Discours du Haut Représentant de l`Union européenne pour la

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Discours du Haut Représentant de l`Union européenne pour la
S0142/04
Discours du
Haut Représentant de l’Union européenne
pour la Politique étrangère et de sécurité commune,
Javier SOLANA
Une Stratégie de Sécurité pour l'UE :
une Europe plus sûre dans un monde meilleur
Mouvement européen - FRANCE
Paris, 24 mai 2004
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Cristina Gallach - Spokesperson of the Secretary General, High Representative for CFSP
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e-mail: [email protected]
Mesdames, Messieurs, chers amis,
C’est un réel plaisir de vous rencontrer ici en plein Quartier latin sous les auspices du Mouvement
européen. Vous voir réunis en aussi grand nombre me réjouit très sincèrement.
Nous partageons ensemble la même passion de l'Europe, et ce depuis longtemps : avec les
fondateurs du Mouvement européen, ma propre famille, en la personne de Salvador de Madariaga,
partage la paternité de la création du Collège de Bruges. Je tiens donc à remercier la Présidente du
Mouvement européen français, Madame Anne-Marie Idrac, et toute son équipe, pour cette initiative.
Ce soir notre échange a pour thème la Stratégie de Sécurité de l'Union européenne. Comme vous le
savez, le Conseil européen a adopté en décembre dernier ce document qu'il m'avait demandé
d'élaborer.
Par ce document, l'Union élargie dispose désormais d'un concept stratégique qui lui est propre, qui
confirme sa qualité d'acteur global et sa vocation à assumer sa part de responsabilité dans la sécurité
internationale.
Ce concept stratégique repose sur un postulat simple : aucune des menaces n'est aujourd'hui
purement militaire.
Aucune des menaces ne peut donc être contrée par des moyens purement militaires. Ce postulat a
une conséquence majeure : constituent des enjeux de sécurité les grands défis mondiaux (répartition
des fruits de la globalisation, les grandes pandémies ou l'extrême pauvreté), ainsi que les menaces
traditionnelles ou nouvelles (crime organisé et conflits régionaux, la prolifération des ADM et leur
possible utilisation par des réseaux terroristes par exemple).
Arrêtons-nous sur le cas du terrorisme. En se battant contre le terrorisme, l'Europe se bat aussi pour
la stabilité régionale, la bonne gouvernance et l'État de droit.
Tous nos instruments disponibles sont engagés dans la même direction : la lutte et la prévention.
Dans le même temps, l'Europe est déterminée à comprendre et à traiter ce qu'il y a derrière le
phénomène.
Nombre de questions nous interpellent. Des connections avec des réseaux criminels sont-elles
avérées ou non ? Quand la revendication politique masque-t-elle un terrorisme d'État ou le simple
nihilisme ? Pourquoi la Somalie ou l'Afghanistan des Talibans ?
Pourquoi l'Europe est-elle à la fois une cible et une base d'opération ? C'est en comprenant mieux
que notre réponse sera plus efficace.
Dans le même temps il nous faut mieux utiliser ce qui est déjà disponible. Le partage de
l'information et de l'analyse doit se faire mieux et plus vite. Mais surtout il faut bien coordonner et
mettre en réseau nos mécanismes de défense, d'investigation et de contrôle dans des domaines
d'activités (sécurité des transports, visas, police) relevant souvent de différentes administrations
nationales.
C'est la tâche que j'ai confiée à Gijs de Vries, l'ancien Secrétaire d'État néerlandais à l'intérieur.
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Voilà pour l'environnement stratégique. Passons aux objectifs. La Stratégie de Sécurité fixe trois
objectifs.
Faire face d'abord. L'objectif pourrait paraître évident. Mais il ne l'était pas il n'y a pas si longtemps.
Je viens de donner le cas du terrorisme, mais les autres menaces sont-elles aussi désormais ciblées :
le crime organisé international susceptible de se livrer à la traite des êtres humains comme de prêter
main fortes aux terroristes ; les conflits régionaux qui, comme au Proche-Orient, continuent de sévir
près de chez nous; le phénomène de déliquescence des États qui peuvent engendrer de vraies crises
humanitaires ou déclencher de nouveaux conflits locaux.
La prolifération des armes de destruction massive est-elle aussi une cible prioritaire pour l'Union
européenne.
Évoquer le sujet au sein de l'Union européenne était jusqu'à il y a peu une tâche relativement
compliquée. Désormais, nous devons mieux faire qu'en parler. Les activités nucléaires en Corée du
Nord, les risques nucléaires en Asie du Sud ou la prolifération au Moyen-Orient constituent de
vraies sources d'inquiétudes pour l'Europe. Pour y faire face un plan d'action a donc été adopté en
décembre dernier, dans la foulée de l'adoption de la Stratégie de Sécurité.
Aujourd'hui un projet de programme pluriannuel est à l'étude avec à la clé une programmation
budgétaire pour soutenir la coopération multilatérale, et financer l'assistance aux pays tiers.
Vous pouvez ici bien mesurer la prise de conscience autant que la détermination nouvelles des
Européens dans ce domaine particulier.
Cette détermination a déjà fait ses preuves, dans un dossier à la fois délicat et compliqué : celui du
nucléaire iranien.
Deuxième objectif tout aussi important assigné dans la Stratégie de Sécurité : construire la sécurité
dans notre voisinage.
Même à l'heure de la mondialisation, la géographie conserve toute son importance.
Cela implique notamment pour l'Europe de promouvoir un cercle de bonne gouvernance sur ses
frontières orientales - des Balkans au Caucase - et sur le pourtour de la Méditerranée.
Cet objectif est mis en application dans les Balkans : c'est de la consolidation de nos résultats dans
cette région que continue de dépendre la crédibilité de la PESC et de la PESD.
Cette année, les 25 auront une nouvelle occasion de le démontrer en relevant la force de l'OTAN
déployée en Bosnie.
L'européanisation de la région est bien à l'œuvre avec, aux avant-postes, la Croatie, ainsi que
l'ARYM dans une certaine mesure. Il nous faut impérativement continuer.
Mais tout n'est pas encore fait : les progrès enregistrés en Serbie et Montenegro doivent être
consolidés; surtout, pour le Kosovo, il nous faudra éviter une solution qui déstabilise la région et
contrevienne à la résolution 1244 et aux droits des minorités.
Parce que l'élargissement nous rapproche de différentes zones d'instabilité, l'effort doit aussi porter
vers nos voisins orientaux.
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Il nous faut aider l'Ukraine à se rapprocher de l'Union européenne, les différents États du Caucase à
poursuivre sur la voie des réformes et du règlement des crises encore en suspens.
Il nous faut également réfléchir aux moyens de sortir le Belarus de l'isolement dans lequel il s'est
lui-même placé.
La Méditerranée et le Proche et Moyen-Orient sont tout autant prioritaires bien sûr.
Le Processus de Barcelone reste au cœur de notre relation privilégiée comme la dernière réunion
ministérielle Euromed à Dublin début mai l'a confirmé.
Mais l'ambition est désormais d'approfondir la relation existante autant que d'étendre nos horizons
de coopération avec les différents États du Golfe persique en particulier.
Un partenariat stratégique avec les pays de la Méditerranée et du Moyen-Orient est en cours
d'élaboration. Avec les États du Conseil de Coopération du Golfe, la semaine dernière à Bruxelles,
nous y avons travaillé ensemble.
Le règlement du conflit israelo-arabe reste une priorité stratégique pour l'Europe. Nous l'avons dit
clairement : en l'absence d'une solution, il n'y aura guère de chances de résoudre les autres
problèmes de la région. C'est pourquoi ce conflit et le désespoir qu’il suscite dans certaines parties
du monde arabe ne peuvent être laissés de côté en attendant que la bataille contre le terrorisme soit
gagnée.
C'est pourquoi notre détermination à voir appliquer la "feuille de route" reste entière ainsi que je l'ai
souligné lors de la dernière réunion du Quartet à New-York.
Il n'y a pas d'autre alternative que celle d'une solution négociée et non-unilatérale. L’Europe doit se
tenir prête à s’engager sur le terrain.
Une autre grande crise - la crise irakienne - va désormais devoir figurer sur l'agenda européen. On
ne sera pas immunisé des retombées de cette crise si l'on refuse de la traiter.
La communauté internationale doit trouver le moyen d'aider les Irakiens à renouer avec leur
souveraineté et à construire patiemment un État de droit et une économie viable dans des frontières
préservées. Nul besoin d'insister sur les préoccupations que soulèvent les derniers événements. En
face de nous, les options tendent à se réduire. L'échéance du 30 juin mais aussi bien sûr celle de
janvier 2005 se rapprochent.
Sous l'égide des Nations Unies, plus forte sera la mobilisation, mieux l'Europe parviendra à aider les
Irakiens et à prévenir les risques de déstabilisation régionale.
Troisième objectif : renforcer l'efficacité du multilatéralisme.
Aucun pays n'est en mesure de faire face, seul, aux problèmes complexes de notre temps. La
coopération est vitale. Une société internationale plus forte, le bon fonctionnement des institutions
multilatérales et la fondation de l’ordre international sur le droit figurent parmi les objectifs
stratégiques de l'Union européenne.
Le renforcement de l'Organisation des Nations Unies constitue une priorité européenne.
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Les enjeux sont de taille : acteur global, l'Europe se doit d'aider à construire un système de relations
internationales plus sûr et plus solidaire à la fois.
Propager la bonne gouvernance, soutenir les réformes sociales et politiques, lutter contre la
corruption, instaurer partout l'État de droit et garantir le respect des droits de l'homme, ce sont là les
meilleurs moyens de renforcer l'ordre international.
Les conséquences stratégiques d'une telle approche ne sont pas négligeables : lorsqu'un pays qui
s'est placé en dehors de la société internationale souhaite finalement renouer avec celle-ci et accepte
d'agir en conséquence,
L'Union européenne doit être prête à lui fournir une assistance adéquate. C'est par exemple
aujourd'hui le sens de la reprise du dialogue avec la Libye. Inversement lorsqu'un pays persiste dans
son choix de l'isolement, il faut qu'il s'attende à en payer le prix dans ses relations avec l'Union
européenne.
Pour satisfaire ces différents objectifs, l'Europe doit travailler dans plusieurs directions. La première
est évidente : développer une culture stratégique qui permette à l'Europe d'intervenir avant même
qu’une situation régionale ne se détériore, avant qu’une crise humanitaire ne survienne, dès lors que
sont détectés des signaux seulement de prolifération. C’est ce que les Européens font avec l’Iran
depuis octobre 2003. La prévention des crises n’intervient jamais trop tôt. L’Europe doit être
capable d’engagement préventif systématique. Et elle a démontré l'année dernière en menant de
front plusieurs opérations, en Macédoine et au Congo, qu'elle pouvait réellement traduire en action
politique et militaire à la fois.
Le renforcement de nos capacités militaires et civiles constitue le second axe d’efforts. Les
Européens consacrent par an autour de 160 milliards d’euros à leur défense. Cette année,
l’installation d’une Agence européenne pour l’armement sur laquelle les Chefs d'Etat et de
gouvernement seront appelés à décider d'une action commune, le mois prochain, marquera une
nouvelle étape cruciale.
Le développement de la PESD présente de nouveaux défis. Mais le défi de la rationalisation et de
l'inter-opérabilité de nos outils militaires était déjà fort.
L'Agence devra permettre d'y répondre de manière globale et rationnelle, en favorisant par exemple
de meilleures synergies entre les grands acteurs de l'industrie européenne de défense.
Il nous faut poursuivre avec résolution dans ce domaine, mais aussi dans celui des capacités civiles.
L'engagement de moyens civils est souvent le gage du succès d'une opération.
C'est pourquoi actuellement nous travaillons à la mise en place d'une Cellule civilo-militaire. Cette
Cellule aidera l'Union européenne à gagner en cohérence et à être plus performante dans la
planification. Elle renforcera ainsi notre capacité à intervenir dès qu'il le faut et là où il le faut.
Corollaire de cette ambition, une plus grande cohérence dans l'action extérieure s'impose. A fortiori
parce que l’Union européenne est la seule organisation régionale qui dispose d’une panoplie aussi
large d’instruments politiques, diplomatiques et humanitaires, économiques et financiers, militaires
et policiers.
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Une meilleure cohérence entre les outils signifie aussi une meilleure cohérence entre action
extérieure et politiques communes, entre aide bilatérale, aide communautaire au développement et
commerce, entre politique étrangère et Justice et des Affaires intérieures. Chaque jour en effet
l’actualité internationale souligne combien sécurités extérieure et intérieure sont indissolublement
liées : 90% de l’héroïne vendue en Europe arrive d’Afghanistan en transitant par les Balkans.
Dernier axe d’efforts assigné par la Stratégie de sécurité : le développement de la coopération avec
les grands partenaires, au premier rang desquels les États-Unis.
L’Europe reste le seul partenaire global de l’Amérique. Et réciproquement. Aucun des grands défis
auxquels nous sommes confrontés ne peut être traité sans l’appui et l’implication de l’autre. Les
Balkans l’ont révélé ; l’Irak est en train de le rappeler. Le lien transatlantique est irremplaçable.
Une Europe plus forte dotée d’une vision stratégique commune, c’est aussi une Europe capable de
consolider ses relations à la fois avec les autres grands acteurs (la Russie, la Chine, le Japon et
l'Inde) et avec les autres grandes organisations (les Nations Unies bien sûr, mais aussi l'Union
Africaine et le Mercosur par exemple).
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Vous le constatez : les enjeux comme les chantiers sont vastes. Mais encore une fois, nous n'avons
plus d'autre choix que d'aller de l'avant; la PESC et la PESD doivent être en mouvement permanent.
La première Stratégie de sécurité de l’Union européenne est le fruit de cinq années d'efforts inscrits
dans cette seule perspective. Elle est le résultat d'acquis impressionnants. Mais elle constitue aussi
un document vivant dont le contenu est chaque jour éprouvé par les événements internationaux.
La détermination à continuer de relever le pari est bien là. Par avance, notre conviction dans le
projet européen est un gage de succès. J'en suis sûr.
Je vous remercie./.
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