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ORIGINAL
Profil et tendances de la morbidité
hospitalière pédiatrique au niveau de la
région de Monastir (Tunisie) pendant une
décennie
Profile and trends of pediatric hospital morbidity in the
region of Monastir (Tunisia) for a decade
S. El Mhamdi, C. Herizi, A. Sriha, I. Bouanene, A. Ben Salah,
S. Gaaliche et M.S. Soltani
Service de Médecine Préventive et d’Epidémiologie, C.H.U. de Monastir, Tunisie
RESUME
ABSTRACT
Introduction : L’étude de la morbidité hospitalière
permet de dresser le profil de la pathologie
hospitalière dans une région et de suivre son
évolution. L’objectif de ce travail était de décrire
le profil et les principales tendances des
pathologies pédiatriques au niveau des
structures publiques de la région de Monastir
entre 2000 et 2010.
Matériel et méthodes : Etude descriptive
intéressant l’ensemble des hospitalisations
pédiatriques des structures publiques de la
région de Monastir entre 2000 et 2010. Les
informations étaient collectées à partir du registre
régional de la morbidité hospitalière implanté au
niveau du Service de Médecine Préventive et
d’Epidémiologie du C.H.U. de Monastir.
Résultats : Un ensemble de 52.443 hospitalisations ont été collectées entre 2000 et 2010 avec
un taux d’hospitalisation annuel moyen de 3,9 %.
L’âge moyen était de 7,2 ± 5,4 ans et 15,3 %
n’avaient pas dépassé la première année de vie.
Les catégories majeures de diagnostic (CMD)
étaient dominées par les pathologies de l’appareil
digestif et respiratoire avec 14,4 et 14 %
respectivement.
Les principales tendances chronologiques ont
montré que l’asthme de l’enfant a connu une
tendance significative vers la hausse en passant
de 0,2 ‰ en 2000 à 2,5 ‰ en 2010 ainsi que le
kyste hydatique dont le taux est passé de 0,2 ‰
en 2000 à 1,8 ‰ en 2010 (P < 0,05).
Conclusion : Ce profil de morbidité incite les
responsables à orienter et cibler les efforts pour
la prise en charge des pathologies les plus
prioritaires.
Introduction : Hospital morbidity studies allow us
to draw the hospital pathological profile of a
region and to follow its evolution. This study aims
to describe the profile and the main trends of
pediatric diseases within public structures in the
region of Monastir between 2000 and 2010.
Materiel and methods : A descriptive study which
concerns all pediatric hospitalizations of public
structures in the region of Monastir between 2000
and 2010. Informations were collected from the
regional register of hospital morbidity implanted
at the Department of Preventive Medicine and
Epidemiology of the University Hospital of
Monastir.
Results : A total of 52.443 hospitalizations were
collected between 2000 and 2010 with a means
annual hospitalization rate of 3,9 %. The mean
age was 7,2 ± 5,4 years and 15,3 % had not
exceeded the first year of life. Major diagnostic
categories (MDC) were dominated by diseases of
the digestive and respiratory systems with 14,4
and 14 % respectively.
Main chronological trends have shown that the
rate of childhood asthma rise significantly from
0,2 ‰ in 2000 to 2,5 ‰ in 2010 and Hydatid Cyst
whose rate increased also from 0,2 ‰ in 2000 to
1,8 ‰ in 2010 (P < 0,05).
Conclusion : This morbidity profile incites
managers to focus their efforts to improve the
management of most important diseases.
Rev Med Brux 2015 ; 36 : 410-4
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Rev Med Brux - 2015
Rev Med Brux 2015 ; 36 : 410-4
Key words : morbidity, hospital, child, trends,
Tunisia
INTRODUCTION
Les progrès scientifiques dans le domaine de la
santé ont abouti à des modifications profondes du profil
épidémiologique et du cours évolutif de la pathologie
pédiatrique. Ainsi, on a assisté à une baisse de la
mor talité essentiellement au niveau des pays
développés et à des progrès au niveau des pays en
développement.
En Tunisie, qui connaît depuis l’indépendance
une importante transition démographique et socioéconomique, le taux de mortalité a considérablement
baissé. Cependant, l’étude de la morbidité pédiatrique,
qui est de plus en plus utilisée dans l’évaluation du
niveau de développement social et économique d’un
pays, est moins connue en l’absence d’un système
national de surveillance de la morbidité pédiatrique
hospitalière 1. L’étude de la morbidité hospitalière à
travers un système de surveillance permet de suivre
l’évolution et les tendances de la morbidité au fil des
années et d’identifier les problèmes de santé
prioritaires2.
L’objectif de ce travail était de décrire le profil et
les tendances chronologiques de la morbidité
hospitalière en pédiatrie au niveau des hôpitaux publics
de la région de Monastir entre 2000 et 2010.
d’entrée, durée de séjour, date de sortie et mode de
sortie), le diagnostic principal et les diagnostics
associés, les explorations et les interventions
pratiquées.
Les informations sont acheminées mensuellement vers le SMPE via le service administratif du
bureau des entrées. Les diagnostics d’hospitalisation
étaient regroupés en catégories majeures de diagnostic
(CMD) et codés selon la 10e classification internationale
des maladies (CIM-10).
Analyse statistique
Toutes les informations recueillies ont été codées
puis saisies sur matériel informatique utilisant le logiciel
Epi Info pour l’analyse. Le coefficient de corrélation de
rang de Spearman (r’) a été utilisé pour tester les
différentes tendances chronologiques. La consommation de soins a été étudiée par la durée de séjour et les
taux d’hospitalisation globaux et spécifiques étaient
calculés selon les formules suivantes :
• Taux spécifique d’hospitalisation selon l’année (TSHA) :
Nombre d’hospitalisation pour une année donnée
TSHA =
× 1.000
Population pédiatrique
• Taux spécifique d’hospitalisation selon l’âge (TSH âge) :
MATERIEL ET METHODES
Nombre d’hospitalisation pour une tranche d’âge donnée
TSH âge =
Type d’étude
× 1.000
Population de la même tranche d’âge
Il s’agit d’une étude descriptive qui intéresse les
hospitalisations pédiatriques (0-15 ans) au niveau de
l’une des structures publiques de la région entre le
1er janvier 2000 et le 31 décembre 2010. L’année 2001
n’a pas été incluse vue l’existence de problèmes de
saisie durant cette période. Chaque enfant sera
comptabilisé autant de fois qu’il a été hospitalisé.
RESULTATS
Région de l’étude
Description de la population de l’étude
Le gouvernorat de Monastir est situé sur la région
côtière entre Sousse et Mahdia. En 2010, la population
du gouvernorat de Monastir est de 515.400 habitants,
soit 4,6 % de la population tunisienne3. La population
pédiatrique de la région représente 2,5 % de
l’ensemble3.
Au cours de la période d’étude (2000-2010), nous
avons colligé 52.443 hospitalisations d’enfants âgés de
0 à 15 ans, avec un taux annuel d’hospitalisation de
3,9 %. L’âge moyen était de 7,2 ± 5,4 ans et les enfants
âgés de moins de 5 ans avaient représenté 49 %. La
répartition selon le sexe avait montré une prédominance
masculine avec un sex ratio de 1,84.
L’infrastructure sanitaire publique de la région
compor te un hôpital universitaire, deux hôpitaux
régionaux et dix hôpitaux de circonscription.
Population de l’étude
Les renseignements sont puisés du registre
régional de la morbidité hospitalière implanté depuis
1995 par le Service de Médecine Préventive et
d’Epidémiologie (SMPE) dans les hôpitaux publics du
gouvernorat de Monastir. Ce registre collecte les
caractéristiques sociodémographiques des patients, les
critères d’utilisation des services (date d’entrée, mode
L’étude des tendances chronologiques a
intéressé quatre pathologies à savoir l’asthme de
l’enfant, le diabète de type I, le kyste hydatique et les
diarrhées infectieuses.
Les admissions au niveau des ser vices
chirurgicaux avaient représenté 62,1 % contre 37,9 %
au niveau des services médicaux. Parmi les spécialités
chirurgicales, la chirurgie pédiatrique était au premier
rang avec 27,7 % des admissions (N = 14.526). Les
services médicaux étaient dominés par la pédiatrie
avec 27,9 %. Le mode d’entrée le plus fréquent était à
travers les urgences dans 52 % des cas (N = 24.697)
et le retour à domicile était le mode de sortie le plus
fréquent avec 96,5 % (N = 50.115) (tableau 1).
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Tableau 1 : Etude descriptive des hospitalisations
pédiatriques entre 2000 et 2010.
Tableau 2 : Répartition des hospitalisations pédiatriques
selon la CIM-10 entre 2000-2010.
Hospitalisations
CIM-10
Nombre
%
Age
Nombre
%
Pathologies de l’appareil digestif
7.575
14,4
< 1 an
8.025
15,3
Pathologies de l’appareil respiratoire
7.368
14
2-5 ans
17.682
33,7
Traumatismes et empoisonnement
6.303
12
6-18 ans
26.736
51
Pathologies de l’appareil génito-urinaire
4.649
8,9
Malformations congénitales
4.556
8,7
Genre
Garçons
30.824
64,8
Pathologies infectieuses et parasitaires
3.038
5,8
Filles
16.713
35,2
Symptômes et signes non définis
2.845
5,4
Pathologies de la peau
2.232
4,3
Services
Chirurgicaux
32.590
62,1
Pathologies de l’œil et des annexes
1.791
3,4
Médicaux
19.853
37,9
Pathologies du sang
1.198
2,3
Autres
10.053
19,1
Total
52.443
100
Mode d’entrée
Urgence
26.088
49,7
Consultation externe
24.791
47,3
Transfert
1.312
2,5
252
0,5
50.115
95,6
1.574
3
Décès
376
0,7
Non précisé
378
0,7
Non précisé
Mode de sortie
Retour à domicile
Transfert
Figure 1 : Evolution du taux d’hospitalisation de l’asthme de
l’enfant au cours de la décennie (2000-2010).
Etude de la morbidité
La répartition selon la CIM-10 a montré que les
pathologies des appareils digestif et respiratoire étaient
au premier plan avec 14,4 et 14 % respectivement. Les
traumatismes et empoisonnements avaient occupé la
troisième position avec 12 % des admissions (tableau 2).
Principales tendances chronologiques
Le taux d’hospitalisation annuel a connu une
tendance statistiquement significative vers la hausse
en passant de 1,1 % en 2000 à 4,4 % en 2010 (r’ =
|0,72| ; P < 0,05).
Figure 2 : Evolution du taux d’hospitalisation du diabète de
type I au cours de la décennie (2000-2010).
Le taux d’hospitalisation de l’asthme de l’enfant
a connu une tendance statistiquement significative vers
la hausse (r‘= |0,96| ; P < 0,05) en passant de 0,2 ‰
en 2000 à 2,5 ‰ en 2010 (figure 1). Il en est de même
pour le diabète de type I dont le taux est passé de 0,5
‰ en 2000 à 1,5 ‰ en 2010 (|r‘| = 0,7 ; P < 0,05)
(figure 2).
La répartition du taux d’hospitalisation du kyste
hydatique en fonction des années a permis de dégager
une tendance statistiquement significative vers la
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Figure 3 : Evolution du taux d’hospitalisation du kyste
hydatique au cours de la décennie (2000-2010).
hausse (|r‘| = 0,82 ; P < 0,05). Le taux est passé de
0,2 ‰ en 2000 à 1,8 ‰ en 2010 (figure 3). Cependant,
aucune tendance ne s’est dégagée au cours de la
décennie pour diarrhées infectieuses. Le taux
d’hospitalisation a fluctué entre 2‰ en 2000 et 1,5 ‰
en 2010 (|r‘| = 0,02 ; P > 0,05).
DISCUSSION
Depuis 1950, la Tunisie a connu une transition
sociodémographique et épidémiologique avec une
régression de la part des maladies transmissibles et
l’accroissement de celle des maladies non transmissibles4. Plusieurs indices de cette transition (mortalité
infantile, espérance de vie à la naissance) sont connus.
Cependant, le profil des maladies et leur tendance
chronologique ne sont pas bien étudiés par manque
d’un système de surveillance dans les hôpitaux publics
et le secteur privé5.
Dans cette étude, les informations ont été
recueillies à partir du registre de surveillance de la
morbidité hospitalière implanté au niveau du SMPE du
C.H.U. de Monastir depuis l’année 1995. Ce registre
draine les hospitalisations des structures publiques de
la région et permet de suivre le profil épidémiologique
de la morbidité hospitalière et d’identifier les problèmes
de santé prioritaires.
199313. Une étude sur la morbidité hospitalière réalisée
au Canada en 1996-1997, a montré que les causes
d’hospitalisations les plus importantes ont été l’asthme,
les affections amygdaliennes et des végétations
adénoïdes14.
La pathologie infectieuse (BPA, diarrhées) et la
pathologie périnatale (DRNN) ont connu une nette
régression qui peut être expliquée par l’amélioration
des conditions socio-économiques et le développement
de la médecine. La Tunisie s’est engagée dans la
politique des soins de santé de première ligne et a
ciblé plusieurs maladies infectieuses par des
programmes nationaux (vaccination, prise en charge
intégrée de la mère et de l’enfant) qui ont eu un impact
sur la réduction de la mor talité et la morbidité
infantiles15.
Les résultats de cette étude ont montré un
changement dans le profil de la morbidité hospitalière
qui se rapproche de celui des pays industrialisés. Ces
résultats sont en rapport avec la transition épidémiologique et le progrès socio-économique que vit notre
pays. Ce profil de morbidité doit inciter les responsables
à orienter et cibler les efforts pour la maîtrise des
pathologies les plus prioritaires et rationnaliser
l’utilisation des ressources disponibles.
Conflits d’intérêt : néant.
Ce travail a montré que le taux d’hospitalisation
pédiatrique annuel a connu une tendance
statistiquement significative vers la hausse en passant
de 1,1 % en 2000 à 4,4 % en 2010. Cette augmentation
est probablement liée au développement de la situation
sanitaire et l’amélioration de l’offre de soins en Tunisie.
Nous avons enregistré une augmentation du
pourcentage des hospitalisations des enfants d’âge
scolaire et une diminution des hospitalisations des
nouveau-nés. Ceci pourrait être expliqué par le
développement du programme national de périnatalité
lancé en 1990 qui permet un suivi adéquat du couple
mère-enfant. Ces consultations permettent le dépistage
des pathologies chez le fœtus et sa prise en charge
périnatale. Actuellement, la consultation prénatale est
suivie par 93 % des femmes enceintes et l’accouchement se fait à 91 % des cas en milieu assisté6.
Les hospitalisations des enfants de sexe masculin
avaient représenté 64,8 % de toutes les admissions.
Ce constat a été rapporté à l’échelle internationale ;
certaines études ont avancé des raisons culturelles et
environnementales7,8 et des études récentes plaident
en faveur d’une fragilité intrinsèque des enfants de sexe
masculin9-11.
La répartition des entités morbides selon la
CIM-10 a révélé que les pathologies des appareils
digestif et respiratoire étaient au premier plan avec
respectivement 14,4 % et 14 % des cas. Ces résultats
se rapprochent de ceux des pays développés. En effet,
la pathologie respiratoire a dominé le tableau en Italie
avec 26,2 % des cas12 et au Canada avec 21,8 % en
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Correspondance et tirés à part :
S. EL MHAMDI
C.H.U. de Monastir
Service de Médecine Préventive et d’Epidémiologie
Avenue Farhat Hached
5000 Monastir
Tunisie
E-mail : [email protected]
Travail reçu le 13 février 2014 ; accepté dans sa version définitive
le 19 septembre 2014.
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