1 Ouvrage “RUINES” de Erwan SEZNEC. Mis à disposition

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1 Ouvrage “RUINES” de Erwan SEZNEC. Mis à disposition
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Ouvrage “RUINES” de Erwan SEZNEC. Mis à disposition gracieusement par son auteur aux
adhérents de la FNAPRT
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La FNAPRT tient à exprimer toute sa gratitude à M. Erwan SEZNEC
pour le travail considérable qu’il a réalisé et pour sa générosité.
Nous espérons que ce livre, très complet, édifiant, accessible au plus
grand nombre soit lu et diffusé largement auprès de tous ceux qui
ont déjà investi, ceux qui s’apprêtent le faire, ceux qui de près ou de
loin côtoient ce système qui fait des ravages chaque jour et ruine des
familles par centaines.
Nous vous souhaitons une bonne lecture.
La FNAPRT
Quelques mots sur l’auteur :
Erwan Seznec est journaliste économique, il travaille à Que choisir. ll
est l'auteur d'une enquête sur les dérives des centrales
syndicales Syndicats, grands discours et petites combines (Hachette,
2006) et d'une enquête sur les escroqueries de la bulle immobilière
des années 2000, Robien... Scellier... Ruinés (Le Seuil, 2013)
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Introduction
C'était sans risque
Ils n'avaient rien demandé à personne. Et puis un jour, le téléphone
a sonné. Un professionnel leur proposait de payer moins d'impôt, en
toute légalité. C'était du solide, de l'investissement dans la pierre,
encadré par l'État, bordé, fiable, sûr. On construit seulement là où il y
a des besoins. Vous achetez, vous louez, vous déclarez, le fisc déduit.
Quelques sous de côtés mais pas tout à fait assez ? Aucun problème, la
banque partenaire est là, c'est d'accord pour le prêt, même pas la peine
de prendre rendez-vous. Inutile d'aussi d'aller visiter la ville où se
trouvera l'appartement. Ce n'est pas un achat « coup de cœur ».
Investissez, ne vous impliquez pas. Vous ne verrez jamais le locataire,
le gestionnaire s'occupera de tout. Les loyers tomberont. La demande
est là. Avec le bénéfice de la défiscalisation, 150 euros d'économie par
mois, pas davantage et dans dix ans, vous êtes propriétaire. Sans
effort, sans y penser. Sans s'en être aperçu. Revente, plus-value. Un
coup fumant. Et sans risque.
C'est ainsi qu'a été vendue la résidence Billie Holiday de Berriac,
dans l'Aude, à quelques kilomètres de Carcassonne. Elle a été
inaugurée par le groupe Akerys fin 2006. Et depuis, elle est vide. Près
de 80 logements, appartements et petites maisons, places de parking et
boxes fermés, clôture, portail automatique à l'entrée. Début 2013, le
portail était en panne depuis plus de deux ans. Une boîte aux lettres
sur cinq avait sa porte arrachée ou pendant sur ses gonds. Dans l'allée
centrale, une meute de chiens de toutes tailles. Les plus petits aboient
frénétiquement, les plus grands, faméliques, reniflent le visiteur. Un
box a été transformé en atelier de désossage de voitures et de
récupération de métaux. La porte du box voisin ne marchera plus
jamais : quelqu'un a tenté de la forcer. Quelques maisons sont
condamnées, leurs portes et leurs fenêtres aveuglées par des panneaux
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de bois solidement fixées. Plusieurs serrures gardent les traces
d'assauts maladroits mais musclés. Les lauriers roses ont piteuses
mines, la boue a pris le pas sur l'herbe dans les plates-bandes, une
mousse verdâtre envahit les terrasses où l'eau stagne. Le voisin d'à
côté a construit à la va-vite un mur de parpaing de près de 2 mètres
pour s'isoler.
Aucun candidat à la location, solvable et en possession de toutes
ses facultés mentales, ne se donnerait la peine, non pas de visiter un
des logements, mais seulement de descendre de son véhicule. Les
logements de la résidence Billie Holiday sont rigoureusement
inlouables.
Une voiture arrive et se gare. Une femme toute menue en descend,
un bonnet de couleur sur la tête. Une occupante ?
« Ah non! Je suis chargée du ménage des parties communes. Déjà
que mes copines me disent que je suis folle de travailler ici, alors y
vivre...
- Et c'est vide comme ça depuis longtemps ?
- Depuis toujours. Depuis l'ouverture, il y a six ans. Vous voulez
visiter ? »
Les produits et le matériel d'entretien sont stockés dans un des
appartements inoccupés du rez-de-chaussée. Les stores automatiques
sont baissés. « On a été obligé, explique Nadide1. On nous volait tout,
dans le local. Vous avez dû le voir, tout en bas, au fond, là où il y a
des tags et le bitume défoncé. Non ? Je vais vous montrer... » Une
porte donnant sur l'allée s'ouvre, une jeune femme en jogging rappelle
un des yorkshires qui s'époumone sur nos talons. « Les gitans, énonce
calmement la femme de ménage. Ils occupent quatre ou cinq
logements en ce moment. Avant, on avait sept ou huit familles. »
Aux abois, confronté à des propriétaires furieux de voir que leurs
biens ne se louaient pas, le gestionnaire de la résidence a accepté à une
époque des occupants qui, comme on dit, ne présentaient pas toutes
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Le prénom a été changé.
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les garanties de solvabilité et d'urbanité généralement associées à
l'image du locataire idéal. La communauté gitane est assez importante
autour de Carcassonne, comme dans beaucoup de villes du Sud-Ouest.
Même les plus farouches partisans du « politiquement correct »
admettent qu'ils ne constituent pas, en général, des voisins de tout
repos et que leur rapport à la propriété privée est parfois un peu
« décalé ». Bref, les gitans, c'est non. « Quand on aura réussi à les
faire partir, poursuit Nadine, peut-être que Billie Holiday repartira. A
Nina Simone, par exemple, ça va mieux, depuis quelques temps. »
Nina Simone est l'autre résidence construite à Berriac par le groupe
Akerys. La situation y est effectivement meilleure, puisqu'elle est vide
seulement… au deux tiers. Marc vient voir sa compagne. Elle est la
seule occupante d'un bâtiment de 24 logements. « Ils sont trois dans
celui d'à côté, qui fait la même taille », explique-t-il. « Et c'est comme
ça depuis des années. » Marc n'est guère convaincu par la qualité du
logement. « Les courants d'air passent par les prises, sous les fenêtres,
il faut mettre du ruban adhésif... La toiture fuit... Et puis c'est cher. »
Un T2 se loue 450 euros à la résidence Nina Simone. Akerys
promettait plutôt 600 euros aux investisseurs. Une erreur
d'appréciation ? Sans aucun doute, et une erreur de taille.
Entre 2003 et 2006, Akerys en tête, les défiscalisateurs ont saturé
l'agglomération de Carcassonne de résidences mal conçues,
survendues et, souvent, très mal situées. Le Nord triste, tout le monde
connaît, ou croit connaître. Les rangées de maisons en brique toutes
identiques, le ciel bas et lourd, le terril, l'usine désaffectée... Le sud
lugubre parle moins à l'imaginaire collectif, mais il existe. Le noyau
de Berriac est un minuscule village à peu près avenant. Tout le reste
de la commune a piteuse allure : lotissements sans allure, champs
délaissés, voire carrément en friche, maisons inachevées. Pas de
commerces. Même chose à Montredon, où s'entassent des
appartements en défiscalisation par milliers. La merveilleuse cité
médiévale de Carcassonne est à quelques kilomètres seulement… La
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zone n'a aucun attrait. Pas le moindre « potentiel locatif », pour parler
comme un défiscalisateur. Tous les gens du coin le savent. Berriac n'a
pas bonne réputation. Si les investisseurs ne le savaient pas, c'est
parce que le groupe Akerys, fidèle à sa méthode, les a démarché à 500
kilomètres en moyenne de la résidence qu'il leur vendait, en les
dissuadant de venir se rendre compte sur place de la réalité de ce coin
de l'Aude...
Tout le monde peut se tromper ? Berriac serait une erreur
regrettable ? C'est la faute de la conjoncture ? La pierre reste
attractive, la crise du logement n'est quand même pas un mythe ?
Alors direction l'Île-de-France.
Trente minutes de RER depuis la place de la Nation conduisent à la
station Val d'Europe, pas très loin de Disneyland Paris. Cinq minutes
de marche à pied et voilà la résidence Alpha de Montévrain : 360
logements en tout, seulement des T1 et des T2 en location. Pas de
propriétaire occupant. Quatre-vingt boîtes aux lettres portent un nom,
pas davantage. Les parties communes sont dans un état correct, mais
un gigantesque tas d'ordures et d'encombrants s'est amoncelé autour
des poubelles collectives. L’un des portails automatiques donnant
accès la cour est cassé, de même qu'une des vitres de la porte du hall.
La résidence n'a pas dix ans et elle donne déjà une impression de
tristesse et d'abandon, sentiment renforcé par l'environnement
immédiat. La ville s'arrête au bord de la propriété, mais sans laisser la
place à de la campagne riante, juste à des champs mornes et des
rocades d'autoroutes. Même la proximité du RER finit par avoir un
effet négatif. Comme l'explique un agent immobilier, « en Seine et
Marne, les gares attirent les cadres qui travaillent à Paris, mais aussi
les gens qui n'ont pas de voiture, c'est-à-dire, très souvent, pas d'argent
et pas de travail. Vous vous retrouvez avec une clientèle de passage
qui s'en va dès qu'elle a trouvé mieux, ce qui n'est pas difficile si on
parle de la résidence Alpha. Ceux qui restent ne sont pas méchants,
mais il y a pas mal de semi-marginaux ou de gens insolvables. Et
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comme il suffit d'un cas difficile pour faire fuir trois ou quatre bons
locataires... »
Plus près de Paris encore ? A 7 500 mètres à vol d'oiseau du
périphérique, bienvenu aux résidentiales Guynemer, inauguré en 2006
par Akerys sur la commune du Blanc-Mesnil. « Au cœur du pôle
économique du Nord-Est parisien, la ville du Blanc-Mesnil a tenu à
conserver son esprit résidentiel et son cadre de vie », disait la
brochure. Les résidentiales se trouvent Boulevard Guynemer, à 350
mètres à peine de la cité des Tilleuls (2 750 logements). Revue de
presse non exhaustive du quartier par Le Parisien : « Deux nuits de
violence pour une broutille » (juillet 2002) ; « Les voitures brûlées
exaspèrent les riverains » (mars 2003) ; « 47 voitures brûlées,
consternation dans les cités » (janvier 2004) ; « La supérette de
nouveau prise pour cible » (juillet 2004); « Les bus pris pour cible »
(novembre 2005) ; « L'interpellation dégénère » (janvier 2006) ;
« Braquage au supermarché » (juillet 2007) ; « Mystérieux coups de
feu » (juin 2008) ; « Tensions entre jeunes et policiers » (juin 2009);
« Rixe au Blanc-Mesnil, l'un des blessés est décédé » (juin 2009) ;
« Les bus ne passeront plus aux Tilleuls le soir » (octobre 2009) ;
« Un bus pris d'assaut » (novembre 2009). « Le quartier a été placé
sous surveillance policière, avec renforts de CRS, mais les bus n'y
reviendront pas sans mesures radicales de protection. La direction de
la RATP interdit à ses agents de monter dans les bus aux abords des
Tilleuls » (mars 2010).
A peu près à cette époque, sur des photos prises par les
propriétaires venus sur place afin de comprendre pourquoi leurs biens
ne se louaient pas, on voit les espaces verts des résidentiales
Guynemer recouverts de détritus, des carcasses de voiture
abandonnées sur le parking, un tas d'ordure à l'entrée, des murs tagués,
des ampoules cassées et une impressionnante collection de
préservatifs usagées dans ce qui est censé être le local à vélo. « Nos
appartements vous font bénéficier d’une distribution optimisée,
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permettant de concilier confort individuel et vie de famille, esthétisme
et fonctionnalité. Les espaces verts de cet ensemble s’inscrivent dans
un cadre paysager qui vous apportera confort et intimité », disait la
publicité. « Il manque une page à mon acte de vente et c'est celle qui
concerne la clôture », raconte Claude Taby, une des propriétaires.
« Elle n'a jamais été finie, la résidence est ouverte à tous les vents. »
Juste en face, de l'autre côté du boulevard Guynemer, se trouve une de
ces barres d'immeubles remplies de locataires à « convivialité
réduite », pour reprendre cet euphémisme apprécié des bailleurs
sociaux.
En 2012, la situation s'était sensiblement améliorée. Par une
matinée tranquille, sous le soleil d'automne, les résidentiales
Guynemer ne font pas peur. On peut mener au Blanc-Mesnil une vie
presque ordinaire. Comme presque partout en Seine-Saint-Denis, les
barres des années 1970 et leur concentré de misère sociale côtoient
des petites rues de pavillons sages qui pourraient se trouver dans
n'importe quel endroit de France. Les résidentiales Guynemer, pour
leur malheur, sont juste à la limite des deux univers et prennent de
plein fouet la violence locale. Aujourd'hui, les acheteurs se demandent
comment le promoteur a pu ignorer qu'il en serait ainsi. Leur
investissement est un échec. Ils s'aperçoivent qu'ils ont payé les
appartements 40% au moins au dessus des prix du marché, ils peinent
à trouver des locataires solvables, à les fidéliser et à tenir les vandales
à l'écart. « Constituer un capital conséquent sans risque », promettait
la brochure.
Sans risque enfin, La Vallée d'Aulnes, à Courçon d'Aunis, en
Charente Maritime. Le projet a été lancé en 2004 par le promoteur
Royal Polmen avec comme ambition affichée la reconstitution d'un
village médiéval de 3 000 habitants. Maisons, places, pavages, halles
du marché d'antan, Royal Polmen envisageait une sorte de Disneyland
charentais, évidemment vendu au prix fort. Un appartement à La
Vallée d'Aulnes coûte le même prix qu'à La Rochelle. Mais à la
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différence de La Rochelle, La Vallée d'Aulnes n'offre aucune
commodité. Pas de cinéma, pas de commerces. Et pas la mer : elle est
à plus de 30km. Une impressionnante vidéo en 3D a longtemps été
visible sur internet. Elle proposait une visite virtuelle du village avec
arrivée en hélicoptère, l'ensemble rappelant involontairement Le
Domaine des Dieux des aventures d'Astérix. Bien entendu, la
commercialisation du programme n'a pas suivi les espoirs du
promoteur. Il a tenté de le vendre à la fois à des Anglo-saxons, et à des
Français, en défiscalisation.
En 2012, la Vallée d'Aulnes était un projet à moitié inachevé. Un
demi-village de quelques 300 logements loin d'être tous occupés
jouxtait un terrain vierge, en attente d'une nouvelle tranche à
construire.
Il arrive fréquemment, quand on se promène en France, de tomber
sur une barre laide et sinistre datant des années 1970, ou bien sur un
centre de vacances improbable et décati, posé au milieu de nulle part.
De vagues interrogations peuvent venir à l'esprit : comment en est-on
arrivé là ? Qui a payé, qui a commandé, qui a construit ? Qu'avaientils en tête ? Cette enquête apporte quelques éléments de réponse aux
promeneurs des années 2030 qui tomberont devant les absurdités des
années 2000 et se poseront les mêmes questions.
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Chapitre 1
Surtout pas de bilan
Les dix années de vente de programmes de défiscalisation qui vont
de 2003 à 2013 constituent le plus gros scandale immobilier en France
depuis la Seconde Guerre mondiale.
La défiscalisation est un mécanisme assez ancien, utilisé à un titre
ou à un autre dans presque tous les pays développés : il consiste à
accorder une « carotte fiscale » à des contribuables plutôt aisés, afin
qu'ils canalisent leur épargne dans le sens voulu par les pouvoirs
publics. En matière immobilière, dans notre pays, une des lois les plus
anciennes est le dispositif Malraux de 1968 en faveur de la rénovation
des monuments historiques. Ont suivi, dans les années 1980 et 1990,
les lois Méhaignerie, Besson, Périssol, qui incitaient à la construction
de logements à vocation locative (souvent avec un plafond de loyer),
dans des zones en situation de pénurie. Aucune de ces lois n'a
provoqué de véritable catastrophe.
Tout a changé à partir de 2003 et de l'adoption de trois textes. Le
plus emblématique est la loi Robien. Ce dispositif mal ficelé reposait
sur un découpage du territoire sommaire (quatre zones seulement)
assorti de plafonds de loyers souvent supérieurs aux prix du marché
local, ce qui est évidemment paradoxal pour un plafond. Le dispositif
Robien, et ce n'est pas le moindre de ses défauts, arrivait de surcroît en
période de forte demande, alors que les incitations fiscales servent en
principe à relancer un marché assoupi.
Facteur aggravant, la loi Robien a été utilisé par des réseaux de
commercialisation dont les pouvoirs publics, manifestement, ne
soupçonnaient pas la dangereuse efficacité. Ils ont donné à la
défiscalisation une ampleur invraisemblable2. et portent une
responsabilité écrasante dans les dérapages qui sont l'objet de cette
enquête. Ils ont émergés progressivement au début des années 1990, et
2
Leurs méthodes éminemment discutables sont développées au chapitre 5.
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se sont rodés à la vente d'appartements sous le régime des lois
Méhaignerie et Pons3. Il y a eu de nombreux regroupements, alliances,
rachat et faillites, mais le noyau dur des acteurs est resté étonnamment
stable. Akerys, Carrère-Gotham, Omnium, Mona-Lisa, etc., dont il
sera souvent question dans cet ouvrage, sont nés il y a environ une
vingtaine d'années.
L’année 2003 est aussi l'année de démarrage des lois Demessine
(2003-2011) pour les zones de revitalisation rurales et Girardin (2003)
pour l'Outremer. Chacun de ces textes souffrait de défauts sérieux
(définition floue des objectifs, zonage problématique, garde-fous
insuffisants). Ils ont, là encore, été amplifiés par des réseaux de vente
en plein essor. A partir de 2003, La vente de package de
défiscalisation devient un métier à part entière, employant des milliers
de commerciaux, faisant tourner des centres d'appel et des régies de
publicité à plein temps. Des lois anciennes, obscures et confidentielles
comme le régime de loueur en meublé professionnel sont
surexploitées. La finalité des programmes (créer des logements là où
on manque, des résidences de tourisme dans les zones rurales, aider au
développement des DOM-TOM, rénover des monuments historiques
pour le Malraux) est systématiquement perdue de vue.
Dans le cas du Robien, les défiscalisateurs se sont mis à construire
massivement là où ils trouvaient des terrains - dans les petites villes et non là où on trouve des locataires - dans les grandes villes. On
fonçait vers l'échec. Au fur et à mesure que les programmes
surdimensionnés naissaient à Quimper, Carcassonne, Tarbes, Castres,
Montbéliard, Bailleul, Poitiers, Dijon, etc., des dizaines de rapports et
d'articles ont mentionné ces immeubles en panne de locataires.
En Demessine, des résidences de tourisme sont sorties de terre
dans l'espoir vain de revitaliser des stations de montagne
irrémédiablement vouées au déclin. Les élus locaux ont fait preuve
3
Un résumé succinct des dispositifs cités dans cet ouvrage est disponible en fin d'ouvrage.
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d'une myopie effarante à cet égard, quand ils n'ont pas poussé à la
faute des promoteurs complètement incompétents 4.
Le Girardin se déclinait en version immobilière et en version
industrielle, toujours avec l'idée de soutenir l'activité économique
Outremer. C'est un échec complet, une série de scandales en poupée
russe : effet positifs quasi-nuls dans les Dom-Com ?, effets pervers
conséquents, coût faramineux pour les finances publiques, escroquerie
en séries. Dernier scandale en date, le dispositif a été maintenue tel
quel dans la Loi de finances 2013 sur promesse du président François
Hollande, malgré les appels insistants de la Cour des Comptes à sa
suppression pure et simple. De puissants lobbies sont à l'œuvre et on
les écoute à gauche, comme à droite.
Il leur suffit de rappeler aux pouvoirs publics que la construction,
secteur clé pour soutenir la conjoncture et doper l'activité, est devenue
dépendante de la défiscalisation. En 2011, il s'est vendu en France 103
300 logements collectifs, selon les c iffres de la édération de la
promotion immobili re. r s de
000 d'entre eu
2.
l’ont été
au titre de la loi Scellier et seulement 27.4 % à des propriétaires
occupants. S'y on y ajoute les milliers d'appartements en résidence de
tourisme construits en Demessine, le constat est clair : les promoteurs
remplissent leur carnet de commande avec des produits en
défiscalisation. Elle a permis de faire croire aux Français que la pierre
était toujours un bon placement, que ce soit en location à l'année ou en
location saisonnière, alors que ce n'est pas vrai. La pierre peut être un
placement désastreux. Des dizaines de milliers de particuliers sont en
train d'en faire l'expérience. Dans un pays en pleine crise du logement,
un appartement, tôt ou tard, finit certes par trouver preneur. Le
problème est que la France n'est absolument pas en crise du logement.
Elle connaît au contraire une pénurie d'acheteurs et de locataires dans
des centaines de villes petites et moyennes. Ce n'est pas là où siège le
Parlement, certes, mais c'est là où vit l'immense majorité des Français.
4
Voir le cas de Simbiosis, chapitre 6.
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Au moins 50 000 victimes, quinze milliards d'euros de
préjudice
Aucun des gouvernements qui se sont succédé depuis 2003 n'a
jugé bon de dresser un état des lieux de ces dispositifs de
défiscalisation. Il n'y a donc pas de bilan officiel des lois successives,
et encore moins de bilan de leurs effets pervers. En théorie, mesurer
l'impact de ces lois est assez facile. Le fisc a toutes les informations
dans ses bases de données, puisqu'il s'agit de défiscalisation. En
attendant sa synt se, on peut essayer d’en prendre la mesure.
Les estimations de la Fédération de la promotion immobilière, de
la Fédération des promoteurs constructeurs, de l'Agence nationale
d'information sur le logement, etc., tournent autour de 30 000 à 60 000
logements par an défiscalisés depuis 2003 en Robien-Scellier. Le
milieu de la fourchette se situerait à 45 000 par an. Si on y ajoute les
constructions en Demessine, Girardin, en location en meublé
professionnel, les réhabilitations en Malraux, etc., on peut considérer
que le chiffre de 50 000 packages défiscalisés par an est un minimum,
soit 500 000 en dix ans.
Or, quelle que soit la manière dont on aborde la question, par
analyse détaillée d'une ville, par déduction à partir des rapports épars
réalisés à ce sujet, par interview, par déplacement sur le terrain, on
parvient au même constat : 30% des acheteurs ont surpayé leur bien et
le loue tant bien que mal. Leur situation est embarrassante. 10% l'ont
payé deux fois son prix, ont les pires difficultés à trouver un locataire
et se débattent pour honorer leurs échéances de prêt, car ils avaient
emprunté pour investir. Ils forment le noyau dur des 50 000 victimes
de la défiscalisation, pour lesquelles il n'est pas question
d'investissements décevants ou de loyers se revalorisant moins vite
que prévu, mais de placements littéralement catastrophiques. Au
mieux, un boulet financier à traîner quinze ou vingt ans; au pire, la
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ruine totale. Dans l'affaire Apollonia (chapitre 4), le préjudice moyen
approche le million d'euros. Sur l'ensemble des lois et des programmes
défaillants, entre les appartements achetés trop chers et les loyers
promis qui ne seront jamais au rendez-vous, on peut considérer sans
crainte d'exagérer que chacun des victimes de cette décennie folle a
perdu à peu près 40 000 euros. Soit, pour 50 000 dossiers, un total de
20 milliards d'euros. La défiscalisation, finalement, n'est peut-être pas
le plus grand scandale immobilier de l'après-guerre, mais le plus grand
scandale immobilier de l'histoire de France.
Quand on parle de « victimes », il n'est pas question de riches
hommes d'affaires ou d'opulents traders. Les victimes de l'affaire
Appolonia ou de la faillite du promoteur Guinot étaient aisées, c'est
indéniable, mais les gros bataillons des perdants, surtout en RobienScellier et en Demessine, ont été recrutés parmi les classes moyennes.
L'amendement Scellier, à vrai dire, était taillé pour un démarchage
intensif des classes moyennes, les couches supérieures ayant déjà été
bien « exploitées » dans le cadre de la loi Robien. Adopté en catimini
un 31 décembre (2009), il avait été écrit par les défiscalisateurs euxmêmes (chapitre 2). On n'est jamais si bien servi que par soi-même.
Les avocats de la défiscalisation - mais en reste t-il ?- diront que
ce chiffre de 50 000 victimes est exagéré. En réalité, il est sans doute
en-dessous de la réalité. La faillite de Transmontagne a ruiné 2 000
personnes, celle de Finaxiome au moins 800, celle de Simbiosis à peu
près autant. Le Girardin a mal tourné pour au moins 4000
investisseurs recensés. Apollonia a fait plonger un millier
d'épargnants. Entre 2008 et 2009 seulement, une quinzaine
d'exploitants de résidences de tourisme (Quiétude, Mona Lisa, Atrium,
etc.) ont fait faillite, laissant au moins 5 000 investisseurs dans une
situation inextricable. Akerys, Carrère et Omnium, les plus gros des
défiscalisateurs, ont construit partout en France et se retrouvent
chacun face à plusieurs milliers de mécontents. Sans compter tous les
petits programmes montés par des promoteurs locaux.
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Des mises en garde systématiquement ignorées
Les pouvoirs publics n'ont aucune excuse, car ce naufrage s'est
produit à toute petite vitesse. Il n'était ni brusque, ni irrémédiable. Au
contraire, Il a fallu beaucoup de constance et d'obstination aux
gouvernements successifs pour ne rien voir et ne rien entendre, tant les
mises en garde ont été nombreuses, vigoureuses et précoces.
Dès le début de la loi Robien, des voix s'élèvent pour en dénoncer
les dangers. En juin 2005, alors que la loi a moins de deux ans, les
sénateurs Thierry Repentin et Dominique Braye publient un rapport
qui dénonce les « effets pervers » du Robien. « De nombreux
logements financés grâce à ce dispositif ont été mis en chantier alors
même qu'ils ne répondaient pas exactement à la demande locale... Cet
amortissement a été conçu par plusieurs réseaux de commercialisation
comme un outil d'optimisation fiscale, proposé aux contribuablesinvestisseurs comme un produit de défiscalisation comme un autre. Il
est ainsi possible que nombre d'investisseurs ne se soient que peu
préoccupés des caractéristiques précises du logement construit, de sa
localisation et de la possibilité effective de pouvoir le louer au niveau
des loyers plafonds... Dans certains cas, le “Robien” a contribué à
l'accélération de la flambée des prix du foncier. » 5
L'Agence nationale pour l'information sur le logement enfonce le
clou en novembre avec un second rapport tout aussi alarmant qui
pointe lui aussi les dérives du Robien et propose des correctifs
simples. « La perspective d'économie d'impôt est connue d'un large
public », écrit le rapporteur, Jean Bosvieux. « Toutefois, les détails du
mécanisme fiscal sont souvent mal maîtrisés, et surtout, les risques
sont mal appréhendés : en particulier l'éventualité de périodes de
vacance est rarement envisagée, ce qui peut être grave lorsque le
5
Les facteurs fonciers et immobiliers de la crise du logement, rapport remis à Assemblée le 29 juin 2005.
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montage financier est tendu et que l'investisseur compte sur le loyer
pour rembourser un emprunt. » 6
A ce stade, on identifie un problème, mais pas encore un scandale.
Il est normal qu'un dispositif efficace (le Robien relance
vigoureusement la construction dès 2004, personne ne le nie) ait des
effets indésirables. Le problème est que rien ne sera fait pour les
corriger.
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L'Investissement locatif, à qui profite le dispositif Robien ? rapport de l'Anil,novembre 2005.
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A partir de 2006, les dérapages font la une. Le quotidien
Libération et le mensuel Mieux vivre votre argent publie chacun le 21
mars deux enquêtes édifiantes, « La carotte fiscale Robien fait le plein
d'appartements vides », et « Au Pays de bonimenteurs ». «Toutes les
opérations de défiscalisation regorgent (...) de chausse-trappes que les
réseau et leur “vendeur” ne maîtrisent pas toujours ou dont ils ne se
soucient pas suffisamment, par ignorance ou par cupidité)», écrit
Christian Michaud dans Mieux vivre votre argent. « Il n'est pas rare
[de voir des défiscalisateurs] agir en amont comme marchands de
biens, puis de conseiller à leurs clients d'acheter au prix de 140 ce
qu'ils ont eux-mêmes payé 100. Non sans prendre encore au passage
entre 10 et 20% d'honoraires pour leur prestation. »
Le Robien fait « le bonheur des promoteurs, qui vendent des
appartements comme des petits pains», confirme Tonino Sefarini dans
Libération. « 67 000 logements relevant de ce dispositif ont été
écoulés l'an dernier (en 2005) à des cadres, des commerçants ou des
professions libérales séduits par la carotte fiscale. Mais ils risquent d'y
laisser des plumes : des programmes enflent dans des villes moyennes
où la demande locative n'est pas exponentielle. Le Robien fait tâche
d'huile, à Montauban, Albi, Tarbes, Angoulême, Castres, Poitiers (...)
Les appartements réalisés à Montauban sont ainsi vendus sur plan à
des investisseurs lyonnais, parisiens ou strasbourgeois qui ignorent
tout du marché locatif dans le Tarn-et-Garonne (...) Sans locataires, et
donc sans loyers, l'édifice Robien se fissure. Et qu'adviendra-t-il si ces
logements demeurent vides à long terme ? Des élus craignent que
certains de ces immeubles deviennent des copropriétés dégradées.
D'autres craignent des reventes en masse et des chutes de prix si les
investisseurs ne trouvent pas de locataires. » La Dépêche du Midi
enchaîne le 27 avril avec un dossier Louer, c'est pas gagné, qui dresse
un constat très préoccupant de la situation dans le Sud-Ouest, là où les
défiscalisateurs ont le plus sévi.
Nous sommes en 2006. Il serait encore possible, en réformant
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vraiment le Robien, d'éviter à 50 000 ou 60 000 ménages de se faire
abuser. Résultat, le dispositif fait l'objet d'un toilettage cosmétique en
septembre 2006. L'activité des désfiscalisateurs ralentit à peine l'année
suivante.
En Demessine, les excès sont tout aussi flagrants. Le groupe
Transmontagne est placé en liquidation judiciaire le 17 octobre avec
un passif de 17 millions d'euros. Il avait construit des logements par
centaines vendus trop chers, promesse de loyers irréalistes à la clé,
dans des stations de moyenne montagne. L'hiver 2006-2007, doux et
peu enneigé, précipite sa chute. Deux mille investisseurs particuliers
se retrouvent sur le carreau. La Caisses des dépôts et consignation,
émanation de l'Etat, est actionnaire de Transmontagne, mais l'État ne
voit toujours rien. Le Demessine n'est pas supprimé, ni même révisé.
Même chose pour le Girardin. En 2007, tous les professionnels de
l'immobilier à la Réunion crient à la surproduction de logements. Le
marché va s'effondrer l'année suivante.
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Le 26 mars 2008, le député Jean-Yves le Bouillonnec présente à
l'Assemblée nationale un rapport qui accuse le Robien : « Le
gouvernement dépense beaucoup pour aider les propriétaires, sans
aucune contrepartie réelle, sans vérifier l'adaptation des logements aux
besoins des ménages et aux situations locales»... «Les loyers des
logements financés à l’aide du dispositif d’amortissement “Robien” ne
sont pas abordables ! En 2007, un 3 pièces de 65 m2 à Carcassonne,
est loué 419 euros en moyenne dans le parc privé ancien, mais un
logement “Robien” de la même surface peut coûter jusqu'à
euros
par mois; à Angers, le même logement est loué en moyenne 361 euros
alors que le « Robien », de même surface, peut atteindre 924 euros par
mois... À Nanterre, un 3 pièces de 65 m2 est loué en moyenne
1 100 euros alors que le “Robien” s'affic e à 1 330 euros par mois. Le
Gouvernement est donc en partie responsable de l'envolée des
loyers !»
La même année, éclate le scandale Apollonia, du nom d'un
promoteur d'Aix-en-Provence spécialisé dans les résidences vendues
sous le régime dit de la location en meublé professionnel. Une arnaque
qui va faire plusieurs centaines de victimes pour un préjudice total
voisin du milliard d'euros. Les enquêteurs perquisitionnent plusieurs
banques, la juge d'instruction de Marseille Catherine Lévy met en
examen plus de trente personnes et fait incarcérer provisoirement les
dirigeants d'Apollonia, des notaires, un courtier en prêt, etc. Des
agents de la La Direction générale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) transmettent
à peu près au même moment des informations à la justice sur des
escroqueries probables des défiscalisateurs. Il n'est plus question de
signaux d'alarme, mais d'une situation délétère qui appelle des
remèdes énergiques.
A la même époque, hélas, un vent de crise immobilière et boursière
venu des États-Unis souffle sur l'Europe. Le CAC 40 perd 45% en
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2008, c’est le krac . Le gouvernement c oisit alors ouvertement de
soutenir la construction, génératrice d’emplois et de recettes de TVA.
A la fin de l’année 2008, l’avant-veille de Noël, un amendement
est glissé dans la Loi de finance rectificative pour 2009. Présenté par
le député du Val d’Oise rançois Scellier, il crée un nouveau régime
appelé à prendre le relais du Robien. Les défauts de ce dernier sont
prétendument « corrigés ». Il n’en est rien.
En 2010 et 2011, la construction de logements collectifs s’enferre
dans la dépendance fiscale. Sept logements sur dix sont aidés ces deux
années-là. Du jamais vu. La France se retrouve avec des résidences
bas-de-gamme dont personne n'avait vraiment besoin, au Cordat
(Allier), à Cayeux-sur-Mer (Somme), A Frignicourt (Marne), à
Ploërmel (Morbihan) ou à Berriac (Aude). Même pas des petites
villes, même pas des villages, ce sont parfois des hameaux.
En 2012, le Crédit Immobilier de France fait faillite. Son modèle
économique était bancal, mais la défiscalisation lui a également coûté
très cher. La BNP fait face à un scandale lui aussi lié à la
défiscalisation, l’affaire Helvet Immo. Le Crédit agricole est rattrapé
par les nombreu dossiers en Demessine qu’il a financé avec une
myopie incompréhensible. La faillite du promoteur Simbiosis rejaillit
sur des élus de l’Ari ge. C’est l’ eure des comptes. La c ronique
judiciaire s’étoffe. L’affaire Apollonia avance, de mise en e amen en
mise en examen. Les avocats voient affluer les clients, les tribunaux
rendent leurs premières décisions. Elles sont généralement sévères
pour les défiscalisateurs, les banques et les notaires, mais sans
toujours aboutir à des condamnations.
Une question implicite revient dans les débats : Comment peut-on
être assez idiot pour acheter un appartement sans même se rendre sur
place pour évaluer l'emplacement ? Il y a la stupidité des discours sur
la crise du logement, la stupidité des zonages décrétés par l'Etat, la
stupidité des élus locaux, qui ont contribué à créer les taudis des
années 2020. Stupidité des promoteurs eux-mêmes, que leur avidité a
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précipités vers la faillite après quelques années d'argent facile. Mais
aussi, indéniablement, la stupidité des victimes qui ont investi dans
des villes qu'ils ne connaissaient pas avec une légèreté difficilement
concevable. Les magistrats soupèsent cet élément avant de condamner
un professionnel attaqué par des clients. Ces plaignants ont-ils
vraiment pris le minimum de précaution qui s’imposait ? La réponse,
la plupart du temps est non. Ils ont été imprudents. Et eux aussi vont
se demander tous les jours, peut-être jusqu'à la fin de leur vie,
comment ils ont pu commettre une erreur aussi énorme. Mais le fait
est qu’ils l’ont commise en masse. Si les victimes étaient moins
nombreuses, invoquer des errements individuels, l'appât du gain et
l'insistance de commerciaux machiavéliques serait possible. Mais
quand la même histoire se répète cent fois, mille fois, identique jusque
dans les détails en apparence insignifiants, c'est qu'un véritable
syst me est à l'œuvre.
Cette enquête a été longue, minutieuse, mais relativement simple.
Tout s'étalait au grand jour : les simulations de rendement fallacieuses,
les argumentaires commerciaux bidonnés, les prêts sans rendez-vous,
les programmes surdimensionnés, les cités sans locataires. Il suffisait
d'interroger les experts, ils ne demandaient qu'à parler. Le secrétaire
d'Etat au Logement Benoist Apparu ou le député François Scellier
n'avançaient pas masqués. Leurs objectifs étaient de soutenir l'activité
dans le bâtiment. Ils n'allaient pas jusqu'à dire qu'ils étaient prêts, sans
état d'âme, à ponctionner des milliers de ménages pour y arriver, mais
c'était implicite.
Il n'y a pas eu de rendez-vous secret au fond d'un parking. Enfin si,
une fois. Un salarié de Carrère-Gotham qui tenait à protéger son
anonymat m'a communiqué des documents montrant que son
employeur fraudait, au fond d'un parking, au bout d'une ligne du métro
de Toulouse. Les documents prouvaient que Carrère avait fabriqué des
faux baux pour apaiser ses clients et leur permettre de défiscaliser,
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quitte à inventer des locataires. Je l'ai écris, je n'ai pas été attaqué en
diffamation et Carrère-Gotham n'a pas été inquiété par le fisc, du
moins à ma connaissance. L'information est tombée dans un trou noir,
comme tant d'éléments accablants de ce dossier. Fallait-il se donner
rendez-vous au centre de Toulouse, chacun à un coin de la place du
Capitole, et discuter des turpitudes des défiscalisateurs par
mégaphones interposés, pour que les pouvoirs publics sortent de leur
léthargie ?
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Chapitre 2
Robien-Scellier : un naufrage, des responsables
La loi Robien a été adoptée en 2004, avec entrée en vigueur
rétroactive au 3 avril 2003. L'amendement Scellier lui a succédé au
premier janvier 2009 et s'est éteint le 31 mars 2013. Les deux textes
peuvent être considérés comme un seul et même dispositif, étalé sur la
décennie 2003-2013. Il n’est pas indispensable de connaître les détails
techniques (résumés en annexe) pour en comprendre les grandes
lignes. Sur le principe, il s'agissait dans les deux cas d'accorder une
ristourne fiscale, en échange de trois choses : un investissement dans
le neuf, assorti d’un engagement de location pendant neuf ans, à un
loyer plafonné, en principe inférieur au prix du marché.
Nous ne disposons d’aucun c iffre précis sur le nombre de
logements construit sous ce régime en di ans, mais on estime qu’il y
en a eu au moins 350 000. Ces placements ont souvent tourné à la
catastrophe, soit parce que la demande locale était trop faible, soit
parce que l’offre était inadaptée, trop c re ou mal située. La liste des
villes « robienisées » est longue : Carcassonne, Bergerac, Quimper,
Saint-Brieuc, Saint-Etienne, Epinal, Bailleul, Pontivy, Belfort,
Montbéliard, Oyonnax, Rouen, Cholet, Angers, Montrichard,
Annemasse, Béziers, etc. Toutes les régions françaises sont
concernées, à l’e ception peut-être de la Corse, y compris l’Île-deFrance. Des investisseurs se sont faits piégés dans des programmes
lancés à quelques kilomètres seulement de Paris, à Clichy-sous-Bois,
au Blanc-Mesnil ou à Saint-Denis.
Échec programmé
Plus personne en 2013 ne se hasarde à parler de « succès » à
propos du Robien-Scellier. Néanmoins, on trouve encore des voix
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pour le défendre au nom de l’adage selon lequel on ne fait pas
d'omelette sans casser d'œufs. Des élus qui l’ont voté au
professionnels de l'immobilier qu'il a enrichi, en passant par les
ministres qui l’ont défendu, c acun admet qu'il y a eu des « ratés ».
Mais très vite, les mêmes ajoutent que ces ratés sont des accidents
inévitables. Un investissement comporte fatalement une part de risque.
L'immobilier ne fait pas exception. Il est logique, prévisible, normal
que certains ne tirent pas leur épingle du jeu.
Admettons. Il n’en reste pas moins que les défiscalisateurs
passaient très rapidement sur les risques quand il s'agissait de pousser
à la signature. Leurs commerciaux parlaient invariablement de
« placement de bon père de famille ». Les plus inexpérimentés étaient
peut-être sincères, dans la mesure où ils ne connaissaient rien à
l'immobilier. Ceux qui avaient un tout petit peu de pratique mentaient
effrontément. Avant de vendre pour 1000 euros d'assurance vie, la
réglementation impose à une banque de se renseigner sur le degré de
connaissance de l'acheteur en matière de placement. En cas de litige,
elle s'expose à des poursuites pour manquement au devoir de conseil,
et celui-ci est d'autant plus fort que le client est néophyte.
Paradoxalement, les agents immobiliers qui placent des produits cent
fois plus chers ne sont pas soumis aux mêmes obligations. Or, les
commerciaux employés par les sociétés de défiscalisation étaient des
agents immobiliers. La fonction de « conseil en patrimoine » inscrite
sur leur carte de visite ne correspondait à rien de sérieux. Ils vendaient
uniquement de l’immobilier. Ils avaient non seulement carte blanc e,
mais consigne d'enjoliver l'attractivité des villes, de gonfler les
perspectives de rendement, de taire les risques et de faire signer le
plus vite possible.
Cela dit, si le Robien Scellier avait été bancal seulement sur cet
aspect commercial périp érique, il n’y aurait pas eu de scandale. Le
probl me est beaucoup plus profond. Le dispositif n’a pas dérapé, il
était vicié à la base. Les collectifs de victimes, les avocats et les
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experts qui ont travaillé le dossier arrivent en général à la même
conclusion : il fallait, mathématiquement, qu'un dixième à un tiers des
investisseurs échouent pour que la machine tourne. Les « ratés » du
Robien-Scellier tel qu'il a été vendu ne sont pas accidentels.
Il y a à l’origine de cette affaire le syllogisme suivant : le produit
est mauvais. Pour vendre un mauvais produit, il faut un très bon outil
commercial. Pour amortir un très bon outil commercial, il faut des
marges conséquentes, dégagées par des prix exagérés. Pour faire
accepter des prix exagérés, il faut s'adresser à une clientèle mal
informée.
Un produit mauvais : les défiscalisateurs ne se sont pas vraiment
souciés de savoir où il y avait des locataires. Ils ont construit là où ils
trouvaient des terrains pas chers. Inutile de chercher du Robien à
Paris, il n'y en a pas eu. Mais si le foncier était bon marché, c'est parce
que la demande était faible. Une fraction importante des biens
proposés à la vente souffrait donc d'un défaut rédhibitoire : ils se
trouvaient dans des localités ou des quartiers très peu attractifs.
Pour les vendre, il fallait s'adresser à une clientèle installée le plus
loin possible du lieu d'achat. Tout le monde sait, à Carcassonne, que
Montredon est un hameau excentré, sans charme et sans commerce.
Le promoteur qui souhaite y vendre des T2 a intérêt à s'adresser à des
clients résidant hors du département, et même de la région.
Conséquence, il ne peut pas employer la méthode habituelle, simple et
bon marché : installer un préfabriqué devant le chantier, espace de
réservation basique pour une clientèle locale.
Ce qui amène au deuxième élément qui dirigeait les investisseurs
vers le ravin. Pour vendre à des clients disséminés à des centaines de
kilomètre des appartements mal situés, il faut une force de frappe
commerciale exceptionnelle : démarchage massif par téléphone,
relance, armée de commerciaux travaillant au corps les clients pendant
des semaines, publicité sur internet, publicité dans les journaux. Tout
cela a un coût. Les frais de commercialisation habituels d'un
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programme immobilier sont de 3% à 4%. En Robien-Scellier, la seule
commission du commercial qui décroche la signature absorbe déjà ces
3% à 4%. Le coût total de la vente peut atteindre 25%, évidemment
répercuté sur le prix final, car personne ne veut sacrifier sa marge. Les
biens en défiscalisation ont été surévalués d'un quart, parfois d'un
tiers, afin de couvrir leur frais de commercialisation. Il est assez facile
de le vérifier avec la "cote Callon", un épais ouvrage édité chaque
année par un petit éditeur de Charente, qui donne des évaluations
remarquablement détaillés des prix pour les 5000 principales villes
françaises7.
Injustice supplémentaire, les gros promoteurs type Bouygues ou
Nexity, qui ont toujours regardé de haut les défiscalisateurs, ont
écoulé eux-mêmes leurs bons produits, ou ils les ont confiés à des
conseillers en patrimoine s'adressant plutôt à une clientèle aisée. En
revanche, ils ont sous-traité la vente des mauvais programmes aux
défiscalisateurs. Ces derniers ciblaient une clientèle classe-moyenne
moins bien informée, moins bien conseillée, moins bien armée pour
un éventuel recours. Les gros bataillons des victimes du RobienScellier ne se recrutent pas chez les riches. Les ménages « CSP+ »,
ceux qui pouvaient, à la limite, se permettre de perdre 50 000 euros
dans une opération très mal ficelée, ont échappé au piège.
Celui-ci s'est refermé sur des gens comme Micheline C., de
Monflanquin (Lot et Garonne). Secrétaire médicale retraitée, 65 ans
aujourd’ ui, en dépression depuis des années suite au déc s de sa fille,
elle payait moins de 1 200 euros d'impôt sur le revenu par an. Le
commercial Philippe S., travaillant pour Akerys, est revenu la
« travailler au corps » plusieurs fois. Il lui a fait signer un mandat de
recherche en avril 2005. En juin de la même année, Micheline C. a été
7
Akerys a trouvé spirituel d'appeler "La Cote de Nollac" une résidence de 72 logements
construite à Surgères, siège des éditions de la Cote Callon. Nollac est simplement Callon lu à
l'envers.
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hospitalisée en service psychiatrique à Toulouse pour des tentatives de
suicide. Elle y est restée jusqu'en août. Philippe S. ne l'a pas lâché.
Début 2006, il a réussi à lui faire signer un bon de commande pour un
T2 situé dans la résidence Alpha, rue de la Charbonnière, à
Montevrain, Seine-et-Marne. Il lui a fait souscrire un emprunt de
92 000 euros auprès du Crédit Foncier. Le prêt a été débloqué sans un
seul rendez-vous, même par téléphone, entre Micheline C. et un
quelconque conseiller clientèle. Du bon boulot de commercial. La
résidence Alpha a été livrée en 2007. Elle est pratiquement depuis
l'origine dans un état pitoyable.
Les défiscalisateurs - et c'est une autre raison des échecs en série
essuyés par leurs clients - ont adapté leur programme, non à la
demande locative, mais au profil fiscal de l'acheteur type. La
déduction d'impôt était plafonnée. L'acheteur d'un T4 à 300.000 euros
ne pouvait pas défiscaliser plus que celui d'un T2 à 130.000 euros.
Comme les T2 sont plus faciles à vendre en masse,
les
défiscalisateurs ont fait des résidences exclusivement composées de
petites surfaces, qui perdent automatiquement la clientèle des familles
avec enfant. Les locataires de petites surfaces sont souvent jeunes et
célibataires. Ils restent rarement longtemps. A chaque rotation de bail,
les propriétaires perdent un mois de loyer et doivent supporter des
frais de remise en état. Les propriétaires occupants sont souvent
perçus par les locataires comme les « enquiquineurs de service » dans
une résidence. Ils sont aussi synonymes de stabilité et de respect des
parties communes. Dans les résidences en défiscalisation, il n'y a que
des locataires, puisque les acheteurs ont été sélectionnés à des
centaines de kilomètres.
Des acheteurs choisis le plus loin possible de la résidence
Cet éloignement était délibéré. Il n'y a aucun doute là-dessus. En
2009, je me suis fait démarcher par deux commerciaux d'Akerys. J'ai
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demandé les deux fois à investir dans un bien situé, soit en région
parisienne, où je résidais, soit dans ma région d'origine. Les deux fois,
le commercial m'a répondu qu'il n'y avait aucun programme en
construction dans ces zones, ce qui était un mensonge. J’avais vérifié
la liste des résidences en cours de commercialisation chez Akerys, il y
en avait en Seine-Saint-Denis, dans le Val-de-Marne et en Bretagne. Il
était manifestement important que j'investisse dans un endroit que je
ne connaissais pas8.
Cette ignorance permet tous les enjolivements, toutes les
exagérations, toutes les approximations. Une des plus énormes est la
piscine, présente dans nombre d’offres en Robien-Scellier dans le Sud.
Les promoteurs sérieux évitent de faire des piscines. Elles provoquent
un bruit d'enfer les soirs d'été, devenant le point de ralliement de tous
les enfants du quartier. Sans parler des fêtards en fin de virée nocturne
attirés par un peu de fraîcheur, qui réveillent tous les locataires une
nuit d'août à 4 heures du matin. La piscine, en définitive, n'a que deux
avantages éphémères : elle enjolive un catalogue et séduit
éventuellement un locataire qui donnera son préavis après quelques
week-ends au bord de la piscine.
Les prospectus de vente sont faits pour embellir la réalité, mais
tout de même... Dans ses plaquettes de présentation de la résidence
« Locmaria », le promoteur Espacil plaçait Quimper à une heure de
Rennes (215 km, attention aux radars) et une heure de Nantes
(230 km, encore plus fort). Les T2 dans la résidence démarraient en
2008 à 145 000 euros. Selon l'agence locale Glin, ils en valaient tout
au plus 90 000. « À Oyonnax, expliquait à la même époque un
8
Exemple sur une quinzaine de dossiers pris complètement au hasard avec pour chacun, le
domicile de l’ac eteur, la localisation du bien et la distance. Montpellier - Malemort sur
Corrèze, 444 km; Noisy-Le-Grand – Lyon, 476 km; Perols –Poitiers, 736 km; Chatou –
Blaye, 549 km; La Ciotat – Perpignan, 351 km; Houilles – Carcassonne, 781km, Charmes –
Montauban, 761km; Cannes Ecluses – Angoulême, 503km; Orléans – Saint-Paul les Dax,
612 km; Merignac – Saint-Gaudens, 384 km; Basse Goulaine – Toulouse, 585 km; Paris –
Carcassonne, 769 km; Paris – Agen, 709 km; Paris- Villedieu du Temple, 641 km; Antony –
Tours, 223km, etc.
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responsable de l'agence Ain-Immobilier, Akerys a vendu des
résidences de standing au pied des pistes. Nous n'avons pas tout à fait
la même conception du standing et du pied des pistes. Les immeubles
d'Akerys sont situés dans une ZUP à une heure minimum du domaine
skiable le plus proche. »
Des biens mal situés, dans des résidences condamnées à une
rotation rapide des locataires, vendus trop chers, à des particuliers peu
fortunés, habitant trop loin pour s'occuper correctement de leur
acquisition : le dossier de défiscalisation à problème est stéréotypé. Ce
n'est pas par hasard, mais par nécessité. Le jour improbable où une
évaluation du Robien-Scellier sera réalisée, 10% minimum et plus
probablement 20% à 30% des ventes réalisées par Akerys, CarrèreGotham, Fixaniome, Omnium (avant 2009 pour ce dernier), sans
parler des acteurs plus petits, cadreront très probablement avec ce
schéma.
L'illusion des zones en tension locative
Construire en Robien-Scellier était possible seulement que dans
des zones en situation présumée de « tension locative », et sous
réserve de demander un loyer raisonnable et encadré, plafonné
réglementairement en-dessous des prix normalement exigés par les
propriétaires. La finalité de ces lois, que tout le monde a perdu de vue
très vite, était en effet de résorber les difficultés d'accès au logement
des ménages modestes. Sur le papier, l'encadrement légal apportait
une garantie théorique aux investisseurs, que les commerciaux
mettaient en avant dans leurs argumentaires : « Nous construisons
seulement là où les logements manquent, et nos loyers sont en dessous
des prix du marché. Ce n'est pas nous qui vous le disons, mais l'État. »
Le problème est que l'État, en l'occurrence, ne s’est pas montré tr s
lucide. Le zonage initial du Robien version 2004 divisait la France en
trois zones seulement, A, B et C. La zone A englobait Paris et toute la
petite ceinture, y compris des communes comme Aubervilliers et
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Saint-Denis, où les prix sont facilement deux fois moins élevés que
dans la capitale, ainsi que les autres grandes villes françaises plus
diverses petites localités, choisies sur des critères obscurs.
Il y avait, entre autres, une surreprésentation flagrante des
communes rurales du département de la Somme. Il faut dire que Gilles
de Robien, père de la loi éponyme, était à l'époque maire d'Amiens et
ministre de l'Équipement. Dire « non » à tous les élus locaux qui
assiégeaient son ministère afin d'obtenir un bon classement pour leur
commune lui était apparemment difficile. Le tiers de la Somme,
département atone sur le plan économique et démographique, se
retrouvait ainsi en « zone A », à l'instar des villes les plus riches de
France. Paris ou Neuilly-sur-Seine dans la même catégorie que
Cayeux-sur-Mer, baie de Somme, 2700 habitants, dont la moitié non
imposable... Cayeux a eu droit à son projet de résidences mal ciblé,
prétendant à des loyers largement supérieurs au prix du marché,
aujourd'hui en quête de locataires.
Gilles de Robien, il convient de le souligner, a le mérite de la
cohérence. Il ne s'est jamais désolidarisé des officines qui
ponctionnaient l'épargne des Français en son nom. En 2008, alors qu'il
n'avait plus de mandat, il a animé une session de commerciaux
d'Akerys. Le groupe était pourtant déjà sur la sellette, critiqué de toute
part pour ses méthodes commerciales trop agressives.
La situation était encore pire en zone B. Celle-ci comportait les
périphéries des grandes agglomérations et les villes moyennes, qui ne
manquaient pas de terrains constructibles. Les défiscalisateurs y ont
été très actifs. Là encore, les plafonds ne correspondaient à rien de
sérieux. Ils étaient souvent 10% à 30% au-dessus des prix du marché
ce qui, pour des appartements souvent mal situés, était totalement
rédhibitoire. Dès 2006, il suffisait d'appeler des agences immobilières
à Crozon ou Abbeville en demandant le loyer de départ pour un T2
dans la ville concernée. Celui que les agences indiquaient était
systématiquement en-dessous du plafond du Robien. Les agents
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immobiliers de ces petites villes sont intarissables sur les dégâts que le
Robien-Scellier a causé chez eux. « En ce moment, expliquait en 2008
la directrice d'une agence de Saint-Gaudens, j'ai 200 T1 et T2 en
attente de locataire dans mes fichiers. Pour une ville de 16 000
habitants, c'est énorme. Je n'ai jamais vu ça. Il faut trois mois
minimum entre deux locataires, et ça peut monter à un an. »
La zone C, enfin, dans le découpage initial, englobait tout ce qui
n'était pas grandes et moyennes agglomérations, jusqu'au plus petit
hameau du Cantal ou des Ardennes, abonné à l'exode rural et
regorgeant de maisons vides. Ces aberrations étaient si flagrantes que
le gouvernement a revu le zonage du Robien en 2006 (sortant la zone
C du dispositif), puis à nouveau en 2008. A chaque fois, hélas, les
recadrages étaient assez timides.
L’amendement Scellier était supposé brider les e c s des
défiscalisateurs. En réalité, il leur a permis de prospecter les
populations modestes. Avec le Robien, un investissement de 150 000
euros donnait droit à une ristourne fiscale de 10.500 euros seulement
pour un foyer imposé à 14% (c'est-à-dire des personnes gagnant entre
2000 euros et 3000 euros par mois). Le Scellier, quant à lui, faisait
grimper le cadeau 37 500 euros... C'était du pain béni pour les
commerciaux. Après avoir démarché entre 2004 et 2008 les dentistes,
les médecins et les concessionnaires automobiles, ils se sont attaqué à
partir de 2009 au filon encore peu exploité des enseignants à la
retraite, des agents de maîtrise et des employés de magasin.
On n'est jamais mieux servi que par soi-même : l'amendement
Scellier a été écrit par les défiscalisateurs eux-mêmes. C'est du moins
ce qu'avance la revue Mieux Vivre – Votre argent dans son guide
pratique « Immobilier : défiscalisez en loi Scellier », édition 20102011. Cet ouvrage fort peu polémique contient un encadré intitulé
« Un amendement venu de la pratique » où on pouvait lire ceci : « Au
cours de la discussion de la Loi de finances pour 2009 devant
l’Assemblée nationale et le Sénat, en novembre et décembre 2008,
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aucune solution n’a été trouvée pour remplacer les dispositifs Robien
recentré et Borloo populaire, tombés en disgrâce. L’inquiétude était à
son comble chez les professionnels de la construction et de la
défiscalisation, déjà éprouvés par un deuxième semestre 2008
catastrophique. La surprise est venue de la Loi de finances
rectificative pour 2008, elle aussi votée en fin d’année 2008. L’avantveille de Noël, un amendement de François Scellier, député du Val
d’Oise, est introduit dans les derni res mesures mises au point par la
commission mixte paritaire des deux assemblées, dont il est
rapporteur. résenté en vote bloqué à l’Assemblée nationale,
l’amendement Scellier est accepté, sans avoir donné lieu à un e amen
de fond devant la représentation nationale. Qui est à l’origine de ce
texte ? Il semble bien que ce soit la Fmil, la Fédération des métiers de
l’Investissement locatif, ériti re de l’ép ém re SMD Syndicat des
métiers de la défiscalisation), dont les principaux membres sont
Akerys et Omnium inances … in 2008, il était de premi re
urgence d’inventer une nouvelle incitation à l’investissement locatif
capable de faire oublier la précédente et de relancer la construction,
très mal en point. La solution proposée par la Fmil est arrivée à point
nommé. »
Cette disposition qui risquait de coûter des centaines de millions
d’euros à l’Etat n’a jamais été e aminée par les parlementaires. C'est
un simple amendement glissé en catimini dans une loi de finance
rectificative. Il était censé remettre Akerys, Omnium et consort au pas,
mais on les a laissés le rédiger.
2009 : les contribuables sacrifiés pour sauver la construction
En début d'année 2009, la priorité n'était pas de protéger les petits
épargnants mais de sauver le bâtiment, sévèrement touché par la crise.
Fin 2008, le gouvernement a encouragé les offices HLM à racheter
des programmes inachevés aux promoteurs, mais la mesure a fait un
demi-flop (12 000 logements achetés contre 30 000 attendus), ce qui
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était prévisible : les programmes en défiscalisation sont mal situés,
trop axés sur les petites surfaces et pas toujours aux normes
thermiques les plus récentes. Pour ne rien arranger, le Scellier lancé en
janvier connaît un démarrage timide. A tel point que l'Etat accepte un
redécoupage des zones, afin de donner un peu d’air au promoteurs.
Quelque 700 communes qui ne devaient pas figurer dans les zones
éligibles s'y retrouvent du jour au lendemain, par un arrêté du 29 avril
2008. Elles passent de la zone C (pas de défiscalisation possible) à la
zone B2, défiscalisables. Des surclassements dictés par des « objectifs
davantage politiques qu'économiques », commente lucidement Le
Particulier dans son numéro de juillet-août 2009. Le gouvernement
ne s'en cache même pas, le rédécoupage a été calé sur la carte des
programmes en panne de commercialisation. La situation devient
étrange. Des promoteurs n'arrivent pas à vendre leurs programmes
dans certaines zones, faute de demande; l'Etat, pour les aider, décrète
qu'on manque de logements dans les zones en question ! Un énième
amendement de défiscalisation (le Censi-Bouvard) étend même le
Scellier aux résidences de tourisme ainsi qu'aux résidences pour
personne âgées et pour étudiants...
Interrogé sur le dispositif à qui il avait donné son nom, François
Scellier avait déclaré lors d'un colloque parlementaire en 2009 qu'il
était tout à fait normal que des appartements en défiscalisation restent
vacants. C'est le signe que le marché immobilier est équilibré, avec
une offre très légèrement excédentaire à la demande et une rotation
régulière des locataires. Cette déclaration conduit à se demander si le
député du Val-d'Oise comprenait vraiment ce qui était en train de se
commettre en son nom. Les défiscalisateurs ont construit des
logements « hors marché », dont personne ne veut, où personne n'ira
habiter, sauf à être privé de tout choix et donc, selon toute probabilité,
quasiment insolvable.
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En juillet 2009, le département des études du Crédit Foncier place
une soixantaine d'agglomérations éligibles au Scellier sous
surveillance. L'étude pointe les niveaux irréalistes des plafonds de
loyer du dispositif. Ils sont jusqu'à 30% ou 40% supérieurs aux prix du
marché dans le Nord-Pas-de-Calais, et jusqu'à 70% dans la zone A des
Alpes, à la frontière avec la Suisse.
Bref, alors que le dispositif fonce dans le mur, le gouvernement se
range clairement du côté du mur et de ceux qui le construisent. Et il ne
déviera plus de sa ligne.
Début 2010, le secrétaire d'Etat au Logement Benoist Apparu
accorde un entretien à l'UFC Que Choisir, où je me rends avec la
directrice adjointe de notre service juridique, Isabelle Faujour. Nous
ressortons découragés. Le secrétaire d'Etat ne comprend pas, ou ne
veut pas comprendre, la portée de nos mises en garde. Formulant la
vague promesse d'un état des lieux qui ne viendra jamais, il reste
focalisé sur la défense des emplois dans la construction, sans mesurer
le coût démesuré de cette défense. Dilemme : si une loi de
défiscalisation est raisonnable, elle ne peut soutenir la construction,
car le secteur est en surrégime. Et si elle maintient le niveau d'activité
souhaité par le lobby de la construction, elle fait des ravages chez les
épargnants. Et qui mettre à contribution après eux pour sauver le
secteur ? La question était toujours d'actualité début 2013. Le Scellier
bénéficiait d'un sursis jusqu'en juin et le dispositif Duflot (du nom de
Cécile Duflot, ministre en charge du Logement), prenait déjà le relais
pour les années suivantes.
Chapitre 3
Demessine, Girardin, Malraux : bonnes intentions, mauvais
résultats
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L’une des leçons des éc ecs cuisants de la défiscalisation est que
pour arriver à une vraie catastrophe, il faut des intentions nobles. Dans
le cas du Robien-Scellier, il s’agissait de loger les classes populaires,
dans celui du Demessine, de revitaliser les zones rurales, dans celui du
Malraux, de sauver le patrimoine et dans celui du Girardin, d'aider
l'outre-mer. Résultat, quatre échecs.
Dans la course à l’absurde, le Malrau faisait figure d’outsider.
C’est un dispositif ancien, adopté dans le cadre de la grande loi sur le
patrimoine de 1962. Elle accorde une « fleur fiscale » aux particuliers
qui se lancent dans la rénovation d’un bâtiment classé monument
historique ou situé en zone de protection du patrimoine. Taillé sur
mesure pour les héritiers de propriétés de famille délabrées, le «
Malrau » n’avait pas fait parler de lui en mal jusqu’en 2004. C’est
suite à une réforme qui a dopé son rendement apparent que les ennuis
ont commencé. Le « produit » est devenu plus facile à vendre par les
défiscalisateurs, qui s’en sont donné à cœur joie.
La plupart des centres-villes de notre pays abritent des bâtiments
splendides mais décrépis, inc auffables et difficiles d’acc s en
voiture. Les locaux ne se bousculent pas pour y vivre, mais le cocktail
de carotte fiscale et d’agressivité commerciale a rencontré le succès, là
encore. Les promoteurs ont acheté à bon prix des morceaux de
patrimoine décatis et les ont revendus par lots, au prix fort, en
promettant des rendements invraisemblables. Le Palais des évêques de
Saint-Lizier, dans l’Ari ge, est un cas d’école impressionnant voir
page XX mais c’est loin d’être un e emple isolé. A Tulle, la ville de
François Hollande, des opérations Malraux organisées dans le cadre
d'un plan de rénovation du centre ancien ont fait de nombreux déçus
entre 2004 et 2008. Il y a eu aussi des échecs retentissants à Narbonne
et Carcassonne, villes décidément maudites en matière immobilière.
Le groupe Prestige Rénovation, dirigé par Jean-Charles Jassogne et
son épouse, y avait lancé des programmes très ambitieux. Il a été mis
en liquidation en juin 2012, pour les 50 ans de la loi Malraux. Les
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épou Jassogne auraient mis dans l’embarras plus d’une centaine
d’investisseurs. Ils ont aussi sévi à Pézenas, Arles et Nîmes.
Apparemment dépassés par la complexité des chantiers, incapables de
les mener à bien, ils ont encaissé l'argent sans livrer les appartements.
Le pôle financier du Tribunal de grande instance de Paris, saisi sur
plainte au pénal, enquêtait sur eux fin 2012. Le préjudice total serait
compris entre 50 et 80 millions d’euros. Un juge d’instruction
bordelais, Serge Rey, enquêtait de son côté, à la même époque, sur
une vingtaine d’autres programmes en Malrau initiés par un
architecte local. Sans parler de la juridiction interrégionale spécialisée
de Marseille, qui enquête sur des faits présumés d’escroquerie et
d’abus de confiance imputables à la société montpelliéraine Quarante
et ses 28 chantiers, majoritairement situés dans le sud-ouest.
La présomption d’innocence s’impose, bien entendu, mais voilà
qui fait tout de même beaucoup d’enquêtes et de malversations
présumés pour une toute petite niche fiscale. Précision, le Malraux est
un régime très complexe que le fisc surveille de très près. « Un grand
nombre d’investissements proposés sur le marc é comportent des
risques dont les investisseurs n’ont pas conscience », prévient l’avocat
James Vaudoyer dans l’ ebdomadaire Agefi-Actifs dès juin 2003. Le
montage juridique relève de fiscalistes pointus, et il est rentable
seulement pour des grosses fortunes. En-dessous de 50 000 euros par
an, inutile de s’y intéresser.
Comment a-t-il pu donner lieu à un contentieux aussi massif ?
Voilà une question que les pouvoirs publics devraient se poser. On ne
sait pas combien de particuliers bénéficient chaque année du Malraux
— seul le fisc pourrait le dire — mais ils ne peuvent guère être plus de
quelques milliers. Or, les plaignants potentiels se comptent
aujourd’ ui par centaines ! Si, un jour, une commission d’enquête
parlementaire se saisit de la défiscalisation, elle dira probablement que
l’administration et les élus ont laissé carte blanc e à des vendeurs qui
n’avaient pas le niveau tec nique requis, sans parler de leur
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déontologie vacillante. Les chantiers complexes de la rénovation dans
l’ancien n’ont pas abouti, trop souvent. Leur coût et leur durée avaient
été notoirement sous-estimés. Et quand les immeubles sont arrivés au
stade de la location, comme à Carcassonne, ils n’ont pas trouvé
preneur aux loyers espérés, ce que tous les agents immobiliers du coin
avaient prévu. Inutile de dire, enfin, que la revitalisation des centres
istoriques, objectif de la loi Malrau , n’est gu re plus avancé
aujourd’ ui qu’il y a di ans à Saint-Omer (Pas-de-Calais), Condom
Gers , Béziers ou Montpellier. L’afflu de capitau générés par les
défiscalisateurs n’a pas sauvé le patrimoine urbain, et les éc ecs qui
seront désormais associés au Malraux risquent fort de dissuader les
contribuables à l’avenir.
La loi a été encore revue en 2009. Elle est devenue moins
attractive, autrement dit moins dangereuse. Les dérives se sont
raréfiées. Petit retour de bâton moral, les désappointés du Malraux ont
largement de quoi rémunérer des avocats qui donneront beaucoup de
fil à retordre aux promoteurs responsables. La Cour de Cassation a
déjà rendu un arrêt très sévère pour un défiscalisateur, mais aussi pour
un notaire, et ce n’est sans doute qu’un début 9.
Demessine, l'échec express
Changement complet de paysage avec le Demessine. Des centres
historiques, nous passons au campagnes reculées, et des grosses
fortunes aux classes moyennes. Là encore, les ennuis commencent en
2004. La loi a déjà cinq ans. Elle a été adoptée en 1999, alors que la
sénatrice C du Nord, Mic elle Demessine, était secrétaire d’État au
Tourisme. Elle accorde 15 % de réduction d’impôt en éc ange d’un
investissement dans une résidence de tourisme situé en zone de
revitalisation rurale. Définies par décret, ces ZRR correspondent,
schématiquement, aux cantons ruraux et aux zones de moyenne
montagne. Les débuts sont peu spectaculaires. La création de
9
Cass. Civ I du 30.9.08 pour le notaire, Cass Com du 08.1.13 pour le vendeur.
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résidences de tourisme connaît un regain de dynamisme, mais il
semble à peu près en phase avec la demande.
Tout c ange en 2004 sous l’effet de plusieurs facteurs. D’une part,
le gouvernement fait passer la réduction d’impôt du Demessine de 15
à2
. D’autre part, les élus locau , en particulier dans les zones
de montagne, commencent à s’emballer dangereusement et donnent
des permis de construire à qui les demandent. Ils trouvent pour les
suivre des promoteurs qui se font fort de vendre autant d’appartements
qu’on voudra bien les laisser construire, grâce à la défiscalisation. La
boucle est bouclée. Avec, en prime, un État qui subventionne la
« bétonisation » officiellement onnie de nos montagnes…
Après cinq ans de régime Demessine, montagnes et campagnes
sont peut-être déjà bien équipées en résidences, mais personne ne s’en
préoccupe. Vingt-mille lits environ avaient été inaugurés en 2004. Ils
sont 40 000 en 2007 et 45 000 en 2008.
Dans les Pyrénées, le Massif central, et surtout les Alpes du sud,
c'est l'emballement général. Interrogés à l’époque, aucun élu local en
charge des stations des Hautes-Alpes de Superdévoluy, Puy-SaintVincent, Pra-Lou, Orcières, Les Orres, Vars ou Risoul ne peut
produire la moindre étude de marché mettant en évidence une hausse
de la demande. Au contraire, toutes les études montrent que la
pratique des sports d'hiver en France progresse à toute petite allure,
voire qu'elle stagne. Le logements à la montagne est un jeu à somme
nulle, la seule manière de grandir est de prendre de la clientèle aux
stations rivales. Ce qui n'est pas facile, car toutes les stations sont déjà
en surcapacité. Un rapport remis en 2008 à la communauté de
commune du Pays des Ecrins relève un taux d'occupation de 52% des
lits pendant le pic des vacances de février. En 2004, 23 cantons sur les
31 que compte le département des Hautes Alpes sont éligibles au
Demessine. Presque toutes les stations affichent des ambitions de
croissance impressionnantes. Combien de skieurs en plus faudraientils pour rendre viables l'ensemble de ces projets de résidences ?
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Si les élus ne se sont pas vraiment posé la question, c'est parce qu'ils
prenaient peu de risque dans l'aventure. Briançon, préfecture des
Hautes-Alpes, est devenue dans les années 1990 la ville la plus
endettée de France, suite à des projets de développement touristiques
mal maîtrisés. Rien de tel ne pouvait arriver avec le Demessine :
grâce à ce dispositif miracle, les capitau venaient d’ailleurs. Ce
n'était pas les impôts locaux qui payaient, mais des épargnants
dispersés dans tous le pays.
La faillite de Transmontagne
L’illusion d’un développement pérenne aurait peut être persisté
quelques saisons sans les caprices de la météo. Les hivers 2004-2005
et surtout 2006-2007 ramènent tout le monde à la dure réalité : la
neige, parfois, manque cruellement dans les Alpes du sud.
Le premier acteur de poids à faire les frais de ces erreurs sera le
groupe Transmontagne. Sa mise en liquidation en 2007 va doucher
l’ent ousiasme des bétonneurs des alpages. Au départ, Transmontagne
est gérant de remontées mécaniques. S’il se diversifie dans les
résidences de tourisme, c’est contraint et forcé, parce qu’il est présent
dans des stations de moyenne altitude (Chamrousse, Valfréjus,
Superdévoluy, Praloup et Lioran, etc. où l’enneigement a été
dramatiquement insuffisant à la fin des années 1990. Ses résultats en
pâtissent. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les
responsables de Transmontagne auraient pu se demander s’il était
judicieu d’ajouter des lits dans des endroits où l’e périence leur avait
montré que la fréquentation était faible. Ils ne l’ont pas fait, et ce n’est
qu’une des formes d’un amateurisme que le tribunal de commerce de
Lyon a vertement dénoncé dans son jugement prononçant le
redressement judiciaire le 4 juillet 2007 : « Les contrats passés avec
les tour-opérateurs concernant la commercialisation des résidences,
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prévoient un taux de commission sur les prix publics au bénéfice de
ces derniers (entre 35 et 40 %) absolument incompatible avec la
moindre notion de rentabilité et totalement inhabituel dans ce secteur
d’activité »… « Transmontagne s’est sure posée par rapport au
risques climatiques et commerciaux en ayant concentré ses stocks de
lits dans des stations de très faible notoriété et de basse altitude ». La
société s’est distinguée par « une absence totale de stratégie de
communication, d’action commerciale et de valorisation des produits
et services. À titre indicatif, on note l’embauc e d’une directrice
commerciale dans le groupe Transmontagne seulement à compter du
1er juillet 2007 », soit quatre jours avant le redressement !
Détail qui laisse songeur, l’actionnaire de référence de
Transmontagne était la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui
contrôle également à l’époque à 40
la Compagnie des Alpes,
leader mondial de l’e ploitation des domaines skiables. Comment la
CDC a-t-elle pu ne pas voir vu venir le danger de la politique de
diversification de Transmontagne ? Le Crédit Agricole, le groupe
Caisses d’épargne et la Banque populaire des Alpes sont également
actionnaires de la Compagnie des Alpes et siègent au conseil de
surveillance. Les deux premiers font partie des établissements qui ont
consenti des prêts pour investir dans Transmontagne en Demessine.
La faillite a touché 2 000 épargnants, dont beaucoup, encore une fois,
s’étaient endettés pour investir voir le cas de la résidence Oléa de
Montréal du Gers page XX pour plus de précision sur le rôle des
banques).
Le cimetière des exploitants de résidence en Demessine s’est
rempli très vite à partir de 2007 : Maisons de Biarritz, LVR, Sun
Valley, Appart Valley, Mona Lisa, Quiétude Evasion, Antaeus,
Olea… Créée en 2009, la Fédération des associations de victime des
résidences de service (la Fedars) représente 7 500 appartements et elle
est loin de regrouper toutes les personnes concernées. Celles-ci ont
investi à la montagne, mais aussi dans des zones rurales, parfois dans
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des programmes de petites tailles, dont le nombre exact est impossible
à évaluer.
Les e ploitants ont eu beau jeu d’invoquer les conséquences de la
crise de 2008. En réalité, l’ écatombe a commencé avant. Si les
résidences de tourisme se sont cassées la figure, c’est avant tout parce
qu’elles n’étaient pas viables. Investir dans une station de ski dans le
Cantal ou les Alpes du sud présente un risque énorme. Les pouvoirs
publics estimaient qu’il fallait faire quelque c ose pour ces zones en
déclin. Elles ont délégué le risque aux particuliers en utilisant la
réduction d’impôt comme appât. Des intermédiaires privés se sont
rués sur le filon et on renchérit de promesses de fréquentation et de
loyers impossibles à atteindre. Les promoteurs pouvaient-ils ignorer
que la piste se terminait dans le ravin ?
L’étrange pratique des fonds de concours
Ils ont d’ailleurs utilisé une ficelle énorme pour maquiller la
réalité, au moins le temps de vendre leurs programmes, à travers ce
qu’on appelle les « fonds de concours ». Dans le cadre de la loi
Demessine, un promoteur construit et un exploitant professionnel gère
la résidence. C’est une obligation légale et, au départ, un gage de
sérieu . L’idée était d’éviter la profusion de programmes lancés sans
précaution par des amateurs.
Dans ce schéma, vient évidemment un moment où le promoteur
livre à l’e ploitant une résidence flambant neuve, mais vide. Il faut
acheter du mobilier pour les appartements, des équipements pour
l’éventuelle salle de sport, payer les salaires du réceptionniste et de
l’agent d’entretien, le tout sans avoir encore encaissé le moindre loyer.
Solution pragmatique, le promoteur, qui vient d’encaisser les
derniers c ques des ac eteurs, verse à l’e ploitant suffisamment
d’argent pour démarrer son activité. La somme va de quelques
centaines à deu mille euros par appartement. C’est ce que les
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professionnels l’appellent les « fonds de concours ». « Il s’agit d’une
pratique ancienne », explique Pascale Jallet, déléguée générale du
Syndicat national des résidences de tourisme. « Tant que ces fonds
restent à des niveaux limités, ils ne posent aucun problème. »
À la période ou le Demessine a dérapé, les fonds de concours ont
été gravement dévoyés. « Ils sont devenus un moyen de doper
artificiellement la rentabilité d’une résidence pour la vendre au dessus
de sa valeur réelle, en faisant miroiter aux investisseurs une
perspective de rendement totalement irréaliste », résume Hélène
Feron-Poloni, avocate spécialisée en droit de la consommation. Ce
n’est plus 1 000 euros que le promoteur verse à l’e ploitant, mais 10
000 euros par appartement. Cet argent va combler pendant deux ou
trois ans l’écart entre les loyers réellement perçus et les loyers
reversés au propriétaires. Une fois la somme épuisée, l’e ploitant
met ces derniers au pied du mur. Soit ils acceptent des baisses
radicales de loyers, soit il met la clé sous la porte…
Bien entendu, il est trop tard pour se retourner contre le promoteurdéfiscalisateur. Ce dernier, malgré les apparences, est le grand gagnant
de l’opération, car les fonds de concours aident énormément à vendre
la résidence. Comme la plupart des acheteurs empruntaient pour faire
leur acquisition, il fallait que le placement dégage une rentabilité
apparente supérieur au coût de l’emprunt, soit environ 4,
. Dans
l’immobilier, ce n’est pas si facile. Quand il faut en plus payer un
gestionnaire, c’est quasiment mission impossible. Sauf si les fonds de
concours sont là pour doper artificiellement le rendement et le porter à
6 % ou 7 % nets. Bien sûr, ils ne vont pas durer éternellement. Mais
peu importe, l’essentiel est de faire illusion une ou deux saisons.
Une première tranche de résidences qui tournent rassure les
banques, les PME sous-traitantes, les élus, la presse locale. Elle sauve
une réputation le temps d’obtenir de nouveau permis de construire et
d’attirer quelques centaines de nouveau imprudents dans l’aventure.
Quand le fond de roulement est épuisé, on annonce aux investisseurs
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que la fête est finie. Il faut revoir les loyers à la baisse de 40 % ou 50
%, sans quoi il faudra mettre la clé sous la porte.
Ramenés brutalement à la réalité, beaucoup de collectifs
d’investisseurs ont eu un premier réflexe tout à fait légitime : virer le
gestionnaire. Ils ont alors découvert plusieurs détails qui leur avaient
éc appés. D’une part, un gestionnaire est protégé par un bail
commercial et il est tr s difficile de s’en débarrasser. D’autre part, ce
gestionnaire est souvent, aussi, propriétaire des parties communes. Ce
qui lui donne un pouvoir de nuisance considérable, puisqu’il peut faire
capoter virtuellement n’importe quel projet de reprise. Comment
reprendre une résidence de tourisme sans ses parties communes ?
La pratique des fonds de concours est-elle bien légale ? La
question n’est pas encore clairement tranc ée mais dégage tout de
même un léger parfum d’escroquerie. Selon l’avocat aul Duvaux, «
les fonds de concours ne sont pas formellement illégaux, mais cacher
leur e istence au particuliers s’apparente à une manœuvre dolosive,
car on les trompe sur le rendement de leur investissement». « Le
niveau normal des fonds de concours serait de quelques mois de
loyers par logement », conclut Pascale Jallet. « Si on les transforme en
une très forte somme servant à verser des faux loyers pendant trois ans
avec un dépôt de bilan au bout, ça ne va plus du tout. » Si le dépôt de
bilan est programmé d s l’origine, on est même en présence d’une
escroquerie caractérisée. Les enquêtes sont en cours.
Il n’est peut-être pas inutile de préciser qu’il est seulement
question ici des résidences qui ont au moins atteint le stade de
l’e ploitation.
our des catastrophes plus spectaculaires en
Demessine, il faut regarder du côté de promoteurs comme Simbiosis
(voir page XX).
Le dispositif Demessine s’est éteint le 31 décembre 2010, deu ans
avant l’éc éance. Les éc ecs devenaient vraiment trop nombreu .
Michelle Demessine elle-même, effarée par les erreurs énormes
commises sous couvert de son nom, est montée au créneau pour
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demander sa fin prématurée. Elle a soutenu les victimes qui l’ont
sollicitée. Tous les élus ne peuvent en dire autant. Les parlementaires,
du reste, se sont empressés de créer un nouvel outil de défiscalisation
pour les ZRR, le Censi-Bouvard, qui durera jusqu’en 201 . Il est
encore un peu tôt pour savoir quel sera son bilan, mais comme il
présente les mêmes défauts que le Demessine (faiblesse de la
demande, bail commercial très contraignant, etc.) on peut penser qu'il
fera lui aussi des perdants. Peut-être pas autant, toutefois, que la loi
Girardin pour l'outre-mer. Celle-ci a coûté très cher à quelques
milliers de particuliers. Elle a mis à contribution les finances
publiques, c'est à dire nous tous, au profit d'une poignée de
contribuables très aisés.
Des chiens méchants dans la niche Girardin
La France a beaucoup lutté officiellement contre les paradis fiscaux
des dernières années. En coulisse, discrètement, elle en a aussi créé
un. Eclaté sur plusieurs territoires, il est, comme tous les paradis
fiscaux, opaque et rémunérateur. Son acte de naissance est une loi de
défiscalisation dans les territoires et collectivités d'outremer votée le
21 juillet 2003, dite "loi Girardin", du nom de Brigitte Girardin,
ministre en charge des dom-com du gouvernement Raffarin de 2002 à
2005 10.
Le dispositif avait deux volets, la défiscalisation
immobilière etla défiscalisation industrielle. Modifiés et adaptés au fil
des lois budgétaires, ils ont en commun une générosité étonnante
envers le contribuable, assortie d'une légèreté dans le contrôle dont le
fisc n'est pas vraiment coutumier. S'il fallait le résumer en une phrase,
on pourrait dire que le Girardin est la seule loi de France, et peut-être
même d'Europe, qui permet de récupérer 0000€ aupr s de l'Etat en
investissant 30000€ seulement dans des projets ensoleillés et inutiles.
10
"Dom-Tom" est mort en 2003, la révision constitutionnel l'a tué, "territoire" devenant
"collectivité". D'où Dom-Com.
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Ce dispositif miracle a été réservé par les banques et les sociétés de
conseil en patrimoine à une client le fortunée. Selon des c iffres
publiés en juin 2011 par le Comité d’évaluation des dépenses fiscales
et des niches sociales (rattaché au ministère de l'Economie), le
Girardin a profité dans 99,7% des cas à des contribuables du dernier
décile, c'est à dire la tranche des 10% les plus riches. Ils habitent à une
écrasante majorité (97%) en métropole. 65% de l'avantage fiscal est
même allé à des ménages classés dans le dernier centile, celui des 1%
les plus aisés. Cette année là, en 2011, le Girardin a coûté 1,3 milliard
d'euros à l'Etat, au bénéfice de 40.000 contribuables fortunés 11. C'est
ce qu'on appelle enrichir les riches. Les plus mal conseillés sont
tombés sur des escrocs - comment imaginer qu'ils restent à l'écart de
ce filon miracle ? - ce qui n'a fait qu'ajouter une pincée de piment à
un dossier qui n'en manquait pas.
Comme les précédentes lois d'outremer (loi Pons de 1986, loi Paul de
2001), le Girardin visait à encourager le développement économique
des Antilles, de la Réunion, de la Polynésie française, de la NouvelleCalédonie, de Wallis et Futuna, de Saint-Pierre et Miquelon, de
Guyane,de Saint-Barthélémy, de Saint-Martin et de Mayotte.
C'est un échec. Dans les territoires concernés, selon les calculs de la
cour des Comptes, la loi Girardin a créé un emploi pour 700.000 euros
investis, soit plus de 30 années de smic. Payer les gens à rester chez
eux aurait coûté moins cher. Le second objectif, la création de
logements, a été partiellement atteint, mais l'offre n'est pas toujours
adaptée à la demande, loin de là, et le coût pour les finances publiques
a été démesuré. Et il le sera encore pour quelques années, puisque le
Girardin s'éteindra seulement en 2017. En février 2012, alors qu'il
présentait le rapport annuel de la cour des Comptes à une petit
centaine de journalistes et de haut-fonctionnaires rassemblés sous les
boiseries de la rue Cambon, Didier Migaud, président de l'institution,
avait demandé avec force la suppression pure et simple de cette loi
inefficace et coûteuse. Ce n'est pas dans les habitudes de la Cour, qui
suggère aussi souvent que possible des aménagements législatifs, pour
11
Mais les 40.000 ne se sont pas partagés les 1,3 milliard d'euro. Le Girardin entraine des dépenses
pour l'Etat qui ne vont pas aux contribuables. ces derniers, en moyenne, ont quand même
économiser 38.600€ d'impôt en moyenne.
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ne pas trop donner l'impression de dicter sa conduite à l'exécutif.
L'ancien président PS de la commission des finances de l'Assemblée
nationale n'a été entendu, ni par le gouvernement Fillon sortant, ni par
le gouvernement Ayrault qui lui a succédé suite à la présidentielle du
7 mai. Au contraire ! A peine élu, et alors que l'heure était aux
économies , François Hollande a fait savoir qu'il ne toucherait pas au
Girardin.
Les députés ont demandé en novembre à l'unanimité au gouvernement
un rapport sur la défiscalisation en outre-mer avant le 1er mai 2013. Il
faut faire la lumière, a dit Christian Eckert, rapporteur général de la
Commission des Finances, car le "financement de l'économie
ultramarine" repose largement sur "des dispositifs de défiscalisation
extrêmement complexes et pour lesquels aucune évaluation rigoureuse
n'existe ». Beau moment d'hypocrisie collective. Ces dispositifs, ce
sont les parlementaires qui les ont voté. Quant aux évaluations, la cour
des Comptes les a faites et elles sont cinglantes. Les parlementaires
cherchent seulement à sauver la face et à gagner du temps. Dans
toutes les niches fiscales, il y a des chiens méchants, dit le dicton.
Ceux du Girardin sont manifestement dissuasifs.
Ils sont aussi très influents, au point d'avoir causé, également en
novembre 2012, un moment de stupeur à l'Assemblée. Les affaires
d'escroquerie en Girardin ayant une fâcheuse tendance à proliférer,
obligation à été faite en 2011 aux cabinets de défiscalisation de se
faire inscrire sur un registre en préfecture, les dirigeants et les associés
de ces même cabinets devant produire un extrait de casier judiciaire
vierge. Le te te est tr s mal appliqué, les préfectures d’outre-mer ne
sachant guère comment tenir ce registre. Apparemment, selon certains
parlementaires, cet encadrement minimal est encore trop contraignant.
Le 15 novembre, la député PS de Saint-Pierre et Miquelon Annick
Girardin, qui n'a aucun rapport avec l'ancienne ministre Brigitte
Girardin retirée de la vie politique, dépose un amendement qui
supprime l’obligation d’avoir un casier judiciaire vierge pour les
associés des cabinets de défiscalisation... Stupeur et malaise palpable
chez ses collègues parlementaires. « La suggestion de Mme Girardin
ne me paraît tout de même pas aller dans le sens de la sécurisation de
ces dispositifs », commente en séance Christian Eckert... « Il convient,
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bien entendu, de maintenir la présentation d’un e trait de casier
judiciaire », renchérit le même jour Gilles Carrez, président de la
commission des finances. Le même ajoute que « les procédures
contentieuses et les rappels fiscaux touchent des milliers de
contribuables métropolitains, parce qu’ils ont été « embarqués » dans
des montages par des cabinets de défiscalisation qui n’auraient pas dû
opérer ». La proposition a été rejetée. Quel en était le sens exact ?
Annick Girardin n’a pas trouvé le temps de l’e pliquer. Selon un de
ses collègues, "elle n'a pas écrit l'amendement et je doute même
qu'elle l'ai lu. Je pense qu'un lobbyiste s'est pris les pieds dans le tapis.
Il a cru qu'Annick Girardin était l'auteur de la loi et il a mis
l'amendement à son nom. Mais comment a-t-il pu arriver jusqu'en
commission, j'aimerais bien le savoir".
Des effets pervers à la tonne
Les hérésies fiscales sont souvent abstraites et impalpables. Dans le
cas du Girardin industriel, elles pèsent des tonnes, au sens propre. Ce
sont, par exemple, des pelleteuses neuves qui rouillent sous les averses
tropicales.
Elles sont arrivées là par un mécanisme assez simple. Imaginons que
vous ayez un impôt sur le revenu assez considérable à effacer, par
e emple 0.000€. Dans le cadre de la loi Girardin, vous confiez
30.000 € une société créée pour la circonstance. Cette société n'a ni
bureau, ni salarié. C'est une simple coquille juridique. Elle emprunte
0.000 euros et ac te pour 100.000€ d'engins de c antier en
Martinique, qu'elle loue immédiatement à une PME locale, pour une
durée de cinq ans. Le loyer versé par la PME rembourse l'emprunt. A
l'issue des cinq ans, les engins deviennent la propriété de la PME
martiniquaise, pour un prix symbolique. Vous avez donc perdu
30.000€. Vous gardez pourtant le sourire, car parall lement, l'Etat
vous a autorisé à déduire immédiatement de vos impôt, 50% de
l'investissement total. as de votre investissement de 30.000€, mais
bel et bien de l'investissement de 100.000€. Autrement dit, avec
30.000€ d'investissement, vous avez effacé 0.000€ d'impôt. Dans
certains cas, la défiscalisation pouvait même monter non pas à 50%,
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mais à 60% de déductibilité, voire 70%, par exemple pour de la
production d'énergie renouvelable à Mayotte.. La description du
mécanisme est un peu simplifiée, mais c'est ainsi qu'il fonctionne, ou
du moins qu'il a fonctionné pendant longtemps. En 2011, on est
revenu à des fourchettes moins baroques, mais qui montent tout de
même encore à 23% du total de l'opération. Les fiscalistes sont
unanimes, le Girardin industriel, c'est du jamais vu. La générosité de
l'Etat est tout simplement incompréhensible. Il est normal que vous
ayez à relire deux ou trois fois la description du mécanisme si vous
n'êtes pas spécialiste. Mais comment des hauts-fonctionnaires et des
élus ont-il pu ne pas voir l'effet d'aubaine qu'il induisait ?
Comme le relevait la Cour des comptes dans un rapport publié en
2010,
il serait "nettement moins coûteux de subventionner
directement ces opérations", du moins dans la mesure où "leur intérêt
économique et social le justifierait". C'est loin d'être toujours le cas.
On cherche en vain la trace des investissements réalisés en Girardin
dans les statistiques d'activité des territoires d'outre-mer. Les centaines
de millions d'euros auraient dû provoquer un boom de l'activité, dans
ces économies sous-dimensionnées. Leur effet est quasiment
imperceptible 12.
C'est assez tardivement que le fisc s'est aperçu que les "outils
industriels" étaient soit sous-utilisés, soit fictifs. Plusieurs milliers de
contribuables ont finalement été redressés en 2012. Entrés
relativement tard dans la danse, ils sont tombés sur des officines de
défiscalisation, spécialistes auto-proclamées du photovoltaïque, qui
ont saboté le travail. Il faudra rendre l'argent, avec des pénalités de
retard. Les sociétés SFER et Gesdom, toutes les deux dirigées par le
même homme, Bruno Cohen, ont également plongé dans l'embarras
quelques milliers d'investisseurs qui croyaient au solaire à la Réunion.
en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, ce sont les sociétés Labrador
Conseil et Granit qui défraient la chronique. Leurs clients, domiciliés
12
Leurs taux de croissance à 3%-5% annuels sont impressionnants par rapport à ceux de la
métropole, mais le chômage dépasse en général 30% de la population active, exception faite de la
Nouvelle-Calédonie, qui profite du boom du nickel, dont elle est des premiers producteurs au
monde.
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en métropole, sont dans le collimateur du fisc. Ce dernier épluche
depuis deux ou trois ans avec une attention maniaque les déclarations
des défiscalisés, et les redresse au moindre manquement. Telle est la
mission du fisc, mais en l'occurence, son réveil est tardif et cache
quelques épisodes dont on n'est pas très fier dans les couloirs de
Bercy.
Fraude fiscale sous caution d'Etat à Wallis et Futuna
La délégation générale à l'outre-mer, rattaché à la puissante direction
générale des finances publiques, donne son agrément aux dossiers en
Girardin au dela de 300.000€. Entre 2004 et 2008, elle reçoit par
exemple vingt demandes d'investissement dans le secteur du tourisme
à Wallis et Futuna. L'administration délivre, 14 agréments provisoires
donnant lieu à défiscalisation pour un montant total de 12 millions
d'euros. Pour ces deux confettis isolés dans le Pacifique sud, ruraux et
mal desservis par avion, le montant est colossal. Le plus borné des
fonctionnaires de la délégation générale à l'outre-mer ne peut pas
l'ignorer. Pourtant, Bercy donne un avis « favorable » à un
investissement dans un établissement hôtelier et « très favorable »
pour trois autres hôtels, alors que les dossiers, relèvera la Cour des
comptes, ne contiennent ni "bilans, ni comptes d’e ploitation, ni
estimation des retombées économiques attendues".
Finalement, Bercy donne huit agréments définitifs, ce qui veut dire
que l’administration considére que les investissements en cause ont
été réalisés. La Cour des compte, lors de son contrôle sur place en
novembre 2008, constate pourtant que les investissements concernant
trois hôtels à Wallis ne sont pas terminés. La construction est
"interrompue sans que la date de redémarrage des travaux puisse être
précisée". Un des hôtels avaient été définitivement agréées en
novembre 2005, l'autre en février 2007 et le dernier en mars 2008.
Les inscriptions de sociétés au minuscule registre du commerce de
Wallis et Futuna explosent en 2008. Plus de 225 inscriptions, contre
une trentaine en année normale, principalement dans le bâtiment et
l’ abillement, secteurs embryonnaires sur les deu
îles.
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"Curieusement, rel ve la Cour des comptes, apr s l’ouverture d’une
instruction judicaire auprès du tribunal de première instance de
Mata’Utu en novembre 2008 sur des dossiers de défiscalisation, les
inscriptions de sociétés nouvelles ont cessé". Version indulgente ; il y
a eu de la fraude fiscale à Wallis et Futuna au nez et à la barbe de
l'administration. Version sévère, émanant d'un économiste de l'Union
sociale de l'habitat, Bercy a délibérément fermé les yeux "pendant que
des copains du pouvoir en place s'enrichissaient éhontément" dans le
Pacifique. Ce qui expliquerait le zèle actuel de certains fonctionnaires
des impôts. Contraints d'avaler les couleuvres du Girardin pendant des
années, ils se déchainent aujourd'hui. Jusqu'en 2009, au sein de la
délégation générale à l’Outre-mer, relève la cour, il y avait un seul
agent affecté au contrôle des projets en Girardin, dont le total
avoisinait le milliard d'euros...
Cet unique agent était censé valider des projets de particuliers, mais
aussi de multinationales, car le Girardin était ouvert aux entreprises.
Accor, EDF, SFR, Veolia ou le Club Méditerranée ont pu financer
leurs investissements outre-mer grâce à la loi 13. Augmentée de
subventions européennes, elle aurait permis au Club Méditerranéenne
de financer la moitié de la rénovation de ses clubs en Martinique et en
Guadeloupe, au milieu des années 2000.
Le 21 decembre 2009, le quotidien économique La Tribune révèle
que le ministre du budget Eric Woerth a mis à pied un autre
fonctionnaire, soupçonné d'avoir accepté de l'argent d'un
défiscalisateur pour faciliter l'agrément de ses projets14. Georges
Thoma, 64 ans, énarque, contrôleur général, a été condamné le 29 juin
2012 à quinze mois de prison avec sursis et 40 000 euros d'amende
pour corruption active et trafic d'influence par la 17e chambre du
tribunal correctionnel de Paris. Il a fait appel. Moyennant finance, il
aidait la société DTD/Lynx a monté ses dossiers et passait des coups
de fil à ses collègues pour qu'ils accordent à son partenaire leur
bienveillante intention.
Le Nouvel économiste a pratiquement été le seul journal à en parler, au détour d'un dossier publié en
février 2011. Les entreprises concernées ne s'en sont pas vanter et Bercy, encore moins.
14 Article d'Alexandre Phalippou
13
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En l'occurence, Georges Thoma ajoutait peut-être le manque de
discernement au manque de déontologie, car Lynx était dirigé par un
homme d'affaire au profil un peu particulier, Jacques Sordes.
Egalement connu sous le nom de Jack M. Sword (il avait épousé une
Américaine et voulait faire américain), il a été reconnu coupable de
corruption envers M Thoma et condamné à une peine de 10 mois
d’emprisonnement ferme, assorti d’une amende de 40.000 euros. Lui
aussi a fait appel. C'est Jacques Sordes qui a porté plainte contre
Georges Thoma, faisant éclater l'affaire. Après avoir travaillé un
moment en bonne intelligence, les deux hommes se sont fâchés.
Georges Thoma réclamait plus d'argent.
Parallèlement à cette condamnation, Jack Sword doit faire face à
quelque 4400 clients furieux, qui lui demandent des comptes pour une
soixantaine de millions. Tout ceci, explique Jack Sword, est un
horrible malentendu. Les clients ne sont pas contents du tout, car Lynx
a encaissé leur argent sans construire les centrales photovoltaïques qui
justifiait la défiscalisation aux Antilles. A une certaine époque, au
ministère des finances, on ne redressait pas pour de telles broutilles.
Hélas, la roue tourne... Selon Jack Sword, c'est une simple question de
retard et de délais administratifs. Il faut vraiment avoir l'esprit mal
placé pour voir de l'escroquerie dans tout cela. Mais Bercy s'acharne !
L'Etat en a toujours voulu à M Sword. En 1999, un rapport
parlementaire le disait « mêlé à plusieurs affaires d'escroquerie en tout
genre portées devant les tribunaux », dirigeang avec son épouse la
secte Vital Harmony qui proposait des cures de "physio-neuro-énergie
». L'énergie, déjà. 15
Il est quand même permis de s'interroger sur le manque de curiosité,
pour le dire gentiment, des cabinets de conseil en patrimoine qui ont
orienté leur client vers DTD/Lynx. Le cabinet proposait des
rendements extraordinaires, mais ce n'était pas une raison pour lui
faire aveuglément confiance, bien au contraire. Le dirigeant avait un
profil qui n'était pas - dans le plus strict respect de la présomption
15
Les lecteurs que l'injustice révolte liront avec profit sa brève autobiographie, sur
www.jackmsword.com. La description de son passage chez Dechavanne avec une étoile jaune
portant la mention "secte" est particulièrement touchante.
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d'innocence - celui d'un austère capitaine d'industrie. Pourtant, des
années durant, Lynx a levée des fonds en masse. Mais après tout,
compte tenu des montages extravagants qui pouvaient s'envisager en
toute légalité... Pourquoi pas ceux de Lynx ?
Immobilier, l'effet d'aubaine
Comparées à celles du volet industriel, les dérives de la construction
de logements en Girardin semblent quasiment bénignes. Dans un
premier temps, entre 2003 et 2009, les problèmes rencontrés était les
grands classiques de la défiscalisation. Trop chers et trop petits pour
les familles nombreuses et modestes des dom-com, les logements
n'ont pas trouvé preneur. Des milliers d'acheteurs ont perdu le
bénéfice de la défiscalisation. La hausse incontrôlée du nombre de
constructions a provoqué une inflation des prix du foncier sur les îles.
Pour les premiers entrés sur le créneau, le Girardin résidentiel a quand
même été le jackpot : 40% à 50% du prix du logement en réduction
d'impôt, selon les zones, en échange d'une mise en location pendant
cinq ans. Ou encore, 25% du montant investi en réduction d'impôt
étalée sur dix ans pour l'achat d'une résidence principale... Bref
moment de vertige : l'Etat a fait cadeau de leurs impôts sur le revenu à
des contribuables fortunés, le sacrifice demandé en échange étant de
vivre en Polynésie... Et si la maison avait des panneaux solaires sur le
toit, c'était 4% de défiscalisation en plus ! "J'avais monté le dossier
pour un hôtelier de Tahiti, raconte un fiscaliste parisien. Il a mis sa
maison en location saisonnière, il s'en est fait construire une autre à un
million d'euros, ce qui lui a valu une réduction d'impôt de 290.000€. Il
ne paiera rien pendant dix ans et à l'arrivée, il aura deux palaces au
lieu d'un seul. Il a fallu que je lui explique plusieurs fois, il ne me
croyait pas". Ce ne serait plus possible aujourd'hui car La loi pour le
développement économique des outre-mer (Lodeom) votée le 27
juillet 2009 a réservé ce régime aux primo-accédants, avec un plafond
de surface de 150m2 maximum.
Une autre adaptation de 2009 a permis à des contribuables de ramener
leur impôt à zéro en louant, tout en déléguant les soucis de la gestion
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locative aux organismes publics HLM des dom-com. Gratuitement,
car c'était gagnant-gagnant... Le contribuable payait les logements,
l'office public supportait la gestion. Comme le contribuable récupérait
aussi les loyers et une bonne partie du prix d'achat, c'était gagnantgagnant surtout pour lui. Mais le Girardin, on l'a compris, était fait
pour aider les riches autant que l'outre-mer.
Chapitre 5. Attention, défiscalisateurs
Les groupes de toute taille qui ont réussi dans la défiscalisation
sont de piètres conseillers en gestion de patrimoine, de médiocres
bâtisseurs mais des vendeurs remarquables.
Conseillers en patrimoine bidon
Piètres conseillers, c’est indéniable. La mention « conseiller en
patrimoine » qui ornait la carte de visite de leur représentant n’était
même pas abusif, car c’est un titre qui ne veut rien dire. Certains
métiers sont protégés par un diplôme, comme coiffeur, maître nageur
ou boulanger. D’autres, comme psychanalyste, journaliste
d’investigation et conseiller en patrimoine n’ont aucun caractère
officiel. On peut le regretter, mais c’est ainsi16. L’immense majorité
des "conseillers" qui ont placé de la défiscalisation ne connaissaient
rien aux placements immobiliers, ni à la fiscalité. Ils étaient
monoproduits, vendant encore et toujours des T1 et des T2 dans des
villes moyennes où n’avaient jamais mis les pieds.
Ceux qui ont été rencontrés dans le cadre de cette enquête
n’auraient pas fait illusion plus de trois minutes devant un
16
Interrogés fin 2012, les responsables de l’Autorité des marc és financiers et de l’Autorité
de contrôle prudentiel s’avouaient atterrés par les pratiques des pseudo-conseillers en
défiscalisation, mais ils n’avaient pas de te te sur lequel s’appuyer pour un rappel à l’ordre.
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professionnel des placements et de la finance. Dans les premiers
temps, la r gle était d’attendre le second rendez-vous pour formuler
une offre, afin de conserver un semblant de sérieux et de donner au
moins l’impression d’avoir étudié le « profil fiscal » de la cible. Dans
l’eup orie du succ s, on a pu constater un certain relâc ement. En
2010, un commercial d’Actif + a réussi à boucler l’étude de mon
« profil patrimonial » exactement 12 minutes et 34 secondes après le
début de l’entretien, avant de m’annoncer, une minute et trente deux
secondes plus tard, qu'il avait trouvé ce qu’il me fallait : un T2 en loi
Scellier à Olonnes d’Oléron. Je lui avais fait le portrait de
l’investisseur qui ne devait surtout pas investir dans l'immobilier: déjà
endetté, à la rec erc e d’une épargne disponible à tout moment -il est
impossible de sortir du Scellier neuf ans- et peu imposé - les
journalistes ont déjà un abattement fiscal. our l’anecdote, l’entretien
avait lieu dans les locaux de mon employeur, UFC Que choisir et je
m’étais présenté sous mon vrai nom. Le commercial ignorait, de toute
évidence, que nous avions déjà publié des articles assassins sur
Akerys. Il m'avait évidemment incité à signer très vite, la résidence
étant presque entièrement vendue. Vérification faite, le programme
était en panne. L'immeuble était situé près d'une rocade, dans une zone
d'activité qui n'avait pas du tout le charme des sables d'Olonnes...
Médiocres bâtisseurs, c’est tout aussi incontestable. Bouygues a
construit du Robien, mais reste un géant du BTP capable de mener à
bien les c antiers les plus comple es, du pont de l’île de Ré à l’E R
de Flamanville. Les défiscalisateurs, quant à eux, ont dupliqué partout
en France la même résidence de trois ou quatre étages, vaguement
adaptée aux cahiers des charges locales, tuiles en Provence, ardoises
dans le Cotentin. La qualité de leurs constructions n’est pas
systématiquement indigne, mais il faudra voir comment elles
vieillissent. Les premiers retours ne sont pas rassurants.
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Sur le plan des méthodes de vente, en revanche, chapeau bas.
Toute la corporation de l’immobilier a pris une leçon. Redoutablement
efficace, leur technique est née par tâtonnement à la fin des années
1990, en puisant à diverses sources.
Dans ses procès-verbaux, un des enquêteurs du SRPJ de Toulouse
qui a enquêté sur le groupe Omnium compare ses méthodes à celle du
Groupement européen de professionnels du marketing (GEMP).
Tombé dans l’oubli, le Groupement a défrayé la c ronique pendant
une dizaine d’années. Il avait été fondé en 198 par un rancoaméricain au charisme impressionnant, Jean Godzich. Son modèle
économique consistait à placer aux particuliers cravates, insecticides,
produits d’ ygi ne ou de linge de maison, par l’intermédiaire de
vendeurs distributeurs indépendants (VDI). Chaque VDI touchait une
commission sur ses ventes, mais aussi sur celles des recrues qu’il
parvenait à faire entrer dans le système. Le Groupement revendiquait
à sa grande époque des dizaines de milliers de revendeurs et plus de
400 salariés à temps plein. L’administration des fraudes trouvait que
l’ensemble ressemblait furieusement à de la vente pyramidale : je
recrute trois adhérents qui me versent chacun dix euros de
commissions sur leurs ventes; eux-mêmes recrutent à leur tour trois
adhérents qui leur versent aussi dix euros, etc., et tout le monde
s'enrichit, jusqu'à l'inéluctable effondrement final. Pour ne rien
arranger, le conditionnement des apprentis vendeurs du Groupement
avait un petit arrière-goût sectaire. Lors de sessions de motivation
musclées (qui ont été enregistrées sur cassettes audio), Jean Godzich
faisait urler des slogans à la salle à l’unisson, e ortait ses vendeurs
à prier à genoux et les appelait à ne surtout pas avoir de scrupules :
« Je sais bien que beaucoup de choses vous dérangent. Mais arrêtez de
vous poser des questions ! Laissez de côté le fait de comprendre. Vous
n’avez pas besoin d’e pliquer au autres ce que vous faites. lus vous
allez réfléchir, plus vous allez tomber dans de faux problèmes. Car
plus on dépend de la raison, moins on croit. » Et moins on vend. Le
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Groupement a été liquidé en 1997 et le 27 janvier 2007, le tribunal
correctionnel d’Evreu a condamné Jean Godzich à trois ans de prison
par défaut (il a fuit la France) pour abus de biens sociaux.
Le bruit a couru que de nombreu cadres d’Omnium étaient passés
par le Groupement, mais aucun n’a été formellement identifié lors de
cette enquête. Omnium n’a pas davantage pratiqué la vente
pyramidale. Il y a une parenté évidente en revanche entre certaines de
ses mét odes et celles du GE M. ersonne ne s’est jamais mis à
genoux pour prier dans les séminaires du groupe immobilier mais,
comme le GE M, Omnium se faisait fort à une époque d’apprendre à
vendre à n’importe qui, et en très peu de temps. La motivation, la
« gnaque » et l’envie de faire du c iffre était présenté comme l’alp a
et l’omega du métier, au détriment de la prudence et du conseil, sans
considération pour les risques encourus. Facteur aggravant, Omnium
vendait des biens mille fois plus coûteu que le Groupement. L’un
plaçait des produits pour la maison, le second la maison elle-même.
Comme dans le Groupement toujours, les commerciaux qui
recrutaient de nouveaux distributeurs touchaient un pourcentage sur
les ventes de leurs filleuls. Comme dans le Groupement enfin, les
commerciaux étaient incités à commencer par leur entourage
immédiat : amis, coll gues, parents. Bien entendu, quand l’opération
tourne mal, la situatioon devient explosive. La victime spoliée est
votre coll gue de bureau, la famille du pavillon d’à côté, votre fr re,
votre m re…
Prendre le premier venu et en faire un commercial de choc en trois
jours suppose d’élaborer une mét odologie tr s précise. Celle
d’Omnium était détaillée à un point assez bluffant. E traits d’un
document de formation interne datant de 2006, dans sa mise en forme
originale. Bernard est le vendeur, Marc la cible.
« Bernard : Bonjour Marc, c’est Bernard à l’appareil. Est-ce que je
te dérange ?
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Marc : Non (alors on continue, mais si la réponse est oui, on lui
demande quand peut-on le rappeler)
Bernard : Comment vas-tu ? il est important de s’intéresser à
l’autre
Bernard : Qu’est-ce que tu deviens ? (adaptez en fonction des
circonstances : « comment ça va depuis… ? », etc.).
Marc répond… et demande en retour à Bernard comment il va.
Bernard : Moi ça va très bien, je fais le plus beau métier du monde
(parlez avec votre enthousiasme) = L’IMAGE
Marc : Ah bon ? Qu’est ce que tu fais ?
Bernard : Je suis effaceur d’impôts ou bien, je m’occupe
d’économies d’impôts, ou encore, je suis le médecin des
contribuables,… . = LE SLOGAN
Marc : A bon, c’est quoi ce métier ? Ca existe ?
Bernard : Oui, je suis effaceur d’impôts. J’efface les impôts de
ceux qui en paient (je soigne les contribuables qui paient des impôts).
Mais tu sais Marc, derri re ce trait d’ umour, il y a toute une réalité
professionnelle. Tu en paies toi des impôts ? » Etc.
Libres à chacun de trouver ces dialogues ineptes, ils ont été
efficaces.
On s’occupe de tout
Un autre aspect novateur de la méthode des commercialisateurs a
été le « package ». Ils prenaient tout en charge : la construction, la
négociation du prêt avec la banque, les formalités chez le notaire, la
rec erc e de locataire, l’encaissement des loyers et la gestion du bien.
Ce clé en main-zéro souci répondait visiblement à une attente forte
des clients, en particulier de ceux qui ne voulaient surtout pas
s’embêter avec des istoires d’argent, et qui ne lisaient donc pas la
presse spécialisée. Les Échos, La Tribune, Mieux-Vivre-Votre Argent,
Que Choisir et Le Particulier ont mis en garde pendant des années des
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lecteurs déjà méfiants, sans toucher les candides que le monde de
l’économie rebute. Les défiscalisateurs, probablement sans en avoir
clairement conscience au début, avaient inventé un concept qui
présélectionnait une clientèle non-avertie. En avril 2008, l’émission
« Envoyé spécial » diffuse un reportage du journaliste Olivier Pinte.
Intitulé « Les Robiens de la colère », c'est lui qui portera le coup fatal
au Robien, en touchant le public coeur de cible des défiscalisateurs.
Difficile de retracer la genèse du package et de lui attribuer une
paternité, car il est né en plusieurs étapes. Tout a commencé dans le
sud-ouest. Khan Vo Hong, dit « le Chinois », originaire de Pau, aurait
été un des premiers à vendre de l’immobilier tout-compris, avant
d’avoir quelques ennuis avec la justice. Xavier C ausson, fondateur
d’Omnium, aurait travaillé avec lui à une époque avant de créer
Omnium à Toulouse. Carrère-Gotham est également une société
toulousaine, de même qu’Akerys, leader du secteur, né du
rapprochement dans les années 1980 de deux groupes de HauteGaronne, le promoteur 4M et les réseaux de commerciaux IFB.
Ces Toulousains, collectivement, affinent à la fin des années 1990
une manière inédite de vendre de la pierre. Chacun apporte sa
contribution. Le groupe Monné Decroix, toulousain lui aussi, a
popularisé le concept de résidence clôturée avec espaces verts
privatifs, vaguement à l’américaine, qu’Akerys et Carrère Gotham
proposeront ensuite (Monné Decroix a été racheté en 2007 par le
Crédit Agricole, devenant CA Monné Decroix, puis Crédit Agricole
Immobilier). Ironiquemensxt, ces résidences fermées vont déchaîner
une salve d’articles mordants dans la presse nationale17, qui les voit
comme une énième manifestation de la tendance au repli sur soi du
rançais des zones périurbaines. L’idée que ces résidences puissent
être en réalité des pièges financiers pour la classe moyenne va passer
complètement inaperçue.
17
Voir Nathalie Gathié, « Bien au chaud dans nos ghettos de bobos », Marianne, 30 mai 2011
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Akerys, de son côté, a inventé la pseudo-association de défense des
consommateurs, Euro Delta Conseil. Pour 140 euros d’ad ésion
annuelle (souvent présentée comme obligatoire), EDC devait prendre
en c arge la défense de l’investisseur. Autant dire qu’elle ne sert
quasiment à rien, puisque la principale cause de souci des
investisseurs en question est précisément Akerys, à qui l’association
est totalement inféodée. Hébergée dans les mêmes locaux, elle a
toujours été présidée par un cadre dirigeant du groupe. Akerys a même
été rappelé à l’ordre par l’Urssaf pour avoir déclaré les salariés d’EDC
sous le régime associatif, plus intéressant sur le plan des charges.
L’administration a considéré que les intéressés travaillaient purement
et simplement pour le groupe.
Leader du secteur avec 56 000 logements vendus en dix ans,
Akerys est aussi le groupe qui est allé le plus loin dans l’organisation
du démarc age. Il a créé en 1998 sa filiale de centres d’appel
Télécontact, chargées de décrocher des rendez-vous en prospectant
tous azimuts. Télécontact récupérait des listings auprès des banques,
des sociétés de courtage en prêt, des comparateurs de crédits en
ligne, etc. Chaque rendez-vous décroché était ensuite confié à un
commercial du groupe ou bien vendu à un commercial indépendant.
Les autres défiscalisateurs ont sous-traité le démarchage par
télép one. Tous ensemble, ils ont abattu de l’ouvrage. Sac ant qu’il
faut une centaine d’appels pour décroc er un rendez-vous et que près
de 500 000 Robien-Scellier ont été vendus depuis 2003, il a sans doute
fallu passer quelque 50 millions de coup de fils…
Autre innovation d’Akerys, l’argument de l’étude de marc é,
censée déterminer le potentiel locatif d’une ville à partir d’un nombre
conséquent d’éléments socioéconomiques. Beau myst re que ces
études. En quatre ans d’enquête, il n’a jamais été possible d’en voir
une seule, ni même de rencontrer quelqu’un qui en aurait vu une. Au
contraire. M. Dr. de Six Fours les Plages, avait acheté un bien à
Akerys à Carcassonne « sur la base d’une étude du besoin en
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nouveaux logements positive — étude dont on sait depuis un rendezvous avec la mairie qu’elle n’a jamais été faite… »
Simulation de rendement gonflé et pseudo-assurances
Les simulations de rendement soumises aux prospects étaient, elles
aussi, standardisées, déformant toujours la réalité de la même manière.
Du bidon, mais sans improvisation. Résumé par un inspecteur de la
Direction départementale de la concurrence et de la répression des
fraudes du Rhône : « Leur promesse de rendement de 8 % annuel est
exagérée de quatre à cinq points. Ils commettent volontairement des
erreurs grossières. Par exemple, ils calculent la valorisation du bien
sur la base du pri total payé par l’ac eteur, comme si les ta es et les
honoraires du notaire allaient se valoriser. Quand vous versez
120 000 euros à l’ac at, vous vous retrouvez avec un capital
immobilier de 110 000 euros seulement. C’est élémentaire. Aucun
professionnel ne peut confondre de bonne fois le prix payé et la valeur
du bien.
« Ils présentent un beau tableau où l’appartement prend
automatiquement 2 % à 3 % par an, ce qui revient juste à prolonger la
tendance des dix dernières années, en oubliant les dix précédentes, où
les prix baissaient. Ils oublient ou minorent systématiquement la taxe
foncière. Contrairement à la ta e d’ abitation, elle est à la c arge du
propriétaire, et elle représente souvent l’équivalent d’un mois de
loyer. Et puis il y a les frais de rotation de bail. Pour une petite
surface, il faut compter souvent un autre mois de loyer tous les ans ou
tous les deu ans. Il n’en est jamais question. Les c arges d’entretien
sont manifestement minorées, et il n’est jamais fait mention de
provision pour travaux. »
Quand la marée des critiques a commencé à monter
dangereusement, à partir de 2005, les défiscalisateurs ont eu, là
encore, une réponse commune. Ils se sont tous mis à proposer des
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assurances de carence et de vacance locative et des garanties de
revente, censées couvrir la dépréciation du bien à l’issue des neuf ans.
Les dispositifs en question, bien entendu, étaient truffés de clauses
restrictives. La garantie de revente était plafonnée à 20 % ou 12 % de
la valeur du bien, alors que des appartements en Robien accusent des
décotes de 35 % à 60
du pri d’ac at. L’assurance « carence »
sautait après le premier bail, même si le locataire était resté seulement
trois semaines dans les lieux. De plus, elle était limitée à 6 ou 9 mois
de loyers. L’assurance « vacance » fonctionnait mieux, mais elle a été
tellement sollicitée que le système a fini par craquer. Groupama Gan
s’est retourné contre le groupe Omnium, en l’accusant d’avoir
fabriqué des faux documents pour activer les assurances. Une plainte a
été déposée, l’enquête suit son cours. Le seul moment, finalement, où
ces assurances auront parfaitement fonctionné, c’est à la signature du
contrat de vente. Elles étaient là pour rassurer l’ac eteur, et elles ont
atteint ce but.
De coquettes fortunes amassées sur le dos des clients
Si les victimes des défiscalisateurs se sont appauvries, les plus
dynamiques des commerciaux, symétriquement, ont très bien gagné
leur vie pendant di ans, quitte à s’asseoir sur la déontologie la plus
élémentaire. A partir de 2006, 2007 au plus tard, on peut vendre du
Robien dans des petites villes en étant honnête, en étant intelligent,
mais pas en étant les deux à la fois. À partir de quel revenu mensuel
cesse-t-on d’avoir des scrupules, voilà la question. « J’ai travaillé pour
IFB (filiale d'Akerys) pendant trois ans, de 2004 à 2007, et ce sont les
années les plus rémunératrices de ma vie, confie Alain. Je touchais
4 % du prix de vente, soit plus de 5 000 euros de commission pour un
T2 à 130 000 euros. Les bons mois, je faisais deux ou trois ventes. En
200 , tous les mois ont été bons, j’émargeais à 1 000 euros nets. En
200 , ça s’est un peu calmé, mais je suis passé tête de pont. Du coup,
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j’avais droit à un pourcentage sur les ventes des commerciau juniors
que je coachais ». Conscient du côté limite de son métier, Alain
renâcle à parler des particuliers qu’il a, selon toute vraisemblance, mis
dans le pétrin : « Il ne faut pas e agérer, je n’ai forcé personne. On ne
leur mettait pas le couteau sous la gorge pour qu’ils signent. »
Les défiscalisateurs ont aussi fait la fortune de leurs dirigeants.
Ceu d’Akerys se nomment Hervé de Galbert, ancien cadre de LeroyMerlin, et Robert Léon, énarque, ex-directeur général du groupe
Arnault. Les deux hommes ont créé en 1996 un fonds
d’investissement nommé Qualis 18, qui contrôle Akerys à 94 %.
En 2007, selon le magazine Challenges, la fortune des fondateurs
d’Akerys dépassait les 00 millions d’euros. Elle aurait fondu de
moitié par la suite. Le classement en question est très approximatif,
mais il est certain que les quatre hommes ont amassé énormément
d’argent pendant les années fastes. Elles sont aujourd’ ui révolues.
Akerys connaît depuis quatre ans un sérieu trou d’air. Le c iffre
d’affaires, qui atteignait 90 millions d’euros en 2008, est tombé à
430 millions en 2011. Les comptes de l’e ercice clos au 30 juin 2012
n’étaient pas publiés en fin d’année. Sur ce fond déprimé, les e partenaires se déc irent. Cinq anciens cadres dont le fondateur d’I B
ont porté plainte le 14 novembre 2011 auprès de la section financière
du parquet de Paris pour abus de biens sociaux, présentation de
comptes inexacts, abus de confiance et escroquerie, contre le holding
de tête du groupe Akerys, Korreden. Ils ont créé une Association de
défense des investisseurs minoritaires de Korreden (Admink).
Contactés, ils n’ont pas sou aité s’e primer.
Toujours selon Challenges, Xavier Chausson, fondateur
d’Omnium 4 0 résidences et plus de 32 000 logements construits), a
atteint en 2007 la 136e place au classement des fortunes de France,
avant de dégringoler dans les profondeurs du classement. Il avait
18
Avec Alain Cotte, décédé en novembre 2012, et Emmanuel Coste, polytechnicien, qui a revendu ses parts en
2010.
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accumulé 300 millions de patrimoine, mais la crise est passé par là et a
divisé sa cagnotte par cinq. En décembre 2010, Xavier Chausson a été
entendu par la Police judiciaire de Toulouse. Fin 2011, alors
qu’Omnium était dans la tourmente, il s’est mis en retrait de la
direction opérationnelle du groupe.
La fortune de rédéric Carr re n’est pas connue. Né en 19 , il a
pris la succession de son p re, un professionnel du bâtiment qui s’était
lancé dans les années 1980 dans la promotion immobilière. Les années
2003-2008 ont été fastes pour son groupe, Carrère-Gotham, ainsi que
sa filiale de gestion Loft-One. En 2008, l’ensemble a atteint un c iffre
d’affaires de 2 0 millions d’euros pour 400 salariés, contre
122 millions d’euros et 300 salariés en 2012. Gotham, qui a transféré
son siège de Toulouse à Neuilly en janvier 2011, est en train de se
diversifier dans les opérations d’aménagement urbain. Manifestement,
le groupe ne croît plus trop à l’avenir du logement en défiscalisation.
Très préoccupé par son image, Gotham se donne un certain mal pour
faire disparaître du web les témoignages potentiellement gênants, qu’il
s’agisse de ses constructions en zones inondables à Amb s Gironde ,
de ses résidences dans des zones où la demande locative est vraiment
faible, comme à Fougères (Ille-et-Vilaine), ou encore des malfaçons
du lotissement Toscane à Launac (Haute-Garonne).
À ce jour, Omnium est le seul du groupe des Toulousains à avoir
admis de graves erreurs et à avoir corrigé le cap. Le groupe a changé
de nom et s’est scindé en deu branc es, Immodeus pour la promotion
immobilière, et Stellium pour les produits de placement. Immodeus a
pris publiquement position contre les zonages du Scellier, en écartant
d’emblée quatre communes sur si comme potentiellement risquées,
liste à la clé. Il affronte depuis plus de six ans la colère de
l’Association de défense des investisseurs et mandataires Adim , une
association de victimes animée par une de ses anciennes
commerciales, Claudy Giroz.
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Du côté d’Akerys et de Carr re-Got am, l’ignorance, la pure et
simple ignorance, est aujourd’ ui le seul argument face au clients
furieux : ils ne savaient pas que le marché immobilier allait se
retourner, ils ne pouvaient pas prévoir que tant de résidences seraient
construites, etc. Avant la signature, tout était prévu. Apr s… Ayant
systématiquement présenté le produit comme sans risque, ces deux
groupes ass nent aujourd’ ui comme une évidence qu’il y a toujours
un risque.
Évidemment, ils relativisent la montée du mécontentement. En
2009, Akerys avait commandé au sondeur BVA une enquête
d’opinion aupr s de 2000 investisseurs et locataires. Il en ressortait
que 82
des propriétaires étaient satisfaits, ce qu’Akerys trouvait
excellent. À supposer que ce chiffre soit vrai, que diraient les
consommateurs si les voitures Renault avaient une fâcheuse tendance
à partir tout droit dans les virages, et que le constructeur réponde :
« hui fois sur dix, ça passe » ? De plus, ce tau de satisfaction n’est
pas crédible. BVA était payé pour ce travail, Akerys avait un contrôle
total sur les résultats et leur publication. Quelle que soit l’approc e
retenue, par témoignages, par relevé des boîtes aux lettres vides dans
les résidences, par discussion avec les assureurs, par recoupement de
ce qui se dit sur les forums, il apparaît plutôt que trois à quatre clients
d’Akerys sur di ne sont pas du tout satisfaits. La proportion est
identique pour Carrère-Got am ainsi que pour Omnium jusqu’en
2009.
Attaquées en justice par un propriétaire mécontent de son achat
dans la résidence « Le Carré Vert » à Caussade, les sociétés Elience et
Patrimoines de France campent sur une ligne de défense assez
révélatrice : « Le taux d'occupation de la résidence était de 70% huit
mois après la livraison et s'est maintenu depuis 19. » Autrement dit, ces
promoteurs trouvent normal et satisfaisant que trois clients sur dix
n'aient pas de locataire. Admettons qu'ils aient raison. Pourquoi ne pas
19
Arrêt de la cour d'Appel de Toulouse du 4 janvier 2010.
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l'avoir dit au moment de la vente ? Peut-être parce que les
appartements auraient été beaucoup plus difficile à vendre ? Ce n'était
donc pas sans risque ?
Et derrière les Toulousains…
Un modèle aussi efficace devait inévitablement susciter des
émules. Un partout en France, des petits promoteurs ont copié la
méthode toulousaine, plaçant quelques dizaines d’appartements en
Robien-Scellier avant de se retirer sagement, ou de faire faillite. L’un
d’entre eu , élas, a atteint le stade supérieur, celui où les dégâts
prennent une envergure nationale. Il s’agit du groupe ina iome, basé
à Amiens.
Sa brève histoire commence en 2003. Deux trentenaires, Joël
oulny et Olivier Clay, se lancent dans l’immobilier et s’orientent tr s
vite vers le créneau porteur du Robien. Le groupe a sa propre société
de commercialisation, Finance Plus, dirigée par Vincent Doligé. Cinq
ans après, le promoteur amiénois se débat déjà dans des difficultés
inextricables. Encore cinq ans et il a disparu des écrans. Fixaniome,
mis en faillite, est repris en septembre 2012 par le promoteur breton
Pierreval.
Carrière courte, mais bien remplie ! En 2006, Finaxiome frôle déjà
les deu millions d’euros de bénéfice. L’entreprise m ne grand train.
En 2007, le séminaire des commerciaux de Finance Plus est organisé à
Cannes avec, en animateur, l’ umoriste ranck Dubosc. La société
emmène 300 de ses collaborateurs au club Med au Portugal pour trois
jours, à bord d’un avion affrété pour l’occasion. En octobre,
Finaxiome organise un « déjeuner à la hauteur » à grand spectacle.
Vingt-deu convives sont embarqués à bord d’une grue qui les
transporte dans une nacelle à 50 mètres de hauteur sur le parvis de la
cat édrale d’Amiens. Le repas est préparé par Alain assard, c ef du
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restaurant L’Arp ge, à aris, trois étoiles au Mic elin. C’est ce qui
s’appelle festoyer au-dessus du gouffre, mais personne chez
ina iome ne semble s’en apercevoir.
À cette date précise, octobre 2007, le promoteur a déjà un nombre
impressionnant de programmes enfoncés dans l’impasse. La
catastrophe se précise à Avion (Nord), Roanne (Loire), Frignicourt
(Marne), Mamers (Orne), Château-du-Loir (Sarthe), Châteauroux
(Indre), Angoulême (Charente), Thaons-les-Vosges, Lannion (Côtes
d’Armor , Louviers Eure , etc. Les chantiers prennent un retard
considérable, les artisans ne sont pas payés à temps, les investisseurs
s’impatientent. Les plus lucides sont même franchement affolés. Il
faut dire que dans le registre de l’amateurisme ou de l’inconscience, le
groupe amiénois a franchi un pas supplémentaire par rapport à tous
ses concurrents. Il a réussi à vendre des biens en défiscalisation dans
au moins deu communes qui n’étaient pas éligibles au dispositif, Le
Crotoy (Somme) et Digoin (Saône-et-Loire). Sachant que le zonage
des lois Scellier était déjà e cessivement large, c’est assez
remarquable. Les commerciaux ont donc exposé avec brio à leurs
clients des simulations de rendement basées sur une défiscalisation
légalement impossible.
Quand les victimes se sont aperçues de cette faille énorme dans
leurs dossiers, il était déjà trop tard. N’importe quel avocat-stagiaire
leur aurait obtenu l’annulation de la vente mais, élas, ina iome était
déjà au bord du redressement judiciaire, survenue en juillet 2012.
Fiaxiome laissait en plan quelque 600 logements inachevés. Le
promoteur Pierreval, qui a repris le groupe, se proposait de les finir.
La place manque pour décrire les malversations de toutes les
officines qui ont animé le marché. Leur histoire, du reste, est un peu
répétitive : toujours les mêmes promesses, toujours les mêmes
mensonges, toujours les mêmes mét odes. À tel point qu’il est
difficile avec le recul, de ne pas s’interroger sur la lucidité des
victimes. Les clients floués d’un vendeur de meublé en LM loueur
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en meublé professionnel) du nom de Jean- rançois Guinot s’étaient
surnommés entre eux « les pigeons », ce qui n’est guère flatteur20.
igeonnés, ils l’ont été. Mais on peut se faire avoir sans être crédule,
ni faible d’esprit…
« Mais comment peut-on être aussi bête ? »
La question revient comme un leitmotiv. Les journalistes se la
posent, comme les avocats qui acceptent de défendre les victimes, tout
comme, probablement, les magistrats qui examinent leurs plaintes
tardives. Ils ont acheté sur plan des appartements situés dans des villes
distantes de 400km ou 700km, villes qu'ils ne connaissaient pas et où
ils ne se sont jamais rendus. Ils n'ont vérifié ni la cohérence du prix de
vente, ni le caractère réaliste des loyers promis. Ils ont accepté des
offres de prêts sans jamais rencontrer la banque. Ils ne se sont même
pas déplacés à l'étude notariale le jour de la signature. Sans parler du
fait qu'ils voulaient échapper à l'impôt. L'appat du gain les aveuglé,
pourquoi les plaindre ?
En fait, l'appat du gain peut être écarté très vite. Une seule des
centaines de victimes contactées au cours de cette enquête a pris
l'initiative de défiscaliser (et elle était fonctionnaire des impôts...)
Toutes les autres ont été démarchées, sans exception. Il ne faut pas se
tromper de combat. Chacun reste libre de trouver odieusement
égoïstes les contribuables fortunés allergiques à l'impôt qui bâtissent
des tactiques d'optimisation fiscale. Mais une chose est claire, ceux-là
ne s'adressent pas à des officines monoproduits comme Carrère,
Finaxiome ou Akerys. Ils vont voir directement des cabinets de
conseil dignes de ce nom, à même de proposer l'ensemble de la
panoplie légale qui réduit l'addition.
L’ istoire de Jean-François Guinot mériterait vraiment d’être racontée, mais les lecteurs trouveront de tr s
bons papiers en ligne à son sujet, signés de David Servenay, sur le site de Rue 89.
20
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Nos victimes se recrutent parmi les classes moyennes. Le Comité
d’évaluation des dépenses fiscales et des nic es sociales a analysé le
profil des particuliers qui ont bénéficié des lois de défiscalisation dans
un rapport publié en août 2011. Ses travaux montrent que le revenu
médian du ménage investisseur en Scellier est de 68 000 euros
annuels, ce qui est confortable mais pas énorme. Un tiers de ces
investisseurs est dans la tranc e d’imposition de 14%, ce qui
correspond à des revenus annuels nets de 25.000 euros environ. Ce
n'est pas exactement ce qu'on appelle « rouler sur l'or ». Si les
victimes avaient été vraiment riches, du reste, elles n'auraient pas eu
besoin de s'endetter pour investir. Or, là encore, le recours à l'emprunt
concerne l'immense majorité des investisseurs spoliés.
Reste la bêtise. Etaient-ils idiots ? La question n'est pas seulement
rhétorique. Si les juges considèrent que les investisseurs ont manqué
de la vigilance la plus élémentaire, ils seront moins sévères avec les
responsables.
Paradoxalement, les particuliers qui se sont fait abusés finissent
assez souvent par se ranger à la thèse de leur propre idiotie, au terme
d'un cheminement intérieur qui commence par le déni, se poursuit par
la colère et se termine par l'abattement.
Les victimes, au début, refusent de voir la réalité. Quand un agent
immobilier indépendant leur dit que l'appartement vaut 40% de moins
que le prix payé, ils ne le croient pas. Quand le gestionnaire leur
assure que les difficultés pour trouver un locataire sont
« temporaires » et qu'on aperçoit le bout du tunnel, ils se raccrochent à
ces veines promesses. C'est seulement au bout d'un an sans locataire,
voyant qu'ils vont perdre irrémédiablement le bénéfice de la
défiscalisation, que la colère l'emporte. Ils se retournent alors contre
le vendeur et lui agitent sous le nez ses simulations de rendement.
Mais confrontés à leur signature en bas des bons de réservation et des
actes de vente, ils finissent par intérioriser qu'ils ont commis une
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énorme erreur. Ils baissent les bras. La honte les accable, et seule une
minorité continue à se battre.
Toutes les catégories sociales, presque toutes les corporations
Neuf fois sur dix, les victimes sont diplômées. Une fraction assez
conséquente est même surdiplômée, bac+5 et davantage. On atteint
parfois le sommet de l'échelle sociale. Nicolas Bazire, membre de
l'état-major du groupe LVMH, directeur de cabinet du Premier
ministre Edouard Balladur de 1993 à 1995, figure parmi les victimes
du groupe de Jean-François Guinot... A l'époque où il a fait son
investissement malencontreux, son frère Arnaud Bazire dirigeait
Lamy-Nexity, un des plus gros gestionnaires de biens de France... La
quasi-totalité des victimes du Girardin et de la location en meublé
professionnel, régimes adaptés aux contribuables à forts revenus, sont
d'un très bon niveau social : médecins, hauts-fonctionnaires, cadres
supérieurs, etc. Dans le Robien-Scellier, les policiers et les gendarmes
semblent en léger sureffectif, peut-être parce que le groupe Omnium,
qui fonctionnait par cooptation, a été assez actif parmi les forces de
l'ordre. L'Éducation nationale et le secteur médico-social sont bien
représentés, tout comme les petits commerçants. On trouve dans les
listes de victimes des informaticiens, des responsables marketing,
quelques journalistes, mais aucun avocat. Aucun agriculteur non plus,
mais ils n'ont peut-être pas été beaucoup démarchés - ils ont d'autres
moyens de défiscaliser.
Les victimes viennent de toutes les régions de métropole. L'Île-deFrance, Rhône-Alpes et le Nord-Pas-de-Calais reviennent souvent,
mais dans la mesure où ce sont les régions les plus peuplées, il est
normal qu'elle soient bien représentées dans l''échantillon. L'idée que
les Franciliens pourraient avoir été plus facile à berner sur la valeur
des biens parce qu'ils habitent une région exceptionnellement chère est
séduisante, mais pas vraiment étayée. A contrario, bon nombre de
Ouvrage “RUINES” de Erwan SEZNEC. Mis à disposition gracieusement par son auteur aux
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victimes habitent des endroits où l'immobilier est plutôt bon marché.
Des Bretons ou des Isérois qui n'auraient jamais payé 150 000 euros
un T2 près de chez eux ont cru que les prix étaient plus élevés ailleurs.
Dans l'euphorie des années 2003-2008, où l'immobilier progressait de
8% tous les ans, ils étaient certainement plus faciles d'abuser les
clients en avançant des prix fantaisistes. « J’ai vérifié sur internet que
les tarifs de vente et les loyers de la simulation était bien en ligne avec
le marché», se souvient Olivier. « On me proposait un bien à
Annemasse. Apparemment, ça collait. En réalité, j’étais en train de
m’auto-into iquer. Quand j’ai signé en 200 , les programmes en
défiscalisation représentaient la grande majorité de la construction en
logement collectif neuf dans la ville. J’ai cru que j’ac etais au pri du
marc é, alors qu’en fait, on était simplement des centaines à se faire
avoir ! » Même chose pour les loyers. Cinquante annonces de T2 à
louer à 650 euros par mois signifient que tel est le prix du marché à
Épinal, ou bien que les T2 restent vacants à ce prix-là.
Si l'âge a un effet, il est invisible. Les victimes ont de 25 ans à 65
ans. Le profil fiscal qui revient le plus souvent est celui d'un couple
dans la quarantaine ou la petite cinquantaine. Parmi les personnes
seules, on trouve autant de femmes que d'hommes.
Et globalement, ils sont tout sauf demeurés. Les blogs et les
forums des floués de la défiscalisation contiennent de témoignages
lucides, mis en ligne avec le souhait explicite de rendre service. Les
victimes donnent des dates, des chiffres, avancent des conseils. Elles
veulent alerter les autres, pour que pareille mésaventure ne leur arrive
pas.
L'exemple le plus abouti est Didier H. Ayant compris très vite qu'il
avait commis une énorme erreur en achetant un appartement au
groupe Akerys, il a mis en ligne son histoire dans les moindres
détails21. Didier H. avait conclu son achat en septembre 2002. Il a pris
21
Voir <arnaqueimmo.blogspot.fr>
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livraison du bien en janvier 2005. Six mois plus tard, flairant
l'embrouille, il se rend sur place, et constate que le travail est bâclé :
« La salle de bain n’est pas terminée, et la paroi séparant le séjour de
la chambre est posée de travers !!! Je comprends maintenant pourquoi
cet appartement ne trouve pas de locataire. Qui voudrait payer 405
euros par mois pour habiter un appartement mal fini ? » Didier H.
prend très vite un avocat et se retourne contre Akerys. Il fait évaluer
son bien. Acheté 97 000 euros, l'appartement en vaut tout au plus
72 000 euros. Il ouvre son site en mai 2006. « J’esp re que ceu qui
vont investir dans ce genre de formule seront un peu moins naïfs que
moi », conclut l'auteur. Très bien classé sur les moteurs de recherche,
son blog a sans doute évité des années de galère à nombre de
particuliers. Un autre investisseur, Stéphane B. avait lui aussi créé un
blog de dénonciation suite à une défiscalisation malencontreuse en
outremer vendue par BNP Paribas Immobilier22. Sa page a fermé au
bout de quelques semaines seulement. La banque a accepté de le
dédommager afin de faire cesser cette contre-publicité. C'était en
2010.
Ces démarches n'ont évidemment pas été systématiques. Le
sentiment de honte a prévalu chez beaucoup de victimes, les retenant
de témoigner et de raconter partout comment ils s'étaient fait avoir. Ce
qui a finalement profité aux défiscalisateurs.
Des commerciaux assez médiocres
« Le commercial qui nous a fait signer était vraiment fort », disent
souvent les victimes. Les cinq démarcheurs que j'ai rencontrés en me
faisant passer pour un client potentiel m'ont plutôt impressionné par
leur ignorance en matière de placement. Elle atteignait des
profondeurs vertigineuses. Il est normal qu'un néophyte confonde
SCPI et FCPI. Quand on se prétend professionnel de la gestion de
22
Cf. <cestunscandale.com>
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patrimoine, c'est plus gênant. Les fonds commun de placement pour
l'innovation n'ont pas grand chose en commun avec les sociétés civiles
de placement immobilier... Mes conseillers ignoraient que la taxe
foncière et la taxe d'habitation sont fixées au niveau local et non
national. En fait, sortis du chemin étroit tracé par l'argumentaire qu'ils
avaient appris par cœur, ils étaient complètement perdus. C'était peutêtre des spécimens particulièrement mal embouchés. Mais il n'est pas
impossible non plus que les victimes surestiment le niveau des
commerciaux sur lesquels elles sont tombées. Se faire avoir n'est pas
flatteur, se faire avoir par un individu médiocre l'est encore moins.
Pourtant, quelle que soit notre intelligence, nous sommes
manipulables. Il n’est pas nécessaire que le manipulateur soit abile. Il
n’a même pas besoin de comprendre ce qu’il fait pour que la
manipulation fonctionne. Une expérience a été menée en 1982 dans un
supermarché de Kansas City. A l’entrée du magasin, un démonstrateur
propose un morceau de pizza à des personnes seules. Une fois sur
deu e actement, il leur touc e l’avant-bras. Premier constat, 51% des
personnes qui n’ont pas été touc ées acceptent de goûter la pizza,
contre 79% de ceux avec qui il y a eu contact physique. Un autre
expérimentateur leur demande ensuite de noter le goût de la pizza de 1
à 10. On ne constate aucune différence entre les deux groupes. Ceux
qui ont été touc és par le démonstrateur ne l’ont pas trouvé meilleure.
Les sujets de l’e périence poursuivent leur parcours dans le
supermarché. Ils évoluent dans les rayons, remplissent leur chariot.
Mais à la sortie, on constate que ceux qui ont été touchés, parfois 10
minutes ou un quart d’ eure auparavant, et alors qu’ils ne s’en
souviennent peut-être même pas, sont deux fois plus nombreux que les
autres à avoir acheté une pizza...
Les ressorts théoriques de cet effet du toucher font débat, mais le
fait est la manipulation fonctionne Bien sûr, tout le monde ne tombe
pas dans le panneau, mais en multipliant les contacts, les
manipulations donnent des résultats. Pour des pizzas comme pour des
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appartements. Thierry He., gendarme, donc présumé perspicace, a
acheté à Finaxiome, alors que le groupe était déjà au bord de la
faillite, un appartement sous le régime de la loi Scellier situé au
Crotoy, commune qui ne faisait pas partie des zones éligibles au
Scellier. Il suffisait de trois minutes pour le vérifier sur internet. M et
Mme Hi., commerçants, a priori plutôt à l'aise avec les chiffres, ont
avalisé des simulations de rendement incohérentes pour un T2 à
Langres. Sabine T., fonctionnaire à la ville de Paris, habituée à
décrypter des textes officiels, s'est fiée au décret qui classait Vitry-leFrançois comme une commune en pénurie de logements, alors qu'elle
connaissait cette petite ville et savait à quel point il est facile d'y
trouver un appartement. « Je ne comprends pas comment j'ai pu
signer », se désole-t-elle aujourd'hui.
Un souvenir revient souvent dans les témoignages sous des
formulations variées, c'est celui d'un sentiment d'irréalité au moment
de la signature. Les commerciaux qui ont atteint leur but n'ont pas
convaincu au moyen d'arguments rationnels. Ils ont suspendu le
discernement des clients. Ils les ont plongés temporairement dans une
espèce de bulle irréelle. Les sommes en jeu étaient trop élevées pour
être parlantes. Les villes étaient lointaines, inconnues. La mécanique
du placement semblait débarrassée de toutes les aspérités de la vie
courante : pas de contact avec le locataire, pas de visite sur place, pas
de rendez-vous à la banque. Il suffisait de se fier à la parole du
démarcheur pour se retrouver comme sur des rails. Ce dernier
échouait très souvent, mais transformer ne serait-ce qu'un essai sur
quinze suffisait à le faire vivre.
Pour créer un climat de confiance, les commerciaux des
défiscalisateurs utilisaient des méthodes de psychologie pratique
éprouvées.
Première étape, obtenir un rendez-vous dans un cadre familier,
idéalement le domicile du client. Chacun se sent en sécurité chez soi, à
tort. En réalité, cela dissipe la méfiance. Les clients sont plus prudents
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quand le rendez-vous a lieu dans des bureaux impersonnels. Une fois
dans la place, un grand pas a déjà été accompli. Par souci de
cohérence mentale, des personnes qui acceptent de laisser entrer un
commercial chez elles vont avoir tendance à rationaliser leur
comportement : « Si je le reçois, c'est que j'ai une raison de le
recevoir. Si je l'écoute, c'est que j'ai une raison de l'écouter. » C'est ce
qu'on appelle la technique du pied dans la porte : demander peu à
quelqu'un au début pour obtenir beaucoup par la suite. La personne
qui a commencé à dire « oui » à une demande en apparence anodine
aura du mal à dire « non » brusquement, même quand elle sera
sollicitée pour des engagements beaucoup plus sérieux. En
défiscalisation, le prétexte du premier rendez-vous était en général de
discuter de réduction d'impôt. Il n'était jamais question de vente, mais
de service. Le premier commercial que j'ai reçu se présentait comme
représentant d'une association à but non lucratif, le Sésame...
« Qu'avez vous fait pour vos proches ? » « Quelle place accordez-vous
à la réalisation de vos rêves ? » « La confiance est-elle pour vous aussi
une valeur capitale ? », questionnait gravement sa plaquette sur papier
glacé.
Une fois engagée la conversation, il s'agit de gratifier
l'interlocuteur d'une étiquette positive : « Je vois que vous êtes un père
de famille responsable, qui pense à l'avenir de ses enfants... Vous avez
bien compris l'intérêt de notre démarche... Vous ne faites pas partie de
la masse des contribuables qui subit la fiscalité... ». Sous-entendu,
« vous êtes plus futé que la moyenne ». C'est ce qu'on appelle
l'étiquetage. Le client acquiert le sentiment de faire preuve de maturité
et de sagacité en prolongeant les échanges.
Les commerciaux insistaient souvent pour que les deux conjoints
soient présents au rendez-vous. Le bon sens suggère que deux
personnes feront preuve de davantage de sens critique qu'une seule,
mais c'est une idée reçue contredite par l'observation. Si vous
annoncer tout à trac à votre conjoint que vous avez signé l'après-midi
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même un bon de réservation pour un appartement qui va vous endetter
pour 25 ans situé à l'autre bout de la France, il y a de fortes chances
qu'il ouvre de grands yeux et vous dissuade d'aller plus loin dans la
démarche. Imaginons maintenant que vous prenez exactement la
même décision devant lui ou devant elle, en présence du commercial.
Votre conjoint a de sérieux doutes, mais il ne les manifeste pas sur le
moment, ni le soir. Plus le temps passe, plus il lui sera difficile de
vous en faire part, car il se sentira tenu à une certaine cohérence
mentale. « Pourquoi tu ne l'as pas dit plus tôt ? Mais tu étais d'accord !
Tu changes d'avis comme de chemise ! » Certes, mais il faut parfois
en changer.
Les événements graves survenus dans notre entourage proche
(décès, maladie, suicide, etc.) nous ouvrent parfois les yeux sur les
réalités de l'existence et nous rendent plus lucides. Quelques dossiers
examinés dans le cadre de cette enquête montrent que ce n'est pas
toujours le cas, au contraire. Agnès B. s'est lancé dans un projet très
mal ficelé alors son compagnon venait de développer une sclérose en
plaque. Evelyne B. également, juste après le suicide de son fils. Tout
comme Hélène H., qui venait d'apprendre que sa petite fille de six ans
allait développer une maladie neuro-dégénérative très invalidante. La
capacité d'analyse peut-être engourdie par le chagrin ou l'angoisse de
l'avenir.
Bien entendu, si on laisse un temps raisonnable aux intéressés pour
analyser la situation, ils vont finir par renouer avec la réalité. C'est la
raison pour laquelle les commerciaux étaient assez pressants. Ils
montaient et remontaient à l'assaut, toujours cordiaux, toujours avec
des résidences quasiment vendues, des propositions à saisir très vite,
dans l'intérêt même du client. Ils insistaient aussi beaucoup,
parallèlement, sur la liberté de choix. Plus on se sent libre dans une
décision, plus on risque de persévérer, même quand les doutes
grandissent en nous. Il est plus facile de dire « non » à une contrainte
extérieure qu'à une contrainte que nous nous sommes créée
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volontairement. C'est ce que les spécialistes du comportement
appellent la « t éorie de l’engagement ». Nos actes (une signature, une
réservation, etc.) nous engagent, même s'ils sont en opposition
complète avec nos désirs ou nos opinions. Si les commerciaux avaient
ouvertement tenté de forcer la main des clients, la plupart se seraient
rebiffés. Au contraire, ils leur ont répété à toutes les étapes qu'ils
avaient le choix, et qu'ils allaient faire le bon... en signant.
Un autre élément qui relève lui aussi de la psychologie a
certainement joué en faveur des défiscalisateurs, c'est la masse
invraisemblable de digressions autour de la crise du logement en
France (cf. chapitre 7). Elle conduisait à une conclusion apparemment
assise sur l'évidence : un investissement dans la pierre ne peut pas
vraiment être mauvais. Au pire, il rapportera moins que prévu. Le
train de l'immobilier est en marche, rien ne l'arrêtera, en tout cas pas
avant des années. Si l'occasion se présente de monter à bord, il ne faut
pas la laisser passer. Avec le recul, alors que la décrue des prix est
amorcée partout en France, il est frappant de constater à quel point
cette conviction était finalement peu étayée. Elle se nourrissait d'elle
même. Les prix vont monter parce qu'ils montent, le pays a besoin de
logements parce qu'on en construit.
Les défiscalisateurs n'allaient pas dire le contraire. L’État ne
pensait qu'à soutenir la construction. Restaient quelques acteurs qui
auraient pu ramener à la raison les candidats à l'endettement, les
banques et les notaires. Un nouveau chapitre ne sera pas de trop pour
raconter à quel point ils n'ont pas été à la hauteur de la situation.
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Chapitre 6.
Banques et notaires, l’art de ne rien voir
De l'affaire Kerviel à la faillite de Lehman Brothers en passant par
les prêts toxiques aux collectivités, Les années 2000 resteront pour les
banques comme les années des chartes de déontologie toute neuves et
des dérapages simultanés qui les démentaient.
Dans ce dernier registre, la défiscalisation occupe une place de
choix. Jérôme Kerviel a coûté un peu moins de 5 milliards d'euros à la
Société Générale. Le cumul des divers scandales Simbiosis,
Apollonia, Finaxiome, Omnium, Akeris, etc., porte sur quatre à cinq
fois plus, soit 20 à 2 milliards d’euros. Dire que les banques ont joué
un grand rôle dans l'affaire est un euphémisme. Sans elles, rien
n'aurait été possible. L'immense majorité des défiscalisés, en effet, a
souvent emprunté 90% ou 100% de la somme investie. Cette
démarche en elle-même est assez curieuse, car elle suppose que le
placement aura un rendement supérieur aux taux d'intérêt demandé par
la banque. Or, l'immobilier locatif rapporte 4% à 5% par an, rarement
davantage, ce qui correspond à peu près au taux d'un emprunt
immobilier tout frais compris. En fait, seuls le bonus de la
défiscalisation rendaient ces opérations viables. Elles étaient sujettes à
caution, délicates, risquées.
Les dossiers concernés n'étaient pas très difficiles à repérer,
puisqu'ils étaient servis tout ficelés par des défiscalisateurs, rémunérés
à la commission comme apporteurs d'affaires. La profession
d'intermédiaire en opération de banques est, en principe, strictement
réglementée (articles L 341-1, L 519-1 et suivants du Code monétaire
et financier). Elle doit faire l'objet d'un mandat écrit mentionnant,
entre autres, la rémunération de l'intermédiaire. Or, pas une seule fois
au cours de cette enquête, il ne m’a été possible de voir un tel mandat,
délivré par une banque à un commercial. Les commerciaux ne disaient
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jamais spontanément à leurs clients qu'ils étaient commissionnés et
qu'ils avaient donc un intérêt direct à ce que l'acheteur se finance par
leur intermédiaire. Interrogés sur ce point, ils restaient aussi
longtemps que possible dans le flou, parlant de « partenariat
privilégié » et d'« offre préférentielle ». En réalité, dans le meilleur
des cas, les prêts qu'ils plaçaient étaient identiques à ceux de n'importe
quelle banque, avec leur commission en plus. Et dans le pire, il
s'agissait de produits complexes, dangereux et inadaptés à la situation
de l'emprunteur. Mais comme cette situation, très souvent, était
examinée en moins de cinq minutes par un commercial incompétent
en matière financière, les dossiers étaient enregistrés sans état d'âme.
Des prêts débloqués sur la base de faux documents
Quand une banque avance des fonds, que ce soit à un État au bord
de la faillite ou à un ménage, elle fait ce qu'on appelle un « stress
test » : que se passera-t-il, si... ? Tous les curseurs sont poussés au pire
(perte de revenus du débiteur, absence de locataire, changement de
réglementation, travaux imprévus, retournement du marché, etc.) afin
de mesurer les dégâts potentiels. Les ruinés de la défiscalisation ont
tous un point commun : pour eux, ce travail n'a pas été fait.
Chantal B. et Régis C. signent le 22 novembre 2005 pour l'achat
d'un T2 de 50 m2 à 126 000 euros dans la résidence François de
Neufchâteau à Épinal, par l'intermédiaire d'Akerys. Alors qu'ils
souhaitent apporter au moins 10% de la somme, le commercial les
persuade d'emprunter la totalité. Sa commission était sans doute
calculée en pourcentage du crédit. Le tableau de remboursement qu'il
leur soumet en décembre 2006, et qu'il transmet également à la
banque, relève de la pensée magique. Les loyers rentrent sans incident
et augmentent d'année en année. Le bien se valorise tous les ans
jusqu'en 2020. Pas question de dépenses d'entretien, pas de mention
des impôts locaux. L'effort mensuel apparent est inférieur à 400 euros.
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La résidence sera livrée en août 2009, avec plus de deux ans de
retard, le loyer réel sera 30% moins élevé que prévu et l'effort réel de
remboursement du couple avoisinera les 900 euros. Bref, l'opération a
mal tournée. La banque pouvait-elle le prévoir ? Oui. Elle a laissé le
couple s'endetter sur la base d'une simulation bâclée qui tenait sur une
demi-page A4, assorti d'un prix de vente invraisemblable. Chaque
année, Callon, un petit éditeur spécialisé basé à Surgères, en CharenteMaritime, publie un gros annuaire détaillant les prix de l'immobilier
dans les 5 000 principales villes françaises. La « cote Callon » coûte
moins de 70 euros. Il suffisait de l'ouvrir pour voir que Chantal B. et
Régis C. fonçaient dans le mur.
Le 9 novembre 2006, Florent D. emprunte 93 000 euros à BNP
Personal Finance, lui aussi par l'intermédiaire d'Akerys, pour un
investissement en Robien dans la résidence « Palo-Alto », à Béziers.
« Vous avez failli sur plusieurs points », écrit-il à la banque le 6 avril
2009. Le dossier « a été établi par correspondance avec la société IFB
Akerys, qui m'a évidemment prescrit de ne m'occuper de rien... Vous
avez omis de vérifier ma situation financière préalable... Je gagnais
1600 euros et non 2153 euros comme cela est indiqué dans votre
système informatique... Je vous somme dès à présent de me faire
parvenir dans les plus brefs délais une copie de mes bulletins de
salaire produits pour l'obtention du prêt et de la fiche de
renseignements dont vous disposez me concernant ». L'opération dans
laquelle a investi Florent D. a tourné au fiasco. Il s'est retrouvé endetté
à hauteur de 60% de ses revenus mensuels, c'est-à-dire deux fois le
ratio considéré comme raisonnable. Le risque était patent mais
personne ne le lui a expliqué, puisque tout s'est déroulé par
l'intermédiaire d'Akerys.
Les banques ne rencontraient pas les clients des défiscalisateurs,
mais elles laissaient ces derniers piétiner les règles qui protègent le
consommateur, y compris des dispositions essentielles comme les
délais de rétractation. Le 13 décembre 2008, un commercial d'Akerys,
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M Christian J., vient au domicile d'Alain P., et lui fait signer une offre
de prêt de la BNP Personal Finance pour l'achat d'un T2 à la Tour du
Pin (Ain). Il repart le jour même avec le document, sans respecter les
dispositions de la loi Scrivener qui interdisent d'accepter un crédit
immobilier avant sept jours. En l'occurrence, le délai n'aurait pas été
de trop, car il s'agissait d'un prêt Helvet Immo.
Commercialisé entre 2006 et 2008 par BNP Personal Finance
(imitée dans une moindre mesure par le Crédit Agricole), Helvet
Immo était une bombe à retardement. Il s'agissait d'un emprunt
contracté en francs suisses, mais à rembourser en euros. Le but était de
profiter des taux suisses légèrement plus bas que les taux français. Le
risque, systématiquement passé sous silence au moment de la
signature, était que l'euro décroche face à la devise helvétique. Or,
c'est précisément ce qui s'est passé en 2008. Sur fond de crise
mondiale, le franc suisse a retrouvé son statut de valeur refuge. Il a
pris plus de 30% en quelques semaines par rapport à l'euro.
Pour convaincre les emprunteurs que cela n'arriverait jamais, BNP
Personal Finance avait grossièrement manipulé le graphique qui
servait de pierre angulaire à son argumentaire marketing. On y voyait
une courbe lisse, un taux de change euro/franc suisse très stable. Pour
parvenir à ce résultat, il suffisait de choisir une échelle large, afin de
gommer les soubresauts de nature à perturber le client. Vu de la Lune,
la Terre est lisse. Au pied des Alpes, l'impression n'est pas tout fait
identique. Quelque 6 000 dossiers seraient concernés. Il s'agit dans
une très grande majorité d'achats en défiscalisation. « En interne,
raconte Fabrice Hallais, de l'UGICT-CGT, nos dirigeants ne disent pas
Helvet Immo, ils disent l'“Affaire”... »
L'UFC Que Choisir a déposé une assignation contre la BNP en
2012 devant le Tribunal de grande instance de Paris. EDC, la pseudoassociation de consommateurs d'Akerys a fait de même, au nom de
quelques centaines de clients lésés. Le but est peut-être de faire
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oublier que les commerciaux d'Akerys ont vendu de l'Helvet Immo
pendant deux ans sans se poser de question.
Le piège des taux variables non capés
Les prêts à taux variables non capés ont fait des dégâts à une
échelle encore plus vaste. Les taux variables ne sont pas dangereux en
eux-mêmes, à condition qu'ils soient « capés », autrement dit, quand
ils ne peuvent pas monter au-dessus d'une certaine limite. Les taux
non capés, au contraire, sont à utiliser avec parcimonie. Ils permettent
de proposer un taux d'intérêt assez bas, mais avec un « si ». Le coût du
crédit est de 2,5%, sauf si un quelconque indicateur économique, par
exemple les taux directeurs de la banque de France, dépassent une
certaine limite. Une banque consciencieuse ne les propose qu’à une
sélection de clients bien avertis des risques.
Le Crédit Foncier n'a pas été très prudent sur ce créneau entre 2005
et 2008. Pour rassurer les emprunteurs que l'éventualité d'une hausse
potentiellement sans limite de leur taux d'intérêt risquait de refroidir,
la banque avait recours à une formulation spécieuse. Dans ses offres,
elle garantissait que, quoiqu'il arrive, la mensualité ne dépasserait
jamais une somme convenue. Elle se gardait bien de préciser que dans
cette hypothèse, la durée de remboursement serait allongée,
éventuellement jusqu'à l'éternité. Ou plutôt, les contrats le disaient,
mais sous une forme tellement alambiquée que même les
commerciaux du Crédit Foncier n'y comprenaient rien. Beaucoup
étaient persuadés, de bonne foi, qu'ils vendaient des taux capés.
La crise de l'été 2008, en faisant plonger tous les indices boursiers
et valser les indicateurs, a fait exploser ces dossiers minés. Antonio T.
et son épouse se sont retrouvés à l'époque dans la situation plutôt
inconfortable d'avoir un échéancier prolongé à l'infini. Ils avaient
souscrit en 2006 un prêt Equalim à taux variables auprès du Crédit
Foncier pour l'achat d'un T2 à Carcassonne. Comme ils ne
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remboursaient plus assez vite, les intérêts venaient s'ajouter au capital,
ce qui fait que leur prêt, au lieu de fondre lentement, prenait du poids
chaque mois 23. Pour que le Crédit Foncier accepte de sortir les clients
de cette situation intenable où il les avait plongés, il a fallu des mois
de négociation et de guérilla juridique. Ils se sont soldés en novembre
2009 par un accord conclu avec le collectif Action, qui comportait
entre autres l'Association française des usagers des banques et l'UFC
Que Choisir. L'accord de médiation ne concernait même pas toutes les
victimes des prêts variables non capés du Foncier, dont on ignore le
nombre exact.
Bien entendu, la résidence des « Jardins de Montredon » dans
laquelle Antonio T. avait investi à Carcassonne, n'a pas tenu, très loin
de là, ses promesses de rendement. Comment aurait-il pu en être
autrement ? Dans l'agglomération de Carcassonne, entre 1999 et 2003,
le nombre de logements vides est passé de 2500 à 360024. C'est ce
moment que les défiscalisateurs toulousains ont choisi pour débarquer
sur cette petite ville assoupie, où un foyer sur deux seulement est
imposable. Les « Jardins de Montredon » sont commercialisés par
Akerys en 2004 et livrés en juin 2006, en même temps que plusieurs
résidences toutes proches, comptant chacune des dizaines
d'appartements T1 et T2. Début 2007, les trois quarts des logements
du hameau de Montredon sont vacants. Et ils sont encore plus de 40%
un an plus tard. Les loyers promis sont revus à la baisse de 30% à
50%. Les mensualités exigées par les banques, en revanche, ne
baissent pas. Au contraire, Monsieur et Madame M., du PlessisBouchard (Val-d’Oise , qui ont eu aussi emprunté aupr s du Crédit
Lyonnais pour acheter un appartement dans la résidence des « Jardins
de Montredon », voient leurs mensualités passer de 347 euros en 2006
à 778 euros en 2008... « Le taux variable était une grosse imprudence
Si vous avez emprunté mais que les taux d'intérêt montent très haut, arrive un moment où ces intérêts
dépassent ce que vous pouvez rembourser chaque mois. Ils viennent alors grossir le capital. Au lieu de
fondre lentement, la somme que vous devez rembourser grossit au fil du temps.
23
24
Étude de la Direction départementale de l'équipement de l'Aude, 2008.
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de notre part, mais le commercial était si confiant ! », se souvient M.
M.
Entre 2004 et 2006, il suffisait d'une heure de vérification très
simple pour comprendre que Carcassonne (tout comme Epinal,
Cognac, etc.) était une zone à risque. Non seulement ce travail n'a pas
été fait par les banques, mais elles ont encore ajouté de la dynamite au
dossier en plaçant des prêts dangereux sans réfléchir à long terme. La
fiscalité change en permanence dans notre pays. Pour ne prendre qu'un
exemple, les clients qui ont défiscalisé entre 2003 et 2011 se sont vus
promettre une belle plus-value à la revente. Ils ignoraient évidemment
qu'en 2012, l'État allait considérablement durcir la fiscalité sur les
plus-values de cessions immobilières. Concrètement, cela ne changera
pas grand-chose pour les intéressés, puisqu'ils revendront à perte. Ce
n'est pas une excuse pour les banques, car elles ne pouvaient pas le
deviner. L'insécurité juridique, qui fait qu'on ne peut pas se fier à la
parole de l'État pour un placement à long terme, est parfaitement
connue dans leur métier, et constituait une raison supplémentaire de
redoubler de vigilance vis-à-vis de tous les dossiers de défiscalisation.
La schizophrénie des banques
Incompétence ? Pas tout à fait. Au fil du temps, alors que la
défiscalisation prend de l'ampleur, le secteur bancaire prend
conscience des risques mais s'enfonce dans la schizophrénie. Interrogé
au printemps 2009 par Le Particulier (n°1039), Olivier Bokobza, viceprésident de BNP-Paribas Immobilier résidentiel, déconseille
fortement les packages des défiscalisateurs : « La multiplicité des
intervenants peut avoir un impact sur le prix final... Rendez-vous sur
place et vérifiez l'existence d'un espace de commercialisation. Il
prouve que le programme a été conçu pour une clientèle locale qui
connaît les prix et qui n'accepterait pas de surpayer un bien. » A la
même période, BNP Personal Finance débloque des prêts pour de la
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défiscalisation « packagée ». Il s'agit certes de deux filiales bien
distinctes du groupe BNP. L'une fait de la promotion immobilière,
l'autre du prêt aux particuliers. Mais il y a tout de même un état-major,
à la BNP. Les informations circulent-elles donc si mal dans la
deuxième banque française ?
La question se pose dans des termes encore plus vifs au Crédit
Foncier de France (CFF). Comme son nom l'indique, c'est un
établissement spécialiste du foncier. Il possède une direction des
études et des perspectives qui avait parfaitement analysé la situation.
Dès 2006, sous la houlette de Jean-Mic el Ciuc et d’Evelyne
Colombani, les études du CFF consacrent une partie de leur synthèse
annuelle à une analyse de la défiscalisation. Les auteurs rel vent « la
constitution d’un parc inadapté à la demande, générateur de vacance
locative, en particulier dans certaines villes surexposées au dispositif
Robien », mais ils soulignent par ailleurs que le Robien « devrait
concourir au rééquilibrage du marc é dans certains secteurs ». En
2007, en 2008 et en 2009, la synthèse du CFF revient sur le RobienScellier. Il alimente généreusement les carnets de commande du
bâtiment, représentant 60 à 75% de la construction de logements
collectifs. Au fil des éditions, les travaux réalisés sous la direction de
Jean-Michel Ciuch et Evelyne Colombani sont de plus en plus
critiques. La direction des études du foncier, forte de 80 analystes,
reste assez prudente sur la notion de logements "en trop." Ses mises en
garde sur l'inadéquation des plafonds des loyers du Robien-Scellier,
en revanche, sont très claires. L'étude 2007, puis l'étude 2008 mettent
clairement l'accent sur les risques de vacances locatives et l'inanité de
certaines simulations de rendement. Ces mises en garde,
malheureusement, ne semble pas être arrivées jusqu'aux oreilles des
commerciaux du Crédit Foncier, qui ont débloqué des prêts pour de la
défiscalisation dans les villes que leur direction des études signalait
comme périlleuses.
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Au début de l'été 2009, le hiatus devient flagrant. La synthèse
annuelle du CFF liste une soixantaine d'agglomérations à risque, où il
vaut mieux ne pas investir, principalement en Midi-Pyrénées,
Languedoc-Roussillon et Rhône-Alpes. Jean-Michel Ciuch reste
mesuré dans sa présentation. Devant la presse, il refuse de condamner
en bloc le Scellier, et rappelle qu'il faut analyser par ville, voire « par
quartier et par segment ». La carte des agglomérations à éviter qui
accompagne l'étude n'en est pas moins éloquente. On ne peut pas dire
qu'elle aille dans le sens du gouvernement, qui tente alors
désespérément de relancer le bâtiment, ébranlé par le trou d'air de
2008.
Le couperet tombe en plein été. Le 31 juillet, quelques jours
seulement après une intervention publique du ministre du Logement
Benoist Apparu en faveur du Scellier, Jean-Michel Ciuch est licencié
par le Crédit Foncier, en toute discrétion. Selon le syndicat CFDT du
Crédit Foncier, ses supérieurs lui font payer d'avoir dit que
l'immobilier d'entreprise était entré en crise, et que l'investissement
locatif dérapait dans soixante villes. L'information est dévoilée par Le
Monde en novembre. Contactée, la direction de la banque est prise de
court et bafouille une explication assez peu convaincante. Elle laisse
entendre que Jean-Michel Ciuch a été remercié pour insuffisance
professionnelle. Mais encore ? « Il est souvent en retard aux
réunions... »
« ersonne ne m'a reproc é mes analyses parce qu’elles étaient
fausses, mais parce qu’on ne pouvait pas les sortir dans une logique
marchande », corrige l'intéressé. Jean-Michel Ciuch était à contrecourant économico-politique 25.
Le Crédit Agricole, commercial de choc
25
Le Crédit oncier fait partie du groupe Banque opulaire Caisses d’Épargne, qui contrôlait
à l'époque le promoteur Nexity, mais rien ne permet dire que Nexity aurait fait pression sur
l'état-major du groupe pour écarter Jean-Michel Ciuch. Ce dernier a rejoint ensuite Immogroup
Consulting.
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Il n’a été question que du Robien-Scellier jusqu'ici dans ce
chapitre. Concernant les résidences de service en loi Demessine, et
plus particulièrement les résidences de tourisme, la responsabilité des
banques a été sensiblement différente, mais pas forcément moins
grave. Le Crédit Agricole, par exemple, apparaît dans un rôle qui
n'était pas a priori le sien, celui de vendeur de défiscalisation.
M. C. est boulanger près d'Arras, dans le Nord-Pas-de-Calais. En
2008, sa conseillère clientèle le démarche. Il a fini de payer sa
résidence principale. Le voilà avec une capacité d'épargne
intéressante. Pourquoi ne pas envisager de se constituer un capital en
investissant dans des résidences de tourisme ? Pour une somme
raisonnable, il pourrait devenir propriétaire d'un bel appartement dans
une jolie résidence, sise dans un sympathique village, Montréal, niché
dans un riant département, le Gers. Et en plus, il pourrait déduire de
ses revenus imposables une partie de son investissement, dans le cadre
de la loi Demessine. Les détails du programme sont exposés à M. C.
par un spécialiste qui le reçoit dans les locaux de la caisse de Crédit
Agricole d'Arras. A vrai dire, la somme que M. C. a pu mettre de côté
ne suffit pas à financer l'acquisition, qui se monte à 162 000euros.
Mais ce n'est pas grave, le Crédit agricole va lui consentir un prêt sans
la moindre difficulté. Quoi de plus normal ? La banque a sélectionné
le programme. Elle n'irait pas engager ses clients dans un programme
farfelu.
C'est du moins ce qu'imagine M. C. Comme des dizaines de
milliers d'investisseurs, lui et son épouse signent en mai 2008 pour un
appartement qui n'existe pas encore, dans un endroit qu'ils ne
connaissent pas. Ils l'admettent bien volontiers aujourd'hui, ils auraient
dû être plus prudents. Mais ils avaient le sentiment assez
compréhensible d'avaliser des prévisions de rentabilité assises sur
l'expertise du Crédit Agricole, dans un cadre réglementaire défini par
l'Etat. Tout cela semblait sûr. Les questions bancaires ennuient
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souvent les emprunteurs. Les conseillers le vérifient chaque semaine,
beaucoup lisent en diagonale et signent très vite, comme on expédie
une corvée. C'est seulement après la catastrophe qu'ils prennent la
peine de mesurer la nature de leurs engagements.
À Montréal du Gers, la catastrophe en question est intervenue
après une saison seulement. Au bout d'un été à peu près conforme aux
prévisions (grâce à l'entourloupe des fonds de concours, voir page
XX), l'exploitant, le groupe Sélectys, jette l'éponge. Les estivants ne
sont pas au rendez-vous, en tout cas, pas au niveau de loyers promis.
Un repreneur se présente, mais annonce tout de suite un retour brutal à
la réalité du marché. Le rendement sera au mieux égal à 25% de la
simulation initiale. Coincés, sans alternative, les propriétaires
acceptent. Les C. devaient empocher 5680 euros par an dans la
simulation initiale, ils doivent finalement se contenter de 1250 euros.
Le Crédit Agricole ne fait preuve d'aucune souplesse. Il continue à
exiger le remboursement du prêt. Peu lui importe que les rentrées
d'argent promises aient fondu de 75%. Quand M. C. fait valoir que
c'est la banque qui l'a mis dans le pétrin, le Crédit Agricole nie. Le
conseiller qui lui a exposé ce programme ne fait pas partie de la
banque. Vérification faite, c'est exact. M. D. démarche dans les locaux
du Crédit Agricole, il est recommandé par le Crédit Agricole, mais il
est officiellement courtier en immobilier de la société HD Conseil,
juridiquement indépendante du Crédit Agricole. Ce détail avait
échappé à M. C., comme à de nombreux autres investisseurs de la
résidence de Montréal-du-Gers. La plupart ont acheté par
l'intermédiaire de la banque verte. Mais aujourd'hui, la banque ne s'en
souvient plus, ou mal. Il faut beaucoup insister pour qu'elle retrouve
Sélectys et Montréal-du-Gers dans ses fichiers. Le service de presse
délivre une réponse lapidaire : les programmes immobiliers que le
Crédit agricole met en avant sont sélectionnés par des experts qui
travaillent dans les règles de l'art. La faillite de l'un ou de l'autre
promoteur n'était pas envisageable au moment où le programme a été
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sélectionné, sinon il ne l'aurait pas été. Les comptes de Sélectys
semblaient « très bon jusque fin 2008 ».
A titre exceptionnel, le Crédit Agricole peut consentir un geste
commercial à tel ou tel client en difficulté, « mais en échange, raconte
M. R., un autre investisseur de Montréal-du-Gers, nous devons
renoncer à toute poursuite contre eux ». Pas question pour
l'établissement d'endosser la moindre responsabilité dans les erreurs
commises. La banque a proposé au couple C. une remise de 10 000
euros à peine, alors que leur préjudice est de 100 000 euros, au
minimum. « Je me suis renseigné, raconte M. C., nous avons payé les
parts dans la résidence beaucoup trop chères. Les simulations de
loyers n'étaient pas du tout réalistes, les gens le savaient, sur place. »
Montréal-du-Gers n'est pas un cas isolé. En tant qu'intermédiaire et
en tant que prêteur, le Crédit Agricole ou ses filiales, telle que
Patrimo-Conseil à Besançon a facilité la vente de quantités d'autres
résidences, qu'il s'agisse du Château de Jouarres-Azillé (Aude) ou des
programmes absurdes du groupe Simbiosis. En novembre 2010,
quelques dizaines de victimes de la défiscalisation ont manifesté à
Nîmes devant le siège de la caisse du Crédit Agricole du Languedoc,
qu'ils tiennent pour largement responsable de leurs déconvenues. Sans
être entendus, pour le moment.
Le Crédit Agricole du Languedoc semble pourtant avoir été
particulièrement imprudent. La Cour d'appel de Versailles l'a
condamné par un arrêt du 8 novembre 2012 à dédommager un
particulier à qui il avait prêté pour une énième défiscalisation mal
ficelée, les Vergers du Palais, près de Limoges. M. Le R.,
« contrairement à ce qu'affirme la banque », souligne la cour, était un
« emprunteur néophyte ». La banque ne nie d'ailleurs pas « la faiblesse
de ses investigations préalables à l'attribution du prêt » concernant son
profil. « Professionnel du financement », elle connaissait pourtant le
« type d'opération qu'elle finançait » et ne « pouvait ignorer la
saturation du marché locatif de ce type, à Limoges ; elle ne pouvait
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davantage ignorer les capacités financières limitées de Monsieur Le
R... ». Ce dernier a obtenu 80 000 euros de dommages et intérêts.
La Cour de Cassation, dans un arrêt du 8 janvier 2013, a aussi
confirmé la condamnation de la société Afedim, filiale du groupe
Crédit Mutuel, à verser 120 000euros de dommages et intérêts à un
couple qu'elle avait engagé dans une défiscalisation hasardeuse. « Le
rôle du banquier ne s'est pas limité comme il le prétend à une simple
intervention ponctuelle en qualité de prêteur de deniers », relève la
Cour. « Intervenant pour proposer et personnaliser un investissement
relevant de législations complexes », la banque devait informer le
client « des aspects moins favorables et des risques inhérents à
l'acquisition », qu'elle connaissait parfaitement.
Le problème est que ces condamnations sont obtenues au terme de
procédures suffisamment longues pour dissuader un grand nombre de
clients de se hasarder en justice. Les banques l'ont parfaitement
compris. Il est tentant de se retourner contre elles, car elles ont de
l'argent, contrairement à de nombreux promoteurs en faillite qui ne
pourront jamais plus indemniser personne. Mais précisément parce
qu'elles ont de l'argent, elles peuvent se permette d'attendre
sereinement l'issue de procédures étalées sur plusieurs années. Si elles
perdent en première instance, elles feront appel. Et si elles perdent en
appel, elles iront en cassation.
Vue avec recul, leur responsabilité semble nette. Trop de dossiers,
trop d'erreurs et trop de similitudes entre les erreurs et entre les
dossiers... À l'échelle de chaque cas particulier, c'est une tout autre
affaire, car les responsabilités sont diluées.
Les directions fixent des objectifs ambitieux à leurs équipes. Les
services techniques élaborent des produits complexes dont on mesure
mal le risque. Les services marketing mettent en place des outils de
vente, supports commerciaux, plaquettes, etc. Les déontologues (c'est
une profession qui se développe dans les banques au même rythme
que les dérapages) rappellent les règles. Les directeurs d'agence
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mettent la pression sur leur conseiller clientèle. Le résultat est déjà
écrit : un prêt in fine adossé à de l'assurance vie en unité de comptes
pour qu'un couple pratiquement pas imposable achète un T3 surestimé
de 60% à Vitry-le-François... Autrement dit, n'importe quel prêt
accordé à n'importe qui pour acheter n'importe quoi.
Mais dans la chaîne de décisions qui a abouti à ce résultat, chacun
se couvre. Le conseiller a vendu les produits qu'on lui demandait de
vendre, c'est tout. Les services techniques avaient prévenu que le
produit en question était potentiellement dangereux. La direction a
demandé de vendre, mais elle a toujours insisté en parallèle sur respect
de la réglementation... Rappel à la déontologie d'une main, incitation à
faire du chiffre à n'importe quel prix de l'autre. L'hypocrisie n'est pas
un délit. Comment prouver que les dérapages en série commis en
matière de prêts à la défiscalisation sont les fruits d'un système et non
d'erreurs ponctuelles ?
Apollonia, l'affaire à un milliard d'euros
Une proposition de résolution tendant à créer une commission
parlementaire d'information sur le rôle des banques dans la
défiscalisation a été déposée le 6 décembre 2012 à l'Assemblée
nationale, mais ses chances d'aboutir étaient quasiment nulles dès le
départ. Elle était signée par vingt députés émanant surtout de
l'opposition, dont Eric Woerth, ministre du Budget du gouvernement
Fillon.
Cette résolution a été glissée aux parlementaires par les victimes
du groupe Apollonia. Cette affaire est, à ce jour, la plus avancée sur
le plan juridique dans la mise en cause des banques, des notaires et de
quelques autres intermédiaires en défiscalisation. Fin 2012, après
quatre années de procédure menée par la juge d'instruction Catherine
Lévy, il y avait dans ce dossier un bon millier de victimes, avec un
préjudice moyen d'un million d'euros chacun, soit un milliard en tout.
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Trente-six mises en examen avaient été prononcées, dont celles de 13
dirigeants ou cadres d'établissement bancaires (BNP, Caisses
d'épargne, Crédit agricole, HSBC, etc. . Cinq banques avaient
également été mises en e amen en tant que personnes morales en
juillet 2012 CI RAA, B I, C ID, Crédit Mutuel Méditerranéen et
Crédit Mutuel de l’Étang-de-Berre, ce dernier ayant été
perquisitionné) mais ces actes ont été annulés par la Cour d'appel
d'Aix-en-Provence pour toutes les banques sauf la BPI, juste avant le
dépôt de la demande de commission parlementaire. Apollonia a été un
des éléments qui ont précipité la faillite du Crédit immobilier de
France en 2012. Le CIF avait une faiblesse structurelle (elle dépendait
uniquement des marchés financiers pour son refinancement), mais les
créances douteuses accumulées en finançant des acquisitions montées
par son partenaire Apollonia ont considérablement alourdi son bilan.
L'histoire du groupe Apollonia ressemble à un tir raté de la navette
spatiale : ascension ultra-rapide, explosion en vol, décompte des
victimes. Entre 1997 et 2009, ce groupe d'Aix-en-Provence a placé
4500 appartements en résidences de tourisme et résidence pour
étudiant, sous le régime de la location en meublé professionnel
(LMP). Il a été particulièrement actif entre 2004 et 2007. Société
familiale, Apollonia était tenu par les époux Jean et Viviane Badache,
assistés de leur fils Benjamin. Ils attendent tous les trois leur procès
sous contrôle judiciaire après avoir passé quelques nuits en prison. Les
victimes qui ont eu l'occasion de les rencontrer sont unanimes, les
Badache ne faisaient pas partie de ces gens stupidement inhibés qui
tentent de conserver un minimum de discrétion dans la réussite. Ils
étaient plutôt de l'école voitures de sport italiennes et grosses
gourmettes, chalet à la montagne et ryad à Marrakech. Dans le plus
strict respect de la présomption d'innocence, on peut dire que leur
style interpellait, ou aurait dû interpeller. Nonobstant, les Badache ont
réussi à nouer un nombre incroyablement élevé de relations privilégiés
avec des banquiers, des courtiers en prêt (dont William Elbaze,
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directeur du courtier Cafpi pour le sud de la France, lui aussi mis en
examen) et au moins cinq notaires. Trois d'entre eux, un à Aix-enProvence, l'autre à Marseille et le dernier à Lyon, sont passés
brièvement par la case prison.
Apollonia démarchait des ménages relativement aisés et leur
proposait d'investir sous le régime du loueur en meublé professionnel.
Son système est parfaitement résumé par Isabelle Rey-Lefebvre dans
Le Monde du 8 février 2011 : « Sur le papier, l'opération
s'autofinançait intégralement, grâce à des prêts remboursés par les
futurs loyers et la récupération de la TVA ». Le mythe de
l'autofinancement, encore et toujours. Mais avec un ticket d'entrée
beaucoup plus élevé qu'en Robien-Scellier. « Pour accéder au statut de
loueur en meublé, il faut cependant percevoir au moins 23 000 euros
de loyers par an, ce qui supposait d'acheter neuf ou dix biens, pour un
total d'environ deux millions d'euros. En réalité, les prix des biens et
les loyers promis étaient très surévalués et les investisseurs se sont
retrouvés lourdement endettés, sans percevoir les ressources promises.
Au passage, toute une chaîne d'intermédiaires très organisés ont, eux,
perçu de très importantes commissions (...). Le système, en
fractionnant les demandes de prêts entre plusieurs banques en même
temps, permettait de faire emprunter aux investisseurs des sommes
considérables, d'en moyenne deux millions d'euros chacun, en
masquant leur surendettement ».
Les causes de l'échec sont encore et toujours la surestimation des
biens et celles des loyers. Les résidences n'étaient pas aussi rentables
que prévu.
Inutile de s'appesantir sur la part de responsabilité des victimes,
elle est considérable. Ils ont manqué de vigilance, ils ont accepté
plusieurs emprunts, s'endettant dix fois au-dessus des plafonds
autorisés. Ils en payent le prix. Président de l'Asdevilm (Association
de défense des victimes de la location en meublé professionnel),
Claude Michel le reconnaît, il n'a « plus rien, même pas une carte de
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crédit » à son nom. L'Asdevilm a déjà perdu trois adhérents par
suicide, sans parler des divorces et des dépressions nerveuses.
La responsabilité des banques est beaucoup plus écrasante.
Qu'elles aient toutes accepté de travailler sans rencontrer les clients,
passe encore. C'était la règle en défiscalisation. Mais de là à avaliser
des dossiers bâclés à ce point... Selon les procès-verbaux des
enquêteurs, consultés par les victimes, les banques ont vu passer
pendant des années des acceptations d'offres de prêts pour des
centaines de dossiers, avec toujours les mêmes écritures, celles des
commerciaux d'Apollonia, renvoyées depuis le même bureau de poste,
celui des commerciaux d'Apollonia ! Ces derniers passaient en coup
de vent chez les clients, faisaient signer un dossier en blanc et le
remplissaient ensuite.
Les banques n'avaient même pas les numéros de téléphone ou les
mails des emprunteurs. Elles renonçaient expressément à entrer en
contact avec eux, à la demande d'Apollonia. Elles ne cherchaient pas à
savoir quels autres emprunts ils étaient en train de souscrire, ni auprès
de qui. Or, ces banques, tout comme les notaires qui préparaient des
procurations à la chaîne, connaissaient le principe de la location en
meublé professionnel. Elles savaient qu'il suppose d'avoir plusieurs
appartements, et donc potentiellement plusieurs emprunts. Extrait de
l'audition de Jean-Noël Vulin, directeur des engagements du Crédit
immobilier de France Rhône Alpes Auvergne (Cifraa) au moment des
faits, par la juge d’instruction Cat erine Levy, le 21 octobre 2011.
Catherine Lévy : « Où et quand les commerciaux de Cifraa
rencontraient ils leurs clients?
Jean-Noël Vulin : « Dans le cadre des dossiers Apollonia, il n’y
avait pas de contact physique ni téléphonique avec les clients.
Catherine Lévy: « Pour quelle raison ?
Jean-Noël Vulin : « Parce que Apollonia ne voulait pas qu’il y ait
de contact avec ses clients.
Catherine Lévy : « Pourquoi avoir accepté cette exigence ?
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Jean-Noël Vulin : « Car Apollonia était un apporteur d’affaires
important et que nous souhaitions conserver notre collaboration. »
Le même Jean-Noël Vulin déclare lors de la même audition que le
Cifraa a laissé faire « parce que Apollonia était un apporteur
conséquent », et que les méthodes discutables du promoteur étaient
connues de tous en interne. « Ce problème a été évoqué en comité de
direction, c’est un sujet qui est revenu à quelques reprises, nous avons
collégialement accepté les risques vu la qualité de l’apporteur
Apollonia. »
Des cadres d'autres banques (BNP Personal Finances, caisses de
Crédit Mutuel, GE Money Bank) interrogés dans la même instruction
font des déclarations similaires, ce qui peut se comprendre. Soutenir
que la hiérarchie vous couvrait est un réflexe élémentaire. Ces
déclarations sur procès-verbaux d'audition, à eux seuls, ne prouvent
pas que les directions des banques ont sciemment ignoré tous les
signaux d'alarme par appât du gain.
On peut aussi poser la question autrement : pouvaient-elles
l'ignorer ? Une agence dans le sud-est de la France, celle du Crédit
Mutuel de l'Étang de Berre, par exemple, crève les plafonds d'activité
habituels, débloque des prêts immobiliers pour des montants très
élevés. Une année, puis deux, puis trois, sans que personne ne
réagisse, sans aucune inspection sérieuse ?
L'aveuglement intéressé des notaires
Le constat vaut aussi pour les études notariales. Elles sont 8500 en
France, soumises à un système de contrôle par les pairs (des notaires
viennent inspecter l'étude de leur collègue). Dans ce milieu assez
restreint, un phénomène aussi massif que la défiscalisation ne pouvait
passer inaperçu. C'est pourtant ce que les notaires aimeraient faire
croire. La grande peur de la corporation est de voir sa responsabilité
engagée pour manquement au devoir de conseil. La ligne de défense
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du Conseil supérieur du notariat est déjà prête : si l'acte ne stipule pas
que l'achat est réalisé à des fins de défiscalisation, le notaire ne peut
être tenu pour responsable. On ne peut pas attendre de lui qu'il
informe les acheteurs sur les risques du montage fiscal, puisqu'il en
ignore l'existence. Pour lui, il s'agit d'une vente classique, ni plus, ni
moins.
Ce formalisme juridique est actuellement malmené. Quand un
notaire est choisi par un défiscalisateur et enregistre toutes ses ventes,
il sait forcément qu'il s'agit de défiscalisation. Les abus commis en la
matière et des demandes de dommages et intérêt des clients pourraient
d'ailleurs coûter très cher à chacune des études notariales du pays. Il y
a un système d'assurance spéciale mutualisée entre les notaires, géré
par Groupama. A partir du moment où la responsabilité juridique de
certains est engagées, les primes augmentent pour tout le monde... Le
seul dossier Apollonia, avec son milliard d'euros potentiel, semble
avoir déjà fait flamber les tarifs de l'assurance professionnelle.
Et derrière Apollonia, combien de scandales plus petits ? Les
notaires n'ont pas toujours été étouffés par la déontologie. Ils étaient
quasiment imposés aux investisseurs. Ils centralisaient les ventes des
promoteurs. Ils connaissaient donc précisément le nombre
d'appartements qui étaient en train d'être écoulés : des centaines en
quelques trimestres seulement, sur des villes au marché immobilier
atone, comme Cognac ou Bergerac. Quand le groupe amiénois
Finaxiome, qui commercialise quasi-exclusivement de la
défiscalisation, vend des programmes dans des communes qui ne sont
pas éligible au Scellier, est-il normal que le notaire ne s'aperçoive de
rien ?
Par ailleurs, les notaires possèdent la base de données la plus riche
et la plus à jour (après celle du fisc) sur les prix de l'immobilier.
Alimentée par les études elles-mêmes à partir des ventes réalisées (et
non d'estimation), la base Perval permet de comparer les prix d'un
bien avec les biens voisins, en triant par taille, type, rue, etc. Elle est
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incomplète puisqu'elle recense seulement 60% des transactions, mais
donne tout de même une photographie assez exacte du marché.
Comment les notaires concernés ont-ils pu ne pas voir que des
centaines de particuliers payaient leur appartement 20% à 30% trop
cher ? Si certains ont eu des doutes, ils n'en ont pas fait part, ils ont
encaissé leurs honoraires en silence.
L'avocat Eric Hautrive va plus loin. Selon lui, les notaires ont été
les chevilles ouvrières de nombreux montages. « Il suffit de regarder
les actes de vente, explique-t-il. On s'aperçoit que souvent, la vente
préalable, celle par laquelle le promoteur a acheté le terrain, a été
enregistrée par la même étude notariale. Et cela veut dire que c'est le
notaire qui a mis en contact le propriétaire foncier et le
défiscalisateur. » Dans ce schéma, évidemment officieux, le notaire
n'est plus seulement un officier ministériel enregistrant des actes. Il est
actif dans l'opération. Il sait dès le départ que le programme se vendra
en défiscalisation. Il apporte le terrain mais il veut l'intégralité des
actes de vente en échange. Selon l'avocat, le groupe amiénois mis en
faillite à l'été 2012 avait son notaire à Nantes. « L'étude employait 40
personnes dont neufs clercs qui travaillaient à temps plein pour
Finaxiome. » Finaxiome a réalisé certaines années plus de 600
logements par an. Soit, à 4000 euros par vente, 2,4 millions
d'honoraires pour l'étude.
L'association de défense des investisseurs en défiscalisation et
mandataires (l'Adim, animée par Claudy Giroz) avait relevé un certain
nombre de cas qui laissaient songeurs. Un notaire de Blaye assume les
signatures des actes pour 117 lots dans la résidence « le Hameau
Saint-Martin », à Saint-Martin Lacaussade alors que deux autres
résidences du même type et du même promoteur Omnium, construites
au même endroit, sont en panne de locataires et ont été notoirement
surévaluées. Le notaire le sait, puisqu'il a déjà enregistré des reventes
avec moins-values... Un autre notaire, à Annemasse, enregistre les
ventes de la résidence les Lémanites, située dans un quartier que les
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gens du coin appellent le « Bronx ». Omnium inance y a déjà
commercialisé la résidence L’Orée du Sal ve, à moins de 400 m tres
des Lémanites. Les locataires font face à une certaine insécurité, la
résidence n'a pas bonne réputation. Le notaire n'est pas tenu de le
savoir. Mais peut-il l'ignorer ?
Le règlement national du Conseil supérieur du notariat (art 3.2.1)
stipule que « le notaire doit à sa clientèle sa conscience
professionnelle, ses égards, l’impartialité, la probité et l’information la
plus compl te. L’intérêt du client prime toujours le sien. » Le notaire
devrait donc rester libre de liens financiers avec les parties à l'acte,
vendeur et acheteur. Certes, des honoraires ne forment pas un lien.
Mais il y a aussi une notion d'ordre de grandeur. A partir de quelle
somme l'indépendance cesse-t-elle d'être possible ? Le revenu des
notaires a progressé considérablement pendant la bulle immobilière,
jusqu'à frôler les 230 000 euros nets par an en 2007, avec des pointes à
plusieurs millions d'euros dans les études les plus prospères, ou les
moins regardantes. Il faut une force morale exceptionnelle pour se
fâcher avec un partenaire qui vous apporte autant d'honoraires sans
vous demander grand-chose en contrepartie...
Chapitre 7
Simbiosis, un naufrage administré
L'erreur est humaine, mais pour un vrai désastre, il faut s'y mettre à
plusieurs.
Après l'Etat, les banques et les notaires, le chapitre présent sera
l'occasion d'explorer la responsabilité d'une autre famille d'acteurs trop
souvent laissés dans l'ombre, les élus locaux. Le parcours bref et
dévastateur du promoteur Simbiosis montre qu'ils ont tout été, sauf les
spectateurs impuissants et désintéressés d'un grand dérapage
mercantile.
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Le promoteur Simbiosis a fait faillite en 2011 en laissant derrière lui
un champ de ruines, au sens propre. Son patron, Alain Lapujade, ne
rendra jamais de compte à la justice. Il est décédé à l'âge de 70 ans en
juin 2012, apparemment d'un malaise cardiaque lors d'une randonnée.
Il avait été mis en examen pour faux et usages de faux documents en
mai 2011. Son aventure aura duré dix ans avec, en guise de bilan, des
pseudo-résidences de tourisme haut de gamme inachevées ou bourrées
de malfaçons, situées dans les zones de revitalisation rurale de
l'Ariège et de l'Allier. Ses victimes se comptent par centaines.
S'il fallait distinguer un projet particulièrement délirant en matière
de défiscalisation immobilière, un cas extrême, le choix serait délicat.
Il est presque certain, néanmoins, que Simbiosis serait dans les
finalistes, avec la résidence du Cordat à Laprugne, dans l'Allier. En
2003, Alain Lapujade entreprend de vendre au prix fort à des
imprudents des « appartements de standing » dans une résidence
« haut-de-gamme », située, comme il se doit, dans un cadre
somptueux, écrin de verdure et havre de paix, à moins de deux heures
de plusieurs métropoles. Cachet, standing, terroir. L'Europe du Nord
nous envie nos campagnes préservées; tous ces Hollandais, Belges et
Allemands abonnés au ciel bas et aux paysages mornes vont se
précipiter au Cordat. Sans parler des Britanniques au pouvoir d'achat
dopé à la livre sterling qui ne trouvent plus rien en Dordogne et
Périgord et lorgnent - comment l'ignorer ? - sur l'Allier en général et
plus particulièrement sur Laprugne, perle de la montagne
bourbonnaise. Vous n'avez pas d'argent ? Les commerciaux vous
trouvent une banque qui vous débloque un prêt. Vous n'y comprenez
rien ? Ils s'occupent de tout. Signez, réservez, louez, défiscalisez.
En réalité, Alain Lapujade ne va rien construire du tout. Il s'est
contenté de racheter pour une bouchée de pain une ancienne cité
ouvrière, deux énormes barres façon HLM posées dans les collines de
l'Allier. D’où viennent des immeubles ? Non loin de là, la Cogema a
exploité la mine d'uranium de Saint-Priest, de 1956 à 1978, et avait
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besoin de loger ses ouvriers. Drôle de démarrage pour de l'hôtellerie
de standing.
Dans les années 1990, la cité a été rachetée par un organisme HLM
parisien la Sageco, qui en confie la gestion à l'association Tourisme
social promotion vacances (TSPV). Rien de haut-de-gamme, bien au
contraire. Le Cordat a été pendant des années un endroit de vacances à
la bonne franquette, pour vacanciers à la recherche de séjour bon
marché. Et le succès n'était pas vraiment au rendez-vous, puisque le
centre a fermé dans les années 1990 sans qu'un repreneur se
manifeste.
Si, en 2003, Lapujade fait figure de porteur de projet inespéré, c'est
parce que, en toute rationalité, personne ne peut alors espérer faire du
Cordat un ensemble haut-de-gamme. Le tourisme vert a peut-être du
potentiel, l'Allier a certes des atouts, mais la concurrence est rude
entre les zones rurales. Facteur aggravant, le marché des résidences de
tourisme est en pleine surchauffe. La loi Demessine, et tous les
professionnels le savent, est en train de faire exploser l'offre au-delà
des limites raisonnables. Ces considérations n'arrête pas Lapujade, qui
voit grand. Il commercialise plus de 170 logements et promets monts
et merveilles. « Le Cordat devrait trouver un nouveau souffle. C’est
du moins l’engagement du promoteur, qui a rac eté l’ensemble pour
le transformer en résidence hôtelière », écrit à l'époque le site
Auvergne Info. « Il annonce à terme 177 appartements avec des
prestations « de grand standing »: trois ou quatre terrains de tennis, un
sauna, des salles de jeux, deu piscines… »
L'homme d'affaire vend finalement 166 appartements entre 90 000
euros et 170 000 euros pièce à des particuliers disséminés partout en
rance sauf au environs de Laprugne… , sans rien construire du
tout. Il se contente de faire replâtrer vaguement le morne ensemble de
béton. Comme les finances du groupe se détériorent, les entreprises du
BTP embauchées par Simbiosis ne sont pas payées et finissent par
interrompre le chantier. Plusieurs sous-traitants finiront par l'attaquer
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en justice. Lapujade leur a laissé des ardoises monstrueuses, à même
de couler une PME. L'un d'entre eux obtient 180 000 euros de
dédommagement devant les tribunaux, sans réussir à se faire payer.
Les acheteurs, quant à eux, mettent un bon moment à se rendre
compte qu'ils ont mis les pieds à bord d'un navire qui prend l'eau. Dès
le début, ils sont bernés, baladés, abusés par des histoires à dormir
debout. « Lapujade avait déposé une demande de permis de construire
alors qu'il s'agissait d'une réhabilitation... », détaille l'avocat
Christophe Gerbet, défendeur d'un collectif de victimes.
Conformément à ce qui se passe dans le cas d'une « vente en l'état
futur d'achèvement » (Vefa), les futurs propriétaires versent le prix
convenu par tranches, avant la livraison. En principe, le système est
très encadré. Le promoteur doit fournir les preuves qu'il a achevé
successivement les fondations, puis le gros-œuvre, puis la toiture, puis
l'installation de l'eau et de l'électricité, etc., avant d'exiger le paiement
d'une nouvelle tranche. Simbiosis fait des faux, ment, travestit. Le
promoteur avait promis que les appartements seraient livrés en 2006,
ce qui était un peu audacieux, sachant qu'il avait racheté l'ensemble en
2004. Il invoque des retards, les intempéries, la malchance... Les
investisseurs doivent honorer les échéances de leurs prêts sans avoir
les rentrées d'argent promises. Et comment seraient-elles au rendezvous ? Il n'y a rien à louer ! Ils finissent par s'affoler, mais trop tard.
Un blog naît, regroupant les victimes des Hauts du Cordat, nom
officiel de cette résidence qui ne voit pas le jour. Début 2009, une
délégation de victimes se rend sur place dans l'espoir de comprendre.
Depuis des mois, le chantier est à l'arrêt complet. Sous un ciel triste et
froid, Le Cordat ressemble à ce qu'il n'a jamais cessé d'être, une cage à
lapins bas-de-gamme. Les investisseurs réalisent l'énorme erreur qu'ils
ont commise.
Avocat à Paris, spécialisé dans le droit des affaires, Christophe
Gerbet s'est retrouvé à défendre un groupe d'investisseurs lésés « un
peu par hasard », raconte-t-il. Plutôt habitué aux litiges complexes, il
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tombe des nues en découvrant l'énormité des entorses juridiques qui
émaillent le dossier. Rien ne tient. L'amateurisme règne de bout en
bout. Christophe Gerbet relève jusqu'à 17 erreurs sur un acte notarié,
dont la mention d’anne es manquantes, des fausses procurations, une
erreur sur le nombre de bâtiments dans la résidence et une erreur sur le
nom même de la résidence. « Le notaire, de toute évidence, travaillait
énormément avec Simbiosis. Il a fait tourner la photocopieuse,
bouclant des actes de vente à la chaîne ». Christophe Gerbet comprend
très vite que Simbiosis ne pourra pas faire face. « Je n'ai pas les
moyens de payer », a déclaré publiquement Alain Lapujade en 2009,
quand les premières condamnations à indemniser les floués du Cordat
sont tombées. Et pour le coup, il ne mentait pas. L'avocat des victimes
va donc attaquer le notaire et tenter de faire payer les banques (les
« appeler à la cause », en termes juridiques plus choisis). Fin
novembre, plusieurs dizaines d'investisseurs lésés manifestent,
banderoles déployées, devant le siège du Crédit Agricole du
Languedoc. Simbiosis travaillait en partenariat étroit avec la banque.
« La caisse du Languedoc a financé plus de la moitié des dossiers de
nos adhérents et le Crédit Agricole dans son ensemble, 100% des
dossiers », souligne Patricia Marchand, présidente de l'association des
victimes. Début 2011, le tribunal de commerce d'Evry prononce la
liquidation de la société civile immobilière du Cordat. « Vous
investissez ? C'est déjà revendu », disait le document de vente... C'est
la fin.
18 mois plus tard, en juin 2012, Alain Lapujade décède. Il n'a pas
été possible de l'interroger et c'est dommage, car son parcours méritait
un éclairage approfondi. Ce promoteur catastrophique, en effet, a été
mis sur la rampe de lancement par la puissance publique, incarnée en
l'occurrence par le Conseil général de l'Ariège. Ensemble, les deux
parties ont inventé le « naufrage public-privé », comme il y a des
partenariats public-privé. Et ce ne fut pas du « gagnant-gagnant ».
Simbiosis, même si cela est difficile à croire, a fait encore plus de
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dégâts dans les montagnes des Pyrénées que dans la montagne
bourbonnaise.
Une histoire de copains dans l'Ariège
Retour en arrière. Dans un de ces élans de volontarisme qui prend
parfois les élus locaux, le département de l'Ariège se met en tête, au
début des années 2000, de redynamiser son économie locale.
Conscient que les investisseurs ne se manifesteront pas spontanément,
le département crée en 2001 une structure chargée du développement
économique, le Club Ariège Pyrénées Investissement, ou Capi. Le but
: faire venir sur place des investisseurs parisiens, toulousains ou
bordelais. Créer de l'industrie ? Impossible. Le grand pôle régional est
Toulouse, l'Ari ge n'a ni les infrastructures, ni la main d'œuvre. Reste
le tourisme...
Le but va être de sauver les stations de moyenne montagne
ariégeoises, menacées par un enneigement erratique. La collectivité
prend le problème complètement à l'envers: les gens ne viennent pas
faute de neige ? Alors, il faut accroître l'offre locative. Le but est
d'atteindre la « taille critique», celle qui permettra d'investir dans des
patinoires, piscines panoramiques, attractions, canons à neige, etc. Ces
investissements rendront les stations attractives même les années sans
neige. Bref, les shadocks font du ski. Enfin, ils essayent.
« Il n'y a pas eu d'étude de marché, raconte un élu PS local. Rien de
rien ! Cette histoire de développement touristique était une lubie du
président du Conseil général, Augustin Bonrepaux. Avec quelques
proches, ils ont réussi à se persuader qu'en faisant venir de l'argent, ça
allait marcher tout seul ». Pour l'anecdote, Augustin Bonrepaux n'est
pas vraiment le prototype de l'élu local dépassé par la situation. Il a été
président de la commission des finances de l'Assemblée nationale du
1998 à 2000. Les parlementaires qui accèdent à ce poste savent
compter. Du moins, ils devraient.
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La feuille de route du Club Ariège Pyrénées Investissement est
tracée. Le secrétaire général, cheville ouvrière de cette structure, va
être un certain Bruno Lavielle, chargé de mission au conseil général
de l'Ariège. Plein de bagout, la cinquantaine joviale et un embonpoint
de bon vivant, ce natif de Foix se retrouve responsable du
développement économique de ce département de 152.000 habitants,
montagneux et enclavé. Il travaille en électron libre, hors du comité
d'expansion économique du département. Lavielle est censé avoir des
contacts à Paris. Il connaît des gens, il a un « carnet ». Mais a-t-il la
carrure ? Christian Saiseau, ancien fonctionnaire au Conseil général,
en doute fortement. « Lavielle n'avait pas spécialement de lumière en
matière de promotion touristique. Il avait travaillé pour la station
alpine de Val-Thorens, mais son bagage semblait un peu léger. S'il est
arrivé là, c'est parce qu'il avait l'amitié et la confiance du directeur
général des services du département, Jean-Louis Vigneau". Ce DGS
connaît par ailleurs le député PS de la seconde circonscription de
l'Ariège, Henri Nayrou, qui a lui-même à un ami de longue date dans
l'immobilier : Alain Lapujade. « A notre connaissance, raconte
Patricia Marchand, de l'association des victimes des Hauts-du-Cordat,
Lapujade n'était pas promoteur avant 2000. D'après les vagues
informations que nous avons obtenues, il aurait travaillé dans le
bâtiment, mais comme métreur, ou quelque chose de ce niveau. »
Sorti de nulle part ? Presque. Alain Lapujade apparaît sur la scène
en 2000. Il lance sa société Simbiosis Properties SAS, immatriculée
dans le Val-de-Marne. Né en 1943, il a alors 56 ans. Son premier
projet est une résidence de tourisme à La Bourboule, appelée « Les
Îles Britanniques » (et mise en liquidation en 2013). Simbiosis naît
donc pratiquement en même temps que le Capi. En théorie, les deux
entités n'ont pas de lien. En pratique, Simbiosis va être le promoteur
fétiche du Capi, celui qui injecte de l'argent, celui qui entretient
l'illusion qu'une nouvelle ère s'ouvre pour l'Ariège. Alain Lapujade est
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d'ailleurs membre fondateur et administrateur du Capi : Le mélange
des genres est porté à son comble.
Dès 2002, Simbiosis annonce son intention de racheter deux hôtels
dans la station de ski de Guzet et d'ouvrir 700 nouveaux lits. Henri
Nayrou, qui est président du syndicat mixte de gestion de la station,
ainsi qu'Augustin Bonrepaux, viennent sur place pour l'annoncer
triomphalement le 15 novembre. "Plus il y aura d'hôtels, plus il y aura
de clients", déclare une semaine plus tard (le 22 novembre) Bruno
Lavielle à La Dépêche du Midi. Et « il y aura des clients toute l'année
car nous sommes un pays de tourisme vert", assène-t-il, sans le
moindre argument, sans le moindre chiffre, sans la plus petite étude de
marché à la clé.
L'enneigement erratique qui plombe les saisons de ski de Guzet ?
Evacué. "Une station famille à l'échelle humaine, c'est ce que
recherche la clientèle dont une bonne partie devrait venir d'Allemagne
ou de Grande-Bretagne via les compagnies aériennes low cost qui les
déposeront à Toulouse ou à Carcassonne", déclare en 2004 à La
Dépêche le directeur du syndicat mixte de Guzet. Les élus s'activent
pour lever les barrières administratives, débloquer les demandes de
permis. Ils déroulent le tapis rouge.
Un promoteur incompétent mais providentiel
Lapujade, avec le recul, semble presque plus lucide qu'eux. Dès
2006, Il fait part à la presse locale de ses réticences vis-à-vis du
délabrement des stations, il souligne bien qu'il y a du travail, qu'il va
falloir convaincre les tour-opérateurs... « J'avoue que j'étais
particulièrement sceptique par rapport à Guzet, confie-t-il à La
Dépêche le 22 novembre 2002. Je suis venu surtout pour faire plaisir
à Bruno »...
En fait, le promoteur arrange beaucoup de monde. Au début des
années 2000, Guzet est porté à bout de bras par le Conseil général, qui
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subventionne des remontées mécaniques déficitaires, alors qu'il n'est
pas très riche. Un coup de fouet à la fréquentation arrangerait bien ses
finances. Autre acteur bien content de voir arriver Lapujade, le Crédit
Agricole. Il a sur les bras, à Guzet, des terrains et deux immeubles
dont il ne sait que faire. Lapujade les rachète pour les transformer en
résidences de tourisme. La banque l'aide ensuite à commercialiser ses
packages de défiscalisation en prêtant aux acheteurs. A Guzet, la
banque gagne donc de l'argent deux fois grâce à Lapujade : d'abord en
lui vendant des immeubles, ensuite en prêtant aux particuliers tombés
dans les filets de Simbiosis.
Comme personne ne freine Lapujade, il passe le grand braquet. A
peine engagé le projet de Guzet, il rachète le grand hôtel d'Aulus-lesBains et lance la construction d'un village vacances au Carla Bayle,
une autre station de tourisme vert. Bruno Lavielle est plus que jamais
à ses côtés. C'est lui qui présente en 2003 à Alain Lapujade l'architecte
chargé de ces différents projets ariégeois, Yves Cathala. Ce dernier
finira par attaquer le promoteur en justice, faute d'avoir été payé.
Très rapidement, en effet, les chantiers de Simbiosis patinent. La
commercialisation en loi Demessine a (hélas) bien fonctionné.
Simbiosis démarche les particuliers et lève les fonds pour des
résidences hôtelières, sur des promesses de rendement complètement
farfelues. L'argent rentre, mais les travaux prennent beaucoup de
retard. Lapujade se disperse. Il est dans l'Allier, dans l'Ariège... Les
appartements de Guzet, du Carla-Bayle et d'Aulus devaient être livrés
en 2006. 2007 arrive, toujours rien. Les investisseurs s'impatientent,
tentent d'en savoir plus, perdent patience, portent plainte. En 2008, ils
sont rejoints par la Caisse d'épargne, qui attaque Lapujade en justice.
La banque est en effet la caution du promoteur. C'est auprès d'elle
qu'il a souscrit sa garantie de parfait achèvement (GFA), une
assurance professionnelle obligatoire donnant aux acheteurs la
certitude que le bâtiment acheté sur plan sera achevé. La GFA, en
l'occurrence, porte un nom trompeur, car elle n'oblige pas à achever
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"parfaitement" le produit. L'assureur se contente du strict minimum et
livre aux investisseurs un immeuble avec des murs, un toit, de l'eau et
de l'électricité, schématiquement.
Pourquoi Lapujade n'a-t-il pas souscrit sa GFA auprès du Crédit
Agricole, qu'il connaissait si bien ? Mystère. Si le Crédit Agricole a eu
des doutes sur la solidité de Simbiosis, il les a tus. La Caisse
d'épargne, de son côté, se retrouve avec une jolie patate chaude. Entre
les trois stations, Lapujade laisse en plan des chantiers représentant
plusieurs centaines d'appartements, et autant de clients escroqués de
40.000€, 0.000€, 0.000€… Sa faillite est considérée comme
inévitable dès janvier 2009 et intervient officiellement quelques mois
plus tard.
Aulus, 237 habitants, son Grand Hôtel vide, sa bergère
Il neigeait en abondance à Aulus-les-Bains le 18 janvier 2013. Le
Grand Hôtel était achevé, mais restait vide. Plusieurs dizaines
d'appartements, pas un seul client. L'allée recouverte de 45cm de
poudreuse était vierge de toute trace de pas. La grande bâtisse
mélancolique ne manque pas d'un certain charme, comme tout le
village en hiver. Posé au fond d'une vallée pyrénéenne entourée de
sommets majestueux, Aulus, 237 habitants, est de ses nombreux bouts
du monde que compte la France. On y accède en heure et demi depuis
Toulouse. Le trajet sinue la dernière demi-heure sur une
départementale trop étroite pour croiser un camion sans un moment
d'appréhension. Là-haut, pas de départ de piste de ski. Pas un seul
café, pas un seul restaurant ouvert entre octobre et février. Animation
passée 19h30, zéro. Les maisons à vendre sont nombreuses dans le
village. Elles valent souvent largement moins que les 120.000€ que
Simbiosis a extorqué à ses clients pour des appartements T2 de
"standing". « Standing » est un mot qui ne pouvait pas convenir à
Aulus. C'est une évidence. Le village sent le feu de bois, des chiens
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affectueux se promènent en liberté. Quand on croise un 4X4, c'est un
vrai outil de travail, pas une Porsche Cayenne. Il est couvert de boue.
Le propriétaire laisse tourner le moteur quand il s'arrête acheter du
pain et des cigarettes. C'est la campagne. Aucun promoteur sérieux,
aucun élu compétent ne pouvait sérieusement envisager la réussite
d'un programme de standing à Aulus. Le village a été une station
thermale, mais cette époque s'est achevée en 1947. L'incendie des
anciens thermes lui a été fatal. C'était une toute petite station et, de
toute évidence, ce modeste âge d'or ne reviendra pas. Les thermes
modernes sont minuscules. Le cadre est magnifique, mais la longue
chaîne des Pyrénées offre de nombreuses vallées aussi belles. Elles
sont souvent plus faciles d'accès et infiniment mieux équipées. « Ici,
c'est un trou, résume une habitante. J'y suis née. Je suis bergère, en
été. Je travaillais aux thermes en face du Grand Hôtel. Simbiosis les a
repris en gérance quand ils sont arrivés. Ils m'ont viré parce que j'étais
trop campagne, pas assez "classe". Ils ont fait faillite, ils sont partis. Je
retravaille aux thermes ».
« Ces gens ont fait n'importe quoi, renchérit la caissière d'une des
deux épiceries locales. Ils nous en reste une ruine neuve, le Grand
Hôtel. Même le nom est idiot. Les clients arrivent en croyant tomber
sur un hôtel, et puis ils s'aperçoivent que ce sont des appartements,
sans serviette, sans linge, sans savon. Ils viennent s'approvisionner ici,
mais ils ne sont pas contents. Ils se sont fait avoir, on ne les revoit
jamais. Les propriétaires aussi se sont fait avoir. Ils ont payé beaucoup
trop cher. On le leur aurait dit, s'ils étaient venus avant de signer ».
Vingt minutes de lacets et nous voilà de l'autre côté de la vallée, à
Guzet. C'est samedi, la poudreuse est tombée en abondance, mais il
n'y a pas la queue au télésiège. On se marche rarement sur les pieds, à
Guzet, et cela depuis l'origine. Née dans les années 1960, la station n'a
jamais vraiment marché. Entre l'inauguration du premier télésiège en
1976 et le retrait en 1990 du promoteur, l'industriel toulousain Adrien
Pippi, elle a connu, à tout casser, sept ou huit hivers suffisamment
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enneigés, pas davantage. Les projets initiaux de développement, de
construction et d'urbanisation n'ont pas aboutis. Ils étaient combattus
par des associations écologistes, qui ont obtenu gain de cause en 1993
après des années de lutte, avec le classement du cirque de Cagateille.
La décision du conseil d'Etat a obéré tout espoir sérieux d'extension du
domaine skiable. Rétrospectivement, il n'est pas interdit de penser que
les doux rêveurs écolos, réputés insensibles aux sirènes de l'emploi et
du développement local, étaient en définitive plus éclairés que les
décideurs économiques locaux, toujours prêts à investir à fonds
perdus. La défense de l'environnement, finalement, a limité les dégâts
économiques. Sans elle, les remontées mécaniques de Guzet seraient
plus longues et donc, encore plus gourmandes en subventions, alors
que le site coûte déjà chaque année des centaines de milliers d'euros
aux collectivités. Et ce ne sont pas les réalisations de Simbiosis qui
vont changer la donne. Il ne suffit pas de construire des logements
pour faire venir les clients. Ressassée par les élus dans tous les coins
de France, la théorie de la "taille critique" - on subventionne, jusqu'au
stade où ça tourne tout seul - ne se vérifie presque jamais. Même le
meilleur promoteur de France ne pouvait pas sauver Guzet, et
Simbiosis comptait plutôt parmi les pires. Personne ne l'a dit aux
investisseurs privés, mais leur argent servait seulement à financer une
énième et dérisoire tentative de relance d'une station vouée à la
stagnation, au mieux.
« Lapujade a commis des erreurs énormes », relève Hervé,
responsable de l'office du tourisme, mais il ajoute tout de suite que le
promoteur décédé "ne s'est pas comporté en escroc. Les résidences
que Simbiosis a finies sont de bonne facture, ils n'ont pas lésiné sur les
matériaux. Le travail est soigné. Le seul immeuble de Guzet qui
compte des gouttières en cuivre, c'est celui de Simbiosis. Après, il y a
eu les retards, le prix invraisemblable payé par les acheteurs, et puis
surtout les chantiers inachevés..." Inutile de les chercher longtemps. Il
y a d'abord ce terrain vide au cœur de la station, où une dalle de béton
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prend l'eau en attendant un bâtiment qui ne viendra peut-être jamais.
Et puis cette carcasse de parpaings, au pied des pistes. Une verrue
dans le paysage, squelette d'une résidence de tourisme de quelques
dizaines d'appartements. "Ca va mieux depuis qu'il n'y a plus la grue",
positive Hervé. Elle est tombée pendant une tempête. "Un jour ou
l'autre, il faudra trouver une solution, on ne peut pas laisser ça comme
ça". Ce sera un repreneur ou le bulldozer. Dans la conjoncture
actuelle, le bulldozer part favori.
Le village de vacances du Carla-Bayle échappera à ce sort. Posé au
bord d'un petit lac à mi-chemin de Toulouse et des Pyrénées, il devrait
entrer en phase d'exploitation à l'été 2013, avec près de cinq ans de
retard sur le calendrier initial. Ce sera pratiquement la seule réalisation
de Simbiosis qui connaîtra un semblant de succès, et il sera largement
imputable à l'énergie des copropriétaires. Regroupés en association, ils
ont repris le projet en main pour mener la résidence au stade de
l'exploitation commerciale. En janvier 2013, les soixante maisons
étaient vides, mais achevées. Un couple avait été recruté pour assurer
la gestion de l'ensemble. Le projet souffre de défauts sérieux - absence
totale de commerce accessible à pied, maisons un peu étriquées et
absurdement serrées les unes contre les autres dans un environnement
où la place n'est pas comptée, etc. - mais la cause ne semble pas
désespérée. Posés sur leur hauteur, les habitants du vieux village de
Carla Baye (une centaine de personnes au grand maximum) regardent
le lotissement avec un certain détachement. "Ils auront une belle vue
sur les Pyrénées..." note Henri, natif du Carla. Mais lui-même, auraitil mis 130.000 ou 160.000 euros dans une de ces petites maisons au
bord du lac ? Henri sourit dans sa barbe. "Des maisons à vendre par
ici, ce n'est pas ça qui manque... Je me souviens d'un couple croisé ici,
il y a quelques temps. Ils cherchaient "la réunion". Je leur demande
laquelle. "Celle des grugés", me répond la dame..."
Capi, clap de fin
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L'aventure du Capi, quant à elle, s’est terminée début 2012. Le Club
des Investisseurs de l'Ariège Pyrénées avait accumulé trop de bourdes,
d'échecs et de scandales. Un rapport incendiaire sur sa gestion
circulait depuis quelques mois. Il était signé de Michel Bégon, ancien
trésorier, et pointait un certain nombre d'irrégularités : des factures de
réception injustifiées, des voyages à l'objet inconnu, des dépenses
personnelles de Bruno Lavielle effectuées sur le compte du Capi,
100.000 euros de déficit accumulé.... Il qualifiait le Capi de « coffre à
double fond, construit sur tout un appareil de faux-semblants et
d'irrégularités». Avec un peu de recul, l'audit ne relève pourtant rien
de bien scandaleux, si ce n'est la preuve d'un amateurisme évident.
Bruno Lavielle avait par exemple versé 20.000 euros à une ancienne
élue de l'Essonne simplement pour décrocher un rendez-vous avec le
ministre de l'Ecologie Jean-Louis Borloo... "Qu'est-ce que vous
croyez, c'est comme ça que ça se passe à Paris", répondra l'intéressé à
la Dépêche qui l'interrogeait sur cette dépense. L'audit relève que sur
les 25 projets du Capi listé en 2005, "au plus deux ou trois se sont
traduits par des réalisations concrètes et durables".
Le bilan de la structure est négatif de bout en bout. Même quand
Simbiosis n'était pas dans la boucle, l'échec était au rendez-vous. Le
Capi a par exemple porté à bout de bras une autre opération de
défiscalisation en loi Malraux, dans un bâtiment historique appelée le
Palais des Evêques, à Saint-Lizier. Résultat, un bide. A l'hiver 2013,
cette pseudo résidence haut-de-gamme ressemblait vaguement à un
pensionnat catholique pendant les grandes vacances : des bâtiments
certes anciens mais sans grand cachet, des fenêtres derrière lesquelles
personne ne bougeait et des centaines de mètres de couloirs totalement
déserts. Sous la neige qui tombait en abondance, c'était « Shining-enAriège ». Mais peut-il en être autrement ? Saint-Lizier n'a aucun
potentiel à même de soutenir des projets dans le tourisme huppé.
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"La grande cause de ces échecs est l'irrationnel des méthodes,
poursuit le rapporteur. Le Capi affiche une telle méfiance pour les
chiffres et pour les nombres qu'il ne s'embarrasse pas de statistiques,
d'études de marché ni de budgets prévisionnels"... Côté tourisme, il
aurait été judicieux, par exemple, de consulter les données de l'Insee
ou du comité départemental, au moins pour mesurer l'ampleur de la
tâche et évaluer les premiers résultats obtenus. Pas une fois en dix ans
le Capi ne s'en est soucié. "Il est vrai, note froidement le rapport, que
ces chiffres montraient "une régression plutôt qu'une progression de
cette fréquentation touristique".
L'analyse de Michel Bégon sur les liens entre le Capi et Simbiosis
est cinglante, mais fait porter le chapeau à Bruno Lavielle et à lui seul.
"Depuis l'origine, écrit-il, le Capi a été la cheville ouvrière des
opérations d'aménagement des sites de Guzet, d'Aulus, du Carla
Bayle", mais les administrateurs ont été tenus à l'écart. Ils "n'ont
jamais eu connaissance de la qualité des promoteurs et investisseurs
dans ces opérations, ni des modalités de financement et de
souscription, ni des prix pratiqués, ni de l'état des ventes, ni des
difficultés financières, ni bien sûr des fraudes, ni même des poursuites
judiciaires en cours (c'est l'auteur qui souligne). Si ces administrateurs
avaient été informés au moins des propositions des promoteurs aux
investisseurs, n'auraient-ils pas été capables de donner l'alerte avant
les catastrophes survenues à partir de 2007 ?" Incompétent ou
malhonnête, il faut parfois se résoudre à choisir.
Visiblement, les personnalités de l'Ariège et d'ailleurs qui siégeait
au Capi tiennent à leur réputation d'honnêteté. Elles n'ont rien vu, rien
lu, rien compris, rien senti. Qui peut croire cette fable ? Le dernier
président du Capi était Alain Juillet, Monsieur Intelligence
économique des gouvernements Villepin et Fillon. Comme candide de
service, on a vu plus convaincant. Alain Juillet serait entré au Capi par
l'intermédiaire de Bruno Lavielle, sur la base de quelques attaches
affectives et familiales avec l'Ariège. Il a aussi représenté en tant
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qu'avocat le promoteur Quiétudes dans un énième dossier de
défiscalisation porté par le Capi, celui des Soulades.
Aucune des victimes de la défiscalisation, à ce jour, n'a tenté de
mettre en cause les responsabilités du Capi dans les naufrages
ariégeois. La démarche semble aléatoire car, en droit, le club n'est pas
mouillé dans les échecs auxquels son nom restera pourtant associé à
juste titre. Le constat peut d'ailleurs être élargi à beaucoup d'élus, dont
le rôle est décrit dans le chapitre suivant.
Chapitre 8
Cocaïne fiscale
Dans l'ensemble, nos élus n'ont pas fait preuve d'une grande lucidité
dans cette affaire. Leur analyse, la plupart du temps, ne semble pas
avoir dépassé le stade d'un soutien inconditionnel à la construction,
sur la base du raccourci suivant : la défiscalisation est bonne pour le
bâtiment; or, quand le bâtiment va, tout va; donc, la défiscalisation est
bonne pour l'économie.
A court terme, ce n'est pas faux. La construction et le BTP sont de
gros employeurs. Ils ne risquent pas de délocaliser. Leurs fournisseurs,
du cimentier Lafarge au vitrier Saint-Gobain, en passant par de plus
modestes PME, sont en général français. Chaque permis de construire
génère des taxes, chaque vente des droits de mutation et
d'enregistrement, c aque c antier des recettes de TVA. D’apr s les
c iffres de l’administration des impôts, la construction d’un logement
en Scellier de 200.000€ donne droit à une réduction d’impôt de
0.000€ étalée sur neuf ans. C'est de l'argent que l'Etat n'encaissera
pas, mais la lui vente rapporte instantanément pr s de 33.000 € de
TVA, au quels s’ajoutent l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le
revenu des entreprises et des salariés de la construction. Bien sûr,
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échanger une recette immédiate contre une dépense future plus élevée
est l'exemple même du calcul à courte vue. Mais l'état des finances
publiques, parfois, ne laisse guère d'alternative.
Nos parlementaires et nos ministres sont très souvent élus locaux.
Dans leurs circonscriptions aussi, soutenir la construction paye. Un
chantier passe rarement inaperçu. Les grues sur une commune sont
signe de dynamisme. Ce n'est qu'un symbole (l'économie espagnole
s'effondre en 2008 alors que le pays est couvert de grues...), mais les
symboles comptent, en politique. Au point de faire oublier parfois des
vérités élémentaires. Au printemps 2012, Laurent Wauquiez, ministre
de l'Enseignement supérieur et maire du Puy-en-Velay (Haute-Loire),
obtient ainsi le classement de sa commune en zone éligible au
dispositif Scellier. Une décision plutôt surprenante. Il n'y a pas de
besoin en logement au Puy. Au contraire, dans un rapport de 2009, la
communauté d'agglomération relève "des tendances inquiétantes:
stagnation démographique et déséquilibre grave lié au déclin
économique du Puy-en-Velay et notamment de son centre ville". Le
Puy 20.500 habitants, a perdu plus de 20% de sa population depuis
début des années 1980. Le coeur historique compte un nombre élevé
de logements vides. Les loyers de départ y sont nettement inférieurs
au plafond du Scellier, proches de 500 euros mensuels pour un T2. Au
Puy, pour cette somme, il est possible de trouver une petite maison
avec jardin. Les tensions locatives dans la région sont si faibles que,
en 2010, l'Office public HLM de Haute-Loire s'est offert des pages de
publicité dans le quotidien La Montagne pour trouver des locataires !
Interrogé sur l'opportunité de faire entrer sa ville dans le dispositif,
Laurent Wauquiez fait répondre à l'époque par l'intermédiaire de son
directeur de cabinet à la mairie que la ville a besoin d'une rénovation
urbaine. L'idée sous-jacente est apparemment de la faire financer par
des contribuables dispersés dans toute la France, sans se préoccuper
de savoir s'ils y trouveront leur compte. Ce ne sera probablement pas
le cas.
Les silences du candidat Hollande
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Pendant la campagne présidentielle, François Hollande, ne pas dit un
mot sur la défiscalisation. C'était pourtant un thème intéressant pour
un candidat de gauche. Le logement est une préoccupation majeure
des Français; la défiscalisation est par essence une mesure libérale,
puisqu'elle vise à laisser faire le marché plutôt que les offices HLM
pour résoudre la crise du logement. le Robien, le Scellier et le
Demessine ont fait énormément de mécontents; les responsables sont
des gouvernements de droite. Le candidat délaisse pourtant ce thème.
Discrètement, il s'engage même auprès des professionnels à ne pas
toucher à la loi Girardin (dont la Cour de comptes a demandé la
suppression) et à faire voter une loi qui prendra le relai du Scellier.
Dès le printemps, pariant que Thierry Repentin deviendra ministre du
logement, des commerciaux déposent les noms de domaine
défiscalisation-repentin, repentin.fr, loi-repentin.com, etc. ! Peine
perdue, c'est Cécile Duflot qui devient ministre du logement. Sa
nomination est à peine annoncée que Les "loi-duflot.fr" et autre
"duflot.com" sont déposés. Il y aura une loi Duflot, les vendeurs de
défiscalisation en ont la certitude.
Quand le projet de loi arrive à l'Assemblée, il semble plutôt
raisonnable, par rapport au Scellier. Les loyers sont censés être
inférieurs de 20% aux vrais prix du marché, qui seront analysés
localement. Quant au zonage, il est strict. Plus question de construire
là où il n'y a pas de demande. le problème est que la classe politique
va se mobiliser pour vider ces bonnes intentions de leur substance.
Le 16 novembre 2012, par exemple, un député PS du Finistère,
Jean-Jacques Urvoas, dépose un amendement étendant à Concarneau,
Vannes, Lannion, Saint Brieuc, Lorient, Quimper et Brest le dispositif
Duflot. Initialement, pour la Bretagne, s'y trouvaient uniquement les
agglomérations de Rennes et Saint-Malo. Jean-Jacques Urvoas défend
sa proposition d'extension au nom des "tensions locatives", alors que
Brest, par exemple, perd des habitants et que les étudiants trouvent à
s'y loger en une journée. Quimper, pour sa part, regorge de T1 et de
T2 qui trouvent difficilement preneur.Le quotidien Ouest-France a
accordé une demi-page le 9 octobre 2012 au procès intenté au groupe
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Akerys par un de ses clients, Denis B... Domiciliée en Indre-et-Loire,
il a acheté en 2003 pour 132 000 euros dans la résidence des
« Pierres-Vertes », un T2 qui est resté vide pendant huit ans26. À cent
mètres à vol d'oiseau des « Pierres-Vertes », à peu près au moment où
Akerys bâtissait ses logements, l'Agence nationale pour la rénovation
urbaine (ANRU) subventionnait la destruction de tours des années
1970. Elles étaient désuètes mais parfaitement habitables. Auraientelles été rasées si la crise du logement était une réalité à Quimper ?
Ironie du sort, durant cette discussion parlementaire, une voie s'est
élevée pour ironiser sur ces montées au créneau intempestives d'élus
réclamant l'entrée de leur fief dans le Duflot, au risque de dénaturer le
dispositif. C'était celle de l'ex-secrétaire d'Etat au logement Benoist
Apparu... Il avait eu l'honnêteté de reconnaître, en arrivant à ce poste
en juin 2009, qu'il était novice en matière de la construction. Il a fini
par apprendre.
Quand la défiscalisation fera des déçus au Puy-en-Velay, il a fort à
parier que la mairie bottera en touche. Elle fera valoir qu'elle n'est pas
responsable des programmes montés par des promoteurs privés, et que
« si le dossier est correctement instruit, une municipalité ne peut
refuser un permis de construire sans s'exposer à un recours devant le
tribunal administratif ». Cette réponse m'a été faite par les services de
l'urbanisme de Carcassonne, interrogés sur les mécanismes qui avaient
conduit à l'explosion du nombre de logements vacants dans la
commune entre 2004 et 2006. C'est juridiquement exact, mais le droit
n'est pas tout. Comme l'a montré un expert dans une étude réalisée
26
Les « Pierres-Vertes » est le nom d'un récif du raz-de-Sein sur lequels de nombreux navires se sont fracassés. Pour nommer ainsi un
programme d'investissement, il fallait beaucoup d'audace ou d'ignorance, mais les équipes commerciales d'Akerys n'ont jamais manqué de
l'une, ni de l'autre… Le 4 novembre 2012, je me suis rendu au ierres-Vertes. De l'eau coulait goutte à goutte du plafond du couloir au
dernier étage. Elle avait rempli deux seaux qui débordaient. La moquette était imprégnée d'eau sur plusieurs mètres. Elle passait jour après
jour du rouge foncé au brun mouillé. Comment convaincre un locataire de louer dans ces conditions ?
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pour l'Agence nationale d'information sur le logement, 27 un maire
peut bloquer ou infléchir à peu près n'importe quel projet sur sa
commune, exemples de Nantes, Rennes et Montpellier à l'appui (ainsi
que le département des Yvelines). Ces collectivités ont une « tradition
de la négociation cadre » avec les promoteurs et les propriétaires
fonciers, visant à valider des projets immobiliers cohérents. Le
Robien-Scellier a fait très peu de dégâts dans ces territoires, et ce n'est
pas un asard. Selon le même c erc eur, les "indicateurs dans le rouge
en mati re d’investissement locatif défiscalisé", sont "généralement un
indicateur fiable de vision politique faible ». Voilà au moins une
utilité des résidences en défiscalisation vides : elles signalent les élus
incompétents. Ils sont nombreux. C'est regrettable, car il faudrait des
élus compétents pour une tâche qui s'annonce délicate, sevrer la
construction de la "cocaïne fiscale".
Le secteur est lourdement subventionné. Si elle devait se passer du
jour au lendemain de ses régimes fiscaux de faveur, les dégats seraient
considérables. En 2011, selon les chiffres de la Fédération de la
promotion immobilière, sept acheteurs sur dix de logements collectifs
ont fait construire pour louer28. Personne ne sait combien
renonceraient en l'absence d'incitation fiscale, mais tout porte à croire
qu'ils seraient très nombreux. Le Scellier permet à l'acheteur de
récupérer en économie d'impôt un quart du prix d'achat. C'est un
argument commercial décisif. Mais comme le dit Yoann Joubert,
patron du promoteur Réalités, "lorsqu’une activité voit son c iffre
d’affaires subventionné à auteur de 2 , on peut considérer
justement que celui-ci est dopé", ce qui ne peut pas durer
éternellement.
27
"Le maire, l’accession sociale et le promoteur - La négociation entre élus locaux et promoteur : une analyse stratégique",
étude de Guilhem Dupuy réalisé en 2010 pour l'Agence nationale d'information sur le logement .
28
Ces chiffres n'englobent pas les 175.000 maisons individuelles, marché qui concernent très largement l'accession à la
propriété.
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Autre soutien artificiel à la construction, toute les mesures que les
promoteurs qualifient de "resolvabilisation de la demande" en faveur
des propriétaires accédants, comme les prêts à taux zéro, les prêts
bonifiés, les crédits d'impôts énergies renouvelables, etc. Plus, et ce
n'est pas le moins lourd, les aides à la construction de logements
sociaux : TVA réduite à 5,5%, subventions directes, exonération de la
taxe sur le foncier bati pendant 15 ans, prêt à long terme à taux
subventionné... Il y a, enfin, les aides au logement. En apparence,
elles profitent aux locataires, mais un certain nombe d'experts
s'accordent à dire qu'elles ont un effet inflationniste sur les loyers, ce
qui en fait des aides à la pierre. Sans elles, il seraient moins intéressant
de construire pour louer. D'après une étude de 2005 29, 0 à 80 des
allocations logement des ménages modestes sur la période 19 3-2002
auraient été absorbées par des ausses de loyers qui étaient les
conséquences directes de l'existence des allocations. Les bailleurs
s'alignent. "Oui, c'est un peu cher, mais vous avez les aides, non ?"
Un secteur plus subventionné que l'agriculture
Quand il était président de la République, Nicolas Sarkozy avait
avancé un chiffre total pour ces aides. C'était le 17 avril 2012, devant
les membres de la Fédération Française du Bâtiment (FFB). " 40
milliards d’euros de financement public pour le logement", avait-il
avancé. Les concours publics de soutien à l'agriculture atteignent
seulement 16 milliards d'euros annuels. En valeur absolue, la
construction de logements est l'activité la plus lourdement
subventionnée de France. Pour un pays supposé souffrir d'une grave
pénurie d'offre de logements, c'est un peu étrange.
"On ne peut pas continuer comme ça", avait poursuivi Nicolas
Sarkozy le 12 avril. "Il faut se désintoxiquer de la drogue des dépenses
publiques et des niches fiscales". Cette intervention du président en
exercice reprenant l'image des promoteurs dopés à la cocaïne fiscale
était remarquable par sa franchise, mais encore plus par son coté
tardif. Citant le Scellier, il avait dénoncé ce jour là le mécanisme qui
29
our uoi es ménages
as revenu paient-i s des oyers de p us en p us é evés ? " Gabrielle Fack.
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crée "une bulle spéculative" en injectant un "surcroît d’argent dans le
secteur sous couvert de solvabiliser la demande". Résumé lucide, mais
pourquoi se réveiller à trois semaines de la fin de son mandat ? Et si
elle était si délétère, pourquoi avoir reconduit la loi Robien en la
rebaptisant Scellier ?
En fait, pas plus que ses prédécesseurs ou ses successeurs, Nicolas
Sarkozy ne pouvait se permettre de laisser la construction dévisser. Un
tour de vis brutal sur les aides déprimerait la conjoncture et ferait
bondir le chômage. Tôt ou tard, il faudra revenir à la réalité d'une
demande sans soutien artificiel, mais quel gouvernement est prêt à
assumer l'opération vérité ? Le lobby de la défiscalisation n'a guère de
mal à convaincre, il prêche des convaincus.
Une crise du logement imaginaire
C'est cette réalité que vise à occulter le discours obligé de tous les
gouvernements sur la "crise du logement". Cette crise est un prétexte
pour pérenniser les aides. Le taux de vacance dans notre pays (les
logements sans occupant), en moyenne, tourne obstinément autour de
8% depuis les années 1980, avec des pointes à 20% dans certaines
villes. L’Insee recensait en métropole, en 2011, deu millions de
logements vacants. Ils ne sont pas tous dans les zones rurales vouées
au déclin. On en trouve aussi en Ile-de-France, cette enquête le
montre. Nous sommes les champions d'Europe du nombre de
logement par habitant. Il y en a plus d'un pour deux personnes. Ce
n'est pas la France qui a besoin de 500.000 nouveaux logements par
an, c'est le secteur de la construction. Et le secteur de la construction a
besoin de la force de frappe commerciale exceptionnelle des
défiscalisateurs pour les vendre, car la demande spontanée n'est pas à
la hauteur.
Le problème est que des dizaines de milliers de personnes, à force
d'entendre parler de cette crise du logement, ont fini par croire à son
existence. Ils ont sans doute été confortés dans leur illusion par une
forme de parisianisme des médias nationaux. Il y a pénurie de
logements à l’intérieur du périp érique et dans quelques communes
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des Hauts-de-Seine. Ce n’est pas à l’image de la rance. Et cette
pénurie très localisée ne se réglera pas en construisant des immeubles
à Romorantin ou Parthenay. Cette évidence a été perdue de vue par
des milliers de particuliers qui se demandent aujourd'hui où sont ces
locataires aux abois dont on leur a tant parlé. Ces locataires existent
ponctuellement, mais pas en tant que phénomène de masse. Les
mesures spectaculaires contre la "crise dramatique du logement" (Loi
sur le droit au logement opposable, taxe sur les logements vacants,
réquisitions de logements, projet d'encadrement des loyers...) donnent
systématiquement des résultats dérisoires, parce qu'elles n'ont pas
d'objet.
Le fantasme de la corruption
A plusieurs reprises au cours de cette enquête, des interlocuteurs ont
hoché la tête d'un air entendu : le maire connaît le promoteur... Le fils
d'une grosse fortune de la Martinique est derrière le projet en
Girardin.. Le Malraux ? Cherchez donc du côté des amis de Nicolas
Sarkozy... Akerys ? Ils ont des appuis, c'est évident...
Il n'y a pas de fumée sans feu. Dans beaucoup de pays, le bâtiment
et les travaux publics ont une tradition de corruption bien établie. Les
élus ont le pouvoir de délivrer des permis de construire, d'attribuer des
marchés publics et de définir un cadre réglementaire propice à la
construction. Autant de prérogatives qui en font des cibles de premier
ordre, quand ils ne s'adonnent pas eux-mêmes au racket des
entreprises et au trafic d'influence. En Espagne, la bulle immobilière
des années 1990 et 2000 s'est accompagnée d'un système quasiinstitutionnalisé de versements d'enveloppes de billets aux élus et aux
cadres du parti Populaire. L'affaire, dite des « enveloppes », a éclaté
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en janvier 2013 et n'en finissait pas de faire des remous en Espagne au
début du printemps de la même année.
La chasse au politique est un sport apprécié des journalistes. En
abattre un constitue un moment fort dans une carrière. Ce n'est donc
pas sans une pointe de regret qu'il faut se résigner à l'écrire : rien ne
permet de penser que le scandale à ciel ouvert de la défiscalisation à la
française s'est accompagné d'un scandale souterrain de corruption.
Les zonages et les plafonds de loyers ineptes étaient taillés sur mesure
pour les bétonneurs; l'amendement Scellier, voté en catimini un 31
décembre, a été écrit par la Fédération des métiers de l'investissement
locatif ; l'analyste en chef du Crédit Foncier, Jean-Michel Ciuch, a été
débarqué manu militari à l'été 2009 dans des circonstances troubles;
des fonds de défiscalisation Outremer remarquablement rémunérateurs
ont profité à une poignée de contribuables fortunés proches du pouvoir
; des élus locaux ont copiné outrageusement avec des promoteurs.
Tout cela est avéré.
Néanmoins, en quatre années passées sur la défiscalisation, à aucun
moment n'est apparue l'hypothèse de la corruption. C'est une pratique
discrète par définition, mais peut-on vraiment arroser des
parlementaires et des ministres pendant dix ans, sans que cela ne
transpire ? C'est peu probable. En Espagne, de nombreux signaux
avant-coureurs ont précédé l'affaire des enveloppes. Plusieurs élus
étaient dans le collimateur de la justice depuis des années, et un ancien
trésorier du parti populaire avait été mis en examen en 2009.
Exclure la corruption comme explication complète ou partielle du
naufrage de la défiscalisation ne relève pas de l'angélisme. C'est au
contraire la théorie de la corruption qui témoigne d'une foi presque
naïve dans l'efficacité de l'Etat : la corruption dit qu’il s'est passé
quelque c ose de pat ologique, qu’un agent dépositaire de l'autorité a
été perverti. C'est la raison pour laquelle la mécanique
gouvernementale a dérapé, mais elle reste globalement saine. Nous
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sommes gouvernés. Quelqu'un, au sommet, peut traiter le problème. Il
suffit de lui faire remonter les bonnes informations.
Et si ce n'était pas le cas ? Dix ans d'erreurs répétées et 50 000
victimes laissent entrevoir une autre réalité : des cabinets ministériels
à la poursuite d'objectifs contradictoires, submergés d'informations
qu'ils ne parviennent plus à traiter. Un cercle du pouvoir censé
administrer mais qui ne parvient plus à se gérer lui-même, où les
rapports et les expertises s'accumulent sans être lus. L'Équipement
s'inquiète, les Fraudes s'alarment, la Chancellerie entend parler de
plaintes. Hélas, le temps manque, la conjoncture vacille, la
construction est au bord de la crise. Sans parler des élus locaux qui
font le siège des cabinets pour que leur commune soit « bien » classés
en Robien, Scellier et Duflot.
Au Parlement, c'est pire. Députés et sénateurs, assaillis par des
lobbies de toute sorte, votent des textes à un rythme frénétique, sans
prendre le temps d'évaluer la portée des mesures déjà en place. Le
recueil annuel des lois de l'Assemblée nationale faisait 433 pages en
1973. Il en compte plus de 3500 quarante ans plus tard. Les dispositifs
de défiscalisation se sont succédés tous les deux ans et demi, (Robien
initial, 2004; Robien recentré, 2006; Scellier, 2009; Duflot, 2012). Il
en faut le double pour faire sortir de terre un programme immobilier.
Les lois modifient des lois antérieures, faisant référence à des
articles qu'une poignée de spécialistes seulement maîtrisent, sans être
d'ailleurs toujours d'accord entre eux sur leur interprétation exacte !
Comment des centaines de textes, le dispositif Duflot est quasiment
illisible. Extraits : « Un contribuable ne peut, pour un même logement,
bénéficier à la fois du m du 1 du I de l’article 31 du présent code, de
l’une des réductions d’impôt prévues au articles 199 undecies A, 199
undecies C et 199 tervicies et de la réduction d’impôt prévue au
présent article (... Au premier alinéa de l’article L. 45 F du livre des
procédures fiscales, après la référence : « 199 undecies C, », sont
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insérées les références : « 199 septvicies, 199 novovicies, ». Et ainsi
de suite sur plusieurs pages. Voilà ce qu'ont voté les parlementaires.
Combien ont compris ? Y avait-il urgence ? Non. La France pouvait
vivre sans loi Duflot. Le texte n'est pas en cause. Il arrive simplement
un stade où une réforme, bonne ou mauvaise, devient néfaste, tout
simplement parce que les citoyens et les consommateurs n'arrivent
plus à suivre.
Les seuls, en fin de compte, qui tirent leur épingle du jeu dans ce
contexte en perpétuel évolution, sont les escrocs. Ultra-spécialisés, ils
repèrent la faille juridique exploitable, s'adaptent à toute vitesse à la
nouvelle donne, et repartent pour un tour de carrousel. Ils ne
manipulent personne, ils sont simplement opportunistes. On ne peut
plus vendre de Scellier ? On vendra du Duflot. Les résidences de
tourisme ont du plomb dans l'aile ? Vive le photovoltaïque.
S'il y a une urgence législative aujourd'hui pour éviter les arnaques,
c'est de ne rien faire pendant au moins cinq ans. Comme disait
Montesquieu, « on ne doit toucher aux lois qu'avec des mains
tremblantes ». La législation est imparfaite, les dispositifs Malraux,
Girardin ou Censi-Bouvard risquent encore de faire des victimes, mais
il vaut mieux les laisser en l'état, le temps que chacun assimile les
textes et que les tribunaux bâtissent une jurisprudence.
Beaucoup d'espoirs, peut-être trop, se reportent maintenant sur la
justice. Elle est le dernier acteur éventuellement en mesure de réparer
les dégâts causés par le travail bâclé de l'exécutif et du législatif. Les
avocats qui se sont mis sur le contentieux de la défiscalisation en ont
pour des années d'honoraires. L'heure est aux procès devant les
juridictions civiles, pour dédommager les victimes, ou les juridictions
pénales, afin de punir les coupables.
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Côté réparation, il n'y aura pas de miracle. La plupart des
défiscalisateurs sont en difficulté. Ils n'auraient pas les fonds pour
dédommager tous les particuliers floués, même s’ils sou aitaient le
faire. La liste des faillites (Apollonia, Transmontagne, Finaxiome,
Mona-Lisa, Simbiosis, Quiétude, etc.) va certainement s'allonger.
Côté sanction, quelques anciens rois du béton ont déjà passé un petit
moment en prison, à l'image des flamboyants époux Badache de
l'affaire Apollonia. Ils ne sont pas nombreux.
Le cynisme des défiscalisateurs est flagrant quand on considère leur
activité dans son ensemble. Apporter la preuve que telle officine
savait que tel bien en particulier, situé dans telle résidence, était
surévalué et se louerait très mal, est nettement plus délicat. Or, c'est ce
qu'il convient de faire en justice. Les magistrats ne condamnent pas
des lois ou des politiques, ils ne font pas davantage la morale. Ils
examinent des plaintes.
Des escroqués, mais pas d'escroquerie ?
Pour Pierre Alberola, directeur général du groupe Omnium, « il y a eu
trop d'échecs en défiscalisation, mais ce ne sont pas des escroqueries.
Ça a mal tourné parce que chacun comptait sur les autres. Les
promoteurs se disaient : si les banques débloquent les prêts, c'est
qu'elles ont examiné les dossiers. Et les banques, de leur côté,
pensaient : si les promoteurs construisent, si les clients achètent en
masse, c'est viable. »
Pierre Alberola est arrivé à la tête d'Omnium en 2011 avec une feuille
de route claire : remettre Omnium sur les rails après une période de
dérapages. Les avocats qui défendent les victimes ne le suivent sans
doute pas quand il affirme qu'il n'y a pas eu d'escroquerie. En
revanche, sur les effets dévastateurs de la dilution des responsabilités,
il y a consensus. Chacun dans leur coin, les opérateurs du désastre
peuvent se sentir à l'abri des critiques. Le zonage de l'Etat était
absurde, mais l'Etat n'a rien construit. Les promoteurs ont trop
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construit, mais ils se fiaient à un zonage d'Etat. Les commerciaux ont
embelli la réalité, mais les banques suivaient. Les banques ont suivi,
mais les apporteurs d'affaire avaient sélectionné les dossiers. Les
maires ? Ils ont délivré les permis de construire, rien de plus. Les
notaires ? Ils ont seulement enregistré les ventes. Et les acheteurs ont
foncé en pensant que tous ces responsables ne pouvaient pas se
tromper en même temps.
D'après Christian Morel, spécialiste des décisions absurdes, c'est ainsi
que surviennent les vraies catastrophes 30. A chaque étape de la
décision, le responsable se dit qu'il n'est qu'un maillon de la chaîne et
que les autres le rappelleront à l'ordre en cas de défaillance. Personne
n'évolue en électron libre. Gage d'efficacité ? Oui, en bien comme en
mal. Les organisations complexes peuvent produire des résultats
déplorables dans des proportions que des escrocs isolés ne sauraient
embrasser.
Il y a déjà et il y aura encore des condamnations contre les
défiscalisateurs, les banques et les notaires. L'appât du gain était si fort
que beaucoup d'entre eux, dans un contexte où le sens des réalités
s'évanouissait, se sont montrés excessivement désinvoltes.
Délibérément ou pas, ils ont violé les textes de lois très pointilleux qui
protègent le consommateur. Un délai de rétractation non respecté,
même d'un jour, une signature manquante, et la condamnation à verser
des dommages et intérêts tombe. Les juges rattrapent par les cheveux
des particuliers déjà dans le gouffre.
Le vrai responsable, quant à lui, ne passera pas en justice, car c'est un
système. Et même si le «procès d'un système» est un concept
séduisant, en réalité, on ne juge jamais un système. Au fil du temps,
avocat, collectifs de clients furieux et journalistes ont acquis la
certitude qu'il y avait souvent une entente au moins tacite entre les
défiscalisateurs, les banques et les notaires, mais cette conviction ne
vaut rien en justice.
30
Les Décisions absurdes, Paris, Gallimard, 2002 et Les Décisions absurdes, comment les éviter, Paris,
Gallimard, 2012.
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Les banques françaises ne veulent ou ne peuvent pas dire ce que
représentent les dossiers de défiscalisation potentiellement risqués
dans leur portefeuille. Officiellement, il n'y a pas de crise des
subprimes à la française. Dans nombre de cas, notamment ceux des
résidences de tourisme, si les débiteurs font défaut et que la banque
saisi les biens, ils risquent de lui rester sur les bras. Les acheteurs ne
se bousculeront pas, sauf à brader les appartements. L'immobilier
devrait connaître plusieurs années de déprime dans quelques stations
de moyenne montagne ou de « tourisme vert ». Que deviendront les
programmes outrageusement surdimensionnés (Laprugne dans
l'Allier, le Palais des Evêques à Saint-Lizier, le Grand Hotel d'Alus) ?
Mystère. Les reconvertir, mais en quoi ? Les revendre, mais à qui ?
Dans les villes moyennes où les excès ont été stoppé rapidement, la
situation se redressera sans doute peu à peu, la démographie rattrapant
l'offre de logements. Une étude du cabinet Immogroup Consulting a
montré que la croissance naturelle de la population de Montauban
avait réussi à absorber en quelques années l'excès de constructions en
Robien qui avait saturé son marché entre 2004 et 2006. Il suffisait
peut-être d'un peu de patience. En allant moins vite, en étalant sur dix
ou quinze ans ce qui a été fait en cinq ans, on pouvait peut-être
écouler sans ruiner personne 90% de ce qui a été construit en
défiscalisation dans les villes moyennes françaises...
La loi Robien adoptée en 2004 imposait aux particuliers de garder
leur bien en location pendant neuf ans. A partir de 2013, la première
génération d'acheteurs peut vendre. Ceux qui ont perdu de l''argent
voudront le faire. Ils n'ont qu'une envie, se débarrasser au plus vite de
leur boulet immobilier, quitte à réaliser une moins-value de 40 000 ou
50 000 euros. Les T2 achetés à 130 000 euros en valent à peine la
moitié. Et même à prix sacrifiés, se vendront-ils ? Une partie de la
clientèle naturelle du secteur de la construction a été poussée à acheter
au mauvais moment, dans de très mauvaises conditions. Son épargne
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ne va pas se reconstituer du jour au lendemain. Les vendeurs risquent
d'être plus nombreux que d'habitude, au moment où les acheteurs vont
se raréfier.
Ceux qui ne pourront pas vendre vont se désintéresser de leurs
biens. Parfois ruinés, ayant pris leur appartement en haine, habitant à
des centaines de kilomètres, ils ne voteront qu'en dernier recours les
travaux d'entretien nécessaires. Le mauvais Robien et le mauvais
Scellier vont s'enfoncer dans la spirale de la paupérisation et devenir
les taudis qui concentreront la misère sociale des villes moyennes.
Pendant que l'Agence nationale de rénovation urbaine tentait de raser
les citées pourries d'aujourd'hui, on inaugurait celle des années 2020 et
2030. Dans l'indifférence quasi-générale.
C'était sans risque.
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