Politique de voisinage et identité européenne : Quel projet et quel
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Politique de voisinage et identité européenne : Quel projet et quel
Politique de voisinage et identité européenne : Quel projet et quel avenir ? Les termes « voisin » et « voisinage » se sont imposés progressivement, depuis 2002, dans le cadre de la nouvelle politique de l’Union Européen vis-à-vis de certains pays tiers. Romano Prodi, dans un discours désormais de référence, en décembre 2002, met en effet en place une démarche de « politique de proximité comme clé de la stabilité »1 et ne cite pas moins de 23 fois le mot « voisins »2 alors que le mot « partenariat » ne revient que deux fois avec la même occurrence que celui de voisinage. La PEV est lancée officiellement en mars 2003 avec la Communication « L’Europe élargie – Voisinage », dans la continuité de ce discours et du Conseil européen de Copenhague de 20023. Invention d’un concept ? Le terme « voisin », complété ensuite par cette notion de « voisinage », est devenu depuis incontournable, s’agissant de la politique extérieure de l’Union européenne, une terminologie qui s’avère très robuste4, résumant un compromis car il s’agit à la fois de définir des partenariats d’un genre nouveau et de rassurer en interne comme en externe sur l’administration des nouvelles frontières, terrestres ou maritimes, désormais contrôlées et surveillées. Ce voisinage atténuerait ainsi la réalité des portes de l’Union européenne, ni limes de l’empire, ni marches féodales. Apparemment de manière paradoxale, mais bien parce que l’Union européenne est secouée par une schizophrénie particulière, la « forteresse » érigée et renforcée avec Schengen doit apparaître comme ouverte et accueillante, à ces voisins qui peuvent frapper aux portes ou bien tourner le dos vers d’autres directions, sinon alliances. Résumons rapidement une évolution sémantique, au niveau des textes de l’Union européenne, sur ces questions : une rapide analyse factorielle sur huit textes fondamentaux5 permet de focaliser la réflexion sur plusieurs thématiques 1 Romano Prodi, Président de la Commission européenne, « L’Europe élargie – Une politique de proximité comme clé de stabilité », discours prononcé à Bruxelles dans le cadre de la sixième conférence mondiale du réseau ECSA (Projet Jean Monnet), 5 et 6 décembre 2002. 2 Dans un discours de moins de 3300 mots. 3 Cf. Gilles Lepesant, « L’Union européenne et son voisinage : vers un nouveau contrat », in Politique étrangère n°4, hiver 2004-2005 / p.767-780. 4 Au sens statistique : résistant aux évolutions d’autres variables. 5 Analyse effectuée à partir de 8 textes : « L’Europe élargie – Une politique de proximité comme clé de la stabilité », Discours de Romano Prodi, Président de la Commission européenne, 5 décembre 2002. « Une Europe sûre dans un monde meilleur, Stratégie européenne de sécurité », Bruxelles, 12 décembre 2003, non publié au Journal officiel, document rédigé sous l'autorité du Haut représentant (HR) de l'UE pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), M. Javier Solana et présentée Conseil européen qui a ensuite adopté la stratégie européenne de sécurité. Communication de la Commission, « Politique européenne de voisinage », document d’orientation, 12 mai 2004, COM(2004) 373. Communication de la Commission au Conseil sur les Propositions de la Commission en faveur de plans d’action dans le cadre de la PEV, 9 décembre 2004, COM(2004) 795. 1 fondamentales (cf. graphique suivant). La sécurité et la stabilité, en 2002 et 2003, avec l’énoncé de la stratégie européenne de sécurité, imposent un renforcement des relations avec les pays voisins, aux frontières alors prévues. La limite historiquement fondée dans le cadre d’un monde bipolaire a en effet disparu en 1989. En 2004, une méthode est mise en place, des plans d’actions bilatéraux, entre des pays et l’Union européenne, dans un cadre largement inspiré de la politique de préadhésion pour les 12 pays entrés en 2004 et 2007, et qui a démontré son efficacité. Des domaines d’action sont ainsi définis dans le cadre d’instruments spécifiques et notamment de l’Instrument de Politique Européenne de Voisinage, mis en place en 2006 où il est question d’assistance, de règlements et de financement de programmes. Remarquons, dans le graphique, la proximité de la communication de 2005 sur les 10 ans de partenariat euro-méditerranéen, avec les termes « intégration », « libreéchanges » et « région » : si l’économique ne semble pas prédominer l’ensemble du corpus, les logiques commerciales sont bien présentes dans cette logique des textes officiels. C’est que l’Europe-économique est acquise et qu’il s’agit ici, bien plus peutêtre, de participer à un projet politique. Les deux textes sur le renforcement de la politique de voisinage, de 2006 et 2007 sont représentés au centre du graphique car que leur vocabulaire est bien moins spécifique que dans le cas des autres textes. De plus, il s’agit alors de comprendre et financer pour soutenir et renforcer, alors que le discours de Romano Prodi insiste sur le devoir et la nouveauté de la démarche, tout comme celui sur l’Euromed. La présentation de la PEV de 2004 tente de définir les principes pour atteindre des objectifs. Puis les échanges, surtout commerciaux, et les réformes sont au centre des textes de 2006. Globalement, ces 8 textes n’évoquent jamais la notion de « nation », sauf pour désigner les Nations-Unies (16 fois) ni, même, le terme « Etat » qui est réservé aux « Etats-membres » (80 fois) ou aux Etats-Unis (7 fois). Les voisins sont des pays, « pays partenaires » en général (169 fois), « pays voisins » (39 fois), « pays tiers » (13 fois). Citons, par exemple, un extrait du texte numéro 3 : « L’objectif premier de la PEV est de donner un nouvel élan à la coopération avec les voisins de l’UE après l’élargissement. L’expérience accumulée dans le cadre du soutien accordé au processus de transition politique et économique ainsi qu’au développement économique et à la modernisation des nouveaux Etats membres et pays candidats constituera, le cas échéant, un enrichissement pour les relations avec les pays partenaires ». Ne deviennent donc Etats que les pays ayant adhéré à l’Union Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 12 avril 2005, relative au dixième anniversaire du partenariat Euro-Méditerranéen, COM(2005), 139, non publiée au Journal officiel Règlement (CE) n° 1638/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 2006, arrêtant les dispositions générales instituant un instrument européen de voisinage et de partenariat. Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 4 décembre 2006, relative au renforcement de la politique européenne de voisinage, COM(2006) 726. Résultats des travaux du Conseil de l’Union européenne, « Renforcement de la politique européenne de voisinage – Conclusions du Conseil », 19 juin 2007, n° 11016/07. 2 européenne, une sémantique justifiable dans la logique administrative et juridique de rédaction des actes et avis de l’Union, mais qui conduit à généraliser la suppression systématique du mot « nation » et de différencier radicalement l’intérieur et l’extérieur, pour utiliser un terme aussi vague que « pays » : « espace géographique délimité par des frontières, habité par une collectivité humaine et doté d'un État souverain », ou encore « personne morale du droit international, définie par un territoire, une population et un État », « ensemble des citoyens d'un État », ou, enfin, « lieu abstrait ou irréel peuplé d'êtres ou de choses créés par la pensée, la mémoire ou l'imagination » nous enseigne le dictionnaire6. Analyse factorielle des correspondances multiples d’un corpus de textes européens sur la PEV Axe 2 (19.6%) intégration échanges libre régional Communication_10_Euromed programme région Axe 1 (37.9%) partenariat droits partenaires accords régionale réformes société dialogue commerce participation Communication_Ref_PEV_2006 communication processus développement actions Conseil_Conclusions_PEV_2007 financement cadre instrument voisinage programmes coopération économique partenaire efforts marché Acte_IPEV_2006 objectifs domaines activités PEV_Orientation_2004 gestion pays action promouvoir priorités Communication_Plans_Action_2004 européen mesures domaine relations assistance règlement membres renforcer frontières voisins Prodi_discours_2002 instruments Stratégie_sécurité_2003 conflits sécurité Cette sémantique nous renvoie à une quête de sens sur ce voisinage érigé désormais en concept européen, sur les frontières de l’Union, et, par conséquence, sur l’identité européenne. 6 Dictionnaire Encarta de Microsoft. 3 Les « nouveaux voisins » Dans « Quelques réflexions sur l’acception sociologique du concept de voisinage »7, Thierry Leterre estime qu’il s’agit d’un « curieux choix » que d’utiliser ainsi cette thématique de voisinage dans le cadre d’une politique extérieure. Le voisin relève de la proximité, ce qui constitue le point de départ de la démarche exposée dès 2002 par Romano Prodi8. Le voisin est ainsi quelqu’un qui habite « à côté », sans que personne ne sache vraiment où ce voisinage commence : au niveau du quartier, de la rue, de l’immeuble ? Une notion difficile à définir dans l’espace, voisin de palier ou voisin de table, parce qu’il s’agit de « proximité immédiate », autrement dit, une proximité qui n’est qu’imparfaitement définie par la géographie ou par la spatialisation mais qui procède bien évidemment aussi de la représentation du proche. Pour Littré, en 1876, le voisin « est proche … demeure près de », citant Berenice de Racine : « Pour rendre vos Etats plus voisins l’un de l’autre. L’Euphrate bornera son empire et le vôtre ». Le voisin se définit également par une proximité imposée sinon subie : qui choisit ses voisins ? Bien évidemment, les logiques d’urbanisation, comme les logiques de peuplement des territoires, induisent des déterminations sociologiques comme historiques à l’installation de voisinages et créent des proximités en fait assez peu fortuites. Mais à l’échelle de l’Europe, la logique du choix conceptuel est pourtant évidente : Alors que la chute du mur a suscité l’évidence de réunification de l’Allemagne puis de la recomposition vers l’Est, les nouveaux voisins de l’Union, encore plus loin vers l’Est, n’ont pas été choisis mais imposés par les circonstances de l’élargissement ou de l’insécurité à l’échelle mondiale, comme dans le cas du voisinage méditerranéen. Le terme de « voisin » est complexe car à plusieurs entrées mais, surtout, parce qu’il induit les logiques d’intérieur, d’extérieur et de proximité, il permet de dépasser largement le cadre de l’économique pour installer le politique dans un projet européen. Il ne s’agit plus seulement de flux de capitaux, de biens, de services ou de personnes. Cette proximité des « nouveaux » voisins constitue à la fois une menace et une opportunité qui se sont imposées très rapidement au niveau européen : une menace surtout depuis le 11 septembre 2001 après la crise des Balkans, des opportunités avec les effets des élargissements. Il est évident que la gestion des frontières de l’Est, notamment avec l’Ukraine et la Biélorussie, compliquent le problème des flux migratoires et que les relations en Méditerranée sont liées au problème de diffusion du terrorisme international. 7 In L’Union européenne élargie aux nouvelles frontières et à la recherche d’une politique de voisinage, sous la direction de Marie-Françoise Labouz, Christian Philip et Panayotis Soldatos, Bruxelles : Editions Bruylant, 2006, pp. 209 à 222. 8 En Slovaquie, une série TV mettant en scène deux couples dont un appartenant à la minorité hongroise, a justement pour titre « Susedia » (Les voisins). De l’avis de nombreux journalistes, cette série a contribué à dédramatiser des tensions entre slovaques et hongrois, attisées dans le cadre de stratégies politiques après les élections de juin 2006 où les partis de la minorité hongroise réunis dans le SMK n’ont plus intégré la coalition gouvernementale. 4 Il s’agit ainsi de concilier impératif sécuritaire et politique de voisinage. La démarche est claire : en concourant à l’évolution économique et sociale des pays voisins, de nouvelles conditions sont créées pour la sécurité de l’Europe, avec une meilleure intégration économique, des échanges culturels et sociaux, des valeurs démocratiques partagées, des évolutions institutionnelles conjointes. Le texte de 2003 concernant la « Stratégie européenne de sécurité » de Javier Solana décrit clairement à la fois les problèmes que l’Union ne peut plus ignorer et la méthode qui est de « promouvoir, à l’Est de l’UE et aux frontières du bassin méditerranéen, en ensemble de pays bien gouvernés ». La sécurité de l’Union passe donc bien par l’évolution démocratique, économique et sociale des voisins. Cette définition par la menace d’un projet politique de l’Union est évidemment très contestable et réducteur, alors que l’Union « en panne » après les « non » de 2002, après la recherche d’un sursaut politique, installe une PEV qui paraît bien, de plus en plus, s’affranchir de cette origine et, si les objectifs demeurent, les moyens mis en œuvre pourraient aboutir à des résultats entraînant, de fait, une redéfinition du projet politique européen. La présentation de la « première réunion des ministres de l’UE avec le Voisinage européen » du 3 septembre 2007, indique bien que la PEV « a été mise en place dans le but de renforcer la prospérité, la stabilité et la sécurité mutuelle de l’UE et de ses pays voisins »9. Les trois concepts sont désormais installés dans une logique «mutuelle » fondamentale : il s’agit ensuite de convaincre du caractère gagnant-gagnant de la stratégie pour installer de véritables partenariats. Voisins et frontières Les frontières de l’Union ont bien changé en quelques années : à la fois géographiquement et conceptuellement. En inscrivant dans les paysages les limites de l’Union, les nouvelles frontières créent à la fois de la distance et de la proximité. Distance car des habitudes vont être bousculées, des échanges rendus forcément plus difficile et des situations plus problématiques. Il est très schématique de simplifier la situation des nouveaux pays intégrés en 2004 et en 2007 en inversant seulement leur pôle d’attraction, d’Est en Ouest. Ce qui peut être légitime au niveau politique l’est moins évidemment au niveau social ou culturel. La Moldavie comme l’Ukraine sont désormais plus distantes, pour les roumains et les slovaques, au moins, et cette situation s’aggravera avec l’entrée de la Slovaquie dans la zone Schengen, le 21 décembre 2007. La frontière est bien une limite du social et impose une altérité : voila bien, d’ailleurs, une des difficultés de l’Union européenne que de conserver des frontières et, a contrario, une des grandes promesses de la zone Schengen, au-delà de la facilitation de l’activité économique. Une continuité spatiale découle de la continuité politique de Schengen, même au niveau des paysages dans le cas de frontières non naturelles. Où commence véritablement, désormais, l’Allemagne ou la France et où commencera la Slovaquie l’année prochaine ? L’extension de Schengen, donc, renforce le caractère contraignant des autres frontières extérieures et, alors que les citoyens européens ne font que passer les frontières, les autres auront à les franchir, voire voudront les transgresser. Un rapport de voisinage proche, donc, de l’apartheid. Le rôle de la 9 Cf. IP/07/1263, Bruxelles, 30 août 2007. 5 coopération transfrontalière prend un autre sens avec cette évolution car les territoires peuvent ainsi être définis autrement qu’à partir des frontières et les relations de voisinages s’installent alors dans une proximité réelle. Ces espaces transfrontaliers ne deviennent pas pour autant de nouvelles marches mais des zones de médiation qui, justement, peuvent installer la frontière dans un rôle accepté par tous. Ainsi, par exemple, le président Ukrainien a supprimé l’obligation de visa en juillet 2005 pour les citoyens de l’UE et, en 2006, le Parlement européen a prévu une législation mettant en place un visa spécial destiné aux résidents frontaliers franchissant régulièrement la frontière. La PEV a besoin de frontières pour délimiter ses voisins. Mais quelles frontières ? Celles de l’Europe délimitée en 1994 par la résolution 1247 du Conseil de l’Europe qui comprend 46 pays dont la Russie, la Turquie ou encore l’Azerbaïdjan10 ? La question de l’adhésion à la Turquie a ravivé ce débat11. Est-ce parce que le projet de l’Union européenne n’est pas celui du Conseil de l’Europe que les deux espaces ne sont pas superposables ? Pourtant, n’est-il pas justement légitime à beaucoup de pays de cette zone de poser leur candidature, au moins sur ce critère géographique ? Entre fédéralisme, intégrationnisme et souverainisme, entre projet politique et projet économique, l’Union européenne délimite difficilement son projet, et, donc, ses limites. L’évolution institutionnelle actuelle et l’intégration des nouveaux adhérents sont autant d’arguments pour le statu quo temporaire, pour une « pause » devant permettre à l’Union de consolider son projet politique et de le légitimer auprès des citoyens. La PEV aurait alors comme fonction de fournir une réponse temporaire : les pays inclus dans cette politique ne sont pas considérés comme des candidats à l’adhésion. Ainsi l’intégration de l’Ukraine, de la Moldavie, des trois Etats du Caucase dans la PEV permet une réponse moins ambiguë mais non définitive. Cette situation, vis-àvis de ces « voisins » est d’autant plus délicate qu’un début de réponse favorable a été donné à la Turquie, avec un horizon de dix ans. Ainsi, la Turquie, comme la Croatie, sont en situation de négociation d’adhésion et non intégrés dans la PEV, comme, préventivement, la Bosnie-Herzégovine ou encore la Serbie, dont la vocation à intégrer l’UE ne fait plus de doute. L’élargissement à l’Est a rendu crucial l’intensification des relations économiques et politiques avec les pays voisins et les plans d’action (cf. infra) s’inspirent très fortement des programmes de préadhésion mis en œuvre pour l’élargissement de 2004, et dont l’évaluation a été très positive. Cette similitude, a priori pragmatique, étant donné que les objectifs suivis sont souvent similaires, peut contribuer à 10 Le Kazakhstan n’est pas intégré à la PEV mais fait l’objet d’une coopération particulière. Le Président Nazerbaiev multiplie depuis plusieurs années les campagnes d’information sur le thème « le Kazakhstan est en Europe ». Cf. par exemple, l’encart « En direct du Kazakhstan : le Kazakhstan se tourne vers l’avenir » publié dans Europe’s World, Edition française publiée avec la fondation Robert Schuman, automne 2007, pp. 28 à 35, partie « sponsorisée par l’Ambassade du Kazakhstan à Bruxelles ». « Savez-vous qu’environ 5% du territoire du Kazakhstan se situe en Europe ? A taille réelle, cela représente quelque 140 000 km², un territoire plus vaste que celui de 18 des 27 pays de l’UE … les principales richesses en hydrocarbures du pays sont concentrées dans la partie européenne du Kazakhstan … (qui) est également très riche en ressources minérales ». 11 En 1987, la candidature du Maroc avait été repoussée par application du critère géographique. 6 l’ambiguïté de la politique : un partenariat spécifique de voisinage mais pas d’adhésion dans l’immédiat, pas tout à fait, donc, une intégration mais « plus » néanmoins qu’une simple association. La PEV et la politique extérieure de l’UE La PEV est construite sur la base de relations développées précédemment dans les années 1990, avec les programmes TACIS et MEDA, par exemple. Elle s’ajoute ainsi aux accords et politiques existants et ne les remplacent d’ailleurs pas. Il s’agit peut-être bien plus d’une politique à usage interne à l’Union européenne (définir ce voisinage) qu’à usage externe. Globalement, la PEV se décline en 3 orientations et 3 instruments12. 1) L’unification des relations de l’UE avec 16 pays13. La Biélorussie et la Libye ont vocation à intégrer le dispositif après « normalisation » de leurs relations politiques avec l’Union. Depuis 2004, la Russie est exclue du champ de la PEV et doit développer un partenariat stratégique spécifique indépendant14. 2) Une stratégie d’intégration économique et de coopération politique, avec quatre grands axes : l’évolution démocratique (dont indépendance des médias, régularité des élections, respects des partis de l’opposition), l’évolution économique (diminution des disparités de niveau de vie à l’Est comme au Sud), la sécurité énergétique (stabilisation des pays producteurs, transit du pétrole, interdépendance avec l’Algérie et la Libye15) et la normalisation de l’immigration (contrôle et surveillance des frontières en partenariat, assouplissement de la politique de visas et organisation de l’accès aux marchés du travail européens). L’UE propose aux partenaires une harmonisation législative et réglementaire permettant de mettre en œuvre un libre-échange de biens, services et capitaux16 La coopération transfrontalière constitue également un outil fondamental pour le développement de l’économie locale des zones frontalières (ces « marches » nouvelles) ou encore pour favoriser le contact entre les personnes (à défaut de librecirculation). 3) Une différenciation par pays destinée à dynamiser l’approche régionale. Après l’élargissement historique de 2004 achevé en 2007, et le bilan du processus de réforme dans ces pays, la démarche préconisée est à la fois globale dans les intentions (cf. 1.) et spécifique par « voisin » qui pourront prévoir leur propre rythme de réforme. 12 Cf. notamment Assemblée Nationale, Rapport d’information sur le développement de la politique européenne de voisinage et la question des frontières de l’Union européenne, présenté par M. Thierry Mariani, député, 7 juin 2006. 13 9 pays du Sud (Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Israël, Autorité palestinienne, Jordanie, Syrie et Liban) et 5 pays de l’Est (Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan). 14 10 autres pays voisins ne sont pas concernés par la PEV : les 4 pays européens qui pourraient adhérer à l’UE mais ne sont pas candidats (Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse), les 6 pays qui ont vocation à intégrer l’UE (Croatie, Turquie, Ancienne République yougoslave de Macédoine, Albanie, Serbie-et-Monténégro, Bosnie-Herzégovine). 15 Ces deux pays possédant respectivement près de 3 % des réserves mondiales de gaz et 3 % des réserves mondiales de pétrole. 16 La libre circulation des personnes proposée par la Commission n’a pas été retenue par le Conseil. 7 Trois instruments sont mobilisés pour cette politique de voisinage : 1) Les accords d’association avec les partenaires euro-méditerranéens et les accords de partenariat et de coopération avec les pays issus de l’ancienne URSS, fournissent le cadre des partenariats17. 2) Les plans d’action : Le Conseil du 21 février 2005 a adopté les premiers plans approuvés en 2004 pour l’Ukraine, la Moldavie, la Jordanie, la Tunisie, le Maroc, Israël et l’Autorité palestinienne, celui du Liban, le 17 octobre 2006 puis ceux des trois républiques sud-caucasiennes le 13 novembre 2006 et, en 2007, les négociations s’achèveront avec l’Egypte. D’une durée de 3 à 5 ans, ces plans fixent des priorités en fonction des spécificités de chaque pays voisin. 3) L’Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) intègre la sémantique du partenariat car il concerne également la Russie et remplace depuis le 1er janvier 2007, les programmes thématiques et géographiques existants. Les procédures de la coopération transfrontalière sont simplifiées et l’instrument s’inspire de la logique des fonds structurels : programmation, partenariat et cofinancement pluriannuels. 1995 2004 1995 Nouveau partenariat UE-Russie (2007) ? 2004 1973 2004 1973 1973 2004 1957 (1990) Pas de PA (2007) 1957 PA 2005 2004 1957 1957 Vers un statut spécial (2007) ? 2004 1957 1995 2004 2004 Candidat PA 2005 2007 2007 Candidat 1957 1986 PA 2006 PA 2006 Négociation UE ou statut spécial (2007) ? 1986 Union de la Méditerranée (2007) ? PA 2006 1981 2004 PA 2005 2004 PA 2007 PA 2005 PA 2005 UE – PEV 2007 PA en cours (2007) PA 2007 PA 2005 PA 2005 Pas de PA (2007) La nouvelle Europe du voisinage18 17 Date d’entrée en vigueur des accords d’association : Autorité palestinienne, 1997, Tunisie, 1998, Israël et Maroc, 2000, Jordanie, 2002, Egypte, 2004, Algérie, 2005, Liban, 2006, (pas d’accord pour la Libye et en attente de ratification pour la Syrie). Accords de partenariat et de coopération : Moldavie et Ukraine, 1998, Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie, 1999. Les accords arrivant à l’échéance de dix ans doivent être renégociés. 8 Le parallélisme entre l’IEVP et les fonds structurels renforce encore la similitude entre les programmes de préadhésion et la PEV. Globalement, l’enveloppe consacrée à cette politique est proche de 12 milliards d’euros entre 2007 et 201319, 11,2 au titre de l’IEVP et 800 millions pour les programmes thématiques. C’est à la fois beaucoup et peu : beaucoup par rapport aux budgets précédents pour les zones concernées (Budget MEDA 2000-2006 : 5,3 milliards et TACIS 2000-2006 : 3,2 milliards, soit 8,5 milliards pour une zone approximativement semblable, en augmentation donc de plus de 40 %), peu par rapport à d’autres budgets, comme par exemple, ceux des fonds structurels, la Slovaquie, par exemple, devant recevoir près de 12 milliards également pendant la même période. La définition de cette enveloppe et des principes d’attribution a été difficile et à opposé la France et les pays du sud de l’Union à l’Allemagne, les pays nordiques et d’Europe centrale ainsi, mais avec plus de réserve, que la Grande-Bretagne. La France en effet a défendu le principe d’un engagement clair aux partenaires du sud, ce qui impliquait de créer une clé de répartition a priori des crédits entre le Sud et l’Est, position contestée par les autres pays cités qui défendaient une conception indifférenciée de la PEV, le montant de l’aide ne dépendant alors que des mérites propres des pays partenaires. Un compromis a été trouvé par le Conseil, en garantissant une répartition pluriannuelle sur la base de 2/3 pour le Sud et 1/3 pour l’Est, mais avec une marge d’accroissement des financements en fonction des objectifs agréés bilatéralement avec les partenaires. Il paraissait dangereux pour la France de mettre en place un système installant durablement une orientation vers l’Est de l’Union européenne, légitime évidemment depuis l’élargissement de 2004 et 2007. Pour autant, cette négociation témoigne d’une évolution fondamentale de l’UE vis-à-vis des partenaires méditerranéens qui doivent s’installer dans une nouvelle logique de relations politiques, de moins en moins fondée sur l’histoire. Néanmoins, et puisque la première orientation de la PEV est bien d’unifier la politique extérieure de l’UE pour 16 pays, il peut paraître dangereux de trop différencier les enveloppes des accords bilatéraux en déterminant les montants à l’excès. En effet, l’assistance européenne est bien conditionnée par les réformes auxquelles se sont engagés les pays partenaires dans les domaines prioritaires. Mais comme l’objectif de la PEV est bien de contribuer au progrès et à la stabilité, par une convergence à la fois des institutions et des économies, il semble important de fixer des limites à cette différenciation afin de ne pas créer de nouvelles disparités entre voisins et, donc, d’installer des divergences encore aggravées. Le premier bilan réalisé par la Commission, 18 mois après la mise en œuvre de la PEV, fin décembre 2006, est relativement mitigé. Les plans d’action se révèlent avoir été réalisés en concertation et ont un caractère très concret qui induit une meilleure utilisation des fonds, mais, surtout, les problèmes de délivrance des visas persistent ainsi que les difficultés de déplacement des citoyens des pays voisins vers l’UE. La création d’un fonds d’investissements de voisinage (FIV) de 700 millions d’euros sur 18 Tous les pays issus de l’ex-Yougoslavie ont conclut un accord d’association avec l’Union européenne, l’accord avec Bosnie-Herzégovine a été établi en décembre 2007. La porte est donc désormais ouverte à tous ces pays pour une intégration au sein de l’UE dans les prochaines années. 19 Augmentation de l’enveloppe initiale après le premier bilan de la PEV, fin 2006. 9 7 ans auquel pourront participer les Etats-membres et une nouvelle facilité « gouvernance » dotée de 300 millions d’euros sont alors préconisés. Certains Etatsmembres, néanmoins, dont la France, s’inquiète de l’évolution du FIV et du désengagement progressif de l’UE au profit des contributions directes des Etatsmembres. Instruments de l’aide extérieure de l’Union Européenne, 2007-201320 Instrument d’aide Fonds de Développement Européen (FED), 10ème 20082013 (Cotonou révisé) Instrument de Coopération au Développement (ICD) Instrument d’Aide de Préadhésion (IAP) Instrument Européen de Voisinage et de Partenariat (IEVP) Aide humanitaire Instrument de Stabilité (IS) Instrument Européen pour la Démocratie et les Droits de l’Homme (IEDDH) Instrument de Coopération pour la Sécurité Nucléaire (INSC) Assistance macroéconomique Instrument de Coopération avec les pays Industrialisés (ICI) Zone géographie et/ou thème Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) et Pays et territoires d’Outre-mer (PTOM) Asie, Amérique latine, une partie des Nouveaux Etats Indépendants, Afrique du Sud 6 pays des Balkans occidentaux et la Turquie 17 pays méditerranéens, Europe orientale, Caucase, Russie et Moyen-Orient Réponse immédiate aux crises humanitaires Réponse et préparation aux situations de crise, problèmes frontaliers mondiaux et transrégionaux Utilisée ponctuellement pour répondre à des besoins financiers exceptionnels (principalement Balkans occidentaux et les NEI) Pays industrialisés Montant en milliards € 22,682 % 32 % 16,897 24 % 11,468 16 % 11,181 16 % 5,613 8% 2,062 3% 1,103 2% En moyenne 75 millions par an Non programmable 1% 0,172 Le tableau précédent récapitule le budget global affecté à la politique extérieure de l’UE pour la période 2007-2013. Le Fonds européen de développement a été inclus, même si cet instrument prévu dès le Traité de Rome ne fait pas partie du budget communautaire général car étant financé directement par les Etats-membres. Ainsi, globalement, le budget de l’UE pour 2007-2013 est de 864,3 milliards d’euros, en intégrant le FED, c’est plus de 8 % du budget total qui est consacré à la politique extérieure de l’UE. Sans le FED, l’UE dépense autant pour son administration que pour l’action extérieure. 20 Sources : Communication de la commission, COM(2004) 487. 10 Budget global 2007-2013 Citoyenneté, liberté, sécurité et justice 1% Administration 6% L'UE partenaire mondial Compensation 6% 0% Croissance durable 44% Préservation et gestion des ressources naturelles 43% Entre 1988 et 2013, le budget de l’Union européenne aura évolué structurellement de manière radicale : le poids de la PAC est ainsi passé de 21 60 % à 30 %22, celui de la politique de cohésion de 18 à 35 % et, enfin, pour les autres politiques dont l’action extérieure, de 8 à 26 %, dont 10,2 % pour la compétitivité et 6,3 % pour les actions extérieures. Ainsi rapporté au total de l’aide extérieure, d’une part, et au budget global de l’Union européenne, d’autre part, le poids budgétaire de la PEV et, donc, du volume financier proposé pour le voisinage s’en trouve fortement relativisé : instruments de préadhésion et de politique de voisinage utiliseront ainsi un montant financier comparable à l’aide accordée par le FED à la zone ACP. Répartition géographie de l’aide en 2006 et principaux bénéficiaires23 Zone géographique ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) Méditerranée Asie Balkans Nouveaux Etats Indépendants Amérique latine Afrique du Sud Lignes thématiques Montant en millions € 2 848 1 235 737 547 445 343 107 % Pays bénéficiaires 40 % 18 % 11 % 8% 6% 5% 2% 774 11 % Turquie Serbie Monténégro Maroc Soudan Territoires palestiniens Egypte République Démocratique du Congo Afghanistan Inde Tanzanie 21 Montant millions € 310 266 263 238 206 187 177 175 167 155 Communication de la Commission, « Réformer le budget, changer l’Europe », Document de consultation publique en vue du réexamen du budget 2008/2009, SEC(2007) 1188 final, 12 septembre 2007. 22 En 1965, les versements au titre de la PAC ont absorbés près de 36 % du budget et ont progressé jusqu’à près de 71 % en 1985. 23 Source : Rapport annuel 2007 sur la politique de développement de la Communauté européenne et la mise en œuvre de l’aide extérieure en 2006, cf. http://ec.europa.eu/europeaid/multimedia/publications/documents/annualreports/europeaid_annual_report_2007_fr.pdf 11 Par secteur, l’aide extérieure européenne a été consacrée à 42 % aux infrastructures sociales, 15 % pour les infrastructures, 12 % pour les questions multisectorielles (environnement, rôle des femmes) et services économiques et 10 % à la production. Elargissons encore le cadre pour envisager le niveau mondial. Considérés globalement, l’Union européenne et les 27 États membres sont actuellement à l’origine de plus de la moitié de l’aide publique au développement (APD) recensée par le Comité d’Aide au Développement de l’OCDE qui note que « la forme et l’orientation actuelles de la politique de coopération pour le développement découlent de cette mosaïque façonnée par l’histoire, née du souci aussi bien d’aider les anciennes colonies des États membres que d’assurer la stabilisation du « voisinage» de l’Europe »24, un budget communautaire consolidé qui approche les 9 milliards d’euros en engagements, pour la seule année 2006, dont 16 % financés par la France. Voisinage et identité européenne La part du budget, pour important qu’il soit, relativise donc les ambitions de la politique de voisinage, une politique qui devrait avoir également des effets à l’intérieur même de l’Union européenne, et pas uniquement au sein des zones transfrontalières. Le voisin induit proximité, spatiale avec les frontières qui s’apparentent à une mitoyenneté mais aussi historique et culturelle : ces pays voisins qui deviennent ou pourront devenir partenaires particuliers (notamment ceux du Sud) s’inscriraient ainsi notamment dans une proximité multiple et non dans un simple rapport centre-périphérie. Car cette logique de voisinage est souvent mobilisée pour participer à une schématisation particulière de l’Union européenne en cercles concentriques : un centre (la « vieille Europe » des pays fondateurs élargis à quelques uns de l’Ouest), une première périphérie (constituée des pays récemment introduits, encore en transition pour l’accès à l’emploi, Schengen ou l’Euro), les pays « candidats » (et dont la candidature a été officiellement ou officieusement acceptée), les «pays voisins », directement en contact terrestre (à l’Est) ou maritime (au Sud) et … le reste du monde dans une vision évidemment multipolaire. Dans cette vision de différenciation spatiale, des marches de l’Union européenne sont de fait réinstallées, anachroniquement, annulant l’effet négatif et perturbateur des nouvelles frontières à l’Est ou, de fait, rapprochant l’Union européenne à l’Afrique centrale via une nouvelle zone au progrès contrôlé. Cette schématisation simpliste euro-centrée n’intègre pas la réalité politique de l’Europe à 27, alors que les institutions évoluent et que la politique européenne, enfin, s’attache à faire émerger le « commun » dans cet ensemble complexe de voisins. 24 Cf. Communauté européenne (2007), examen du CAD par les pairs. Principales conclusions et recommandations, www.oecd.org/document/56/0,3343,fr_2649_34603_38904632_1_1_1_1,00.html. 12 C’est que le voisin n’est pas l’étranger, le voisin est à la fois proche et différent et, en sortant de cette logique bien pratique de centre-périphérie, le voisin n’est rien d’autres que le citoyen européen lui-même, dans cette citoyenneté de voisinage et non de références communes, ni culturelles, ni politique, ni historique. Le 29 mai 2007 eût lieu la 5ème édition de la Fête européenne des Voisins. Il s’agit bien de « forger une identité européenne fondée sur la convivialité et la solidarité » afin de « participer à la construction d’une Europe commune, plus proche et plus humaine »25. Hors de l’Union Européenne, des villes de Turquie, de Croatie, d’Albanie et d’Ukraine ont rejoint le réseau de cette manifestation patronnée par le Comité des Régions de l’Union Européenne. Encore très largement dominée en nombre par les français (plus de 4,5 millions de participants), cette fête attire désormais plus d’un million et demi de « voisins » en dehors de la France, dans un concept de double voisinage : l’immédiat de l’immeuble et la proximité des « autres » réunis dans une même relation de voisinage. En tentant de répondre à un besoin local de convivialité, ce réseau désormais riche d’un millier de membres (associations, municipalités) s’étend désormais à une Europe élargie intégrant justement citoyens de pays candidats et de pays « voisins ». Cela illustre indirectement le lien entre l’idée (plutôt que le concept) de voisinage et le problème de la construction identitaire au sein de l’Union européenne, entre identité locale, relations de voisinage et de communauté et représentation d’un continent fédéré. En effet, l’Union européenne, en se constituant à partir d’un projet économique, a rendu proche des populations éloignées, à transformé des étrangers en voisins, qui cultivent leur identité tout en construisant une identité européenne, composée justement à partir de ce voisinage. Si les pays de l’Est ou du Sud sont désormais des « nouveaux voisins », ce n’est d’ailleurs pas pour autant que les pays de l’élargissement sont désormais des « anciens voisins » ! Le voisinage se renouvelle autant dans la proximité du quartier que dans la représentation de l’autre. Hubert Védrine, dans son « Rapport sur la France et la Mondialisation »26 rappelle qu’il y a « plusieurs façons d’être européen ». Mais il est bien plus facile de décréter certains pays « européens » et d’autres non que de tenter de définir ce qu’est un Européen, entité indéfinissable ni par rapport à l’espace, à l’histoire, à la culture, à la langue ou encore à la religion. L’Europe n’est ni une nation ni un Etat, ce qui n’empêche pas la citoyenneté européenne, c’est-à-dire celle de l’Union européenne, d’avoir un sens. « Plus on s’éloigne de 1989, plus on confond l’Europe avec l’Union européenne », ce qui, en effet, perturbe le débat27. Le voisin externe à l’Union européenne peut tout-à-fait se considérer comme européen et même, en poussant cette logique : si cette citoyenneté nouvelle s’installe durablement, elle peut être découplée du problème européen lui-même et des citoyens de l’Union pourraient, pourquoi pas, ne pas s’estimer européens ! 25 Cf. par exemple, sur le site http://www.immeublesenfete.com, le « dossier de presse 2007 » ou le dossier « Partenariat 2007 ». 26 Rapport pour le Président de la République rendu le 4 septembre 2007. 27 Cf. André Reszler, « « L’autre Europe » et l’idée européenne », in L’union européenne en débat : visions d’Europe centrale et orientale, sous la direction de Jean-Denis Mouton, Nancy : Presses Universitaires de Nancy, 2004, pp. 35-45. 13 Il est évident que le problème politique de l’UE ne se superpose pas à celui des citoyens. Pour ces derniers, en effet, ce n’est pas la nationalité des habitants des Etats-membres qui conditionne l’identité européenne28. Pour l’Union, dans le contexte de mondialisation et d’économie multipolaire, comment construire un projet politique pertinent, légitime et efficace, comment dépasser la gestion d’un espace économique, dimension désormais largement insuffisante ? L’Union européenne, élargie à partir de la chute du Mur de Berlin, entre les deux pôles mondiaux de l’époque, ne se posait alors ni le problème de ses rapports avec ses voisins, à l’Est comme au Sud d’ailleurs, pour des raisons différentes, ni celui de la citoyenneté. Après le « non » français et le « nee » néerlandais des 29 mai et 1er juin 2005 au « traité constitutionnel », la Commission appela à un vaste débat associant les citoyens, les pouvoirs publics, les associations et la société civile et politique. Puis, à défaut de l’existence d’un « plan B » concernant le traité29, un plan « D » a été mis en place : Démocratie, Dialogue et Débat30, destiné à redonner du souffle à la démocratie européenne, instrument, donc, de communication et d’information susceptible de mobiliser les citoyens et d’accompagner une évolution identitaire. Des sondages ont également été commandités dont l’eurobaromètre de mars 2006 « Le Futur de l’Europe » puis celui de septembre 2007, « Les relations de l’Union européenne avec ses voisins ». Cette dernière étude, mise en perspective avec la précédente, permet d’envisager le voisinage du point de vue des citoyens euxmêmes. Globalement, plus du tiers des 27 000 personnes interrogées au sein des 27 Etatsmembres savent que la Turquie est « censée adhérer à l’Union européenne dans un proche avenir ». Le débat s’est généralisé à toute l’UE. La Croatie est également citée par 12 % des sondés. Mais les élargissements ne sont pas encore bien intégrés et les citoyens européens sont 11 % à citer Roumanie et Bulgarie (intégrées, il est vrai, moins de 6 mois avant le sondage) et encore 7% désignent la Pologne, 6 % la Hongrie, 5 % la République tchèque ou encore la Lituanie. Tous les pays entrés en 2004 sont ainsi cités par 4 à 7 % des sondés, sauf Malte et la Slovaquie. De plus, plus du tiers des sondés sont incapables de citer un seul pays candidat, proportion en augmentation depuis le sondage de 2006, ce qui est logique après l’intégration de la Roumanie et de la Bulgarie. Avec l’examen des réponses selon les pays d’origine, on s’aperçoit que deux logiques prédominent : Les citoyens des pays voisins sont les plus nombreux à citer la Croatie et l’Ancienne république yougoslave de Macédoine tandis que l’intensité de l’information et du débat explique que plus de la moitié des citoyens des Pays-Bas, de la Suède, du Danemark, du 28 Cf. notamment dans la collection Penser l’Europe les trois volumes Identité et mémoire, L’Europe, quelles frontières et Diversité et Culture, Paris : Culturesfrance, 2007. 29 De nombreux partisans du « non » lors du référendum français ont développé l’idée d’un « plan B » susceptible d’être organisé pour construire une Europe politique sans pour autant accepter le traité constitutionnel sans réel débat interne au pays et, surtout, dans un contexte social et économique difficile. 30 Cf. La communication sur l’Europe, regards croisés, Centre des Etudes Européennes de Strasbourg (ENA), en particulier Caroline Lambert, « La politique de communication de la Commission européenne : quelques jalons à travers les textes récents », Strasbourg : Editions du CEES, 2007, pp. 25-34. 14 Luxembourg et de la Finlande évoquent la Turquie31. L’information –ou l’intérêt- reste donc globalement insuffisante et les réponses des sondés procèdent souvent des représentations plutôt que des connaissances. Une carte de l’Europe est montrée aux sondés qui indiquent alors quels pays ils perçoivent comme voisins de l’UE : l’Ukraine pour 57 % des personnes interrogées, la Russie pour 55 %, la Biélorussie pour 49 %, la Moldavie pour 37 %. Orientée vers les frontières terrestres de l’Est, les sondés ne sont ensuite que 28 % à considérer le Maroc comme un voisin, 20 % pour l’Algérie et seulement 12 % pour le Liban. La proximité géographique joue évidemment un rôle mais aussi, peut-être, l’intensité de l’information, avec un effet positif pour l’Est et négatif pour le Moyen-Orient. Comme prévisible, les pays méditerranéens de l’Union européenne sont plus orientés vers le sud : pour 54 % des espagnols, le Maroc est un voisin. Les polonais et les slovaques se sentent « voisins » des ukrainiens à 89 et 86 %, tandis que les finlandais et les lituaniens sont 89 et 85 % « voisins » des russes. Globalement, 54 % des répondants déclarent n’être pas intéressés par « ce qui se passe dans les pays voisins de l’UE », ce qui renverse la tendance majoritaire observée en 2006. Mais les écarts nationaux sont très importants : c’est à Chypre ou en Grèce que l’intérêt est le plus grand (66 et 62 %), peut-être une inquiétude par rapport à la Turquie, justement, tandis que plus de 70 % des tchèques et des lituaniens se désintéressent du voisinage de l’UE. Pourtant, les relations de l’UE avec les pays voisins sont considérées comme « bonnes » par les deux tiers des sondés. L’information sur la politique européenne de voisinage doit être organisée, justement à la fois pour contribuer à l’information citoyenne sur le contour même de l’UE, assez mal apprécié, on l’a vu, et pour apporter des éléments concrets à ce voisinage. Un européen interrogé sur 5 déclare avoir déjà entendu parler de la PEV ce qui est beaucoup étant donné la nouveauté du dispositif. Globalement, les pays frontaliers manifestent une meilleure connaissance. Sur les thèmes de coopération, les sondés désignent, dans l’ordre, la lutte contre le crime et le terrorisme (89 %), l’environnement et l’énergie (86 %), le développement économique (85 %), la démocratie (82 %), l’éducation et la formation (81 %) puis l’immigration (77 %). La question de l’identité européenne apparaît indirectement dans une question sur les valeurs car la majorité des citoyens de l’UE pensent que les pays voisins ne partagent pas les mêmes valeurs que celles de l’UE (57 %) alors que 30 % ont un avis opposé. Dans le détail, ce sont les sondés de l’ancienne union à 15 qui expriment cette différence de valeurs, à l’inverse des nouveaux adhérents de 2004 et 2007. Il s’agit ainsi bien plus d’un jugement sur l’élargissement lui-même, assimilé de fait à un voisinage. Les citoyens partagent globalement la thèse sous-jacente à la PEV : l’aide aux voisins réduira bien le risque de guerre et de conflit en Europe pour 67 % d’entre eux, mais dans certains pays, l’appréciation économique de l’aide pose un problème. Ainsi, en France (à 56 %), en Belgique (à 54 %) et au Royaume-Uni (à 53 %), la population rejette toute aide financière destinée à gérer les conflits dans les pays 31 Le critère de voisinage joue cependant pour les Grecs qui citent la Turquie à 51 %. 15 voisins. Le score est d’ailleurs souvent inversement proportionnel au niveau de proximité avec le voisinage. La plupart des personnes sondées estiment que la mise en place de relations de travail avec les pays voisins aura un impact positif sur la réduction de l’immigration clandestine vers l’UE. Cette opinion est largement majoritaire dans presque tous les pays, moins flagrante au Royaume-Uni, alors que 39 % d’Allemands et 35 % d’Autrichiens restent dubitatifs. Enfin, la coopération avec les pays voisins est globalement considérée comme positive, au niveau de la sécurité, de l’immigration comme de l’économie, mais elle est coûteuse pour 79 % des citoyens tout en pouvant générer des bénéfices pour l’UE pour 61 %. Ce sondage renseigne donc à la fois sur les représentations et les opinions concernant les pays voisins mais aussi sur l’Union elle-même : l’information sur l’élargissement est toujours incomplète, les citoyens de l’UE n’ont pas majoritairement conscience des projets d’élargissement, focalisant uniquement sur la Turquie et mélangeant anciens candidats intégrés depuis trois ans et candidats éventuels. Cette dichotomie Ouest-Est entre l’Europe des 15 et celle des nouveaux intégrés est manifeste sur plusieurs aspects : la proximité géographique induit des comportements différents, la politique de voisinage ne concernant alors, pour cette « vieille Europe » que des voisins de voisins et sans éveiller beaucoup d’intérêt chez le citoyen préoccupé, peut-être par le pouvoir d’achat ou des problèmes nationaux. Mais, pourtant, l’UE est bien perçue dans ses rapports au voisinage et tous les domaines de la PEV sont considérés comme importants, ce qui permet d’espérer, sinon une association plus importante mais au moins un soutien relatif à cette politique. Le retour sur investissement n’est cependant pas envisagé par les sondés qui ne considèrent pas spontanément le lien entre l’amélioration de la stabilité et le développement économique des pays voisins et la prospérité de l’UE. Les résultats de ce sondage sont donc mitigés : pas de rejet, ni des voisins, ni des programmes de coopération, une participation au débat sur la Turquie, une lente appropriation du nouvel espace de l’UE après les élargissements et surtout, un recentrage sur l’espace considérée, représentée, qui se manifeste par la différenciation en termes de valeur entre l’Europe et ses voisins. Fort heureusement, et pour revenir au thème développé plus haut, la logique de la menace qui assoit la construction identitaire sur la peur n’est pas prédominante et l’attachement des citoyens, justement, à des valeurs sociales qui justifient pour beaucoup l’aide au développement, reste un rempart contre cette réaction que les crises économiques attise. Car déterminant archaïque peut évidemment avoir des répercutions négatives, surtout si cette thématique fait l’objet de relais au niveau des politiques nationales européennes. L’attachement aux « racines chrétiennes » de l’Europe, si importantes pour beaucoup de citoyens des pays de l’élargissement, peut également contribuer à ce raccrochement au passé, à l’histoire et participer ainsi à l’édification de cette forteresse-Europe, dans les mentalités comme dans la pratique, tout comme il peut, à l’inverse, fournir une base à un modèle d’Europe sociale. Une identité européenne est en émergence, peut-être d’Est en Ouest d’ailleurs, et le refus de références religieuses comme à des symboles précis 16 concrétise, en fait, cette nouvelle posture souvent trop rapidement analysée comme un repli nationaliste : une identité supranationale composée avec une identité nationale32. La PEV, interprétée comme un mécanisme défensif limitant ou retardant un élargissement futur de l’Union européenne, est-elle aussi un outil indirect de mobilisation pour une nouvelle identité européenne ? La simultanéité du plan « D », par exemple, et de l’évolution rapide des nouveaux pays entrants avec cette nouvelle logique partenariale n’est pourtant pas liée par une relation de causalité. Mais la PEV peut aussi constituer un instrument fondamental de promotion d’un modèle de société, bien plus difficile à construire qu’une place de leader économique mondial ! La PEV est très complexe, conjuguant bilatéralisme et multilatéralisme, programmes thématiques et transversaux mais avec une relative simplification des procédures qui devrait induire une souplesse importante, notamment en ce qui concerne l’éventail des bénéficiaires potentiels. La politique est ambitieuse, mais l’Union européenne aura-t-elle vraiment les moyens financiers de cette politique et les moyens politiques de son projet pour ses frontières ? En optant politiquement pour une logique partenariale, une véritable stratégie de l’UE s’installe de manière originale à côté des stratégies russes ou américaine. Il peut s’agir aussi, par cette politique extérieure partenariale, de légitimer le projet européen auprès des citoyens eux-mêmes. L’Union européenne tente donc de se doter d’un instrument de politique étrangère en cohérence avec un projet, même si cette notion de voisinage reste floue, comme les frontières de l’Union, et que des mouvements internes divergents, entre prise en compte de l’Est ou du Sud, induisent des compromis. L’intérêt particulier de l’Allemagne pour l’Europe de l’Est perturbe évidemment les relations au sein de l’espace méditerranéen et la proposition d’une Union de la méditerranée33 est particulièrement critiquée, comme pouvant entrer en concurrence, justement, avec les programmes déjà existants. De plus, cette Union de la méditerranée ne pourrait-elle pas susciter, à l’Est, la création d’une Union de l’Est menée par l’Ukraine ? Un rapprochement entre ce projet d’Union de la méditerranée et les instruments de la Politique européenne de voisinage, d’une part, et la négociation d’un statut particulier pour l’Ukraine, d’autre part, constituent des éléments de compromis constructifs. L’Union européenne est bien évidemment présente au Sud comme à l’Est : 60 % du tourisme en Egypte est européen (5 % d’Américains) et l’Europe est le partenaire principal des pays méditerranéens34 comme des pays de l’Est. Mais une différence est notable : c’est l’investissement de l’Union européenne, peut-être plus que les échanges, qui installe une intégration Est-Ouest alors qu’il est faible au Sud et au 32 Cf. Jean-Louis Bourlanges, « Unité et diversité », et John Palmer, « Construire l’Europe dans l’unité et la diversité », in L’Europe, c’est pas du chinois !, coordonné par Yu Shuo, Huang Yé et Jean-Paul Delattre, Paris : Editions Charles Léopold Mayer, 2007, pp. 143-158, et 207-224. 33 Une initiative lancée solennellement à Tanger par le Président de la République française, le 23 octobre 2007, accueillie favorablement par l’Algérie et Israël. Mais la crainte du « doublon » avec le processus de Barcelone de 1995 demeure à Bruxelles. 34 Sauf en ce qui concerne le cinéma et les ventes d’armes, deux secteurs largement dominés par les USA. 17 Sud-est méditerranéens. Les enjeux économiques sont importants, ainsi, par exemple, l’Union aura besoin rapidement de migrants35, surtout du Sud, l’élargissement vers l’Est induira de nouveaux marchés nucléaires et le poids économiques de l’Union européenne atteindra le tiers du PIB mondial en intégrant les voisins. De plus, les problèmes de ressources et d’assainissement des eaux, au Sud, implique une coopération de la zone méditerranéenne, tout comme, on l’a vu, la maîtrise de l’approvisionnement énergétique. Il faut donc espérer que cette logique de voisinage, qui installe une relation trop asymétrique entre l’UE et les autres pays, sera rapidement dépassée. Le « groupe des sages » d’une douzaine de personnalités, dont la création a été proposée par la France en octobre 2007, et qui semble pouvoir être mis en place dès 2008, pourrait évidemment intégrer cette réflexion dans celle, plus large, de l’identité européenne, du futur de l’Europe et de sa place dans le monde mais « ce ne sera pas à un groupe de géographes auxquels on demandera de dessiner la carte de l’Europe à l’horizon 2020-2030 »36. Gilles Rouet Professeur des universités (FR) 35 Le déficit en main d’œuvre serait d’environ 50 millions d’actifs dans les trente prochaines décennies. Citation d’un « diplomate » français, relevée dans Reuters, 12 novembre 2007, « Le « groupe des sages » pour l’avenir de l’UE prend forme » par Yves Clarisse. 36 18