Chatroulette tourne encore - Clarence Edgard-Rosa

Transcription

Chatroulette tourne encore - Clarence Edgard-Rosa
0123
CONNEXIONS
L U N D I 2 M A I 20 1 6
Chatroulette
tourne encore
LES 3 MOMENTS
LES PLUS DINGUES
DE CHATROULETTE
Disparu des radars, le site sur lequel les
rencontres doivent tout au hasard a gommé
son côté trash et conservé ses accros.
Des célibataires dont il brise la solitude
> CONCERT
À LA DEMANDE
En 2010, lors d’un
concert dans une salle
comble, le chanteur Ben
Folds s’est connecté au
site et a improvisé une
chanson à propos de
chaque personne avec
qui Chatroulette le
mettait en contact.
Clarence Edgard-Rosa
C’
est un nom qui semble tout droit
sorti des tréfonds du Web, un
dinosaure de la rencontre en ligne,
un ancêtre de la drague face
caméra : Chatroulette. Le site de
vidéoconférence par webcam
interposée, qui sélectionne pour vous de façon aléa­
toire des correspondants dans le monde entier, bouge
toujours. On le croyait disparu, après un succès plané­
taire au moment de sa création par un ado russe,
en 2009, lorsque, à tout moment du jour et de la nuit,
Chatroulette comptait 50 000 visiteurs, dont 15 % en
France. Malgré son interface ringarde, malgré l’émer­
gence des « cam girls » (ces femmes qui se dénudent
devant leur webcam contre
rémunération par le voyeur),
Chatroulette attire toujours
des visiteurs. Combien, exac­
tement ? Impossible de le
savoir : le site n’a pas répondu
à nos sollicitations.
Martin (les prénoms
ont été modifiés), 32 ans,
employé d’un centre d’appels
à Lyon, s’y rend tous les jours,
ou presque. Il faut échanger
un bon moment avec ce petit
brun à l’air penaud avant qu’il
confie pourquoi le site fait partie de ses favoris : tous
ses amis ont les uns après les autres rejoint l’heureux
club des parents, et ce célibataire s’est trouvé en tel
décalage qu’il a fini par ne plus les côtoyer du tout.
Pendant ses huit heures quotidiennes au bureau, il
échange avec des dizaines de personnes mais n’a
aucune affinité avec ses collègues et personne à voir
en dehors de ce cercle. En France, en 2014, cinq mil­
lions de Français, soit un sur huit, affirmaient comme
Martin souffrir de solitude – c’est­à­dire n’avoir
aucune relation sociale, qu’elle soit familiale, amicale
ou de voisinage. « Je rentre chez moi à 20 heures. Bien
souvent, je n’ai eu aucune interaction, en dehors des
appels, mais ça, c’est mon boulot. Alors c’est con, c’est
un peu honteux, mais, si je rencontre une personne sur
Chatroulette avec qui je parle pendant vingt minutes,
ça rend ma journée un peu plus sympa. »
A quelques mégabits de là, un homme, la
quarantaine, barbe grisonnante et cheveu ras, en
train d’engloutir ce qui semble être un plat de pâtes
éclairé par un écran de télé. Il ne regarde même pas
son ordinateur. A la réception du premier message, il
coupe le son de la télévision et rapproche la webcam
de son grand sourire. Stanislas, qui vit à Madrid,
confie que le site fait quasiment partie de ses meu­
bles. Il vit devant. Ingénieur en informatique, il tra­
vaille chez lui et voit peu de monde. Il s’est habitué à
cette présence continuelle. « Comme ça, il y a tout le
temps quelqu’un chez moi, lance­t­il, en riant. Quand
c’est quelqu’un de sympa, ça me fait une pause. Je dis­
cute un peu, et puis je m’y remets. Ce n’est pas facile de
travailler chez soi, on est isolé. »
La suite est une succession d’érections face
caméra. Difficile d’y échapper: il reste des traces de l’uti­
lisation première du site à son lancement. Son jeune
créateur, Andrey Ternovskiy, a néanmoins mis en place
en 2011 un système redirigeant automatiquement vers
des sites pornographiques partenaires les utilisateurs
ne montrant d’eux­mêmes que
leurs parties intimes. L’auto­
mate est imparfait, mais la pro­
portion de « pop­up­pénis » a
bien diminué.
La sélection aléatoire
nous dépose ensuite dans
l’appartement de Lana, 26 ans,
localisée à Santa Fe (Etats­
Unis). Ce sera la seule femme
sur notre écran en plusieurs
heures de connexion. Elle a les
cheveux longs, un maquillage
précis, un regard un peu blasé,
se tient bien droite devant son écran. Elle vient de
temps en temps, dit­elle, pour tromper l’ennui. « J’ar­
rête les échanges assez rapidement. Je ne reste pas plus
de quinze minutes. Après, ça devient bizarre, j’ai l’im­
pression que c’est réel, ça m’angoisse un peu », expli­
que­t­elle. Une heure passée ici, c’est pour elle une suc­
cession de compliments sur son physique, de valida­
tions de la gent masculine. « Je ne suis pas une
personne très sociable. J’imagine que, si c’était le cas, je
verrais des amis, mais j’en ai peu. Quand je me sens mal
dans ma peau, ça me fait l’effet d’un shot de confiance
en soi. Comme les “like” sur une photo. Je prends. Après,
je reviens à la vraie vie. »
Lana appuie sur la touche F2 (« next »). C’est le
visage de Maurice qui remplace le sien sur notre écran.
Il est retraité, vit seul près de Bordeaux. Il aurait préféré
que la « roulette russe » le fasse tomber sur Lana : ce
sont les frissons que Maurice cherche ici. « J’aime bien
voir de belles jeunes femmes, je peux leur parler, alors
que, dans la rue, ce n’est plus de mon âge. Parfois, elles
me parlent, je me sens privilégié, même si on ne se
raconte pas grand­chose au final. Mais ça n’arriverait
jamais dans la vraie vie. Et puis bon, ça me fait sortir un
peu de mon quotidien de vieux. »
5
> CHACUN SON CLIP
En 2013, le comédien
américain Steve
Kardynal a offert à tous
ses partenaires de
discussion une reconstitution live du clip de
Wrecking Ball, de Miley
Cyrus… boule de
démolition et slip blanc
inclus !
> TOUS HÉROS !
En 2015, une boîte de
production a mis en
scène sur le site un jeu
vidéo de zombies – joué
par de (vrais) acteurs
dans un décor post-apocalyptique –, dont les
internautes pouvaient
devenir le héros.
ARNAUD MEYER/PICTURETANK
«C’est con,
un peu honteux,
mais ça rend
ma journée un
peu plus sympa»
On atterrit enfin dans la chambre de Will, étu­
diant en droit à Londres. Il y a des bouquins partout et,
au milieu, un grand jeune homme au visage poupin,
svelte et perdu dans un tee­shirt trop large. Il est là très
souvent. « J’ai une phobie sociale, confie­t­il. Interagir
avec des gens me donne des angoisses. Je sors de chez moi
seulement quand je dois impérativement être en cours,
donc rarement, parce que je me suis débrouillé pour faire
le plus gros à distance.» Les inconnus qui défilent sur
son écran sont autant d’occasions de défier sa peur. Il
parle à chacun de son problème et reçoit souvent du
soutien, des conseils. «J’ai 523 amis sur Facebook mais, si
je dois aller au supermarché acheter du dentifrice, je suis
pris d’une peur panique. C’est quand même un drôle de
truc. » Un peu comme ce drôle de site, concentré de
notre mélancolie contemporaine.
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DR
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