le
combiné. Après l'avoir redonné à la dame, il sort sur la droite du cadre.
L'absence de ponctuation atteste la continuité: le spectateur assiste bien à une séquence du Cameraman dans
sa globalité; la séquence continue ensuite avec la course dans la ville, mais cette première partie possède son
unité autour de l'attente de Luke. Les choix de mise en scène (la caméra à la place du monsieur de l'orchestre
et la maison de poupée) répondent à un impératif identique: donner à voir.
The Cameraman
16
KEATON ET LE CINÉMA
Très tôt, Hollywood a utilisé la fascination qu'elle suscitait auprès du public pour élaborer des
scénarios et tourner des fictions consacrés au monde du cinéma. Sans vraiment constituer un genre,
on a pu dénombrer plus de 300 films qui prennent Hollywood pour cadre ou pour sujet.
Ces films peuvent être des comédies comme The Party de Blake EDWARDS (1968 avec Peter SELLERS),
des films burlesques comme The Cameraman ou The errand boy de Frank TASHLIN (1962, avec
Jerry LEWIS), des films noirs comme Barton Fink de Joël et Ethan COHEN (1991, avec John
TURTURRO), des drames comme Sunset boulevard de Billy WILDER (1950 avec Gloria SWANSON, Eric
von STROHEIM et William HOLDEN) ou The bad and the beautiful de Vincente MINNELLI (1952, avec
Lana TURNER et Kirk DOUGLAS), des comédies musicales comme Singin' in the rain de Gene KELLY et
Stanley DONEN (1952) ou A star is born de George CUKOR (1954, avec Judy GARLAND, James
MASON).
Dans la tradition burlesque, Buster KEATON a déjà effectué des pastiches de western (Paleface, 1921
et Go West, 1925) ou des chefs d'oeuvre de David W. Griffith: Three Ages (Les trois Ages, 1923)
est le remake de Intolerance et The General se réfère bien sûr à The Birth of a Nation. Avec plus de
complexité dans le rapport au cinéma, Sherlock Junior (1924) lui a permis de jouer avec un brio
jamais égalé sur les frontières entre réel et cinéma. Projectionniste dans un cinéma, Sherlock s'endort
et, dans son rêve, pénètre dans le film qu'il transforme après qu'il en eut subi les transformations à
vue (le montage de la séquence est une prouesse technique 24):
"Sherlock Jr., en fait, est une véritable traversée du miroir, un cambriolage de la réalité. Même lorsqu'il
ne s'immisce pas dans le film du film, ce dandy limier aux presciences imbattables, Buster n'arrête pas
de fracasser le premier niveau du récit." 25
Avec The Cameraman, Buster KEATON prend à nouveau le cinéma comme sujet. Cependant, le
cinéma n'est qu'un moyen pour atteindre le but qu'il s'est fixé: conquérir Sally. A travers son
apprentissage à la fois rapide et douloureux, Luke Shannon va tout simplement refaire l'histoire du
cinéma. Photographe, il appartient au monde qui précède et autorise l'invention du cinéma. Puis, il
tante de devenir opérateur de prise de vues d'actualité à la façon d'Eugène P ROMIO ou de Félix
MESGUICH, les célèbres employés des frères LUMIÈRE, en allant filmer un incendie ou l'entrée d'un
cuirassier dans le port de New-York. Son inexpérience à manier la manivelle le conduit à "découvrir"
la surimpression, la substitution, l'accéléré et le ralenti: le cuirassier vogue sur la 5 e avenue...
Involontairement, Luke découvre les trucages qu'exploitera avec bonheur Georges MÉLIÈS. Mais ces
"découvertes" retardent la réalisation de son projet, il les rejette donc.
Enfin, il intervient dans l'émeute dans Chinatown qu'il est en train de filmer: il relance l'action sous
les fenêtres où il s'est posté en jetant des ampoules, il redonne le couteau à l'un des protagonistes afin
de filmer au mieux la bagarre. Pour rapporter les meilleures images possibles, il est parvenu à l'âge de
24
- Question: Comment avez-vous tourné la séquence où vous vous tenez près d'un arbre, et tout de suite après vous êtes sur un
rocher, au milieu de l'océan? C'était une transparence?
Buster KEATON: Non, ça n'avait pas encore été inventé. Nous nous sommes servis d'instruments de mesure. Quand je me tiens sur le
rocher, je me prépare à sauter dans l'océan: je saute, mais l'océan s'est transformé en quelque chose d'autre. En réalité, je me tiens
sur le rocher, je regarde la mer. Et nous coupons. Alors, nous avons sorti des instruments de mesure pour déterminer exactement
l'emplacement de la caméra et ma position. Nous nous sommes assurés également que ma hauteur, vue de la caméra, était bien la
même dans la scène suivante. Alors, on change de décor et la caméra commence à tourner. Et lorsque je saute, je tombe sur
quelque chose d'autre. Tout est réalisé grâce à un changement de décor. Mais moi, à l'écran, je ne changeais pas.
Entretien réalisé par John GILLETT et James BLUES, traduction in Cinéma 66, Avril, n°105, p. 71.
25
- Robert BENAYOUN, Le regard de Buster Keaton, Paris: Herscher, 1982, p. 187.
The Cameraman
17
GRIFFITH puisqu'il est devenu metteur en scène... A moins qu'il ne se soit souvenu alors des premières
reconstitutions d'actualités à la manière de Georges MÉLIÈS 26.
Reste que cette place de spectateur qui ne participe que de loin à l'action ne convient pas aux
personnages qu'incarne habituellement Buster KEATON. Aussi le jour de la régate lorsque survient
l'accident, Luke passe devant la caméra, là où se situe sa véritable place, pour agir. Avec son talent
habituel, il sauve, évidemment, la jeune fille en danger. Il aurait pu être finalement floué par le lâche
bellâtre mais le singe a tout enregistré. La vérité finit par triompher grâce au cinéma certes mais
réalisé par le réflexe pavlovien d'un ouistiti...
Si le cinéma c'est "vingt-quatre fois la vérité par seconde", est-ce parce que la caméra n'est qu'un
instrument passif d'enregistrement du réel? Emporté par son enthousiasme, Michel DENIS franchit le
pas:
"L'image cinématographique est incontestable et indiscutable car, mécanique heureusement dépourvue
d'âme, la caméra ne sait pas mentir. Pour elle un chat est un chat, Keaton est Keaton, et un exploit
athlétique est vraiment un exploit athlétique, que cette caméra soit celle de Luke Shannon le jour des
régates ou celle d'un opérateur de la M.G.M. sur le plateau d'une production Keaton." 27
Pourtant l'intervention de Luke à Chinatown aurait du l'amener à tempérer ses propos. De plus,
Buster KEATON n'hésite pas à montrer l'artifice de l'image cinématographique lorsqu'il utilise les
décors en coupe, comme le note Petr KRAL:
"Il joue, en ce sens, avec la nature même du cinéma en mettant pour ainsi dire en abîme sa "tricherie" de
base: le fait qu'il nous présente comme une réalité sa simple illusion, une chimère toute de lumières et
d'ombres. Comme l'a remarqué Walter Kerr, Keaton, comique-explorateur, explore d'abord l'espace
artificiel et illusoire de la vision cinématographique elle-même. (...) nous rappelant du même coup que
tout ce qu'on regarde, de toute manière, ne saurait être que du cinéma." 28
Alors vérité ou convention de l'image cinématographique? Buster KEATON s'est toujours tenu fort
éloigné des débats théoriques qui ont traversé le cinéma. Ce ne fut ni un théoricien, ni même un
intellectuel. Enfant de la balle, travaillant depuis son plus jeune âge pour gagner sa vie, il n'a jamais
eu le loisir d'aller à l'école: Jean-Pierre COURSODON s'autorise même à le qualifier affectueusement de
"génie inculte" 29. Néanmoins, son intelligence extraordinaire, son génie, du cinéma soulève
inévitablement de telles questions. Enfin, The Cameraman nous contraint à ces réflexions également
en raison de sa richesse intrinsèque et de sa place dans la vie et l'oeuvre de Buster KEATON.
26
- La deuxième spécialité de la Star-Film, la compagnie de Georges M ÉLIÈS: les films d'actualité reconstituées. Comme les
caméras ne peuvent pénétrer dans l'abbaye de Westminster, MÉLIÈS reconstitue en studio Le couronnement d'Edouard VII, présenté
avec des vues tournées à l'extérieur avant et après la cérémonie. Le film est présenté au Roi qui se reconnaît...
27
- Michel DENIS, Buster Keaton, Anthologie du Cinéma, n°62, mars-avril 1971, p.98.
28
- Petr KRAL, Les Burlesques ou Parade des somnambules, Paris: Stock ("Cinéma"), 1986, p. 155.
29
- in Buster KEATON, op. cité, p. 257 et 258.
The Cameraman
18
BUSTER K. & FRANTZ K.
"Keaton, c'est, en quelque sorte, Kafka mis en scène par Griffith." 30
Le spectateur découvre Luke Shannon dans sa chambre. Endimanché, il se tient prêt depuis la
première heure. Sally lui a, en effet, dit la veille qu'elle l'appellerait éventuellement. Après avoir à
moitié détruit sa chambre pour casser sa tirelire et réunir quelques sous, il attend donc. Et chaque
fois que la sonnerie du téléphone retentit, il se précipite dans la maison filmée en coupe 31. Une série
de gags ponctue cette séquence: entraîné par sa course, il termine dans la cave ou bien,
complètement dépité, il atteint le pan coupé du toit et s'effondre... A chaque fois, la maison de
poupée permet de filmer en continu en un seul travelling vertical. Après plusieurs tentatives avortées,
Luke décroche enfin le téléphone pour entendre Sally l'inviter. Aussitôt Luke traverse la ville à toutes
jambes dans une course éperdue pour rejoindre Sally avant qu'elle n'ait eu le temps de raccrocher et il
s'excuse pour son léger retard... Certes les femmes sont bavardes et écoutent fort peu, mais Luke a
une manière de traverser la ville qui rappelle précisément la nouvelle de Frantz KAFKA, Der Nachbar.
Dans cette nouvelle, le héros souffre d'un délire de persécution. Il est persuadé que son voisin
mitoyen l'espionne lorsqu'il téléphone à ses clients et qu'il se précipite chez eux avant même qu'il n'est
eu le temps de raccrocher:
"Vielleicht wartet er gar nicht das Ende des Gesprächs ab, sondern erhebt sich nach des Gesprächsstelle,
die ihn über den Fall genügend aufgeklärt hat, huscht nach seiner Gewohnheit durch die Stadt und, ehe
ich die Hörmuschel auf gehängt habe, ist er vielleicht schon daran, mir entgegenzuarbeiten." 32
La référence à KAFKA est, du reste, assez courante chez les analystes de Buster KEATON:
"Ce qui frappe d'abord, c'est l'aspect sereinement moderne de Keaton (...). Buster évoque directement les
cauchemars supra-logiques de Kafka." 33
Avant tout, KEATON ne se prénomme-t-il pas réellement Joseph? Joseph K. comme le protagoniste
principal dans Le Procès! Dans nombre de ses films, le recours au parallèle avec le grand Praguois
s'impose même si leurs univers ne se confondent pas absolument: "Keaton est l'arpenteur de la démesure,
alors que Kafka est celui de l'absurde, de la disgrâce."34 Chez les deux K., spectateur et lecteur vivent en
permanence dans une identique perméabilité entre l'onirique et la réalité ainsi que dans une totale
démesure. Lorsqu'il affronte ses semblables, KEATON tend à les assimiler à une force naturelle ou
animale qui écrase tout sur son passage et à la quelle il est bien le seul à pouvoir faire face.
Contrairement à Chaplin qui a maille à partir habituellement avec un ou deux flics, Buster KEATON
doit faire front à tous les flics de la ville réunis à l'occasion de leur fête annuelle (Cops). Il faut voir
cette séquence magnifique où Buster pénètre par le haut du cadre dans une avenue vide et s'enfuit à
toutes jambes vers le bas du cadre bientôt suivi par une nuée de policiers qui évoquent
irrésistiblement un vol d'oiseaux nuisibles; à peine le cadre est-il déserté par tous les protagonistes
que Buster y pénètre à nouveau par le bas et court vers le haut toujours poursuivi par la meute des
policiers. Même, s'il réussit à sortir du cadre, il semble alors vraiment prisonnier de l'espace filmique
devenu cauchemardesque. De même, Buster réussira à avoir toute l'armée nordiste à ses trousses
30
- Claude GAUTEUR, Charlot et l'anti-Charlot ou la revanche de Buster, Cinéma 62, n°69, septembre-octobre 1962, p. 68.
- Dans The High Sign (1920) et brièvement dans Sherlock Jr., Buster KEATON a déjà utilisé ce procédé qui prend ses distances
avec la transparence. Le procédé sera repris par Jerry LEWIS dans Ladies' man et Jean-Luc GODARD dans Tout va bien dans des
projets bien différents.
32
-Traduction libre: "Peut être n'attend-il pas la fin de la conversation et se lève-t-il dès qu'il est suffisamment informé, traverse la
ville à toute vitesse et sans bruit comme à son habitude et avant même que j'aie raccroché le combiné, il est peut-être déjà en train
de travailler contre moi." Frantz KAFKA , Erzählungen, Schocken Verlag, 1935. Souligné par nous.
33
- Robert BENAYOUN, "France Observateur", 1962 cité in Cinéma 66, avril, n°105, p.38.
34
- Thierry CAZALS, Un monde à la démesure de l'homme, in Cahiers du Cinéma n°393, février 1987, p. 29.
31
The Cameraman
19
après avoir récupéré The General, sa locomotive bien-aimée, et la femme qu'il aime. Aidé par la
stupidité du général en chef, il se débarrassera de l'armée de ses innombrables poursuivants lors d'une
séquence mémorable 35. Enfin dans Seven Chances, il doit faire face à des femmes par centaines qui
veulent toutes, dans un premier temps, l'épouser, puis dans un second, convaincues d'avoir été
dupées, lui faire payer son outrecuidance. Pour ce faire, elles sont prêtes à tout et renversent tout sur
leur passage à la manière d'un raz-de-marée.
Jamais les angoisses contemporaines n'auront été aussi bien mises en images: la peur du gendarme, la
crainte (misogyne) du matriarcat, l'arrogance destructrice des officiers généraux36. Et le spectateur ne
perçoit guère de différence entre le flot impétueux des vieilles filles à marier et celui du troupeau de
bêtes à cornes de Go west qui envahissent la ville avec une identique furie destructrice. Ces torrents
humains s'apparentent aux forces naturelles déchaînées par le typhon de Steamboat Bill. Dans ce
type de situations comme le lecteur de K., le spectateur de K. ne sait plus vraiment faire le partage
entre le réel et l'onirique. En revanche si chez Kafka la victime tente de prendre son destin en main et
s'englue littéralement dans une réalité qui lui échappe, chez Keaton, le héros existe, résiste avec une
détermination qui ne fléchit jamais et parvient à renverser la situation en sa faveur. En butte à toutes
les avanies de la réalité, le héros keatonien ne renonce pas et finit toujours par prendre sa revanche
dans ce qui peut apparaître comme un rêve éveillé. Sherlock Junior constitue évidemment une belle
illustration explicite du recours au rêve compensateur. Cependant les situations les plus anodines
peuvent se transformer en cauchemar comme cette journée du dimanche dans The Cameraman. En
attendant Sally, Luke doit subir l'inconfort de la curiosité des camarades de pension de la jeune fille
sous l'oeil inquisiteur de la directrice des lieux 37. Ensuite, au moment de monter dans le bus, la foule
et un gros type agressif contraignent Luke à prendre place dans l'impériale alors que Sally est restée
en bas. A la piscine, la terrible séquence de la cabine se déroule en continu:
"Un malabar, utilisant la même cabine que Keaton pour se changer (de telle sorte que l'un remet à son
insu les vêtements que l'autre enlève), répond quand le héros cherche à faire valoir qu'il s'agit de sa
cabine: "Tais-toi, sinon ce sera ton cercueil." Peu après, une bretelle du malabar se serre autour du cou
de Keaton et manque de l'étrangler... On peut dire que les burlesques, comme nos mauvais rêves, se
déroulent dans un univers où les cabines peuvent d'un instant à l'autre devenir des cercueils, de même
que les bretelles s'y transforment en noeuds coulants. En même temps que la relativité de nos
conventions, les gags dévoilent l'autre face de la vie: celle où elle n'est précisément, en puissance, qu'un
interminable cauchemar." 38
A la sortie de cette cabine infernale, les deux protagonistes ont évidemment échangé leurs maillots;
Luke pénètre dans la piscine avec un maillot bien trop grand qui constitue un handicap insurmontable
pour réaliser ses habituelles prouesses. En conséquence, il se prend les pieds dans les plis de son
maillot et tombe lamentablement du plongeoir. Lorsque Luke fait surface, il s'aperçoit avec horreur
qu'il a perdu son maillot et qu'il est nu entouré de nombreuses jeunes femmes. Il n'a plus comme
ressource que de se transformer en redoutable prédateur marin pour récupérer le bas de maillot d'une
malheureuse victime...
35
- Sur le pont en flamme, c'est une véritable locomotive qui s'avance et tombe dans la rivière. Buster K EATON disposait alors de
tous les moyens; cependant, il les gérait au mieux: il n'était pas question de refaire la prise...
36
- Il convient de lire à ce sujet: Norman F. DIXON, De l'incompétence militaire, Paris: Stock, 1977. Dans cette thèse de
psychologie, l'auteur analyse avec un humour tout britannique les causes des grandes défaites de l'histoire militaire de son pays.
37
- Jerry LEWIS fera un film entier à partir de cette situation initiale: The Ladies' man. Un des derniers grands films burlesques.
38
- Petr KRAL, Le Burlesque ou La morale de la tarte à la crème, Paris: Stock ("Cinéma"), 1984, p. 292-293.
The Cameraman
20
L'ACCUEIL CRITIQUE
"Christopher BISHOP: Attachiez-vous de l'importance à ce que les critiques des années 1920 disaient de vous?
Buster KEATON: Pas beaucoup, j'avais l'habitude depuis ma naissance. Tel critique vous aime bien, tel autre ne vous
aime pas, et voilà!" 39
Le texte de Luis BUÑUEL, qui suit, a été rédigé pour un autre film; il méritait de figurer parmi les
grandes critiques consacrées à Buster KEATON tant il est inaugural et tant la personnalité de son
auteur, réalisateur et membre du mouvement surréaliste, est importante dans l'histoire du cinéma:
"Voici Buster KEATON avec son dernier et admirable film: SPORTIF PAR AMOUR. Asepsie. Désinfection.
Libérés de la tradition, nos regards se ragaillardissent contre toute infection sentimentale. Le film était
beau comme une salle de bain: d'une vitalité d'Hispano. Buster ne cherchera jamais à nous faire pleurer
parce qu'il sait que les larmes faciles sont périmées." 40
Evidemment le rapport au monde de Buster KEATON, déterminé et résolu à agir dans un monde où
l'onirique trouble toujours la perception du réel, avait de quoi séduire les surréalistes. A la suite de
Luis BUÑUEL, les surréalistes prendront le parti de Buster KEATON contre Charlot et son naturalisme
dans la compétition un peu vaine qui tend à les opposer pour la postérité.
Lors d'une reprise du film, Paul GILSON écrit un texte avec un très beau titre, "Le génie de la
distraction":
"Je vous souhaite de revoir L'OPÉRATEUR où Buster KEATON, comme il fut sportif, figurant par amour,
devient par amour opérateur d'actualités. Seul, un acrobate peut feindre cette gaucherie des sens; un
poète, ce sommeil de l'intelligence que simule le génie de la distraction. Aussi surprenant qu'un spectre à
midi, il se promène sérieusement le long d'histoires à dormir debout. Chaque coup du sort le touche, la
vie de chaque jour l'interdit. (...) C'est parmi les catastrophes qu'il donne sa vraie mesure. Les désastres
n'inquiètent pas cet homme d'un autre monde. L'amour inspire toujours ses tentatives de secours; aussi
réussit-il en désespoir de cause; il fait l'impossible sans s'en douter." 41
Michel MARDORE débute son texte par un parallèle certes provocateur mais pertinent avec Sergueï M.
EISENSTEIN, "cet autre inventeur de formes" pour centrer son étude sur l'écriture keatonienne:
"Ainsi le style de Keaton peut s'accorder au refus thématique des sentiments et à l'inexpressivité
congénitale avec une discrétion qui ne doit rien à ces litotes du coeur où s'attrapent encore les nigauds,
quand ils ne se noient pas dans les épanchements lacrymo-dramatiques des clowns tristes. De ce feu et
de cette glace, (...) on comprendra mieux l'efficience en examinant The Cameraman, film génial, mais
dont la mise en scène trahit un peu la personnalité de Buster, tout en traduisant mieux ses idées. Il suffit
de deux travellings arrière et d'un gros plan de regard pour percevoir sous la verve et l'agitation, comme
une facilité séduisante et un air de décadence, presque de mollesse orientale, tant il est vrai qu'un vifargent irradiait le style impassible des films antérieurs." 42
Michel DENIS insiste sur l'aspect biographique du film:
"THE CAMERAMAN, en 1928, apparaît comme une revanche de Keaton, toute symbolique, il est vrai, sur
l'appareil hollywoodien qui est en train de le dévorer. A travers le cinéma, mécanique supérieure
habilement maniée par le metteur en scène, Buster s'affirme au monde et d'abord à tous ceux qui
doutaient de lui ou voulait le perdre." 43
39
- Entretien entre Buster KEATON et Christopher BISHOP, traduit par Jean-Pierre COURSODON in Cinéma 60, n°49, août-septembre
1960, p.69.
40
- Luis Buñuel, Cahiers d'Art, 1927, cité in Cinéma 66, avril, n°105, p.46.
41
- Paul GILSON, Buster Keaton ou le génie de la distraction, Ciné-Magic, 1951, p.99, cité in Cinéma 66, avril, n°105, p.54.
42
- Michel MARDORE , Le plus bel animal du monde, Cahiers du Cinéma n° 130, avril 1962.
43
- Michel DENIS, Buster Keaton, Anthologie du Cinéma, n°62, mars-avril 1971, p.98.
The Cameraman
21
Dans sa somme toujours indépassée, Jean-Pierre COURSODON évalue sereinement le dernier grand film
de Buster KEATON:
"Le film est une grande réussite, qui ne trahit aucun essoufflement de l'inspiration malgré les tensions,
conflits et complications de toutes sortes évoqués plus haut. On y a même vu, sans doute abusivement,
une "somme", un film-testament dans lequel, au terme de son oeuvre personnelle, Keaton nous livre sa
conception du cinéma. Est-ce, comme quelqu'un l'a écrit, le chef-d'oeuvre de Keaton? Lui accorder cette
distinction, c'est implicitement mésestimer les extraordinaires qualités de plusieurs autres films, qualités
qui n'apparaissent pas de façon aussi éclatante dans The Cameraman." 44
Dans La Parade des somnambules, Peter KRAL reste fidèle à l'inspiration surréaliste:
"Le protagoniste d'un burlesque se déplace le long du film comme son seul centre d'intérêt mouvant, en
un véritable soliloque gestuel. Même quand, dans la plus belle séquence de The Cameraman, Keaton
traverse toute une ville en un éclair pour rejoindre son amie, l'essentiel n'est pas leur rencontre mais bien
sa traversée solitaire." 45
Conformément à la ligne éditoriale des Cahiers du Cinéma, Thierry CAZALS choisit de retenir le
rapport au cinéma développé dans le film:
"Ce que démontre Keaton-cinéaste, c'est que personne ne peut prétendre gérer ou posséder la totalité du
possible: il s'agit, par définition, d'une infinité de virtualités indescriptibles ou non prévisibles. Face à
l'aveuglement, Keaton ne cherche pas à montrer les choses telles qu'elles sont; seul le singe a ce pouvoir
dans Le Cameraman, car il se contente de "singer" filmiquement la réalité, là où son maître, reporter, est
obligé de provoquer, reconstruire, "diriger" les événements qu'on lui a demandé d'enregistrer. Il s'agit
justement de mettre en scène cet aveuglement, d'élargir l'espace de vérité et de liberté, par ce surplus de
réflexivité qu'acquiert le spectateur vis-à-vis de l'espace filmique" 46
44
- Jean-Pierre COURSODON , Buster Keaton, op. cité, p.138.
- Peter KRAL, Les Burlesques ou Parade des somnambules, Paris: Stock (Cinéma), 1986, p. 34.
46
- Thierry CAZALS, Un monde à la démesure de l'homme, in Cahiers du Cinéma n°393, février 1987, p. 31.
45
The Cameraman
22
LE BURLESQUE
Le cinéma est un divertissement d'ilotes et quoi de plus représentatif de ce cinéma là que le cinéma
burlesque: gesticulation, poursuite insensée, tartes à la crème. Seuls quelques esthètes des années
vingt furent assez perspicaces et prirent la défense du burlesque47. Mais c'étaient des poètes souvent
surréalistes ce qui limitait considérablement leur audience...
"Nous serons toujours trop sensibles à ce qui, dans une œuvre ou un être, laisse à désirer, pour nous
intéresser beaucoup à la perfection..." 48
Dans sa longue quête de légitimation le cinéma-en-tant-qu'art se devait d'occulter sa part maudite.
Dans Show people, un excellent film sur le Hollywood des années vingt, King VIDOR construit son
récit en opposant ces deux mondes: l'équipe sans prétention du slapstick et la troupe "bostonienne"
du cinéma d'art... Arrivée de sa campagne profonde, Peggy Pepper commence par le bas de l'échelle:
le slapstick. Peggy est effondrée, elle voudrait tant tourner dans un film d'art. Heureusement pour
elle, elle est vite repérée par un talent scout. Elle signe bientôt au High Arts Studio ("Studio Grand
Art"). C'est la reconnaissance et la respectabilité. Elle change de look, de nom et ne reconnaît plus
ses anciens amis du slapstick. Elle a même honte d'eux lors du tournage en extérieur où les deux
mondes se rencontrent et s'opposent...
Les critiques des intellectuels et des ligues de vertu avaient porté et le cinéma, lui-même, était en
recherche de respectabilité, d'autant qu'il fallait, afin de pérenniser les salles, attirer et fidéliser le
public en col blanc qui possédait une qualité dont le public populaire manquait cruellement: la
solvabilité. De plus, un cinéma ouvertement consacré au divertissement, pas toujours de bon goût,
avait de quoi rebuter des intellectuels attachés à la qualité des contenus et défenseurs de la pureté de
l'art. Enfin, un loisir vraiment populaire ne peut qu'être que soupçonné de la pire des vulgarités par
les élites ou même pire de constituer un danger de subversion.
En revanche, les cinéastes du burlesque ont eu la chance de tourner à une époque où le cinéma n'était
pas encore pris au sérieux, où les écoles de cinéma n'existaient pas. L'académisme n'a jamais menacé
le burlesque... Leur production est tout simplement qualitativement et quantitativement stupéfiante:
" L'affectueux mépris d'un public ingrat et insatiable leur permettait à défaut d'accéder tout vivant à des
panthéons inutiles d'édifier des fortunes rapides et entièrement méritées, car ils se donnaient à leur
travail avec un enthousiasme et un acharnement qui ont eu peu d'équivalents dans l'histoire du spectacle.
C'était là une situation saine et profondément morale, un splendide exemple d'art désintéressé (...): l'art
libre, autonome, expansif, sans pose ni problème, sans souci ni coup d'œil vers la postérité. Les
burlesques n'avaient pas plus besoin d'exégètes qu'une poussée démographique n'a besoin de bénédiction
pontificale..." 49
Depuis, de nombreux ouvrages résultats de recherches universitaires ont contribué à donner sa place
à ce genre qui reste attaché à la grande période du muet à Hollywood... Le genre a pratiquement
disparu.
Le genre au cinéma va de soi et pourtant il s'avère généralement très difficile d'en définir les contours
dans la mesure où les critères retenus ne sont pas toujours nettement fixés. "On" a l'habitude de
parler du "burlesque" dont l'histoire commence avec le siècle et se poursuit jusque vers 1930 avec
des prolongations dans l'ère du parlant comme s'il s'agissait d'une seule école de comique définie une
fois pour toutes et ne s'étant guère modifiée au cours d'une période pendant laquelle le cinéma
47
- slapstick en américain qui signifie,en contraction, gifle et baton. Tout un programme!
- Tract surréaliste à propos de L'Age d'or, 1931.
49
- Jean-Pierre COURSODON , Keaton et Cie, Paris: Seghers ("cinéma d'aujourd'hui"), 1964, p. 11 et 12.
48
The Cameraman
23
connaissait une évolution considérable. Bien sûr, le burlesque a évolué durant la période passant des
petits films à deux bobines au long métrage de prestige (CHAPLIN, KEATON) et, dans ses mémoires,
Mack SENNETT note avec justesse et compétence: "Dans le domaine des films comiques, les styles changent
aussi vite que dans celui des chapeaux féminins. " Enfin, lorsque le spectateur assiste à La Parade des
somnambules50, d'Harold LLOYD à Harry LANGDON, de Laurel et Hardy à Charlot, sans oublier les
frères MARX ou Fatty, il ne peut qu'être frappé par la grande diversité des vedettes du burlesque.
Néanmoins cette difficulté de définition des frontières du genre ne doit pas masquer l'objectivité de la
chose: le burlesque a parfaitement correspondu à l'organisation du système de production et de
distribution du cinéma américain du début du siècle. Présent dès les débuts du cinéma, le burlesque
est donc lié au cinéma des premiers temps. Fondé sur le langage des corps, il assure le succès de ce
nouveau mode de loisir au près du plus large public: jamais le cinéma n'aura été aussi près de
l'universel. Il occupe donc une place centrale dans le développement considérable du cinéma. En
1912-1913, Sennett tourne pour la Keystone 140 films (une ou deux bobines) en 12 mois, la plupart
du temps improvisés sans scénario bien précis. La troupe de Sennett ne comptait que quatre
permanents. Il s'agit d'approvisionner en films attractifs, pour un public en majorité composé
d'immigrants, les nombreuses salles qui ont vu le jour sur l'ensemble du territoire. L'organisation est
artisanale: dans ces petites troupes, il n'existe pas de spécialisation des tâches ni plans de tournage
précis, ni même parfois de scénario élaboré. Une idée simple de départ suffit, un événement dans la
ville également: l'utilisation du triomphe de LINDBERG à New-York pour la séquence finale dans The
Cameraman constitue un très bon exemple.
Ce développement est contemporain de l'installation définitive du cinéma sur la côte ouest qui permet
le tournage en extérieur et l'utilisation dynamique des décors naturels. Les clowns échappent à la
scène du music-hall ou à la piste du cirque. Ils sont livrés à eux-mêmes dans les rues, parmi les trams,
les voitures, les flics. Par conséquent, le décor privilégié du slapstick est également celui des
immigrants, son principal public, la grande ville nord-américaine:
"Les comiques, en descendant dans la rue et en investissant le décor de la vie quotidienne faisaient tout
tranquillement leur révolution néo-réaliste et nouvelle vague avec quarante ans d'avance." 51
Les personnages, les situations mais également les principaux acteurs sont tout droit issus du musichall et du vaudeville. Cependant, les techniques du music-hall ont évidemment évolué au cinéma qui
a donné aux artistes l'occasion de développer leur art. Chargée de s'adapter à toutes les situations et
de répondre à tous ces impératifs, la mise en scène se devait d'être extrêmement inventive:
"La mise en scène, chez eux, n'est nullement décorative mais fonctionnelle. Elle vise à montrer, le plus
simplement et le plus efficacement possible, sa spontanéité ignore et exclut toute faiblesse pour
l'esthétisme. Il est peu d'exemples dans l'histoire du cinéma d'une adéquation de la forme et du fond
aussi parfaite, obtenue avec une aussi tranquille simplicité. C'est pourquoi cette expression est moderne
et ne vieillit pas: parmi les films muets qui ont supporté l'épreuve du temps, les comiques sont en
majorité impressionnante." 52
Montrer! Le terme est fort en ce qu'il renvoie directement aux meilleures analyses du cinéma des
premiers temps qualifié par certains chercheurs de cinéma de la monstration. Dans leur excellente
contribution Le cinéma des premiers temps: Un défi à l'histoire du cinéma?, André GAUDREAULT et
Tom GUNNING proposent de distinguer deux modes de pratique filmique: le système d'attractions
monstratives et le système d'intégration narrative 53. Le burlesque peut alors être considéré comme
50
- Titre de l'ouvrage de Petr KRAL, Les Burlesques ou Parade des somnambules, Paris: Stock ("Cinéma"), 1986.
- Jean-Pierre COURSODON , op. cité, p. 46.
52
- Jean-Pierre COURSODON , op. cité,p.24.
53
- in Histoire du cinéma, Nouvelles approches, dirigé par Jacques AUMONT, André GAUDREAULT, Michel MARIE, Paris, Publications
de la Sorbonne, 1989. Lire également de Tom GUNNING, Le style non-continu du cinéma des premiers temps (1900-1906), Les
51
The Cameraman
24
un pont entre ces deux pratiques car s'il raconte certes des histoires, il cherche avant tout à montrer.
C'est une question d'honnêteté pour les artistes de la scène, leur déontologie en quelque sorte. Dans
les courts métrages, le montrer passe même avant le récit qui ne prend le dessus que dans le long
métrage.
1940: la fin du genre?
W.C. FIELDS tourne son dernier film et les frères MARX leur dernière grande réussite (Go West) qui
précède de peu leur séparation, tandis que CHAPLIN dit adieu pour toujours à Charlot et au burlesque
dans Le Dictateur. Pour la plupart des historiens du cinéma, l'avènement du parlant marque tout
simplement la fin du burlesque; les films parlants ne constituant que des sous-produits annonçant la
mort du genre.
Avec la finesse qui caractérise son analyse, Jean-Pierre COURSODON, en note, pose la question avec
pertinence:
"Alors que le film dramatique était privé de la parole, le film comique jouissait de son absence. (...) De
plus, les grands comiques du muet étaient étrangers à la parole parce qu'ils étaient, fondamentalement,
des solitaires, dont le silence renforçait l'isolement psychologique et social: l'absence de communication
était ainsi leur mode naturel. Le parlant, sans faire du personnage comique un individu "comme les
autres", le réintroduit dans un contexte social marqué par un type "normal" de communication, d'où une
très grande banalisation de ses rapports au monde et aux autres." 54
En fait, le déclin a été amorcé avant même l'avènement du parlant lors de la généralisation du long
métrage. Ce passage a été rendu nécessaire pour assurer la pérennité des salles de cinéma. Les courts
métrages deviennent alors des compléments de programme, des premières parties pour le long
métrage, le grand film. Dès lors pour les burlesques à succès, il valait bien mieux occuper le haut de
l'affiche en proposant un long métrage. A la question "Qu'est-ce qui vous a décidé à abandonner les
courts métrages pour les longs?", Buster KEATON répond simplement:
"C'est parce que l'exploitant achetait deux films: un long métrage et un complément, et il faisait
davantage de publicité pour un court-métrage de moi, Lloyd ou Chaplin, que pour son grand film qui
était toujours de seconde zone. Nous n'avions pas des Fairbanks et des Mary Pickford avec nous sur
l'affiche! (...) Donc puisque de toute façon nous étions l'atout-maître, autant faire des longs-métrages et
louer les films 1.500 dollars au lieu de 500. Cela fait une différence." 55
Enfin cette évolution s'achève lors de "la bataille des théâtres": dans leur lutte sans merci pour
attirer le public, les exploitants se sont mis à proposer le double programme (deux longs métrages)
excluant de fait les courts. Mack SENNETT l'exprime très bien:
"Le déclin du film comique s'amorça en 1923 le jour où un exploitant de Providence, à Rhode Island,
remarqua que les jeunes ouvriers et leurs compagnes, quand il avaient fini leur journée de travail, qu'ils
étaient lavés et changés, étaient prêts à sortir dès 6 h 30 du soir. Ils cherchaient alors un endroit où
passer la soirée. Le directeur du cinéma de Providence trouva la solution en mettant deux longs métrages
à l'affiche, ce qui représentait trois à quatre heures de projection. Le système du double programme fut
peu à peu adopté dans tout le pays et porta un coup fatal au film de deux bobines, supprimant par la
même occasion le terrain d'entraînement le plus approprié qu'aient pu trouver les acteurs de cinéma, et
en particulier les comiques."56
La généralisation du long métrage a entraîné une inflation des coûts de production qui mit fin
définitivement à l'artisanat. Mister Taylor goes to Hollywood. KEATON faisait tout dans ses films;
Cahiers de la Cinémathèque, n°29, 1979
.
54
- Jean-Pierre COURSODON , op. cité, note 21 p. 225.
55
- Entretien avec Buster KEATON par Chrisopher BISHOP, op. cité, p. 68.
56
- Mack SENNETT, Le roi du comique, Paris: Le Seuil (Point, virgule), 1994, p. 313.
The Cameraman
25
salarié à la M.G.M., il devra choisir un métier. Par exemple, à ses débuts à l'écran, Buster KEATON
travaillait sans script:
"Nous bavardions sur une histoire, nous faisions le point de ce que nous pouvions penser, nous
rassemblions tout et tous les gars de l'équipe savaient ce que nous allions tourner." 57
Situation inacceptable pour tout bon gestionnaire. Pour The Cameraman, il dut se défaire des
scénaristes imposés par la M.G.M. pour rester maître de son film... Avec le parlant, la narration
remporte la victoire totale. Le récit prend le pas sur le gag. Les maîtres du muet savaient que plus
une intrigue s'étoffait, plus il devenait difficile d'y introduire des gags, le nombre de gags susceptibles
de lui convenir et de ne pas gêner sa progression étant fonction inverse de sa complexité. En fait, il
existe bien contradiction entre les deux formes de cinéma qui avaient réussi à cohabiter dans le muet
et qui va se résoudre par la victoire définitive de la narration. De plus la parole impose la linéarité et
contrarie le découpage qui morcelle. Lorsque nous revoyons The Cameraman comme tous les autres
films de Buster KEATON, il est frappant de constater le travail sur le montage et l'extrême découpage
jusqu'au morcellement qu'il a effectué tout en maintenant l'unité de l'ensemble. Le parlant mettra fin à
cette créativité formelle et condamna aussi bien DZIGA-VERTOV que Buster KEATON...
Mais le temps a fait son office. Aujourd'hui, le cinéma muet qui a le mieux vieilli est sans conteste le
burlesque. The Cameraman comme tous les films de Buster KEATON n'a pas pris une ride alors que
bien des films d'art de la même époque ne sont plus présentables pour un public de non-spécialistes.
LE GAG
Le gag constitue le burlesque; il en définit la spécificité: pas de film burlesque sans gag. Bien sûr, le
gag n'appartient pas uniquement à l'histoire du cinéma; il existait avant lui en particulier sur les
scènes du vaudeville américain. Formés pour la plupart à l'école de la scène, les burlesques n'ont du
reste pas manqué d'importer au cinéma leurs techniques rodées au théâtre. Néanmoins, le cinéma
burlesque va tellement développer le gag, le sophistiquer qu'il finira par être assimilé à ce genre
cinématographique.
Peut-on donner une définition du gag? On a pu écrire un ouvrage complet sur le sujet sans jamais
tenter de le définir 58; cependant, il semble indispensable de caractériser le gag pour en souligner
toute l'originalité. Le gag se distingue tout d'abord du simple effet comique spontané: le monsieur
glisse sur une peau de banane et s'étale de tout son long dans la rue, ou il passe sous une échelle et
reçoit un pot de peinture. Le gag nécessite une construction intellectuelle qui mette en scène pour
construire le comique par exemple en trompant une attente: le monsieur passe sous l'échelle sans s'en
rendre compte et, rien ne se passe, il sort indemne, une seconde fois, il prend conscience de l'échelle,
passe avec précaution à côté et reçoit le pot de peinture... Jamais naturel, le gag est toujours le fruit
d'une construction et a toujours besoin de plusieurs temps pour prendre forme. En ce sens, l'émission
de télévision consacrée aux "Vidéo-Gags" propose une marchandise frelatée dans la mesure où les
caméras amateurs enregistrent bien des effets comiques assez grossiers mais pas de gags ou alors ces
caméras cessent d'être innocentes et véritablement amateurs. Comme toujours le petit écran procède
par vampirisme: les vidéo-gags n'en sont pas, tout comme parler de télé-stars procède d'un identique
abus de langage 59.
57
- cité par Marcel OMS in Buster Keaton, Premier Plan, n°31, janvier 1964, p.4.
- Cf. François MARS, Le Gag, Paris: Le Cerf (7è Art), 1964.
59
- La notion de star, d'étoile donc, implique l'éloignement. La télévision qui véhicule la plus grande part des images animées,
propose un tout autre rapport aux images. Intégrée à l'univers domestique, la télévision fait partie des meubles. De plus, grâce au
magnétoscope, le téléspectateur brise le flux imposé d'images et se donne l'impression d'être le "maître" du film qu'il visionne à sa
58
The Cameraman
26
Pour en revenir au gag, la définition élaborée par Jean-Pierre COURSODON est la plus convaincante:
"Le gag peut se définir comme une structure dynamique et démonstrative dans laquelle, à un exposé
objectif des données, succède leur exploitation dans une certaine direction, puis le détournement de cette
direction dans un sens inattendu, ce qui entraîne la chute, véritable "résolution" qui serait impossible
sans l'enchaînement logique et irréversible des prémisses au développement et du développement au
terme du cycle." 60
Le gag se déroule en plusieurs temps; avec son exposition, son développement et sa conclusion
abrupte, le gag constitue donc un récit autonome au sein du film dont il ralentit la progression ou
pire qu'il interrompt totalement. Plus le gag est complexe et fort et plus il menace l'unité du récit
filmique. Pour autant, les producteurs des films burlesques n'hésiteront pas à utiliser des gagmen 61
pour inventer de nouveaux gags ou enrichir de développements inattendus des gags déjà utilisés. La
tâche des gagmen consistait à agrémenter le scénario du film, quand il en existait un, du plus grand
nombre possible de gags. Ces micro-comédies sont autant d'intrigues à l'intérieur du récit et
introduisent autant de ruptures dans le déroulement de celui-ci. L'existence des gags et plus encore
leur prolifération posent un problème évident de cohérence globale. Cet antagonisme entre le gag et
le scénario explique bien pourquoi le burlesque s'est épanoui dans le court métrage et a décliné
rapidement dans le long...
Toute l'originalité de Buster KEATON réside dans le fait qu'il a su dépasser la contradiction
traditionnelle en intégrant ses gags à la progression générale du récit. Même s'il travaillait sans un
scénario très élaboré, Buster KEATON était convaincu de la nécessité d'une histoire solide et
cohérente. Son apport va donc être de créer des gags en liaison étroite avec le déroulement du récit
global. Trois exemples pris dans une même séquence dans The Cameraman: le gag de la tirelire que
Luke ne parvient pas à briser permet de supporter l'attente du coup fil de Sally. Au contraire, les
démêlés avec les compagnes de Sally sous l'oeil réprobateur de la logeuse font sentir aux spectateurs
la longueur de l'attente. Enfin, lorsqu'ils sortent, aux pieds de l'escalier, Luke prend à droite et Sally à
gauche: ce simple effet montre l'émotion de Luke qui ne sait plus littéralement où il va.
Pour conclure, un texte de Jean-Pierre COURSODON s'impose car son apport à la connaissance de
Buster KEATON n'est toujours pas dépassé:
"Si le traditionnel antagonisme "gag-scénario" n'est guère sensible dans les longs métrages de Keaton,
c'est que leur schéma narratif s'est développé analogiquement à partir de celui du gag tel que Keaton le
pratiquait dès ses débuts. Prenant à la lettre la définition du gag comme "une histoire en raccourci", et
en tirant les conséquences, le discours keatonien a déployé le potentiel du gag en un schéma
fonctionnant à l'échelle du film." 62
guise: retour en arrière, arrêt sur l'image, etc. C'est une rupture radicale avec le rapport à l'image cinéma qui est, par essence,
insaisissable. Proches, réduites, domestiques, reproduites et maîtrisées, les images télévisuelles ne peuvent plus engendrer de
stars.
60
- Buster KEATON, op. cité, p. 270
61
- Buster KEATON avait les siens qui faisaient partie intégrante de son équipe: Clyde BRUCKMAN , Jean HAVEZ, Thomas GRAY, Archie
MAYO.
62
- Buster KEATON, op. cité, 318.
The Cameraman
27
LE CINÉMA AMÉRICAIN AU TEMPS DU SLAPSTICK
Dès la fin de la première guerre mondiale, la réussite mondiale du cinéma américain est incontestée.
Dans ce grand pays, le cinéma s'est développé dès le début du siècle bien plus qu'ailleurs pour deux
raisons majeures. D'une part, les Etats-Unis étaient déjà largement urbanisés là où la vieille Europe
était encore rurale. D'autre part, les immigrants de fraîche date étaient nombreux, surtout concentrés
dans ces grandes agglomérations, et, étant exclus par la barrière de la langue des loisirs populaires,
ils constituaient donc un public quasi captif pour le jeune cinéma américain.
L'essor du cinéma américain va donc se construire sur ce public. La plupart des personnalités
marquantes du cinéma américain de la première heure sont du reste issues de l'immigration. Ils vont
offrir à ce public qu'ils connaissent bien, des films simples et divertissants pour un prix modique.
C'est le succès! Pour une pièce de 5 cents ou un nickel on peut entrer dans une salle et y rester le
temps qu'on veut. Les Nickelodeons se répandent sur tout le territoire. Adolph ZUKOR, Marcus LOEW,
William FOX, Carl LAEMMLE, les frères WARNER se lancent dans l'aventure et fond fortune rapidement
63
. Ils marqueront pour longtemps l'histoire du cinéma américain:
"L'histoire du fripier allemand Laemmle, du teinturier hongrois Fox, du boutiquier Marcus Loew, du
fourreur hongrois Zukor, est aussi celle des quatre frères Warner, arrivés de Pologne en 1884. C'est aussi
l'histoire de dizaines d'immigrants, en majeure partie des juifs de l'Europe centrale, qui se risquèrent
vers 1905-1906, à ouvrir une boutique d'images animées dans un faubourg ou un centre industriel." 64
La croissance s'avère extrêmement rapide. En novembre 1905, le premier Nickelodeon est ouvert et
fin 1908, plus de 10.000 salles couvrent le territoire des Etats-Unis qui deviennent ainsi le premier
marché cinématographique du monde (2 salles sur 3 sont situées aux Etats-Unis). Conséquence
directe: la demande de films explose. Les nickels des immigrants font couler un flot d'or dans les
caisses des Nickelodeons. Cependant, le Nickelodeon fait l'objet d'une campagne virulente de
dénigrements de la part de l'Amérique bien-pensante. Le cinéma était alors considéré comme un lieu
de perdition...
"Il semble bien que ce soit d'abord la quête d'un plaisir neuf, accessible à toutes les conditions, toutes les
bourses et tous les âges, et partagé dans la mixité, qui ait choqué les élites culturelles d'une Amérique
fondamentalement puritaine - même si on n'avait guère scrupule, à la même époque, de mélanger dans
les usines la sueur des hommes, des femmes et des enfants." 65
Imagine-t-on aujourd'hui un loisir collectif réservé aux immigrés en France et l'appréciation qu'en
donnerait la France des beaux quartiers? Si les exploitants avaient à répondre aux critiques, ils
avaient surtout à se soucier de la fragilité économique de leur public privilégié:
"L'année 1907 vint ruiner nos espérances. Le public habituel en avait assez des scènes de poursuites.
D'ailleurs, personne n'avait plus d'argent." 66
Adolph ZUKOR fait allusion ici à une crise économique de courte durée qui atteint naturellement en
tout premier lieu les couches les plus défavorisées, celles-là même, principalement immigrées, qui
fournissaient aux nickelodeons la majeure partie de leur clientèle. Dès lors, était-il bien raisonnable
63
- Ainsi en février 1906, Carl LAEMMLE investit toutes ses économies (2000$) pour acheter un Nickelodéon. Deux mois plus tard, il
est rentré dans ses fonds. Six mois plus tard, il en possède 10 et ouvrait une agence de location de films. En 1907, il devint
producteur de films et crée enfin, en 1912, Universal, la plus grande des futures little Three.
64
- Georges SADOUL, Histoire Générale du Cinéma, Paris: Denoël, 1971, T2, p. 429.
65
- Nicole VIGOUROUX-FREY, La tentation d'un plaisir neuf: le nickelodeon, in Cent ans d'aller au cinéma, le spectacle
cinématographique aux Etats-Unis, 1896-1995, sous la direction de Francis BORDAT et Michel ETCHEVERRY, Presses Universitaires
de Rennes, 1995, p. 33.
66
- Adolph ZUKOR, Comment je me suis lancé dans le cinéma, cité par Noël BURCH, p. 120.
The Cameraman
28
en terme de gestion de compter uniquement sur un public aussi vulnérable, aussi volatile et qu'une
courte récession suffisait à éloigner des salles? Ne fallait-il pas chercher à attirer un autre public plus
solvable? La réponse s'apparentait à une lapalissade:
"Moi j'avais 14 théâtres cinémas sur les bras avec de longs baux et je me voyais acculé à la nécessité de
déposer mon bilan ou de changer radicalement mes batteries. C'est à ce dernier parti que je me
décidais."67
L'idée d'Adolph ZUKOR sera dans un premier temps d'importer d'Europe, Vie et passion de Notre
Seigneur Jésus-Christ, une production de chez Pathé déjà vieille de trois ans et de partir à la
conquête d'un nouveau marché.
"Nous nous procurâmes un orgue et un quatuor de chanteurs, pour avoir la musique qui convenait.
C'était malgré tout un coup d'audace et je n'eus pas le courage de commencer par New York. Nous
résolûmes donc de tenter le coup à Newark. Notre théâtre était situé dans la rue principale, tout à côté
d'un grand magasin... Les femmes, en revenant de leurs emplettes, entrèrent chez nous dès le premier
matin, pour entendre et voir le spectacle. Lorsque se fut fini, je me plaçais à la porte, impatient
d'entendre ce que dirait le public. Le succès était indiscutable. Les gens venaient à moi, les larmes aux
yeux: "quel merveilleux film!"." 68
Cette citation souligne l'importance pour cette génération d'entrepreneurs de la conquête d'un public
féminin comme gage de la respectabilité bourgeoise. De nombreuses innovations interviendront pour
attirer un public respectable. On crée des ouvreurs (ushers) en uniforme sorte de pseudo-policiers
dont le rôle est d'intimider les éléments populaires et bruyants et de rassurer le bourgeois 69. Comme
le premier public du cinéma est constitué des couches les plus basses de la société, gagner du public
c'est obligatoirement tirer le cinéma vers le haut. D'où cette course à la respectabilité qui passe par
tous les stades de la vie du film de la production à l'exploitation: du film d'art à la salle de centre
ville... Les journaux corporatifs ne cessent d'encourager cette évolution:
"Un peu partout aux Etats-Unis on trouve aujourd'hui bon nombre de salles ayant rompu avec le sacrosaint nickel, qui offrent plus et mieux que le nickelodeon moyen, qui gagnent plus en faisant payer plus
cher l'entrée et qui, de surcroît jouissent d'une clientèle de meilleure qualité et plus propre."70
Et pour cela il faut: "une meilleure musique, de meilleurs films, de bons effets scéniques, un beau
programme imprimé, une enseigne artistique, une publicité intelligente, une bonne conférence." Et
bien sûr un contenu convenable pour le film: il ne faut pas choquer les nouveaux clients, le cinéma
américain se dirige vers une autocensure institutionnalisée. Ces mêmes journalistes recommandent
d'adapter davantage de pièces de Shakespeare et s'efforcent de protéger le public contre les
vulgarités populistes françaises ou les audaces naturalistes danoises pour répondre aux critiques des
ligues de vertu... Ce qui en termes protectionnistes s'avérait également bien pratique. Car dans un
deuxième temps, les exploitants vont se mettre à produire eux-mêmes leurs propres films adaptés à
leurs besoins nouveaux.
Cependant, ce désir des exploitants d'améliorer la qualité de leurs programmes pour pérenniser leurs
affaires va se heurter à la politique des principales compagnies qui contrôlent à l'époque le marché
67
- Adolph ZUKOR, cité par Noël BURCH.
- Adolph ZUKOR, cité par Noël BURCH.
69
- Dans les années 80, dans le cadre de la reprise des salles ayant fermé ou sombré dans la sous-programmation, les municipalités
et les néo-exploitants reprirent des méthodes similaires afin de reconstruire l'image de la salle et d'attirer à nouveau tous les
publics (les familles, les enseignants, monsieur le Curé, etc.): rénovation globale de la salle, films récents fournis par l'Agence
pour le Développement Régional du Cinéma, ordre restauré dans la salle par la présence musclée d'adhérents de l'association des
cinéphiles ou de pompiers du village...
70
- W. Stephen BUSH dans The Movin Picture World.
68
The Cameraman
29
américain. Dix grandes affaires 71 tenaient l'offre d'équipement et de films: le hard et le soft étaient
dans les mêmes mains. Devant la concurrence grandissante, les dix compagnies s'entendirent sur un
programme de "stabilisation" afin de geler le marché en empêchant la venue d'autres concurrents.
Elles constituèrent en 1908 le premier trust important de l'histoire du cinéma américain: la Motion
Picture Patents Company (M.P.P.C.) Jeremiah Kennedy en assura la direction. Ces entreprises
placèrent en pool leurs brevets et chacune d'elles obtenait des licences de production d'équipement et
de films. La M.P.P.C. signa un accord avec Eastman Kodak dans lequel cette compagnie s'engageait
à ne fournir de film vierge qu'aux membres du trust. Elle étendit son contrôle sur la distribution en ne
louant des films qu'aux distributeurs qui se servaient uniquement chez elle et sur l'exploitation en
faisant payer des royalties de 2$ par semaine pour l'usure de son matériel breveté et en saisissant
l'équipement des exploitants qui louaient des films produits par des indépendants.
La M.P.P.C. développa une logique de trust: produire beaucoup et à bas prix pour inonder le marché
afin de réaliser le maximum de bénéfices en standardisant au maximum pour réduire les coûts. Loin
de l'exploitation, le trust n'était pas à l'écoute de la clientèle qui demandait des produits nouveaux et
plus ambitieux. Une histoire intéressante ne pouvait pas être contenue dans une bobine de 200 m.
Mais, pour le trust, tout changement risquait d'entraîner une augmentation des coûts et par suite du
taux de locations et du prix des places. L'augmentation risquait de décourager le public. Bref, ne rien
changer à une formule qui permet de gagner beaucoup d'argent.
Les indépendants vont donc produire leurs films eux-mêmes et livrer la bataille sur la qualité. Ils se
mirent à sortir des films ambitieux de quatre ou cinq bobines en reprenant les expériences
européennes et surtout françaises et correspondant à leurs attentes. Le trust ne publiait jamais le nom
des acteurs (c'était simplement une Biograph Girl); les indépendants mirent en avant le nom et la
personnalité de leurs acteurs (Adolph Zukor lance alors son célèbre slogan publicitaire: "Famous
players in famous plays") et débauchèrent les meilleurs acteurs du trusts: Gilbert Anderson alias
Broncho Billy, Tom Mix et Mary Pickford. Le star-system débutait à Hollywood et mettait fin aux
prétentions du M.P.P.C. En 1915, la Triangle Film Corporation, nouvellement crée, prenait pour
devise: "The greatest stage stars by the greatest movie makers", tout un programme! Lorsque la
Triangle fusionna avec le groupe Lasky-Zukor en 1917, ils fondèrent la Paramount Artcraft
Production. Le M.P.P.C avait cessé d'exister: ainsi s'achevait la première tentative d'envergure de
monopolisation au cinéma. Mais comme l'avaient prédit les gestionnaires du trust, la généralisation
du long métrage et le système des stars accrurent sensiblement le coût des films. Non seulement les
cachets des stars augmentaient sans cesse 72 par suite de la concurrence entre les différentes
compagnies, mais la longueur des films exigeait des scénarios plus élaborés et des réalisateurs plus
rétribués. Le coût des films et le salaire des artistes de renom connurent une inflation incontrôlée.
La production à haut coût va imposer nécessairement "une spécialisation poussée et une
différenciation des organisations techniques, administratives et commerciales" 73. Le cinéma devint
une véritable industrie. Dans la production, l'artisanat fut condamné; dans l'exploitation, le court
métrage définitivement dépassé. Enfin, le long métrage imposa définitivement la narration. Comment
faire tenir un spectateur pendant plus d'une heure sans lui raconter une histoire fortement structurée
permettant une participation affective...
71
- American Mutoscope and Biograph Company; Edison Manufacturing Company, Essanay Film, Chicago Kalem Company,
George Kleine, un importateur, Lubin Manufacturing Company, Georges Méliés Manufacturing Company, Pathé Frères, Selig
Polyscope Company, Vitagraph Company.
72
- En 1913, Charles CHAPLIN débute à 75$/semaine, il passe ensuite à 150$ puis quand il signa avec Essanay 1.250$ Une année
plus tard, il gagne 10.000$.
73
- Henri MERCILLON , Cinéma et Monopoles, le cinéma aux Etats-Unis: Etude Economique, Paris: Armand Colin, 1953, p. 13.
The Cameraman
30
BIBLIOGRAPHIE
La bibliographie est strictement limitée aux textes consultés directement pour la rédaction de ce travail en raison de
l'importance tant quantitative que qualitative de la bibliographie consacrée à Buster KEATON et au burlesque en général.
Ouvrages:
Robert BENAYOUN, Le regard de Buster Keaton, Paris, Herscher, 1982
Jean-Pierre COURSODON, Keaton & Co, les burlesques américains du muet, Paris, Seghers ("Cinéma
d'aujourd'hui") 1964
Jean-Pierre COURSODON, Buster Keaton, Paris, Seghers ("Cinéma Club"), 1973
Michel DENIS, Buster Keaton, Anthologie du Cinéma, n°62, Tome VII, mars-avril 1971
Marcel OMS, Buster Keaton, Premier Plan, n°31, janvier 1964
Articles:
Thierry CAZALS, Un monde à la démesure de l'homme, in Cahiers du Cinéma n°393, février 1987
Claude-Michel CLUNY, Dictionnaire du Cinéma, Paris, Larousse, 1995
Claude GAUTEUR, Charlot et l'anti-Charlot ou la revanche de Buster, Cinéma 62, n°69, septembreoctobre 1962
Michel MARDORE, Le plus bel animal du monde, Cahiers du Cinéma n° 130, avril 1962
Cinéma 60, n°49, août-septembre 1960, Le burlesque américain, lire en particulier
Jean-Marc LEUWEN, Buster Keaton, pp. 58 à 65
Entretien entre Buster KEATON et Christopher BISHOP, pp. 65 à 71
Cinéma 66, n°105, avril 1966, Dossier Buster Keaton à n'en plus finir
Sur l'histoire du cinéma et le burlesque:
Robert C. ALLEN & Douglas GOMERY, Faire l'histoire du cinéma, Paris, Nathan (Université), 1993
Jacques AUMONT, André GAUDREAULT, Michel MARIE (dirigé par ) Histoire du cinéma, Nouvelles
approches, Paris, Publications de la Sorbonne, 1989
Francis BORDAT et Michel ETCHEVERRY (sous la direction de) Cent ans d'aller au cinéma, le spectacle
cinématographique aux Etats-Unis, 1896-1995, Presses Universitaires de Rennes, 1995
Noël BURCH, La Lucarne de l'infini, Paris, Hachette (Université), 1991
Tom GUNNING, Le style non-continu du cinéma des premiers temps (1900-1906), Les cahiers de la
cinémathèque, n°29, 1979
Petr KRAL, Le Burlesque ou La morale de la tarte à la crème, Paris, Stock ("Cinéma"), 1984
Petr KRAL, Les Burlesques ou Parade des somnambules, Paris, Stock ("Cinéma"), 1986
François MARS, Le Gag, Paris, Le Cerf (7è Art), 1964
Henri MERCILLON, Cinéma et Monopoles, le cinéma aux Etats-Unis: Etude Economique, Paris,
Armand Colin, 1953
Mack SENNETT , Le roi du comique, Paris, Le Seuil (Point, virgule), 1994
La plupart des films de Buster KEATON sont heureusement disponibles en vidéo. Pour le prêt et la
consultation en CDI, l'ADAV 74 propose quelques longs métrages (The General, Steamboat Bill Jr et
Campus) et des progammes de courts (dont One Week, Daydreams, Cops, etc.).
En légende de la photo de Buster assis sur le garde-boue du bus:
"Dans The Cameraman, Keaton prend l'autobus, résolu et inébranlable. On ne peut décidément ni le bousculer ni l'abattre " John
SCHMITZ 75
74
- ADAV (Ateliers Diffusion Audiovisuelle) 41 rue Envierges, 75020 Paris
Téléphone: 01.43.49.10.02 - Télécopie: 01.43.49.25.70
75
- Cahiers du Cinéma, n° 86, août 1958, p. 3.