Laudato si - Saint Nom de Jésus

Transcription

Laudato si - Saint Nom de Jésus
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L’encyclique Laudato si’ du pape François
Sur la sauvegarde de la maison commune
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Présentation par le frère Michel Demaison
le dimanche 4 octobre 2015 à la paroisse du Saint-Nom-de-Jésus (Lyon)
Le titre de l’encyclique reprend textuellement des mots du Cantique des Créatures de saint
François d’Assise, dont l’Eglise fait mémoire aujourd’hui. Ce document qui marque une date importante
est mis sous le patronage et l’inspiration de ce saint universellement reconnu et admiré. Beaucoup de
réactions, venant de milieux et de pays très divers, ont accueilli favorablement le message du pape
François, mais des réserves et des critiques se sont aussi exprimées. Ce n’est pas étonnant tant il touche à
des points très sensibles, aussi bien collectifs que personnels.
Est-il nouveau ? - Non, car il s’inscrit dans la continuité de la doctrine de l’Eglise catholique en
matière sociale, économique et politique. Et comme d’habitude, le pape cite abondamment ses
prédécesseurs (Paul VI : 4 fois ; Jean-Paul II : 40 fois ; Benoît XVI : 30 fois), lui-même, 18 fois, le
patriarche orthodoxe Bartholomé, 5 fois, et des conférences épiscopales du monde entier, 20 fois. - Oui, il
est nouveau, car il s’adresse à tous les habitants de la Terre, « maison commune », il traite un sujet qui n’a
pas encore été abordé directement à ce niveau d’autorité ecclésiale, et on reconnaît le ton du pape François
qui tranche sur le style habituel des productions officielles du Saint-Siège.
Je ne propose pas de résumer ces 246 paragraphes, mais de suivre une ligne directrice autour de
laquelle les six chapitres s’organisent. J’indique ce qui en est le thème central : l’écologie intégrale.
Intégrale, au sens où des liens essentiels, explicités tout au long de l’encyclique, seront tissés entre les
nombreux domaines concernés par l’écologie et ce qui relève de la justice sociale. Les pauvres seront
présents du début la fin.
J’avancerai en quatre étapes.
1. Les constats : « Ce qui se passe dans notre maison » (chapitre premier)
Je ne fais que résumer en quatre points des analyses du chapitre premier (reprises jusqu’à la fin du
quatrième chapitre, § 161-162), et qui se retrouvent sur beaucoup d’autres moyens d’information.
(1)
Des éléments de la nature absolument nécessaires à toute forme de vie : l’air, le sol nourricier et
surtout l’eau (« bien fondamental », § 30), sont de plus en plus pollués, et parfois de façon irréversible.
Dominant et englobant cet ensemble, le dérèglement du climat fait l’objet de discussions passionnées.
(2)
La civilisation industrielle s’est imposée presque partout avec une telle rapidité qu’elle est
devenue incapable de maîtriser les conséquences de son extension : l’envahissement des déchets qu’elle
produit, la perte de la biodiversité, la détérioration de la qualité de vie.
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(3)
Cette civilisation et les besoins qu’elle cultive se sont propagés depuis deux siècles de façon très
inégale, et même en accentuant les inégalités entre les peuples, entre les milieux sociaux et entre les
personnes. Cette inégalité s’impose aussi entre ceux qui doivent plus ou moins endurer les conséquences
écologiques destructrices.
(4)
Pourtant les analyses et les évaluations proposées par le pape ne sont pas globalement négatives :
les découvertes des sciences et les réalisations techniques sont facteurs de progrès et ont remédié à
d’innombrables maux (§ 102 et sv.), en particulier dans le domaine de la médecine, des communications,
etc. Par exemple, le regard porté sur les OGM est nuancé (§ 133), mais il est sans compromis en ce qui
concerne les atteintes à la vie humaine, y compris embryonnaire (§ 120, 123, 136), ou les programmes
internationaux de « santé reproductive » qui accusent la croissance démographique d’être responsable de
la crise (§ 50).
2. A la recherche des causes : « La racine humaine de la crise écologique » (chapitre 3)
Les causes de cette situation sont dégagées par le pape François à partir de ce qu’il recueille de la
tradition chrétienne et des analyses contemporaines. Le mot-clé est : paradigme technocratique.
Paradigme désigne un modèle qui peut ressaisir plusieurs domaines du savoir et de l’action à la manière
d’un système, mais il peut fonctionner sans qu’on en soit forcément conscient. Actuellement, les
méthodes des sciences, surtout celles qu’on dit exactes, leurs objectifs, leurs applications techniques,
jouent le rôle de modèles pour organiser nos sociétés, pour faire des projets et évaluer les résultats ; mais
ils imprègnent aussi nos relations, notre vie personnelle, en trois mots, la civilisation, les mentalités, la
culture. Dire que ce paradigme est technocratique signifie que c’est la dimension technicienne qui
l’emporte sur toutes les autres ; et comme sciences et techniques sont entièrement façonnées par l’esprit et
la main de l’homme, le pape en conclut que la crise actuelle a une racine essentiellement humaine. Elle ne
vient pas d’une fatalité aveugle qui mènerait le monde, ni des cycles du monde astral, ni des retombées
inévitables d’une évolution qui irait naturellement vers le perfectionnement de l’humanité.
Comment décrire ce paradigme ?
(1) La modernité s’est construite sur la conquête, la domination, l’exploitation du monde matériel, avec la
croyance qu’elles sont nécessairement porteuses de progrès. Cette dynamique est globalisante, elle veut
tout réduire à un seul type d’explication, celle de la raison scientifique, et à un seul mode d’action, celui
qui vise l’efficacité maximale. Ce paradigme technocratique, dit le pape, est homogène (il tend à tout
uniformiser) et unidimensionnel (il n’admet qu’une seule dimension capable de tout expliquer, y compris
l’existence humaine, qui est horizontale).
(2) Si on regarde ce qui l’emporte dans les méthodes, les décisions, les projets, c’est l’utilitarisme. Ce
courant de pensée, dans sa version banalisée, se donne pour buts l’efficacité, en satisfaisant les besoins et
en éliminant ce qui s’oppose à ceux-ci ; il se donne pour moyen principal la croissance et la production ; il
a pour conséquence, voulue ou non, la concentration de richesses accumulées au profit de quelques-uns
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(1% de la population possède autant que tout le reste). Les autres critères et valeurs (psychologiques,
sociaux, éthiques, spirituels, en un mot, humains) doivent se soumettre à ce « rêve prométhéen » (§ 115121). Dans un monde de compétition, non seulement il faut être rentable, mais il faut l’être le plus
rapidement possible ; cette course fait directement obstacle à la sauvegarde de la Terre à long terme.
Une autre caractéristique est qualifiée par le pape de « démesure anthropocentrique » (§ 116). Il entend
par cette expression le primat de la subjectivité : le sujet s’estimant « autonome » se fait le centre de tout,
ce sont ses intérêts, les siens ou ceux de son groupe d’appartenance, ses priorités, ses envies, qui
l’emportent sur la prise en compte du bien commun. De là découlent le relativisme éthique et
l’indifférence aux enjeux collectifs (« mondialisation de l’indifférence », § 52 ; de l’insouciance, § 161),
et les effets de cette démesure concernent directement l’écologie puisqu’elle ne peut être qu’intégrale.
(3) Si la crise est globale, si sa racine principale est humaine, alors les solutions doivent aussi être
globales (ni ponctuelles, au coup par coup, ni par colmatages partiels). Elles réclament un engagement
résolu des personnes, une véritable conversion à tous les niveaux de la vie collective et individuelle.
Ecologie intégrale signifie que l’humanité et l’univers, en particulier la Terre, sont dans des relations
vitales inextricables, et donc que la recherche de solutions doit intégrer toutes les composantes de la
réalité selon leur degré d’importance. La responsabilité des dérèglements incombe à ceux à qui cette
planète a été confiée (§ 139).
Comment le christianisme, plus spécialement le magistère catholique, se situent-ils ? Quelle
lumière peuvent-ils apporter sur les causes et sur les remèdes de cette crise ?
3. À la lumière de la foi : « L’Evangile de la Création » (chapitre 2)
La base de la foi chrétienne tient en l’affirmation d’un Dieu créateur et d’un univers – humanité
incluse – qui est créé bon par lui. Par ce premier article de notre Credo, nous comprenons pourquoi
l’écologie, aux yeux du pape, ne peut être qu’intégrale : le monde créé étant un en son origine, il forme un
cosmos où tout se tient. Le corps humain est constitué d’atomes venant de galaxies vieilles de milliards
d’années. Ce n’est pas le lieu de développer une théologie de la création, même rudimentaire. Je souligne
seulement deux points qui peuvent occasionner des incompréhensions.
(1) Il ne faut pas confondre la création telle qu’elle est écrite dans la Bible et confessée par la foi
chrétienne avec ce que nous mettons sous le mot de nature, en particulier avec ce que les courants
écologistes entendent quand ils parlent de défense, sauvegarde, protection, de la nature (§ 76-78). Saint
François d’Assise n’aimait pas la nature. En tout cas, il ne l’aimait pas au sens où il aurait cherché en elle
une extase esthétique ou mystique (comme celle que certains philosophes contemporains décrivent pour
montrer qu’ils ne sont pas bêtement matérialistes) ; il aimait le Seigneur et l’adorait, et il le louait à travers
et pour toutes les œuvres de sa création. Son Cantique des créatures commence par chanter « le TrèsHaut, Tout-Puissant, Bon Seigneur… à qui seul conviennent les louanges, honneurs et bénédictions », ce
n’est qu’à la troisième strophe qu’apparaît le « Laudato si’ cun tutte le tue creature » qui donne son titre à
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l’encyclique. Nous aussi, c’est parce que nous adorons et chantons un seul Dieu Créateur que nous
admirons et respectons sa création dans son immensité, ses beautés infiniment variées, son incessante
mobilité et… sa relativité.
(2) Le reproche est souvent adressé à la religion biblique d’avoir encouragé, après l’avoir lancé, le
mouvement de domination et d’exploitation de la Terre. On a pu comprendre les mots hébreux du livre de
la Genèse (1, 28 ; 2, 15) au sens de dominer, c’est-à-dire réduire en servitude, exploiter sans mesure : les
hommes ont pu le faire sans trop d’inconvénients pour la planète aussi longtemps qu’ils se sont servi de
charrues et de filets de pêche, mais maintenant, il est urgent de restituer au texte son sens originel qui est
de garder et cultiver (§ 67). Le récit de la Genèse affirme et répète que les créatures organisées en un
ordre cosmique sont bonnes aux yeux du Créateur, donc en elles-mêmes. Il n’y est pas question d’établir
quelque droit d’user et abuser d’elles, ni de se les partager entre propriétaires tout-puissants sur leur terre.
Le jardin doit être cultivé de telle sorte qu’il conserve et augmente sa fertilité ; le but est que l’humanité
puisse subsister et progresser solidairement, dans la justice, en partageant les richesses naturelles et
produites, et dans le respect de chaque personne créée à l’image de Dieu. En dehors de ces principes
fondamentaux, encore moins contre eux, il n’y a pas de conception chrétienne de l’écologie. Et pourtant…
L’histoire de l’humanité nous montre amplement que ce n’est pas ce qui s’est passé, ni ce qui se
passe aujourd’hui. Le pape François l’a décrit en détail dans le premier chapitre : « Nous n’avons jamais
autant maltraité ni fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux derniers siècles » (§ 53). Il
rappelle en quelques lignes comment la tradition biblique et le christianisme tentent d’éclairer cette
énigme, qui n’est autre que celle du mal (§ 66).
Trois relations vitales, avec Dieu, le prochain et la Terre, ont été rompues. Elles ne concernent pas
seulement nos rapports avec le monde extérieur, mais aussi ceux que nous avons avec nous-mêmes, dans
notre vie intime et spirituelle. Quand l’homme veut prendre la place de Dieu et se considère comme le
maître et le propriétaire exclusif du monde créé, tout est faussé, tout se détraque, en lui-même et dans
l’ensemble de ses relations. Ces ruptures ne le détruisent pas à mort, mais lui infligent des blessures qui
demandent d’être soignées dans la longue durée. Elles engendrent des conflits, nourrissent des passions
destructrices, épuisent les énergies et obscurcissent l’intelligence. Elles nous obligent à prendre et à
reprendre sans cesse les moyens pour les réparer, les corriger, et à prévoir les conséquences de ce que
nous entreprenons, entre autres en observant des règles de précaution. Le pape écrit : « L’harmonie que
vivait saint François d’Assise avec toutes les créatures a été interprétée comme une guérison de cette
rupture » (§ 66) . C’est pourquoi la révélation chrétienne qui s’ouvre à l’origine sur un tableau
d’innocence et d’harmonie, permet d’espérer une ultime réconciliation de l’univers matériel et spirituel
dans le Royaume de Dieu.
Les chapitres 5 et 6 de l’encyclique détaillent les multiples possibilités de réparer les dégâts et les
destructions en cours, et comment établir de nouvelles relations entre pays et entre responsables locaux
pour sauvegarder la maison commune. Mais si l’écologie n’est pas un domaine à part, elle revêt pour les
chrétiens une autre dimension importante : elle fait partie d’une histoire plus vaste, plus mystérieuse,
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l’histoire du salut. Rien de ce qui est humain, y compris nos rapports avec les réalités matérielles, dont
nous faisons aussi partie, n’échappe à la nécessité d’être sauvé. Nous croyons ce salut possible parce qu’il
a été manifesté par le Christ en son incarnation - premier-né de toute créature -, et en sa résurrection premier-né de la nouvelle création en genèse, celle qu’il nous convoque à construire avec lui. S’il s’agit de
salut, alors rien d’étonnant à ce que les deux derniers chapitres appellent à une conversion, à plusieurs
conversions.
4. « Lignes d’orientation et d’action » (chapitres 5 et 6)
Je ne détaillerai pas les directives et propositions qui s’adressent avec une vigueur sans
concession aux organismes internationaux, aux Etats, aux multinationales, pour qu’ils s’accordent sur une
politique écologique permettant un développement juste et durable. Tout aussi vivement, le pape François
rappelle que chaque personne est responsable à son niveau. Je terminerai par quelques points forts qui
soutiennent tout le document et concrétisent l’insistance sur la conversion.
(1) Il faut reconnaître que nous vivons dans un monde qui est limité, et accepter que nous le soyons nousmêmes. Limités dans l’espace, dans le temps, dans nos capacités. Le travail à poursuivre consiste à nous
demander : pourquoi, au nom de quoi nos capacités de conquête et de maîtrise doivent-elles se mesurer
avec ces limites ? Et ensuite : comment ? avec quels moyens ? Ce sont là des questions explicitement
éthiques. Les chrétiens, chacun à son niveau de responsabilité, ont mission de les poser dans les débats
actuels, auxquels ils doivent participer en apportant leurs arguments.
(2) Le pape insiste fortement sur l’exigence d’éducation pour apprendre à respecter et à promouvoir une
vraie alliance entre l’humanité et l’environnement. Il estime nécessaire de changer notre style de vie, en
particulier nos habitudes de consommation avec les énormes gaspillages qu’elles provoquent. Comme
plusieurs religions et sagesses le recommandent ou même le commandent, il est nécessaire de pratiquer
une spiritualité de la sobriété : « Il s’agit de la conviction que ‘moins est plus’ » (§ 222). Simplifier nos
modes de vie nous libère de notre enchaînement au cercle infernal « besoin / satisfaction / nouveau
besoin, etc. » (§ 223). Faut-il préciser que cette spiritualité conforme à la sage raison est dans la droite
ligne de l’Evangile ?
(3) Entrer dans cette démarche de renoncement au superflu, de contrôle de la consommation, n’a de sens
pour les chrétiens que si elle est voulue et vécue pour servir la justice, car les pauvres (que ce soit des
personnes ou des pays entiers) sont les premières victimes de la crise écologique. L’éducation à la sobriété
a un enjeu politique parce qu’elle vise et sert le bien commun, et l’exigence de conversion trouve son sens
plénier quand elle construit une vraie communion. Si le projet est bien celui d’une écologie intégrale, son
horizon est celui d’une fraternité universelle (§ 228) puisque nous sommes tous créés à l’image du même
Dieu, Créateur du ciel et de la terre, et Père de tous les hommes.
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« Au delà du soleil » (§ 243-246)
Avant de nous offrir deux prières finales, l’une pour tous ceux qui croient en Dieu Créateur,
l’autre pour les chrétiens, le pape François qualifie sa réflexion de longue (il est vrai qu’elle pourrait être
plus concise), dramatique (il ne cache pas la gravité et l’urgence de la situation) et joyeuse (c’est alors
l’espérance qui est la plus forte).
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Annexes : quelles critiques ?
En résumé, deux types de critiques ont été adressés à l’encyclique. Elles viennent généralement de
courants politiques, de chercheurs ou de milieux d’affaires qui remettent en cause les compétences du
GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) et sur l’impartialité de ses
conclusions ; des chrétiens font aussi partie des « climatosceptiques ».
1.
La situation écologique préoccupante, en particulier climatique, n’est que très partiellement
causée par les activités humaines. Celles-ci n’ont pas d’impact significatif comparé à celui des grandes
variations climatiques qui dépendent des rythmes cosmiques, en particulier solaires. Il n’est donc pas
requis d’exiger des modifications radicales de nos politiques énergétiques et industrielles, encore moins
de nos comportements individuels, qui auraient de graves inconvénients et n’arrêteraient pas cette
évolution.
2.
Si la cause de ces dérèglements est bien le « paradigme technocratique » avec toutes ses
applications jusque dans la vie de chacun, ces mêmes sciences et techniques seront capables d’évaluer et
de corriger les dégâts existants, ainsi que de prévoir ceux qui pourraient survenir, en vertu des règles de
précaution en vigueur. Nous devons leur faire confiance. La tâche de la rationalité techno-scientifique est
de procéder de façon rigoureuse pour exploiter les ressources de la Terre et pour mesurer les
conséquences de cette maîtrise. Assumer cette tâche incombe à la responsabilité et à la compétence des
décideurs, qu’ils soient politiques, scientifiques, économiques ou industriels, et non aux autorités morales
ou religieuses. C’est une affaire technique et politique, non éthique ou spirituelle.
Je laisse ouvertes ces objections, car elles sont à examiner et à critiquer rationnellement, sans
refermer ni passionner un débat qui ne fait que commencer. Cette encyclique a pour objectif d’y
contribuer en faisant entendre la voix de l’Eglise catholique.
Michel Demaison, op