Politique de voisinage et identité européenne : Quel projet et quel

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Politique de voisinage et identité européenne : Quel projet et quel
Politique de voisinage et identité européenne :
Quel projet et quel avenir ?
Les termes « voisin » et « voisinage » se sont imposés progressivement, depuis
2002, dans le cadre de la nouvelle politique de l’Union Européen vis-à-vis de certains
pays tiers. Romano Prodi, dans un discours désormais de référence, en décembre
2002, met en effet en place une démarche de « politique de proximité comme clé de
la stabilité »1 et ne cite pas moins de 23 fois le mot « voisins »2 alors que le mot
« partenariat » ne revient que deux fois avec la même occurrence que celui de
voisinage. La PEV est lancée officiellement en mars 2003 avec la Communication
« L’Europe élargie – Voisinage », dans la continuité de ce discours et du Conseil
européen de Copenhague de 20023.
Invention d’un concept ?
Le terme « voisin », complété ensuite par cette notion de « voisinage », est devenu
depuis incontournable, s’agissant de la politique extérieure de l’Union européenne,
une terminologie qui s’avère très robuste4, résumant un compromis car il s’agit à la
fois de définir des partenariats d’un genre nouveau et de rassurer en interne comme
en externe sur l’administration des nouvelles frontières, terrestres ou maritimes,
désormais contrôlées et surveillées. Ce voisinage atténuerait ainsi la réalité des
portes de l’Union européenne, ni limes de l’empire, ni marches féodales.
Apparemment de manière paradoxale, mais bien parce que l’Union européenne est
secouée par une schizophrénie particulière, la « forteresse » érigée et renforcée
avec Schengen doit apparaître comme ouverte et accueillante, à ces voisins qui
peuvent frapper aux portes ou bien tourner le dos vers d’autres directions, sinon
alliances.
Résumons rapidement une évolution sémantique, au niveau des textes de l’Union
européenne, sur ces questions : une rapide analyse factorielle sur huit textes
fondamentaux5 permet de focaliser la réflexion sur plusieurs thématiques
1
Romano Prodi, Président de la Commission européenne, « L’Europe élargie – Une politique de
proximité comme clé de stabilité », discours prononcé à Bruxelles dans le cadre de la sixième
conférence mondiale du réseau ECSA (Projet Jean Monnet), 5 et 6 décembre 2002.
2
Dans un discours de moins de 3300 mots.
3
Cf. Gilles Lepesant, « L’Union européenne et son voisinage : vers un nouveau contrat », in Politique
étrangère n°4, hiver 2004-2005 / p.767-780.
4
Au sens statistique : résistant aux évolutions d’autres variables.
5
Analyse effectuée à partir de 8 textes :
« L’Europe élargie – Une politique de proximité comme clé de la stabilité », Discours de Romano
Prodi, Président de la Commission européenne, 5 décembre 2002.
« Une Europe sûre dans un monde meilleur, Stratégie européenne de sécurité », Bruxelles, 12
décembre 2003, non publié au Journal officiel, document rédigé sous l'autorité du Haut représentant
(HR) de l'UE pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), M. Javier Solana et
présentée Conseil européen qui a ensuite adopté la stratégie européenne de sécurité.
Communication de la Commission, « Politique européenne de voisinage », document d’orientation, 12
mai 2004, COM(2004) 373.
Communication de la Commission au Conseil sur les Propositions de la Commission en faveur de
plans d’action dans le cadre de la PEV, 9 décembre 2004, COM(2004) 795.
1
fondamentales (cf. graphique suivant). La sécurité et la stabilité, en 2002 et 2003,
avec l’énoncé de la stratégie européenne de sécurité, imposent un renforcement des
relations avec les pays voisins, aux frontières alors prévues. La limite historiquement
fondée dans le cadre d’un monde bipolaire a en effet disparu en 1989.
En 2004, une méthode est mise en place, des plans d’actions bilatéraux, entre des
pays et l’Union européenne, dans un cadre largement inspiré de la politique de
préadhésion pour les 12 pays entrés en 2004 et 2007, et qui a démontré son
efficacité. Des domaines d’action sont ainsi définis dans le cadre d’instruments
spécifiques et notamment de l’Instrument de Politique Européenne de Voisinage, mis
en place en 2006 où il est question d’assistance, de règlements et de financement de
programmes.
Remarquons, dans le graphique, la proximité de la communication de 2005 sur les
10 ans de partenariat euro-méditerranéen, avec les termes « intégration », « libreéchanges » et « région » : si l’économique ne semble pas prédominer l’ensemble du
corpus, les logiques commerciales sont bien présentes dans cette logique des textes
officiels. C’est que l’Europe-économique est acquise et qu’il s’agit ici, bien plus peutêtre, de participer à un projet politique.
Les deux textes sur le renforcement de la politique de voisinage, de 2006 et 2007
sont représentés au centre du graphique car que leur vocabulaire est bien moins
spécifique que dans le cas des autres textes. De plus, il s’agit alors de comprendre et
financer pour soutenir et renforcer, alors que le discours de Romano Prodi insiste sur
le devoir et la nouveauté de la démarche, tout comme celui sur l’Euromed. La
présentation de la PEV de 2004 tente de définir les principes pour atteindre des
objectifs. Puis les échanges, surtout commerciaux, et les réformes sont au centre
des textes de 2006.
Globalement, ces 8 textes n’évoquent jamais la notion de « nation », sauf pour
désigner les Nations-Unies (16 fois) ni, même, le terme « Etat » qui est réservé aux
« Etats-membres » (80 fois) ou aux Etats-Unis (7 fois). Les voisins sont des pays,
« pays partenaires » en général (169 fois), « pays voisins » (39 fois), « pays tiers »
(13 fois).
Citons, par exemple, un extrait du texte numéro 3 : « L’objectif premier de la PEV
est de donner un nouvel élan à la coopération avec les voisins de l’UE après
l’élargissement. L’expérience accumulée dans le cadre du soutien accordé au
processus de transition politique et économique ainsi qu’au développement
économique et à la modernisation des nouveaux Etats membres et pays candidats
constituera, le cas échéant, un enrichissement pour les relations avec les pays
partenaires ». Ne deviennent donc Etats que les pays ayant adhéré à l’Union
Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 12 avril 2005, relative au
dixième anniversaire du partenariat Euro-Méditerranéen, COM(2005), 139, non publiée au Journal
officiel
Règlement (CE) n° 1638/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 2006, arrêtant les
dispositions générales instituant un instrument européen de voisinage et de partenariat.
Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 4 décembre 2006, relative
au renforcement de la politique européenne de voisinage, COM(2006) 726.
Résultats des travaux du Conseil de l’Union européenne, « Renforcement de la politique européenne
de voisinage – Conclusions du Conseil », 19 juin 2007, n° 11016/07.
2
européenne, une sémantique justifiable dans la logique administrative et juridique de
rédaction des actes et avis de l’Union, mais qui conduit à généraliser la suppression
systématique du mot « nation » et de différencier radicalement l’intérieur et
l’extérieur, pour utiliser un terme aussi vague que « pays » : « espace géographique
délimité par des frontières, habité par une collectivité humaine et doté d'un État
souverain », ou encore « personne morale du droit international, définie par un
territoire, une population et un État », « ensemble des citoyens d'un État », ou, enfin,
« lieu abstrait ou irréel peuplé d'êtres ou de choses créés par la pensée, la mémoire
ou l'imagination » nous enseigne le dictionnaire6.
Analyse factorielle des correspondances multiples d’un corpus de textes
européens sur la PEV
Axe 2 (19.6%)
intégration
échanges
libre
régional
Communication_10_Euromed
programme
région
Axe 1 (37.9%)
partenariat
droits
partenaires accords
régionale
réformes
société dialogue
commerce
participation
Communication_Ref_PEV_2006
communication
processus
développement
actions
Conseil_Conclusions_PEV_2007
financement
cadre
instrument
voisinage
programmes
coopération
économique
partenaire
efforts
marché
Acte_IPEV_2006
objectifs
domaines activités
PEV_Orientation_2004
gestion
pays
action
promouvoir
priorités
Communication_Plans_Action_2004
européen
mesures
domaine
relations
assistance
règlement
membres
renforcer
frontières
voisins
Prodi_discours_2002
instruments
Stratégie_sécurité_2003
conflits sécurité
Cette sémantique nous renvoie à une quête de sens sur ce voisinage érigé
désormais en concept européen, sur les frontières de l’Union, et, par conséquence,
sur l’identité européenne.
6
Dictionnaire Encarta de Microsoft.
3
Les « nouveaux voisins »
Dans « Quelques réflexions sur l’acception sociologique du concept de
voisinage »7, Thierry Leterre estime qu’il s’agit d’un « curieux choix » que d’utiliser
ainsi cette thématique de voisinage dans le cadre d’une politique extérieure. Le
voisin relève de la proximité, ce qui constitue le point de départ de la démarche
exposée dès 2002 par Romano Prodi8. Le voisin est ainsi quelqu’un qui habite « à
côté », sans que personne ne sache vraiment où ce voisinage commence : au
niveau du quartier, de la rue, de l’immeuble ? Une notion difficile à définir dans
l’espace, voisin de palier ou voisin de table, parce qu’il s’agit de « proximité
immédiate », autrement dit, une proximité qui n’est qu’imparfaitement définie par la
géographie ou par la spatialisation mais qui procède bien évidemment aussi de la
représentation du proche.
Pour Littré, en 1876, le voisin « est proche … demeure près de », citant Berenice
de Racine : « Pour rendre vos Etats plus voisins l’un de l’autre. L’Euphrate bornera
son empire et le vôtre ». Le voisin se définit également par une proximité imposée
sinon subie : qui choisit ses voisins ? Bien évidemment, les logiques d’urbanisation,
comme les logiques de peuplement des territoires, induisent des déterminations
sociologiques comme historiques à l’installation de voisinages et créent des
proximités en fait assez peu fortuites.
Mais à l’échelle de l’Europe, la logique du choix conceptuel est pourtant évidente :
Alors que la chute du mur a suscité l’évidence de réunification de l’Allemagne puis de
la recomposition vers l’Est, les nouveaux voisins de l’Union, encore plus loin vers
l’Est, n’ont pas été choisis mais imposés par les circonstances de l’élargissement ou
de l’insécurité à l’échelle mondiale, comme dans le cas du voisinage méditerranéen.
Le terme de « voisin » est complexe car à plusieurs entrées mais, surtout, parce
qu’il induit les logiques d’intérieur, d’extérieur et de proximité, il permet de dépasser
largement le cadre de l’économique pour installer le politique dans un projet
européen. Il ne s’agit plus seulement de flux de capitaux, de biens, de services ou de
personnes.
Cette proximité des « nouveaux » voisins constitue à la fois une menace et une
opportunité qui se sont imposées très rapidement au niveau européen : une menace
surtout depuis le 11 septembre 2001 après la crise des Balkans, des opportunités
avec les effets des élargissements. Il est évident que la gestion des frontières de
l’Est, notamment avec l’Ukraine et la Biélorussie, compliquent le problème des flux
migratoires et que les relations en Méditerranée sont liées au problème de diffusion
du terrorisme international.
7
In L’Union européenne élargie aux nouvelles frontières et à la recherche d’une politique de
voisinage, sous la direction de Marie-Françoise Labouz, Christian Philip et Panayotis Soldatos,
Bruxelles : Editions Bruylant, 2006, pp. 209 à 222.
8
En Slovaquie, une série TV mettant en scène deux couples dont un appartenant à la minorité
hongroise, a justement pour titre « Susedia » (Les voisins). De l’avis de nombreux journalistes, cette
série a contribué à dédramatiser des tensions entre slovaques et hongrois, attisées dans le cadre de
stratégies politiques après les élections de juin 2006 où les partis de la minorité hongroise réunis dans
le SMK n’ont plus intégré la coalition gouvernementale.
4
Il s’agit ainsi de concilier impératif sécuritaire et politique de voisinage. La
démarche est claire : en concourant à l’évolution économique et sociale des pays
voisins, de nouvelles conditions sont créées pour la sécurité de l’Europe, avec une
meilleure intégration économique, des échanges culturels et sociaux, des valeurs
démocratiques partagées, des évolutions institutionnelles conjointes. Le texte de
2003 concernant la « Stratégie européenne de sécurité » de Javier Solana décrit
clairement à la fois les problèmes que l’Union ne peut plus ignorer et la méthode qui
est de « promouvoir, à l’Est de l’UE et aux frontières du bassin méditerranéen, en
ensemble de pays bien gouvernés ». La sécurité de l’Union passe donc bien par
l’évolution démocratique, économique et sociale des voisins.
Cette définition par la menace d’un projet politique de l’Union est évidemment très
contestable et réducteur, alors que l’Union « en panne » après les « non » de 2002,
après la recherche d’un sursaut politique, installe une PEV qui paraît bien, de plus en
plus, s’affranchir de cette origine et, si les objectifs demeurent, les moyens mis en
œuvre pourraient aboutir à des résultats entraînant, de fait, une redéfinition du projet
politique européen. La présentation de la « première réunion des ministres de l’UE
avec le Voisinage européen » du 3 septembre 2007, indique bien que la PEV « a été
mise en place dans le but de renforcer la prospérité, la stabilité et la sécurité mutuelle
de l’UE et de ses pays voisins »9. Les trois concepts sont désormais installés dans
une logique «mutuelle » fondamentale : il s’agit ensuite de convaincre du caractère
gagnant-gagnant de la stratégie pour installer de véritables partenariats.
Voisins et frontières
Les frontières de l’Union ont bien changé en quelques années : à la fois
géographiquement et conceptuellement. En inscrivant dans les paysages les limites
de l’Union, les nouvelles frontières créent à la fois de la distance et de la proximité.
Distance car des habitudes vont être bousculées, des échanges rendus forcément
plus difficile et des situations plus problématiques. Il est très schématique de
simplifier la situation des nouveaux pays intégrés en 2004 et en 2007 en inversant
seulement leur pôle d’attraction, d’Est en Ouest. Ce qui peut être légitime au niveau
politique l’est moins évidemment au niveau social ou culturel. La Moldavie comme
l’Ukraine sont désormais plus distantes, pour les roumains et les slovaques, au
moins, et cette situation s’aggravera avec l’entrée de la Slovaquie dans la zone
Schengen, le 21 décembre 2007. La frontière est bien une limite du social et impose
une altérité : voila bien, d’ailleurs, une des difficultés de l’Union européenne que de
conserver des frontières et, a contrario, une des grandes promesses de la zone
Schengen, au-delà de la facilitation de l’activité économique.
Une continuité spatiale découle de la continuité politique de Schengen, même au
niveau des paysages dans le cas de frontières non naturelles. Où commence
véritablement, désormais, l’Allemagne ou la France et où commencera la Slovaquie
l’année prochaine ? L’extension de Schengen, donc, renforce le caractère
contraignant des autres frontières extérieures et, alors que les citoyens européens ne
font que passer les frontières, les autres auront à les franchir, voire voudront les
transgresser. Un rapport de voisinage proche, donc, de l’apartheid. Le rôle de la
9
Cf. IP/07/1263, Bruxelles, 30 août 2007.
5
coopération transfrontalière prend un autre sens avec cette évolution car les
territoires peuvent ainsi être définis autrement qu’à partir des frontières et les
relations de voisinages s’installent alors dans une proximité réelle. Ces espaces
transfrontaliers ne deviennent pas pour autant de nouvelles marches mais des zones
de médiation qui, justement, peuvent installer la frontière dans un rôle accepté par
tous. Ainsi, par exemple, le président Ukrainien a supprimé l’obligation de visa en
juillet 2005 pour les citoyens de l’UE et, en 2006, le Parlement européen a prévu une
législation mettant en place un visa spécial destiné aux résidents frontaliers
franchissant régulièrement la frontière.
La PEV a besoin de frontières pour délimiter ses voisins. Mais quelles frontières ?
Celles de l’Europe délimitée en 1994 par la résolution 1247 du Conseil de l’Europe
qui comprend 46 pays dont la Russie, la Turquie ou encore l’Azerbaïdjan10 ? La
question de l’adhésion à la Turquie a ravivé ce débat11. Est-ce parce que le projet de
l’Union européenne n’est pas celui du Conseil de l’Europe que les deux espaces ne
sont pas superposables ? Pourtant, n’est-il pas justement légitime à beaucoup de
pays de cette zone de poser leur candidature, au moins sur ce critère
géographique ?
Entre fédéralisme, intégrationnisme et souverainisme, entre projet politique et
projet économique, l’Union européenne délimite difficilement son projet, et, donc, ses
limites. L’évolution institutionnelle actuelle et l’intégration des nouveaux adhérents
sont autant d’arguments pour le statu quo temporaire, pour une « pause » devant
permettre à l’Union de consolider son projet politique et de le légitimer auprès des
citoyens. La PEV aurait alors comme fonction de fournir une réponse temporaire :
les pays inclus dans cette politique ne sont pas considérés comme des candidats à
l’adhésion.
Ainsi l’intégration de l’Ukraine, de la Moldavie, des trois Etats du Caucase dans la
PEV permet une réponse moins ambiguë mais non définitive. Cette situation, vis-àvis de ces « voisins » est d’autant plus délicate qu’un début de réponse favorable a
été donné à la Turquie, avec un horizon de dix ans. Ainsi, la Turquie, comme la
Croatie, sont en situation de négociation d’adhésion et non intégrés dans la PEV,
comme, préventivement, la Bosnie-Herzégovine ou encore la Serbie, dont la vocation
à intégrer l’UE ne fait plus de doute.
L’élargissement à l’Est a rendu crucial l’intensification des relations économiques et
politiques avec les pays voisins et les plans d’action (cf. infra) s’inspirent très
fortement des programmes de préadhésion mis en œuvre pour l’élargissement de
2004, et dont l’évaluation a été très positive. Cette similitude, a priori pragmatique,
étant donné que les objectifs suivis sont souvent similaires, peut contribuer à
10
Le Kazakhstan n’est pas intégré à la PEV mais fait l’objet d’une coopération particulière. Le
Président Nazerbaiev multiplie depuis plusieurs années les campagnes d’information sur le thème « le
Kazakhstan est en Europe ». Cf. par exemple, l’encart « En direct du Kazakhstan : le Kazakhstan se
tourne vers l’avenir » publié dans Europe’s World, Edition française publiée avec la fondation Robert
Schuman, automne 2007, pp. 28 à 35, partie « sponsorisée par l’Ambassade du Kazakhstan à
Bruxelles ». « Savez-vous qu’environ 5% du territoire du Kazakhstan se situe en Europe ? A taille
réelle, cela représente quelque 140 000 km², un territoire plus vaste que celui de 18 des 27 pays de
l’UE … les principales richesses en hydrocarbures du pays sont concentrées dans la partie
européenne du Kazakhstan … (qui) est également très riche en ressources minérales ».
11
En 1987, la candidature du Maroc avait été repoussée par application du critère géographique.
6
l’ambiguïté de la politique : un partenariat spécifique de voisinage mais pas
d’adhésion dans l’immédiat, pas tout à fait, donc, une intégration mais « plus »
néanmoins qu’une simple association.
La PEV et la politique extérieure de l’UE
La PEV est construite sur la base de relations développées précédemment dans
les années 1990, avec les programmes TACIS et MEDA, par exemple. Elle s’ajoute
ainsi aux accords et politiques existants et ne les remplacent d’ailleurs pas. Il s’agit
peut-être bien plus d’une politique à usage interne à l’Union européenne (définir ce
voisinage) qu’à usage externe.
Globalement, la PEV se décline en 3 orientations et 3 instruments12.
1) L’unification des relations de l’UE avec 16 pays13. La Biélorussie et la Libye ont
vocation à intégrer le dispositif après « normalisation » de leurs relations
politiques avec l’Union. Depuis 2004, la Russie est exclue du champ de la PEV
et doit développer un partenariat stratégique spécifique indépendant14.
2) Une stratégie d’intégration économique et de coopération politique, avec
quatre grands axes : l’évolution démocratique (dont indépendance des médias,
régularité des élections, respects des partis de l’opposition), l’évolution
économique (diminution des disparités de niveau de vie à l’Est comme au
Sud), la sécurité énergétique (stabilisation des pays producteurs, transit du
pétrole, interdépendance avec l’Algérie et la Libye15) et la normalisation de
l’immigration (contrôle et surveillance des frontières en partenariat,
assouplissement de la politique de visas et organisation de l’accès aux
marchés du travail européens). L’UE propose aux partenaires une
harmonisation législative et réglementaire permettant de mettre en œuvre un
libre-échange de biens, services et capitaux16 La coopération transfrontalière
constitue également un outil fondamental pour le développement de
l’économie locale des zones frontalières (ces « marches » nouvelles) ou
encore pour favoriser le contact entre les personnes (à défaut de librecirculation).
3) Une différenciation par pays destinée à dynamiser l’approche régionale. Après
l’élargissement historique de 2004 achevé en 2007, et le bilan du processus de
réforme dans ces pays, la démarche préconisée est à la fois globale dans les
intentions (cf. 1.) et spécifique par « voisin » qui pourront prévoir leur propre
rythme de réforme.
12
Cf. notamment Assemblée Nationale, Rapport d’information sur le développement de la politique
européenne de voisinage et la question des frontières de l’Union européenne, présenté par M. Thierry
Mariani, député, 7 juin 2006.
13
9 pays du Sud (Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Israël, Autorité palestinienne, Jordanie, Syrie et
Liban) et 5 pays de l’Est (Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan).
14
10 autres pays voisins ne sont pas concernés par la PEV : les 4 pays européens qui pourraient
adhérer à l’UE mais ne sont pas candidats (Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse), les 6 pays qui
ont vocation à intégrer l’UE (Croatie, Turquie, Ancienne République yougoslave de Macédoine,
Albanie, Serbie-et-Monténégro, Bosnie-Herzégovine).
15
Ces deux pays possédant respectivement près de 3 % des réserves mondiales de gaz et 3 % des
réserves mondiales de pétrole.
16
La libre circulation des personnes proposée par la Commission n’a pas été retenue par le Conseil.
7
Trois instruments sont mobilisés pour cette politique de voisinage :
1) Les accords d’association avec les partenaires euro-méditerranéens et les
accords de partenariat et de coopération avec les pays issus de l’ancienne
URSS, fournissent le cadre des partenariats17.
2) Les plans d’action : Le Conseil du 21 février 2005 a adopté les premiers plans
approuvés en 2004 pour l’Ukraine, la Moldavie, la Jordanie, la Tunisie, le
Maroc, Israël et l’Autorité palestinienne, celui du Liban, le 17 octobre 2006
puis ceux des trois républiques sud-caucasiennes le 13 novembre 2006 et, en
2007, les négociations s’achèveront avec l’Egypte. D’une durée de 3 à 5 ans,
ces plans fixent des priorités en fonction des spécificités de chaque pays
voisin.
3) L’Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) intègre la
sémantique du partenariat car il concerne également la Russie et remplace
depuis le 1er janvier 2007, les programmes thématiques et géographiques
existants. Les procédures de la coopération transfrontalière sont simplifiées et
l’instrument s’inspire de la logique des fonds structurels : programmation,
partenariat et cofinancement pluriannuels.
1995
2004
1995
Nouveau partenariat
UE-Russie (2007) ?
2004
1973
2004
1973
1973
2004
1957
(1990)
Pas de PA (2007)
1957
PA 2005
2004
1957
1957
Vers un statut spécial (2007) ?
2004
1957
1995
2004
2004
Candidat
PA 2005
2007
2007
Candidat
1957
1986
PA 2006
PA 2006
Négociation UE ou
statut spécial (2007) ?
1986
Union de la Méditerranée (2007) ?
PA 2006
1981
2004
PA 2005
2004
PA 2007
PA 2005
PA 2005
UE – PEV
2007
PA en cours (2007)
PA 2007
PA 2005
PA 2005
Pas de PA (2007)
La nouvelle Europe du voisinage18
17
Date d’entrée en vigueur des accords d’association : Autorité palestinienne, 1997, Tunisie, 1998,
Israël et Maroc, 2000, Jordanie, 2002, Egypte, 2004, Algérie, 2005, Liban, 2006, (pas d’accord pour la
Libye et en attente de ratification pour la Syrie). Accords de partenariat et de coopération : Moldavie et
Ukraine, 1998, Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie, 1999. Les accords arrivant à l’échéance de dix ans
doivent être renégociés.
8
Le parallélisme entre l’IEVP et les fonds structurels renforce encore la similitude
entre les programmes de préadhésion et la PEV. Globalement, l’enveloppe
consacrée à cette politique est proche de 12 milliards d’euros entre 2007 et 201319,
11,2 au titre de l’IEVP et 800 millions pour les programmes thématiques. C’est à la
fois beaucoup et peu : beaucoup par rapport aux budgets précédents pour les zones
concernées (Budget MEDA 2000-2006 : 5,3 milliards et TACIS 2000-2006 : 3,2
milliards, soit 8,5 milliards pour une zone approximativement semblable, en
augmentation donc de plus de 40 %), peu par rapport à d’autres budgets, comme par
exemple, ceux des fonds structurels, la Slovaquie, par exemple, devant recevoir près
de 12 milliards également pendant la même période.
La définition de cette enveloppe et des principes d’attribution a été difficile et à
opposé la France et les pays du sud de l’Union à l’Allemagne, les pays nordiques et
d’Europe centrale ainsi, mais avec plus de réserve, que la Grande-Bretagne. La
France en effet a défendu le principe d’un engagement clair aux partenaires du sud,
ce qui impliquait de créer une clé de répartition a priori des crédits entre le Sud et
l’Est, position contestée par les autres pays cités qui défendaient une conception
indifférenciée de la PEV, le montant de l’aide ne dépendant alors que des mérites
propres des pays partenaires. Un compromis a été trouvé par le Conseil, en
garantissant une répartition pluriannuelle sur la base de 2/3 pour le Sud et 1/3 pour
l’Est, mais avec une marge d’accroissement des financements en fonction des
objectifs agréés bilatéralement avec les partenaires. Il paraissait dangereux pour la
France de mettre en place un système installant durablement une orientation vers
l’Est de l’Union européenne, légitime évidemment depuis l’élargissement de 2004 et
2007. Pour autant, cette négociation témoigne d’une évolution fondamentale de l’UE
vis-à-vis des partenaires méditerranéens qui doivent s’installer dans une nouvelle
logique de relations politiques, de moins en moins fondée sur l’histoire.
Néanmoins, et puisque la première orientation de la PEV est bien d’unifier la
politique extérieure de l’UE pour 16 pays, il peut paraître dangereux de trop
différencier les enveloppes des accords bilatéraux en déterminant les montants à
l’excès. En effet, l’assistance européenne est bien conditionnée par les réformes
auxquelles se sont engagés les pays partenaires dans les domaines prioritaires.
Mais comme l’objectif de la PEV est bien de contribuer au progrès et à la stabilité,
par une convergence à la fois des institutions et des économies, il semble important
de fixer des limites à cette différenciation afin de ne pas créer de nouvelles disparités
entre voisins et, donc, d’installer des divergences encore aggravées.
Le premier bilan réalisé par la Commission, 18 mois après la mise en œuvre de la
PEV, fin décembre 2006, est relativement mitigé. Les plans d’action se révèlent avoir
été réalisés en concertation et ont un caractère très concret qui induit une meilleure
utilisation des fonds, mais, surtout, les problèmes de délivrance des visas persistent
ainsi que les difficultés de déplacement des citoyens des pays voisins vers l’UE. La
création d’un fonds d’investissements de voisinage (FIV) de 700 millions d’euros sur
18
Tous les pays issus de l’ex-Yougoslavie ont conclut un accord d’association avec l’Union
européenne, l’accord avec Bosnie-Herzégovine a été établi en décembre 2007. La porte est donc
désormais ouverte à tous ces pays pour une intégration au sein de l’UE dans les prochaines années.
19
Augmentation de l’enveloppe initiale après le premier bilan de la PEV, fin 2006.
9
7 ans auquel pourront participer les Etats-membres et une nouvelle facilité
« gouvernance » dotée de 300 millions d’euros sont alors préconisés. Certains Etatsmembres, néanmoins, dont la France, s’inquiète de l’évolution du FIV et du
désengagement progressif de l’UE au profit des contributions directes des Etatsmembres.
Instruments de l’aide extérieure de l’Union Européenne, 2007-201320
Instrument d’aide
Fonds de Développement
Européen (FED), 10ème 20082013 (Cotonou révisé)
Instrument de Coopération au
Développement (ICD)
Instrument d’Aide de
Préadhésion (IAP)
Instrument Européen de
Voisinage et de Partenariat
(IEVP)
Aide humanitaire
Instrument de Stabilité (IS)
Instrument Européen pour la
Démocratie et les Droits de
l’Homme (IEDDH)
Instrument de Coopération pour
la Sécurité Nucléaire (INSC)
Assistance macroéconomique
Instrument de Coopération avec
les pays Industrialisés (ICI)
Zone géographie et/ou thème
Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP)
et Pays et territoires d’Outre-mer
(PTOM)
Asie, Amérique latine, une partie des
Nouveaux Etats Indépendants,
Afrique du Sud
6 pays des Balkans occidentaux et la
Turquie
17 pays méditerranéens, Europe
orientale, Caucase, Russie et
Moyen-Orient
Réponse immédiate aux crises
humanitaires
Réponse et préparation aux
situations de crise, problèmes
frontaliers mondiaux et
transrégionaux
Utilisée ponctuellement pour
répondre à des besoins financiers
exceptionnels (principalement
Balkans occidentaux et les NEI)
Pays industrialisés
Montant en
milliards €
22,682
%
32 %
16,897
24 %
11,468
16 %
11,181
16 %
5,613
8%
2,062
3%
1,103
2%
En moyenne 75
millions par an
Non
programmable
1%
0,172
Le tableau précédent récapitule le budget global affecté à la politique extérieure de
l’UE pour la période 2007-2013. Le Fonds européen de développement a été inclus,
même si cet instrument prévu dès le Traité de Rome ne fait pas partie du budget
communautaire général car étant financé directement par les Etats-membres.
Ainsi, globalement, le budget de l’UE pour 2007-2013 est de 864,3 milliards
d’euros, en intégrant le FED, c’est plus de 8 % du budget total qui est consacré à la
politique extérieure de l’UE. Sans le FED, l’UE dépense autant pour son
administration que pour l’action extérieure.
20
Sources : Communication de la commission, COM(2004) 487.
10
Budget global 2007-2013
Citoyenneté, liberté,
sécurité et justice
1%
Administration
6%
L'UE partenaire mondial
Compensation
6%
0%
Croissance durable
44%
Préservation et gestion des
ressources naturelles
43%
Entre 1988 et 2013, le budget de l’Union européenne aura évolué structurellement
de manière radicale : le poids de la PAC est ainsi passé de 21 60 % à 30 %22, celui
de la politique de cohésion de 18 à 35 % et, enfin, pour les autres politiques dont
l’action extérieure, de 8 à 26 %, dont 10,2 % pour la compétitivité et 6,3 % pour les
actions extérieures.
Ainsi rapporté au total de l’aide extérieure, d’une part, et au budget global de
l’Union européenne, d’autre part, le poids budgétaire de la PEV et, donc, du volume
financier proposé pour le voisinage s’en trouve fortement relativisé : instruments de
préadhésion et de politique de voisinage utiliseront ainsi un montant financier
comparable à l’aide accordée par le FED à la zone ACP.
Répartition géographie de l’aide en 2006 et principaux bénéficiaires23
Zone géographique
ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique)
Méditerranée
Asie
Balkans
Nouveaux Etats Indépendants
Amérique latine
Afrique du Sud
Lignes thématiques
Montant en
millions €
2 848
1 235
737
547
445
343
107
%
Pays bénéficiaires
40 %
18 %
11 %
8%
6%
5%
2%
774
11 %
Turquie
Serbie Monténégro
Maroc
Soudan
Territoires palestiniens
Egypte
République
Démocratique du Congo
Afghanistan
Inde
Tanzanie
21
Montant
millions €
310
266
263
238
206
187
177
175
167
155
Communication de la Commission, « Réformer le budget, changer l’Europe », Document de
consultation publique en vue du réexamen du budget 2008/2009, SEC(2007) 1188 final, 12 septembre
2007.
22
En 1965, les versements au titre de la PAC ont absorbés près de 36 % du budget et ont progressé
jusqu’à près de 71 % en 1985.
23
Source : Rapport annuel 2007 sur la politique de développement de la Communauté européenne et
la mise en œuvre de l’aide extérieure en 2006, cf.
http://ec.europa.eu/europeaid/multimedia/publications/documents/annualreports/europeaid_annual_report_2007_fr.pdf
11
Par secteur, l’aide extérieure européenne a été consacrée à 42 % aux
infrastructures sociales, 15 % pour les infrastructures, 12 % pour les questions
multisectorielles (environnement, rôle des femmes) et services économiques et 10 %
à la production.
Elargissons encore le cadre pour envisager le niveau mondial. Considérés
globalement, l’Union européenne et les 27 États membres sont actuellement à
l’origine de plus de la moitié de l’aide publique au développement (APD) recensée
par le Comité d’Aide au Développement de l’OCDE qui note que « la forme et
l’orientation actuelles de la politique de coopération pour le développement découlent
de cette mosaïque façonnée par l’histoire, née du souci aussi bien d’aider les
anciennes colonies des États membres que d’assurer la stabilisation du « voisinage»
de l’Europe »24, un budget communautaire consolidé qui approche les 9 milliards
d’euros en engagements, pour la seule année 2006, dont 16 % financés par la
France.
Voisinage et identité européenne
La part du budget, pour important qu’il soit, relativise donc les ambitions de la
politique de voisinage, une politique qui devrait avoir également des effets à
l’intérieur même de l’Union européenne, et pas uniquement au sein des zones
transfrontalières. Le voisin induit proximité, spatiale avec les frontières qui
s’apparentent à une mitoyenneté mais aussi historique et culturelle : ces pays voisins
qui deviennent ou pourront devenir partenaires particuliers (notamment ceux du Sud)
s’inscriraient ainsi notamment dans une proximité multiple et non dans un simple
rapport centre-périphérie.
Car cette logique de voisinage est souvent mobilisée pour participer à une
schématisation particulière de l’Union européenne en cercles concentriques : un
centre (la « vieille Europe » des pays fondateurs élargis à quelques uns de l’Ouest),
une première périphérie (constituée des pays récemment introduits, encore en
transition pour l’accès à l’emploi, Schengen ou l’Euro), les pays « candidats » (et
dont la candidature a été officiellement ou officieusement acceptée), les «pays
voisins », directement en contact terrestre (à l’Est) ou maritime (au Sud) et … le reste
du monde dans une vision évidemment multipolaire.
Dans cette vision de différenciation spatiale, des marches de l’Union européenne
sont de fait réinstallées, anachroniquement, annulant l’effet négatif et perturbateur
des nouvelles frontières à l’Est ou, de fait, rapprochant l’Union européenne à
l’Afrique centrale via une nouvelle zone au progrès contrôlé. Cette schématisation
simpliste euro-centrée n’intègre pas la réalité politique de l’Europe à 27, alors que les
institutions évoluent et que la politique européenne, enfin, s’attache à faire émerger
le « commun » dans cet ensemble complexe de voisins.
24
Cf. Communauté européenne (2007), examen du CAD par les pairs. Principales conclusions et
recommandations, www.oecd.org/document/56/0,3343,fr_2649_34603_38904632_1_1_1_1,00.html.
12
C’est que le voisin n’est pas l’étranger, le voisin est à la fois proche et différent et,
en sortant de cette logique bien pratique de centre-périphérie, le voisin n’est rien
d’autres que le citoyen européen lui-même, dans cette citoyenneté de voisinage et
non de références communes, ni culturelles, ni politique, ni historique.
Le 29 mai 2007 eût lieu la 5ème édition de la Fête européenne des Voisins. Il s’agit
bien de « forger une identité européenne fondée sur la convivialité et la solidarité »
afin de « participer à la construction d’une Europe commune, plus proche et plus
humaine »25. Hors de l’Union Européenne, des villes de Turquie, de Croatie,
d’Albanie et d’Ukraine ont rejoint le réseau de cette manifestation patronnée par le
Comité des Régions de l’Union Européenne. Encore très largement dominée en
nombre par les français (plus de 4,5 millions de participants), cette fête attire
désormais plus d’un million et demi de « voisins » en dehors de la France, dans un
concept de double voisinage : l’immédiat de l’immeuble et la proximité des « autres »
réunis dans une même relation de voisinage. En tentant de répondre à un besoin
local de convivialité, ce réseau désormais riche d’un millier de membres
(associations, municipalités) s’étend désormais à une Europe élargie intégrant
justement citoyens de pays candidats et de pays « voisins ». Cela illustre
indirectement le lien entre l’idée (plutôt que le concept) de voisinage et le problème
de la construction identitaire au sein de l’Union européenne, entre identité locale,
relations de voisinage et de communauté et représentation d’un continent fédéré.
En effet, l’Union européenne, en se constituant à partir d’un projet économique, a
rendu proche des populations éloignées, à transformé des étrangers en voisins, qui
cultivent leur identité tout en construisant une identité européenne, composée
justement à partir de ce voisinage. Si les pays de l’Est ou du Sud sont désormais des
« nouveaux voisins », ce n’est d’ailleurs pas pour autant que les pays de
l’élargissement sont désormais des « anciens voisins » ! Le voisinage se renouvelle
autant dans la proximité du quartier que dans la représentation de l’autre.
Hubert Védrine, dans son « Rapport sur la France et la Mondialisation »26 rappelle
qu’il y a « plusieurs façons d’être européen ». Mais il est bien plus facile de décréter
certains pays « européens » et d’autres non que de tenter de définir ce qu’est un
Européen, entité indéfinissable ni par rapport à l’espace, à l’histoire, à la culture, à la
langue ou encore à la religion. L’Europe n’est ni une nation ni un Etat, ce qui
n’empêche pas la citoyenneté européenne, c’est-à-dire celle de l’Union européenne,
d’avoir un sens. « Plus on s’éloigne de 1989, plus on confond l’Europe avec l’Union
européenne », ce qui, en effet, perturbe le débat27.
Le voisin externe à l’Union européenne peut tout-à-fait se considérer comme
européen et même, en poussant cette logique : si cette citoyenneté nouvelle
s’installe durablement, elle peut être découplée du problème européen lui-même et
des citoyens de l’Union pourraient, pourquoi pas, ne pas s’estimer européens !
25
Cf. par exemple, sur le site http://www.immeublesenfete.com, le « dossier de presse 2007 » ou le
dossier « Partenariat 2007 ».
26
Rapport pour le Président de la République rendu le 4 septembre 2007.
27
Cf. André Reszler, « « L’autre Europe » et l’idée européenne », in L’union européenne en débat :
visions d’Europe centrale et orientale, sous la direction de Jean-Denis Mouton, Nancy : Presses
Universitaires de Nancy, 2004, pp. 35-45.
13
Il est évident que le problème politique de l’UE ne se superpose pas à celui des
citoyens. Pour ces derniers, en effet, ce n’est pas la nationalité des habitants des
Etats-membres qui conditionne l’identité européenne28. Pour l’Union, dans le
contexte de mondialisation et d’économie multipolaire, comment construire un projet
politique pertinent, légitime et efficace, comment dépasser la gestion d’un espace
économique, dimension désormais largement insuffisante ?
L’Union européenne, élargie à partir de la chute du Mur de Berlin, entre les deux
pôles mondiaux de l’époque, ne se posait alors ni le problème de ses rapports avec
ses voisins, à l’Est comme au Sud d’ailleurs, pour des raisons différentes, ni celui de
la citoyenneté.
Après le « non » français et le « nee » néerlandais des 29 mai et 1er juin 2005 au
« traité constitutionnel », la Commission appela à un vaste débat associant les
citoyens, les pouvoirs publics, les associations et la société civile et politique. Puis, à
défaut de l’existence d’un « plan B » concernant le traité29, un plan « D » a été mis
en place : Démocratie, Dialogue et Débat30, destiné à redonner du souffle à la
démocratie européenne, instrument, donc, de communication et d’information
susceptible de mobiliser les citoyens et d’accompagner une évolution identitaire. Des
sondages ont également été commandités dont l’eurobaromètre de mars 2006 « Le
Futur de l’Europe » puis celui de septembre 2007, « Les relations de l’Union
européenne avec ses voisins ». Cette dernière étude, mise en perspective avec la
précédente, permet d’envisager le voisinage du point de vue des citoyens euxmêmes.
Globalement, plus du tiers des 27 000 personnes interrogées au sein des 27 Etatsmembres savent que la Turquie est « censée adhérer à l’Union européenne dans un
proche avenir ». Le débat s’est généralisé à toute l’UE. La Croatie est également
citée par 12 % des sondés. Mais les élargissements ne sont pas encore bien intégrés
et les citoyens européens sont 11 % à citer Roumanie et Bulgarie (intégrées, il est
vrai, moins de 6 mois avant le sondage) et encore 7% désignent la Pologne, 6 % la
Hongrie, 5 % la République tchèque ou encore la Lituanie.
Tous les pays entrés en 2004 sont ainsi cités par 4 à 7 % des sondés, sauf Malte et
la Slovaquie. De plus, plus du tiers des sondés sont incapables de citer un seul pays
candidat, proportion en augmentation depuis le sondage de 2006, ce qui est logique
après l’intégration de la Roumanie et de la Bulgarie. Avec l’examen des réponses
selon les pays d’origine, on s’aperçoit que deux logiques prédominent : Les citoyens
des pays voisins sont les plus nombreux à citer la Croatie et l’Ancienne république
yougoslave de Macédoine tandis que l’intensité de l’information et du débat explique
que plus de la moitié des citoyens des Pays-Bas, de la Suède, du Danemark, du
28
Cf. notamment dans la collection Penser l’Europe les trois volumes Identité et mémoire, L’Europe,
quelles frontières et Diversité et Culture, Paris : Culturesfrance, 2007.
29
De nombreux partisans du « non » lors du référendum français ont développé l’idée d’un « plan B »
susceptible d’être organisé pour construire une Europe politique sans pour autant accepter le traité
constitutionnel sans réel débat interne au pays et, surtout, dans un contexte social et économique
difficile.
30
Cf. La communication sur l’Europe, regards croisés, Centre des Etudes Européennes de
Strasbourg (ENA), en particulier Caroline Lambert, « La politique de communication de la Commission
européenne : quelques jalons à travers les textes récents », Strasbourg : Editions du CEES, 2007, pp.
25-34.
14
Luxembourg et de la Finlande évoquent la Turquie31. L’information –ou l’intérêt- reste
donc globalement insuffisante et les réponses des sondés procèdent souvent des
représentations plutôt que des connaissances.
Une carte de l’Europe est montrée aux sondés qui indiquent alors quels pays ils
perçoivent comme voisins de l’UE : l’Ukraine pour 57 % des personnes interrogées,
la Russie pour 55 %, la Biélorussie pour 49 %, la Moldavie pour 37 %. Orientée vers
les frontières terrestres de l’Est, les sondés ne sont ensuite que 28 % à considérer le
Maroc comme un voisin, 20 % pour l’Algérie et seulement 12 % pour le Liban. La
proximité géographique joue évidemment un rôle mais aussi, peut-être, l’intensité de
l’information, avec un effet positif pour l’Est et négatif pour le Moyen-Orient. Comme
prévisible, les pays méditerranéens de l’Union européenne sont plus orientés vers le
sud : pour 54 % des espagnols, le Maroc est un voisin. Les polonais et les slovaques
se sentent « voisins » des ukrainiens à 89 et 86 %, tandis que les finlandais et les
lituaniens sont 89 et 85 % « voisins » des russes.
Globalement, 54 % des répondants déclarent n’être pas intéressés par « ce qui se
passe dans les pays voisins de l’UE », ce qui renverse la tendance majoritaire
observée en 2006. Mais les écarts nationaux sont très importants : c’est à Chypre ou
en Grèce que l’intérêt est le plus grand (66 et 62 %), peut-être une inquiétude par
rapport à la Turquie, justement, tandis que plus de 70 % des tchèques et des
lituaniens se désintéressent du voisinage de l’UE. Pourtant, les relations de l’UE
avec les pays voisins sont considérées comme « bonnes » par les deux tiers des
sondés.
L’information sur la politique européenne de voisinage doit être organisée,
justement à la fois pour contribuer à l’information citoyenne sur le contour même de
l’UE, assez mal apprécié, on l’a vu, et pour apporter des éléments concrets à ce
voisinage. Un européen interrogé sur 5 déclare avoir déjà entendu parler de la PEV
ce qui est beaucoup étant donné la nouveauté du dispositif. Globalement, les pays
frontaliers manifestent une meilleure connaissance. Sur les thèmes de coopération,
les sondés désignent, dans l’ordre, la lutte contre le crime et le terrorisme (89 %),
l’environnement et l’énergie (86 %), le développement économique (85 %), la
démocratie (82 %), l’éducation et la formation (81 %) puis l’immigration (77 %).
La question de l’identité européenne apparaît indirectement dans une question sur
les valeurs car la majorité des citoyens de l’UE pensent que les pays voisins ne
partagent pas les mêmes valeurs que celles de l’UE (57 %) alors que 30 % ont un
avis opposé. Dans le détail, ce sont les sondés de l’ancienne union à 15 qui
expriment cette différence de valeurs, à l’inverse des nouveaux adhérents de 2004 et
2007. Il s’agit ainsi bien plus d’un jugement sur l’élargissement lui-même, assimilé de
fait à un voisinage.
Les citoyens partagent globalement la thèse sous-jacente à la PEV : l’aide aux
voisins réduira bien le risque de guerre et de conflit en Europe pour 67 % d’entre
eux, mais dans certains pays, l’appréciation économique de l’aide pose un problème.
Ainsi, en France (à 56 %), en Belgique (à 54 %) et au Royaume-Uni (à 53 %), la
population rejette toute aide financière destinée à gérer les conflits dans les pays
31
Le critère de voisinage joue cependant pour les Grecs qui citent la Turquie à 51 %.
15
voisins. Le score est d’ailleurs souvent inversement proportionnel au niveau de
proximité avec le voisinage.
La plupart des personnes sondées estiment que la mise en place de relations de
travail avec les pays voisins aura un impact positif sur la réduction de l’immigration
clandestine vers l’UE. Cette opinion est largement majoritaire dans presque tous les
pays, moins flagrante au Royaume-Uni, alors que 39 % d’Allemands et 35 %
d’Autrichiens restent dubitatifs.
Enfin, la coopération avec les pays voisins est globalement considérée comme
positive, au niveau de la sécurité, de l’immigration comme de l’économie, mais elle
est coûteuse pour 79 % des citoyens tout en pouvant générer des bénéfices pour
l’UE pour 61 %.
Ce sondage renseigne donc à la fois sur les représentations et les opinions
concernant les pays voisins mais aussi sur l’Union elle-même : l’information sur
l’élargissement est toujours incomplète, les citoyens de l’UE n’ont pas
majoritairement conscience des projets d’élargissement, focalisant uniquement sur la
Turquie et mélangeant anciens candidats intégrés depuis trois ans et candidats
éventuels. Cette dichotomie Ouest-Est entre l’Europe des 15 et celle des nouveaux
intégrés est manifeste sur plusieurs aspects : la proximité géographique induit des
comportements différents, la politique de voisinage ne concernant alors, pour cette
« vieille Europe » que des voisins de voisins et sans éveiller beaucoup d’intérêt chez
le citoyen préoccupé, peut-être par le pouvoir d’achat ou des problèmes nationaux.
Mais, pourtant, l’UE est bien perçue dans ses rapports au voisinage et tous les
domaines de la PEV sont considérés comme importants, ce qui permet d’espérer,
sinon une association plus importante mais au moins un soutien relatif à cette
politique. Le retour sur investissement n’est cependant pas envisagé par les sondés
qui ne considèrent pas spontanément le lien entre l’amélioration de la stabilité et le
développement économique des pays voisins et la prospérité de l’UE.
Les résultats de ce sondage sont donc mitigés : pas de rejet, ni des voisins, ni des
programmes de coopération, une participation au débat sur la Turquie, une lente
appropriation du nouvel espace de l’UE après les élargissements et surtout, un
recentrage sur l’espace considérée, représentée, qui se manifeste par la
différenciation en termes de valeur entre l’Europe et ses voisins.
Fort heureusement, et pour revenir au thème développé plus haut, la logique de la
menace qui assoit la construction identitaire sur la peur n’est pas prédominante et
l’attachement des citoyens, justement, à des valeurs sociales qui justifient pour
beaucoup l’aide au développement, reste un rempart contre cette réaction que les
crises économiques attise. Car déterminant archaïque peut évidemment avoir des
répercutions négatives, surtout si cette thématique fait l’objet de relais au niveau des
politiques nationales européennes. L’attachement aux « racines chrétiennes » de
l’Europe, si importantes pour beaucoup de citoyens des pays de l’élargissement,
peut également contribuer à ce raccrochement au passé, à l’histoire et participer
ainsi à l’édification de cette forteresse-Europe, dans les mentalités comme dans la
pratique, tout comme il peut, à l’inverse, fournir une base à un modèle d’Europe
sociale. Une identité européenne est en émergence, peut-être d’Est en Ouest
d’ailleurs, et le refus de références religieuses comme à des symboles précis
16
concrétise, en fait, cette nouvelle posture souvent trop rapidement analysée comme
un repli nationaliste : une identité supranationale composée avec une identité
nationale32.
La PEV, interprétée comme un mécanisme défensif limitant ou retardant un
élargissement futur de l’Union européenne, est-elle aussi un outil indirect de
mobilisation pour une nouvelle identité européenne ? La simultanéité du plan « D »,
par exemple, et de l’évolution rapide des nouveaux pays entrants avec cette nouvelle
logique partenariale n’est pourtant pas liée par une relation de causalité. Mais la PEV
peut aussi constituer un instrument fondamental de promotion d’un modèle de
société, bien plus difficile à construire qu’une place de leader économique mondial !
La PEV est très complexe, conjuguant bilatéralisme et multilatéralisme,
programmes thématiques et transversaux mais avec une relative simplification des
procédures qui devrait induire une souplesse importante, notamment en ce qui
concerne l’éventail des bénéficiaires potentiels. La politique est ambitieuse, mais
l’Union européenne aura-t-elle vraiment les moyens financiers de cette politique et
les moyens politiques de son projet pour ses frontières ? En optant politiquement
pour une logique partenariale, une véritable stratégie de l’UE s’installe de manière
originale à côté des stratégies russes ou américaine. Il peut s’agir aussi, par cette
politique extérieure partenariale, de légitimer le projet européen auprès des citoyens
eux-mêmes.
L’Union européenne tente donc de se doter d’un instrument de politique étrangère
en cohérence avec un projet, même si cette notion de voisinage reste floue, comme
les frontières de l’Union, et que des mouvements internes divergents, entre prise en
compte de l’Est ou du Sud, induisent des compromis. L’intérêt particulier de
l’Allemagne pour l’Europe de l’Est perturbe évidemment les relations au sein de
l’espace méditerranéen et la proposition d’une Union de la méditerranée33 est
particulièrement critiquée, comme pouvant entrer en concurrence, justement, avec
les programmes déjà existants.
De plus, cette Union de la méditerranée ne pourrait-elle pas susciter, à l’Est, la
création d’une Union de l’Est menée par l’Ukraine ? Un rapprochement entre ce
projet d’Union de la méditerranée et les instruments de la Politique européenne de
voisinage, d’une part, et la négociation d’un statut particulier pour l’Ukraine, d’autre
part, constituent des éléments de compromis constructifs.
L’Union européenne est bien évidemment présente au Sud comme à l’Est : 60 %
du tourisme en Egypte est européen (5 % d’Américains) et l’Europe est le partenaire
principal des pays méditerranéens34 comme des pays de l’Est. Mais une différence
est notable : c’est l’investissement de l’Union européenne, peut-être plus que les
échanges, qui installe une intégration Est-Ouest alors qu’il est faible au Sud et au
32
Cf. Jean-Louis Bourlanges, « Unité et diversité », et John Palmer, « Construire l’Europe dans l’unité
et la diversité », in L’Europe, c’est pas du chinois !, coordonné par Yu Shuo, Huang Yé et Jean-Paul
Delattre, Paris : Editions Charles Léopold Mayer, 2007, pp. 143-158, et 207-224.
33
Une initiative lancée solennellement à Tanger par le Président de la République française, le 23
octobre 2007, accueillie favorablement par l’Algérie et Israël. Mais la crainte du « doublon » avec le
processus de Barcelone de 1995 demeure à Bruxelles.
34
Sauf en ce qui concerne le cinéma et les ventes d’armes, deux secteurs largement dominés par les
USA.
17
Sud-est méditerranéens. Les enjeux économiques sont importants, ainsi, par
exemple, l’Union aura besoin rapidement de migrants35, surtout du Sud,
l’élargissement vers l’Est induira de nouveaux marchés nucléaires et le poids
économiques de l’Union européenne atteindra le tiers du PIB mondial en intégrant
les voisins. De plus, les problèmes de ressources et d’assainissement des eaux, au
Sud, implique une coopération de la zone méditerranéenne, tout comme, on l’a vu, la
maîtrise de l’approvisionnement énergétique.
Il faut donc espérer que cette logique de voisinage, qui installe une relation trop
asymétrique entre l’UE et les autres pays, sera rapidement dépassée. Le « groupe
des sages » d’une douzaine de personnalités, dont la création a été proposée par la
France en octobre 2007, et qui semble pouvoir être mis en place dès 2008, pourrait
évidemment intégrer cette réflexion dans celle, plus large, de l’identité européenne,
du futur de l’Europe et de sa place dans le monde mais « ce ne sera pas à un groupe
de géographes auxquels on demandera de dessiner la carte de l’Europe à l’horizon
2020-2030 »36.
Gilles Rouet
Professeur des universités (FR)
35
Le déficit en main d’œuvre serait d’environ 50 millions d’actifs dans les trente prochaines décennies.
Citation d’un « diplomate » français, relevée dans Reuters, 12 novembre 2007, « Le « groupe des
sages » pour l’avenir de l’UE prend forme » par Yves Clarisse.
36
18