Ouest-France, 10 novembre 2015

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Ouest-France, 10 novembre 2015
les Organisateurs de salons littéraires inquiets
A partir du 1er janvier, les festivals subventionnés par le Centre National du Livre devront
rémunérer les auteurs qui participent à des débats. En quoi cette réforme risque-t-elle de
modifier la donne, en particulier pour ceux dont l’entrée est gratuite comme le Printemps du
Livre de Montaigu ?
En quoi consiste cette réforme ?
Le Centre National du Livre (CNL) subventionne 97 salons littéraires en France. Cette aide
financière est comprise entre 3000 et 80 000 €, selon l'importance de la manifestation. Dans les Pays
de la Loire, ils sont au moins cinq à profiter de cette marne : les Utopiales (Nantes), Impressions
d'Europe (Nantes), Écrivains en bord de mer (la Baule), Lecture en tête (Laval), la 25e heure (le
Mans), tous ne pratiquant pas l’entrée gratuite.
À partir du 1er janvier prochain, ces salons soutenus par je CNL devront rétribuer les auteurs,
français ou étrangers, qui participent à des débats. La grille est désormais connue : 150 € (HT) pour
une rencontre centrée sur le dernier ouvrage de l'auteur, 226 € pour un débat "nécessitant un travail
préparatoire" et 450 € pour une "lecture performance", tarif proposé par la Charte des auteurs et des
illustrateurs jeunesse. Pour le CNL, cette réforme "n'est que justice. On rémunère toujours un
musicien ou un comédien. Pourquoi un auteur serait-il seul artiste à ne pas être payé ?"
Que reprochent les organisateurs des salons à cette directive ?
On pouvait s'y attendre : ça gronde chez beaucoup d'organisateurs de festival.La plupart d’entre eux
n’ont même pas été contactés pour exprimer leur avis. Principal reproche : le surcoût occasionné par
cette nouvelle directive. "Les salons littéraires doivent déjà faire face à des baisses de subventions
publiques souvent drastiques, explique un journaliste à Livre Hebdo. Beaucoup n'auront pas les
moyens d'ajouter une ligne budgétaire aussi conséquente. Du coup, les auteurs risquent de ne plus se
déplacer que dans les festivals où ils seront rémunérés systématiquement et le mieux possible. Le CNL
va créer involontairement un système où il ne soutiendra pas ceux qui en ont le plus besoin, mais…
ceux qui en ont les moyens."
Rencontrant eux aussi des difficultés pour boucler leur budget, les organisateurs du Printemps du
livre de Montaigu, en Vendée (250 auteurs invités et 40 000 visiteurs) comptaient, pour la première
fois cette année, solliciter une aide du CNL.
"Nous avons définitivement abandonné cette idée : rémunérer la centaine d'auteurs qui participent
à des débats pendant le Printemps nous coûterait entre 15 000 et 20 000 €... Soit 10 % de notre
budget total !" Inimaginable, explique Antoine Chéreau, président de la Communauté de communes
Terres de Montaigu qui organise la manifestation.
Qu'en pensent les auteurs ?
Sur le fond. Beaucoup d'écrivains sont en accord avec l’initiative du CNL. "La plupart d'entre eux
sont invités, logés nourris, précise-t-on au Syndicat national des auteurs et des compositeurs. Il
n'empêche : les droits d’auteur s’élèvent à 1 € par livre. Du coup, pour certains, 150 €, cest une
somme !"
L'unanimité n'est toutefois pas de mise. À Montaigu, "il existe un pacte tacite assez élégant entre
les organisateurs et les auteurs, affirme Antoine Chéreau. Au Printemps du Livre, je n'ai jamais vu un
écrivain venir me demander de l’argent. Beaucoup se méfient de cette vision de l'artiste
subventionné."
Le festival baulois déjà dans les clous
La décision du CNL ne changera pas grand-chose au festival Écrivains en bord de mer.
Subventionné 15 000 € par le CNL, il se déroule depuis 19 ans chaque mois de juillet à la Baule.
Bernard Martin, cofondateur avec son épouse Brigitte, ne compte pas s'arracher les cheveux pour
boucler son prochain budget : "Depuis le début, nous rémunérons tous les écrivains en moyenne 200 €
chacun", en plus de la prise en charge totale des coûts de transport, d'hébergement et de restauration.
Bernard Martin estime que "le CNL fait un coup politique et un coup de corn' car la majorité des
festivals soutenus par le CNL répond déjà à cette exigence".
A Laval des auteurs rémunérés…
Céline Bénabès, directrice de Lecture en tête, festival du 1er roman : "Lecture en tête a toujours
rémunéré les auteurs, comme 70 des 90 manifestations littéraires organisées en France. Nous payons
les écrivains en droits d'auteur pour leur intervention, sous forme de café littéraire. Tous leurs frais
sont par ailleurs payés. La réforme touchera nécessairement les petites associations. Nous-mêmes
avons déjà du mal à recevoir un financement régulier du CNL".
Le salon du Mans sera-t-il obligé de réduire la voilure ?
Des salles pleines, 160 auteurs... La 38 e édition de la 25e heure du livre au Mans a enregistré mioctobre 28 000 visiteurs. Thierry Hubert, le président de l'association organisatrice, dressait alors un
bilan largement positif, pointant le succès des rencontres-débats. La réforme annoncée inquiète.
"Le salon pourrait se maintenir mais en réduisant la voilure, réagit Thierry Hubert.
Financièrement, on ne serait pas en capacité de rétribuer tous les auteurs. Il faudrait diviser au moins
par deux les invitations. Ou alors, que le ministère soit logique et subventionne davantage les salons".
La 25e Heure n'a rien touché cette année du CNL. Il faut remonter à deux ans pour trouver trace d'une
subvention de 3000 €. sur un budget supérieur à 30 000 €. Ici, tous les frais sont pris en charge.
"Je n'ai rien contre rétribuer les auteurs", poursuit Thierry Hubert. Mais comment ? L'entrée est à
4 €, gratuite pour les moins de 18 ans. Jouer là-dessus ? Pas franchement une solution : "Il faudrait
énormément augmenter le prix. Ce qui réduirait la fréquentation et fermerait du même coup la porte à
un public familial".
(d’après Joël Bigorgne avec Renaud Garnier. Michel Oriot et Nicolas Yquel,
Ouest-France, 10 novembre 2015)