C A N A D A Cour du Québec S E N T E N C E

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C A N A D A Cour du Québec S E N T E N C E
CANADA
Cour du Québec
Province de Québec
District de Beauharnois
(Division pénale)
No.
SALABERRY-DE-VALLEYFIELD,
Le 7 septembre 1995
760-27-001378-936
SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L'Honorable RAYMOND P.
BOYER, J.C.Q.
JEAN-PIERRE DUPONT esqualité
POUR LA COMMISSION DES
VALEURS MOBILIÈRES DU
QUÉBEC
poursuivant,
c.
MAURICE MALOUIN
défendeur
SENTENCE
Le Tribunal a déclaré le défendeur coupable sur les chefs 1 à 4, 7, 9,
11, et 12 à 20 de la dénonciation. Les chefs 1 à 4, 7, 9 et 11 avaient
trait à l'opération de placements en vue d'investissement en l'absence
d'inscription du défendeur auprès de la Commission des valeurs
mobilières à titre de courtier. Les neuf derniers chefs, soit de 12 à
20, faisaient grief au défendeur de l'aide qu'il a apportée à la Société
d'investissement Grand-Maison Inc. (ci-après désignée SIGM pour
abréger) en procédant à ces placements en l'absence de dépôt du
prospectus requis par la loi.
ADMISSIONS
Pour les fins de la sentence, les parties ont fait les admissions
suivantes:
1
-
Sous
la
cote
S-1,
le
défendeur
Malouin
était
l'un
des
administrateurs de la société Pretexx Finance. Cette société émettait
des certificats de placements comme le faisait la SIGM:
2
- Le défendeur Malouin a antérieurement plaidé coupable sur onze
chefs à des accusations similaires portées par la Commission des
valeurs mobilières du Québec en rapport avec l'administration de la
compagnie Pretexx Finance dans le dossier 500-27-003848-936. Il a
été condamné à des amendes totalisant 15 000$;
3
- La SIGM a fait l'objet d'une ordonnance de mise sous séquestre
en vertu de la Loi sur la faillite en juin 1994;
4
- Les investisseurs dans la SIGM n'ont reçu aucun versement
d'intérêt depuis 1991;
5
- Certains investisseurs ont intenté des recours civils devant
la Cour supérieure contre le défendeur Malouin, nommément MM.
Jacques Deschambault (760-05-000565-935) Roger Joannette (76005-000553-931), Médard Deschambault (760-05-000555-936), Arthur
Lavigne (760-05-000550-937) et Mme Ghislaine Proulx (760-05000551-935).
6
- L'âge des investisseurs perdants dans la société d'investissement
Grand-Maison Inc. est le suivant:
- Deschambault Médard
65 ans
- Deschambault Jacques
60 ans
- Lavigne Arthur
67 ans
- Proulx Ghislaine
71 ans
- Lecompte Lucien
71 ans
- Cardinal Yolande
53 ans
- Lefebvre Marie
78 ans
- Picard Fleurette
56 ans
REPRÉSENTATIONS DE LA DÉFENSE
La défense Plaide en sa faveur les facteurs atténuants suivants:
1
-
Le
défendeur
fut
le
seul
à
être
poursuivi
parmi
les
administrateurs;
2
- La détérioration des conditions du marché immobilier qui a
causé son effondrement après 1991 et qui a entraîné des pertes
considérables
chez
des
investisseurs
d'envergure
compagnies Olympia & York et Cadillac-Fairview;
tels
que
les
3
- L'ampleur des mises de fonds effectuées personnellement par le
défendeur dans la SIGM;
4
-
Les
désagréments,
soucis,
ennuis
et
pertes
qu'une
telle
mésaventure a causés à la pratique de sa profession de notaire;
Après avoir invoqué l'autorité de certaines décisions publiées dans le
bulletin hebdomadaire de la Commission des valeurs mobilières du
Québec, la défense a souligné qu'on ne retrouvait pas en l'espèce la
preuve de l'exercice d'une sollicitation active à l'instar de ce qui s'était
produit dans l'affaire Pretexx. La défense prie donc le Tribunal de faire
preuve de clémence pour toutes ces raisons et d'imposer au défendeur
le minimum d'amende prévu par la loi dans les circonstances.
REPRÉSENTATIONS DE LA POURSUITE
D'entrée de jeu, la poursuite soutient que la jurisprudence que l'on
trouve dans le bulletin de la Commission n'est pas applicable en
l'espèce en raison de différences fondamentales avec la présente
affaire. Dans les causes citées par la défense, les défendeurs
agissaient comme simples représentants, comme vendeurs de parts
et non comme administrateurs. La poursuite fait de plus remarquer,
fort à propos, que les investisseurs n'avaient perdu aucun montant
d'argent au moment où la sentence avait été prononcée, ce qui
explique l'imposition d'amendes minima.
Selon la poursuite, il en va tout autrement en l'espèce où le défendeur
était l'âme dirigeante de l'entreprise SIGM dans laquelle les victimes
ont perdu d'importantes sommes d'argent en placements. Rappelant
que le défendeur a effectué des placements après la signification
d'une interdiction en ce sens à la compagnie Pretexx, la poursuite
soumet que les sollicitations postérieures qu'il a faites au nom de
SIGM l'ont été dans un contexte de sérieuses difficultés financières,
sans égard aux intérêts des investisseurs et dans le but primordial de
sauvegarder sa propre mise de fonds. Compte tenu de l'importance
des pertes financières de 309,500$ subies par les victimes simplement
quant aux chefs sur lesquels le défendeur a été reconnu coupable, la
poursuite plaide que le critère de dissuasion générale doit primer dans
les circonstances et entraîner l'imposition d'amendes sévères, d'un
montant plus élevé que celles prononcées dans l'affaire Pretexx, vu la
récidive.
CONCLUSIONS
1
-) Les principees sentenciels
Le but ultime de l'imposition d'une peine réside dans sa fonction
éducative, non seulement à l'égard du contrevenant mais aussi envers
les autres membres de la société. Dans l'arrêt Lemire et Gosselin(),
la Cour d'appel du Québec s'exprimait en ces termes sur le principe
général de la sentence:
« On peut dire qu'une sentence a cette
qualité de convenance quand elle est
proportionnée
à
la
fois
à
la
gravité
objective de l'infraction et à sa gravité
subjective pour le délinquant et que de
plus
elle
a
les
qualités
d'exemplarité
protectrice et de correction curative. »
L'effet dissuasif d'une peine vise à susciter un sentiment de peur chez
l'accusé afin qu'il renonce à commettre une autre infraction de crainte
d'être à nouveau puni. La peine comporte également un effet dissuasif
à l'égard des autres membres de la société puisque son exemplarité
vise à décourager à se livrer à un tel comportement délictuel. Il faut
en outre que la peine soit individualisée en tenant compte de la gravité
de l'infraction commise, tant sur le plan objectif que subjectif, en
visant et souhaitant la réadaptation sociale du contrevenant.
2
-) Les particularités de l'imposition de peine en droit pénal
québécois
C'est à l'article 229 du Code pénal du Québec que l'on trouve le
principe fondamental de la peine en matières pénales provinciales. Cet
article énonce la règle suivante:
« 229 Le juge qui déclare le défendeur
coupable
une
peine
d'une
infraction
dans
les
lui
limites
impose
prescrites
par la loi, compte tenu notamment des
circonstances
particulières
relatives
à l'infraction ou au défendeur et de la
période de détention qui a pu être purgée
par le défendeur relativement à cette
infraction. »
Malgré sa concision, le texte de l'article 229 incorpore tous les
grands principes du sentencing élaborés par la common law au
cours des siècles passés quant aux facteurs d'appréciation de la
peine convenable. Toutefois, il se distingue du Code criminel quant
à plusieurs points qui lui sont propres dont l'amende comme mesure
ordinaire de sanction d'une infraction. L'emprisonnement représente
donc une mesure exceptionnelle en droit pénal québécois et ne peut
être imposée que dans les trois cas prévus par l'article 231 du Code
pénal, à savoir lors d'un outrage au tribunal, du défaut de paiement
d'une amende et en vertu d'une disposition particulière d'une loi
sectorielle. La poursuite reconnaît que le texte du deuxième alinéa
de l'article 231 du Code pénal a rendu inopérantes les dispositions
de la Loi sur les valeurs mobilières qui prévoyaient la possibilité d'un
emprisonnement comme moyen de sanction primaire. Il ne peut
donc être question en l'espèce que de l'imposition d'amendes dont le
quantum sera fonction des circonstances particulières relatives aux
infractions et au défendeunr.
3
-) Les facteurs d'appréciation
A-) La gravité objective des infractions
La Cour d'appel du Québec a indiqué dans l'arrêt Lemire et Gosselin
précité que le premier élément objectif d'appréciation de la gravité
d'une infraction était la peine prévue par le législateur. C'est donc à
partir du texte de loi que le Tribunal doit apprécier la gravité d'un acte
illégal. En l'espèce, la loi applicable en est une d'ordre public. Elle vise
la protection des membres de la société en exigeant que l'on fournisse
aux investisseurs les renseignements nécessaires à la compréhension
du risque de leur placement. Pour atteindre ces fins, lé législateur
a décrété l'imposition d'amendes se situant entre 500$ et 10 000$.
Cette sévérité de peine imposable à un contrevenant démontre la
gravité objective d'une infraction à la loi aux yeux du législateur.
B-) La gravité subjective des infractions
L'examen de l'aspect subjectif de la gravité des infractions commande
de considérer les circonstances du délit, le mobile, l'existence ou
l'absence de préméditation et les conséquences du délit sur les
victimes. L'article 202 de la Loi sur les valeurs mobilières fait d'ailleurs
un devoir au Tribunal de tenir compte notamment du préjudice causé
aux épargnants dans la détermination de la peine.
a-) Les circonstances du délit
Bien qu'il y ait eu d'autres administrateurs dans la SIGM, il n'en
demeure pas moins que c'est le défendeur qui était l'âme dirigeante
de cette société de placements et qui exerçait le contrôle quotidien
et immédiat sur toutes ses activités. C'est lui qui décidait des
investissements de SIGM; ceux-ci sont toujours faits dans des sociétés
commerciales où il possède des intérêts financiers. L'exemple le plus
frappant est celui de l'investissement fait en troisième hypothèque
dans une société d'un centre commercial de Laval où le défendeur
possédait des intérêts appréciables.
b-) La préméditation
Il est apparu clairement lors du procès que le défendeur se servait
de son statut de notaire pour solliciter des gens et les induire à
investir. Par la suite, le défendeur réinvestissait les sommes ainsi
recueillies dans d'importants projets à risques élevés dans lesquels il
était intéressé, en prêtant sur des hypothèques de deuxième ou de
troisième rang.
La façon dont le défendeur faisait les placements démontre que celuici se souciait davantage de ses intérêts personnels que de ceux des
prêteurs qui ignoraient les risques réels de leur investissement. En
invitant les gens à investir, le défendeur se gardait de les renseigner
avec précision sur les risques élevés du marché dans lequel les
sommes allaient être investies. Cette façon d'agir allait directement
à l'encontre du but fondamental de la Loi sur les valeurs mobilières
qui exige que les investisseurs reçoivent de ceux qui leur offrent
d'effectuer
des
placements
les
renseignements
nécessaires
à
comprendre le risque qu'ils assument. Il y avait donc en l'espèce une
méthode d'opération qui dénonce la préméditation. Cette attitude du
défendeur constitue un facteur aggravant puisque l'acte délictuel a été
posé à la suite d'une réflexion sur l'effet recherché.
c-) L'effet sur les victimes
La preuve au procès a confirmé l'affirmation du poursuivant portant
sur l'importance des pertes financières subies par les victimes
simplement quant aux chefs sur lesquels le défendeur a été reconnu
coupable, soit une somme de 309,500$. Certains versements qui ont
constitué cette somme provenaient du prix de vente d'un commerce
sur lequel une des victimes comptait pour assurer sa pension.
d-) Les infractions similaires antérieures
Bien qu'il n'y ait pas eu d'avis de récidive donné par la poursuite,
il n'en demeure pas moins que le dossier contient la preuve que la
Commission des valeurs mobilières avait antérieurement interdit à la
compagnie Pretexx, dont le défendeur était l'un des administrateurs,
d'effectuer de nouvelles opérations sur valeurs mobilières. Dans le
cadre de cette affaire, le défendeur Malouin avait antérieurement
plaidé coupable sur onze chefs à des accusations similaires portées
par la Commission des Valeurs mobilières du Québec en rapport
avec l'administration de la compagnie Pretexx Finance dans le
dossier 500-27-003848-936. Il avait été condamné à des amendes
totalisant 15 000$. La preuve révèle qu'il y a eu des placements
effectués en mai 1990 par SIGM, par l'intermédiaire du défendeur, soit
après sa condamnation dans l'affaire Pretexx et après l'émission de
l'ordonnance de la Commission. Le défendeur ne pouvait donc plaider
ignorance. Il agissait en toute connaissance de cause en violation de la
loi. Il a continué à faire de même en 1991 alors que SIGM éprouvait de
sérieuses difficultés financières.
Les circonstances décrites sont des facteurs très aggravants contre
le défendeur. Elle dévoile un comportement inspiré par l'appât du
gain qui se traduit par un mépris envers la loi. Le facteur de l'épreuve
du procès et de la publicité entourant les procédures devient par
conséquent sans objet. En effet, le Tribunal estime qu'en raison
des graves conséquences qu'emportent les infractions de ce genre,
il devient nécessaire de démontrer qu'on ne doit pas tolérer un
comportement du genre reproché au défendeur et que l'aspect
d'exemplarité d'une peine sévère doit être mis de l'avant en l'espèce.
DISPOSlTIF
Pour ces motifs, le Tribunal condamne le défendeur à:
-- une amende de 1 000$ chacun sur les chefs 1, 2, 3, 4, 7, 9, 11;
-- une amende de 3 000$ chacun sur les chefs 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18,19, 20.
RAYMOND P BOYER, J.C.Q.