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Transcription

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— Propos recueillis et adaptés par Céline Tremblay —
— Interviews conducted and adapted by Céline Tremblay —
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ASSISTANT À LA PHOTOGRAPHIE / PHOTO ASSISTANT
Simon Montplaisir
meeting / penser
thinking / penser
LES PILIERS
DE LA TERRE
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LES HUMAINS SE SONT OFFERT BEAUCOUP, BEAUCOUP DE LUXE. AU NOM DU PROGRÈS,
NOUS AVONS ACHETÉ LE SILENCE, VENDU LES RESSOURCES, HYPOTHÉQUÉ LE FUTUR À LA VITESSE
GRAND V. AU MOMENT OÙ LA SCIENCE ÉCONOMIQUE SE FAIT RATTRAPER PAR LA COLÈRE
DE LA TERRE, LA QUESTION S’IMPOSE : QU’EST-CE QU’ON PEUT FAIRE AVANT QU’ON NE DONNE
PAS CHER DE CE QU’IL RESTE DE NOUS ?
— ONE FOR ALL AND ALL FOR EARTH —
HUMANS HAVE INDULGED THEMSELVES WITH LUXURY—CONSIDERABLE LUXURY. IN THE NAME
OF PROGRESS, WE HAVE BOUGHT SILENCE, SOLD RESOURCES AND MORTGAGED THE FUTURE
TO THE HILT. AT A TIME WHEN THE ECONOMY BEARS THE MARKS OF THE EARTH’S ANGER,
WE ASKED THE QUESTION: “HOW CAN WE STILL MAKE A DIFFERENCE, BEFORE WE
GIVE AWAY ALL THAT REMAINS OF US?”
— « La majorité de nos problèmes sociaux et environnementaux
réutiliser et recycler ; comme citoyens, nous pouvons inciter
sont imputables à une chose : la surconsommation. Bien que
nos gouvernements à adopter des politiques de conservation
nous vivions dans un monde aux ressources limitées, nous
et non de destruction de l’environnement. La Suisse et la
avons peu de scrupules à polluer l’air et l’eau pour fabriquer
Norvège, deux pays à l’économie florissante, sont des leaders
d’autres biens de consommation. En fait, nous sommes en
mondiaux en la matière, et nous aurions tout avantage à nous
train de ravager notre planète pour posséder des vêtements
en inspirer.
haute couture, de grosses maisons et des voitures toujours
En visant le renouvellement de nos ressources naturelles,
nous améliorerons notre économie et notre qualité de vie. Et,
plus rapides.
En travaillant de concert, nous pouvons faire du Canada
plus important encore, nous bâtirons une société que nous
un endroit plus propre, plus sain et plus durable sur le plan
serons fiers de léguer aux générations à venir. Je fonde beau-
environnemental. Individuellement, nous pouvons réduire,
coup d’espoir là-dessus. »_
{ DAVID SUZUKI }
PHOTOGRAPHE / PHOTOGRAPHER
Marc Montplaisir 2M2
environnementaliste nippo-canadien
— Most of the world’s social and environmental problems
can inspire our governments to adopt policies that conserve the
can be blamed on one thing: over-consumption. We live in
environment instead of destroying it. Places like Switzerland
a finite world with finite resources. Yet humanity takes from
and Norway have booming economies and lead the world in
the Earth and pollutes the water and air, just so we can have
environmental performance. We can follow their lead.
more goods. We are laying the world to waste in order to have
designer clothes, big houses and faster cars.
By caring for our natural resources and embracing sustainability, we will improve our economy and our quality of
By working together, we can make Canada a cleaner,
life. More importantly, we will create a society that we’ll be
healthier and environmentally sustainable place to live. As
proud to hand over to future generations. This is what gives
individuals, we can reduce, reuse and recycle. As citizens, we
me hope._
{ DAVID SUZUKI }
Japanese-Canadian environmentalist
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rendue très sensible aux abus qui se perpétuent sur des pays
à Atlanta sept Tibétains qui ont formé un institut bouddhiste
incompris comme le Tibet, et je suis particulièrement touchée
où sont enseignées les valeurs et la langue de notre nation.
par les souffrances qu’ils causent aux êtres humains au profit
Je trouve nourrissant de voir qu’il y a des gens qui se lèvent
de l’économie. Pour de l’argent, on a oublié nos bases, c’est-
et qui se donnent à 100 % pour nous dire de faire attention.
à-dire le respect, l’amour, le partage, et on les a remplacées
Personnellement, ma contribution passe par la présentation du
par la rapidité et l’efficacité.
documentaire et par ma disponibilité à répondre aux questions
Dans le passé, le Tibet était isolé et pratiquement inconnu.
pendant que le sujet est chaud. Je ne suis pas là pour dire quoi
Pendant que mon peuple était concentré sur la recherche
faire, mais pour présenter ce que je sais, il revient à chacun
intérieure, le reste du monde valorisait surtout le monde
de choisir son interprétation et son implication, de se poser
extérieur. Aujourd’hui, on est rendus au point où la planète a
les bonnes questions. Les réponses trouvées individuellement
atteint certaines limites. On a beaucoup abusé et, si on ne fait
seront alors plus fortes que si elles étaient dictées et pourront
pas attention, je pense qu’on va bientôt souffrir. À cet égard,
ensuite être mises en commun pour un avenir meilleur.
mon peuple a quelque chose à offrir. La lutte tibétaine se fait
Mais pour réussir, il faut être patient. Notre film a mis huit
maintenant entendre un peu plus qu’avant, et il faut savoir
ans à voir le jour. Il m’a par contre fait découvrir une énergie que
qu’elle ne repose pas que sur l’expression de leur souffrance,
je ne soupçonnais pas à l’intérieur de moi. Il m’a rendue fière
c’est beaucoup plus large que ça. D’ailleurs, le titre de notre
et m’a donné la satisfaction de me sentir utile. Notre religion
film, Ce qu’il reste de nous, ne fait pas uniquement référence à
bouddhiste nous apprend ceci : si tu n’arrives pas aider les
ce qu’il reste des Tibétains, mais bien de l’humanité. Si le Tibet
autres, essaie au moins de ne pas nuire. Si on fait ça, on ne
a besoin de l’humanité, l’humanité a aussi besoin du Tibet.
peut pas se tromper !!! »_
{ KALSANG DOLMA }
musicienne et documentariste tibétaine
— I was born in an Indian refugee camp to Tibetan parents. My
I have confidence in the future. There’s always hope when
search for our history and my roots has made me very sensitive
you don’t give up. Two days ago, in Atlanta, I met seven Tibetans
to the abuses that continue toward misunderstood countries
who had founded a Buddhist institute to teach our nation’s
such as Tibet. I’m particularly affected by the suffering caused
values and language. I’m inspired to see that there are people
to human beings to benefit the economy. For the sake of money,
who stand up and give 100% of themselves in order to let us
we’ve forgotten our basic principles—respect, love and shar-
know we need to be careful. My own contribution takes the form
ing—and replaced them by speed and efficiency.
of presenting the documentary and answering questions while
In the past, Tibet was isolated and almost unknown. While
the topic is hot. I’m not there to say what to do, but to present
my people were focusing on an inner quest, everyone else
what I know. It’s up to individuals to form their own interpreta-
valued the exterior world above all. Today, we’ve come to the
tion and role, and to ask themselves the right questions. Each
point where the planet has reached certain limits. We’ve been
person’s answer will be stronger than if it had been dictated.
very abusive and, if we’re not careful, I think that we’ll soon
The solutions can then be combined for a better future.
suffer for it. My people have something to offer. The Tibetans
But succeeding requires patience. It took eight years to
are making their cause known more than before. It’s not just
bring our film to screen. Along the way, I discovered an energy
about their suffering: it’s much wider than that. Moreover, the
I had no idea was in me. The film made me proud and gave me
title of our movie, What remains of us, refers to what remains
the satisfaction of feeling useful. Buddhism teaches us that
not only of the Tibetans but also of humanity. If Tibet needs
if you can’t help others, at least try not to hurt them. If we do
humanity, humanity also needs Tibet.
that, we can’t go wrong!_
{ KALSANG DOLMA }
Tibetan musician and documentary filmmaker
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thinking / penser
tant qu’on n’abandonne pas. Il y a deux jours, j’ai rencontré
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PEINTRE SCÉNIQUE / SET PAINTER
Anthony Carr Illustration Versatile
Je suis confiante en l’avenir, il y a toujours de l’espoir
tibétains. La recherche de notre histoire et de mes racines m’a
COIFFURE ET MAQUILLAGE / HAIR AND MAKEUP
Amélie Thomas
— « Je suis née dans un camp de réfugiés en Inde de parents
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changements. Je veux éventuellement prendre le temps d’aller
nous, dans nos maisons, dans nos cultures. La crise sociale
chercher des ressources artistiques pour les leur proposer.
que vivent les Inuits, une nation qui a été très forte et très fière
Quand je serai moi-même plus stable, j’aimerais retourner
parce qu’en constant défi avec la nature et qui est devenue
vivre là quelques mois par année et y amener des artistes que
sans repères, est la cause à laquelle je suis la plus sensible.
je connais, des acteurs, des metteurs en scène, des musiciens.
Ce peuple, mon peuple, doit complètement se redéfinir, et ce
Je voudrais qu’on en profite pour réapprendre la contribution
moment de crise m’affecte moi et les gens que j’aime, il nous a
volontaire, reconsidérer le geste de donner sans mettre un prix
fait perdre des proches, des cousins, des amis. Les autochtones
à tout. J’aimerais que ma communauté éloignée réapprenne à
vivent actuellement dans un constant déchirement entre leurs
se sentir en sécurité pour qu’elle arrête de penser seulement
traditions et la modernité. Ils avaient des ressources, on leur
à sa survie et qu’elle puisse envisager de faire des choses pour
a dit qu’elles n’étaient plus utiles en société. Ils ont essayé de
aller plus loin. Je crois un peu naïvement que je peux faire ça,
les remplacer par la religion, l’éducation, avec le succès que
que ça va arriver. Notre peuple est prêt pour ça, mais il faut le
l’on connaît. Aujourd’hui, ils ont trop goûté à la modernité pour
consulter et arrêter de le bousculer. Il y a là-bas d’autres petites
revenir en arrière et ils n’ont pas les ressources nécessaires
filles qui rêvent comme moi j’ai rêvé, et on ne les entend pas. Et
pour accéder à ce qu’on leur a laissé miroiter.
plus je suis éduquée, plus je vois le monde, plus je prends de
Du haut de mes 28 ans, face à cette situation, je crois
la distance avec mon propre chez-moi et plus j’ai des idées…
qu’une des solutions à ce problème réside dans le soin que
Il y a si peu de choses qui ont été faites que ça me laisse croire
l’on prend à éduquer les jeunes, à les aider à devenir des lea-
que tout est devant nous. »_
ders, des parents, à les aider à croire en un bel avenir. Par la
{ ELISAPIE ISAAC }
auteure-interprète et cinéaste inuite
I’m most preoccupied by the issues that affect those around
helping them believe in a better future. Through my music,
me. I’m not insensitive to the destruction of the planet, but I
perhaps I’m doing my part by giving young people an idol and
feel there’s a lot of work to do right here, in our homes and
giving parents hope, but I dream of making a greater impact.
our cultures. The cause that most engages me is the social
I eventually want to take the time to bring them resources
crisis faced by the Inuit. They formed a very strong, proud
from the arts milieu. Once my life is more stable, I’d like to
nation because they confronted nature every day. Now they’ve
return home for a few months every year and bring along the
lost their bearings. This people, my people, must completely
actors, directors and musicians that I know. I’d like the occa-
redefine itself. This crisis affects me and the people I love. To
sion to serve as an opportunity to revive volunteerism and the
it, we’ve lost our loved ones, cousins and friends. Aboriginals
notion of giving without putting a price on everything. I’d like
currently live in a constant state of conflict between their tradi-
my remote community to once again find security, so that it
tions and the modern lifestyle. They had resources and were
can stop thinking only of survival and start envisioning ways
told these resources were no longer useful in society. They
to go beyond. I believe, a bit naively, that I can do this, that
tried to replace them by religion and education, and we’ve
it will happen. Our people is ready for it, but they need to be
seen how successful that’s been. Now they’ve become too
consulted, and no longer pushed around. There are other little
accustomed to modern ways to return to what they knew, and
girls up there who dream as I did, and we don’t hear them. The
they don’t have the resources they need to attain what’s been
more educated I am and the more I see the world, the more
presented to them in glowing terms.
I can view my home objectively and the more ideas I have. So
When I look at this situation now, at the ripe old age of 28,
I believe that one of the solutions to the problem lies in edu-
few things have been accomplished that I believe everything
can still be done._
cating youth and helping them become leaders and parents;
{ ELISAPIE ISAAC }
thinking / penser
et aux parents un espoir, mais je rêve de faire de plus grands
planète, je trouve qu’il y a beaucoup de travail à faire chez
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TRAITEMENT D’IMAGES / IMAGE PROCESSING
Nathalie Chapdelaine
musique, je contribue peut-être à donner aux jeunes une idole
RECHERCHISTE ET STYLISTE / STYLIST
Anne-Marie Langevin
meeting / penser
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— « Les sujets qui me préoccupent le plus sont ceux qui me
touchent de près. Sans être insensible à la destruction de la
Inuit singer-songwriter and filmmaker
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Je suis un peu fâchée, je suis déçue et j’ai perdu confiance
personne responsable, quand on le peut, il faut faire la preuve
dans la politique canadienne. Je crois que nous sommes allés
that we care. Et on peut toujours donner, ne serait-ce que du
trop à gauche dans le socialisme, nous avons cessé d’encoura-
temps. Hier, j’ai participé à la marche contre le cancer. Dans
ger les gens à bâtir et nous pénalisons l’ambition. La réussite
deux semaines, j’accueillerai les résidents d’une maison pour
dans la société québécoise, le succès, est devenu suspect. C’est
personnes âgées : ça leur donne de quoi parler pendant un
très négatif. Nous avons 10 fois les preuves qu’un système aussi
an ! En 1959, lorsque j’ai acheté un terrain, je l’ai fait pour le
socialiste ne fonctionne pas. Si tout l’argent encaissé par le
sauver du développement, pour protéger la nature et la laisser
gouvernement pour la santé était injecté dans l’assurance pri-
aux animaux. J’y ai planté plus de 10 000 arbres ! En 1988, j’ai
vée, nous aurions une assurance en or. Pourquoi ? Parce qu’il y
été la première femme à se joindre au Club des rotariens de
a actuellement 20 bureaucrates pour un docteur et quand il
Westmount. Je ne le fais pas pour éblouir les gens, je le fais
y a une question, il faut faire une commission et après il faut
naturellement comme on chante. On ne demande pas à quel-
une commission pour étudier la commission. Un sixième de
qu’un pourquoi il chante, n’est-ce pas ? Vous remarquerez que
la population est un employé de l’État. Le Québec compte le
les immigrants en général savent aider, peut-être parce qu’ils
quart de la population de la Californie et comporte quatre fois
ont souvent eux-mêmes connu une certaine souffrance.
plus de bureaucrates.
C’est un devoir de citoyen de donner, pourtant notre
Je n’ai jamais eu recours aux subventions que notre gou-
société semble de plus en plus axée sur l’acte de recevoir, et je
vernement octroie souvent à tort aux grandes corporations, et
crois que la faute revient à la politique qui a créé une classe qui
ça ne m’a pas empêchée de faire mon chemin, bien au con-
n’existait pas quand je suis arrivée au Canada. À cette époque,
traire. En définitive, je considère que chaque individu devrait
les trottoirs n’étaient pas jonchés de clochards… You don’t give
avoir plus de force, plus de fierté et arrêter de compter sur le
a fish to a poor man, you give him the tool to go fishing. Les
gouvernement… »_
thinking / penser
meeting / penser
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— « Ma position est la suivante : je pense que si on est une
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gens ont perdu la fierté et avec elle s’est envolé le respect.
{ HENRIETTA ANTONY }
antiquaire d’origine tchèque
— This is my opinion: I think that if we’re responsible, then
I’m a bit angry, I’m disappointed and I’ve lost confidence
when we’re able, we need to show that we care. And we can
in Canadian politics. I think we’ve gone too far to the left in
always give, even if it’s only time. Yesterday, I took part in the
socialism. We’ve stopped encouraging people to build and
walk against cancer. In two weeks, I’ll welcome the residents
we’re penalizing ambition. In Quebec, success is now viewed
from a seniors’ home. It gives them something to talk about for
with suspicion. It’s very negative. We have the proof ten times
a whole year! In 1959, when I bought land, it was to save it from
over that such a socialist system does not work. If all the
development; to protect nature and leave it for the animals. I
money collected by the government for health was injected
planted more than 10 000 trees on the property! In 1988, I was
into private insurance, we’d have rock-solid insurance. Why?
the first woman to join the Westmount Rotary Club. I didn’t
Because right now, there are 20 bureaucrats for one doctor
do it to impress people: it came as naturally as singing. You
and, when a question comes up, there must be a commission,
don’t ask someone why she sings, do you? You’ll notice that,
and then a commission to study the commission. One-sixth
in general, immigrants know how to help, perhaps because
of the population works for the State. Quebec’s population is
they themselves have often suffered in some way.
one-quarter the size of California’s and has four times more
It’s a citizen’s duty to give. Yet our society seems to be
bureaucrats.
increasingly focused on the act of receiving. I think politics
I’ve never needed the subsidies that our government
are to blame, for creating a class that didn’t exist when I first
awards, often mistakenly, to major corporations, and it didn’t
arrived in Canada. Back then, the sidewalks weren’t full of
stop me from accomplishing something. Just the opposite.
panhandlers. “You don’t give a fish to a poor man, you give
When all is said and done, I believe that each individual should
him the tool to go fishing.” People have lost their pride and
have more strength and pride, and stop counting on the gov-
with it has gone respect.
ernment._
{ HENRIETTA ANTONY }
antique dealer of Czech origin
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Tout ça en vue de cette belle utopie qu’est la société des
l’histoire que les scientifiques s’accordent sur le fait qu’on
loisirs. Aujourd’hui, on voit les conséquences de nos gestes
assiste à des phénomènes cycliques dans la périodicité des
qui n’épargnent rien ni personne et on ne veut pas y penser.
phases de hausses et de baisses de températures. La grande
Les catastrophes sont devenues des émissions de télé devant
différence entre le passé et l’époque dans laquelle on vit, c’est
lesquelles notre société infantilisée par la prise en charge d’un
la considérable précipitation de ces phases.
État de plus en plus impuissant ne cherche qu’à se dérespon-
Dans le fond, le gros problème remonte à l’ère indus-
sabiliser. Personnellement, c’est un problème que je trouve
trielle — dont le principe était de faire plus, plus vite et à moindre
important, mais très égoïstement, c’est pour moi que je veux
coût — qui a eu l’effet pernicieux de modifier notre relation avec
trouver du temps. Et pour ça, il faut de l’argent et pour avoir
le temps pour céder la place à la performance, à la productivité.
de l’argent, il a fallu que je me prive de temps… Pour sortir du
Avant, on mangeait avec les saisons, maintenant on veut des
cercle, il faudrait se déconnecter complètement de la société de
framboises en février ; avant, on pêchait à la ligne, maintenant
consommation, avoir un esprit de simplicité volontaire difficile
les gros chaluts ramassent tout et en jettent la moitié.
à atteindre en société.
La notion d’intervention humaine ne date pas d’aujourd’hui,
On a peut-être le pouvoir de changer encore les choses,
mais avant, la nature avait le temps de se cicatriser. Avec les
mais je ne suis pas certain que, de toutes parts, une réelle
performances technologiques découvertes au cours du dernier
volonté existe. Par contre, si le réchauffement de la planète
siècle, c’est plus inquiétant… Lorsque Staline, par exemple, a
continue de sévir chez notre voisin américain par la multiplica-
décidé de faire pousser du coton en Géorgie, il a fait creuser
tion des ouragans ou autres manifestations climatiques portant
des canaux pour irriguer les champs. En 20 ans, la mer d’Aral
à conséquence, la souffrance du pays le plus puissant pourrait
s’est asséchée. C’est encore lié à la performance, on veut que
peut-être être génératrice d’une volonté de changement. Il
ça pousse et vite, alors on arrose. Les bateaux sont maintenant
faudrait que l’instinct de survie soit touché de plus près. Ici, on
ancrés dans le désert. Les conséquences sur les conditions
ne peut pas dire qu’on a connu la misère, et je n’ai jamais vu
atmosphériques sont immenses. Mais, ah !... ça nous prenait
de révolution se bâtir devant une assiette pleine… »_
creating / créer
thinking / penser
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— « La planète ne va pas bien, on le sait. Par contre, tant
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du coton, et tout de suite !
{ TONY ATTANASIO }
publicitaire d’origine italienne
— The planet is in bad shape, we know it. But both history and
All this leads to the wonderful utopia known as the leisure
science agree that we’re witnessing a cyclical phenomenon in
society. Today, we can see that the consequences of our actions
the frequency of low- and high-temperature phases. The big
spare no-one and nothing, and we don’t want to think about
difference between the past and now is that these phases are
them. Catastrophes have become TV programs, and our society
much shorter in length.
wants to be rid of responsibility for them, having been infan-
Basically, the main problem goes back to the Industrial
tilized by the fact that an increasingly impotent State has taken
Revolution—with its principle of doing more, faster, for less
charge. Personally, I find the problem important, but with great
money—which had the detrimental effect of changing how we
egotism, I want to find more time for myself. And for that, I
view time, and favouring high performance and productivity.
need money and to get money, I have to deprive myself of spare
Before, we ate with the seasons; now we want raspberries in
time. To get out of the circle, we need to become completely
February. Before, we fished with a rod and reel; now, enormous
disconnected from our consumer society, and think in terms
trawlers drag up everything and throw half of it back.
of voluntary simplicity, which is difficult in our society.
Humans have intervened before, but nature had a chance
We may still have the power to change things, but I’m not
to heal its wounds. With the technological discoveries of the
sure that such a will truly exists on all sides. However, if global
past century, there’s more reason to worry. When Stalin
warming continues to plague our American neighbours through
decided to grow cotton in Georgia, he had canals dug to irrigate
multiple hurricanes and other climatic events with repercus-
the fields. After 20 years, the Aral Sea dried up. It’s all about
sions, the suffering of the most powerful country could spark
performance again. We want things to grow, and faster, too,
the will for change. The survival instinct needs to be appealed
so we irrigate. Now the boats are anchored in a desert. The
to. We can’t say that we’ve known misery here at home, and
consequences on atmospheric conditions are tremendous.
I’ve never seen a revolution start in a full plate of food._
But we needed cotton—right away!
{ TONY ATTANASIO }
ad executive of Italian origin
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façon de savoir où on se situe dans le cercle. La danse et le
munauté, pour la Terre, il faudrait qu’on commence par agir sur
qi gong sont des outils auxquels j’ai recours pour m’aider à
nous-mêmes, qu’on se décide à se tourner vers l’intérieur pour
y parvenir, car le mouvement est générateur d’énergie. Pour
retrouver une forme de spiritualité. Si on ne sait pas ce qui se
moi, créer des pièces de danse et des documentaires engagés,
passe en soi, comment peut-on être pleinement conscient de
c’est l’union entre ma voie et ma voix. Le travail que je fais pour
ce qui tourne autour de nous ? D’après moi, seule la croissance
mon intérieur s’extériorise naturellement par le biais de ces
personnelle permet l’enclenchement d’une évolution globale,
créations. Il me semble que les gens sont plus attentifs à cela
et collectivité et individualité sont intimement liées puisqu’en
qu’avant, qu’un éveil se fait sentir, mais c’est encore superficiel
faisant notre propre cheminement, nous participons inévita-
même si de plus en plus de gens se tournent vers l’Est pour
blement à celui des autres… Pourtant, on vit actuellement une
ses philosophies, ses médecines alternatives, etc.
époque de grand isolement, de déconnection avec tout. On ne
Notre monde a été bâti avec de grands écarts entre les
sait plus ce que l’on mange, d’où ça vient… Si on réintégrait
personnes de différentes provenances, et je suis triste de voir
notre âme pour retrouver nos valeurs de base, si on reprenait
que ce sont encore les minorités et les plus pauvres qui doivent
conscience, on arrêterait de jeter, de gaspiller. On serait empli
souffrir pour soutenir la planète. La Terre a du mal à supporter
de compassion et on arrêterait de faire aux autres ce qu’on ne
les déséquilibres que nous avons engendrés dans la nature qui
veut pas se faire faire. On réapprendrait à partager et à utiliser
trahissent nos propres dérèglements humains. J’ai confiance
les biens de la Terre en prévision des sept générations à venir,
dans le futur, mais je ne crois pas que ça va se passer comme
comme nous l’ont enseigné les Premières Nations.
on l’imagine. Ma confiance vient du fait que ce qui doit arriver
La vraie spiritualité consiste à trouver sa voie autant que
va arriver, je ne veux pas avoir peur. C’est peut-être idéaliste
sa voix et de les réunir dans la même direction, même si ça
et presque trop simple, mais je crois encore en ce qui est la
veut souvent dire nager à contre-courant. C’est là la seule
base de tout : l’amour. »_
thinking / penser
meeting / penser
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— « Si on voulait faire quelque chose de bien pour notre com-
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{ MEENA MURUGESAN }
documentariste et danseuse d’origine indienne
— If we want to do something good for our community and
way to know where you are in the circle. Dance and qigong are
for Earth, we need to begin with ourselves. We need to decide
tools I use to reach that point, since moving generates energy.
to look toward our inner selves to find a form of spirituality
I find that in creating choreographies and politically committed
again. If we do not know what’s happening inside ourselves,
documentary films, I can align my path and my voice. The work
how can we be fully aware of what’s going on around us? In my
I do on my inner self comes out naturally in these creations. It
opinion, only personal growth can trigger a global evolution.
seems that people are more attentive to all this than before,
The community and the individual are closely linked: through
that an awakening is taking place, but it’s still superficial, even
our own progress, we inevitably play a part in others’ progress.
though more people are looking to the East for philosophies,
And yet, we’re currently living in a time of great isolation and
alternative medicine, and so on.
disconnect with everything. We no longer know what we’re
Our world has been constructed with great gaps between
eating and where it comes from. If we recaptured our souls
people of different origins. It saddens me to see that it’s still
and returned to our core values, if we regained awareness, we
the minorities and the poorest that have to suffer to support
would stop throwing away and wasting things. We would be
the planet. Earth is not dealing well with the imbalances we’ve
filled with compassion and we’d stop doing to others what we
created in nature, which betray our own imbalances. I have
don’t want done to us. We’d learn to share again, and to use
confidence in the future, but I don’t believe that it will play out
Earth’s goods with consideration for the next seven genera-
as we imagine it. My confidence comes from the idea that what
tions, as the First Nations have taught us.
has to happen will happen. I don’t want to be afraid. Perhaps
True spirituality consists of finding one’s way as much as
one’s voice and aligning them in the same direction, even if
I’m an idealist—it’s almost too simple—but I still believe in the
one thing that forms the basis for everything else: love._
that often means swimming against the stream. It’s the only
{ MEENA MURUGESAN }
documentary filmmaker and dancer of Indian origin
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en Afrique où je suis né. J’ai dit OK, j’y vais. Une frontière de
plus. Peut-être que ce que je ferai là aura une influence encore
Au Cameroun, à l’époque du dictateur Amadou Aidjo qui
inspirante pour les concitoyens français. Et ça n’a pas loupé,
s’appuyait sur la terreur intellectuelle, la justice humaine a
quoique, à ce jour, il n’y a toujours pas un seul député africain
été mon premier combat. J’avais environ 13 ans lorsque j’ai
à l’Assemblée nationale française…
commencé à m’impliquer politiquement, et mon premier projet
J’ai mis cinq ans à saisir la problématique québécoise.
professionnel était de devenir curé, dans le but de changer le
Lorsque j’ai compris, je me suis investi. C’est dans ce cadre-là
monde. Mais, à 16 ans, lorsque je me suis retrouvé en Europe
que je rêve de pouvoir réaliser mon projet existentiel, cadre
pour poursuivre mes études universitaires, j’avais déjà saisi
dans lequel tous mes rêves peuvent voir le jour. Je crois plus
la difficulté qu’avaient les curés de poser des gestes concrets
que jamais en ce projet de pays où nous avons l’ambition d’inté-
lorsqu’ils faisaient face aux injustices. Je me disais alors que
grer la diversité afin que tous les « métèques » deviennent des
lorsque venait le moment de prendre position, il fallait qu’ils
« citoyens à part entière » plutôt que des « citoyens entièrement
en réfèrent à l’évêque, à l’archevêque, et ça devait remonter
à part ». Pour l’instant, la place réservée aux minorités pourrait
jusqu’au Vatican avant de redescendre et, entre-temps, le mal
être illustrée par un strapontin dans une salle de cinéma. Il
était fait. Considérant les limites que cela imposait, a priori, je
faudrait qu’ils aient un siège, tout comme les autres, et l’op-
ne voyais pas mon avenir en Afrique. Mon accès à la culture,
portunité d’avoir ce siège sera l’occasion de vivre dans un
et donc à la poésie, au théâtre et à la musique par l’entremise
contexte que nous contrôlerons nous-mêmes, dans lequel
de mes éducateurs, m’a donné l’idée de partir et de devenir un
nous allons projeter nos visions, notre sensibilité, nos talents,
artiste qui, partout où il irait, professerait comme un mission-
et affirmer encore plus profondément notre différence quant
naire sans soutane. Pour mon père, il n’était pas question que
à l’environnement, à la diversité culturelle et au fait français
je m’investisse dans ce domaine — qui en est un sans référence
en Amérique du Nord.
au Cameroun — juste bon pour les oisifs et les ratés, croyait-il.
J’ai choisi d’aller en politique parce qu’il y a un combat
Il a donc fallu que j’étudie le droit et les sciences politiques
auquel je contribue à ma manière ; et à partir du moment où
avant de penser au cinéma et à l’art dramatique.
ce combat aura abouti dans sa résolution, c’est-à-dire dans la
Sortant de là, les premiers textes que j’ai montés au
souveraineté du Québec, j’aurai le sentiment d’avoir contribué
théâtre étaient engagés, pour inspirer l’humain à grandir psy-
à accomplir quelque chose. Je ne me considère pas comme un
chiquement et à s’ouvrir à l’autre dans un contexte où j’étais
politicien, je n’en serai jamais un parce que je n’ai pas d’ambi-
minoritaire. Il faut savoir qu’à l’époque, en France, la vie était
tion de carrière en politique, ce n’est pas une finalité pour moi.
plus difficile pour une entité au teint basané comme moi. Et il
Mon passage à la politique a été motivé par une rencontre qui
n’y avait pas que les Noirs qui vivaient des problèmes… Il fallait
a eu lieu en 2002, après un débat auquel j’assistais, organisé
faire quelque chose. C’est par le biais du théâtre et de l’humour
par le Bloc québécois et portant sur la place des minorités.
que j’ai commencé à poser mes premiers actes citoyens. Non
Après avoir entendu mes interventions, un jeune péquiste m’a
pas pour éduquer, ce serait présomptueux, mais bien pour
approché pour me présenter un dossier sur les quartiers Saint-
inspirer. Ayant fait le choix des arts engagés, je refusais les
Michel et Villeray. Il avait des statistiques : 60 % de population
propositions n’ayant aucune autre finalité que l’argent. Je pré-
immigrante, 40 % de population indigène. De ces deux popu-
férais renforcer cette conscience-là en moi, car les sources de
lations, plus de 55 % vivaient sous le seuil de la pauvreté. J’ai
corruption sont multiples et quand on a la possibilité de s’en
dit : « C’est à Montréal, ça ? » J’avais besoin d’aller voir. J’ai
éloigner, il faut le faire.
pleuré parfois devant la misère des gens, blancs ou noirs, j’y
C’est par un concours de circonstances que j’ai rencontré
ai croisé des grands-mères qui avaient 30 ans. Des enfants
Dany Laferrière. À l’époque, je vivais à Paris, et Jean-Marie
qui avaient des problèmes de malnutrition, de croissance et de
Le Pen connaissait un regain de popularité avec la montée
développement au niveau cérébral. Les gens dans leur pudeur
du Front national. Dany et moi avons longuement échangé
se fermaient sur eux-mêmes jusqu’à ce qu’ils sachent d’où je
sur ce sujet décourageant. Il m’a alors invité à découvrir une
venais. Ça m’a nourri pendant les six mois que j’ai marché en
autre réalité, celle du Québec, de concert avec le projet qu’il
cognant aux portes en leur disant : « Je suis un kamikaze, pas
me proposait : l’adaptation de son livre Comment faire l’amour
un candidat, je sais que je perdrai, mais j’ai envie de parler
avec un nègre sans se fatiguer. Je suis venu, j’ai vu et j’ai aimé
pour vous. » Il fallait faire campagne contre le député sortant
le facteur humain, humble, chaleureux, accueillant, comme
qui était là depuis près d’un quart de siècle, et je savais que ce
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creating / créer
thinking / penser
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— « Ma conscience sociale a été conditionnée par mon éducation jésuite française et elle fut aiguisée très précocement.
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PLAISIRSDEVIVRE
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thinking / penser
serait difficile. J’ai perdu, mais par ma présence je l’avais forcé
culturel. C’est un terrain sur lequel on se reconnaît tous. À
à faire campagne pour la première fois. Lors d’un débat public
partir du moment où l’on se différencie par sa race ou par ses
auquel je l’avais convié, de l’entendre répondre aux questions
origines, son genre ou sa religion, on s’enferme dans des silos
était déjà une victoire en soi. La prochaine bataille fut celle de
que Pierre Elliott Trudeau a dressés avec le multiculturalisme ;
la circonscription de Saint-Lambert que j’ai ensuite gagnée
et on ne construit pas ces ponts essentiels entre les différen-
bien qu’elle ne comporte que 3 % de Noirs sur une population
ces. C’est ce à quoi je tente de contribuer aujourd’hui. Ai-je été
de plus de 90 000 habitants.
béni ou maudit, l’histoire le dira, mais je crois fermement qu’à
En gros, mon combat se résume à la citoyenneté. Je
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m’attaque aux inégalités sur les plans social, économique et
ma mort mes enfants me diront : « Merci papa d’avoir pensé à
l’Ensemble, pas seulement à toi. »_
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député souverainiste, auteur, acteur et metteur en scène d’origine camerounaise
— A French Jesuit education conditioned my social conscience,
I happened to meet Dany Laferrière by chance. At the
and it was roused early. In Cameroon, during the dictatorship
time, I was living in Paris, and the popularity of Jean-Marie Le
of Amadou Aidjo and his intellectual terror, my first battle was
Pen and the Front national was on the rise. Dany and I talked
for human justice. I was around 13 years old when I started to
a great deal about this discouraging subject. He suggested I
be politically involved, and my first career plan was to become
discover another reality, the Quebec reality, and offered me
a priest, in order to change the world. But by the age of 16,
a project: a role in the screen adaptation of his book How to
while continuing my university studies in Europe, I had grasped
make love to a Negro. I came, I saw, and I liked the human
the priests’ difficulty in taking concrete steps when faced with
factor: the humbleness, the welcome, the warmth like in Africa,
injustice. When it was time to take a stance, they had to refer
where I was born. I said, “OK, I’ll go. One more border. Maybe
to the bishop, and then to the archbishop, and all the way up
what I do there will have more impact on my fellow citizens in
to the Vatican and down again. In the meantime, the damage
France.” And it’s worked, although to this day, there’s still no
was done. Given the limits involved a priori, it became apparent
African sitting in France’s National Assembly.
that my future did not lie in Africa. Through my teachers, I had
It took me five years to understand the problem here in
access to culture and thus poetry, theatre and music. This gave
Quebec. Once I figured it out, I started working on it. I dream
me the idea of going away and becoming an artist who could
of realizing my life project within this framework, in which all
lecture like a missionary without a cassock wherever he went.
my dreams can become reality. I believe more than ever in this
For my father, there was no question of me going into this
project of creating a state where we incorporate diversity so
field—there’s nothing comparable in Cameroon—good only for
that all the immigrants become full-fledged citizens in their
losers and layabouts, in his opinion. So I had to study law and
own right instead of citizens on the outside. Right now, the
political science before trying cinema and theatre arts.
place reserved for minorities can be likened to a folding seat
The first texts that I staged for the theatre were political,
in a movie theatre. They need a proper seat like everyone else,
intended to inspire human beings to grow psychologically and
and the opportunity to have this seat would be the opportunity
to open up to others, in a setting where I was a minority. At
to live in a context that we control ourselves, in which we pro-
the time in France, life was more difficult [than today] for a
ject our visions, our sensibilities and our talent, and affirm even
dark-skinned individual like me. And it wasn’t just blacks who
more deeply our difference with regard to the environment,
were having problems. Something had to be done. My first
cultural diversity and the French fact in North America.
citizen actions took place through drama and humour. I wasn’t
I decided to enter politics because it involves a fight to
trying to educate—that would have been presumptuous—but to
which I can contribute in my own way. As soon as the battle
inspire. Having chosen political engagement through the arts,
is resolved, in other words when Quebec is sovereign, I’ll feel
I turned down any offers that led only to money. I preferred
I’ve contributed to accomplishing something. I don’t consider
to strengthen my conscience: there are countless sources of
myself a politician. I’ll never be one, because I have no ambition
corruption, and when you have the chance to keep away from
for a political career. It’s not my goal. My switchover to politics
them, you must do so.
was motivated by an encounter that took place in 2002, after a
debate on the role of minorities, organized by the Bloc Québé-
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FLORE
thinking / penser
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cois. After hearing my input, a young péquiste came up to me to
hearing him answer questions at a public debate to which I’d
give me a file on the Saint-Michel and Villeray neighbourhoods.
challenged him was a victory in itself. The next battle was the
He had statistics: 60% of the population were immigrants, 40%
Saint-Lambert riding, which I subsequently won, even though
were born here. More than 55% of both populations were living
blacks make up only 3% of the more than 90 000 inhabitants.
below the poverty level. I said: “In Montreal? I need to go see
In short, my fight can be summed up as citizenship. I
for myself.” The misery of the people, black and white, brought
fight inequalities on the social, economic and cultural levels.
me to tears at times. I met grandmothers who were only 30.
It’s terrain that’s familiar to everyone. From the moment we
Children who had malnutrition, and growth and brain develop-
distinguish people based on race, origin, gender or religion,
ment problems. In their modesty, they remained reticent until
we shut ourselves up in the silos that Pierre Trudeau built
they found out where I came from. The experience fuelled me
with multiculturalism. And we don’t construct the essential
during the six months I walked around knocking on doors,
bridges between our differences. This is what I’m trying to
telling people: “I’m not a candidate, I’m a kamikaze. I know I’m
help do today. Only time will tell if I’m blessed or damned,
going to lose but I want to be your voice.” The campaign was
but I firmly believe that, at my deathbed, my children will tell
waged against the outgoing MP, who had been there nearly a
me, “Thank you, Papa, for having thought of everyone, and
quarter of a century, and I knew it would be tough. I lost, but
not just yourself.”_
my presence forced him to campaign for the first time. Just
{ MAKA KOTTO }
sovereignist member of parliament, writer, actor, and stage director of Cameroonian origin
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TRIEDE
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