Chronique Baux ruraux - Université de Poitiers

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Chronique Baux ruraux - Université de Poitiers
Chronique Baux ruraux - Mai 2014
Denis ROCHARD
Maître de conférences HDR - Université de Poitiers
Directeur de l’Institut de Droit Rural et du Master 2 « Droit de l’activité agricole et de l’espace rural »
Centre d’études et de recherches sur les territoires et leur environnement (EA 4237)
Quel congé pour un locataire exerçant une activité équestre de pur loisir ?
L’article L 311-1 du Code rural et de la pêche maritime répute agricoles toutes les activités qui
correspondent à la maîtrise et à l’exploitation d’un cycle biologique de caractère végétal ou animal et
consistant en une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle. Il en va de même des
activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l’acte de production
ou qui ont pour support l’exploitation. Enfin, certaines activités sont réputées agricoles par
détermination de la loi. Il en fut ainsi en 1997 pour les activités de cultures marines, en 2005 pour les
« activités de préparation et d’entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation, à
l’exclusion des activités de spectacle », et plus récemment en 2010 pour les activités dites de
méthanisation à la ferme (sous condition que la production d’énergie soit issue pour 50% au moins
de matières premières provenant de la ou les exploitations qui s’y livrent).
En l’espèce, ce sont les chevaux du locataire qui posaient difficulté. Le bailleur prétendant que celuici ne bénéficiait que d’une simple mise à disposition précaire, il décida de lui délivrer un congé
ordinaire destiné à produire effet 6 mois plus tard. A l’inverse, le locataire revendiquait lui l’existence
d’un bail rural soumis au statut du fermage, ce qui aurait dû obliger le bailleur souhaitant mettre un
terme au contrat à lui délivrer un congé au moins 18 mois avant le terme, et ce dans les conditions
de l’article L 411-47 du Code rural et de la pêche maritime.
Entendu en première instance, le locataire a vu sa demande rejeté en cause d’appel, la cour ayant
par une appréciation souveraine estimé que le locataire, enseignant de profession et non inscrit à la
Mutualité sociale agricole en qualité d’exploitant, ne démontrait pas se livrer sur les parcelles objet
du litige à une activité autre que de pur loisir …. et donc pas agricole au sens de L 311-1 suite à la
modification opérée par la loi du 23 février 2005 incluant les activités équestres. La Cour de cassation
ne trouve rien à redire et confirme que l’on est en présence d’une convention précaire, pour laquelle
le congé a été parfaitement délivré.
En fait, comme cela a déjà été jugé (Cass. 3ème civ., 9 déc. 2008, n° 08-10051, JCP N 2009, n° 51, 1351,
note. Roussel ; ou encore Cass. 3ème civ., 13 mai 2009, n° 08-16421), pour que des propriétaires
d’équidés domestiques soient qualifiés d’exploitants agricole (et donc revendiquer l’application du
statut du fermage s’ils sont locataires du foncier), ils doivent être capables de démontrer qu’est
développée une activité professionnelle, dans un esprit de lucre. Or en l’espèce, certes le requérant
était propriétaire d’un nombre significatif d’animaux (10 chevaux) mais d’une part, il n’était pas
inscrit à la MSA en qualité d’exploitant agricole, d’autre part il se livrait uniquement à une activité
d’élevage de simple loisir et non à visée économique (qui aurait pu être par exemple l’achat de
chevaux pour les revendre, les préparer, les exploiter en vue de compétitions) et, qu’enfin, il ne tirait
aucun revenu de ce qu’il qualifiait pourtant d’élevage. Et le fait qu’il figurait comme éleveur de
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poneys dans l’annuaire du cheval, disposait du titre de « naisseur » délivré par les haras nationaux ou
encore qu’il avait bénéficié d’un dégrèvement fiscal pour cause de calamités agricoles, n’ont pas été
jugé comme des éléments de nature à prouver une véritable exploitation de ses chevaux dans un
esprit de profit. Ainsi ne pouvait-il pas, comme l’ont indiqué tour à tour les juges d’appel puis de la
Cour de cassation, revendiquer en sa faveur le statut protecteur du fermage, exorbitant du droit
commun. Il s’agissait-il bien d’une mise à disposition, certes à titre onéreux, de nature précaire ; par
conséquent, le congé délivré par le bailleur n’était soumis à aucune condition particulière, ni de
forme ni de fond.
Cass. 3ème civ., 15 oct., n° 12-23618.
Mots clefs : Activités équestres – Qualification du bail – Nature du congé à délivrer.
CRPM, art. L 311-1.
Droit de préemption du preneur en place : quand faut-il renouveler la procédure de notification ?
Après avoir été informé par le propriétaire de son intention de vendre, le notaire chargé
d’instrumenter doit faire connaître au preneur bénéficiaire du droit de préemption, par lettre
recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte d’huissier, le prix, les charges, les
conditions et les modalités de la vente projetée et, le cas échéant, les noms et domicile de la
personne qui se propose d’acquérir (CRPM, art. L 412-8). Cette communication vaut offre de vente
aux prix et conditions annoncées.
Le preneur dispose alors de 2 mois, à compter de la réception de la lettre ou de l’acte d’huissier, pour
faire connaître dans les mêmes formes au propriétaire vendeur son refus ou son acceptation. On
soulignera au passage la différence avec le régime du droit de préemption SAFER qui prévoit que le
destinataire légal de la réponse SAFER est « le notaire chargé d’instrumenter » (R. 143-6 et R 143-12).
En fait, le preneur qui souhaite préempter pourrait adresser sa réponse au notaire, sous réserve
comme l’a rappelé récemment et à plusieurs reprises la Cour de cassation, que celui-ci ait été
spécialement mandaté à cet effet (Cass. 3ème civ. : 15 fév. 2012, n° 11-10580 ; 23 mai 2012, n° 1020270 et 30 mai 2012, n° 11-17867 : voir nos observations in Droit et procédure n° 1, janvier 2013, p.
14 et 15). S’il estime la proposition exagérée, le preneur en place peut saisir le tribunal paritaire de
baux ruraux en fixation de la valeur des biens et des conditions de la vente ; mais attention, il doit
également notifier au bailleur vendeur qu’il entend se porter acquéreur sous réserve de la fixation
judiciaire, sans quoi il s’expose à de graves désillusions (CRPM, art. L 412-7 ; à défaut d’avoir avisé le
bailleur personnellement de son acceptation conditionnelle, le preneur est réputé avoir renoncé
purement et simplement à préempter : Cass. 3ème civ., 30 mai 2012, n° 11-17867).
Dans le cas où, au cours de délai de 2 mois offert au preneur pour se décider, le propriétaire décide
de modifier ses prétentions, il doit -toujours par l’intermédiaire du notaire chargé d’instrumenter la
vente- notifier ses nouvelles conditions au preneur bénéficiaire du droit de préemption. L’alinéa 1er
de l’article L 412-9 du Code rural et de la pêche maritime prévoit alors un allongement de 15 jours du
délai de 2 mois dont profite le preneur, pour faire éventuellement valoir son droit de préemption aux
nouvelles conditions notifiées. A noter que la jurisprudence admet que si le bailleur modifie de
manière substantielle ses prétentions (par exemple en ajoutant dans la vente projetée une parcelle
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supplémentaire), cela a pour effet de rouvrir un nouveau délai de 2 mois au preneur pour préempter
(Cass. 3ème civ., 7 janv. 2009, n° 07-18191 ou encore Cass. 3ème civ., 10 janv. 1996, RD rur. 1996, 27).
Maintenant, dès lors que la renonciation du preneur est acquise, par son silence gardé pendant 2
mois ou par une renonciation expresse, le droit de préemption est purgé (CRPM, art. L 412-8 al. 3 in
fine) ; avec pour conséquence la liberté retrouvée du bailleur de vendre le fonds loué à un tiers, les
textes lui enjoignant seulement de notifier la vente dans les 10 jours au preneur bénéficiaire du droit
de préemption (L 412-9 al. 3). L’accomplissement de cette nouvelle formalité à l’égard du locataire
doit lui permettre, d’une part, de vérifier que la vente s’est bien réalisée aux prix et conditions qui lui
ont été notifiées et, d’autre part, de connaître l’identité de son nouveau bailleur.
Reste la question de savoir dans quel délai doit intervenir cette vente, une fois purgé le droit de
préemption ?
Sans trop tardé si l’on s’attache à lire l’alinéa 2 de l’article L 412-9 qui prévoit que « lorsqu’un an
après l’envoi de la dernière notification, la vente n’est pas réalisée » et que le bailleur persiste dans
son intention de vendre « il est tenu de renouveler la procédure » de notification. Reste à s’entendre
sur le sens à donner à l’expression « vente réalisée » afin de déterminer si le bailleur doit ou non se
prêter à une nouvelle notification. Or, à quelque mois d’intervalle, la Cour de cassation vient de
donner une interprétation qui peut surprendre.
Dans la première espèce (10 juillet 2013, n° 10-25979), les bailleurs avaient consenti à un tiers, le 10
janvier 2000, une promesse synallagmatique de vente assortie d’une condition suspensive relative à
la purge du droit de préemption du preneur. Purge finalement réalisée par décision judiciaire
consacrant la forclusion du preneur à revendiquer le droit de préemption. Ainsi la vente devenait-elle
parfaite. Mais ce n’est que bien plus tard, le 31 mai 2008, qu’elle allait être traduite par acte
authentique. Informé, le preneur décida d’agir en nullité au motif que la vente n’ayant pas été
réalisée dans le délai d’un an à compter de la notification qui lui avait été en son temps adressée, elle
aurait dû être précédée comme l’exige l’alinéa 2 de l’article L 412-9 d’une nouvelle notification.
Demande repoussée tant par les juges du fond que par les magistrats de la Haute cour qui ont
considéré que la réitération par acte authentique ne saurait être considérée comme constituant une
nouvelle vente, nécessitant une nouvelle notification au preneur en place.
Dans la seconde espèce (18 sept. 2013, n° 12-19295), des propriétaires indivis avaient signé, le 10
février 2005, un compromis de vente sur des parcelles louées à un GAEC assorti de deux conditions
suspensives : la première liée au montant des inscriptions hypothécaires et la seconde au non
exercice du droit de préemption par le preneur en place ; accompagnées d’une précision selon
laquelle le transfert de propriété serait reporté à la date de signature de l’acte authentique. En
l’occurrence, la vente des parcelles louées a été régularisée par devant notaire suivant acte en date
du 22 décembre 2009 … soit là encore plusieurs années après la notification de la vente projetée. De
quoi l’on s’en doute faire réagir le GAEC locataire qui sollicita de la justice la nullité de la vente
intervenue et la substitution d’acquéreur, au motif une fois encore que la vente n’avait pas été
réalisée dans le délai d’un an après l’envoi de la dernière notification comme l’exige le texte.
Argument qui n’a pas davantage séduit la Cour de cassation que les juges du fond, qui sont
approuvés d’avoir retenu que les parties n’ont pas souhaité faire de la réitération par acte
authentique un élément de leur consentement à la vente, qui était donc devenue parfaite dès le
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droit de préemption purgé. Dès lors, peu importe le moment de la signature de l’acte authentique, il
n’y avait pas lieu d’accomplir une nouvelle notification à destination du preneur.
La solution préconisée par la Cour de cassation se justifie parfaitement du point de vue du Code civil
et du régime des avants contrats. En effet, selon l’article 1583 du Code civil la vente est parfaite
entre les parties et la propriété acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur dès qu’on est
convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. Et selon
l’article 1589 du même code, la promesse de vente vaut vente lorsqu’il a consentement réciproque
des deux parties sur la chose et sur le prix. Il est vrai que le fait que les parties, comme dans la
seconde espèce, aient reporté le transfert de propriété à la date de signature de l’acte authentique
et du paiement du prix n’est pas de nature à influer sur la qualification de la promesse
synallagmatique de vente. Du reste, il se déduit de l’article 1582 du Code civil que la vente est un
contrat consensuel dont la validité n’est soumise à aucune condition de forme ni au transfert
immédiat de la propriété de la chose à l’acquéreur. Dans ces conditions, il devient difficile de déduire
de la réitération de la vente par acte authentique au-delà du délai légal d’un an prévu par le Code
rural et de la pêche maritime, qu’il s’agisse d’une seconde vente qui aurait dû donner lieu à une
nouvelle notification.
Pour autant, la décision des juges peut surprendre le ruraliste, surtout s’il s’en tient à une lecture
littérale du texte, qui ne semble pas ambigüe : « si un an après l’envoi de la dernière notification la
vente n’est pas réalisée …il est tenu de renouveler la procédure » ! Ce qui est visé précisément ici
c’est bien l’hypothèse où la vente projetée et notifiée au preneur en place tarde à se réaliser.
Lorsqu’elle intervient comme dans les présentes affaires plusieurs années après la notification, il est
normal que le bailleur refasse une proposition à son locataire titulaire du droit de préemption, dont
les souhaits et les moyens par rapport à cette proposition d’achat ont pu largement évolués au fil du
temps. D’ailleurs, si c’était uniquement en cas de seconde vente qu’il devait y avoir une nouvelle
information, le renouvellement de la notification imposé par l’alinéa 2 de l’article L 412-9 serait
superfétatoire. Si le bailleur procède à une vente autre que celle dont il avait informé son locataire, il
va de soi qu’il doit l’en informer pour respecter son droit de préemption. Du reste, l’objectif du
législateur a sans doute été, avec l’imposition de ce délai d’un an, d’éviter que le bailleur désireux de
vendre sans avoir un acquéreur bien déterminé, ne notifie au preneur en place son projet afin de
purger son droit et se mette alors tranquillement en quête … et sans délai si l’on pousse le
raisonnement de la Cour de cassation … d’un acquéreur qui prêterait son concours à l’acte
authentique … quand il le souhaite ; ce dont le locataire finirait par être informé, dans les 10 jours
suivant la réalisation de la vente comme la loi l’impose. Or ce qui devrait être considéré c’est qu’à
défaut de signature de l’acte authentique dans l’année qui suit la notification adressée au preneur,
son droit de préemption s’ouvre de nouveau ! C’est selon nous la logique du texte tel qu’il est rédigé.
Cass. 3ème civ., 10 juill. 2013, n° 10-25979 ;
Cass. 3ème civ., 18 sept. 2013, n° 12-19295.
Mots clefs : Vente du bien loué – Droit de préemption du preneur en place – Notification –
Réalisation de la vente – Nouvelle notification.
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C. rur., art. L 412-8, L 412-9.
Aménagement foncier : conséquences de la réattribution de parcelles non bio et report du bail.
L’article L 123-15 du Code rural et de la pêche maritime traite deux problèmes, à savoir d’une part le
sort du bail suite à une opération d’aménagement foncier et, d’autre part, les conséquences de
l’aménagement lorsqu’il affecte des parcelles cultivées selon le mode de production biologique. Deux
aspects qui viennent, à quelques semaines d’intervalle, d’être abordés par les plus hautes juridictions
françaises.
Dans la première espèce (CE 25 juillet 2013, n° 348394), un propriétaire, dont toute l’exploitation
était certifiée conforme au mode de culture biologique, a vu une partie de ses terrains affectés par
une opération de remembrement, qu’il convient d’appeler plus justement depuis la loi du 23 février
2005 « opération d’aménagement foncier agricole et forestier ». En contrepartie de l’apport en
propriété de 7 ha 5 a et 60 ca, répartis en 5 parcelles toutes certifiées en mode « bio », il s’est vu
attribué 7 ha, 7 a et 5 ca, réparties en 4 parcelles et sans que soit modifiée la distance des parcelles
par rapport au centre de son exploitation ; attribution a priori équivalente. Sauf que l’intéressé
estime ses conditions d’exploitation aggravées par le remembrement, au motif que les parcelles qui
lui ont été allouées sont des terres relevant non pas de l’agriculture biologique mais du mode de
culture conventionnel. Ainsi a t-il perdu le fruit de ses investissements pour réaliser sa conversion
vers l’agriculture biologique. Perte que la Commission pouvait, par le versement d’une soulte en
espèces, compenser selon lui. En effet, l’article L 123-1 du Code rural et de la pêche maritime
prévoyait (dans sa rédaction applicable à l’époque du litige : 2004 ; puisqu’il faut souligner que la loi
n° 2005-157 du 23 février 2005 a refondu les procédures de remembrement pour créer une
procédure unifiée et simplifiée dénommée « aménagement foncier agricole et forestier ») que « le
paiement d’une soulte en espèces est autorisé lorsqu’il y a lieu d’indemniser le propriétaire du
terrain cédé des plus-values transitoires qui s’y trouvent incorporées et qui sont définies par la
commission ».
Pour le Conseil d’Etat, il résulte de telles dispositions que si des parcelles exploitées selon le mode de
culture biologique n’ont pas être classées dans une catégorie particulière de culture, justifiant leur
réattribution (confirmant ainsi une jurisprudence bien établie : CE 21 juill. 1995, n° 134778 ; CE 23
juin 2004, n° 221115 ; CE 21 sept. 2007, n° 285062), il résulte de l’exploitation en agriculture
biologique des particularités susceptibles d’induire des contraintes agricoles, administratives
techniques ou commerciales pouvant indéniablement affecter ce mode d’exploitation. Aussi
reproche est fait tant à la Commission départementale d’aménagement foncier qu’aux juridictions du
fond qui ont validé sa position, d’avoir refusé d’indemniser le requérant pour perte de parcelles
« bio ». Ainsi, la Haute juridiction administrative confirme qu’en recevant des terres relevant d’un
mode de culture conventionnel en lieu et place de parcelles certifiées en production biologique,
l’intéressé a perdu les investissements réalisés pour effectuer cette conversion (rappelons que les
textes prévoient que peuvent seuls bénéficier de la mention « agriculture biologique » les produits
agricoles, transformés ou non, qui satisfont aux exigences de la réglementation communautaire
relative à la production biologique, celle-ci imposant alors une période de conversion (entre 2 et 4
ans suivant les productions) avant de pouvoir certifier « bio » la production ; cela étant, durant cette
période de conversion le producteur peut faire état sur ces produits de la mention « en conversion
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vers l’agriculture biologique »). Aussi aurait-il dû être indemnisé, par le versement d’une soulte en
espèces, des plus-values transitoires incorporées dans les terres et fruit direct de ses
investissements. Enfin, le Conseil d’Etat souligne qu’en recevant, en échange de parcelles cultivées
selon le mode de production biologique, des parcelles relevant d’un mode de culture conventionnel
l’opération d’aménagement foncier a -contrairement au but recherché par cette procédure- aggravé
les conditions d’exploitation du plaignant.
Sous l’empire des nouveaux textes, la solution aurait été non seulement identique mais encore plus
facile à rendre, à justifier. En effet, l’article 115 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 est venu
compléter l’article L 123-4 du Code rural et de la pêche maritime pour prévoir que : « le paiement
d’une soulte est mis à la charge du département lorsqu’il y a lieu d’indemniser les propriétaires
exploitants qui, en contrepartie de parcelles d’apport certifiées en agriculture biologique … reçoivent
des parcelles en agriculture conventionnelle ou en conversion ou qui, en contrepartie d’apport de
parcelles en conversion, reçoivent des parcelles en agriculture conventionnelle ou à un stade de
conversion différent ».
Dans la seconde espèce (Cass. 3ème civ., 2 oct. 2013, n° 12-20892), la question était de savoir à quel
moment et selon quelle(s) modalité(s) le preneur peut, après une opération d’aménagement foncier
agricole et forestier, exiger le report de son bail sur les parcelles attribuées au bailleur en échange de
celles apportées dans l’opération.
En effet, l’article L 123-15 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que le locataire d’une
parcelle atteinte par l’aménagement foncier agricole et forestier (nouveau nom donné au
remembrement suite à l’évolution opérée par la loi du 23 février 2005, évoquée plus haut) a le choix
entre soit obtenir le report des effets du bail sur les parcelles acquises en échange par le bailleur, ou
soit solliciter la résiliation totale ou partielle du bail, sans indemnité, dans la mesure où l’étendue de
sa jouissance est diminuée par l’effet de l’aménagement survenu. En revanche, le texte est muet sur
quand et comment le preneur peut faire état de son choix.
Dans la présente affaire, le bailleur reprochait à son locataire de s’être exprimé trop tardivement, en
faisant connaître son intention de bénéficier du report du bail un an après la prise d’effet du
remembrement intervenu. Position confirmée par la juridiction d’appel, pour qui le locataire n’a pas
exercé son choix dans un « délai raisonnable ». Au visa de l’article L 123-15, la décision est censurée
par la Cour de cassation pour manque de base légale, le texte cité n’imposant aucun délai au
locataire pour exprimer son choix. Cela étant, la haute cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur
le caractère tacite de l’option. Ainsi, par un arrêt en date du 24 mars 1988 (JCP N 1988, II, 270, obs. JP Moreau) la troisième chambre civile a considéré comme une résiliation tacite le fait pour le preneur
de laisser en friche pendant un an une terre réattribuée à son propriétaire et que celui-ci lui avait
proposée en remplacement de celle qu’il exploitait. Dans le même sens, quelques années plus tard
(Cass. 3ème civ., 31 mai 2011, n° 10-19847, RD rur. 2011, n° 127, note Roustan de Péron) elle a
confirmé que la cour d’appel a pu déduire que le preneur a tacitement mais nécessairement opté
pour la résiliation du bail du fait qu’il ne justifiait ni d’avoir pris possession des nouvelles parcelles
après remembrement, ni les avoir exploitées, ni d’avoir informé les bailleurs d’un choix en faveur du
report des effets du bail.
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Maintenant, si le texte ne prévoit effectivement aucun délai pour que le preneur se prononce, le
bailleur serait bien inspiré de mettre en demeure son locataire de prendre position en faveur soit du
report du bail soit de sa résiliation, et ce de manière officielle c’est-à-dire par lettre recommandée
avec demande d’avis de réception ou par acte d’huissier afin de prévenir tout litige.
CE 25 juillet 2013, n° 348394 ; Cass. 3ème civ., 2 oct. 2013, n° 12-20892
Mots clefs : Aménagement foncier agricole et forestier (ex-remembrement) – Parcelles certifiées
culture biologique – Prise en compte dans la réattribution – Indemnisation – Report des effets du
bail sur les parcelles reçues en échange.
CRPM, art. L 123-4 et L 123-15.
Imposition des salaires différés
A compter du 1er juillet 2014, les sommes attribuées aux héritiers d’exploitants agricoles ou aux
conjoints d’exploitants agricoles au titre d’un « salaire différé » pour avoir travaillé gratuitement sur
l’exploitation de leur(s) parent(s), seront soumises à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements
sociaux, alors qu’elles en étaient jusqu’à présent exonérées.
C’est l’occasion de rappeler que depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008
portant réforme de la prescription en matière civile, l’action en reconnaissance de la créance de
salaire différé se prescrit par 5 ans à compter de l’ouverture de la succession de l’exploitant (C ; civ.
art. 2224), et non plus par 30 ans comme auparavant.
Mots clefs : Salaire différé - Imposition
CGI, art. 81 3° ; BOI-RSA-CHAMP 6 mars 2014.
Quand les plantations dépassent
Les servitudes relatives aux plantations prévues par les articles 671 et suivants du Code civil étant
une charge imposée à la propriété, l’action judiciaire visant à les faire respecter (demande d’élagage,
d’arrachage..) ne peut prospérer que si elle est intentée contre le propriétaire du terrain sur lequel se
trouvent les arbres litigieux et non contre le simple occupant.
Cass. 3ème civ., 5 fév. 2014, n° 12-28701.
Mots clefs : Plantations – Servitudes – Respect.
C. civ., art. 671 s.
LA SAFER doit respecter le formalisme de la rétrocession.
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Dans deux affaires récentes, la SAFER vient d’en faire la douloureuse expérience, sanctionnée pour
ne pas avoir respecté le formalisme que lui impose le Code rural et de la pêche maritime lorsqu’elle
rétrocède des biens précédemment acquis.
Dans la première espèce (30 oct. 2013), la Cour de cassation apporte une lecture nouvelle et affinée
des articles L 143-14 et R 143-11 du Code rural et de la pêche maritime.
Selon le premier de ces textes, les actions en justice contestant les décisions de rétrocession prises
par les SAFER, ainsi que les décisions de préemption s’il s’agit de la mise en cause du respect des
objectifs définis à l’article L 143-2, sont irrecevables lorsqu’elles sont intentées « au-delà d’un délai
de 6 mois à compter du jour où les décisions motivées ont été rendues publiques ». Or, le second
texte, l’article R 143-11, exige de la SAFER, d’une part qu’elle prenne les mesures de publicité
prévues à l’article R 142-3 avant de rétrocéder les biens préemptés, ensuite et d’autre part, que la
décision de rétrocession soit « notifiée », avec indication des motifs ayant déterminé le choix de
l’attributaire, tant aux candidats non retenus qu’à l’acquéreur évincé. In fine, il est ajouté que la
décision de rétrocession doit faire l’objet, dans le délai d’un mois à compter de la signature de l’acte
authentique, d’un affichage pendant 15 jours à la mairie de la commune de situation des biens ; et
l’article de terminer en indiquant que « cet affichage constitue le point de départ du recours prévu à
l’article 143-14 » (6 mois pour agir à compter du jour où les décisions ont été rendues publiques).
Chaque fois qu’elle a eu à se prononcer sur cette question, la Cour de cassation semblait privilégier
l’affichage en mairie comme formalité substantielle. Au point que reproche a pu être fait à une cour
d’appel d’avoir « ajouté à la loi » en considérant que seule la notification de la préemption puis de la
rétrocession rend opposable le délai à l’acquéreur évincé (Cass. 3ème civ., 29 mars 2000 : Bull. civ. III,
n° 77). Dans le même sens, quelques années plus tôt, la Haute cour avait jugé que la prescription de
l’action en contestation d’une rétrocession part du jour où cette rétrocession a été rendue publique
« y compris pour les acquéreurs évincés, qui ne peuvent prétendre qu’ils n’ont pas été informés
personnellement par lettre de la décision de la SAFER » (Cass. 3ème civ., 10 juin 1998, Bull. civ. III, n°
124).
La présente décision remet tout cela en cause. Au visa ensembles des articles L 143-14, R 143-11 du
Code rural et de la pêche maritime et de l’article 6 &1 de la Convention de sauvegarde des droits de
l’Homme et des libertés fondamentales qui garantit à tous le droit à un procès équitable, la Cour de
cassation sanctionne une SAFER qui s’était contentée d’une publicité de sa décision de rétrocession
par affichage en mairie et censure la cour d’appel qui (conformément à la jurisprudence jusqu’alors
en vigueur et précédemment évoquée) avait retenu l’affichage comme suffisant pour faire partir le
délai de recours de 6 mois prévu par l’article L 143-14, et par voie conséquence avait jugé comme
irrecevable car tardive l’action intentée par l’acquéreur évincé près d’un an après l’affichage en
mairie de la décision de rétrocession. Or l’information de l’acquéreur évincé, dont le texte prévoit
qu’elle se fasse par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (R 143-11, al. 1er in fine),
est une formalité substantielle dont la SAFER ne saurait s’affranchir.
Dans la seconde affaire, rendue quelques mois plus tard (19 fév. 2014), la Cour de cassation va faire
preuve de la même rigueur d’interprétation, considérant que les conditions de publicité des décisions
de rétrocession des SAFER sont prescrites à peine de nullité des actes passés.
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Quel que soit le mode d’acquisition, les SAFER agissent, eu égard à leurs missions de service public,
sous contrôle de l’administration et doivent rétrocéder les biens acquis dans les 5 ans. L’article L 1433 leur enjoint de « motiver et publier la décision de rétrocession », qui selon l’article R 142-3 doit
être précédée d’un appel de candidatures par le biais d’un affichage à la mairie de la commune de la
situation du bien, accompagné d’un avis publié « dans deux journaux diffusés dans l’ensemble du
département». A noter que depuis le décret du 14 mars 2012, une de ces publications peut être
remplacée par une publication sur le site internet de la SAFER territorialement compétente, ou à
défaut sur celui de la FNSAFER.
En l’espèce, la SAFER n’avait pas procédé à la publication d’un appel de candidatures dans les
conditions prévues par l’article R 142-3 puisque l’avis emportant appel à candidatures n’avait été
publié que dans un seul journal diffusé sur l’ensemble du département. Pour les juges de première
instance cela justifiait tant l’annulation de la décision de rétrocession que des actes juridiques
subséquents. Décision écartée par la cour d’appel, pour qui l’irrégularité ne constituait qu’un vice de
forme au sens de l’article 114 du Code de procédure civile et ne pouvait justifier l’annulation de
l’acte que si celui qui l’invoque pouvait prouver le grief causé par le non-respect du formalisme. Et la
SAFER de souligner qu’en l’occurrence il était difficile de prétendre à la violation de cette disposition
(R. 142-3) tendant à assurer la transparence de la procédure de rétrocession et à favoriser une
pluralité de candidatures, puisque les requérants avaient régulièrement fait acte de candidatures à la
rétrocession des terres objets du litige.
L’argumentation est balayée et l’arrêt d’appel censuré par la Cour de cassation au visa des articles L
143-3, L 143-5 et R 142-3 du Code rural et de la pêche maritime. Les conditions de publicité des
décisions de rétrocession des SAFER sont des formalités substantielles, prescrites à peine de nullité
sans que le candidat évincé contestant la rétrocession n’ait à prouver que le non-respect du
formalisme prescrit par le Code lui ait causé un quelconque préjudice.
Cass. 3ème civ., 30 oct. 2013, n° 12-19870 et 19 fév. 2014, n° 12-18286.
Mots clefs : SAFER – Rétrocession – Appel à candidature – Information des candidats non retenus Formalisme.
CRPM, art. L 143-3, L 143-14, R 142-3 et R 143-11 ; art. 6 &1 CEDH.
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