Les enjeux de l`éducation pour la santé. B. Goudet.
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Les enjeux de l`éducation pour la santé. B. Goudet.
Les enjeux de l’éducation pour la santé. Bernard Goudet CRAES-CRIPS Aquitaine Des enjeux de changement Q uelque soit son orientation particulière toute démarche éducative marque à la fois une intervention extérieure dans la vie de quelqu’un et un travail sur lui-même de ce quelqu’un ; cette double opération n’a de sens que s’il s’agit de répondre à un constat d’incomplétude, d’inachèvement, de manque, d’insuffisance ou d’insatisfaction, et de produire du changement. Les enjeux de l’action éducative en matière de santé sont donc toujours des enjeux de changement. Le paradoxe du changement. Iparoles, l n’y a rien de plus simple et de plus reposant que de répéter sans cesse les mêmes gestes, de redire les mêmes de reposer les mêmes actes... mais il n’y a rien de plus ennuyeux et de plus sclérosant. Il n’y a rien de plus difficile et de plus angoissant que de voir changer ses points de repères, de reconnaître la fausseté de ses connaissances, d’être obligé d’affronter des situations nouvelles ... mais il n’y a rien d’aussi nécessaire et d’aussi exaltant. Cette contradiction traverse tous les apprentissages tout au long de l’évolution des êtres. Il n’y a pas développement, évolution et croissance sans changement...et sans résistance obstinée au changement… quand on n’est pas persuadé d’y être gagnant. D ans l’éducation, qu’elle soit générale ou focalisée sur la promotion et la protection de la santé, le paradoxe est constant. Pourtant trois perspectives différentes s’ouvrent, en éducation pour la santé notamment, qui correspondent à trois grands types de situations et aux objectifs spécifiques qui s’attachent à l’une et à l’autre. Les trois champs et les trois enjeux du changement éducatif. 1. Santé en développement et promotion de la santé. D ans une optique de « promotion de la santé », au sens de la charte d’Ottawa, le travail éducatif est d’abord un accompagnement de la croissance de chacun. L’éducation pour la santé, accompagnant, depuis son plus jeune âge, le développement de la personne - qui est changement continu -, se donne pour enjeu la « promotion de la santé », la prévention dans le sens le plus fondamental et le plus « primaire » du terme. En relation avec les orientations politiques et économiques de la « promotion de la santé » - développement de politiques publiques favorables à la santé, aménagement de l’environnement pour des conditions de vie bénéfiques, participation active des citoyens aux projets qui les concernent, transformation du système de lutte contre la maladie en un système réel de santé – l’éducation pour la santé se donne un projet de formation de sujets acteurs de leur santé. Pour ce faire elle s’attache à les doter de capacités à affronter les défis de l’existence (ou compétences psychosociales). Elle s’efforce de : a soutenir les phases du développement psychomoteur, psychoaffectif, intellectuel, psychosocial...depuis le stade du nourrisson (ou même avant) jusqu’à la prise d’autonomie du jeune majeur...; a aider à franchir les phases critiques du développement, celles où il y a conflit, prise de risque, et donc changement. 1. Dans les premiers temps, il faudra soutenir la construction du lien mère-enfant, parentsenfant. 2. Pendant la petite enfance, il faudra aider les mères à assumer leurs responsabilités, renforcer l’implication des pères, éviter l’installation des processus de répétition, aider à traverser la crise oedipienne... Bernard Goudet, CRAES-CRIPS Aquitaine, 2005 3. Durant l’enfance, il faudra susciter, éveiller, développer, guider, promouvoir l’attention à soi-même et l’attention aux autres et à l’environnement, façonner des attitudes fondamentales – capacité à dire non, à différer la satisfaction de ses désirs, à anticiper et prévoir -, nourrir certains apprentissages de base... 4. Avec la pré-adolescence et l’adolescence, il faudra accompagner le jeune dans cette période de modification corporelle, de bouleversement de son rapport à lui-même et aux autres, de transformation de son statut social ; il conviendra de comprendre et de questionner ses modalités spécifiques de rapport au risque et à la transgression, soutenir, de l’aider à développer ses aptitudes à vivre les situations nouvelles et à faire face aux défis de la vie... 5. A l’aube de l’entrée dans la vie adulte, il faudra aider, orienter, respecter, prendre en compte les souffrances psychiques entraînées par les difficultés d’insertion, soutenir les projets de vie et leur apporter des ressources... 6. Une autre phase sera l’accompagnement du vieillissement, du désinvestissement et de la perte, pour qu’il soit vécu le moins mal possible. 7. La phase ultime est celle de l’accompagnement de la fin de vie et des soins palliatifs. Le problème est alors de savoir : a quelles modalités va prendre cet accompagnement éducatif du développement du petit, de l’enfant, de l’adolescent, du jeune, a comment travailler les changements liés à la croissance personnelle et à l’évolution de la position sociale, a comment franchir les obstacles qui s’opposent à ces changements ? A titre d’exemple donnons quelques éléments d’un accompagnement éducatif qui s’attacherait plus particulièrement à prévenir les dépendances et les addictions (M.Carpentier, psychiatre, psychanalyste, coordonnatrice du CEDAT, L’information psychiatrique N°10, décembre 2001) 1. Donner des repères dans le temps et l’espace. Apprendre à l’enfant à se repérer dans le temps par rapport aux jours, aux heures aux intervalles de temps, apprendre à ranger ses affaires… L’avertir clairement et de façon empathique des décisions prises à son encontre Lui apprendre à respecter la posologie d’un médicament et à ranger les médicaments dans une armoire fermée à clé quand on n’en a plus besoin 2. Travailler les représentations du corps de l’enfant. Par un apprentissage physique régulier et progressif qui mette l’accent sur l’effort à soutenir et non sur les performances et l’inciter à répéter son effort. En l’apprenant à contrôler sa respiration. En lui montrant, dessins à l’appui s’il le faut, ce qui se passe dans son corps pendant l’effort. L’amener à des efforts intellectuels soutenus pour encourager les efforts faits plus que les performances. 3. Apprendre à l’enfant à gérer son argent. Intérêt de l’usage de la tirelire, avec des pièces qui n’appartiennent qu’à l’enfant et dont il doit pouvoir user à bon escient. Pour cela ne pas remplacer les pièces qu’il perd, l’aider à calculer ses dépenses, de combien il dispose et ce qui lui manque pour obtenir ce qu’il convoite… A travers ces apprentissages aider à gérer ces petites frustrations qui entraînent douleurs et pleurs…apprendre aux enfants à gérer les douleurs de la vie, le patient en addiction étant toujours démuni face à une douleur morale. Partager avec lui ces petites douleurs de la vie, leur donner un sens, « faire passer une étape qui fera expérience et histoire pour la prochaine fois ». 4. Apprendre aux enfants la « mise en acte » pour éviter le « passage à l’acte ». Alors que le « passage à l’acte » répond immédiatement à une émotion, angoisse ou douleur consécutive à une idée (ou image ou son), la « mise en acte » suppose un processus complexe d’élaboration d’un projet imaginaire, partagé avec d’autres, confronté à la réalité et réajusté avant d’être réellement agi. Pour apprendre la « mise en acte » l’adulte pourra « enseigner aux plus jeunes l’attente qui permet de différer, l’imaginaire par le biais des histoires (…) racontées, le raisonnement, mais surtout la liberté de se les approprier à leur façon, la confrontation à la réalité avec ses déceptions (…) ». (1035). Bernard Goudet, CRAES-CRIPS Aquitaine, 2005 5. Apprendre aux enfants le respect de leur propre corps et du corps de l’autre. Leur faire comprendre combien leur corps est à respecter. Les amener à reconnaître leurs perceptions et en tenir compte. Désapprouver tout ce qui peut mettre en risque leur corps et leur vie : « le seul message à leur transmettre est qu’on ne joue pas avec sa vie » (1035). 2. Prises de risques et prévention. Dans une optique de « prévention » apparaît une deuxième perspective qui met l’accent sur un deuxième enjeu correcteur, modificateur. L’environnement dans le quel croissent les sujets est rarement aussi porteur qu’il serait souhaitable. De fait, le développement de la personne, dont il vient d’être question, est soumis au poids des structures sociales et à la pression des appartenances et des références culturelles tout autant qu’aux aléas des itinéraires psychiques. Ces composantes interagissent constamment dans le développement de l’expérience de la vie sociale à travers laquelle s’effectue l’émergence de la subjectivité singulière de chacun. Chaque enfant, chaque jeune se trouve confronté aux contradictions entre les logiques socialisantes l’incitant à la conformité et les logiques de compétition le poussant à la différenciation. Les idéaux et les modèles de projection dans l’avenir que lui livre la culture du temps ne sont que d’une aide réduite pour sortir de ces contradictions, tant ils sont eux-mêmes souvent très éloignés des véritables possibilités que lui ouvrent ses ressources personnelles et sa position sociale. On comprend dans ce contexte qu’il y ait un « façonnement sociétal » de la santé qui perturbe la croissance des jeunes et la promotion de leurs ressources de santé ; ce qui est une invitation à ne pas laisser de coté les objectifs politiques et sociaux de la « promotion de la santé » en substituant moralisation et médicalisation à la transformation des conditions et des milieux de vie. Il reste que ce « façonnement sociétal », au sens où l’entend Marcel Drulhe, est aussi un façonnement du rapport à la santé ; il provoque ou induit des modes de vie et des conduites défavorables à l’épanouissement et au maintien de la santé : rythmes de vie épuisants ou déstructurants, alimentations déséquilibrées, prises de risques inconsidérés, conduites ordaliques, consommations (pouvant aller jusqu’à l’abus et la dépendance) de substances psychoactives : tabac, alcool, toxiques illégaux… Les risques d’usure ou de destruction des ressources de santé, liés aux conduites des sujets, apparaissent alors, et le point de vue de la prévention de la morbidité et de la mortalité s’affirme avec pertinence. Changer des modes de vie, rompre avec des pratiques dangereuses, abandonner des habitudes non pertinentes, développer des conduites nouvelles...sont ainsi proposés comme enjeux éducatifs. L’éducation intervient alors dans une perspective de prévention « spécifique » de risques précisément identifiés, de prévention « secondaire » et parfois même « tertiaire ». Ciblées selon des niveaux d’âge, des types de risques pour la santé, des caractéristiques propres aux groupes d’appartenance et à leurs pratiques de vie quotidienne, les interventions éducatives se donnent comme visée idéale : a d’amener les sujets à s’interroger sur leurs conduites défavorables à la santé, déjà acquises, et sur leurs intérêts à les changer, a et de donner goût à des pratiques plus favorables à l’épanouissement global de la personne et à la vie sociale. Le problème est alors de savoir : a quels obstacles principaux rencontrent les projets de changement dans le domaine des conduites et des modes de vie, a quels objectifs l’éducation pour la santé peut-elle réellement se donner, à partir du moment où elle se rend compte que des conduites acquises, quelque soit ce que peuvent en dire le diagnostic médical et l’analyse épidémiologique, entretiennent le plus souvent des relations avec des conditions de vie et sont des composantes d’un équilibre de vie, a quelle démarche éducative développer alors et avec quels moyens ? Les pistes d’un accompagnement éducatif à visée corrective : 1. La première est celle de la prise de parole et de l’écoute. Il s’agit en premier d’aborder la question délicate de la (ou des) conduites qui mettent en danger la santé de la (ou des) personnes rencontrées. Cela suppose une approche, à la fois empathique – bienveillante et chaleureuse – et sans complaisance. Poser la question d’une manière sereine, écouter attentivement les propos tenus par les interlocuteurs. Faire entendre que les conduites concernées sont très compréhensibles et qu’aucun jugement de valeur n’est porté sur elles mais qu’il n’en reste pas moins qu’elles représentent un danger pour la santé. Chercher à comprendre comment se pose le problème pour l’interlocuteur, quelles représentations mentales se donne-t-il du risque, quels bénéfices lui apporte la conduite présentant des risques pour sa santé, quelle place tient-elle dans son équilibre de vie en rapport à sa situation et à son mode d’engagement dans la vie. 2. La seconde piste d’action est celle de l’invitation au questionnement et de l’information. Il s’agit là d’amener la personne à sortir des argumentations justificatrices, qui lui permettent de s’enfermer dans le déni du risque, et à s’interroger sur la pertinence pour sa santé de sa conduite. Dans une situation d’entretien individuel, ou de colloque singulier praticien - patient, la démarche éducative consiste à reprendre avec la personne la Bernard Goudet, CRAES-CRIPS Aquitaine, 2005 teneur de ses propos et à l’amener à repérer les biais et les contradictions internes de son discours. Il s’agit de créer de l’incertitude, d’inciter au questionnement. L’information technique, objective, peut alors être apportée avec beaucoup plus de chances d’être entendue et prise en compte. Dans une situation de groupe, on jouera sur les divergences d’opinions et de pratiques entre les membres du groupe pour amener à l’incertitude, au questionnement et à l’appel à l’information autorisée. 3. La troisième piste est celle la responsabilisation et du soutien. Le changement dépend des sujets eux-mêmes. C’est donc à eux de décider et de prendre les moyens nécessaires. A partir du moment où l’on met l’accent sur cette responsabilité du sujet, il importe de l’aider à faire le choix qui sera le meilleur pour lui, compte tenu de son mode d’engagement dans la vie, des éléments de son équilibre de vie, des contraintes et des supports que peut lui amener son environnement. Il conviendra aussi de soutenir une décision qui peut être coûteuse pour la personne et difficile à tenir. Cela passe par la disponibilité et l’écoute de l’intervenant mais aussi, parfois, par l’aménagement de supports dans l’environnement. 3. Maladie ou accident et éducation du patient. Nous sommes là face à un troisième grand type de situation. Une pathologie s’est déclarée, un accident est survenu. Que ce soit du à des carences éducatives ou aux négligences dans le domaine de la prévention, on se trouve dans un contexte curatif et au mieux de prévention « tertiaire », si l’on veut garder l’approche classique de la prévention. Le travail éducatif va consister alors à accompagner le patient pour l’aider à prendre sa part, de manière active et responsable, dans l’accomplissement de son traitement en sorte d’évoluer vers la restauration de ses ressources de santé ou, au moins, vers la réduction de son mal. Il s’agit d’aider le patient à élaborer un système de représentations mentales de sa situation, d’attitudes et de conduites qui lui permette de s’approprier le traitement et de s’engager à sa manière dans la lutte contre le mal. Le problème est alors de savoir : a comment s’y prendre pour qu’il y ait convergence entre la logique du soignant, appliquée à éradiquer ou réduire des effets morbides d’une pathologie et celle du soigné attaché à retrouver l’usage de ses fonctions pour mener la vie qui lui convient ? a comment trouver un accord entre l’une et l’autre perspective pour que le soigné retrouve un mode de vie possible pour lui dans l’environnement qui est le sien ? Si les grandes orientations éducatives déjà présentées demeurent, elles devront se particulariser en fonction du type de pathologie et de traitement. Elles s’exerceront aussi dans un contexte nouveau : celui de la situation de dépendance du soigné qui variera a selon le type de pathologie, a selon le lieu des soins – structure de type hospitalier ou domicile – a selon la période -: soins aigus, rééducation ou convalescence, prévention tertiaire – a selon la situation professionnelle, familiale, sociale… a selon l’histoire personnelle, l’âge et la situation générale du sujet… Bernard Goudet, CRAES-CRIPS Aquitaine, 2005