Lartiste habituédes pistes. Un portrait de Toulouse
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Lartiste habituédes pistes. Un portrait de Toulouse
Art et sport « Bicyclettes Michael ». Affiche, 1896. Musée d’Albi (FRA). L’ARTISTE HABITUÉ DES PISTES UN PORTRAIT DE TOULOUSE-LAUTREC par le docteur RAMON BALIUS JULI Toulouse-Lautrec est toujours un personnage d’actualité qui intéresse autant par son importante et splendide œuvre que, d’une façon peut-être plus morbide, par sa vie dissolue ou sa mystérieuse maladie. Dans cette étude, sans tenter d’évaluer l’intérêt artistique de son œuvre, suffisamment reconnu, nous nous proposons d’analyser sommairement sa pathologie et, parallèlement, de commenter ses affinités sportives, bien reflétées dans sa production. H enri Marie Raymond de Toulouse-Lautrec naquit en 1864 à Albi, dans le Languedoc (FRA). Il était le fils du comte Alphonse Charles de Toulouse-Lautrec et de la comtesse Adèle Tapié de Céleyran, un mariage entre cousins germains que nous pensons fondamentalement responsable de sa maladie, laquelle a commencé très tôt à se manifester. Le petit Henri grandit dans un milieu de l’aristocratie rurale dans lequel la chasse et l’équi- tation constituent des éléments de hase de la vie quotidienne. Vers 1872, la famille s’installe à Paris où il se rend presque tous les jours à « l’Ecole d’équitation Duphot », à l’hippodrome ou au jardin zoologique et, fréquemment, à l’atelier de René Princeteau, peintre sourd et muet, spécialisé dans les chevaux. A neuf ans, c’est déjà un excellent dessinateur, maladif toutefois, dont les premiers dessins représentent des scènes équestres et de chasse. Il fréquente diverses stations 383 Art et sport balnéaires des Pyrénées et, d’après une lettre adressée à sa sœur, datée de 1877, nous savons qu’il était traité aux électrochocs (?), qu’il souffrait d’une infirmité à la jambe droite et qu’il boitait de la jambe gauche, éprouvant parfois le besoin de s’appuyer sur une canne. C’est ainsi que lors d’une visite à Albi en 1878, il lâche sa canne en essayant de se lever d’une chaise, tombe et se fracture le fémur gauche. Il ne guérit qu’au bout de plusieurs mois qu’il passa à peindre et à dessiner intensément. Au cours de l’été 1879, lors d’une promenade en compagnie de sa mère, il tombe une seconde fois et se rompt cette fois le fémur droit. Il est à nouveau plongé dans une longue et pénible maladie, la fracture ne se consolidant apparemment que très lentement. Vers 1880, il se trouve à Nice, transformé en un être difforme, avec un corps développé normalement sur les jambes presque rigides, fragiles et courtes, qui allait nécessairement influencer toute sa vie. De nombreuses théories ont été exposées sur la maladie de Toulouse-Lautrec, tentant de la situer entre les divers diagnostics correspondant Portrait et autocaricatures de Toulouse-Lautrec. à des maladies osseuses congénitales. On a dit, croyons-nous à tort, qu’il pouvait s’agir d’un cas d’osteogenesis imperfecta (Seedorf, 1949), d’achondroplasie (Sejournet, 1955) ou de dysplasie polyépiphysaire (Levy, 1957). Cependant, il semble plus probable que Toulouse-Lautrec souffrait d’une maladie appelée pycnodysostose (pynos : dense; dys : déficient; osteon : os), décrite en 1962 par Maroteaux et Lamy. Cette infirmité s’accompagne toujours d’une petite stature (entre 1,35 m et 1,55 m), due à des jambes courtes et malformées, un crâne relativement volumineux présentant des protubérances frontales proéminentes et une fontanelle antérieure largement ouverte, même chez l’adulte. Un petit maxillaire inférieur dépourvu d’angle mandibulaire, la branche horizontale se prolongeant avec la branche montante, et une atrophie du menton. Des mains et des pieds courts, dûs à une aplasie partielle des troisièmes phalanges et l’apparition tardive de fractures, produites en l’absence de traumatisme important, par fragilité osseuse, viennent compléter le tableau, tout cela étant d’origine congénitale par transmission récessive autosomique. D’après certains témoignages, on a la preuve que Toulouse-Lautrec avait la fontanelle ouverte et c’est probablement pour cette raison qu’il se protégeait toujours le crâne d’un chapeau. Sur bon nombre de ses autocaricatures, on peut constater la forme anormale de sa mandibule. De la même façon, on est certain de sa petite stature, de ses jambes courtes, de la petite taille de ses mains et de ses pieds et des nombreuses fractures dont il a souffert, sans aucun doute par fragilité osseuse. La consanguinité de ses parents permet de confirmer le diagnostic de pycnodysostose. En 1884, Toulouse-Lautrec s’émancipe et entre dans le milieu des cafés-concerts, théâtres, bals et beuglants, où il s’adonne au travail en même temps qu’à la boisson. Dans le cabaret « Le Mirliton », il fait la connaissance du chansonnier Aristide Bruant qui restera son meilleur ami de nombreuses années durant. Les œuvres de Lautrec portent les noms des chansons de Bruant et le cabaret devait être sa première salle d’exposition. « Bruant à bicyclette ». Sur carton, 1892. Musée d’Albi. ➝ 384 385 Art et sport « Chaînes Simpson ». Affiche, 1896. Musée d’Albi. Les tares physiques de Toulouse-Lautrec le privaient d’activités physiques, mais il pratiquait avec une certaine régularité la natation et la voile. C’était un excellent nageur, un bon rameur et un navigateur compétent. Vers 1895, il se passionne pour les moyens de transport jugés révolutionnaires à cette époque: la bicyclette et l’automobile. En effet, depuis l’invention du pneumatique par Dunlop en 1889, le cyclisme est le sport à la mode à Paris et les vélodromes se transforment en lieux de rencontre de la société élégante. Le plus sportif des amis de Toulouse-Lautrec est Tristan Bernard, rédacteur en chef du Journal des Vélocipédistes, avocat, auteur dramatique et humoriste, spécialiste de la race équine et directeur technique des vélodromes de Buffalo et de La Seine depuis 1895. C’est à lui que l’on doit l’introduction de la cloche pour donner le départ des courses et annoncer le dernier tour. « Lautrec — a écrit Tristan Bernard — était un fervent habitué du vélodrome. Il venait me 386 chercher le dimanche, nous déjeunions ensemble et nous nous rendions ensuite à La Seine ou au Buffalo. Je le faisais entrer jusque sur la pelouse, parmi les officiels. Je pense qu’il s’intéressait peu au résultat des courses, mais l’ambiance et les gens en revanche le passionnaient ». L’engouement pour le cyclisme a inspiré à Toulouse-Lautrec l’illustration de la couverture de la partition d’une chanson : « Floréal ». Cette chansonnette critique les efforts des cyclistes, car « à l’heure des rendez-vous amoureux — qui demandent au moins un peu de répit — les cyclistes sont généralement abstentionnistes ». Il fréquente le quartier des coureurs qui le divertissent tout autant que les vedettes du caféconcert, réalisant de nombreux portraits, lithographies, dessins et peintures sur le thème du cyclisme. Il tente de persuader ses amis de se mettre au cyclisme. Certains d’entre eux tels que Joyant et Bruant sont des vélocipédistes accomplis. Un jour de 1896, la gare Saint-Lazare est envahie par une multitude de coureurs, entraîneurs et amateurs, chargés de bicyclettes et de tandems, qui s’apprêtent à investir un train devant les emmener jusqu’à Londres par Dieppe et Newhaven. Lautrec qui accompagne l’équipe cycliste « Michael », est pourvu d’un crayon, d’un album et d’un curieux sac de voyage, allongé comme une saucisse pour éviter de le traîner sur le sol. La compétition londonienne avait été organisée par Louis Bouglé, représentant de l’entreprise de bicyclettes et de chaînes Simpson. Bouglé qui s’habille à l’anglaise et se fait appeler L.B. Spoke, demande à Toulouse-Lautrec de réaliser une affiche pour promouvoir les nouvelles chaînes de bicyclette. Une première esquisse représente le coureur cycliste anglais Michael, son éternel cure-dents à la bouche, et le journaliste sportif Frantz Reichel en train de chronométrer, tandis que l’entraîneur Choppy Waburton semble chercher quelque chose dans un sac. Le peintre ne connaissait manifestement rien de la machine et peignit des pédales que Spoke jugea défectueuses; l’œuvre fut refusée. Par la suite, il réalisa une nouvelle affiche représentant le champion Constant Huret et ses entraîneurs sur un tandem, Tristan Bernard et Spoke contemplant la scène. Vers 1897, Toulouse-Lautrec n’est déjà plus capable de travailler sans l’euphorie que lui procure l’ivresse. Il est rarement sobre et sa production artistique baisse de plus en plus. Au début de l’année 1898, à la suite d’une crise de delirium tremens et d’une fracture de la clavicule, il est interné dans une clinique psychiatrique privée. Grâce à une cure sévère de désintoxication, il récupère très rapidement et se remet au travail. C’est durant son séjour au sanatorium qu’il réalise la fameuse série sur le cirque, aux crayons de couleur, ainsi que les fantastiques illustrations des « Histoires naturelles », Après un séjour au bord de la mer qui semble le revigorer, il consacre une série de dessins aux champs de course. C’est un milieu qu’il connaissait parfaitement depuis l’enfance ; quelques années auparavant, il avait déjà illustré un conte intitulé « Le Bon Jockey ». La série se composait de quatre lithographies en couleur, la plus célèbre étant « Le jockey », œuvre unique qui fut largement reproduite. En 1900, il se remet avec frénésie à la boisson; c’est alors un homme fatigué qui se laisse emmener, indifférent, dans une chaise roulante, à « Le jockey ». lithographie, 1899. Musée d’Albi. l’Exposition Universelle de Paris. Il quitte la la Ville Lumière », passe ses étés près de la mer et l’automne à Bordeaux. En mars 1901, il est pris d’une crise aux causes indéterminées qui lui ôte toute force dans les jambes; pour lui, «Bacchus et Vénus sont définitivement tabous ». Peu après, une attaque d’apoplexie le rend hémiplégique. Transporté au château de Malromé, il meurt le 9 septembre 1901, peu avant son trente-septième anniversaire. Le lendemain, le comte Alfonse annonce la mort d’Henri à Princeteau. Après avoir vanté la bonté et l’amabilité de son fils et rappelé les souffrances de sa courte vie, il termine en exprimant l’espoir de le rencontrer à nouveau dans une autre vie « où l’on ne punit pas le fruit du même sang qui n’aurait jamais dû être mêlé par le mariage ». R. B. J. 387