DHEA Ce qui n`est pas interdit est-il autorisé

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DHEA Ce qui n`est pas interdit est-il autorisé
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VOISIN/PHANIE
LES DOSSIERS DU GÉNÉRALISTE
DHEA
Ce qui n’est pas interdit
est-il autorisé ?
Sylvie Dellus
Difficile de s’informer sur la DHEA, y
compris pour les médecins, comme en
témoignent les nombreuses questions
que vous posez sur Internet.
Le Généraliste a acheté l’hormone de
jouvence dans une pharmacie,
et a mené l’enquête…
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LES DOSSIERS DU GÉNÉRALISTE
pharmacien vend de
la DHEA*. Je m’en suis
rendu compte l’autre
jour en poussant un
Caddie dans mon supermarché
habituel. Un petit panneau apposé sur la vitrine de l’officine indiquait « DHEA vendue uniquement sur prescription médicale ».
Poussée par la curiosité, et sachant que j’ai à la maison un
homme qui achète sa DHEA aux
Etats-Unis via Internet, j’interroge
le pharmacien : « Vous avez le
droit ? Je croyais que c’était interdit ! » Très gentiment, celui-ci
m’informe que la chose est tout à
fait possible, qu’il vend des gélules de 50 mg et qu’un mois de
traitement coûte 145 F. De retour
à la maison, je raconte cette histoire à mon homme. Le lendemain, il se précipite à la pharmacie et revient tout sourire avec ses
gélules : c’est moins cher que sur
Internet !
M
ON
Parcours du combattant
Je prends alors mon téléphone
et appelle l’Afssaps pour en savoir
plus. Oui ou non, la vente est-elle
autorisée ? Un médecin peut-il
faire une ordonnance de DHEA ?
L’attachée de presse de l’exAgence du médicament m’informe qu’une personne compétente
va me rappeler très vite. L’attachée
de presse du Conseil national de
l’ordre des médecins me fait la
même réponse après m’avoir signalé un peu sèchement que, la
DHEA n’étant pas un médicament, elle ne voit pas comment
un médecin pourrait en prescrire.
Mais, puisque j’insiste…
Le coup de fil suivant est pour
le Conseil de l’ordre des pharmaciens à qui je raconte les faits sans
révéler le nom de mon pharma-
* La DHEA est inscrite sur la liste des
substances dopantes par le Ministère de
la jeunesse et des sports (Journal Officiel
du 7 mars 2000).
cien, n’ayant aucune envie de lui
attirer des ennuis. Jean-Luc
Audhoui, président du conseil
pour l’Ile-de-France, ne découvre
pas le problème. D’autres pharmaciens se sont déjà lancés sur ce
créneau. « La DHEA n’est pas un
médicament, car elle n’a pas
d’AMM, elle n’est pas non plus autorisée comme complément alimentaire. D’après l’Afssaps, elle peut
faire l’objet d’une prescription médicale et d’une préparation magistrale par un pharmacien à condition
qu’il effectue des analyses d’authenticité du produit. Or la DHEA n’est
inscrite ni à la pharmacopée française ni à la pharmacopée européenne. Il n’a donc aucun référentiel, protocole ou monographie pour
faire ces analyses », m’explique
M. Audhoui.
parisienne qui s’occupe habituellement de ses préparations magistrales. « Et je me suis aperçu qu’ils
dépotaient beaucoup de DHEA ! »,
s’exclame-t-il.
Préparation magistrale
Le responsable de cette officine, que nous appelons ensemble,
nous sert un grand discours sur la
pression des médias et des
consommateurs. Il nous explique
que ces pratiques sont « tolérées »
et qu’un laboratoire marseillais lui
a proposé, il y a deux mois, de lui
faire parvenir la matière première
[voir encadré]. « C’est un laboratoire pharmaceutique, ils ne s’amuseraient pas à le faire si ce n’était
pas sûr et certain. Si demain, au ministère, on nous dit que c’est interdit, on arrête immédiatement »,
m’assure-t-il. Il ajoute qu’il
concocte chaque jour deux ou
trois préparations magistrales de
DHEA à la demande de confrères.
Retour chez le pharmacien,
pour qu’il me raconte tout depuis
le début : en fait, il a vu dans une
émission de télé que des confrères
vendaient de la DHEA. Il s’est
alors tourné vers la pharmacie
Mon pharmacien, qui s’aperçoit que rien n’est réellement autorisé dans cette affaire, commence à se demander s’il n’a pas été
« un peu léger » (sic). Il a confiance dans ses fournisseurs mais pré-
L’avis de l’Afssaps
Jean-Hugues Trouvin : « La DHEA n’est pas inscrite sur la liste des
substances interdites. Il n’y a pas de raisons aujourd’hui de dire qu’elle est active, mais il n’y a pas non plus de raisons de dire qu’elle est
dangereuse. Le médecin prend donc ses responsabilités. En prescrivant
sur une ordonnance des gélules de DHEA, il qualifie le produit comme un médicament. Il est tenu de suivre son patient et devrait, s’il y
avait des effets secondaires, les rapporter aux services de pharmacovigilance.
» Le pharmacien, de son côté, peut accepter ou refuser d’exécuter
la préparation magistrale. Le plus souvent, les substances prescrites
sur ordonnance sont inscrites à la pharmacopée. Elles répondent à des
critères de qualité et à des normes de contrôle. Le problème avec la
DHEA, c’est que cette substance n’est pas inscrite à la pharmacopée
puisque, aujourd’hui, on n’a pas prouvé son bénéfice. Le pharmacien
engage lui aussi sa responsabilité et doit mettre en place tous les
moyens de contrôle de la qualité du produit. Il doit être capable de détecter des produits de dégradation, les solvants résiduels, les impuretés qui peuvent éventuellement être plus toxiques que la DHEA ellemême. La vraie difficulté avec la DHEA est de savoir quelle est la
référence à proposer ou à opposer. »
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fère avoir l’aval des autorités. Sous
ses yeux, j’appelle l’Inspection de
la pharmacie. La personne qui me
répond s’exclame dès que je prononce le mot DHEA : « Oh ! lala !
voyez avec l’Afssaps ! » On est bien
avancés… Mais, mon pharmacien
n’en démord pas. Il veut une réponse claire, et moi aussi. Cette
fois, il appelle lui-même le
Conseil national de l’ordre des
pharmaciens, entre en conversation avec une personne très compréhensive qui lui faxe aussitôt
un minidossier sur la question.
Au menu, la page 10 du numéro 213 des Nouvelles pharmaceutiques, daté du 29 mars 2001 et judicieusement intitulée « La
DHEA : ni autorisée ni interdite… ». Le texte nous confirme
très clairement que la DHEA n’est
pas un médicament autorisé, mais
qu’elle peut entrer dans la composition d’une préparation magistrale. En effet, elle ne figure pas sur
la liste des matières premières interdites, même si elle n’est pas
inscrite à la pharmacopée. La fin
du texte est en forme d’avertisse-
Tout ça pour
de la patate
douce !
Renseignement pris auprès
du laboratoire marseillais, la
DHEA est importée de Chine
depuis deux ou trois mois. Elle
est ensuite revendue uniquement à des pharmaciens. Pour le
labo, c’est un marché nouveau
mais déjà « assez important ».
L’hormone est obtenue par
hémisynthèse à partir d’une variété de yam, dioscorea villosa,
plante de la famille des patates
douces. On en extrait la diosgénine, un précurseur de la
DHEA.
L’avis du Conseil de l’ordre
des médecins
Pr Jean Langlois : « Actuellement, l’Afssaps n’est pas en mesure de
donner la posologie autorisée, l’indication, la contre-indication et
les risques encourus. Le médecin qui prescrit actuellement de la
DHEA engage sa responsabilité sur un produit dont il ne connaît
rien scientifiquement. A titre personnel, je pense que nous recommanderons aux médecins de suivre le principe de précaution, et, en
raison des risques jurisprudentiels, de ne pas mettre la main dans
une telle prescription. Les médecins suivront ou pas ce conseil,
mais, si un jour ils se retrouvent avec un accident et en justice, ils
se justifieront devant un tribunal. »
ment : « Toutefois si ces dernières
[les préparations magistrales à base de DHEA — Ndlr] sont tolérées
en France, elles engagent pleinement les responsabilités conjointes
du médecin prescripteur et du pharmacien qui exécute la préparation
magistrale et qui la délivre. Il incombe alors au pharmacien de
contrôler la qualité de la matière
première et de sa provenance. En at-il les moyens techniques ?
Conclusion de l’Ordre : au vu de ces
éléments, la législation actuelle ne
permet pas à l’Ordre d’apporter une
réponse formelle aux confrères. »
Sur ces entrefaites, je laisse mon
pharmacien fort perplexe, en lui
promettant de l’informer de la
suite des opérations.
L’Ordre sursaute
Deux jours plus tard, je reprends l’offensive auprès du
Conseil national de l’ordre des
médecins. En ligne, le Pr Jean
Langlois, président de la section
de santé publique, sursaute
lorsque je lui sers mon bla-bla sur
la DHEA en préparation magistrale. Pour étayer mon propos, je lui
faxe ladite page 10 du numéro
213 des Nouvelles pharmaceutiques et lui propose de le rappeler
pour avoir son avis.
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Histoire de battre le fer tant
qu’il est chaud, je retente ma
chance du côté de l’Afssaps dont
je suis sans nouvelles malgré
quelques relances. C’est mon jour
de chance ! J’ai enfin au téléphone Jean-Hugues Trouvin, directeur de l’évaluation du médicament et des produits biologiques.
Il me confirme l’essentiel [voir
encadré page 6] : médecins et
pharmaciens ont le droit de prescrire et de vendre de la DHEA en
préparation magistrale, mais ils
engagent leur responsabilité personnelle.
A bon entendeur…
Quant à l’Ordre national des
médecins, l’affaire semble l’avoir
si bien intéressé qu’il devrait
mettre cette question à l’ordre du
jour de sa prochaine session, d’ici
à une quinzaine de jours. « On
s’achemine vers une mise en garde », m’assure le Pr Langlois [voir
encadré].
En attendant, j’ai des soucis à
la maison. Mon homme commence à me regarder de travers. « Tu
vas tarir la source », me dit-il. Il
sait pourtant bien qu’il me plaît
avec ou sans DHEA. 3
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Quatre questions
au Pr Baulieu
Propos recueillis par le Dr Françoise Guillemette
premiers résultats de
l’étude « DHEAge », menée
par le Pr Etienne-Emile
Baulieu
(Inserm,
Le
Kremlin-Bicêtre [94]), ont été publiés il y a juste un an. Avec
50 milligrammes par jour, les
femmes étaient gagnantes, surtout
celles de plus de 70 ans. Le rajeunissement portait essentiellement
sur la peau, les os et la vie sexuelle. Les auteurs de l’étude avaient
expliqué que leur but était de
mettre fin à l’absence totale de
contrôle de la DHEA, qui circulait
officiellement aux Etats-Unis et
sous le manteau en France.
L
ES
Le Pr E.-E. Baulieu conseillait
alors aux généralistes assaillis par
les demandes de DHEA « de ne
rien faire » et espérait « un changement d’attitude de l’Agence du
médicament, qui reconnaîtrait l’utilité de composés qui favorisent le
bien-être, l’image de soi chez les
personnes âgées ». Où en est-on
aujourd’hui ?
Le Généraliste. — Que pensezvous de cette vente de DHEA en
pharmacie ?
Pr Etienne-Emile Baulieu. —
Je trouve le vide juridique extrêmement préoccupant. Ce manque
de prise de responsabilité laisse la
place à des produits qui n’ont ni
contrôle chimique ni préparation
pharmaceutique. On revient, dans
ces conditions, à une pratique tolérée il y a deux siècles et qu’on
croyait dépassée par la technolo-
gie et les règlements de sécurité
contemporains. Attendre qu’il
y ait des accidents faute de
contrôle me semble une position
très discutable.
Que proposez-vous pour mettre
fin à ces pratiques ?
Pr E.-E. B. — J’ai parlé de ce
problème au directeur de
l’Afssaps. Je serais en faveur d’une
autorisation, évidemment contrôlée d’un point de vue chimique et
pharmaceutique, qui pourrait être
soumise à renouvellement en
fonction du suivi médical.
D’ailleurs, nous avons ouvert hier
un site [www.DHEage.com], où
je prends position pour mettre la
DHEA à disposition des personnes qui en demandent, des
médecins qui en prescrivent, avec
ces réserves.
des choses, et peu légitime, pour
une hormone naturelle qui n’a
pas d’effets secondaires et sur laquelle les gens peuvent fonder
un espoir sérieux. Je suggère
qu’on adapte l’autorisation au type de produits, compensateurs
d’un défaut quantifiable par un
dosage, et dont l’absence d’effets
secondaires est prouvée ; et
qu’on en assure la sécurité.
A quand la suite des résultats sur
les effets de la DHEA ?
Pr E.-E. B. — Des résultats très
intéressants sont en cours de
calcul et d’écriture sur les effets de
la DHEA dans les domaines cognitifs et du métabolisme. Et dans
les deux mois qui viennent, une
étude épidémiologique française
sera publiée sur les corrélations
entre les taux de DHEA et la longévité. Où en est la demande d’AMM ?
Pr E.-E. B. — Des sociétés
pharmaceutiques sont prêtes à
déposer une demande d’AMM.
Mais le niveau d’activité requis
par les agences n’est pas déterminé : si l’on demande que les gens
rajeunissent de quarante ans en
quinze jours, il n’y aura pas
d’AMM ; mais si on demande une
vérification des résultats obtenus
sur la peau ou le métabolisme osseux, c’est tout à fait possible. De
la même façon, quel sera le niveau d’études requis ? Faire appel à des études colossales serait
trop demander, dans l’état actuel
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