Synthèse Italie
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Synthèse Italie
Projet AQUADEP AQUADEP Soutenu par le programme Janvier 2012 coordonné par [email protected] Gestion de l’eau destinée à la consommation humaine : Réorganisation des services en Lombardie (Italie) G. Canneva Contact Guillem Canneva AgroParisTech 648 rue JF Breton – BP44494 34093 Montpellier cedex 5 [email protected] Le contexte de la réorganisation des services d’eau L’Italie dispose de ressources en eau importantes mais celles-ci sont très inégalement réparties. Au Nord, l’eau est relativement abondante, notamment avec les deux grands fleuves alpins, le Pô et l’Adige. Dans les régions centrales, les îles et le Sud, les ressources en eau sont plus limitées du fait du climat méditerranéen. La qualité de l’eau est généralement médiocre, notamment dans les rivières à proximité de grandes zones urbaines et industrielles, du fait d’un retard d’investissement dans le traitement des pollutions. Historiquement, ce sont les communes qui sont responsables de l’alimentation en eau potable des habitants, opérée par les services municipaux. Comme on le constate généralement en Europe, la répartition des ressources influe sur l’organisation des services : fragmentation au Nord, mise en commun des réseaux à une plus grande échelle au Sud [1]. En 1994, les services d’eau potable italiens étaient répartis entre plus de cinq mille opérateurs [2], dont une majorité de petites régies communales. Du fait d’un maintien du prix de l’eau très bas, la plupart d’entre eux ne possédaient que peu de moyens, leur capacité à se moderniser était quasi nulle, leur efficience, très faible. La loi 36/1994 (dite loi Galli) a alors lancé une grande réorganisation La réforme « Galli » La réforme consiste à définir des territoires de gestion optimaux (Ambito Territoriale Ottimale, ATO), sur lesquels une seule autorité (Autorità dell'ATO, AATO) serait compétente à la fois pour l’eau potable et pour l’assainissement (service de l’eau intégré). La réorganisation vise ainsi à créer des opérateurs bénéficiant d’économies d’échelle et à adopter le principe de recouvrement complet des coûts par un tarif unique sur la zone de l’ATO. La définition du périmètre et des modalités de fonctionnement des ATO revient aux Régions1. Une fois les périmètres établis, les communes et les provinces – équivalent italien du département – doivent désigner leurs représentants au sein de l’AATO et les communes transférer leurs infrastructures. L’AATO est alors chargée d’établir un état des lieux et un programme d’action (piano d’ambito), de choisir le mode de gestion et l’opérateur unique sur l’ATO. Dans la plupart des régions, le périmètre de la province a été retenu, du fait de sa préexistence. Toutefois certaines régions ont retenu des limites hydrographiques (Toscane) et d’autres, essentiellement dans le Sud, ont défini un ATO régional (Pouilles, Sardaigne par exemple). Compte tenu des très importants investissements à réaliser – environ 800 €/hab. [3] – et des prix de l’eau historiquement très faibles, la principale difficulté de mise en œuvre de la réforme est liée au financement et à la transition vers le recouvrement complet des coûts. La mise en œuvre de la réforme en Lombardie En Lombardie, la ressource en eau est abondante, tant dans la plaine alluviale du Pô que dans les grands lacs alpins. La gestion des services était essentiellement assurée par des communes, au travers d’entreprises publiques. La mise en œuvre de la réforme Galli en Lombardie a été très tardive : la loi régionale En Italie, la décentralisation est plus poussée qu’en France et les Régions mettent en œuvre des politiques nationales au travers de lois régionales. 1 Aquadep – Réorganisation des services d’eau en Lombardie (Italie) 1 AQUADEP des services d’eau afin de moderniser le système et lui permettre de se mettre en conformité avec les attentes européennes. janvier 2012 La gouvernance de l’eau destinée à la consommation humaine est soumise à des injonctions et transformations multiformes. Ces dernières questionnent le niveau territorial pertinent de pilotage et de mise en œuvre de cette politique, suscitent la recherche de formes de solidarité territoriale, conduisent à rapprocher la gestion de l’eau-ressource et celle de l’eau-service, et appellent enfin le déploiement d’outils de pilotage et d’évaluation de cette politique. Le projet AQUADEP, soutenu par le programme Eaux et Territoires (CNRS, MEEDDM, IRSTEA), se donne comme objectif d’étudier et d’accompagner les recompositions en cours à l’échelon départemental. Dans ce cadre, une analyse de l’évolution de l’organisation des services d’eau en Lombardie cherche à mettre en perspective les modalités d’articulation entre diverses échelles territoriales. Ce document présente une synthèse des résultats de l’enquête. Figure 2 : Schéma d’organisation des services en Région Lombardie Figure 1 : périmètre des ATO en Lombardie En 2006, face au retard important de mise en œuvre de la réforme, la Région a introduit un système original de gestion et d’accompagnement des AATO. Elle prévoit d’une part, une entité propriétaire des infrastructure, chargée de la gestion du patrimoine (il gestore) et d’autre part un opérateur du service, chargé de l’entretien et de l’exploitation du service (il erogatore). Pour pallier les difficultés de financement, la Région s’appuie sur sa société financière FinLombarda, qui crée un fonds régional, Public Utilities qu’elle garantit, afin de prêter de l’argent aux AATO et/ou aux gestionnaires d’infrastructure. Conjointement, la Région mobilise sa société d’ingénierie Cestec pour aider les AATO à établir des piani d’ambiti qui soient finançables (Figure 2). Ce modèle a été mis en œuvre dans l’ATO pilote de Pavie. Cependant, certains AATO marquent une opposition franche avec le modèle régional2 et conservent l’organisation classique prévue par le cadre national (ATO de Brescia), à savoir la délégation à un opérateur de l’ensemble du service, y compris des nouveaux investissements et de la gestion patrimoniale. Ce modèle a également été remis en cause à l’échelle nationale, la cour constitutionnelle ayant déclaré fin 2009 que la distinction gestore/erogatore était illégale. Depuis, la future organisation demeure incertaine. Mises en perspective avec le cas français La réorganisation des services d’eau en Italie offre quelques points de comparaison avec la gouvernance de l’eau destinée à la consommation humaine en France. - L’organisation en ATO a dissocié dans la région de Milan, le service d’eau de la commune de Milan, du reste de la Province. Cette situation peut être mise en parallèle de certaines organisations à l’échelle départementale où la ville-centre (ou l’agglomération-centre) reste autonome par rapport au reste du territoire (cf. département du Cantal). Cette autonomie peut s’expliquer par plusieurs facteurs. D’une part, la commune de Milan dispose sur son territoire des ressources en eau nécessaires à son approvisionnement. Conjointement, les communes autour de Milan s’étaient déjà organisées en intercommunalités pour gérer les services d’eau et d’assainissement. En outre, le service d’eau à Milan a un prix très faible. Le regroupement sous un seul ATO aurait signifié à terme une augmentation importante du prix de l’eau que les élus de la ville-centre ont préféré éviter. Les conséquences sont d’une part une solidarité territoriale limitée et des transferts d’eau pour l’ATO Provincia de Milano qui contournent Milan. - Sans que cela corresponde à une opposition politique claire. 2 la ville-centre autonome la région comme chef de file, face à un « emparement » local contrasté Aquadep – Réorganisation des services d’eau en Lombardie (Italie) 2 janvier 2012 AQUADEP de 2003 a calqué le périmètre des ATO sur celui des provinces, à l’exception de la province de Milan (qui regroupe la ville de Milan et des villes de sa périphérie), qui a été scindée entre l’ATO Citta di Milano (ne concernant que la commune de Milan) et l’ATO Provincia de Milano (regroupant toutes les autres communes de la Région) (figure 1). - des outils génériques et spécifiques Il est particulièrement intéressant de noter que les outils mobilisés par la réforme Galli en général et par la Région Lombardie présentent des similarités avec ceux mobilisés en France. D’une part les piani d’ambito peuvent être considérés comme des schémas directeurs, couvrant à la fois l’alimentation en eau potable et l’assainissement. Ils identifient les points faibles du système, les non-conformités, les investissements à réaliser (interconnexions, traitements, etc.) pour améliorer les services d’eau. D’autre part, la région mobilise des financements (par le fonds Public Utilities), conditionnés à la mise en œuvre du processus prévu dans la loi régionale. - les référentiels mobilisés : le paradigme de la rationalisation prédomine A l’échelle des provinces, la mise en œuvre de la réforme Galli conduit à une rationalisation de l’existant, la fermeture de captages pollués et les interconnexions avec des ressources de meilleure qualité. Les AATO ne portent, ni même n’envisagent d’action de reconquête de la qualité. Ce domaine reste dévolu aux autorités responsables de l’environnement – ARPA à un niveau régional – sans être explicitement relié aux usages futurs de l’eau. Les AATO se focalisent sur les enjeux de gestion du service, et plus particulièrement sur leur rationalisation à une échelle plus importante que celle qui préexistait. Même si l’échelon provincial en Italie est responsable de quelques compétences (planification territoriale, police et gestion des routes secondaires), il est bien moins étendu que celui des Conseils Généraux français. Plombée par le fardeau financier de la mise à niveau des services d’eau, la gestion reste très sectorielle et en tous les cas, apparaît déconnectée d’une approche environnementale. Enfin nous pouvons souligner l’impact de l’instabilité réglementaire dans la mise en œuvre de la réorganisation des services d’eau en Italie. Face à des cadres contradictoires et des directives nationales floues et changeantes, la mise en œuvre complète de la réforme a été particulièrement retardée et reste incertaine. Bibliographie [1]. Breuil L., Canneva G., Garcia S., 2004. Chapter 6: Country Report Italy. In : Water liberalization scenarios. UCL, pp. 65-104. [2]. Citroni G., Giannelli N., Lippi A., Profetti S., 2007. « Qui gouverne les services publics locaux ? » Des configurations variables entre secteurs public et privé dans le cas du service public de l’eau en Italie. Politiques et management public, 25 (3), pp. 151-167. [3]. CONVIRI, 2009. Relazione annuale al Parlamento sullo stato dei servizi idrici - Anno 2009. p. 123. Synthèse et perspectives La mise en œuvre de la réforme Galli est un exemple de réorganisation territoriale pilotée par le haut, même si les Régions ont tenu compte des structures existantes pour définir le périmètre des ATO. Elles se sont largement appuyées sur les provinces qui ont fourni très souvent le périmètre, des fonctionnaires et des élus. Cette réorganisation, pour longue qu’elle Aquadep – Réorganisation des services d’eau en Lombardie (Italie) 3 AQUADEP soit à mettre en œuvre, aboutit à certaines évolutions sensibles des services. Les piani d’ambito prévoient des interconnexions au sein des ATO afin de distribuer les ressources de qualité en fonction des besoins. En outre, l’harmonisation de la tarification au sein d’un territoire commence à augurer d’une solidarité territoriale. Néanmoins nous pouvons constater que jusqu’à présent, la solidarité reposait sur des transferts locaux, sur une base fiscale, le prix de l’eau ne couvrant qu’une partie des coûts. janvier 2012 Comme certains départements français, la Région s’est mobilisée pour faire face à l’immobilisme des services d’eau face aux réorganisations attendues. Le fardeau financier ayant été identifié comme le facteur limitant de l’évolution des services, elle a mis en place un dispositif original afin que les AATO accèdent à des prêts à des taux intéressant pour financer les piani d’ambito. En outre, elle accompagne les AATO dans la définition des plans, dans l’analyse de leur faisabilité et dans leur financement. Elle se place donc dans une attitude de « chef de file », qui impulse la réforme, l’accompagne pour in fine la transférer aux AATO, séquence qu’on retrouve dans l’exemple de plusieurs départements français.