Festival de musique de chambre à Pornic du 24 au 26 octobre 2014
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Festival de musique de chambre à Pornic du 24 au 26 octobre 2014
Festival de musique de chambre à Pornic du 24 au 26 octobre 2014 : Jean-François ZYGEL, Marielle NORDMANN, Raphaël PIDOUX, TRIO ELÉGIAQUE, Ji YOON PARK, Helen KEARNS, Jérémie PASQUIER, Jean-Olivier BACQUET, Fabien RUIZ, Pierre GÉNISSON, Claire MICHELET et les étudiants artistes du Pont Supérieur de Rennes Bretagne-Pays de la Loire et de Conservatoires de la région Troisième édition du FESTIVAL PORNIC CLASSIC : une scène offerte à la fois à des artistes internationaux et à de jeunes étudiants interprètes, ce qui n’est pas si fréquent, et qui vise à rendre la musique accessible à tous. En début de concert, la présentation des œuvres par Olivier LÉGERET, avec le concours des interprètes, accompagne le public dans sa compréhension et son écoute. La formule est plébiscitée, et le public était au rendez-vous ce week-end pour les concerts à l’Espace du Val Saint-Martin et les Master classes à la Chapelle de l’Hôpital. Cette année, François DUMONT et ses amis du TRIO ELÉGIAQUE ont donné carte blanche pour une soirée à Marielle NORDMANN, notre grande harpiste française, qui fut l’élève de Lily LASKINE. Pour le concert de clôture, ils ont réinvité Jean-François ZYGEL, artiste aux talents multiples : compositeur, pianiste, improvisateur, pédagogue et animateur d’émissions télévisées. Les trois jours ont réuni pour cinq concerts 14 artistes à la carrière internationale et 8 artistes étudiants. Les Master classes : harpe avec Marielle NORDMANN, le 24 octobre, et duos violoncelle-piano avec Raphaël PIDOUX, le 25 octobre Une master classe en public n’est pas un cours, c’est une rencontre entre un jeune artiste, un maître et un public. C’est un temps d’apprentissage et d’enseignement, qui va au-delà des questions techniques et des choix d’interprétation, pour s’interroger sur le corps, les émotions, la compréhension d’une œuvre musicale, le devenir du musicien, la carrière musicale. C’est aussi un spectacle, qui prend le public à témoin. Marielle NORDMANN n’a eu qu’un professeur, la grande Lily LASKINE, qui l’a « élevée », au sens propre du terme, et fait d’elle sa disciple, comme elle nous l’a confié. Aujourd’hui, il en va différemment : dialoguant d’un enseignant à un autre, l’élève « grappille » ce qu’il trouve de mieux. L’horizon est plus vaste, mais le risque d’uniformisation plus grand… Elle se veut rassurante aussi, vis-à-vis des jeunes étudiants qui ont peur en jouant : « Mais que peut-il arriver d’épouvantable quand on joue ? Ces peurs empêchent d’avancer… En général, on a peur pour son petit ego ! L’important est de faire de son mieux et d’identifier précisément la difficulté pour pouvoir la dépasser ! ». Et les difficultés sont nombreuses, comme le dit Marielle NORDMANN, « avec cet instrument enquiquinant et complexe, sorte de piano vertical dont les notes ne sont pas à disposition » (d’ailleurs Harpo Marx, le bien nommé, mettait un piano debout pour en jouer, à défaut de harpe !). Le lendemain, Raphaël PIDOUX, violoncelle du TRIO WANDERER, se réfère lui aussi à ce que lui a appris Janos STARKER, son maître hongrois. Lors de sa Master classe avec trois duos d’étudiants au violoncelle et au piano, il encourage à ne pas rester sur la défensive pour jouer avec plus de panache, à ne pas jouer de manière automatique. « Il y a toujours un geste technique et ensuite il y a la musique, pas l’inverse. Si on ne réfléchit pas 1 à comment on joue, le moindre grain de sable peut tout mettre par terre. On le voit bien avec les enfants prodiges ! Il ne vaut mieux pas être un enfant prodige ! » L’humour n’est jamais loin dans une master classe avec un virtuose pédagogue, manière de désamorcer le stress. Auprès de leurs aînés, les étudiants apprennent à travailler l’articulation, comme un comédien, pour être compris du public, à penser aussi avec leur corps : « plus on est détendu, malgré le poids de la harpe et la position en déséquilibre, plus on laisse passer les sentiments ! »… « Un archet ne pèse que 80g, inutile de le serrer ! Le vibrato au violoncelle, c’est un muscle de l’épaule ! » Le public était à nouveau au rendez-vous dimanche matin à la Chapelle, pour écouter les artistes étudiants du Pont Supérieur de Rennes et des conservatoires de la région, mais cette fois-ci en concert, dans les œuvres qu’ils avaient travaillées avec leur maître : Alina TRAINE, Marie LE GUERN et Marie CONAN à la harpe ; Ambre TAMAGNA, Amicie GANVERT et Thomas DUFOND au violoncelle ; Jeanne CHEVALLIER, Mitchka SAFAVI et Mathieu BRÉCHET au piano. Concert d’ouverture vendredi 24 octobre : musique française avec FAURÉ, DEBUSSY, RAVEL et CHAUSSON Les œuvres sont présentées en début de concert par Olivier LÉGERET, chef d’orchestre et musicologue, avec la participation des interprètes qui se prêtent au jeu des extraits musicaux venant ponctuer les informations et les anecdotes sur le compositeur, l’histoire de l’œuvre ou telle phrase musicale originale. Avec talent et sans pédantisme, en quelques mots, Olivier LÉGERET sait rendre la musique plus familière, même si elle peut aussi nous surprendre. Raphaël PIDOUX au violoncelle et François DUMONT au piano ouvrent le concert avec la belle Elégie de FAURÉ, simple et émouvante, et la sonate de DEBUSSY, une des dernières œuvres qu’il a écrites, donnant la part belle au violoncelle et ses accents de guitare et de mandoline, dans une évocation sarcastique et passionnée du Pierrot lunaire de la commedia dell’arte. François DUMONT est rejoint par ses amis DU TRIO ELÉGIAQUE, Virginie CONSTANT au violoncelle et Julien SZULMAN au violon, pour jouer le Trio de RAVEL, évocation croisée des rythmes du Pays Basque cher à son cœur et d’une forme de poésie orientale qui lui donne un caractère féérique. Certains cinéphiles auront reconnu dans le premier mouvement la bande son du film « Un cœur en hiver », de Claude SAUTET. Après l’entracte, le Concert en ré majeur de FAURÉ réunit le TRIO ELÉGIAQUE, Ji Yoon PARK et Claire MICHELET au violon, Jérémie PASQUIER à l’alto. Poursuite du rêve évoquant la musique sicilienne, c’est une œuvre passionnée, tragique, mais pleine d’énergie, magnifiquement servie par les interprètes et tout particulièrement Julien SZULMAN, premier violon. 2 Concert carte blanche à Marielle NORDMANN Ce samedi 25 octobre devait être une soirée pleine de surprises, concoctée par Marielle NORDMANN. Mais un incident sur le système d'alarme incendie empêcha le concert de se tenir comme prévu après la présentation du programme par Olivier LÉGERET. La salle ayant été sécurisée pendant la nuit, la plupart des mélomanes de la veille étaient présents dimanche matin au Val Saint-Martin pour ce concert que les artistes ont bien voulu reporter. Et les (bonnes) surprises étaient au rendez-vous, avec un programme ludique, du classique au contemporain, d’oeuvres originales aux transcriptions réalisées par Marielle NORDMANN, de la harpe seule aux duos et à l’orchestre de chambre ! Le voyage commença avec la célèbre chaconne en ut de HAENDEL et le concerto en ré mineur de VIVALDI : harpe et quatuor à cordes nous ont donné une palette d’émotions. Très beau Nocturne de Bellini, tout en respirations, en duo avec Jérémie PASQUIER à l’alto. Duo romantique ensuite avec François DUMONT au piano pour trois lieder de Schubert, en avant-goût de l’après-midi, et une oeuvre du compositeur espagnol TURINA, comme une invitation à la danse… Avant la danse elle-même, Marielle NORDMANN invite Pierre GÉNISSON, pour un duo imprévu harpe-clarinette : la romance de Pauline dans la Dame de Pique de TCHAIKOWSKI, sombre et douloureuse. Vint ensuite le moment le plus original de ce concert : un duo harpe et claquettes, avec Fabien RUIZ, danseur et musicien. Les claquettes évoquent aussitôt la comédie musicale américaine et la danse : Fabien RUIZ a formé Jean DUJARDIN aux claquettes pour le film « The Artist ». Mais il nous a fait découvrir que le danseur de claquettes peut être aussi un musicien, un percussionniste capable d’interpréter des œuvres classiques, avec une dizaine de façons de frapper le sol et leurs multiples combinaisons, au côté de grands virtuoses comme Yehudi MENUHIN et, aujourd’hui, Marielle NORDMANN, au service de la musique espagnole d’ALBENIZ et de MALATS… Retour de Marielle NORDMANN seule, pour un chant sublime où la harpe « relie la terre au ciel par sa verticalité », oscillant entre la lumière et la pénombre, entre les déséquilibres de l’âme et la sérénité. Le silence qui suivit était encore un moment de partage avec l’interprète, avant les applaudissements. Pour terminer ce programme, la harpe et le quatuor à cordes se retrouvèrent dans des Carols de BRITTEN, introduits par un solo de clarinette de Pierre GÉNISSON. Composés pour chœur d’enfants à trois voix, solistes et harpe, ces chants de Noël permettent à chaque musicien une expression personnelle. Le public était enthousiaste et reconnaissant. Les rappels se terminèrent par un cake-walk, cette danse populaire inventée par les esclaves de Virginie et reprise par le ragtime, avec tous les artistes prenant chacun leur tour pour de petits solos, comme dans un concert de jazz. Concerts en hommage à SCHUBERT dimanche après-midi Après-midi consacrée à SCHUBERT, donc, un peu dans l’esprit des Schubertiades, ces moments informels où les musiciens se retrouvaient entre amis pour jouer de la musique, boire et plaisanter. 3 A 15h, le premier concert a réuni tout d’abord Helen KEARNS, soprano, avec François DUMONT au piano et Pierre GÉNISSON à la clarinette. Dans la production prolifique de SCHUBERT malgré sa courte vie, ils avaient choisi le lied « Le Pâtre sur le rocher », dernière œuvre qu’il ait achevée. Cette forme de mélodie allemande que le compositeur a particulièrement magnifiée est un chant d’origine populaire pour une voix et un piano, avec quelquefois un autre instrument en plus, et qui évoque toujours la nature, le voyage, la nuit et, bien sûr, l’amour. Magnifique dialogue tout au long du poème entre la voix chaleureuse et touchante d’Helen KEARNS et le jeu subtil de Pierre GÉNISSON, souligné par l’accompagnement de François DUMONT au piano, pour traduire la solitude du berger juché sur la montagne, sa tristesse, avant l’espoir lié au retour du printemps : Ce chant résonnait avec tant de nostalgie Dans la forêt nocturne, Qu'il élevait les coeurs vers le ciel, D'un pouvoir merveilleux. Bientôt ce sera le printemps. Le printemps, mon espoir. Il me faut maintenant M'apprêter à partir. Pour le célèbre Quintette en la majeur « La Truite », le TRIO ELÉGIAQUE - François DUMONT au piano, Julien SZULMAN au violon, Virginie CONSTANT au violoncelle - était accompagné de Jérémie PASQUIER à l’alto et de Jean-Olivier BACQUET à la contrebasse. Schubert a composé ce quintette à 22 ans, en remplaçant l’un des violons habituels par une contrebasse et en donnant une part très importante au violoncelle, pour satisfaire un violoncelliste de ses amis. Helen KEARNS est venue nous chanter le lied que SCHUBERT avait composé trois ans plus tôt sur un poème de …SCHUBART (fils de vicaire et anticlérical) intitulé « La Truite » et qu’il a repris dans le quintette pour évoquer les apparitions du poisson dans le courant et à la surface de la rivière. Les interprètes, avec une musicalité et une virtuosité exceptionnelles, ont su nous communiquer la gaité, l’élégance, le caractère festif et l’énergie de cette œuvre, où chacun chante le thème tour à tour, et le reprend dans des variations à plusieurs : piano cristallin ou douloureux, violon exubérant ou léger, douceur de l’alto, lyrisme du violoncelle, contrebasse ironique. Souvenirs de moments heureux, ode à la nature, rappel de danses populaires… A 18h, concert de clôture avec Jean-François ZYGEL pour un hommage à SCHUBERT. Présent l’an dernier à PORNIC CLASSIC, Jean-François ZYGEL a différé un voyage en Amérique du Sud pour revenir cette année. On affichait complet, même en ayant rajouté plusieurs rangées de sièges pour satisfaire le public. Compositeur spécialiste de l’improvisation, il nous a rappelé qu’au 18 ème siècle, les concerts d’improvisation avaient un grand succès et que la plupart des grands compositeurs improvisaient, sauf SCHUBERT, justement : le public n’aimait pas entendre des oeuvres qu’il connaissait déjà. Evidement, improviser présente quelques avantages : pas de trou de mémoire, pas de fausses notes ! Mais c’est un art difficile, que redoutent bien des interprètes, et auquel PORNIC CLASSIC est un des rares festivals à faire une place. Jean-François ZYGEL improvise sur plusieurs thèmes de SCHUBERT (sont-ils tous de ce compositeur ? difficile à 4 savoir tant la production de SCHUBERT est abondante !) : impromptu, mouvement lent d’un trio, marche funèbre, mais c’est une musique « consolatrice », d’après son interprète, parce que c’est « de la tristesse de musique, pas de la tristesse dans la vie ». Il se demande ce que serait devenu SCHUBERT à l’ère du Prozac : aurait-il composé ainsi ? C’était un romantique triste, qui chantait le chagrin en voulant chanter l’amour. Mais il a aussi écrit beaucoup de musiques joyeuses, des marches militaires glorieuses et des danses inspirées de musiques populaires de Hongrie et des Iles Britanniques, que Jean-François ZYGEL se fait un plaisir de mixer dans une nouvelle improvisation. Puis retentit dans le public une sonnerie de téléphone portable, en la bémol majeur ( !), qui devient le thème de l’improvisation suivante. Comme l’an dernier, Jean-François ZYGEL est revenu avec le souvenir de sa grand-mère et la mélodie qu’elle chantait sans savoir qu’elle était de SCHUBERT. En improvisant sur le début de la symphonie inachevée, il nous invite à une leçon de liberté devant une œuvre : « liberté de l’interprète, liberté de l’auditeur qui rêve, s’endort peut-être pendant la musique, mais peu importe, s’il se réveille au paradis en l’écoutant ». Chaleureusement applaudi, Jean-François ZYGEL invite François DUMONT pour une improvisation à quatre mains sur le thème de La Truite, avec accompagnement du public. Et pour terminer vraiment, toujours avec humour, il n’a pu refreiner, comme l’an dernier, l’arrivée de ces scies musicales des pianistes débutants : la Lettre à Elise de BEETHOVEN, la chanson enfantine « Ah vous dirai-je maman » popularisée par MOZART… On revient toujours à son enfance ! Belles rencontres pour cette 3ème édition de PORNIC CLASSIC, toujours empreintes de convivialité et de simplicité, avec une haute exigence de qualité. Comme l’a souligné JEAN-FRANÇOIS ZYGEL, les festivals sont le chœur de la musique classique en France et ils existent grâce aux bénévoles qui assurent une grande partie de l’organisation et de l’accueil des musiciens. Merci aux membres de l'Association PORNIC CLASSIC! Le traditionnel pot de l’amitié offert par la Ville de Pornic réunit les artistes et le public pour se dire le plaisir partagé pendant ces trois jours. Ce n’était qu’un au revoir, puisque Jean-Michel BRARD, le Maire de Pornic, présent tout au long du festival, a confirmé le soutien municipal à la prochaine édition de PORNIC CLASSIC, événement majeur, désormais, de la saison culturelle de Pornic. Et je crois savoir que François DUMONT a déjà commencé à réfléchir au programme de 2015 avec Jean-Pierre JACQUIN, le président de l’association… D’ici 2015, la saison des Concertinos reprend le 22 novembre à 19h à la Chapelle de l’Hôpital pour un voyage en Espagne avec Cécile et Michel GRIZARD, duo violoncelle et guitare, et la danseuse Hélène CUETO, dans un programme DE FALLA, ALBENIZ. Et, ensuite, jusqu’en juin 2015 : le violoniste Stéphane TRAN NGOC (Grand Prix au concours Long-Thibaud), le trompettiste Romain LELEU (Victoire de la musique 2009), le QUATUOR TALICH de PRAGUE, le retour du pianiste François-René DUCHÂBLE avec l’acteur Alain CARRÉ qui nous conteront « l’histoire de ma vie de BERLIOZ » et le magnifique STABAT MATER de PERGOLÈSE et d’autres œuvres baroques avec Helen KEARNS (soprano), Robert EXPERT (contre-alto) et l’ENSEMBLE STRADIVARIA. Laissons le dernier mot à Marielle NORDMANN : « Un musicien doit « accrocher le cœur » et faire vibrer son public. Son message se doit d’être fort et clair. Sans émotion la musique se réduit à des mathématiques sonores ou à des exploits sportifs. Dans cet océan perturbé au sein duquel l’Homme vit actuellement, puisse la musique apporter un message de joie, de paix et d’amour. » Agnès Florin, Professeur à l'Université de Nantes 5