Père Boris Bobrinskoy - Diocèse de Sens

Transcription

Père Boris Bobrinskoy - Diocèse de Sens
Père Boris Bobrinskoy
La diaconie, sacrement du frère.
Je voudrais vous parler un instant, dans le cadre de la diaconie bien sûr, du
sacrement du frère, prolongement du sacrement de l’Eucharistie dans nos vies.
J’aimerais partir, tout d’abord, de l’Eucharistie en rappelant que l’Eucharistie
nous révèle le mystère de l’amour trinitaire du Père, qui a tant aimé le monde, qu’Il a
envoyé Son Fils unique et ce « tant aimé le monde » vraiment nous révèle le mystère du
Père qui n’est pas insensible. Ce n’est pas seulement le Fils qui souffre, le Père
souffre avec lui. On appelle cela la compassion.
Le mot « compassion » signifie, souffrir « avec ». Compassion du Père.
L’Esprit Saint est là aussi qui repose sur Jésus en Le révélant comme Celui qui est la
bienveillance du Père. Tout cela pour dire que l’Eucharistie est à la fois une
expérience ecclésiale, une expérience la plus fraternelle qui soit ; elle doit devenir
une expérience personnelle en ce sens qu’à travers l’Eucharistie, il nous est révélé
l’amour trinitaire, l’amour dans lequel nous baignons, cet amour dans lequel nous
sommes créés et vers lequel nous sommes appelés à vivre éternellement dans le
Royaume.
L’Eucharistie est également la révélation de la souffrance, de l’humilité, de
l’obéissance de Celui, nous l’avons entendu, qui a lavé les pieds de Ses disciples, de
Celui qui a dit : Je ne suis pas venu pour être servi mais pour servir. Et le mot « servir » c’est
le verbe diaconeï, de là vient « diaconie ».
Par conséquent, je pose parfois la question à mes enfants, à mes amis : qui
fut le premier diacre ? On me répond, et vous diriez aussi : Saint Étienne, bien sûr.
Mais le prototype, l’image, la figure fondamentale qui fonde et qui détermine toute
diaconie dans l’Église, c’est bien sûr le Christ Lui-même, parce qu’Il n’est pas venu
pour être servi mais pour servir.
Le Christ est le véritable Diacre avec un grand « D ». Et là, j’aimerais vous
dire combien il est important que ce mystère eucharistique soit la communion au
Christ par laquelle nous vivons, par laquelle nous nous unissons profondément. J’ai
eu souvent l’occasion de le dire dans mes homélies, Ce n’est plus moi qui vis, mais le
Christ qui vit en moi ; le moi « je », le moi haïssable. Ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit
en moi, et à travers Lui je vois les choses et j’agis, et je vis.
Je crois qu’il est très important de vivre cela, de vivre ce mystère du Christ, et
de savoir que ce n’est pas seulement au moment de la communion de la liturgie
eucharistique, du mystère de la liturgie, au moment de la communion au Christ,
mais que cette communion demeure en nous et nous devons chercher à la faire
perdurer véritablement, et là, c’est toute la Tradition dans l’Église orthodoxe , ce
qu’on appelle l’hésychasme, ou la prière du cœur, qui est une invocation continuelle,
incessante du Nom de Jésus, et par conséquent une véritable communion au Christ
dans l’Esprit Saint. Parce que c’est par l’Esprit Saint que nous pouvons appeler Jésus,
Seigneur, comme le dit saint Paul. Sans l’Esprit Saint, nous n’avons aucun élan,
aucune vision, aucune certitude, aucune foi, aucune espérance, aucune charité. C’est
une première chose que je voulais dire, cette expérience ecclésiale, cette expérience
eucharistique. C’est à partir de cette expérience ecclésiale, expérience eucharistique,
expérience de la prière continuelle du Nom de Jésus, où l’invocation du Nom de
Jésus fait trembler les puissances infernales. Eh bien, dans cette invocation
incessante du Nom de Jésus, nous découvrons le mystère de la miséricorde.
Le mystère de la miséricorde pour Jésus est de deux manières : d’une part, si
nous prenons le Sermon sur la montagne, dont il a été question, et reprenons en
particulier les Béatitudes.
Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice. Qui sont, qui est ce
bienheureux ? C’est avant tout le Christ Lui-même. Bienheureux les cœurs purs. Qui a le
cœur pur ? C’est Jésus avant tout. Bienheureux ceux qui sont pacificateurs. C’est Jésus qui
est venu apporter la paix sur la terre. Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice.
C’est Jésus. Bienheureux ceux qui pleurent, ils seront consolés. Bienheureux ceux qui sont
persécutés pour la justice, jusqu’à la Croix, la Crucifixion, c’est Jésus Lui-même. Cela
est un aspect du mystère que nous découvrons à travers les Béatitudes en particulier.
Mais il y a un autre aspect aussi. Bienheureux les pauvres. Bienheureux le pauvre
dans l’Esprit. Le pauvre en Esprit n’est plus celui qui agit mais celui qui reçoit, celui
qui a besoin, celui qui souffre ; et Jésus a parlé aussi, non seulement de celui qui fait
miséricorde, mais de celui qui a besoin de la miséricorde, qui a besoin de notre
tendresse, qui a besoin de l’espérance pour que nous puissions l’accueillir : Voici que
Je me tiens à la porte et Je frappe, J’entrerai, Je m’assoirai, lui près de Moi et Moi près de lui.
Par conséquent, Jésus-Christ qu’on a appelé le divin Mendiant est le
Mendiant d’amour, Celui qui nous appelle, Celui qui attend de nous véritablement
la miséricorde, la tendresse, l’amour, le pain et le vin, le chaud de notre cœur…
Pour cela il faut que notre cœur soit véritablement purifié. Nous voyons que les
Béatitudes nous aident à mieux voir ce qu’il y a dans les deux mouvements, dans
celui qui donne, parce que le Christ est en lui. Et c’est le Christ miséricordieux qui
agit en moi ; mais celui qui est le pauvre, auquel nous donnons, c’est aussi le Christ.
Je lisais ce matin, à la maison, la vie d’un starets russe du début du XXe siècle
qui avait entendu la voix du Christ lui dire : « Prépare-Moi un repas, Je viendrai
chez toi. » Il a tout préparé, il attend... À un moment donné, on sonne à la porte,
c’est un mendiant : « Je n’ai pas le temps de te recevoir, parce que j’attends un
invité de marque. » Un peu plus tard une autre personne frappe à la porte, c’est un
malade : « J’ai très faim, donne-moi à manger.– Je n’ai pas le temps, va, va, va… je
n’ai pas le temps, j’attends quelqu’un. » À trois ou quatre reprises des personnes
sont venues, il les a chassées, et le Christ n’est pas venu. Alors il a dit au Seigneur :
« Qu’est-ce qui se passe ? Tu m’as dit que Tu allais venir, Tu n’es pas venu. – Mais
si, Je suis venu trois ou quatre fois, tu ne M’as pas reconnu et tu M’as chassé. »
Voyez, nous avons à apprendre, nous aussi, cette identification, ce regard
intérieur, ce regard spirituel, dans lequel, surtout celui qui souffre, qui est malade,
qui est pauvre, qui est abandonné, qui est dans la misère, apprendre à reconnaître le
visage du Christ. Et dans cette reconnaissance du visage du Christ, alors nous
pouvons véritablement agir et faire le bien autour de nous, rayonner, rayonner
l’amour, comme disaient les anciens : « Regardez les chrétiens comme ils s’aiment. »
Eh bien l’amour réciproque, l’amour qui se répand bien au-delà de nos
frontières ecclésiales, de nos paroisses et même de nos diocèses, c’est l’amour
contagieux, on peut dire, venant du Christ Lui-même.
Pour terminer, je rappellerai simplement que je pourrais au moins citer deux
auteurs des liturgies byzantines, des liturgies orthodoxes que nous célébrons : Saint
Basile de Césarée au IVe siècle, et son ami Saint Jean Chrysostome, tous deux ont
veillé à fonder, à créer autour de leur diocèse, de leur siège épiscopal, créer des
institutions, des hospices pour les malades, pour les pauvres, des hôpitaux, etc., et
ils ont insisté, surtout Saint Basile dans ses Règles monastiques, pour que dans les
cénobions, c’est-à-dire dans les vies communautaires, il y ait toujours une dimension
d’amour du prochain et d’accueil. Pour que le moine fermé, passionné, aveuglé par
son égocentrisme, sa vanité, s’ouvre véritablement aux besoins du monde.
Je pense que cela est important pour nous, pour nos paroisses, pour nos
monastères, pour nos diocèses, pour notre vie chrétienne, de ne pas nous enfermer
dans notre grandeur, dans notre fierté d’orthodoxe, de réformé ou de catholique,
mais de nous ouvrir, surtout vers ce monde, qui a tant besoin, justement, d’une
parole vivante, d’une parole de sainteté et d’une parole d’amour.
Et je m’arrête là.
Père Boris Bobrinskoy