Script bilingue Tordre le paysage

Transcription

Script bilingue Tordre le paysage
Radio Documentary
Tordre le paysage
Souvenirs d'un viol
Élisa Monteil
Tordre le paysage
Souvenirs d'un viol
Élisa Monteil
« Juste dit qu'il était en train de faire une erreur »
A 19 ans, alors qu'elle se rend chez une amie, Adeline est prise en stop par un homme qui la
viole. A 25 ans, devenue peintre, elle représente des paysages immenses où le corps se perd.
Elle revient sur ce 27 juillet 2006, le procès qui a suivi et sa vie aujourd'hui.
Durée: 19’42’’
Réalisation : Élisa Monteil
Mise en ondes & mixage : Arnaud Forest
Enregistrements : octobre 11
En ligne depuis le 6 mars 2012
Script: Gaylord Gauvrit, Chloé Assous-Plunian
Production: ARTE Radio
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Twisting the landscape
Recollections of a rape
Élisa Monteil
"Just said he was making a mistake"
Hitchhiking to a friend's at that age of 19, Adeline was picked up by a man and raped. Now aged
25 and a painter, she depicts vast landscapes, where the body loses itself. She recalls the events
of July 27, 2006, the ensuing trial and evokes her life today.
Runtime: 19’42’’
Directed by Élisa Monteil
Sound editing and mixing : Arnaud Forest
Recorded : Octobre 11
Uploaded : March 6, 2012
Transcription: Gaylord Gauvrit, Chloé Assous-Plunian
Producted by ARTE Radio
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Adeline: Je suis assez petite, blonde, j’ai les yeux clairs, une corpulence normale et je suis
peintre.
Pinceau sur toile.
Adeline: Je suis toujours attirée par l’horizon et en particulier la mer. Je viens de Saint-Nazaire
et pour moi c’est très important de retourner souvent à la plage. Là il y a mon corps qui est
présent aujourd’hui et c’est une photo de Tchernobyl d’aujourd’hui, je pensais mettre comme
titre : “25 ans” ou : “4 octobre 86, 25 ans après”. Le 4 octobre 86 c’est pas la catastrophe de
Tchernobyl c’est ma date de naissance mais, du coup c’est une manière d'assimiler la
déformation de mon corps avec... Tchernobyl. Parce que mon père a travaillé dans les centrales
nucléaires et qu’on avait constamment ses habits de travail chez nous, qu’on les...
Je m’appelle Adeline, j’ai 25 ans. C’était l’été de... entre ma deuxième et troisième année
d’étude. C’était à la fin de mes 19 ans cet été-là. Ma vie se passait à Nantes, donc j’avais
commencé mes études à l’école des Beaux-arts de Nantes. A la fin de mes 18 ans, je suis partie
au Pérou faire un semestre d’étude à la faculté d’art de Lima. Et... et après je suis rentrée en
France.
Démarrage magnétophone.
Au tribunal: Après une courte scolarité au collège jusqu’en classe de cinquième, il est entré
dans un lycée professionnel où il a suivi des études de plomberie. Il a quitté cet établissement
en 1992 ou 1993 sans diplôme. Il a travaillé pour la Sofreba puis, à compter de juin 2004, pour
Airbus où il est très apprécié de ses collègues et de sa hiérarchie.
Ambiance ville: bruits de pas, talons, passage de voitures.
Adeline: Étant donné que j’étais partie en voyage au mois de juin, j’avais absolument pas
d’argent. En même temps, j’ai toujours eu besoin de bouger et puis l’été à Nantes il y a
personne, dans ma colocation j’étais seule. Donc j’avais décidé d’aller à la plage, donc près de la
Baule, voir une amie qui habite au Pouliguen. J’ai fait du stop et il y a un monsieur qui m’a pris
avec son fils. Un monsieur qui avait fait le tour du monde à voile donc c’était intéressant, on a
beaucoup parlé de voyages. Et il m’a déposé à la sortie donc dans la zone industrielle de SaintAndré-des-Eaux.
Bruits de pas.
Au tribunal: Sur le plan de la vie affective, il déclare avoir eu des relations durables avec deux
femmes. Il a un enfant né en mars 2006. Il est perçu par l’ensemble de ses proches comme
quelqu’un de gentil, travailleur et sérieux.
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Adeline: I'm pretty small, blonde, with blue-grey eye and a normal build, and I'm a painter.
Brushstrokes on canvas.
Adeline: I'm always attracted to horizons, especially at sea. I come from Saint-Nazaire on the
Atlantic coast and I need to get to the beach often. There's my body present here today and it's
a photo of Chernobly now. I thought I'd title it 25 Years or 4th October '86, 25 Years On. October
4, '86, isn't the Chernobyl disaster, it's my birth date but it's a way of assimilating the
deformation of my body with Chernobyl. My father worked in nuclear reactors and his work
clothes were constantly around the house and we...
My name's Adeline. I'm 25. It was the summer of... Between my second and third years at
college. I was 19 going on 20 that summer. My life was in Nantes, where I had begun studying
at the Fine Arts School. When I was 18, I spent a semester in Peru, studying at the Faculty of Art
in Lima. And... And then I flew back to France.
Tape recorder clicks on.
In court: After finishing his secondary education in seventh grade, he studied plumbing at
technical college. He left college in 1992 or 1993 without a diploma. He worked for Sofreba
then, from June 2004, for Airbus, where he was well liked by his co-workers and superiors.
In town. Footsteps, cars driving past.
Adeline: Seeing as I had been traveling in June, I had absolutely no money. At the same time,
I've never been able to stay in one place for long and Nantes is empty in summer. All my
roommates had left. I decided to go to the beach, near La Baule, to stay with a girlfriend who
lives in Pouliguen. I hitchhiked and a guy and his son picked me up. He had sailed around the
world, so that was interesting and we talked about traveling. He dropped me off outside the
industrial park at Saint-André-des-Eaux.
Footsteps.
In court: In terms of his private life, he states that he has had long-term relationships with two
women. He has a child, who was born in 2006. He is seen by all those who know him as a kind,
hardworking and trustworthy person.
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Adeline: Donc là j’ai été prise en stop par un jeune homme d’une trentaine d’année avec qui je
pensais que ça pourrait bien se pa... enfin que c'était normal. Je m’inquiétais toujours parce
qu’il était seul. Mais... j’me suis pas.. enfin...
Ambiance ville. Passage de voitures.
Au tribunal: L’examen psychiatrique et psychologique dont il a fait l’objet n’ont mis en évidence
aucune anomalie mentale et ont conclu à son entière responsabilité. Son casier judiciaire ne
mentionne aucune condamnation.
Ambiance ville. Arrêt magnétophone. Pinceau sur toile. Démarrage magnétophone.
Mère, au tribunal : Il y a pas de mots assez fort pour décrire cette haine que j’ai envers cet
homme qui a brisé une enfant. Parce que pour une femme c’est ce qu’il y a de plus horrible,
pour une maman c’est ce qu’il y a de plus horrible de voir son enfant cruellement...
On entend l’enregistrement au tribunal continuer.
Adeline: J’étais très étonné de comment mes proches ont réagi en fait. Parce que, ils avaient
préparé, je pense, ce qu’ils avaient à dire et... Mon père n’a pas été témoin dans cette histoire.
Moi j’ai été étonnée du témoignage de ma mère, enfin c’est le témoignage d’une maman, je
pense c’est normal mais... qui a trop voulu me victimiser, dire que j’avais été complètement
transformée après, qu’a un peu exagéré, en fait, donc ça rendait son discours pas vraiment
crédible mais en même temps c’est peut-être normal, ils ont compris que c’était ma mère.
Après mon frère a été très fort et a juste demandé à ce que le coupable reconnaisse les faits et
qu’on avait juste besoin de ça et de rien d’autre, et quand il l’a dit je me suis dit : en fait c’est
juste ça. En fait, je veux que ce soit reconnu par la justice, c’est bien, mais c’était par lui en fait
que je voulais que ce soit reconnu. Bon il l’a pas reconnu, je pense qu’il le reconnaîtra plus
maintenant.
Fermeture de porte. Descente d’escalier.
Adeline: Je le sentais pas louche du tout, il avait l’air... sympa. Et au bout de cinq minutes... en
fait normalement il devait sortir directement et m’emmener sur la quatre-voies et en fait il a
continué tout droit et il m’a amenée dans la zone industrielle de Saint-André-des-Eaux donc ce
qui était pas du tout prévu. Et donc du coup je lui ai demandé: “Mais qu’est-ce qui ce passe,
c’est pas la route...” et là il m’a dit “Mais t’inquiète pas, il faut que je passe chez des copains
avant et je fais un détour et après je te dépose chez ta copine”. Et là j’ai tout de suite su que
c’était pas normal.
Vagues.
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Adeline: I was picked up by a man in his thirties, with whom I thought things would be fine... I
mean, normal. I was always worried when it was a guy alone but... I didn't... I mean...
In town. Cars driving past.
In court: Psychiatric and psychological tests to which he submitted showed no mental disorder
and concluded that he was entirely responsible for his actions. His legal record shows no
convictions.
In town. Tape recorder clicks off. Brushstrokes on canvas. Tape recorder clicks on.
Adeline's mother, in court: There are no words strong enough to describe the hatred I feel for
this man, who destroyed a child. For a woman, there is nothing more horrible... For a mother,
there is nothing more horrible than seeing your child cruelly...
The recording in court continues.
Adeline: I was very surprised by my family and friends' reactions. I think they had prepared
what they would say and... My father wasn't called as a witness in the case. I was surprised by
my mother's testimony. It's a mother's testimony, so I guess it's normal but... She depicted me
as a victim, saying I was completely different afterwards, and those slight exaggerations
detracted from the credibility of what she said. At the same time, I guess it's normal. They saw
it was my mother speaking. My brother's testimony was very powerful. He simply asked for the
culprit to acknowledge what happened because that's all we needed and nothing more. When
he said that, I thought, That's all it is. I wanted it to be acknowledged by the court. That's good,
but really I wanted him to acknowledge what he'd done. He didn't admit to anything and I don't
think he will now.
Door closes. Footsteps on stairs.
Adeline: To me, he didn't seem the shady type at all. He seemed nice. Then, after five minutes...
Normally, he'd head straight out and join the freeway. In fact, he went straight ahead and took
me into the Saint-André industrial park, which wasn't the way at all. So I asked him, "What's
going on? This isn't the right road." And he said, "Don't worry, I have to see some friends first
out this way. Then I'll drop you off at your friend's." I immediately knew something was wrong.
Waves.
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Adeline: J’ai commencé à paniquer. Donc, je lui posais des questions, un peu: “Mais non, c’est
pas grave, laisse moi là, va chez tes copains”. Je sais plus exactement ce que j’ai dit... et là il m’a
dit: “Ferme ta gueule ou je t’en mets une!”
Pinceau sur toile.
Adeline: Il est entré dans un chemin et il m’a dit: “Oui au fond du chemin il y a la maison de mes
amis, t’inquiète pas”. Sauf qu’au fond du chemin, il y avait pas de maison il y avait un champ. Il
a rentré sa voiture dans le champ, il a pris le temps de la garer et là il a mis sa main autour de
mon cou, il a commencé à serrer assez fort. Et avec son autre main il m’a touchée. Et... en fait,
je comprenais ce qui se passait et je savais qu’il allait faire ce qu’il voulait, que j’avais aucun
moyen de faire quoi que ce soit. Et donc j’ai pas... je me suis pas... vu qu’il m’avait déjà dis:
“Ferme ta gueule ou je t’en mets une”, alors que je luttais pas, je lui ai juste dit qu’il était en
train de faire une erreur.
Pinceau sur toile.
Adeline: Je savais que ça passerait assez vite si je disais pas trop grand-chose et que si j’étais
assez docile. J’avais beaucoup plus peur qu’il m’attaque physiquement ou qu’il me tue, mais le
problème c’est que je lui avais dit qu’il avait pas le droit de le faire donc il savait que j’étais
consciente et que j’avais compris ce qui se passait. Donc lui il a eu peur après, c’est pour ça qu’il
m’a obligé à remonter dans la voiture. Il a fermé les portes à clef. Et là pendant ce trajet-là, j’ai
imaginé qu’il allait m’amener chez des gens ou qu’il allait me tuer. J’avais très mal à la tête et je
voyais tout blanc. Je pense là, c’était vraiment le choc le plus important. Parce qu’avant j’avais
un espoir de pouvoir m’en échapper mais là je voyais plus d’espoir et j’ai vraiment pensé
mourir. Il savait pas trop où il allait je pense.
Pinceau sur toile, et vagues.
Adeline: Il avait toujours sa main autour de mon cou et il m’a demandé de sortir de la voiture,
d’avancer devant lui. Ensuite il m’a demandé de courir droit devant moi dans le champ. Là je
me suis dit qu’il allait me tirer dans le dos. Et à un moment donné, j’ai senti qu’il se passait rien
en fait. Donc je me suis arrêté, je me suis retournée et j’ai vu qu’il partait en courant vers sa
voiture et j’ai entendu sa voiture partir.
Pinceau sur toile.
Adeline: J’arrivais pas à concevoir l’espace qu’il y avait autour de moi. Quand j’essaie de m’en
souvenir je me souviens de rien du tout en fait. Je me souviens juste de l’herbe verte. C’est très
très flou dans ma tête. Enfin je me suis quand même dit: “Il faut que j’aille chez quelqu’un pour
qu’on me ramène chez mon amie”, enfin mon amie allait m’attendre et s’inquiéter. Et donc je
suis arrivée dans une allée où il y avait un gros chien. J’ai peur des chiens. Et là il y a un
monsieur qu’est arrivé et il m’a vu et donc il m’a emmené dans une maison où il y avait donc
une femme enceinte, une vieille femme.
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Adeline: I started to panic. I was asking him questions, saying, "No, don't bother. Leave me here
and go see your friends." I don't remember exactly what I said, and he said, "Shut the hell up or
I'll clock you one!"
Brushstrokes on canvas.
Adeline: He drove up a dirt track and said, "Yeah, my friends live up the end there. Don't
worry." Except that at the end there was no house, only a field. He drove his car into the field
and parked it up. Then, he reached around my neck and started squeezing. With his other hand,
he touched me... And... Actually, I realized what was happening and I knew he was going to do
what he wanted, and I had no way of doing anything to stop him. So I... I didn't... Seeing as he'd
already said "Shut the hell up or I'll clock you one" when I wasn't even putting up a fight, I just
told him he was making a mistake.
Brushstrokes on canvas.
Adeline: I knew it would be over pretty fast if I didn't say much and if I stayed pretty docile. I
was much more scared that he'd attack me physically or kill me, but the problem was that I'd
told him he had no right to do this, so he knew I knew and had understood what was going on.
So, he got scared afterwards, and that's why he forced me to get back in the car. He locked the
doors. As he was driving, I thought he was going to take me to somebody's house or kill me. I
had a horrible headache and my vision was completely white. I think that was the biggest
shock. Before that, I had a glimmer of hope that I'd survive it, but suddenly it seemed hopeless
and I really thought I was going to die. He didn't really know where he was going, I think.
Brushstrokes on canvas. Waves.
Adeline: He kept his arm around my neck, and he asked me to get out of the car and walk ahead
of him. Then, he asked me to run straight ahead into the field. That's when I thought he was
going to shoot me from behind. At some point, I sensed that nothing would happen, in fact, so I
stopped and turned around. I saw him running back to his car and I heard his car drive away.
Brushstrokes on canvas.
Adeline: I couldn't get a handle on the space around me. When I try to remember, I can't
actually remember a thing. I just remember the green grass. It's all a complete blur. Eventually,
I said to myself, "I have to get to somebody's house, so they can take me to my friend's." She
was expecting me and would start to worry. I reached a driveway where there was a big dog,
and I'm scared of dogs. A man came out and he saw me, and he took me into the house where
there was a pregnant woman and an old lady.
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Et il m’a laissé avec ces femmes-là. Après, ils se sont concertés ensemble avec les hommes et
du coup, il y a deux hommes qui m’ont proposé de m’emmener au commissariat de police, et je
leur ai dit: “Non non ça va, vous inquiétez pas”, en fait je voulais très vite... continuer... ma
route.
Porte. Pas. Elle fouille dans ses affaires.
Adeline (chuchotant): Donc voilà, c’est là où je stocke toutes mes peintures, tassées derrière cet
amas de matériel divers, des chaises, des tables, des cageots, pleins de trucs. Il y en à qui sont
protégés, d’autres pas donc c’est toujours un peu l’insécurité.
Grincement de porte.
Adeline: Je suis rentrée au commissariat et je devais vraiment être toute fébrile parce que la
personne de l’accueil de la police m’a vu et m’a tout de suite pris dans une pièce à part avant
même que je dise quoi que ce soit. J’ai dû juste dire: “Je me suis faite agressée”, quelque chose
comme ça. Et, tout de suite il m’a pris dans une pièce à part et il m’a demandé: “Est-ce qu’il y a
eu pénétration?”. Et là j’ai dis: “Oui”. Donc ils m’ont dit: “Vous vous êtes fait violer”. J’avais pas
mesuré du tout la gravité de ce qu’il s’était passé encore. Et, en fait à ce moment-là je me suis
dit... que le mot violer c’était un terme très fort. J’arrivais pas à identifier le mot “viol” à moi.
Après le procès, je pense, je me suis rendu compte que ça correspondait, à ce qui m’était arrivé
mais pendant longtemps je trouvais que c’était exagéré ou que... voilà...
Démarrage magnétophone.
Pyschologue: Donc, “après les faits...”, je la cite toujours. “J’ai rien dit aux gens, j’ai pensé “ça va
les inquiéter, ça va leur faire peur”. J’en ai parlé à ma soeur, des angoisses dans la rue, avec les
gens, même seule avec mon cousin j’ai peur, c’est irrationnel... Dans les lieux ouverts ou
fermés, toujours peur, peur toute seule chez moi. Dans la rue [le son est inaudible], les gens
m’agressaient, les mecs me font chier, ils sentent ma peur. Avant c’était pas comme ça. Des
cauchemards de violence sexuelle, de mort, toujours en ce moment. Je me sens raide en haut
du dos, le coeur, des crispations, des palpitations, des vertiges...
Arrêt magnétophone. Présence humaine, draps qu’on touche.
Adeline: Pour moi, ça a toujours été important le rapport charnel et physique. Je suis très
affective et je suis très tactile. Donc naturellement, j’avais déjà un bon rapport en fait avec le
sexe. Après ça, je me suis culpabilisée d’avoir un bon rapport avec le sexe. Du coup j’arrivais
plus du tout à prendre de plaisir et ensuite j’ai... j’ai revu mon mari. Donc qui n’était pas mon
mari à ce moment-là. Et c’était la dernière personne avec qui j’avais fait l’amour avant de me
faire violer et je me suis dit qu’il y avait qu’avec lui que je pouvais me donner le droit d’avoir
des relations sexuelles. Et en plus avec lui ça s’était très bien passé avant. Et que... même moi
avant dans mes relations sexuelles il n’y avait pas tant de prudence. Je pense, où là dès que je
me sens un peu fatiguée... il essaie jamais d’aller ne serait-ce qu’une seconde plus loin ou...
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He left me with the two women and, afterwards, some men got together and two of them
offered to drive me to the police station. I told them, "No, I'm fine, don't worry." I just wanted
to get to where I was going.
Door opens. Footsteps. Rummages.
Adeline (whispers): So, this is where I store all my paintings, piled up behind this heap of
equipment, chairs, tables, crates and lots of other stuff. Some are covered, others aren't, so it's
not particularly safe.
Door scrapes.
Adeline: I arrived at the police station and I must have been in a real state because the officer at
the desk took me straight into a side room before I could even say anything. I think I just said,
"I've been attacked" or something like that. Right away, he took me into a side room and asked
me, "Was there penetration?" I said yes and so they told me, "You've been raped." I hadn't
come to terms yet with the seriousness of what had happened. At that precise moment, I said
to myself that "rape" is a very powerful word. I couldn't relate the word "rape" to me. After the
trial, I think, I realized that it corresponded to what happened to me, but for a long time I
thought it was too strong or... You know.
Tape recorder clicks on.
Psychologist: "After the event..." I'm still quoting her. "I didn't tell anybody. I thought it would
worry them or frighten them. I talked about it to my sister—panic attacks in the street, with
people, getting scared alone with my cousin even. Totally irrational. In places that are open or
not, always scared. Scared at home on my own. In the street (inaudible), people were
aggressive, guys pissed me off. They could sense my fear. Before, it wasn't like that. Nightmares
about sexual violence, death, all the time right now. I feel very stiff in my upper back and my
heart—tension, palpitations, dizziness..."
Tape recorder clicks off. Human presence. Touching sheets.
Adeline: Physical bodily contact was always very important for me. I've always been a sensitive,
very tactile person. So, quite naturally, I had a positive approach to sex. After that, I felt guilty
about my positive approach to sex. As a result, I no longer felt any pleasure. Then I... I saw my
husband again. He wasn't my husband at the time. He had been the last person I had made love
with before I was raped. I thought that he was the only person I could allow myself to have a
sexual relationship. Besides, it had always been very good with him. And... In all my previous
relationships, there was never such restraint. Now, as soon as I feel a bit tired, he never tries to
take it any further, even for just a second, or...
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mais c’est pour ça que j’imagine absolument pas d’être avec quelqu’un d’autre aussi, enfin pour
plein d’autres raison mais en tout cas, sexuellement, où c’est le seul à pouvoir comprendre.
J’ai toujours voulu contrôler cette situation du début à la fin pour pouvoir... ne pas... être
victime. J’ai toujours essayé de donner toutes les informations nécessaires, répondre
clairement aux choses. Enfin dans ma tête je me sentais pas vraiment victime de quoi que ce
soit. En fait j’avais plus... pitié, ou je comprenais pas cet homme, je me sentais plus forte que lui
et plus intelligente et c’était lui qui avait fait une bêtise et qu’était... qu’avait un problème,
c'était pas moi.
Bande audio .
Au tribunal: Bien nous allons suspendre l’audience, qui reprendra demain à 9h. L’audience est
suspendue.
Feuilles de papier.
Adeline: La cour d’assises du département de Loire-Atlantique a rendu, à la date du 20 octobre
2009, l’arrêt suivant: “Condamne l’agresseur à la peine de huit années d’emprisonnement,
ordonne un suivi socio-judiciaire d’une durée de trois ans...”
La lecture continue.
Adeline: Quand le verdict est tombé, j’étais à côté de mes deux meilleures amies. Et je crois que
c’est ma meilleure amie qui s’est mise à pleurer la première donc après je me suis mise à
pleurer. Et tout le monde pleurait je crois, un peu plus ou moins discrètement, des deux côtés
en fait, du côté de l’accusé et de mon côté. Après il y a mon avocat qui s’est retourné et qui m’a
dit: “Alors vous êtes contente?” Alors j’ai trouvé ça un peu bizarre. J’étais pas contente, j’étais
juste soulagée que ce soit fini, après trois ans d’attente, ça faisait du bien.
Je culpabilise plus mais je comprends toujours pas pourquoi on emprisonne quelqu’un qui viole
en fait. Enfin, je comprends pas pourquoi on emprisonne quelqu’un en général.
Pinceau sur toile.
Adeline: Peut-être que j’y retournerais sur les lieux refaire un... un autre film je sais pas. Parce
que de retourner c’est une manière de défantasmer en fait tout ça. D’imaginer tout ce qui s’est
passé, on tord le paysage, on tord le chemin.
ARTE
Adeline: Comme ça après, je repars avec des images un peu moins terrifiantes.
Radio
Adeline: Si ça se trouve je retrouverais plus le chemin.
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But that's why I cannot imagine myself with anybody else. There are plenty of other reasons,
but sexually he's the only person who can understand.
I always wanted to be in control of the situation from beginning to end so I wouldn't... be a
victim. I always tried to give all the necessary information and give clear answers. I mean, in my
mind, I didn't feel like the victim of anything really. Instead, I felt... I felt sorry for him or I didn't
understand the guy. I felt stronger and smarter than him. He was the one who'd done
something stupid and who... Who had a problem. Not me.
Tape recording.
In court: The court will now adjourn until tomorrow at 9 a.m. All rise!
Rustle of paper.
Adeline: "On October 20, 2009, the Loire-Atlantique District Court delivered the following
verdict: The court sentences the attacker to a term of eight years in prison and three years
under social and judicial supervision..."
Continues reading.
Adeline: When the verdict was announced, I was sitting with my two best friends. I think my
best friend was the first to start crying, and that started me crying. Everybody was crying, I
think, more or less openly, on both sides, the defendant's and mine. Afterwards, my lawyer
turned to me and said, "Well, are you pleased?" I thought that was a bit weird. I wasn't pleased,
just relieved that it was over. After three years of waiting, it did me a lot of good.
I don't feel guilty anymore, but I still don't understand why they send people who rape to
prison. I mean, I don't understand why they put people in prison generally.
Brushstrokes on canvas.
Adeline: Maybe I'll go back to the scene to remake... To remake the film differently. I don't
know. Going back is a way of reappropriating events, in fact. By leaving what happened to your
imagination, you twist the landscape, you twist the road.
ARTE
Adeline: That way, afterwards, I'll come away with less terrifying images.
Radio
Adeline: Maybe I won't be able to find the track anymore.
13
Point com.
Adeline: Peut-être après je séparerais encore de nouveau le paysage et le corps. Mais du coup
en faisant un dialogue entre, par exemple un portrait et une peinture de paysage en face. Parce
que je sais pas si sur une seule peinture on peut dire tout ça en fait.
Pinceau sur toile.
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Dot com.
Adeline: Maybe, afterwards, I'll separate the landscape and the body again. By creating a
dialogue between a portrait, for example, and the painting of that landscape... I'm not sure if
you can say all that on a single painting.
Brushstrokes on canvas.
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