Livre 10 ANS DE CULTURE PARTAGEE avec le CAUE du Gard.

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Livre 10 ANS DE CULTURE PARTAGEE avec le CAUE du Gard.
2003
2013
di
ans
de culture
partagée
avec le caue du gard
CONSEIL D’ARCHITECTURE D’URBANISME ET DE L’ENVIRONNEMENT
2003
2013
di
ans
d e c u l tu re
pa r ta g ée
avec le caue du gard
Actes des conférences du Caue du Gard
Cycles «Urbanisme, Architecture, Habitat»
sous la direction d’Anne-Marie Llanta
CONSEIL D’ARCHITECTURE D’URBANISME ET DE L’ENVIRONNEMENT
2003
2013
di
ans
de culture
partagée
avec le caue du gard
Actes des conférences du Caue du Gard
Cycles «Urbanisme, Architecture, Habitat»
sous la direction d’Anne-Marie Llanta
CONSEIL D’ARCHITECTURE D’URBANISME ET DE L’ENVIRONNEMENT
Le CAUE du Gard s’investit dans l’ensemble des missions qui lui ont été confiées par la
loi sur l’architecture de 1977 : le conseil, la sensibilisation, l’information et la formation. Il
intervient auprès de tous les publics, en conseillant les particuliers, en aidant les élus locaux
dans leurs prises de décision, en accompagnant le milieu associatif dans ses projets locaux,
en sensibilisant à l’architecture, l’urbanisme et l’environnement tous les publics, du jeune
enfant à l’adulte curieux de son cadre de vie...
Depuis 2003, les conférences que le CAUE du Gard propose au grand public, avec le soutien
de la Direction régionale des Affaires Culturelles Languedoc-Roussillon, jouent un rôle
essentiel dans la diffusion de la culture, aussi bien architecturale qu’environnementale.
Cette manifestation, initiée en partenariat avec le Lycée Daudet, à Nîmes, pour sensibiliser
les lycéens à l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme, a su évoluer et s’adapter à la
demande de tous les publics, désireux de s’informer au mieux des composantes historiques
et actuelles de nos cadres de vie.
Les conférences sont à présent proposées à la Maison du Département, grâce au soutien du
Conseil Général. Elles attirent de nombreux participants, venus du Gard et des départements
voisins.
Le CAUE du Gard contribue ainsi à l’épanouissement d’une véritable culture, partagée avec
des intervenants de grande qualité.
Cette culture est l’indispensable préalable à une responsabilité citoyenne.
A l’occasion des 10 ans de ces cycles de conférences, il nous a semblé important de réaliser
un ouvrage qui rassemble les synthèses des conférences, afin d’en conserver la mémoire et
de diffuser plus largement encore tous ces moments de culture partagée.
Un grand merci au public qui vient fidèlement assister à ces rendez-vous mensuels, confortant
ainsi le CAUE dans la mission d’intérêt public qui lui a été confiée par la loi sur l’architecture.
Yvan Verdier
Conseiller Général
Président du CAUE du Gard
Dix ans de cycles de conférences organisés par le CAUE s’illustrent par une décennie de
rencontres et de partages :
De rencontres avec des architectes, des paysagistes, des sociologues, et bien d’autres
encore, de renom ou de moindre notoriété, sachant par leur connaissance et leur vision faire
vivre la pensée.
De partage, auprès d’experts ou d’hommes de tous les jours, sensibles ou curieux, mais tous
résolus à cogiter sur la place de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement dans un
monde en mouvement.
Pour ne pas perdre la mémoire de ces années de travail collectif, le CAUE a voulu par l’édition
de cet ouvrage, préserver les contenus des conférences. Ce recueil, somme de réflexions
techniques, juridiques, scientifiques mais également artistiques, historiques, philosophiques
voire psychanalytiques, deviendra, j’en suis convaincu, la référence de tous ceux qui désirent
s’enrichir.
Professionnels et spécialistes, associatifs ou citoyens, étudiants ou jeune public, tous
pourront trouver dans cet ouvrage une source d’information de qualité et de diversité.
Merci à vous, M. Yvan Verdier, Président du CAUE et à toute son équipe pour ces dix ans de
conception et d’animation de ces cycles de conférence. Par ce travail, le CAUE répond à sa
mission profondément culturelle de par l’information, le conseil et la sensibilisation engagés
au quotidien.
A l’heure des grands questionnements de notre société, le CAUE doit jouer, plus encore, son
rôle de démocratisation de la culture architecturale et urbaine. Il doit continuer à s’appuyer
sur un réseau institutionnel et culturel, poursuivre son objectif d’ouvrir le champ des
réflexions auprès d’un public élargi.
C’est ainsi que je souhaite que l’esprit du CAUE du Gard s’ancre sur ce territoire. C’est pour
ces raisons que le Département demeure son principal partenaire.
Damien Alary
Président du Conseil Général du Gard
Vice-Président du Conseil Régional
Languedoc-Roussillon
L’architecture est une expression de la culture.
La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant,
le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public.
Ainsi débute l’article premier de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture qui crée, entre
autres dispositions, les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE).
Investis d’une mission de service public, ceux-ci sont devenus des acteurs essentiels de la
promotion de la qualité architecturale, urbaine et paysagère. Ils œuvrent au côté des services
territoriaux de l’architecture et du patrimoine en particulier, à la traduction sur le territoire du
préambule de cette loi fondatrice.
Par l’accompagnement au quotidien des élus, des professionnels, des maîtres d’ouvrage
publics ou privés, par ses actions de sensibilisation, le CAUE du Gard mène une politique
exemplaire : la qualité des projets portés dans le département permet d’en mesurer la portée.
L’Etat, au travers de la direction régionale des affaires culturelles de Languedoc-Roussillon,
est heureux d’être une nouvelle fois au côté du CAUE pour la publication de dix ans de culture
partagée avec le CAUE du Gard, dix années de conférences, de rencontres et d’échanges. Au
travers de cet ouvrage, le CAUE répond avec conviction à l’une de ses missions principales,
celle de «développer l’information, la sensibilité et l’esprit de participation du public dans
le domaine de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement», ainsi que le rappelle
l’article 7 de la loi sur l’architecture.
Architectes, urbanistes, paysagistes vous invitent ainsi à retrouver les réflexions, les
interrogations, les hésitations parfois, qui accompagnent le geste de création. Que chacun,
professionnel, amateur ou simple curieux se laisse emporter et parte à la découverte au fil
des pages du processus de construction de notre cadre de vie.
Alain Daguerre de Hureaux
Directeur régional des affaires culturelles
DRAC Languedoc-Roussillon
s o m m a i r e
s o m m a i r e
a rc h i te c tu re
Thierry Verdier
Le réel et l’importun, remarques sur la
légitimation formelle en architecture Gérard Huet
Une aventure industrielle :
l’usine de l’Airbus A380
Philippe Capelier
Musique et Architectures
Jean-Paul Foucher
Aujourd’hui, la construction en pierre
massive, mythe ou réalité ?
Stéphane Paoli
Paul Virilio, penser la vitesse
225
Thierry Gilhodez
Les vitraux récents d’artistes dans le Gard 132
Françoise Choay
Les conséquences de la mondialisation
sur l’aménagement
230
24
Jacques Anglade
Le bois, nouveau langage architectural
Olivier Mongin
Où vont les villes ?
232
29
Manuelle Gautrand
Des villes (re)désirées
16
Fanny Delafont-Abinal
Architecture et psychanalyse :
un questionnement pluriel
36
René Ventura
Florence revisitée
47
Gérard Tiné
La couleur : matériau d’architecture
52
Romain Anger
Bâtir en terre
Robert Prohin et Pierre Parsus
Le décor dans l’architecture d’aujourd’hui
est-il encore possible ?
60
Daphné Brottet
L’art comme interrogation
de l’architecture et de l’urbain
Fabienne Potherat
La ruine comme fondement
en architecture et en psychanalyse
David Giancatarina
L’architecture à l’épreuve
de la photographie
69
78
82
Christian Darles
Trois mille ans d’architecture
et d’urbanisme au Yémen
87
Xavier Leibar
De modernité et d’ici
97
137
141
Christian Skimao
L’œuvre de François Morellet
dans l’espace public
242
153
160
252
164
Alexandre Cheval
La décoration intérieure
des demeures nîmoises au XVIIe siècle
258
Pascal Trarieux
Une maison nîmoise au XVIe siècle.
Architecture et décor
266
Thierry Paquot
Habiter
273
Gérard Monnier
Le Corbusier et Jean Nouvel,
francs-tireurs de l’habitat
274
187
Hubert Nyssen
La maison commence par le toit
Denis Berthelot
Le projet urbain dans l’usage
des règlements d’urbanisme
279
196
Luc Antoine
La Maison-Miroir
ou le Feng-Shui à l’occidentale
Gérard Huet
Ouverte pour donner, ouverte
pour recevoir : la devise de Chandigarh
283
203
210
215
Pascal Trarieux
Nîmes : les migrations du musée
des Beaux-Arts dans la ville
Isabelle Durand
Scénographie urbaine au XIXe siècle :
un projet autour du monument antique
(Nîmes, Arles, Vienne)
Jean- François Pinchon
Les vacances du plus grand nombre :
l’aventure de la mission Racine
Thierry Lochard
De Nîmes à Perpignan : les villes et les
chemins de fer aux XIXe et XXe siècles
101
Uli Seher
La générosité de l’espace
109
Yves Chalas
La demande urbaine contemporaine
d’habitat
116
Gilles Marty
Les meilleurs m2 sont ceux
que l’on ne construit pas
167
172
Hervé Brunon
Les jardins contemporains :
des laboratoires pour un projet humain
303
Gilles Clément
Le paradoxe environnement-écologie
307
Che Bing Chiu
Des îles d’immortalité à la source des Fleurs
de pêcher : ici et ailleurs du jardin chinois 319
Rémy Kerténian
Habiter Marseille au XIXe siècle :
trois types d’habitat bourgeois
dans la seconde moitié du siècle
Alain Gensac
L’embellissement des villes :
les exemples de Montpellier et Nîmes
Hervé Brunon
Une mise en ordre du monde :
le traitement de l’espace dans l’art des jardins
du XVe au XVIe siècles en Italie
292
Louisa Jones
Manifeste pour les jardins méditerranéens 314
habitat
urban isme
Alain Marinos
Le patrimoine architectural, urbain
et paysager : quels enjeux aujourd’hui ?
Françoise-Hélène Jourda
Le développement durable :
vers une architecture globale et locale
126
ja rd i n
Thierry Verdier
Le réel et l’importun, remarques sur la
légitimation formelle en architecture
Gérard Huet
Une aventure industrielle :
l’usine de l’Airbus A380
Jean-François Pinchon
Les vacances du plus grand nombre :
l’aventure de la mission Racine
Philippe Capelier
Musique et architecture
Fanny Delafont-Abinal
Architecture et psychanalyse :
un questionnement pluriel
René Ventura
Florence revisitée
Gérard Tiné
La couleur : matériau d’architecture
Robert Prohin et Pierre Parsus
Le décor dans l’architecture d’aujourd’hui
est-il encore possible ?
Daphné Brottet
L’art comme interrogation
de l’architecture et de l’urbain
Fabienne Potherat
La ruine comme fondement
en architecture et en psychanalyse
David Giancatarina
L’architecture à l’épreuve de la photographie
Christian Darles
Trois mille ans d’architecture et urbanisme
au Yémen
Xavier Leibar
De modernité et d’ici
Alain Marinos
Le patrimoine architectural, urbain et paysager :
quels enjeux aujourd’hui ?
Uli Seher
La générosité de l’espace
Françoise-Hélène Jourda
Le développement durable :
vers une architecture globale et locale
Jean-Paul Foucher
Aujourd’hui, la construction en pierre massive,
mythe ou réalité ?
Thierry Gilhodez
Les vitraux récents d’artistes dans le Gard
Jacques Anglade
Le bois, nouveau langage architectural
Manuelle Gautrand
Des villes (re)désirées
Romain Anger
Bâtir en terre
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Le réel et l’importun,
remarques sur la légitimation formelle
en architecture
Thierry Verdier
25 mars 2004
Parmi les grandes expressions de l’activité humaine, l’architecture représente
sans doute l’écriture la plus visible de la mémoire1. Les grands monuments de
l’Antiquité, les ruines les plus poétiques des villes mésopotamiennes, le fracas
magnifique des appareils cyclopéens de Mycènes, l’isolement splendide d’une
spécialisés dans le plagiat, la copie ou même la
après avoir assouvi un besoin compulsif et phy-
reproduction incestueuse des œuvres de leurs
sique. La puissance de l’architecture réside pré-
aînés9. Mais cette paresse de l’esprit n’est pas
cisément dans sa capacité à résister à la mé-
le simple fait des architectes. Lorsque la com-
diocrité du quotidien pour projeter l’homme
mande publique impose de présenter toute la
dans une dimension qui le transcende, dans
subtilité d’un projet architectural devant des
un «au-delà», dans un autre temps. Car l’ar-
jurys globalement incultes, il est plus facile de
chitecture appartient au passé dès qu’elle
séduire avec des images qu’avec une véritable
est édifiée (au plein sens du terme ) mais, en
pensée. Dans cette perspective, le plagiat a en-
même temps, se vit au présent de l’humani-
core de belles années devant lui…
les vestiges métalliques de la révolution industrielle, le purisme angulaire
té. La littérature a toujours recherché dans les
Fort heureusement, l’architecture porte une
des maisons du Mouvement Moderne ou même le maniérisme technologique
objets architecturaux et urbains, les environne-
autre dimension. Une dimension qui s’écrit
ments qui conditionnent les actions de leurs
comme une parabole de la mémoire, dans la-
héros comme de leurs victimes. Sans jamais
quelle la référence resterait savante et non lit-
Elles disent, dans une langue qui leur est propre, l’espérance de l’excellence.
analyser la raison d’être d’une architecture,
térale, subjective et non objectivée.
Religieuses, funéraires, civiles, publiques, spectaculaires, militaires, coloniales,
l’intention de l’homme qui en traça le plan, ou
pyramide aux portes du désert, comme les dentelles de pierre des cathédrales
6
gothiques, les envolées lyriques des monuments de la Foi baroque, ou encore
des grandes tours contemporaines,… racontent l’aventure de l’humanité.
industrielles ou plus simplement utiles ou habitables, les architectures ont
fabriqué, et continuent à fabriquer, la part la plus vibrante de notre Histoire.
Tout homme cherche un abri, toute commu-
est l’évidence des établissements humains5. À
nauté aspire à découvrir le volume protecteur
la différence d’un texte littéraire, d’une pein-
de son unité2. Toute institution cherche à s’ex-
ture, d’une sculpture ou d’une création musi-
primer dans le durable d’une icône construite
cale, cinématographique ou chorégraphique,
et toute tentative d’élévation spirituelle s’in-
qui demandent distance, réflexion, interpré-
vente le lieu de son ascension. Voyager, se dé-
tation, sujétion du spectateur à la puissance
placer, découvrir le monde et les hommes qui
de l’œuvre, l’architecture se pose comme
le peuplent, s’offrir la destination d’un rêve,
naturelle, banale, sans aspérité conceptuelle
d’une retraite, d’un pèlerinage ou d’un mo-
ou idéologique. Tout le monde peut la pos-
ment de bonheur ou de plaisir, convoque né-
séder (même quelques instants seulement),
Thierry Verdier
cessairement le construit et l’architecture. Une
s’y promener, y déposer des objets, s’y instal-
Architecte (agence Amok)
tente berbère, une yourte mongole ou même
ler durablement ou la subir le temps d’une
et professeur d’histoire
une cabane de pêcheurs siciliens, restent des
épreuve, la consommer comme un vulgaire
moderne à l’université
architectures. Minimales, nomades parfois,
espace de l’utile. Confrontée à l’œuvre d’art qui
Paul Valéry de Montpellier,
elles ont autant de place dans l’histoire de
s’épanouit dans la délectation d’un discours
Thierry Verdier est également
l’homme que les temples grecs, les basiliques
entre sens et saveurs, l’architecture apparaît
romaines ou les immeubles parisiens.
pour beaucoup comme la simple réponse à
et rattaché au laboratoire
De l’abri d’Adam au Paradis3 aux grattes ciels de
un usage élémentaire. Manger ou se nourrir
CRISES, Centre de recherches
Manhattan4, l’éventail est immense. Il paraîtrait
se concrétise en une cuisine ou un restaurant,
interdisciplinaires en sciences
presque discourtois de poser sur un pied d’éga-
dormir se décline en une chambre ou un hôtel,
humaines et sociales. Il
lité le modeste bricolage du premier homme et
se laver en une salle de bains ou un hammam,
est l’auteur de nombreux
l’infini d’une construction qui entend atteindre
apprendre en un bureau ou une école, se vê-
ouvrages sur l’histoire de
les cieux et rivaliser avec le Créateur. Pourtant
tir en un dressing ou une usine de confection,
l’architecture, en Languedoc-
ce sont bien ces formes, ces constructions,
s’alimenter en une buanderie ou une grande
Roussillon notamment. Il
ces manifestations bâties par l’homme qui ra-
surface commerciale …
content le mieux l’humanité.
Mais cette vision, entretenue par la toute puis-
revues scientifiques d’histoire
Immédiate par sa présence, sa massivité, son
sance industrielle des constructeurs et des
et spécialisées en art et
caractère durable, l’architecture est une sorte
marchands de mètres carrés utiles, est loin de
architecture.
«d’être là» qu’il semble inutile d’interroger. Elle
la vérité. L’architecture n’est pas un bien de
délégué scientifique AERES
collabore régulièrement à des
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consommation dont on pourrait se détourner
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simplement la puissance d’une mise en œuvre
Référence et icône
et le choix d’un matériau, l’homme de lettres
Un exemple, très banal, peut permettre d’en
transpose sur l’architecture un combat qui est
saisir la portée : la pyramide.
le sien. Il la pare d’adjectifs magnifiques ou
Sa forme pure, sa masse pleine et écrasante,
cruels, sans vraiment prendre d’égards pour
sa démesure pesante, son abstraction aussi,
celui qui en fut le créateur. Cela est normal.
lui confèrent une sorte de pureté géométrique
Un roman n’est pas une histoire de l’architec-
optimale qui parvient à transformer la simple
ture. Mais un texte littéraire souligne la rela-
pierre dressée en Monument. Elle échappe
tion consubstantielle de l’homme à l’espace
au temps. Même si le touriste au bord du Nil
construit7. Le texte éclaire cette évidence de la
a bien écouté son guide et sait que Imhotep
soumission de l’homme à ce qui l’entoure. Et
fut bien modeste au temps de cette IVe dynas-
l’architecte, dans la plénitude de son action,
tie, il ne perçoit pas la pyramide comme une
a la responsabilité gigantesque (mais non dé-
œuvre égyptienne mais plutôt comme une
miurgique) de construire l’espace du dépas-
sorte d’icône de la construction. Une sorte
sement de l’être par l’esprit. L’architecte est ce
d’architecture inhabitée qui l’oblige à s’échap-
passeur silencieux8 qui donne sens à un usage
per d’un réel marqué par les disputes du petit
et qui transforme l’indispensable protection
peuple cairote pour prendre sur ses épaules
des agressions extérieures en une allégorie de
les quelques milliers de tonnes de cette sépul-
l’Unique.
ture. La pyramide est bel et bien une entreprise
En pointant du doigt la force étonnante de
«pharaonique» dont la puissance émotionnelle
l’architecture à prédisposer l’homme, le ro-
se manifeste dans l’opposition entre une vie
mancier souligne presque naturellement la
qui s’est effacée et une œuvre qui «demeure».
nature de ces constructions : d’être toujours
La pyramide, bien évidemment, elle est là,
uniques, toujours nouvelles, toujours renou-
présente et solide. Mais elle n’est pas le simple
velées. On comprend d’autant mieux dès lors
objet qui s’imprime sur une carte postale ou
la célèbre formule de Borromini : «Je n’aurais
qui surgit sur un fond d’écran d’ordinateur
jamais choisi d’être un architecte pour être un
portable. Elle est Monument, mémoire ico-
vulgaire plagiaire». Loin d’être le trait d’humeur
nique d’une civilisation. Il n’est même pas
d’un narcissique irréductible, cette phrase défi-
nécessaire de discourir pendant des heures
nit bien ce métier qui glorifie l’invention et qui
sur sa construction, sa fonction cérémonielle,
considère l’homme comme toujours capable
son histoire ou son pillage. Sa seule présence
d’innovation. On sait que cela n’est pas tou-
«évidente», sa capacité à «demeurer» hors du
jours le cas et il est des architectes qui se sont
temps, plonge le visiteur le plus réfractaire à
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La pyramide, mémoire iconique
d’une civilisation
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En échappant au temps
de son édification pour
s’introduire
dans l’intemporel
toute spéculation intellectuelle dans une sorte
exactement à côté, de cette typologie de la
Louvre de Lefuel et l’intégration d’une nouvelle
et des découvertes lointaines, n’est plus celle
de sentiment de modestie, que l’on nommait
pyramide12. Surgit alors toute cette légion de
entrée au cœur de la cour du Carrousel. Le
d’aujourd’hui. Désormais, la gare est devenue
encore au XVII siècle la faiblesse humaine.
pyramides (Maupertuis, les peintures d’Hubert
choix de Gizeh, bien évidemment transcendé
satellite pour une destination déjà connue. Sa
Il serait facile d’opposer à cette remarque
Robert, etc.), de cénotaphes (dont ceux proje-
dans une expressivité technologique de métal
fonction «générique» lui a fait perdre une partie
n’offre plus de prise
l’exemplarité, bien ancienne, de cette construc-
tés par Etienne-Louis Boullée pour Turenne, ou
et de verre très contemporaine, soulignait cette
de son merveilleux. De même, le logement col-
tion et son total éloignement avec la ville d’au-
dans le goût égyptien, ...) qui en furent les ex-
présence d’invariants conceptuels et cette in-
lectif n’est plus l’expression d’une répartition
à la critique formelle
jourd’hui, avec les objets architecturaux et
pressions les plus paradigmatiques .
telligence dans l’usage d’une référence impli-
des populations urbaines par classes sociales.
urbains qui nous entourent, avec même les
En effet, contre la pyramide résumant l’enten-
cite mais jamais pastichée.
Les exemples seraient infinis et souligneraient
paysages que nous traversons habituellement.
dement humain à une prise de conscience de
Cet exemple est extrême, presque outrancier,
facilement cette constante modification des
Ce serait commettre une terrible méprise. La
notre destinée, à savoir l’inéluctable de la mort,
face à la question de la forme en architecture.
cadres d’un programme architectural. Il ne faut
force émotionnelle de la pyramide avec ses
le cénotaphe entendait témoigner de la capa-
Il n’en représente pas moins l’exercice le plus
pas en faire l’objet d’une nostalgie. Bien au
arêtes décrivant une pente de 51°5, a échappé
cité de l’esprit humain à dépasser sa condition
abouti dans le délicat problème posé par la
contraire, la perpétuelle remise en cause de la
au temps. La pyramide «dit» sans aucun doute
de mortel pour affronter l’infini du ciel, l’im-
rencontre entre la forme et le sens.
notion de programme a amené les architectes
la civilisation égyptienne, raconte à sa ma-
mensité des lois de la mécanique et l’évidence
Mais ainsi qu’il a été dit, l’architecture participe
à transcender les principes de l’utile pour in-
nière l’histoire personnelle de Khéops, mais ne
de la dynamique . L’exemplarité d’une forme
d’une culture du présent et entend exprimer
venter les formes de notre modernité.
rend pas présente la civilisation de l’ancienne
construite avait imposé l’interrogation de cette
toutes les complexités d’un monde constam-
Egypte. Elle n’est que le subjectile de la mé-
forme même.
ment changeant. S’il existe bien des œuvres
Opéra, du latin opera : «œuvre»
anciennes magistrales et indispensables à la
Un autre exemple, très connu, pourrait illustrer
de l’œuvre, la pyramide
ou stylistique.
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moire, le vecteur d’une connexion arbitraire
dans le magma informe des émotions person-
À une époque beaucoup plus récente, un autre
conservation d’un patrimoine historique et
ce propos. Lorsqu’en 1963, le conservatoire de
nelles et des histoires inventées sur un moment
architecte eut à se poser les mêmes ques-
remarquable, l’architecture se conjugue dans
musique et la mairie de Sydney confièrent à
de l’histoire de l’humanité que nous ne pour-
tions, à savoir : affronter l’infini de l’esprit, di-
l’immédiat de l’action.
Jørn Utzon la construction d’un nouvel opéra,
rons jamais recréer.
cible dans les œuvres d’art, avec l’évidence du
Le culte des monuments16 fut l’une des ver-
rien ne laissait penser que cette architecture
En échappant au temps de son édification pour
temps, dicible dans le présent de l’humanité.
tus des civilisations et la protection des mo-
allait devenir l’un des fleurons de l’architecture
s’introduire dans l’intemporel10 de l’œuvre, la
Cet homme fut Ieoh Ming Pei lorsqu’il se trouva
numents historiques en fut, depuis Mérimée,
du XXe siècle17. Après une dizaine d’années de
pyramide n’offre plus de prise à la critique for-
chargé de la transformation complète du site
la traduction le plus évidente. Il serait même
chantier, après la mise en œuvre de matériaux
melle ou stylistique. Elle est la perfection géo-
et des principes de distribution et de mise en
impensable aujourd’hui de s’engager dans de
précieux (le fameux million de tuiles blanches,
métrique qui raconte le destin et la mort. En
valeur du musée du Louvre15.
vastes opérations immobilières destructrices
«japonaises», bien que fabriquées en Suède),
tout temps, elle est devenue modèle. Le tom-
Pour ne pas avoir à rivaliser avec un ensemble
sans être saisi d’épouvante. Fort heureusement
après un soin maniaque apporté au traitement
beau pyramide de Caïus Cestius à Rome est, à
historique assez unique (cette partie du Louvre
la conscience patrimoniale a sauvé de l’oubli,
de l’acoustique et de la lumière naturelle, ce qui
ce titre, un modèle déjà bien ancien.
présentant le plus grand ensemble urbain
de la déshérence ou du vandalisme, un très
demeure de cette construction c’est avant tout
Le mouvement néoclassique, plus encore, vou-
éclectique second Empire encore parfaitement
grand nombre d’architectures d’exception, de
sa force vitaliste, organique, éclatée et offerte
lut en faire l’horizon de sa réflexion. Le grand
en place), l’architecte prévit de construire la
sites majestueux ou d’ensembles urbains au-
au port de Sydney comme une sorte de flam-
courant intellectuel des Lumières, dans sa
forme anhistorique par excellence, une pyra-
thentiques.
beau en mouvement. Coquillage pour les uns,
quête incessante pour fonder le socle de l’en-
mide. La pyramide fut «l’antidestin» des pha-
Pourtant, et c’est une évidence, les architectes
«coques spontanées» pour les autres, «coques
tendement humain dans les connaissances et
raons et des grands. Elle concrétisa dans sa
considèrent le «contemporain» comme leur
autosuffisantes» conçues par Ove Arup et as-
la philosophie, sut parfaitement identifier la
volumétrie le rêve d’éternité d’hommes souhai-
matériau. Certes, les programmes architectu-
semblées dans l’effort d’un chantier impro-
force symbolique et «sur-humaine» de la pyra-
tant laisser après leur mort la trace de leur pas-
raux n’ont guère évolué. On construit toujours
bable …, ce bâtiment, par l’unique de sa forme,
mide. Ni les écrits, ni les références formelles ne
sage. Le musée du Louvre, la plus grande col-
des logements d’habitation, des musées, des
est devenu le signal de Sydney, l’indispensable
manquent pour témoigner de cette évidence.
lection d’œuvres d’art au monde par la richesse
gares, des buildings administratifs, des écoles
de sa définition. Sa fonction a presque été sup-
Se confronter à la «pyramide» devenait un
et la variété de ses fonds, représentait l’apo-
ou des stades. Mais ces mêmes programmes
plantée par son expressivité formelle et peu
moyen pour légitimer la puissance symbolique
théose de la pyramide égyptienne. Les œuvres
ont malgré tout changé de nature. L’école de la
de personnes aujourd’hui évoquent l’opéra de
d’une figure géométrique contre les récupéra-
conservées au Louvre sont les expressions les
Troisième République, marquée par l’idéal du
Sydney pour sa saison musicale.
tions décoratives qui avaient encombré les dé-
plus abouties de l’humanité. Leur puissance,
progrès collectif, n’est plus celle d’aujourd’hui.
corations éphémères des entrées royales et des
leur force émotionnelle et leur beauté, leur
À l’heure actuelle, l’école est sans doute restée
Dans une tout autre attitude, la Philharmonie
fêtes pontificales aux XVI , XVII et XVIII siècles .
permettent d’échapper au temps. Plus qu’im-
un lieu d’apprentissage des savoirs, mais sa
de Berlin, cette œuvre magistrale créée par
Portés par cette puissance de l’abstraction
mortelles, ces œuvres d’art sont intemporelles.
fonction sociale l’a entraînée vers la «fabrica-
Hans Scharoun18 en 1961 et inaugurée deux
intellectuelle dans l’effervescence d’un rai-
De manière totalement volontaire, l’archi-
tion» individualisée des personnalités. La gare
ans plus tard en 1963, représente la victoire de
sonnement, les héros de la fin du XVIIIe siècle
tecte Ieoh Ming Pei était parvenu à éviter tout
du XIXe siècle, manifeste architectural du pro-
la culture, de la musique et de la grâce dans
cherchèrent à se positionner contre, ou plus
«conflit» dans un dialogue impossible entre le
grès technique par des déplacements rapides
une ville dévastée par la guerre. L’Allemagne,
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La pyramide du Louvre
de l’architecte I. M. Pei
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L’opéra de Sydney fleuron
de l’architecture du XXe siècle
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Il ne faut pourtant
jamais perdre de vue
Philharmonie de Berlin,
œuvre magistrale créée
par Hans Scharoun
avec son peuple musicien, voulait absolument
dans un environnement toujours en devenir.
démesure de l’œuvre architecturale a toujours
avec ce qui est là «depuis toujours», se hâter de
reconstruire, au cœur de Berlin, un grand lieu
Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de compa-
suscité les discours les plus passionnés. Tou-
donner à une fonction architecturale la forme
de l’Harmonie. Tout le monde connaît les noms
rer ces architectures au vaste projet de Claude
chant aux aspects les plus intimes de l’homme
la plus simple, la plus adaptée, etc., semblent
des grands chefs qui dirigèrent cette salle :
Vasconi pour le Corum (l’opéra Berlioz) de
(la vie, le bien-être, le sensible, la foi, …), l’archi-
être les impératifs du métier. Mais on le sait
Herbert
Abbado,
Montpellier, construit entre 1988 et 1990. Sorte
tecture n’est jamais une réponse générale, glo-
depuis longtemps, le réel nous englue. Matière
Simon Rattle, en revanche l’architecte en est
de vaisseau puissant dans sa géométrie, le Co-
bale, définitive19. Chacun pense être dans son
et matériaux nous étouffent de leur apparente
moins connu, moins immédiatement cité. Et
rum s’est voulu extension de la ville de Mont-
droit lorsqu’il dénonce le peu de soin apporté
Vérité. On n’est pas architecte pour construire
cela tout simplement, car cette salle, avec sa
pellier au-delà de son esplanade méridionale.
au traitement d’un éclairage, la médiocrité dé-
le bâtiment qui collerait le plus au «réel» d’un
fosse d’orchestre située au cœur du public,
Son architecture de soutènement dialogue
corative d’une façade, la maladresse d’une voie
lieu. Bien au contraire, la recherche de beauté,
est avant tout une formidable machine har-
avec la citadelle du XVIIe siècle contre laquelle
d’accès dans un parking, l’incommodité d’une
de grâce, de bonheur, de bien-être, d’hospitali-
monique. Son acoustique est parfaite. Le pla-
elle est venue se blottir. Mais curieusement sa
cuisine ou l’étroitesse d’un couloir. Et cela est
té, …, n’appartient pas au «monde réel», mais
cement des sièges est conçu pour permettre
fonction de salle de concert et de rencontres
normal. L’architecture touche à l’intime, au res-
bien à l’Idée, à la pensée, à l’intellect. C’est là
une écoute remarquable quel que soit son
n’est pratiquement jamais signalée. Ouvrage
senti. Elle ne peut laisser totalement indifférent
que se joue toute la définition de l’Architecture.
siège. L’amateur de cordes peut se placer au
urbain avant tout, le Corum défend l’idée que
«l’usager».
L’architecture n’est pas opportuniste, elle est
plus près des violons. L’amoureux du grand
la banalité d’une boîte utile peut permettre
Dans la mesure où il n’existe pas, contrairement
importune. Elle interroge le réel pour en révéler
répertoire symphonique peut aimer s’élever
d’installer en son sein les plus belles machines
à ce que pensaient les adeptes du Mouvement
l’essence, non pour se fondre dans sa crasse.
au plus haut de la salle et saisir la puissance
acoustiques qui soient. Effectivement l’opé-
Moderne, de réponse définitive à une question
d’un orchestre jusqu’au plus profond de la
ra Berlioz est parfait en termes acoustiques.
soulevée par un programme, tous les possibles
Tant de constructions ont été élevées à la
grosse-caisse. Le mélomane passionné par la
Scène, arrière-scène, orchestre, balcons et
sont à l’œuvre. Il n’y a pas de vérité en architec-
dévotion du réalisme. Tant d’architectes ont
conduite d’orchestre peut se mettre en face du
loges participent d’un même espace qui étend
ture. Ce qui est juste ici, sera malhabile ailleurs.
élevé le réalisme en dogme au nom d’une sa-
chef, l’orchestre de dos, et se sentir dirigé par
la beauté de l’écoute à la magistrale vision des
Ce qui est évident là, sera insupportable là-bas.
cro-sainte vérité du matériau. Vérité du maté-
la baguette du chef d’orchestre. La musique
mises en scène. Quel que soit son siège, l’au-
Toute la puissance de l’architecture tient préci-
riau qui obligeait à mettre ainsi les assises, à
s’écoute dans le déploiement de ses formes
diteur bénéficie des mêmes qualités d’usage.
sément dans cette évidence.
poser les moellons de telle façon, à hourdir une
et chacun peut y vivre distinctement le plaisir
Mais il n’empêche. Lorsque l’on évoque l’opéra,
Le «génie du lieu», la forme émotionnelle d’un
maçonnerie avec juste ce qu’il faut de chaux et
d’une écoute sans cesse renouvelée. L’indiffé-
la musique symphonique ou les architectures
territoire, sa capacité à exprimer en mots très
de sable, à couvrir un toit avec de puissantes
renciation sonore qui souvent caractérise les
de salles de concert, les grandes références qui
simples son authenticité, oblige à constam-
dalles de pierre avec un pureau de 2/3, etc.
salles modernes n’y a pas sa place, car l’idée
viennent en tête demeurent l’opéra de Sydney
ment réfléchir sur l’inscription d’un volume
Tant que l’on restait dans la tradition tech-
de l’écoute personnelle de l’œuvre l’a empor-
ou la Philharmonie de Berlin.
bâti dans un environnement unique, toujours
nique, dans l’éternel des savoir-faire acquis sur
unique . Comme l’exprimaient les apôtres du
plusieurs millénaires, la question ne se posait
contextualisme : toute architecture est située.
pas. Les hommes de l’art savaient construire.
von
Karajan,
Claudio
Le Corum à Montpellier,
ouvrage urbain avant tout
té sur la tentative actuelle de rendre tous les
La demeure et l’intime du temps
auditeurs identiques. Salle offerte à tous les
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possibles de l’écoute musicale, la Philarmo-
Les
ther-
Même la pyramide Pei au Louvre est «située».
L’architecture était une sorte d’excellence dans
nie revendique une situation unique dans la
miques, acoustiques, les relations plus sen-
C’est-à-dire que l’universel n’y a pas sa place. Il
«l’art d’édifier»21. On atteignait alors cette beau-
conception architecturale. Fort magistralement
sibles au paysage de la ville, à la lumière natu-
est regrettable que la ville marchande et géné-
té fortuite dont parle Balzac mais qui faisait
pour permettre que cette spécificité berlinoise,
relle, au confort individuel, les attentions plus
rique des centres commerciaux, des aéroports
aussi la magnificence des cités et le plaisir des
peut-être même allemande, soit perceptible,
soutenues au bien être et au souci d’indivi-
ou des immeubles de bureaux, ait oublié cette
regards.
Hans Scharoun a su exprimer dans les volumes
dualisme, ont modifié le rapport des hommes
évidence. Toute la subtilité de l’invention ar-
Malheureusement, une volonté de se coller
généraux de cette architecture ce même amour
à leurs lieux de vie, de travail et de loisirs. Les
chitecturale se doit de combattre la tentation
au réel, d’être au plus près des aspirations hu-
de la musique. Par une sorte de combat entre
architectes ont dû inventer l’expression de leur
de banalisation de nos environnements archi-
maines, des techniques les plus performantes
nature et culture, l’organicité de cette construc-
société. Plus qu’une simple tentation forma-
tecturaux et urbains. La mission est périlleuse,
(voire performancielles, sans que l’on sache
tion se révèle dans le choix de matériaux «durs»
liste (faire de beaux objets architecturaux), le
mais elle est indispensable.
très bien ce que ces termes recouvrent) a au-
mais capables d’exprimer la musicalité d’un
travail de l’architecte est celui d’un chef d’or-
lieu en reconstruction entre Tiergarten et la
chestre capable de répondre, par la matérialité
Il ne faut pourtant jamais perdre de vue que
bienveillante et gracieuse.
porte de Brandebourg.
d’une édification, à toute une série d’aspira-
l’architecture est un procès au réel. En effet,
Sous le prétexte d’une meilleure compréhen-
tions individuelles et sociétales. Sorte de para-
répondre aux aspirations humaines les plus
sion de l’homme et dans une approche socio-
Avec ces deux constructions, diamétralement
doxe d’un métier qui entend donner la réponse
immédiates (la protection des intempéries,
logique assez mal comprise et ridiculement
opposées dans leur conception, se lit toute la
la plus probante à une question toujours irré-
le besoin de se nourrir, «d’avoir un toit»,…)
caricaturée, les hérauts du XXe siècle se sont
démarche d’architectes capables de donner
solue, la fonction d’architecte est certainement
pourrait apparaître comme une évidence, une
voulus réalistes. Cela consista à faire dispa-
une forme à leurs rêves, leur conception de l’art
celle qui engage le plus l’avenir des sociétés.
injonction même qui s’impose à tous les archi-
raître toute idée, toute pensée, toute réflexion
et la nécessaire inscription d’une construction
Beaucoup d’auteurs ont écrit sur ce sujet, et la
tectes. Utiliser les matériaux «disponibles», faire
au profit de gestes répétés, mécaniques, dignes
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contraintes
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environnementales,
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que l’architecture
est un procès au réel.
jourd’hui totalement perverti cette attitude
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Verdier, Thierry
L’architecture à Montagnac sous l’Ancien-Régime,
Montpellier, Éditions de l’Espérou, 1997.
Châteaux et demeures du Languedoc-Roussillon,
Montpellier, Presses du Languedoc, 1997.
N’oublions jamais
qu’une
De l’Édit de Nantes à la déclaration des droits de l’homme
et du citoyen 1598-1789, la difficile conquête de la liberté,
Montpellier, Région Languedoc-Roussillon, 1998.
«vraie» réponse
architecturale
de la pire industrialisation. Alors que l’architec-
sion de nos histoires personnelles. Ainsi que le
ture est une chose de l’esprit (cosa mentale).
rappelait Georges Perec, un lieu ne peut jamais
n’est pas celle qui colle
Les seuls architectes qui sont parvenus à s’ins-
être totalement épuisé23. Il dit trop de choses
taller dans le panthéon d’hommes célèbres
de la conscience et de l’intime pour se réduire
au réel,
furent, et sont, avant tout des penseurs, des
au pur concept primordial.
intellectuels, des génies aussi parfois. La leçon
Appréhendée comme la légitimation maté-
mais au contraire
du passé, elle tient dans une double évidence :
rielle d’un programme, une architecture se de-
la Vérité n’existe pas en architecture et le réel
vrait d’être rationnelle24, rationaliste même25,
est un leurre. Sortir du réel, s’extraire de la ré-
mais son déploiement dans l’espace du vi-
alité, l’escamoter peut être comme le fait le
sible l’inscrit dans un immédiat du temps qui
Barnabooth de Valéry Larbaud, c’est là que
déborde largement les simples questions de
se situe la grandeur de l’individu. La vie nous
périodisation historique. La ville (palimpseste
lasse de sa lie disait le poète. N’oublions jamais
de sa propre réitération) s’est constituée dans
qu’une «vraie» réponse architecturale n’est pas
l’amalgame des formes du passé et d’un pré-
celle qui colle au réel, mais au contraire celle
sent constamment renouvelé26. L’architecture
qui l’interroge, qui s’en extrait et qui le sublime,
est l’objet primordial de la cité. Son volume, sa
le transcende. Croire au réel revient à flatter les
«présence», son décor, son subtil assemblage
plus bas instincts de l’individu - un peu comme
de pleins et de vides, …, participent d’un lan-
les émissions télé qui se veulent tellement
gage global qui définit le caractère d’un lieu.
proche de l’homme qu’elles érigent le vulgaire,
Certes, la puissance des infrastructures contre-
le graveleux et le voyeurisme au rang de re-
dit quelque peu cette perception encore très
ligion, au prétexte de dire le réel d’une socié-
«esthète» de la ville. Les routes, les autoroutes,
té. L’architecture est l’inverse de cela. Elle est
les voies, les lignes électriques, les réseaux de
quête des hauteurs, recherche d’absolu, tenta-
toute nature, ont acquis une telle dimension
tive magnifique pour faire grandir l’homme en
qu’ils soumettent les intentions urbaines à
lui offrant le cadre de son dépassement. Elle
d’évidentes contraintes d’aménagement27. Mais
permet l’émergence de l’Idée dans le don d’un
il n’en demeure pas moins vrai que les archi-
espace nouveau, mouvant et arbitrairement
tectes continuent à «composer» (parfois même à
circonscrit par les matériaux de l’édification.
leur corps défendant) des dialogues entre objets
celle qui l’interroge,
qui s’en extrait et qui
le sublime,
le transcende.
singuliers et hasards de l’édification.
Avec le recul, on mesure parfaitement ce que
La réponse la plus «opportune» à la question de
porta l’architecture. Les lieux bâtis, les loge-
l’édification se résume de plus en plus dans la
ments construits, les territoires modelés et
notion de «dispositif» . Développant les loin-
les villes transformées façonnent l’homme.
taines habitudes des scénarios architecturaux,
L’architecture engage au bien être, comme au
le «dispositif» représente à la fois la disponibili-
désespoir. Tout a été dit sur ce sujet et il suf-
té (au sens que donnait à ce mot Le Corbusier)
fit de faire quelques pas dans nos villes et nos
de l’architecte face à la question d’un projet
campagnes, de faire quelques excursions en
toujours reconsidéré et la capacité à l’architec-
dehors de nos frontières et loin de nos civili-
ture d’offrir des usages débordant largement le
sations occidentales pour s’en rendre compte.
simple cadre d’un programme. L’architecture
Mais la puissance de l’architecture se reconnaît
existe souvent par sa faculté à être appropriée
souvent dans sa propre fiction romanesque.
par ses usagers. Concevoir un lieu, un volume
En effet, si la littérature a totalement investi le
habitable ou un espace public, c’est avant tout
champ de l’architecture22, l’architecture a aussi
permettre que les affects personnels puissent
été capable d’inventer les millions d’histoires
s’y épanouir au-delà même de ce qui a été ima-
qui racontent la vie des hommes. Tous les sou-
giné. Le réel est toujours mis en procès quand
venirs sont attachés à des lieux. Grandioses ou
l’importun décide de vivre l’architecture dans
médiocres, savantes ou ordinaires, les expres-
la fragile exaltation de sa propre destinée ■
28
sions architecturales ont souvent été l’expres-
22
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(1) Thierry Verdier, La mémoire de l’architecte, essai sur
quelques lieux du souvenir, Lecques, Théétête, 2001
(rééd. Nîmes, Lucie éditions, 2010).
(2) Daniel Payot, Des villes-refuges, témoignage et espacement, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 1998.
(3) Joseph Rykwert, La maison d’Adam au paradis, trad.
Paris, Seuil, 1976.
(4) Rem Koolhaas, Delirious New York, A retroactive manifesto of Manhattan, London, Academy Editions, 1978
(rééd. New York, The Monacelli Press, 1994).
(5) Le Corbusier, Les trois établissements humains,
Paris, Les éditions de Minuit, 1945.
(6) Voir l’introduction par Françoise Choay du traité
qu’elle a traduit avec Pierre Caye : Leon Battista Alberti,
L’art d’édifier, Paris, Seuil, 2004, p. 11-44.
(7) Il faut d’ailleurs admettre que l’espace construit
s’étend aujourd’hui à l’ensemble de la planète car il
n’est guère de lieux totalement inviolés.
(8) Nous empruntons cette formule à Guy Desgrandchamps,
«Architecture et modestie», in Architecture et Modestie :
Actes de la rencontre tenue au couvent de La Tourette
(Centre Thomas More) les 8 et 9 juin 1996, Lecques, Éditions Théétète, 1999, p. 9-30.
(9) Françoise Fromonot a souligné cette manière d’agir
en évoquant l’habitude prise par certains d’utiliser des
«tubards» à la mode pour donner l’illusion de la modernité : «De l’identité nationale considérée comme un
des beaux-arts», in Criticat, 6/septembre 2010, p. 41-53.
(voir p. 47 le lycée Mendès-France de Montpellier). Sur
cette tentation des architectures-objets rendant nos
villes inhabitables, on pourra lire avec plaisir le texte
érudit et critique de Franco La Cecla, Contre l’architecture, trad. Paris, Arléa, 2010.
(10) André Malraux, L’intemporel, la métamorphose des
dieux, Paris, Gallimard, 1976.
(11) Anne-Marie Lecoq, «La Città festeggiante : les fêtes
publiques au XVe et XVIe siècles», Revue de l’art, 33, 1976,
p. 83-100. Jérôme de La Gorce, Dans l’atelier des menus
plaisirs du roi : Spectacles, fêtes et cérémonies aux XVIIe
et XVIIIe siècles, Paris, Artlys, 2011.
(12) Emil Kaufmann, Trois architectes révolutionnaires :
Boullée, Ledoux, Lequeu, Paris, SADG, 1978.
(13) Jean-Marie Pérouse de Montclos, Etienne-Louis
Boullée, Paris, Flammarion, 1994, p. 150-165.
(14) Peter Gay, The Enlightenment : The Rise of Modern
Paganism, New York, Norton & Company, 1995. Cette
perception «cosmique» fut encore davantage perceptible dans le projet de Cénotaphe pour Newton de
E.-L. Boullée.
(15) Philip Jodido, I. M. Pei : La pyramide du Louvre,
München, Prestel Verlag, 2009.
(16) Par-delà le célèbre texte d’Aloïs Riegl, Le culte moderne des monuments. Sa nature, son origine, trad.
Jacques Boulet, In Extenso, 3, École d’Architecture Paris-Villemin, 1984, on pourra toujours se reporter au
très bel essai d’Heinrich Wölfflin, Prolégomènes à une
psychologie de l’architecture (Munich, 1886), traduit et
introduit par Bruno Queysanne, Cahiers de pensée et
d’histoire de l’architecture, Ecole d’Architecture de Grenoble, 1982 (rééd. Paris, éditions de la Villette, 2005) qui
offre une tentative pré-phénoménologique pour comprendre l’essence de l’architecture.
(17) Sur ce sujet, voir le livre magistral : Françoise
Fromonot, Jørn Utzon et l’opéra de Sydney, Paris,
Gallimard, 1998.
(18) Sur cet architecte voir : J. Christopher Burkel, Hans
Scharoun, London, Ellipsis, 1993. Peter Blundell Jones,
Hans Scharoun, rééd. London, Phaidon Press, 2002. Sur
la Philarmonie de Berlin : Wilfried Wang, Dan Sylvester,
Philharmonie Berlin, 1956-1963, Berlin, Ernst Wasmuth
Verlag, 2013.
(19) Benoît Goetz, Théorie des maisons : l’habitation, la
surprise, Lagrasse, éditions Verdier, 2011.
(20) Christian Norberg-Schulz, Genius loci, Paysage, ambiance, architecture, (1980), rééd. Bruxelles, Mardaga,
1997.
(21) Françoise Choay, «Patrimoine : quel enjeu de société ?», in Cahiers de l’école d’architecture de SaintEtienne, janvier 2006, Publications de l’Université de
Saint-Etienne, 2006, p. 41-60.
(22) Jean-Paul Thibaud, Nicolas Tixier, «L’ordinaire du
regard », in : Le Cabinet d’Amateur. Actes du Colloque
Perec et l’image, Toulouse, Presses Universitaires du
Mirail, décembre 1998, n° 7-8, p. 51-67.
(23) Georges Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu
parisien (1975), Christian Bourgeois, 2006.
(24) Au sens que l’on donnait à ce mot entre le XIXe et
le début du XXe siècle, voir Rational Architecture : The
Reconstruction of the European City, (sd. Robert-L.
Delevoy, Anthony Vidler), Bruxelles, AAM éditions, 1979.
(25) Michel Cornuéjols, Créativité et rationalisme en architecture, Paris, L’harmattan, 2005.
(26) Voir le concept de città analoga développé par
Aldo Rossi, L’architettura della città, Marsilio, Padova,
1966 (trad. Paris, L’Equerre, 1981).
(27) Dominique Rouillard (sd), L’infraville / futurs des
infrastructures, Paris, archibooks, 2012.
(28) Alain Guiheux, Architecture Dispositif, Marseille, Parenthèses, 2013.
Cours d’Architecture qui comprend les ordres de Vignole,
avec les commentaires, les figures et descriptions de
ses plus beaux bâtimens, et de ceux de Michel-Ange,
plusieurs nouveaux desseins, ornemens et préceptes
concernant la Distribution, la Décoration, la Matière
et la Construction des Edifices, la Maçonnerie, la
Charpenterie, la Couverture, la Serrurerie, la Menuiserie,
le Jardinage et tout ce qui regarde l’Art de Bâtir; avec
une ample explication par ordre alphabetique de tous
les Termes, à Paris, chez Nicolas Langlois, rue SaintJacques, à la Victoire, 1691; par Augustin-Charles d’Aviler.
Édition critique, Montpellier, Presses de l’Université de
Montpellier III. 2de édition, Montpellier, PUM, 2011.
Complaintes des pasteurs du désert, Paris, Éditions de
Paris / Montpellier, Presses du Languedoc, 2002.
Augustin-Charles d’Aviler (1653-1701), architecte du Roi en
Languedoc, Montpellier, Presses du Languedoc, 2004.
L’art du peintre, doreur, vernisseur par Jean-Félix Watin,
Paris, Quillau, 1772. Édition critique. Montpellier, Presses
de l’Université de Montpellier III, 2004.
L’architecture pratique qui comprend le détail du Toisé,
& du Devis des ouvrages de Massonnerie, Charpenterie,
Menuiserie, Serrurerie, Plomberie, Vitrerie, Ardoise,
Tuille, Pavé de Grais & Impression. Avec une explication
de la Coutume sur le Titre des Servitudes & Rapports
qui regardent les Bastimens. Ouvrage tres neccessaire
aux architectes, aux experts & à tous ceux qui veulent
bastir, Paris, Estienne Michallet, 1691; par Pierre Bullet.
Édition critique. Montpellier, Presses de l’Université de
Montpellier III, 2005.
Planches d’Architecture de d’Aviler. Édition critique.
Montpellier, Éditions de l’Espérou, Presses Universitaires
de la Méditerranée (PUM), 2008.
Guide pour la rédaction des mémoires en architecture,
Ensa Montpellier / Éditions de l’Espérou. 2nde édition
complétée, Paris, Éditions de La Villette, 2011.
Explication des termes d’Architecture, qui comprend
l’Architecture, les Mathématiques, la Géométrie,
la Mécanique, l’Hydraulique, le Dessein, la Peinture,
la Sculpture, les Mesures, les Instrumens, la Coûtume, & c.
la Maçonnerie, la Coupe et l’appareil des pierres,
la Charpenterie, la Couverture, la Menuiserie, la
Serrurerie, la Vitrerie, la plomberie, le Pavé, la Foüille des
terres, le Jardinage, &c. La Distribution, la Décoration,
la Matiere & la Construction des Edifices et leurs défauts
Les Bastimens, antiques, sacrez, profanes, champestres,
de Marine, aquatiques, publics & particuliers. Ensemble
les Etimologies, & les noms latins des termes, avec des
Exemples & des Preceptes : le tout par raport à l’Art
de Bâtir, Paris, Nicolas Langlois, 1693 ; par AugustinCharles d’Aviler. Édition critique. Montpellier, Presses
Universitaires de la Méditerranée (sous presse).
Sarcasmes et vérités, notes sur quelques œuvres de la
collection du Frac Languedoc- Roussillon, Montpellier,
traac, 2011, (en ligne).
Les règles du dessein et du lavis, pour les plans
particuliers des ouvrages & des bâtimens, & pour leurs
coupes, profils, elévations & façades, tant de l’architecture
militaire que civile, Paris, Ch. Antoine Jombert, 1754 ;
par M. Buchotte. Édition critique. Montpellier, Presses
Universitaires de la Méditerranée (à paraître).
Bournazel, un château de la Renaissance en Rouergue,
Bournazel, Éditions du Buisson, 2011.
Dictionnaire occitan-français des termes d’architecture,
Languedoc-Rouergue, XVIe-XIXe siècles, Paris, Éditions de
Paris, (sous presse).
Architectes français à Rome au temps de Louis XIV,
Bruxelles (à paraître).
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Une aventure industrielle :
l’usine de l’Airbus A380
Gérard Huet 8 mars 2005
sont préparés en vue de l’assemblage final, qui
Gérard Huet et Francis Cardete, architectes toulousains, sont les
s’effectue dans une immense nef (le hall d’as-
concepteurs de l’usine d’assemblage de l’Airbus A380 sur le site
semblage structure).
Aéroconstellation, près de Toulouse (associés au sein du groupement
Le hall structure est la pièce maîtresse de
ADPi Technip). Le bâtiment principal, baptisé «l’Arche»,
l’usine d’assemblage, par ses dimensions (250
Le projet de
s’étend sur 12,25 ha, sa hauteur atteint 46 m !
m de long, 125 m de large) et les outils industriels prévus pour le jonctionnement des tron-
construction
La réalisation de ce projet est une véritable aventure industrielle :
un programme exceptionnel, des délais très courts, une conception
çons ainsi que pour la manutention et le levage
(170 tonnes de charges devant être suspen-
de la chaîne
simultanée de l’A380 et de l’usine, des équipes de concepteurs
dues à la charpente).
L’avion, une fois assemblé, est amené dans
Airbus A380 à
(architectes-ingénieurs) délocalisées sur le site...
les trois immenses halls de finitions et d’essais constituant la jambe est de l’Arche. Dans
Toulouse-Blagnac :
Le plan masse
ces trois halls sont réalisés les compléments
Mars à mai 2001
de montage des équipements hydrauliques et
Dès le démarrage des études de conception
électriques ainsi que les essais de fonctionne-
des bâtiments, un groupe de travail est consti-
ment, d’étanchéité à l’hélium des réservoirs et
tué afin que les équipes d’Airbus et de maîtrise
le montage des moteurs.
d’œuvre puissent mettre en concordance les
Ensuite, l’avion est conduit sur les postes d’es-
enveloppes des bâtiments avec les outils indus-
sais extérieurs où il subira les derniers tests
triels de manutention et de levage, eux-mêmes
avant son premier vol.
en cours de définition. Cette co-conception a
Tous les travaux de modification ou de mise au
pour objectif l’optimisation conjointe du pro-
point s’effectueront dans les trois halls chantier
cess industriel et des ouvrages physiques de
situés dans la jambe ouest de l’Arche qui auto-
l’usine ; le résultat le plus spectaculaire étant
riseront ultérieurement d’éventuelles augmen-
illustré par le plan masse dont la logique d’or-
tations de cadence.
ganisation est en adéquation parfaite avec le
A l’intérieur de la Faille sont implantés les bu-
vembre 2000, le programme propre à chaque
process définitif établi en juin 2001.
reaux et ateliers, dans des immeubles ponts
bâtiment était en cours d’élaboration.
Le plan masse est composé selon un axe Nord-
de quatre niveaux disposés transversalement
L’emprise au sol du projet ainsi que les surfaces
Sud (idée inverse de ce qui était demandé dans
dans la grande rue centrale de distribution de
du bâtiment sont exceptionnelles :
l’appel d’offres), épine dorsale du projet, cor-
l’Arche. 25 000 m2 de bureaux sont ainsi po-
un site industriel
Le maître d’ouvrage
d’une part, au fait que les terrains soient en
Airbus France
cours de régularisation administrative (et de ce
Les concepteurs
fait, ne soient pas tous disponibles en même
Un groupement de maîtrise d’œuvre générale :
temps), et d’autre part, au fait que les dimen-
Architectes : Cardete & Huet (agence d’archi-
sions de l’appareil (le plus gros avion au monde
tectes toulousaine), ADPi (agence parisienne,
de transport civil) soient impressionnantes :
filiale d’ ADP : Aéroports de Paris, spécialiste
80 m de long pour 80 m de large, pour un poids
mondiale des structures aéroportuaires)
de 650 tonnes en charge.
Ingéniérie : Technip TPS (société française,
Le planning est extrêmement contraignant :
numéro un européen d’ingénierie et de
un premier vol commercial en juin 2006, alors
construction), ADPi Architectes et Ingénieurs.
que, lors du lancement du concours, en no-
Le plus important chantier industriel
en Europe
avion géant dans un
territoire vierge.
Le projet de construction de la chaîne d’as-
• la surface du site aménagé est de 300 ha
respondant au cheminement de l’avion dans
sés sur les socles ateliers et magasins de deux
semblage final de l’Airbus A380 à Toulouse est
• la surface totale des bâtiments est de
sa phase d’assemblage, depuis la livraison des
niveaux longeant les halls. Cet espace est le
tronçons au nord du site jusqu’à son roulage
cœur du dispositif de distribution ; les des-
vers la zone aéroportuaire, au sud, et son envol.
sertes entre bureaux sont prévues le long des
Les éléments constitutifs de l’avion arrivent par
grandes fenêtres des halls. Cette volonté a pour
convoi routier depuis le port de Langon (en Gi-
ambition d’essayer d’éviter la ségrégation entre
ronde) par le nord-ouest du site, où se trouve la
«blouses blanches» et «blouses bleues». Dans
leurs parcours, les usagers des bureaux sont
spectaculaire du fait de son gigantisme, de sa
complexité technique et des délais très courts
200 000 m
2
• la surface des aires de circulation et de
stationnement est de 20 ha
de conception et de réalisation.
Quand le consortium européen EADS (Euro-
• la hauteur moyenne des halls d’assemblage
est de 45 m
pean Aerospace and Defence Systems) décide
Gérard Huet
de lancer la fabrication de l’A380 courant 2000,
En février 2001, l’équipe de maîtrise d’œuvre
zone de livraison des tronçons.
est architecte et directeur
le cahier des charges est défini pour une pre-
est désignée à partir de propositions de plans
La quasi-totalité des halls industriels fu-
ainsi directement au contact des halls avions.
de masse faisant apparaître :
sionnent en un très vaste ensemble, l’Arche
Cette organisation apporte économie d’occu-
• l’étude des paramètres à prendre en compte
(appelé ainsi du fait de sa configuration en U);
pation de l’espace, de construction, de fonctionnement et de flexibilité d’usage dans le
général de Cardete & Huet,
agence d’architecture fondée
mière livraison commerciale en 2006.
Novembre 2000 : un concours de maîtrise
en 1975 avec Francis Cardete.
d’œuvre est lancé afin de désigner, dans les
• l’étude des flux
ce bâtiment central et primordial de l’usine
Plus de quarante architectes
trois mois, une équipe chargée de la maîtrise
• l’étude de variantes d’organisation
comprend également les principaux ateliers,
temps. A l’est des aires extérieures, situées
• l’analyse critique des différentes variantes
locaux techniques et bureaux. Ces derniers
dans le prolongement sud de l’Arche, ont été
et la recommandation d’une solution
sont situés au cœur de l’Arche dans une trouée
construits deux halls avions indépendants,
l’un accueillant les essais statiques permet-
œuvrent au quotidien
d’œuvre générale pour la construction des bâti-
dans l’esprit insufflé par les
ments qui accueilleront la chaîne d’assemblage
fondateurs au sein
sur le site de la ZAC Aéroconstellation, située à
synthétisant les hypothèses communes
centrale baptisée la Faille.
de trois structures :
Blagnac, à l’extrémité des pistes de l’aéroport.
lors du lancement du concours.
A son extrémité nord, l’Arche comporte l’ab-
tant la déformation des structures de l’avion
side, où les éléments de fuselage et de voilure
jusqu’aux limites de rupture, l’autre servant
Toulouse, Marseille, Rabat.
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à l’échelle d’un
Les contraintes les plus importantes sont liées,
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L’Arche :
hall d’assemblage structure
Les bureaux et ateliers
(la Faille)
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L’Arche :
la charpente
aux activités de pistes telles que la pesée des
cides des grandes poutres en saillie. Cette lu-
chitectes est un domaine difficile, même si
trise d’œuvre architectes, ingénieurs bâti-
avions, certains essais spécifiques ainsi que les
mière inonde les halls au travers de panneaux
l’agence Cardete & Huet avait déjà l’expérience
ment et moyens de levage, etc., dans le but
retouches de peinture.
en polycarbonate, afin d’éviter les nuisances de
de la réalisation du hall d’assemblage des Air-
de dimensionner les bâtiments aux justes
l’ensoleillement direct.
bus A330-A340 et Aéroports de Paris, celle de
besoins et de faire qu’au fur et à mesure de
L’image
Au cœur du dispositif, les bâtiments de bureaux
nombreuses plateformes aéroportuaires.
la co-conception, les décisions prises soient
Un plan masse concentré
sont disposés transversalement afin que tous,
Il est clair que la vitesse de conception et de
validées,
Le bâtiment d’assemblage a été conçu de l’in-
tout en étant proches des lieux de travail dans
réalisation conduit à certains choix qui im-
• propositions de plans masse ayant pour
térieur vers l’extérieur. Penser l’architecture à
les halls, bénéficient d’un éclairage naturel et
posent la nécessaire simplicité de fabrication
logique celle dictée par le process : la
partir du process des flux, des espaces de vie
d’une vue sur l’extérieur (les immeubles for-
des ouvrages.
majorité des sites d’assemblage, dont ceux
est une démarche d’ouverture vers les autres,
ment entre eux des patios autorisant la lumière
L’enveloppe financière et les délais ont été res-
que nous avons conçus pour les avions 330,
qui s’établit dans la complicité entre archi-
naturelle au sein des bureaux et animant la vie
pectés suivant les engagements initiaux.
340, confirment le fait que le souci prioritaire
tectes ainsi qu’avec les maîtres d’ouvrage ; la
industrielle).
preuve en est que, dans ce processus interactif,
Délais et coûts
certaines influences d’enrichissement du pro-
Façade miroir de l’Arche,
portes en acier inox poli miroir
est la réduction des risques accidentoChronique des moments forts
gènes. Pour cela une logique de clarté des
Printemps 2000
différents flux s’impose, à la fois en amont
Les accomplissements Cardete & Huet, Tech-
(tronçons, petit équipement, personnel)
de tels ouvrages ne peuvent actuellement
nip, puis ADP (Aéroports de Paris).
et en aval, en sortie de bâtiment de l’avion
té des pistes de l’aéroport, sans aucune singu-
être conçus qu’en métal. La vitesse de réalisa-
23 juin 2000
assemblé, au seuil de la piste d’envol,
larité, si ce n’est un environnement commercial
tion imposée par le planning nous a conduits
Choix de Toulouse-Blagnac comme site d’as-
périurbain.
à concevoir les bâtiments afin de permettre,
semblage final de l’A380.
qui consiste à lever, en une seule fois et en
Les dimensions du bâtiment d’assemblage
pour chaque hall, la construction et l’équipe-
Novembre 2000
une journée, la totalité de la couverture
(500 m de long, 250 m de large et 45 m de hau-
ment des combles au sol, dans leur totalité
Lancement de l’appel d’offres pour STAR (Site
et des réseaux situés dans les combles,
teur), font que son échelle crée un paysage
(ensemble de la charpente, couverture et étan-
Toulousain d’Assemblage Airbus).
dans un souci de respect des délais prévus
nouveau. Il y a là une opportunité que nous ne
chéité en partie supérieure, chauffage, électri-
devions pas laisser passer. Au-delà de la pro-
L’avion va peut-être exister, le programme est
extrêmement courts. Ce parti influencera
cité, plomberie en partie inférieure), puis leur
blématique posée par le rapport au ciel et au
hissage en une seule fois (les poutres ont des
remis aux six équipes de maîtrise d’œuvre.
l’architecture dans un souci de sobriété,
sol, les grandes portes d’accès aux halls sont un
portées de 102,5 à 117,5 m).
des éléments majeurs (très hautes portes plis-
Ainsi donc, le comble du hall d’assemblage
sées se succédant tout le long de l’ensemble).
(8000 tonnes) a pu être levé à 46 m de hauteur
L’ étendue (450 m de long et 27 m de hauteur)
en une journée.
est comparable à celle d’un barrage. Par rap-
Ce choix de montage a permis un gain d’un
port à ce questionnement essentiel, le choix
mois et demi environ par cellule ; économie de
du matériau de parement (en acier inox poli
temps et d’argent, donc, tout en minimisant les
miroir) a pour avantage de constituer une fa-
risques d’accident et en s’affranchissant des
çade en permanence vivante, qui reflète les
risques d’intempéries.
variations du ciel. Cet effet est amplifié par la
La procédure de dévolution des marchés choi-
mise en œuvre en écailles dissymétriques des
sie par la maîtrise d’ouvrage est par tranches
panneaux inox. Comment ne pas y voir un
d’ouvrage et par lots en corps d’état séparés.
hommage au monde aéronautique ? La mince
Cette procédure est intéressante à plusieurs
tranche de la toiture qui ondule confère à l’im-
titres :
jet ont été l’émanation du maître d’ouvrage.
L’économie et les délais font, qu’en France,
Le site est une grande plaine située à l’extrémi-
mense ensemble de l’Arche une fluidité qui
• du fait de l’évolution du programme qui doit
compense son aspect massif, sans le nier.
s’adapter aux exigences de la fabrication
de l’avion, les coûts des modifications sont
Qualité des espaces de travail
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L’Arche :
habillages verticaux
translucides
des grandes poutres
• d’autre part, l’entreprise est identifiée à son
çade par les tympans périphériques (translu-
marché et met donc les moyens en consé-
cides, correspondant à l’épaisseur de la struc-
quence dans une saine émulation.
ture de toiture qui les surmonte), en couverture
Il est évident qu’en architecture, il n’y a jamais
par des lanterneaux situés dans le plan des
une seule réponse ; il est sûr que le domaine
combles et par les habillages verticaux translu-
de l’invention dans lequel se situent les ar-
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Perplexité des équipes devant un programme
• quelques idées sur les façades rationnelles,
embryonnaire et des propositions de plans
sachant qu’A380 n’a aucun besoin d’image
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architecturale forte. Celle d’Airbus suffit.
masse dont la seule logique est celle découlant
des problèmes administratifs liés, à l’origine,
8 janvier 2001
aux différents propriétaires fonciers et donc des
Réception des offres des six groupements
différentes dates de libération possible.
sélectionnés.
Le partage industriel n’est pas clairement dé-
13 janvier 2001
fini. L’avion est en cours de conception, ses
Établissement d’une liste de trois groupe-
caractéristiques dimensionnelles en phase de
ments.
définition.
23 février 2001
Décembre 2000
Choix du lauréat final : Cardete & Huet Archi-
Les candidats obtiennent de nouveaux élé-
tectes, Technip TPS, ADPi.
ments (le règlement de la ZAC en charge des
aménagements et équipements d’intérêt gé-
La joie et l’inquiétude
néral, les rayons de braquage de l’avion, le
Saura-t-on tenir un tel pari par rapport aux ob-
tableau récapitulatif des ponts roulants situés
jectifs énoncés ?
• Faire que la co-conception aboutisse à un
dans les différents bâtiments).
projet cohérent au bout de six mois.
clairement identifiés par lots,
L’apport de lumière naturelle est assuré en fa-
• une méthode de fabrication des bâtiments
Un pari...
• Déposer au plus tôt les permis de construire
Un important investissement dans la réflexion
pour déclencher les enquêtes publiques et
et une réponse multiple :
les autorisations de construire qui permettent de débuter les travaux suivant les
• mise en place d’une équipe de travail com-
délais prévus.
posée des compétences Airbus : avionneurs, outilleurs, chargés d’assemblage de
• Livrer les bâtiments en 2004 avec vols d’es-
l’avion, maintenanciers, ergonomes, maî-
sai en 2005 et vol commercial début 2006.
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Musique et architectures
Philippe Capelier
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Nothias, Jean-Christophe
Le site d’assemblage de l’Airbus A380
Le nid du géant,
Agnès Vienot Editions, 2004
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7 décembre 2005
Gustav Mahler s’éteint le 18 mai 1911 à Vienne. Il laisse une jeune veuve,
La co-conception : un projet partagé
Les circulations horizontales entre les bureaux,
Tous ensemble dans un même lieu, plusieurs
volontairement situées dans cette grande fe-
Alma, musicienne elle aussi, brillante et cultivée. Elle a connu Klimt,
réunions par jour, on avance à grands pas, ça
nêtre, favorisent la communication entre les
fourmille d’idées, d’enjeux : déchets, flux, poste
«cols blancs» et les compagnies travaillant
aura une liaison avec le peintre Kokoschka, puis se mariera avec Walter
unique d’assemblage.
dans les halls.
Au jour le jour, Airbus valide au fur et à mesure
L’échelle d’un tel bâtiment, dans un paysage
est comme l’allégorie de ce rapport mystérieux qui unit la musique et
les propositions structurées notamment par
proche des pistes de Blagnac, fait que c’est le
les ergonomes : la nature et le nombre de halls
bâtiment qui crée le paysage. Par son ampleur
l’architecture, deux arts que pourtant tout oppose.
sont définis (celui dans lequel on va assembler
(500 m de long et 45 m de haut), on est en réfé-
D’un côté, notre culture occidentale sépare la musique et l’architecture,
l’avion, ceux dans lesquels ils seront terminés
rence avec les collines situées au loin. L’échelle
les considérant comme les deux barreaux les plus éloignés sur l’échelle
et essayés, ceux qui permettent de procéder
d’un barrage.
aux modifications) ; les annexes, les bureaux
La boîte économique et rationnelle nous in-
des arts : architecture, art des formes, art de la pesanteur, art utile ;
sont également définis, mais tout nous semble
quiète, nous obsède et un jour, le déclic ! Le
musique, art du temps, art de l’éphémère, art du futile. D’un autre côté,
éparpillé : le bâtiment Arche viendra unifier tout
ciel ! Le reflet, l’inox, les grandes portes coulis-
notre culture occidentale les réunit toutes deux, les dotant de qualités
cela et un grand axe structurant le site confir-
santes, composants majeurs de la façade en
mera la logique du process dans son évidence.
seront revêtues. Le maître d’ouvrage est séduit.
propres et exclusives qui les isolent des autres arts : l’architecture est une
Trois projets : l’avion, les outillages, le bâtiment
Cette matière change le rapport du bâtiment
musique figée, la musique est une architecture vibratoire.
fonctionnent en même temps. C’est unique !
au sol. Il appartient au ciel, il vit au rythme des
Au-delà de la poésie, au-delà des mythes, existe-t-il des rapports
Un tel projet fédère les énergies et les oriente
changements ; son côté abstrait, ses références
dans le même sens : celui de la réussite d’un
au quotidien, les jeux de plans entre les diffé-
invisibles, profonds, exclusifs qui unissent la musique et l’architecture?
tel pari !
rents matériaux font que le bâtiment est déma-
Plus encore, que peut apporter la musique à l’architecture?
Les avancées architecturales du projet bâti-
térialisé.
ment : dans une usine de cette taille, la ques-
Il y a là de nouveaux domaines à explorer.
Peut-on concevoir une «architecture musicale»?
tion de l’éclairage naturel est fondamentale.
3 janvier 2002
Les études d’éclairagisme et les demandes des
Démarrage du chantier : début du terrasse-
utilisateurs ont renforcé les apports de lumière
naturelle dans la zone centrale. Les rayonne-
Gropius, architecte d’avant-garde, fondateur du Bauhaus. Alma Mahler
Préambule
C’est pourquoi je savais que mon diplôme de
ment sur le site.
Quand Anne-Marie Llanta m’a proposé de te-
fin d’études serait du registre de la recherche
1er avril 2004
nir une conférence pour le CAUE du Gard sur
théorique.
ments directs ont été filtrés ; ainsi la douceur de
Livraison à Airbus de l’Arche.
la musique et l’architecture, j’ai été replongé
la lumière naturelle inonde les halls de façon
7 mai 2004
quelques, et oui, vingt-cinq ans en arrière, avec
homogène. Le espaces sont rendus vivants, les
Inauguration du site en présence du Premier
forcément une certaine nostalgie.
Outre l’architecture, je pratiquais, j’ai toujours
vues sur l’extérieur (au travers des bandes vi-
ministre ■
Je ne vais pas vous raconter ma vie, simple-
pratiqué, aujourd’hui encore, la musique. Es-
trées situées au pied des grandes portes et des
ment resituer les circonstances de ce travail.
sentiellement à travers le chant choral, dans
grandes fenêtres donnant sur la rue centrale)
En 1980, je terminais mes études d’architecture
un ensemble vocal universitaire ; petite anec-
améliorent cette notion de confort.
à l’école de Montpellier ; simultanément, j’avais
dote, c’est Françoise Miller, architecte au CAUE
l’habitude de travailler dans les agences de la
qui nous reçoit, qui m’a fait venir dans cette
région, d’y faire le nègre.
chorale. J’en écoutais aussi beaucoup, de la
Au moment d’aborder ma dernière année
musique, de toutes sortes : ancienne, baroque,
d’études, mon expérience professionnelle m’a
classique, pop, rock, chanson ; le jazz, je l’ai dé-
montré deux choses :
couvert par la suite…
Un : je n’avais aucune envie de refaire à l’école
Alors, de façon candide, je me suis dit : pour-
Philippe Capelier
ce que je faisais à mi-temps chez des archi-
quoi ne pas réunir dans un même diplôme mes
est architecte, spécialisé dans
tectes ; j’excluais donc un diplôme de type pro-
deux passions. Musique et architecture, archi-
l’acoustique architecturale et le
jet concret d’architecture ; «gratter», je le faisais
tecture et musique.
développement durable. Il dirige
tous les jours…
Ce n’est pas dû uniquement à mes goûts, cette
l’agence Blue Tango Architectures
Deux : la pratique quotidienne «concrète» de
histoire de musique et d’architecture ; et là,
à Montpellier. Vice-président
l’architecture me démontrait, en regard de
nous rentrons dans le vif du sujet ; il y a bien,
de l’Ordre des architectes du
l’école, la situation éminemment privilégiée de
dans la littérature, ici ou là, cette poésie qui
Languedoc-Roussillon, il est
l’étudiant, à savoir que sa raison sociale, c’est
réunit la musique et l’architecture : l’architec-
également chargé de cours
la réflexion et la recherche, un luxe pour l’archi-
ture comme une musique figée, l’architecture
à l’école d’architecture de
tecture quotidienne.
comme une symphonie de pierres.
Montpellier.
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Rechercher, mais quoi ?
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Mais il y a aussi les trompettes de Jéricho, la
l’architecture vont trouver les fondements de
On retrouvera par la suite Pythagore et Valéry.
un vide entre deux nombres précédents ;
musique qui fait écrouler les remparts. De
leur relation particulière. Nous allons faire l’ex-
Mais revenons à notre mythe.
par exemple, la moyenne, entre 3 et 5, c’est
nombreuses relations métaphoriques les réu-
périence simplement agréable d’écouter de la
D’abord la construction des remparts de
4,3 + 5 / 2 : le vide entre 3 et 5 est comblé.
nissent, positivement, ou négativement.
musique en regardant de l’architecture, proje-
Thèbes, dans la Grèce très antique : Amphion
Or, ce que découvre Pythagore, c’est que les
En face, le simple bon sens voudrait les oppo-
tée sur l’écran ; ainsi :
joue de la flûte, et les pierres se mettent en
principaux accords musicaux, ceux-là mêmes
mouvement, s’assemblent en des lits recti-
couramment pratiqués, joués, chantés par les
lignes et ordonnés : la musique crée de l’archi-
musiciens grecs, ces trois accords musicaux,
tecture ; les murs immortalisent cette musique
sont exprimés en rapport (en médiété) de
pétrifiée en leur sein.
nombres simples.
• Water Music de Haendel
Ensuite, le peuple d’Israël, en pays de Canaan,
Prenons la corde d’un luth ; je la fais vibrer à
et le Louvre classique
fait le siège de la ville de Jéricho ; après une
vide ; j’obtiens, par exemple, un do. Si je mets
procession circulaire de six longues journées
mon doigt sur le manche du luth, à mi-distance,
autour des remparts, les prêtres, le septième
j’obtiens le même do, mais plus aigu, un octave
jour, sous l’ordre de Josué, font sonner leurs
plus haut ; l’octave s’exprime selon un rapport
cors et la foule entonne une immense clameur :
de 2/1 ; il trouvera le rapport 3/2 pour la quinte,
ser : musique art du temps, art du son, art de
• des chants grégoriens
et une abbaye romane
l’éphémère ; architecture, art de l’espace, art
des matière, art de la gravitation ; Schopen-
• l’Orfeo de Monteverdi
et le Palais du Té à Mantoue
hauer les oppose, même plus, sur l’échelle des
arts, la musique est tout en haut, l’architecture
tout en bas, non mais !
Alors je me suis proposé d’aller visiter cette
• les Comedian Harmonists
et la Villa Savoye
étrange relation, d’essayer de découvrir s’il
existe des données objectives qui les rap-
• Peter Gabriel
et l’architecture de Rem Koolhaas.
prochent, s’il y a bien une tradition, une histoire
commune.
C’est bien pour le plaisir des yeux et des oreilles,
les remparts, s’effondrent, la ville est prise.
do/sol ; un rapport de 4/3 pour la quarte, do/fa.
Et si ce rapport est plus que poétique, pourquoi
mais est-ce suffisant comme point de départ
Ce que la musique peut construire, elle peut
Les musicologues pensent que ces trois ac-
ne pas envisager d’en tirer parti ? Du point de
pour notre recherche ? Il y a un rapport formel,
aussi le détruire.
cords sont communs à tous les systèmes mu-
vue de l’architecte que je suis, la musique peut-
expressif, entre les arts d’une même époque,
La dédicace des remparts de Jérusalem, par
sicaux.
elle intervenir dans ce que je fais, que peut-elle
donc, à un moment donné, on sent bien une
Néhémie, procède de la même mythologie ; ici,
Cette découverte fut, pour les Anciens, un évé-
m’apporter ?
familiarité entre la musique et l’architecture.
la musique n’édifie pas, mieux, elle sanctifie,
nement considérable. D’un point de vue scien-
Ce travail, ce diplôme, se présente sous la
Cela est vrai pour les autres arts.
elle attribue son sens à la chose construite.
tifique, il donnait une représentation géomé-
forme d’un ouvrage, théorique, en deux vo-
On peut aussi mélanger les musiques et les ar-
Puis Pythagore.
trique et attribuait une valeur numérique au
lumes, complété, pour la soutenance, par un
chitectures : Jeff Buckley et Palladio.
Il est né aux alentours de 580 avant J.-C., a été
son.
grand panneau graphique, qui en était comme
On peut ressentir ici aussi une harmonie entre
champion de pugilat, aux 48
Olympiades ; il
D’un point de vue religieux, il exprimait les
l’enseigne.
ce que l’on regarde et ce que l’on entend. Ce
a voyagé sur le pourtour de la Méditerranée, en
accords musicaux par des nombres élémen-
Le premier tome est une longue introduction,
que l’on recherche est ailleurs.
particulier en Égypte où il aurait été initié à la
taires et sacrés : les quatre premiers, 1- 2- 3- 4,
mathématique.
la tétractys, dont la somme est égale à 10. Les
en deux parties, ayant chacune trois chapitres ;
èmes
le premier chapitre est consacré à l’histoire de
Un peu d’histoire
Il s’installe en Sicile, en 530 avant J-C ; il y fonde
nombres de Dieu, de la création, les nombres
chaque art ; le second raconte l’histoire de leur
Autant vous le dire tout de suite, trois person-
une communauté, on dirait une secte au-
de l’homme, les pieds et les mains, le système
auteur, le musicien, l’architecte ; le troisième
nages m’ont guidé dans cette exploration du
jourd’hui, selon des rites initiatiques précis et
décimal.
chapitre tente une définition de chacun des
mystère musique/architecture : le premier, c’est
une hiérarchie militaire.
Après Pythagore, la relation entre la musique et
arts.
Pythagore, le deuxième, c’est Paul Valéry. Le troi-
On y suit un enseignement qui mêle la poli-
l’architecture trouve un fondement rationnel.
Ce travail est fondé sur une recherche livresque,
sième, la troisième, c’est Alma Mahler.
tique, la mathématique, la philosophie, les arts
Avec le nombre, pratiquer l’expression musi-
d’histoire de l’art, de théories esthétiques ;
Alma Mahler comme l’allégorie de notre re-
et la pratique ascétique de rites religieux.
cale dans la création architecturale est déli-
je me rappelle en particulier le livre Bruits de
cherche ; elle est née à la fin du XIX siècle, dans
Le maître meurt vers 500 avant J-C. Il laisse une
béré. C’est la tradition pythagoricienne, nu-
Jacques Attali , qui est une histoire sociale et
les riches milieux bourgeois et cultivés de la
communauté prospère et puissante, mais dont
mérologique, qui a véhiculé cette pratique
politique de la musique occidentale.
grande Vienne, où le sens des affaires se conju-
l’idéologie, pour un grand pythagoricien pour-
harmonique de l’architecture.
Ce travail, sur lequel je ne reviendrai pas ce soir,
guait au culte de l’art. Elle était musicienne.
tant, Matila Ghyka, est un «fascisme ésotérique».
La Renaissance, qui se replonge dans la culture
était très utile pour «cadrer» le sujet, éviter de
Elle aura connu Klimt, elle sera la maîtresse du
Ce que nous devons surtout prendre en compte
antique, réactive notre relation. C’est en toute
partir tous azimuts ; il ne peut s’envisager que
peintre Kokoschka, immortalisée sur un tableau
et retenir, c’est que, pour Pythagore et les pen-
connaissance de cause qu’Alberti, le grand
dans la culture occidentale.
où les amants sont allongés sur un lit d’étoiles,
seurs de cette époque, pratiquer la mathéma-
architecte, préconise l’usage des proportions
Notre civilisation a, entre autres particularités,
elle sera l’épouse de Gustave Mahler, pour qui
tique, c’est utiliser les outils dont les dieux se
des accords musicaux pour ordonner ses bâti-
la mise en théories du monde, c’est-à-dire, éla-
elle sacrifiera sa musique. Elle présentera à Wal-
sont servis pour créer le cosmos, en opposition
ments.
borer des modèles, des concepts, destinés à
ter Gropius le peintre Itten, qui sera professeur
avec le chaos. En particulier, les Anciens étaient
Palladio utilise ses proportions simples et mu-
mémoriser ses usages, les transmettre, les faire
au Bauhaus. Elle se mariera avec Gropius, l’archi-
friands des médiétés, plus simplement les
sicales pour ordonner ses plans et ses façades.
évoluer, transformant par là-même la pratique
tecte visionnaire : quelle femme, avoir eu pour
moyennes : A + B / 2 ; ces moyennes, arithmé-
Outre leur culture antique, ces gentilshommes
en savoir. Nous verrons par la suite que c’est
mari et Mahler et Gropius ! Je vous renvoie à la bi-
tiques, géométriques, harmoniques, étaient les
pratiquaient les académies qui réunissaient
dans le monde théorique que la musique et
bliographie que lui a consacré Françoise Giroud .
outils du Créateur, par le fait qu’elles comblent
les savants de spécialités différentes : philo-
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sophes, médecins, astronomes, architectes et
Le Corbusier invoque très souvent la musique
marre, à moins que cela ne soit celui d’à côté…
chitecte, il va bien au-delà et justement éclaire
alchimistes.
pour exprimer la qualité de ses créations. Il a
3. La perception de la musique est différente de
les rapports profonds, subtils et exclusifs, entre
Les traités d’architecture, du XV au XVIII
travaillé avec le compositeur grec, Iannis Xena-
l’architecture, parce qu’à l’audition, on va des
l’architecture et la musique. Il apparaît que mu-
siècles, foisonnent d’argumentaires musicaux,
kis, sur le couvent de la Tourette, près de Lyon.
parties au tout, alors qu’en architecture, on voit
sique et architecture ont des rapports étroits et
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pour affirmer le bon goût car «les proportions
du tout vers les parties.
particuliers, exclusifs, qui les distinguent des
Où en sommes-nous ?
En fait, on n’appréhende pas la totalité de
autres arts, et au-delà de leur apparence, qui
nos yeux».
Où en sommes-nous ? Schopenhauer oppose
grandes constructions d’un seul coup d’œil ;
les unit.
Dans la querelle des Anciens et des Modernes,
la musique, tout en haut, et l’architecture, tout
elles se dévoilent petit à petit au visiteur. Et si la
en 1750, les traditionalistes invoquent la conso-
en bas : art de l’esprit, art de la matière.
musique a un sens, l’architecture peut en avoir
De la musique dans l’architecture
nance physiologique des accords musicaux
Les anciens Grecs distinguaient les arts perfec-
aussi : le dessin des jardins à la française, l’en-
Le rythme : le rythme, c’est une périodicité per-
pour justifier le «bon goût» des proportions im-
tifs, qui nécessitent une interprétation, des arts
chaînement des espaces dans de grands bâti-
çue ; les systèmes structuraux, qui portent les
muables ; il y est surtout question d’harmonie,
pratiques, qui présentent leur œuvre achevée.
ments publics actuels dénotent un sens, une
masses bâties, répartissent les descentes des
avec l’équivalent des accords dans la musique.
Cette distinction est toujours actuelle : théâtre,
direction particulière voulues par l’architecte.
charges en des points régulièrement disposés
Il y a une utilisation intentionnelle de nombres
musique, opéra, contre peinture, architecture ;
4. Art du temps et art de l’espace.
qui créent une perception régulière d’alter-
précis, dans l’harmonie des accords, dans le
et littérature ? Et cinéma ?
La perception de l’architecture implique un
nance de pleins et de vides, de temps forts et
rythme des notes, la durée des mouvements
Surtout, on différencie habituellement les arts
temps, son image varie selon le temps, l’archi-
de temps faibles, identiques aux pulsations des
chez Beethoven, chez Bartók.
du temps, qui instaurent le temps, des arts de
tecture est aussi art du temps. La musique crée
rythmes musicaux. Ce rythme peut se retrouver
Bartók peut être considéré comme le premier
l’espace, qui instaurent l’espace. Car l’espace
son espace, immatériel, mais qui nous englobe.
dans l’alternance des parties opaques et des
musicologue ; il parcourait la Hongrie à la re-
permet de rendre évident le caractère matériel
5. Arts abstraits.
parties transparentes d’une façade.
cherche de mélodies traditionnelles, avec un
de l’objet – l’espace offre un objet complexe
La musique et l’architecture n’ont pas vocation
L’harmonie : les dimensions des espaces, lon-
cylindre de cire, pour enregistrer la musique
simultané – l’espace nous situe par rapport à
à reproduire le monde, ou à imiter la nature.
gueurs, largeurs, hauteurs, l’enchaînement de
traditionnelle et tzigane.
l’œuvre.
Paul Valéry raconte leur substance commune,
salles de surfaces différentes dans un même
Le musicologue Erno Lendvai prétend qu’il y
Il est en mouvement ; la musique se déroule
d’être des arts de l’abstrait, cette démarche si
bâtiment peuvent être ordonnés selon des
découvrit l’usage du nombre d’or.
dans son mouvement chronologique de-
particulière qui permet de nous élever au-des-
règles de proportions volontaires et maîtri-
Le nombre d’or, 1,618, est le résultat d’une
vant l’auditeur ; l’architecture, immobile, at-
sus des contingences matérielles ; en cela, la
sées ; de la même façon, la proportion entre la
moyenne particulière, une des médiétés
tend qu’on la parcoure.
musique est un langage sans signifiant, qui
surface de pleins et celles des vides dans une
grecques précédemment évoquées.
Faisons le point :
«s’adresse au cœur sans le secours des mots» ;
façade peut obéir à un rapport de nombre vo-
En quel point couper un segment pour que
1. La musique n’a rien à voir avec l’architecture,
l’architecture épure les formes de la nature, les
lontairement arrêté.
le rapport grand segment/petit segment soit
parce que la musique, c’est des sons, l’architec-
réinterprète par la géométrie.
Les règles de contrepoint, en musique, ces tech-
égal à : totalité du segment/grand segment ?
ture, c’est du béton.
Et ces deux arts ne sont pas descriptifs, ils sont
niques qui permettent les variations d’une idée
On comprend bien que ce point d’équilibre a
Ce type de distinction signifie qu’on définit
polysémiques, autrement dit, leur signification
musicale, sont les suivantes :
quelque chose de lumineux.
quelque chose, uniquement par sa matière :
varie selon ceux qui les perçoivent.
En fait, on aboutit à une équation du deuxième
qu’est-ce qui fait qu’une table est une table ?
6. Arts de nombre.
degré de la forme : ax2 + bx + c= 0 dont la racine
Ce n’est pas qu’elle est en bois ; c’est qu’elle est
C’est pourquoi, l’un et l’autre, en tant qu’ex-
positive est 1,618, la racine négative : -0,618.
composée d’un plateau porté par quatre pieds.
pression aboutie de la réflexion de l’homme,
die initiale, les aigus deviennent graves, les
Sans aller trop loin : 1,618 au carré, c’est 2,618,
2. La musique est mouvement, l’architecture est
de la spéculation, sont si proches de la mathé-
graves aigus,
soit le nombre d’or + 1, l’inverse de 1,618,
immobile.
matique, forme la plus abstraite peut-être de la
1/1,618, c’est 0,618, soit le nombre d’or –1.
Si l’audition de la musique implique qu’on
pensée.
Pour les Anciens, vous comprendrez la valeur
la laisse se dérouler, que l’on reçoive son
Il apparaît donc que la rencontre entre la
immense de ce personnage mathématique.
mouvement temporel, l’architecture mérite
musique et l’architecture n’est certainement
Ce nombre est en quelque sorte magique : on
qu’on la parcoure ; et aujourd’hui, la vitesse
pas fortuite, mais la conséquence de leur
L’équivalent, en architecture, est assez clair :
le retrouve dans la nature, dans la disposition
des automobiles donne une appréhension
consubstantialité.
• le mouvement semblable, c’est une transla-
des feuilles d’arbre, dans la courbe des co-
des constructions totalement dynamique : un
Je voudrais vous renvoyer à la lecture d’Eu-
quilles des gastéropodes, dans les proportions
même défilement devant nous, quelle que soit
palinos ou l’Architecte de Paul Valéry , œuvre
du corps humain. Cette proportion est utilisée
notre position, immobile ou mobile. La projec-
de commande, justement pour illustrer un
depuis les Grecs dans l’architecture. Elle dé-
tion des ombres différentes tout au long d’une
catalogue de réalisations d’architecte, en un
forme le carré vers un rectangle dynamique, ja-
journée sur des volumes architecturaux des-
nombre déterminé de signes. Ce livre est ma-
mais figé. Le Corbusier et Bartok vont l’utiliser
sine une partition graphique. Le voyageur dans
gnifique ; il crée un dialogue imaginaire entre
• le mouvement rétrograde et contraire,
comme référent esthétique fondamental.
un train, cette impression quand son train dé-
Phèdre et Socrate, autour de la fonction d’ar-
une symétrie par rapport à un point.
qui sont bonnes à nos oreilles, le sont aussi pour
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• mouvement semblable, transposition,
dans une autre tonalité, de la mélodie initiale,
• mouvement contraire, inverse de la mélo-
• mouvement rétrograde : la mélodie initiale
est rejouée à l’envers,
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• mouvement rétrograde et contraire :
le mix des deux précédents,
tion,
• le mouvement contraire, une symétrie
horizontale,
• le mouvement rétrograde, une symétrie
verticale,
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Tous ces outils géométriques que l’on retrouve
Quelques exemples
sur les «fonctions clavier» des logiciels de des-
d’architecture musicale
sin.
• Le Disney Hall de Frank Gehry. Milan Kun-
On peut imaginer une architecture représen-
dera, quand il évoque New York, parle de
tant la musique selon les équivalences :
la beauté par hasard. Frank Gehry, c’est la
• en abscisse, x, le temps traduit en longueur.
musique par hasard, surtout quand il s’agit
• en ordonnée, y, la hauteur de la fréquence
d’un hall philarmonique…
de la note en hauteur.
• Renzo Piano (logements sociaux, rue de
• sur l’axe z, le volume sonore en profondeur.
Meaux, à Paris). Quelqu’un comme le Bach
Une sorte de sonogramme, qui ne peut être
de l’architecture, le clavecin bien tempéré,
qu’illustratif.
ou les variations Goldberg, absence de pa-
L’introduction du mouvement dans l’architec-
thos et de sentimentalisme : la spéculation
ture, perspectives diverses selon les parcours,
pure aboutit à l’émotion.
ombres changeantes selon l’heure et les sai-
• Le bâtiment Nani Nani de P. Starck à
sons, est une approche véritablement musicale
Tokyo. Entre la bulle et la coquille, comme
de cet art.
un sonogramme figé dans l’acier, archi-
«L’architecture est le jeu savant correct et magni-
tecte objet qui ponctue la ville comme une
fique des volumes assemblés sous la lumière»,
grande sculpture.
Pierre-Édouard Jeanneret, dit, Le Corbusier.
• Caserne des pompiers, Vitra, de Zaha
Hadid, à Weil-am-Rhein. L’architecture n’est
Peut-on parler alors
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(1) Attali, Jacques
Bruits, Paris, Fayard, 2001 (remise
à jour d’une première parution de
1977)
(2) Giroud, Françoise
Alma Mahler ou l’art d’être aimée,
Paris, Robert Laffont, «Elle était une
fois», 1987
(3) Valéry, Paul
Eupalinos et l’Architecte, Paris,
Gallimard, 1921
plus statique, c’est un faisceau de voiles de
d’architecture musicale ?
béton courbes, où la verticale disparaît.
On peut en conclure qu’une architecture musicale réunirait :
• Gymnase N.Karabatic, de P. Capelier, à
Frontignan. L’espace est fluidifié dans un
• un principe structurel systémique
enchaînement de courbes différentes, sous
• une dynamique des formes dans l’enchaine-
un plafond torique, rythmé par les rais de
ment des espaces et des ouvertures
lumière naturelle ■
• une variation volumétrique, intérieure, extérieure
• une volonté signifiante dans les formes et les
matériaux.
Penser un objet comme une évocation.
Gymnase N. Karabatic
à Frontignan.
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Architecture et psychanalyse :
un questionnement pluriel
Fanny Delafont-Abinal 8 février 2006
À travers la modulation du plein et du vide, l’architecture crée un espace.
Par sa marque au sol et sa représentation, elle donne une image de ce qui n’est
pas mais qui est en devenir. Et par son parcours et sa découverte, elle offre
l’usage du lieu à celui qui en fait l’expérience. L’architecture, par sa pratique,
module le vide. Elle le définit par un jeu avec le plein. Elle crée un dialogue entre
l’intérieur et l’extérieur et permet de définir un dedans et un dehors.
Ainsi, comprendre et pénétrer l’architecture, c’est s’interroger sur sa relation
avec le vide, sur son prolongement à l’extérieur, sur le dialogue avec le plein,
le dehors et le dedans, sur la lumière et sa matérialité.
À travers l’outil de la parole, la psychanalyse questionne le vide.
Le singulier de l’expérience analytique est de permettre au sujet d’acquérir un
nière parallèle le rapport qu’il peut avoir avec
Délimitation du champ architectural
le vide. Le mot vide, qui vient du latin vacuus,
Le domaine architectural
désigne un espace vaste qui ne contient rien.
L’architecture est, déjà au sens originel an-
C’est un espace où il manque quelque chose.
tique, un concept vaste et multiple. De ces deux
Dans un même temps, l’étymologie du mot
racines en grec ancien, l’une arkhé exprime le
nous montre que sa racine latine provient de
principe, la direction et l’entreprise, «le com-
vanus qui signifie vain. En effet, nous pouvons
mencement», et l’autre tektôn, l’invention, la
également définir le vide comme un sentiment
création, la stabilisation, «le charpentier». Ainsi
pénible d’absence, de privation.
l’architecture construit à la fois la charpente
Autrement dit, cette simple définition du mot
d’un édifice mais est aussi au commencement
vide montre une des caractéristiques du vide :
de cet édifice, autrement dit, elle fonde et struc-
un sens à la fois en terme d’espace, mais aussi
ture l’ensemble du bâtiment. Si l’on se réfère à
en terme de perception humaine et de struc-
l’étymologie on peut dire que l’architecture est
ture psychique.
l’art de construire et de structurer le vide.
savoir sur les mécanismes et la logique de ce qui le détermine dans l’inconscient.
Elle est une pratique du langage et de la parole. La psychanalyse obtient donc
Deux champs, deux pratiques
L’architecture s’inscrit
Interroger le vide dans le champ architectural,
dans un contexte réel
c’est tenter de comprendre ce qu’il est, à la
La demande comme genèse du vide
fois dans sa composition, sa morphologie et
Avant même d’interroger le vide, l’architecture
psychanalyse interrogent toutes deux la notion du vide en tentant de rendre
sa structure, mais aussi de saisir sa relation à
définit les besoins et les désirs à travers la de-
compte d’un réel à partir d’un imaginaire et en s’appuyant sur le symbolique.
l’homme à travers sa signification.
mande qui lui est formulée par le client, qu’il
Poser la question du vide dans le champ ana-
soit une personne, une commune, une entre-
ses effets par le moyen de la parole et du discours. L’architecture comme la
Il apparaît intéressant de questionner le vide à travers le domaine architectural et
lytique, c’est tenter de comprendre le sens
prise publique ou privée, l’État. L’architecture
le champ analytique afin de saisir en quoi le vide, à travers la psychanalyse, par
donné à cette notion à travers les registres du
s’étend sur différentes échelles spatiales : l’aire
sa pratique du discours, peut soutenir un dire dans la dimension architecturale.
réel, du symbolique et de l’imaginaire, tels que
humaine, la maison, l’habitat, la ville, l’urbain
Jacques Lacan les définit.
et le rural, le territoire. Pour celui qui exprime
L’architecture, comme le champ analytique, inter-
un désir d’architecture, on peut dire de lui qu’il
rogent tous deux la notion du vide en tentant de
fait l’expérience du vide en demandant à l’ar-
rendre compte d’un réel à partir d’un imaginaire et
chitecture de faire face à ce vide.
Architecture et psychanalyse se rencontrent, se coupent, se traversent,
se croisent, se tressent, se nouent. Elles sont un langage du sujet, et pour le sujet.
en s’appuyant sur la symbolique.
Préambule
tecture, il m’est apparu intéressant de pousser
Au cours de mes études d’architecture, j’ai été
le questionnement en tentant d’acquérir les
sensibilisée au lien qui pouvait exister entre
outils nécessaires. J’ai donc suivi un DEA de
l’élaboration d’un projet d’architecture et la
psychanalyse durant un an à l’université Paul
construction du sujet à travers sa structure psy-
Valéry de Montpellier. L’objectif de ce travail de
chique.
recherche a été d’interroger la question du vide
Ma rencontre avec la psychanalyse, dans sa
à travers l’architecture et la psychanalyse.
pratique et son discours, est un itinéraire, au fil
Fanny Delafont-Abinal
est urbaniste graphiste.
36
des ans, qui s’est mêlé à ma propre histoire et
Au commencement,
à mon parcours. Chercher à résoudre l’énigme
un questionnement : le vide
du vivant et de notre présence sur terre, à com-
La nécessité d’interroger, c’est-à-dire d’accueil-
prendre comment l’homme se construit et se
lir sous forme de questions l’espace, celui dans
structure dans l’espace du quotidien. Cette re-
lequel nous évoluons quotidiennement et que
cherche s’inscrivit dans une démarche concrète
nous ne connaissons pas. Il nous est apparu
à travers l’apprentissage de l’architecture.
nécessaire de chercher à mieux comprendre
Suite à l’obtention de mon diplôme d’archi-
cette notion d’espace en interrogeant de ma-
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L’architecture est une pratique du vide, elle est le
Le vide comme contexte
lieu pour le sujet. Elle est à la fois le lieu en desti-
L’architecture à travers sa pratique est une ré-
nation du sujet et le lieu pour le sujet. Alors le lieu
ponse à la demande d’un autre, qu’il soit usa-
et le sujet sont équivalents, ils sont une seule et
ger ou commanditaire. Elle tente de donner
même destination de l’architecture. L’architecture
des solutions spatiales à des besoins et des en-
s’établit dans un contexte réel et fait appel à l’ima-
vies. Dans un même temps, l’architecture s’im-
gination de l’architecte pour concevoir et rendre
plante dans un site et prend en compte toutes
compte de son projet en tenant compte de la réali-
les contraintes liées au lieu. Il est nécessaire
té de la demande.
de comprendre le vide sur lequel l’architecture
La psychanalyse, elle, est une praxis, c’est-à-
vient se poser pour lui donner un sens singulier
dire une pratique de discours où le psychisme
attaché à ce lieu. En effet, l’étude de la topogra-
est le lieu du dire, le lieu du sujet. Pour saisir sa
phie, de l’hydrographie, du végétal, de la mise
construction psychique, elle s’appuie sur son
en contact avec le contexte environnant, les
discours à travers les champs du réel, de l’ima-
perceptions et les ambiances sont importants
ginaire et du symbolique. Elle utilise de nom-
à définir, à observer et à analyser pour que jail-
breuses métaphores spatiales et architectu-
lisse du site, vide de construction, un édifice
rales qui sont utilisées par le sujet du discours
doté de sens et de cohérence par rapport au
analytique et également par Sigmund Freud et
lieu où il s’implante. Ainsi, l’architecture s’ins-
Jacques Lacan dans leur théorisation de la psyché.
crit dans un contexte réel.
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L’architecture
organise le vide
par la trace
L’espace comme pratique du vide
un dialogue entre l’intérieur et l’extérieur et
tation de l’édifice dans son volume). Elles sont
Le sujet a accès à l’imaginaire par le langage et
Nous vivons dans l’espace, dans ces espaces,
permet de définir un dedans et un dehors. Ain-
un moyen de communiquer, de représenter un
donc par la symbolique. En conséquence, nous
dans ces villes et ces quartiers, dans ces mai-
si, comprendre et pénétrer l’architecture, c’est
bâtiment à venir. Ces différentes étapes enri-
pouvons dire qu’il y a un nouage, un tressage
sons qui les structurent et ces jardins qui les
s’interroger sur sa relation avec le vide, sur son
chissent et organisent la conception et l’élabo-
des trois champs.
rendent appropriables. C’est réel.
prolongement à l’extérieur, sur le dialogue avec
ration du projet. Elles se déroulent pendant la
L’architecture s’appuie sur une communica-
le plein, le dehors et le dedans, sur la lumière et
réalisation. Tous ces moments sont indispen-
La parole comme point de vide
tion permanente entre le vide et le plein. Elle
sa matérialité.
sables à la conception et à l’étude afin de pou-
Le singulier de l’expérience analytique est de
donne un cadre, une limite au vide et ainsi crée
C’est considérer que l’architecture n’est pas
voir imaginer un projet futur qui n’est pas là.
permettre au sujet d’acquérir un savoir sur les
l’espace dans lequel l’homme vit. C’est le fon-
seulement l’exploration plus ou moins com-
Elles sont aussi indispensables pour communi-
mécanismes et la logique de ce qui le déter-
dement même de l’architecture : l’architecture
plexe d’un cube ou d’un parallélépipède, mais
quer, faire comprendre les différentes données
mine dans l’inconscient. Elle est une pratique
comme pratique de l’espace.
un espace à aborder en terme de complémen-
du projet.
du langage et de la parole. La psychanalyse
L’homme fait ainsi usage du lieu à travers le
tarité où plein et vide, intérieur et extérieur sont
L’architecture organise le vide par la trace et
obtient donc ses effets par le moyen de la pa-
vide qu’il emprunte (us, famille du latin uti,
étroitement imbriqués.
le trait, en donne une structure représentable.
role et du discours. «Ainsi le mot rend présent
usus «faire usage de» d’où usus «usage» et «uti-
L’architecte imagine un projet. A travers la re-
Elle tisse le vide et le plein.
la chose qu’il désigne dans son absence.» De
lisé»), il utilise le vide comme support de son
présentation du jeu de plein et de vide, il écrit
Interroger le vide à travers le champ architectu-
la même manière que les peintures rupestres
expérience. Il donne ainsi sens au vide en tant
une histoire et donne au projet une dimension
ral, c’est aussi conceptualiser le jeu de plein et
où la main représente la main absente ; c’est la
qu’élément indissociable de son être.
réelle.
de vide, d’intérieur-extérieur pour donner nais-
main de la mère sur l’enfant, qui le refaçonne et
Interroger le vide à travers le champ architectu-
sance à la création et à l’imagination.
le reforme, le support devient surface. C’est le
La représentation architecturale
Le champ analytique use des même mots pour
support qui vient vers nous.
à travers un contexte singulier. C’est ainsi faire
comme structure du vide
parler du sujet : à savoir, de représentation, de
Ainsi la grotte est le support de la surface,
corps avec l’espace, faire usage du vide dans
Ainsi, à travers l’outil de représentation, l’ar-
trace. Mais donne-t-il le même sens aux repré-
elle est ce qui accueille, qui cueille la parole,
un réel.
chitecture simule et imagine la présence d’un
sentations du vide ?
le langage, (accueil, du latin accolligere : leg,
Les outils du domaine architectural
tanément pas là, ou qui n’existe pas encore,
Le vide comme concept
ou qui peut même être à l’état d’idée ou de
L’architecture d’un édifice est bâtie à l’aide
concept. L’architecte en représentant un objet
de divers éléments constructifs, soit verti-
fait apparaître, rend visible à l’aide d’images,
caux (murs, piliers, poteaux), soit horizontaux
de reproductions, ce projet absent dans sa ré-
(poutres, planchers). Ces éléments constituent
alité construite. Il se représente réellement un
les matériaux de l’architecture. L’architecture,
espace, il visionne mentalement des édifices,
en composant ces différents éléments pleins,
qui ne sont encore que virtuels, en saisit leurs
donne vie aux vides. Elle les articule les uns
complexités morphologiques et le rapport vo-
avec les autres par l’intermédiaire d’autres
lumétrique qui peut exister entre eux.
éléments de vide : les portes, les fenêtres, les
espaces de transition.
38
Le trait et la trace
Ainsi, l’architecture, en dépassant la somme
comme délimitations du vide
des techniques, peut faire advenir, par le jeu de
Le plan est à la base de l’inscription sur le sol
la forme et par la construction du vide, l’espace.
de la structure qui viendra prendre vie dans sa
A travers la modulation du plein et du vide, l’ar-
volumétrie. Il constitue un des moyens fonda-
chitecture crée un espace. Par sa marque au
mentaux de la représentation architecturale. Le
sol et sa représentation, elle donne une image
plan est un dessin, selon une section horizon-
de ce qui n’est pas mais qui est en devenir. Et
tale, de la construction. Il est l’instrument qui
par son parcours et sa découverte, elle offre
permet de saisir la structure.
l’usage du lieu à celui qui en fait l’expérience.
La représentation d’un projet se fait aussi à
Ainsi, nous essaierons d’interroger ces diffé-
l’aide d’élévations (représentation verticale
rents points fondateurs de l’architecture dans
d’une des faces du bâtiment telle qu’on peut
sa pratique du vide.
la voir dans la réalité) de coupes (représenta-
L’architecture, par sa pratique, module le vide.
tions qui révèlent sur une section la structure
Elle le définit par un jeu avec le plein. Elle crée
de la construction) et de maquettes (représen-
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en donne
une structure
ral, c’est d’abord questionner le désir de l’autre
objet absent ou lointain, qui n’est momen-
et le trait,
représentable.
Elle tisse le vide
et le plein.
«cueillir», «choisir», legere «lire» et legein en grec
Délimitation du champ analytique
«rassembler» ou «dire»). Ainsi, le langage naît
Le champ analytique
comme accueil et de la parole et de l’envoi.
Le champ d’investigation de la psychanalyse
Accueillir c’est donner, et ce n’est pas prendre.
renvoie à la vie psychique des êtres humains,
Or, l’autre ne donne pas tout parce qu’il ne peut
dans sa double composante consciente et in-
pas tout me donner.
consciente, par le biais de la parole. Autrement
C’est ainsi un point impossible à atteindre qui
dit, c’est la mise en évidence des signifiants
génère un manque. Ce qui permet alors au
de la parole, des actes, des productions ima-
sujet de demander ce qu’il ne peut pas avoir :
ginaires d’un sujet. Le champ analytique per-
l’objet manquant. De ce fait, la psychanalyse
met de repérer et de saisir les formations psy-
est le rappel de l’inconscient du sujet comme
chiques du sujet à travers les notions de réel,
un point de vide, comme le manque à être de
de symbolique et d’imaginaire. Ils forment à
l’humain. Elle interroge ce vide comme consti-
eux trois une structure.
tutif du sujet car le sujet est toujours en quête
Lacan désignait par réel, une réalité phénomé-
de ce manque.
nale, immanente à la représentation et impossible à symboliser. Par symbolique, il entend
Le lieu comme symbole du vide
un système de représentations fondées sur le
De quelqu’un qui, pour la première fois, vient
langage, c’est-à-dire des signes et des signifi-
s’adresser à un psychanalyste, on pourrait dire
cations qui déterminent le sujet à son insu en
que le récit disponible de sa vie connaît des
lui permettant de s’y référer consciemment ou
lieux. Ces lieux et ces espaces sont restitués
inconsciemment lorsqu’il exerce sa faculté de
par une évocation du passé et le récit qui re-
symbolisation. Enfin, l’imaginaire désigne ce
cherche l’évènement paraît être entraîné par
qui a trait à l’imagination. Autrement dit, à la
un nombre infini de détails précis de sa vie. La
faculté de se représenter des choses en pensée
parole paraît se fondre elle-même sur une re-
indépendamment de la réalité. L’imaginaire au
présentation spatiale de la psyché.
sens lacanien se définit comme le lieu du moi.
Lorsque le sujet, par le biais de la parole, vient
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Le lieu d’où
l’on parle,
le lieu du dire
est ce qui constitue
donner à entendre ce qu’il n’entend pas de
C’est dans l’élaboration de sa théorie du rêve
Le rapport intérieur-extérieur
un concept central de son thème de pensée ;
l’endroit où il est, la manière dont sa voix vient
en 1900 que Freud dégage le plus clairement
comme élément déterminant du vide
le signifiant devient en psychanalyse l’élé-
pour chacun
se moduler ou ne pas se poser en détermine les
ce qu’il entend par désir. Sa définition la plus
«Le sujet se fabrique dans la rencontre du de-
ment significatif du discours (conscient ou in-
limites si elles existent. Ainsi, le lieu d’où l’on
complète fait référence à ce qu’il appelle l’ex-
dans dehors et d’une insatisfaction de départ.»
conscient) qui détermine les actes, les paroles
d’entre nous
parle, le lieu du dire est ce qui constitue pour
périence de satisfaction : il s’agit là de l’expé-
Bernard Salignon, à travers le champ analy-
et la destinée d’un sujet.
chacun d’entre nous notre habiter. C’est là où
rience originelle qui, selon Freud, consiste en
tique, nous enseigne l’importance de la perte
s’abrite notre subjectivité.
l’apaisement, chez le nourrisson, grâce à une
dans la structure psychique. La conscience de
Les outils du champ analytique
Selon Freud, l’être humain est d’emblée mar-
intervention extérieure (sa mère, ou une autre
cette perte se fait avec la découverte du monde
Les métaphores spatiales
qué par un clivage qui reste la forme matricielle
personne), d’une tension interne provoquée
extérieur.
du rapport de l’homme au monde.
par le besoin (la faim). Selon Freud, pour ce
Dans Malaise dans la culture, Freud nous
Freud fait usage de nombreuses métaphores
L’espace se construit autour de ce clivage ;
nourrisson, l’image de l’objet apportant la sa-
montre par un exemple l’importance de
dans son style même, pour représenter le vide.
l’idée la plus simple est donnée par l’analyse
tisfaction prend une valeur décisive dans la
l’expérience de l’existence d’un dehors. «Le
Pour donner à comprendre une représentation
des premiers moments de la vie pour le nour-
constitution ultérieure du désir du sujet ; elle
nourrisson ne fait pas encore le départ entre
théorique de l’appareil psychique, il utilisera à
risson : celui-ci n’a de cesse de réclamer ce qu’il
ne cessera jamais, en effet, de guider le sujet
son moi et un monde extérieur comme source
plusieurs reprises une écriture métaphorique-
a perdu dans l’Autre (la mère), car retrouver
dans la quête d’un objet de nature à satisfaire
des sensations affluant sur lui. Il apprend à le
ment spatiale.
l’objet qui manque est le propre de tout être
son désir. Ainsi la relation à l’autre passe par le
faire peu à peu en vertu d’incitations diverses.»
En effet, dans une note manuscrite, Freud
qui entre dans la vie.
désir du sujet.
Freud évoque l’expérience et la découverte de
écrit : «Il se peut que la spatialité soit la pro-
Ainsi la psychanalyse interroge le vide comme
Le désir est lié à ce que Freud appelle des
l’excitation à travers laquelle l’enfant découvre
jection de l’extension de l’appareil psychique.
constitutif du sujet. Elle dévoile l’inconscient
«traces mnésiques», à savoir des traces restées
ses organes du corps. Il en saisit le plaisir et la
Aucune autre déduction n’est vraisemblable. La
du sujet comme point de vide, comme le
dans la mémoire du sujet et trouve son «ac-
frustration que certains désirs se soustraient
psyché est étendue, elle n’en sait rien». De toute
manque à être de l’humain.
complissement» dans la reproduction halluci-
à lui comme le sein maternel. Freud poursuit
évidence, l’ensemble de ces petites notes sert
natoire des perceptions devenues les signes de
Le désir et le manque
plus loin : «par-là s’oppose au moi pour la pre-
de préparation à l’écriture de l’Abrégé de psy-
cette satisfaction. Freud n’identifie pas le désir
comme structure du vide
mière fois un «objet» en tant que quelque chose
chanalyse, (ouvrage commencé en juillet 1938
au besoin (biologique). Le besoin trouve en
A l’aide, à la fois de la parole, de la libre associa-
effet sa satisfaction dans des objets adéquats
qui se trouve «au-dehors» et qui donne une nou-
et inachevé).
tion du côté du patient et de l’interprétation du
comme la nourriture par exemple, alors que le
velle impulsion au détachement du moi d’avec
«...La localisation. Nous admettons que la vie
côté du psychanalyste, l’analysant reconstitue
désir est lié à des souvenirs.
la masse des sensations, donc la reconnais-
psychique est la fonction d’un appareil auquel
en quelque sorte l’histoire qui l’a conduit à un
Après avoir distingué le besoin du désir,
sance d’un «dehors , d’un monde extérieur».
nous attribuons une étendue spatiale et que
état de souffrance dont il ignore les causes. Ce
Lacan introduit la question de la demande qui
«... C’est peut-être ça que je sens, qu’il y a un de-
nous supposons formé de plusieurs parties».
travail sur soi, à travers le transfert, est fondé
s’adresse à autrui. Autrement dit, le besoin, de
dans et un dehors et moi au milieu, c’est peut-
Plus loin dans le texte, Freud donne les raisons
sur l’exploration de l’inconscient, inconscient
nature biologique, se satisfait d’un objet réel,
être ça que je suis, la chose qui divise le monde
de cette spatialité : «En admettant l’existence
qui détermine le sujet.
tandis que le désir naît de l’écart entre la de-
en deux, d’une part le dehors, de l’autre le de-
d’un appareil psychique à étendue spatiale, bien
La psychanalyse pose la question du désir et
mande et le besoin. Il porte sur un autre imagi-
dans, ça peut être mince comme une lame, je ne
adapté à son rôle, développé par les nécessités
du rapport à l’autre, c’est-à-dire de la relation
naire. Il est donc désir du désir de l’autre.
suis ni d’un côté ni de l’autre, je suis au milieu,
de l’existence et qui ne produit les phénomènes
de l’homme à son entourage, à son désir et à
L’enfant, donc, n’accède au désir proprement
je suis la cloison, j’ai deux faces et pas d’épais-
de la conscience qu’en un point particulier et
l’objet dans la perspective d’une détermination
dit qu’en isolant la cause de sa satisfaction qui
seurs, c’est peut-être ça que je sens, je me sens
dans certaines conditions». Ce moment est fon-
inconsciente. En 1957, dans La direction de la
est l’objet cause du désir, en l’occurrence, le
qui vibre, je suis le tympan, d’un côté c’est le
dateur pour comprendre une approche psy-
cure et les principes de son pouvoir, Lacan in-
mamelon de la mère. Or, le nourrisson ne peut
crâne, de l’autre le monde, je ne suis ni l’un ni
chanalytique du vide. L’«étendue spatiale» ren-
troduit l’inconscient comme «un lieu de dé-
isoler cet objet de désir que s’il en est privé,
l’autre...». Autrement dit, le sujet est perdu.
voie à cette étendue indéfinie qui contient et
ploiement de la parole» où le «désir de l’homme
c’est-à-dire si la mère laisse place au manque
«Exister, c’est se perdre». Celui qui fait l’expé-
entoure tous les objets : le vide. Mais comment
est le désir de l’Autre».
dans la satisfaction de la demande. Dès lors, le
rience de la quête de l’objet perdu rend par son
parler du vide sans l’associer à l’espace ? Freud
Le sujet se demande «que veut l’autre ?». Et,
désir pourra advenir, au-delà de la demande,
discours et sa parole une métaphorisation de
nous montre bien cette nécessité de nommer
dans cette interrogation, il interroge sa propre
comme «manque de l’objet». Ce manque que
cette perte à travers des images spatiales.
cette étendue, de lui donner une épaisseur, un
identité. Autrement dit, cette démarche d’ex-
le sujet cherche à combler par l’objet occur-
A travers différents textes, l’exploration de
découpage, une forme. Ainsi, à l’aide de méta-
ploration de l’inconscient à travers la parole
rent de son désir est toujours relatif à une ex-
l’espace par les concepts analytiques nous
phores, la psychanalyse appuie son dire et le
sous transfert permet au patient, dans sa re-
périence de satisfaction antérieurement vécue.
enseigne, par les détours de l’imaginaire, du
rend représentable.
symbolique et du réel que l’espace se saisit du
A travers des termes comme «antichambre»,
côté du signifiant (de base latine sign, expri-
«frontières», «entre systèmes», il donne à imager
mant l’idée de «signe», de «marques distinctes».
l’aspect spatial de la configuration de l’appareil
Lacan considère le terme de signifiant comme
psychique. «Nous assimilons donc le système de
notre habiter.
C’est là où s’abrite
notre subjectivité.
lation à l’autre, de formuler son désir. Le désir
étant, pour Freud, l’accomplissement d’un souhait ou d’un vœu inconscient.
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La mémoire est un
médium du vécu,
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l’inconscient à une grande antichambre dans
Les lieux de la mémoire
un projet (jeter devant) à travers le réel, l’imagi-
Le désir est au point de départ de cette relation.
laquelle les tendances psychiques se pressent,
comme symbole du vide
naire et le symbolique, et dans un même temps
L’architecture par le biais de l’architecte, va
tels des êtres vivants. A cette antichambre est
Pour quelqu’un qui fait l’expérience de la com-
l’homme se construit en tant que sujet.
structurer le vide, lui donner des limites. L’archi-
attenante une autre pièce, plus étroite, une sorte
préhension de son être au monde, on pourrait
de salon, dans lequel séjourne la conscience.
dire que le récit de sa vie connaît des lieux de
Construire le vide
sur les souhaits du client. Aussi la construction
Mais à l’entrée de l’antichambre, dans le salon,
sa mémoire. En effet, par le biais de la parole et
L’homme a un rapport au vide car quelque
est un moment essentiel pour que l’architec-
veille un gardien qui inspecte chaque tendance
du langage, la remémoration de souvenirs sou-
chose en lui ne cesse de se retirer. Il est animé
ture prenne sens. De la même manière pour le
psychique, lui impose la censure et l’empêche
vent lointains dans le temps, «recherche une
par la perte et le manque. Cette perte qui le
sujet qui tente de chercher l’objet manquant,
d’entrer au salon si elle lui déplaît.»
sorte de réalité du passé vécu grâce au souvenir
structure va avoir un impact sur son rapport à
le psychanalyste est amené à élaborer de vé-
Nous repérons bien par cette citation les em-
des localisations des espaces».
l’expérience même de la spatialité.
ritables constructions et à les proposer à son
prunts au champ architectural que Freud uti-
Ils viennent dans la parole avec une précision
lise pour éclairer et rendre compte de cette
visuelle et spatiale. Ces lieux et ces espaces
Objet perdu, objet manquant
Dans son texte de 1937, Construction dans
clinique.
sont restitués par un nombre infini de détails
L’architecture va créer un objet à l’aide d’un
l’analyse, Freud rappelle que, dans la cure
précis que la mémoire ignorait connaître, ou
vide encore inexistant. A travers la demande,
analytique, «ce que nous souhaitons, c’est une
La représentation
n’aurait pas imaginé avoir pu conserver. Ainsi la
elle en définit un contexte, à travers la modula-
image fidèle des années oubliées par le patient,
comme mode d’organisation
recherche d’une «réalité passée» ressuscite ces
tion et les outils qu’elle possède, l’architecture
image complète dans toutes ses parties essen-
Que ce soit Freud ou Lacan, tous deux ont usé
lieux de la mémoire.
crée un espace. Par le trait et la trace, elle lui
tielles». Ces images complètes ne sauraient
de représentations graphiques pour introduire
Et les lieux de la mémoire jouent ici un jeu de
donne une représentation. Tout au long de sa
être produites par le patient directement, d’où
leurs différentes théories. Prenons par exemple
spatialité, où les souvenirs écrans seraient as-
démarche, l’architecture cherche à donner un
la nécessité du psychanalyste de faire «accou-
les graphes de Lacan. Ils se composent de
similés à des images du contenu de nos rêves.
sens au vide, à cette étendue manquante. Elle
cher» le patient. Par le biais de la parole, le
quelques sigles, de lignes qui les relient. L’en-
Dans les Constructions de l’analyse, Freud
la façonne et la construit pour lui donner un
patient va livrer du matériau constitué de frag-
semble donne une figure qu’on peut dire topo-
ajoute que «son travail de construction ou, si
cadre, des limites, une structure. Aussi, c’est
ments ou d’idées incidentes que le psychana-
logique. Il emploie des images comme artifice
l’on préfère, de reconstruction présente une res-
par ce manque d’objet que l’architecture peut
lyste, par l’interprétation, va lui restituer en lui
pédagogique qui nous aide à nous retrouver
semblance profonde avec celui de l’archéologue
se projeter car elle part d’un rien, d’un vide
donnant du sens.
dans les méandres du discours.
qui déterre une demeure détruite et ensevelie,
pour construire un plein et un vide en mouve-
Ainsi le psychanalyste, d’après les indices
C’est ainsi que les schémas de Lacan nous per-
ou un monument du passé.» Freud prend soin
ment.
échappés de l’oubli par son patient, doit en-
mettent de nous représenter l’imaginaire et le
de préciser que la tâche de l’analyste est iden-
Le sujet, lui, va chercher l’objet perdu à travers
tendre et construire ce qui a été oublié. Son
réel comme pouvant s’inclure l’un dans l’autre.
tique à celle de l’archéologue et par extension à
la parole. Le sujet donne à entendre le vide qui
travail de construction présente une ressem-
De fait, nous pouvons considérer l’objet de la
l’architecte qui réhabilite, à ceci près que l’ana-
l’habite. A l’aide de représentations, il symbo-
blance avec le travail de l’architecte qui donne
perception soit comme étant ce qu’on imagine
lyste travaille à partir de l’humain et non sur un
lise ce vide, lui donne une structure. Le sujet est
naissance à un édifice à partir d’un vide sur
à l’intérieur des formes réelles de la surface,
objet en friche ou entièrement détruit.
animé par le manque comme objet de son dé-
lequel il analyse les composantes, les indices
soit comme étant le réel qui donne corps à ces
«La mémoire est un médium du vécu, comme le
sir. Et c’est parce qu’il y a manque que le sujet
que le site lui offre (topographie, hydrologie,
mêmes formes.
sol est le médium dans lequel les villes antiques
peut se projeter.
contextes urbain et naturel...). Ainsi, le domaine
Freud a centré sa conception de la représenta-
gisent ensevelies. Celui qui cherche à s’appro-
Autrement dit, le manque d’objet est à l’origine
architectural et le champ analytique s’appuient
tion de l’objet sur la notion d’objet perdu. L’ob-
cher de son propre passé enseveli doit se com-
de la création dans le sens étymologique de
sur le rapport à l’autre.
jet étant ce qui est investi par le sujet. Ce par
porter comme un homme qui fait des fouilles.»
crerare «créer», «faire pousser» qui vient du mot
Pour répondre à l’énigme de son être au
quoi un sujet établit un lien avec l’extérieur. Si
Psychanalyse et architecture interrogent par
«croître». Pour l’architecture, c’est l’opération
monde, le sujet s’adresse à un psychanalyste et
on interroge l’étymologie du mot objet, objec-
des moyens différents le vide. L’architecture
par laquelle l’architecte donne naissance au
pour satisfaire à un espace manquant, le sujet
tum en latin, participe passé neutre substanti-
questionne la demande, la psychanalyse est
projet. Pour le sujet, il en va de même, c’est ce
se tourne vers un architecte. Pour que ce désir
vé, alors on comprend que celui–ci soit «ce qui
travaillée par le désir. Le vide crée un espace et
qui lui permet de se projeter en tant que sujet.
de construire autour du vide prenne sens, le su-
se présente au sens», qui est «jeter devant». (La
un lieu déterminant pour le sujet qu’il soit en
base «jet», de la famille de jeter : objectum de
quête de l’objet perdu ou du projet absent.
objicere, objectus «jeter devant»).
Il existe donc bien une caractéristique propre à
à la construction
Cela implique que le sujet déplace son désir
Selon Freud, le rapport que le sujet établit au
ces deux domaines qui, au-delà du vide, définit
Concevoir, c’est déjà donner les prémices de
inconscient, le transporte, le transfère vers un
monde n’est pas un rapport direct à l’objet,
son champ d’action à travers un réel, une sym-
l’objet architectural en projet dans l’articula-
psychanalyste ou un architecte. Aussi chercher
mais il est en rapport avec un objet perdu. C’est
bolique et un imaginaire. Tous deux s’appuient
tion d’objet à projet. Autrement dit, ce qui est
à construire le vide nécessite un transfert, un
un lien au manque d’objet. Lacan évoque la
sur ces trois champs pour donner sens au
jeté devant, qui prend sens à travers la concep-
déplacement vers l’autre.
nécessité pour l’homme de passer par la perte
vide, à la fois à l’échelle spatiale, mais aussi à
tion et qui se réalise grâce à la construction. La
pour accéder à la représentation.
l’échelle du sujet. Ainsi l’architecture construit
construction s’établit dans un rapport à l’autre.
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comme le sol est le
médium dans lequel
tecte va construire l’objet projet en s’appuyant
les villes antiques gisent
ensevelies.
Celui qui cherche à
s’approcher de son
analysant dans le cadre du transfert.
propre passé enseveli
doit se comporter
comme un homme qui
fait des fouilles.
jet est dans la nécessité de repérer ce vide dans
L’autre comme passerelle
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le cadre d’une relation à l’autre.
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L’architecture
a cette nécessité de
construire pour donner
sens au vide.
La nécessité de construire le vide
jusqu’à la toiture. Bien évidemment, que ce soit
que je les écris s’appellent le symbolique, l’ima-
L’architecture projette une histoire. Là où il n’y a
dans le champ analytique ou dans le domaine
ginaire et le réel.»
bois, avec des fondations, des murs, où l’on
Sans construction,
que poussière, l’architecture produit une forme ;
architectural, il existe toujours un va-et-vient
Parler de «dits-mansions», c’est dire que l’es-
peut se cogner, s’enfermer, s’abriter des élé-
forme que l’homme habite dans la rencontre
entre les différents stades et étapes. L’évolution
pace est structuré comme un langage, que
ments «naturels» ; elle peut être démolie par
il n’y a pas de projet,
d’un réel construit par l’architecte. En dépassant
du sujet comme du projet, nécessite un retour-
l’homme habite le langage. Le dit a un lieu, et
les guerres ou les séismes, et l’on se heurte
la somme des techniques, l’architecture peut
nement régulier pour pouvoir construire le pro-
le lieu est une création du dit. Seule une «to-
à des contraintes réelles. Par sa marque au
faire advenir, par le jeu du plein et du vide, la
jet ou se construire de manière structurée et
pologie», qui permet de ponctuer et non une
sol, l’architecture donne une empreinte, une
forme : une construction de l’espace. En interro-
solide. L’architecture contribue à la construction
«géométrie», qui reste dans le sens limite, en
trace au même titre que tout ce qui fait trace
geant sa parole, ses rêves, ses actes, le sujet met
du socle du sujet dans le sens où elle est arkhé.
rend compte.
à jour son désir inconscient.
Habiter le vide, c’est avoir, se tenir ou encore
En introduisant cette décomposition des trois
Ces maisons qui correspondent à des caté-
Il donne sens à son contenu. Ainsi le sujet se
demeurer, c’est l’essence même de l’homme,
dimensions en trois «dits-mansions», Lacan arti-
gories du langage permettent d’interroger la
construit dans un réel, un imaginaire et une
c’est ce qui le pousse à bâtir, à construire, à se
cule le lien étroit qui peut exister entre l’espace
forme donnée à un lieu. Elles sont le support
symbolique. Il construit sa réalité psychique.
construire en tant que sujet.
architectural composé par trois dimensions
d’une compréhension de l’espace pour le sujet.
spatiales et l’espace du discours du sujet qui
En effet, Florence de Mèredieu, dans Le dessin
ou s’il existe, alors il
n’est que concept.
L’architecture donne une structure au vide, elle
dans la construction du sujet.
établit le socle de l’édifice, y pose des fonda-
Habiter le vide
s’appuie sur les trois «dits-mansions». L’homme
de l’enfant, nous dit que «parmi tous les thèmes
tions solides pour maintenir les éléments qui se
Construire, au-delà des données techniques,
a cette nécessité d’habiter le vide pour se pro-
possibles, celui de la maison peut permettre de
construiront au-dessus. La psychanalyse donne
c’est donner naissance à un projet. Si l’homme,
jeter en tant que sujet. Il donne au vide trois di-
saisir comment l’enfant vit l’espace. Premier es-
une structure au vide. Lacan dit de l’inconscient
par le biais de la parole, tente de répondre à
mensions comme support de sa construction.
pace exploré, symbole du milieu familial où se
qu’il est structuré comme un langage. Et c’est
la question de son être au monde, c’est par sa
Le sujet construit le vide à l’aide des méta-
déroulent les toutes premières expériences dé-
à cette occasion qu’il a essayé de formaliser le
construction qu’il se projette en tant que sujet.
phores. Il localise ce vide en donnant des
cisives, la maison apparaît violemment chargée
discours analytique avec des schémas et des
A l’aide d’images et de représentations du vide,
images et des représentations spatiales.
d’affects. L’enfant y projette ses angoisses, ses
graphes.
l’architecture comme la psychanalyse lui donne
On retrouve dans les textes de Freud et de
fantasmes. La maison cesse alors d’être milieu
L’architecture a cette nécessité de construire
un langage. Construire nécessite d’habiter le
Lacan mais aussi à travers des récits cliniques
cosmique pour devenir l’image de cet espace or-
pour donner sens au vide. Sans construction,
vide, d’habiter la perte.
un vocabulaire spatial lié à la maison. Comme
ganique et intérieur qui n’est autre que l’espace
il n’y a pas de projet, ou s’il existe, alors il n’est
Le vide permet le mouvement, le parcours, la
par exemple : la chambre, la porte, le salon, la
du corps et des sensations viscérales.»
que concept. Un édifice comme un être humain
vie. L’homme, lui, en fait usage. Le sujet habite le
serrure...
se construit pas à pas, suivant des stades et des
lieu et l’architecture lui donne ainsi à travers son
Ainsi, nous avons choisi d’illustrer les propos
Conclusion
étapes. Le stade est défini comme une modalité
intervention dans et avec le vide une disposition
de Lacan sur les «trois dimensions» à travers
L’objectif de ce travail de recherche a été d’inter-
de la relation à l’objet et à son évolution. Dans
à être présent au monde. L’espace n’est pas seu-
l’évocation de la maison, dans les champs de
roger la question du vide à travers l’architecture et
le champ analytique, les stades correspondent à
lement composé de murs, d’un sol et d’un toit.
l’imaginaire, du symbolique et du réel afin de
la psychanalyse.
la différenciation des âges de la vie, des étapes,
L’espace, c’est le vide qui existe entre les diffé-
montrer les nombreuses équivalences qui
Pour conclure provisoirement, je dirai que s’il
ou des moments de l’évolution.
rents éléments qui l’organisent et c’est dans cet
peuvent exister entre la maison construite par
nous est apparu que le vide dans un sens archi-
S’agissant de l’architecture, elle aussi est struc-
entre (antre) que le sujet se construit.
l’architecte et la maison psychique.
tectural, c’est d’abord questionner le désir de
turée par différents stades dans l’évolution
«La maison, elle aussi, est un lieu qui se construit
• La maison «imaginaire» permet d’investir et
l’autre à travers un contexte singulier, la psycha-
du projet. En effet, dans un premier temps, on
autour des objets perdus». La maison est le lieu
d’habiter un lieu. Elle est le lieu où le sujet a la
nalyse nous a enseigné qu’elle est travaillée par le
distingue la phase d’esquisse qui correspond
dialectique du dedans-dehors, tout comme le
faculté de se représenter les choses en pen-
désir. L’architecture comme la psychanalyse s’ap-
au moment où le projet se dessine, se concep-
psychisme humain se meut entre intérieur et
sée et indépendamment de la réalité. C’est le
puient sur le désir pour cerner le vide.
tualise, s’implante dans un milieu mais sous la
extérieur.
lieu du moi. Elle est liée au corps et à l’image.
Nous avons vu aussi que par le jeu du plein et du
forme de principes et d’intentions.
Elle participe à la construction narcissique
vide, de l’intérieur et de l’extérieur, l’architecture
La demeure comme symbole
du sujet en tant qu’elle est empreinte d’une
donne naissance à la création, à l’imaginaire. Elle
échelles plus adaptées les grandes lignes du
du vide construit
certaine sécurité, d’une protection. En té-
crée un lieu et l’homme en fait usage dans un réel,
projet. Plans masses, plans successifs, coupes
En bâtissant sa demeure, l’homme donne à
moignent par exemple les lieux de l’enfance.
un imaginaire et une symbolique. Ce jeu qui crée
et élévations viennent appuyer l’idée du pro-
l’espace les trois dimensions qui lui sont sin-
• La maison «symbolique» serait liée d’une part
le lieu est déterminant pour le sujet, qu’il soit en
jet. Puis vient le stade de projet à la fois dessi-
gulières. Lacan en 1973, lors d’un séminaire,
à un système de représentations fondées sur
quête de l’objet perdu ou du projet absent. Le
né et chiffré, et enfin suit la partie dédiée à la
nomme dans «Les non-dupes errent» les trois
le langage, c’est-à-dire sur des signes et des
trait, la trace et la marque au sol, délimitent le
construction du projet, c’est ce que l’on nomme
dimensions qui revisitent l’esthétique kan-
significations qui déterminent le sujet. Autre-
vide. Par ces outils, l’architecture donne une
le chantier.
tienne : réel, symbolique et imaginaire. «C’est
ment dit, elle est rattachée à la dynamique
structure au vide, elle l’organise. La psychanalyse
Au commencement il y a les fondations, puis les
qu’il y a trois dimensions de l’espace habité par
singulière du désir, donc aux signifiants d’un
va s’appuyer sur les représentations de l’objet
murs porteurs et progressivement l’on construit
le parlant et que les trois «dits-mansions» telles
«sujet».
du sujet pour border le vide qui l’habite. Le sujet
Puis la phase d’avant-projet qui détermine à des
44
• La maison «réelle» est celle de pierre ou de
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René Ventura 12 décembre 2006
symbole du milieu
les toutes premières
expériences décisives,
la maison apparaît
violemment chargée
d’affects. L’enfant y
projette ses angoisses,
ses fantasmes.
n
Florence revisitée
Premier espace exploré,
familial où se déroulent
i
construit le vide à l’aide du langage. Il le localise
vide. Dans le séminaire Encore, Lacan énonce le
en donnant des images et des représentations.
fameux «l’inconscient est structuré comme un lan-
Ainsi la trace et le trait donnent une empreinte à
gage». Peut-on s’autoriser à risquer de dire que
l’objet projet au même titre que tout ce qui fait
l’architecture structure l’inconscient, ou au moins
revisitée. Il vous propose une conférence sur ce même thème, véritable
trace dans la construction du sujet.
a des effets qui laissent des traces dans la psyché
Faire avec le vide est une nécessité. Le projet
? Vivre dans un espace ouvert ou dans un lieu fer-
voyage dans l’espace culturel et le temps. Vous pourrez (re)découvrir
architectural ne prend sens que si l’architecte
mé n’a pas les mêmes effets pour le sujet et sur
la Renaissance italienne, ce Quattrocento qui va révolutionner l’art du
construit autour et avec le vide. En poursuivant sa
le sujet.
Moyen Âge. Les œuvres de trois artistes majeurs, Brunelleschi, Donatello
quête de l’objet perdu, le sujet de la psychanalyse
Psychanalyse et architecture, leurs discours et
peut ainsi se dévoiler, se projeter. Ainsi architec-
leurs pratiques, permettent, quelquefois avec les
et Masaccio, seront plus particulièrement mises en lumière. Pour citer
ture et psychanalyse se rencontrent, se coupent,
mêmes mots (maux ?) mais qui n’ont pas toujours
René Ventura : «Puisse cette conférence faire croître le nombre des
se traversent, se croisent, se tressent, se nouent.
le même sens, de saisir ce vide, à qui, chaque su-
amoureux de Florence».
Elles sont un langage du sujet, et pour le sujet.
jet, dans sa singularité, tente de donner sens ou
Le langage peut ainsi nous permettre d’interro-
consistance ■
René Ventura a souhaité faire partager ses émotions artistiques au plus
grand nombre. C’est ainsi qu’il a publié en 2006 l’ouvrage, Florence
ger la structure, les limites et la forme donnée au
Préambule
un site structuré par le sillon du fleuve Arno,
Peut-on ou doit-on encore poser un regard dif-
les collines avoisinantes abritent monastères
férent sur Florence ?
et villas.
D’aucuns l’on fait, en particulier Viollet-le-Duc.
Depuis la place Michelange, sur les hauteurs,
Lors d’un voyage en Italie en 1836-1837,
s’offre aux regards un panorama édifiant sur la
Viollet-le-Duc a des objectifs différents de ceux
ville.
de son époque ; il veut découvrir des villes
différentes du «grand tour», du circuit officiel
b i b l i o g r a p h i e
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L’espace imaginaire,
Gallimard, 1974.
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L’impossible voyage,
Paris, Payot et Rivages, 1997.
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L’innommable, Minuit, 1996.
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L’œuvre d’art à l’époque de sa
reproduction mécanisée,
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Le malaise dans la culture,
Paris, PUF, 1995.
46
et porter son attention sur l’architecture du
L’interprétation des rêves,
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L’inquiétante étrangeté et autres
essais, Paris, Gallimard, 1985.
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Verdier Th.,
La mémoire de l’architecture. Essai
sur quelques lieux du souvenir,
Théétète, 2001.
Moyen Âge et de la Renaissance.
Dans une lettre adressée à sa famille, il indique:
Urbanisme horizontal avec
pointes verticales : équilibre
des tours, dômes, flèches
en hauteur entre pouvoirs
religieux et civils
«J’étudie les ensembles, les distributions, les
masses pour ainsi dire dans la Renaissance…
Tous les monuments de l’Antiquité à Rome ont
été mesurés, relevés, on peut les trouver partout.
Ici (à Florence) j’ai travaillé avec assez de soin
sur les monuments de Brunelleschi, cet archi-
Dans un codex du XVe siècle de La cité de Dieu
tecte est mon homme jusqu’à nouvel ordre».
de Saint Augustin, une miniature donne le
En ce qui nous concerne, nous faisons un choix
portrait de cette cité : c’est Florence. Diverses
subjectif de traiter du seul développement
constructions existantes dans la ville, au dé-
artistique entre les années 1420 et 1450 à Flo-
but du XVe siècle sont les témoins d’un art de
rence et le limiterons à quelques créateurs ma-
bâtir et de traditions constructives qui n’ont
jeurs.
jamais quitté le sol italien. Il existe des édifices
Pour ce faire, il est nécessaire :
de styles romain, étrusque ou romano-toscan
• d’identifier les fondements de ce mouvement
artistique au travers des racines locales préexistantes de l’architecture et du décor, dans
démontrant ainsi l’évolution locale des formes,
des techniques et de l’usage des matériaux.
• Le Baptistère non intégré à l’église princi-
le contexte de redécouverte de l’Antiquité,
pale de forme octogonale, lieu à la géomé-
• d’isoler dans la chronologie, les principaux
trie symbolique dans son plan et façades, et
artistes des domaines de l’architecture, de
totalement aveugle, avec la sculpture des
René Ventura
la peinture, et de la sculpture,
«portes» de Ghiberti en bas relief honorant la
architecte gardois, est
cathédrale en vis-à-vis.
passionné par l’art, la peinture,
• de cerner l’éclosion et l’évolution du style
«Renaissant» au travers d’un choix sélectif
• Le campanile annexé à la cathédrale avec ses
niches à sculptures.
d’œuvres,
• enfin d’évoquer le legs à la postérité, d’un
Florence, berceau de la Renaissance occupe
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nombreux séjours à Florence lui
• L’église de San Miniato, hors les murs, de plan
style qui deviendra universel.
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notamment, et par l’Italie. De
ont permis d’en apprécier tous
basilical avec réemploi de colonnes antiques
les charmes, jusque dans ses
et sa façade à tracé régulateur.
lieux les plus secrets.
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fonction d’éléments préexistants telles l’ar-
écrit en latin et sans illustration, il précise la
phies établies par G. Vasari.
Fleurs, déjà commencé et sans solution pour
chitecture et l’ergonomie, mais aussi d’un
référence au cercle et à l’octogone (symboles
Chacun d’entre eux dans les domaines de l’ar-
la couverture de la croisée du transept.
chitecture, la sculpture et la peinture.
impératif scénographique qu’elle implique,
pythagoriciens de la beauté).
Enfin, Giotto peint une chapelle de Santa Croce
de la diffusion de la lumière, ou encore des
Ainsi, avec l’adoption du plan basilical, la
évoquant la vie de Saint-François d’Assise.
différents points de vue et perspectives pos-
coupole va s’imposer dans les constructions
Filippo Brunelleschi, l’architecte. Né en 1377
Il était né en 1267, élève de Cimabue, l’un des
sibles.
religieuses. Son ouvrage majeur, L’Art d’édi-
à Florence. Il commence son apprentissage
primitifs italiens. Il modifie les canons de la
Ces conditions d’émergence de l’œuvre ins-
fier, écrit en 1452, sous forme de dix livres,
chez un orfèvre et rencontre Donatello qui
peinture byzantine par les coloris et les atti-
taurent un rapport nouveau entre elle, son en-
évoque dans ses chapitres la solidité, l’utilité
lui enseigne la sculpture. Il est battu pour le
tudes de ses personnages, abandonnant la tra-
vironnement et le spectateur.
et la beauté. Au dixième livre est aussi évoqué
concours des portes de bronze du Baptistère.
dition des icônes.
L’œuvre peut s’envisager comme «une pierre
la technique de conservation des bâtiments,
Son métier d’architecte, il va l’apprendre à Rome,
Le peintre fut aussi architecte pour le campa-
d’appel» qui complète ou clôt la construction
une théorie très en avance sur son temps. Il
en étudiant les ruines antiques dont il établit les
nile évoqué ci-avant. Il meurt en 1337.
d’un édifice.
faut souligner qu’Alberti, après ces publica-
relevés avec minutie. Il visitera le Panthéon, le
D’autres éléments s’imposent aussi.
tions, deviendra un praticien de l’architecture
Colisée, etc. De 1407 à 1420, il travaille pour la
La Renaissance et l’éclosion
Ainsi, l’homme revient au centre de l’uni-
dans les années 1450 à 1479. Ensuite, en 1565,
coupole du Duomo. Il fera l’essentiel de sa car-
d’un nouveau style
vers et des préoccupations intellectuelles, de
l’ouvrage sera traduit et illustré pour accroître
rière à Florence. Il meurt le 16 Avril 1446. Vasari a
Il s’agit à l’origine d’une période de renouveau
même que la quête d’une beauté «idéale» de
sa diffusion.
dit de lui : «Depuis les Grecs et les Romains, il n’y
artistique, littéraire et scientifique.
recherche d’harmonie, basée sur des rapports
Les traités d’architecture vont se multiplier
eut pas d’homme aussi rare et excellent que lui».
Utilisé pour la première fois en 1550 par Giorgio
métriques et des proportions.
grâce à l’avènement et au développement de
Donatello, le sculpteur. Né en 1386 à Florence, il
Vasari, le vocable a longtemps désigné le mou-
Plotin n’avait-il pas déclaré : «le Beau est la
l’imprimerie. Citons les principaux :
fait son apprentissage auprès de Ghiberti, auteur
vement artistique et littéraire qui en Italie s’est
splendeur du Vrai»?
caractérisé par une reprise des modèles de
Si Florence demeure encore un lieu éminem-
l’Antiquité avec sa mythologie et ses préceptes
ment esthétique, cela a pour conséquence que
• Antonio Averlino dit Filarète, né à Florence en
les modèles antiques. En 1428, il crée son propre
philosophiques.
nous sommes invités à la contempler comme
1400, élève de Ghiberti : Manières, mesures
atelier avec des assistants. De 1434 jusqu’à sa
Au XIXe siècle, Michelet puis Burkhart ont
un concentré de l’histoire de l’art au fil des
et proportions pour Bâtir, vers 1461-1464.
mort en 1466, il vécut grâce au concours finan-
plus généralement opposé la Renaissance
siècles.
Les livres I à XXI traitent de l’architecture.
cier des Médicis. Il réalisera quelques œuvres
«païenne» au Moyen Âge chrétien.
La recherche commune des artistes va s’orien-
Les livres XXII à XXIV traitent du dessin
hors de Florence, notamment à Padoue et à
La devise de Laurent le Magnifique «le temps
ter vers la figuration d’une perception nouvelle,
et de la peinture.
Sienne.
revient» en est le néologisme.
la perspective fondée sur les lois naturelles de
• Giorgio Vasari (1511-1574) : Les vies des ar-
Tomaso Masaccio, le peintre. Né en 1401 à
Aujourd’hui, les historiens englobent dans ce
la vision va être adoptée comme système légi-
chitectes, sculpteurs et peintres, reconnu
Arezzo. Sa vie fut brève, mais sa place est im-
mot tous les progrès matériels, intellectuels
time et idéal de la représentation de l’espace
comme l’un des premiers manuels d’his-
mense dans l’histoire de la peinture. Il reçut de
et artistiques réalisés en Europe aux XV et XVI
visuel assimilé au réel, ainsi que la redécou-
toire de l’art.
Brunelleschi les savoirs de la perspective. Il fit lui
e
• Piero Della Francesca vers 1460 : De la Pers-
siècles.
verte des préceptes de l’Antiquité, et l’établis-
Ce mouvement artistique s’étendra géogra-
sement d’un rapport nouveau à l’espace.
phiquement à l’Italie puis à tous les états du
Une autre préoccupation sera de codifier et
monde occidental.
transmettre les savoirs grâce aux traités.
Divers éléments expliquent la genèse du nou-
Alberti est le premier et principal théoricien
veau style :
abordant tout le domaine de l’art en s’inspi-
• Jacques da Vignola : Règle des cinq ordres
d’architecture, en 1562.
tecture, en 1570.
tecture et la perspective, en 1619.
percevoir leur évolution stylistique.
va permettre la transmission des savoirs et
Pour Brunelleschi
pour étudier ses monuments. En outre, la
pie fidèle permet de respecter l’harmonie et les
codifier les pratiques professionnelles dans
chute de Byzance provoque l’exil sur le Vieux
proportions définies en accord avec la nouvelle
tout le monde occidental et ce, jusqu’à l’ère
Continent de penseurs grecs, arabes et de
sensibilité des artistes, une forme de «canon».
moderne, soit le début du XIX siècle.
scientifiques emportant avec eux nombres
Évoquons chronologiquement les principaux
d’écrits anciens tombés dans l’oubli.
traités :
• L’église de San Lorenzo et la Sacristie vieille,
paroisse des Médicis.
• La chapelle des Pazzi (mêmes dimensions que
Quête des témoins de l’éclosion
de la Renaissance
Le De Pictura, en 1435, théorise la perspective.
Comme indiqué en préambule, nous avons li-
rapport privilégié (parce que choisi) avec
Le De Statua, en 1438 est consacré à sculpture.
mité notre choix à trois artistes majeurs et leurs
le lieu qui l’accueille : elle a été conçue en
Dans De Architectura, publié après sa mort,
productions artistiques en référence aux biogra-
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la Sacristie vieille).
• L’église de Santo Spirito, édifice sur l’autre rive
l’œuvre peinte ou sculptée va entretenir un
d u
Vue intérieure de San Lorenzo.
Plafond horizontal à caisson.
Décor sous charpente - Il n’y a
plus de voûte – Les chaires en
bronze sont la dernière œuvre
de Donatello
• L’édifice civil de l’Hospice des Innocents.
e
Ceux d’Alberti (1404 -1472).
c a u e
Une édition du traité d’Alberti
page de couverture illustrée
en 1550
Les œuvres sélectionnées de ces trois artistes
avec Piranèse, etc. La somme de ces traités
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n
27 ans en 1428.
nérer un idéal esthétique reconnu, dont la co-
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i
chef d’œuvre. Il meurt prématurément à l’âge de
• Sebastiano Serlio : Toute l’œuvre. sur l’archi-
Les archétypes des modèles antiques vont gé-
p a r t a g é e
r d
fresques de la Chapelle Brancacci, son principal
Masaccio et Alberti font le voyage à Rome
c u l t u r e
a
Masolino, son maître qui lui laisse la charge des
• Andrea Palladio : Les quatre livres de l’archi-
romaine : les artistes Brunelleschi, Donatello,
d e
j
aussi le séjour à Rome. Il travailla ensuite avec
sont présentées suivant leur chronologie, pour
a n s
|
Rome de 1404 à 1408. Avec Brunelleschi, il étudie
pective en peinture.
Tradition qui se poursuivra au XVIIIe siècle
1 0
t
des portes de bronze du Baptistère. Il voyage à
rant de l’exemple de Vitruve.
• La redécouverte de l’Antiquité gréco-
• Un nouveau rapport à l’espace va s’instituer :
48
h
• Le chantier de la cathédrale Notre-Dame des
e
L’homme Vitruvien
Dessin de Léonard de Vinci
Conservé à Venise
Musée de l’Académie
Le corps humain et son épure
géométrique
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de l’Arno.
• Le Palais Pitti, réalisé en partie seulement de
p a r t a g é e
son vivant.
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a
Comment
définir
le
style
élaboré
par
• Le David de bronze est à comparer à celui
Brunelleschi ? Une architecture de l’intérieur
bien postérieur de Michelange.
avec des matériaux pauvres, simplement revê-
• La Marie-Madeleine en bois.
tus de crépi blanc, au service d’un ordonnance-
• En ce qui concerne les Cantorie, les chaires,
ment classique, combinant des modules de co-
ce sont des tribunes destinées à accueillir les
lonnes, pilastres, chapiteaux, arcs et coupoles,
comme une simple relecture ou réinterprétation du vocabulaire de l’Antiquité.
chœurs d’enfants dans les églises.
Pour Masaccio
• La Sainte Trinité, fresque à Santa Maria No-
Un choix délibérément sobre, peut être aus-
Cantorie en marbre
(provenant du Duomo), très
architecturées, inspirées
directement des sarcophages
romains. Une liberté des
attitudes, presque grotesque
vella, l’un des premiers trompe-l’œil.
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• En peinture, et hors de Florence, Piero Della
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tions illustrant le propos.
pective, de la couleur, de la forme et de la
Celle de Walter Pater qui déclare au XIXe siècle :
lumière en 1452-1459 avec les fresques d’Ar-
«On ne peut plus atteindre à l’universalité de
rezzo.
la connaissance, ce qui vaut pour quelques
• Ghirlandaïo, en suiveur de Masaccio, peindra
le cycle des fresques de Santa Maria Novella,
Et de Giorgio Colli, cet extrait des Pierres tos-
La naissance de la Vierge, 1485-1490. La Cha-
canes, en 1946 :
pelle Tornabuoni 1485-1490.
«Il est resté quelque chose dans les pierres qui
sculpture, qui sont systématiquement asso-
ta Maria del Carmine, illustrées d’extraits de
en sculpture, assumera la transition avec le
tion naît à voir cette matière qui demeure dans
ciées à l’écrin de l’architecture à cette époque.
textes de La légende dorée, de Jacques de
grand Michelange, qui lui sera l’artiste domi-
sa position séculaire (…) Le temps en cette terre
L’architecture des édifices religieux de la Re-
Voragine :
nant du maniérisme et de l’art baroque.
chargée d’une histoire ancienne semble ne ja-
ne veut pas mourir… Un sentiment de consola-
naissance est en totale rupture avec l’art du
«L’apôtre Pierre fut choisi pour être le témoin de
A la fin du XVIe siècle, l’École florentine et ses ar-
Moyen Âge basé sur l’emploi du marbre po-
la transfiguration de son Maître (…) Il trouva
tistes s’exporteront vers Rome, au service de la
choses collaborent pour maintenir une vie que
lychrome, des tympans sculptés et des mo-
dans la bouche du poisson la pièce d’argent
papauté, et d’autres villes de la péninsule, puis
chacun peut prendre à sa manière, emplir du
saïques, comme registre décoratif en usage
(…) pour le tribut. Il ressuscita Tabithe et ren-
hors d’Italie.
contenu qu’il juge opportun, quelque chose qui
dit la santé aux infirmes par l’ombre de son
façade jusqu’à nos jours.
corps».
mais avoir un poids excessif. Ainsi, hommes et
Ainsi s’approcher de la représentation du réel
a fallu attendre le XIXe siècle pour que soient
par l’usage de la perspective, des couleurs, de
Cette conférence résume l’ouvrage
achevés le revêtement et la décoration de la
l’ombre et de la lumière. L’on peut formuler
de René Ventura, Florence Revisitée,
façade du Duomo, harmonisant ainsi par ses
l’hypothèse qu’il a peint d’après de vrais mo-
publié en 2006 aux Éditions Champ
matériaux polychromes l’ensemble formé du
dèles, puisque l’on a identifié les portraits de
Social à Nîmes.
Baptistère, du campanile et de la cathédrale
personnalités florentines célèbres au sein de
Notre-Dame des Fleurs. L’attrait du style Re-
ses œuvres. Les trois membres de l’école ainsi
naissance réside dans la perception de l’inté-
constituée vont pour nombre de leurs succes-
rieur des édifices religieux et des palais civils. Il
seurs, en quelques décennies, ouvrir la voie
faut ainsi s’affranchir de la froideur, parfois de
d’un style naissant et abouti. En architecture, le
la simplicité de façades monotones dans leur
style va s’unifier pour l’édifice religieux, le pa-
aspect extérieur.
lais civil ou les autres bâtiments publics.
Pour Donatello
Dès après la disparition de Masaccio en 1428 et
celle de Brunelleschi en 1446, Donatello s’ex-
les niches du campanile de Giotto qui leur
patriera à Padoue et à Sienne. Il vivra jusqu’en
servent d’écrin.
1466. Les œuvres principales et sises à Flo-
i
n
vella.
• De A. Manetti, continuateur des œuvres de
Brunelleschi. Il achèvera Santo Spirito et le
de la statuaire du Quattrocento, car on ne peut
Palais Pitti.
la comparer à nulle autre des sculptures qui
• L’église Santa Anunzziata et la décoration de
lui sont contemporaines : destinée à être pla-
la façade du Duomo.
cée dans une niche pour une vision frontale,
• De Da Sangallo, le Palais Strozzi, avec les fa-
l’intensité de son expression permet aussi
çades conservant l’empreinte d’un style mé-
aux spectateurs une perception sous tous les
diéval.
angles. Financée par la corporation des armu-
• De Michelozzo, qui reconstruit le couvent San
riers, elle en est l’icône (publicitaire) par l’ex-
Marco, et participe au chantier de la cathé-
pression affirmée de son bouclier.
drale Santa Maria del Fiore.
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• D’Alberti, le Palais Rucellai et Santa Maria No-
Cette statue est devenue figure emblématique
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rence, sont :
œuvre à l’origine de la ronde-bosse moderne.
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représente en tous cas une planche de salut» ■
Chapelle Brancacci,
vue d’ensemble
Parce que cela représentait une indigence, il
• Habacuc et autres prophètes montrés dans
|
exemples, vaut pour le tout.»
• Les fresques de la chapelle Brancacci, à San-
sur les façades. San Lorenzo est resté privé de
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En guise de conclusion, j’ai choisi deux cita-
Francesca réalisera la synthèse de la pers-
si pour ne pas rivaliser avec la peinture et la
thique de la façade d’Orsanmichele, une
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• Enfin, Verrocchio, successeur de Donatello,
• Le Saint-Georges, destiné à une niche go-
Saint-Georges, 1416,
saint protecteur des armuriers,
une icône «moderne»
Le David de Michelange,
copie en bronze.
L’emblème de Florence.
Il en existe quatre, l’original
au musée de l’Académie,
une copie en marbre à son
emplacement initial, devant le
Vieux Palais, la présente copie
en bronze, et une à Marseille,
plage du Prado.
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Palais Rucellaï, façade, vers
1450, Alberti concepteur.
Construction de 1446 à 1451
par Rossellino.
Abandon du bossage
«rustique»
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La couleur : matériau d’architecture
«L’art de bâtir
Gérard Tiné
commence en posant
6 février 2007
soigneusement
Qu‘entendons-nous par matériau, afin de pouvoir prétendre que la couleur serait
matériau d’architecture ? N’oublions pas sa mauvaise réputation en architecture :
aussi du côté du travail servile, manuel, des arts
que les matières qui y participent soient préa-
du côté du fard, de la parure, du masque, de l’illusion, de l’éphémère et qui n’aurait
mécaniques et de la contrainte technique diffi-
lablement perçues, conçues et transformées
cile à maîtriser. Finalement perçues comme ce
sous la forme de matériaux.
qui résiste aux exigences de l’intelligibilité de la
Prenons un exemple en forme de parabole :
forme, de la raison du dessin et de la pensée
choisir une pierre pour la lancer, ne serait-ce
que requiert, en architecture, en sculpture et
pas déjà évaluer la matière comme un maté-
en peinture, la recherche de l’idéal de vérité et
riau possible ?
de beauté.
Dans ce cas, c’est ajuster, déjà par le regard,
l’imitation. Au début du XX siècle, ils en font un matériau pictural qu’ils livrent à
L’enjeu est là : proposer une autre perception
une taille et un poids à la mesure de la main
l’expérience perceptive de la construction plastique du tableau, selon une conception
de la couleur et, forcément, de sa place dans le
et du geste.
processus de conception du projet d’architec-
Se saisir d’une pierre pour la lancer et atteindre
ture. Il s’agirait de provoquer un changement
une proie : soit un regard, un geste, rapides, vifs
C’est dans ce processus de création et d’intelligibilité que la matière–coloris du
du point de vue et de considérer la couleur,
qui expriment et irriguent la puissance d’intui-
peintre se transforme en matériau–couleur chargé de théorie et d’expérience
non plus seulement comme la matière colorée
tion et d’intelligence des actes de perception et
propre à l’usage d’un matériau (brique, pierre,
de conception.
essences bois, etc.), mais encore comme un
Dans la vivacité du choix de la pierre, s’orga-
matériau–couleur dont l’autonomie théorique
nise l’évaluation d’un acte et d’un geste pour
est définie par ses propriétés chromatiques
atteindre un objectif situé à une certaine dis-
afin d’être convoqué à part entière à la concep-
tance : un quasi projet.
tion de la fabrication des qualités sensorielles
Une sélection, tactile, visuelle, qui palpe et sou-
et perceptives que requiert l’espace de l’archi-
pèse des yeux avant même que la main ne s’en
tecture.
saisisse et qui transforme la matière-pierre en
d’autres objectifs que de trahir la raison du dessin et la vérité architectonique des
volumes.
Avec les physiciens, les chimistes, la couleur cesse d’être pour les artistes de la fin
du XIXe siècle, une matière–coloris assujettie aux vraisemblances visuelles qu’exige
e
spatiale et chromatique autonome.
perceptive.
Dès lors, pour les architectes, la couleur en tant que matériau–couleur, est en
mesure de participer aux conditions intellectuelles et factuelles qu’exige l’activité
de conception–perception du projet afin de construire l’apparaître des formes
d’architecture.
Nous poserons la couleur : matériau d’architecture comme générateur de l’idée
Prétendre que la couleur
L’enjeu ici : «...n’est pas la vérité des choses, mais la perception, qui «construit» leur
réalité au cas par cas. Ainsi le thème de cette architecture est notre perception.»
(M. Steinmann)
Qu’entendons-nous par matériau lorsque
dont la vocation serait de finition ou d’or-
nous affirmons, par cet intitulé, que la
nementation. Mais aussi comme enduit ou
couleur serait matériau d’architecture ?
couleur propre de la matière des matériaux
Paradoxalement, c’est lui attribuer un statut
(essence bois, veine de la pierre, argile de la
que l’architecture lui a toujours refusé. N’ou-
brique, etc.), qui sont convoqués à la construc-
blions pas cette mauvaise réputation qu’elle lui
tion de l’édifice.
a faite aussi bien sur le plan pratique qu’intel-
D’une manière générale, la participation de
lectuel et théorique de son usage. La couleur
la couleur appliquée à l’œuvre d’architecture
serait, selon certains auteurs, - critiques, archi-
a été perçue le plus souvent comme secon-
tectes et historiens - seulement une matière
daire. Elle n’était tout simplement pas conçue
Artiste plasticien et enseignant
instable du côté du fard que l’on applique. Elle
comme essentielle, ni même, à certains mo-
à l’ENSA (École nationale supérieure
relèverait du féminin, de la parure, du masque,
ments de l’histoire, comme souhaitable.
d’architecture) de Toulouse,
de l’illusion, de l’éphémère et n’aurait d’autres
Couleur et matière, dans le domaine des arts
Gérard Tiné est également chercheur
objectifs que de trahir la raison virile du dessin
majeurs (architecture, sculpture, peinture), ont
et la vérité architectonique du volume.
le destin commun d’avoir longtemps été per-
d’informatique appliquée
Certes, la couleur participe du domaine de la
çues du côté du sensible, de la sensation, de
à l’architecture.
matière comme coloris ultime d’application
la variation, de l’usure et de l’accidentel, mais
Gérard Tiné
au Laboratoire Li2a, laboratoire
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deux briques
l’une sur l’autre».
Mies Van Der Rohe.
objet-projectile. C’est alors en puissance, un
formelle dans le processus de conception–perception.
52
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matériau de visée ou encore de projection.
serait matériau d’architecture ?
Il y a là comme une transformation du sens,
Le thème de cette conférence est aussi notre
une sorte de transfert sémantique associé à
perception à l’égard de la couleur et sur la cou-
la réalisation d’un geste et d’un objectif à at-
leur.
teindre.
«Alors que concevoir sans percevoir est simple-
On pourrait même distinguer la pierre-maté-
ment vide, percevoir sans concevoir est aveugle
riau-projectile destinée à atteindre une proie,
(totalement non opératoire)». (N.Goodman)
une cible, de la pierre-matériau-projectile
Percevoir est, ici, placé en pivot : il serait ce
destinée à ricocher à la surface de l’eau. Nous
qui est exigé par le «concevoir» et il serait ce
pourrions dire qu’il s’agit de la même matière
qu’exige le «concevoir». Sinon, c’est le vide de la
mais pas du même matériau, ni en poids, ni en
pensée ou la cécité au monde.
taille, ni selon le galbe de la forme.
Par conséquent, il s’agirait d’opérer un change-
Lancer une pierre, un geste du temps de l’en-
ment de perception qui permette un change-
fance, fait passer la matière au statut de ma-
ment d’état de la chose couleur ; plus précisé-
tériau par l’action et l’expérience d’un choix
ment un changement de conception de cette
tactile et visuel sous-tendu par la percep-
même chose. Ceci engage un changement du
tion-conception d’un pro(jet).1
statut de la couleur dans son appréhension au
Matière / matériau en architecture
plan intelligible, perceptif et esthétique.
C’est lui donner une autre signification, un autre
«L’art de bâtir commence en posant soi-
sens dans le processus du projet d’architecture
gneusement deux briques l’une sur l’autre».
qui ne consiste pas en un travail de relation di-
(Mies Van Der Rohe)
recte avec les matières colorées, mais qui ins-
Pour devenir brique, l’argile comme matière a
truit des relations de perception-conception
été contrainte. De motte, de simple tas, elle de-
avec des matériaux. L’architecte n’est pas un
vient polyèdre régulier pour se prêter à un acte
potier et l’art de bâtir sa conception, nécessite
de pose précis et soigneux.
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Ainsi, elle devient autre chose résultant d’un
leurs dépassements éventuels .
faire, d’une expérience et d’une réflexion sur
Une deuxième ouverture se manifeste alors
mais également les autres formes de créa-
ni genre, appartient cependant à la chose ; ou
la réalisation de ce faire afin d’atteindre un
que le matériau apparaît dans la situation bâ-
tions plastiques.
encore c’est ce qui peut appartenir ou ne pas
objectif. Soit la transformation d’une matière
tie des édifices. Il y manifeste, outre des capaci-
• Les modalités sémantiques du choix des
chargée du sens, que lui confère la fabrication
tés techniques, constructives et formelles, des
matériaux, outre les nécessités des logiques
qu’elle soit».4
du matériau au cours du processus technique
qualités perceptives et esthétiques propres aux
constructives et d’usages, s’inscrivent aussi
On comprend l’embarras… On voit à quel point
de la production d’un module destiné à l’art
différentes manières de sa mise en œuvre qui
dans une conception du mode d’apparition
la contribution de la couleur est impropre à ins-
de bâtir. D’où, la brique, c’est-à-dire un maté-
feront l’exemplarité esthétique de l’édifice :
voulue de la forme architecturale et des
taurer la vérité d’une chose dans sa pérennité
riau fait d’un format, d’une épaisseur, d’une
éventuellement, un précédent digne d’être
conditions de sa perception, ou ce que l’on
et son essence dès lors qu’elle doit être repré-
longueur, d’une largeur, adaptés à la mesure
retenu pour un projet à venir ou par l’histoire.
pourrait nommer la manifestation des ma-
sentée en peinture, sinon à présenter la vrai-
de la main et à l’action d’empiler. Un module
Ces manières de mises en œuvre mobilisent la
nières de mises en œuvres.
semblance de la manifestation d’un instant.
fait d’argile qui a pu naître, à l’origine, d’un acte
sensibilité et l’intelligence d’une érudition per-
• Le choix de la matière, de sa distribution, de
L’architecture montre à la fois sa fascination
de perception-conception pour viser l’appareil-
ceptive témoignant de la «manière de faire des
son agencement ou de son appareillage par
pour la couleur, sa matière, sa lumière et sa
lage méthodique d’un bâti destiné à l’édifica-
mondes» selon Nelson Goodman, propre à l’ar-
la médiation du matériau rend possible le
méfiance quant aux abus auxquels elle peut
tion d’une paroi.
chitecture (Manières de faire des mondes).
développement constructif, perceptif et es-
pousser : les fautes de goût, mais surtout les
Ainsi l’argile, en tant que matière, accède à
Une troisième ouverture sémantique articule
thétique d’une idée formelle en architecture
distorsions spatiales et les trahisons qu’elle a la
la raison constructive par sa transformation
les manières de mises en oeuvre et les procé-
ou, comme nous l’indique Deleuze, la trajec-
réputation de provoquer à l’égard de la forme
en une formule de matériau : la brique. Elle
dures de substitutions, au cours du travail de
toire constructive d’un percept.
et de la structure .
va autoriser et influencer la conception de
conception. Elles redistribuent la place des
formes architecturales diverses et complexes.
matières autorisées par la performance mul-
La couleur et l’architecture
l’ordre rationnel de la structure. Elle s’en détache
À cet égard, le matériau brique en tant que fait
tiple du matériau. Ce jeu des substitutions
En ce sens, la couleur peut prétendre parti-
parfois avec l’évidence immédiate de la percep-
physique se charge de théorie mais aussi de
contribue à manifester le sens du projet dans
ciper à l’élaboration de cet acte de percep-
tion, l’occultant. Parfois, au contraire, elle l’ac-
cultures constructives qui influencent et enri-
la recherche plastique des effets de masse, de
tion-conception qu’exige l’architecture, mais
compagne, le révélant. Toute l’histoire de l’ar-
chissent sensibilité et intelligence perceptive.
volume, de surface et de lumière : une substitu-
il lui faut elle-même changer de statut : cesser
chitecture raconte les vicissitudes de ce couple,
L’architecte en phase de conception est rare-
tion de matériaux qui contribue à l’élaboration
d’être vue comme une matière définie sensi-
tantôt harmonieux, tantôt désaccordé».5
ment dans un rapport direct et immédiat avec
de «l’idée formelle» telle la «maison de verre» de
blement par son coloris pour devenir un maté-
Mauvaise réputation de la couleur pour les
la matière comme peut l’être le peintre ou le
Pierre Chareau où la matière du verre se fait
riau doté d’une intelligibilité théorique, afin de
classiques, c’est-à-dire, Winckelman, Kant,
sculpteur.
matériau sous les espèces d’un pavé et, de là,
participer à la conception et à la perception de
Schopenhauer pour ne citer que les plus in-
Du moins, il n’est pas confronté à la matière
autorise la pensée d’une paroi faite de lumière
l’espace architectural.
tempestifs.
seule ; plutôt à la matière devenue matériau
Ce qui veut dire que la matière, dès lors qu’elle
Nous avons laissé entendre les relations pro-
Leurs raisons : «Parce qu’elles superposaient
qu’il aborde avec ses spécificités constructives,
est transformée en matériau, peut s’inscrire
blématiques de l’architecture et de la couleur.
leurs couches d’images colorées sur les co-
ses performances, ses aptitudes techniques,
dans un enchaînement syntaxique signifiant
Elles témoignent, dans le domaine des arts
lonnes et sur les architraves taillées en marbre
réglementaires et son poids économique…
au plan symbolique, au plan architectonique,
et de l’architecture, du rapport de force établi
lumineux et homogène, les peintures troublaient
Par conséquent, il aborde la matière par la for-
au plan esthétique, et ainsi se distribuer à des
entre les grandes vertus viriles de la raison,
cette vision». Celle du dessin de la tectonique,
mule du matériau qui présente des configura-
places qui, dans l’orthodoxie de l’art de bâtir,
attribuées au dessin, et les petites vertus fé-
«seule maîtresse de l’architecture». L’habillage
tions complexes d’intelligibilités techniques et
ne lui étaient pas spécialement destinées : au
minines des apparences frivoles attribuées à
des surfaces par la couleur était «visuellement
formelles relativement à l’acte de bâtir et bien
mur de brique se substitue le mur de verre.
la couleur.3 Rapport de force qui s’inscrit dans
plus perceptible que l’ordre abstrait de la struc-
sûr à l’art de bâtir.2
La formule du matériau autorise la mise en
des débats esthétiques et philosophiques in-
ture».6
Ces configurations d’intelligibilités pourraient
œuvre de la matière et ses modes multiples
cessants entre le XV siècle et le XIX siècle.
Mais d’autres positions proclament avec Gott-
correspondre à des ouvertures sémantiques is-
d’apparition. Elle l’inscrit dans des conceptions
La couleur était perçue, à juste titre, comme
fried Semper : «Vérité de la mascarade. Habiller
sues, donc, de la production du matériau, de sa
qui peuvent transformer les perceptions et le
instable et tributaire des variations de la lu-
et masquer sont des actions aussi anciennes
performance et de sa place dans le processus
sens de l’espace architectural.
mière donc du côté de l’accidentel, de la sur-
que la civilisation elle-même, et la joie qu’elles
face des choses et de l’instabilité visuelle par
procurent est soeur de la joie qui accompagne
rapport à la pérennité de la forme que devaient
la création du sculpteur, du peintre, du poète, du
garantir la mesure, la proportion et la raison du
musicien et du dramaturge, bref, de tout artiste».
dessin afin de caractériser l’essence de l’archi-
Si pour les classiques la barbarie est du côté
tecture mais aussi celle de la grande peinture
de la polychromie... Gottfried Semper, lui, «at-
constructif, mais aussi des choix de concepPosition
tions qui traversent le projet d’architecture.
Une première ouverture sémantique se dé-
• L’architecture est issue d’un acte de percep-
couvre dès lors que le matériau, par la fabrica-
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tion-conception et réciproquement.
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de ses destinations constructives et l’apport
technique et théorique d’un matériau pour
narrative.
taque frontalement le classicisme en évoquant
de ses performances techniques. Elle mobilise
entrer dans le processus de perception
Qu’est-ce qu’un accident ? C’est ce qui, se-
la barbarie qui a rendu les monuments mono-
la perception des savoir-faire opérationnels et
qu’impliquent la conception en architecture
lon Aristote, n’étant «ni définition, ni propre,
chromes».7
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«Telle la peau sur l’ossature, la couleur habille
• La matière doit s’inscrire dans la formule
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appartenir à une seule et même chose, quelle
tion de sa formule, manifeste la signification
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«Si l’art moderne
a trouvé l’abstraction
dans son berceau (....)
C’est aussi parce que
La couleur et la peinture
lumière blanche n’est pas homogène mais
berceau [....] C’est aussi parce que l’industrieux
Mais aussi une découverte paradoxale à propos
e
Paradoxalement, de l’Antiquité jusqu’au XIX
hétérogène. Il établit par une expérience que
XIX siècle s’était appliqué à en extraire les élé-
de l’idée que l’on se fait de l’art et de sa source.
siècle, excepté l’intermède médiéval, la couleur
cette lumière blanche est directement compo-
ments premiers dans les cornues de ses labora-
Car l’art, en tradition, relevait plus d’une exi-
est assez mal perçue dans la rapport qu’elle
sée des couleurs qu’elle contient déjà en elle ;
toires.» (G.Dupuy)
gence de composition du tout et des parties se-
entretient avec le principe de l’imitation, à la-
soit les «sept» couleurs du prisme qui forment
quelle la peinture, dans sa quête de vérité et de
autant de rayons. Dès lors, il n’y a plus à cher-
La couleur, matériau pictural
beauté, était assujettie. De fait, seul l’ordre des
cher comment la lumière blanche se modifie
Ce sont évidemment les peintres qui se saisi-
d’écarts et de divergences.
tracés géométriques du dessin était en mesure
accidentellement pour donner naissance aux
ront avec le plus de conviction de cette aubaine
Albers en déduit un acte de création fondé sur
d’y accéder. Tout au plus, la couleur-coloris ré-
couleurs mais à procéder à des observations,
et qui l’expérimenteront dans leur pratique
une nouvelle procédure de perception-concep-
pondait aux critères de vraisemblance que la
jusqu’à pouvoir les organiser en système et
bien avant que les architectes ne le fassent à
tion dans l’utilisation de la couleur et la pro-
narration de l’image peinte exigeait : vraisem-
plus tard en tirer des lois.
leur tour : l’impressionnisme, le divisionnisme,
duction de la mise en forme picturale.
blance colorée des matières textiles, fruitées,
À partir de là, la perception de la matière-colo-
le pointillisme, l’expressionnisme et, bien sûr,
Le matériau-couleur y est ordonné, distribué
carnées, végétales… nuageuses, lumineuses…
ris, telle que les peintres l’avaient conçue sous
l’abstraction qui accélèrera et permettra le pas-
selon des proportions de surfaces et des choix
«Le dessin est le sexe masculin de l’art ; la cou-
domination du dessin, va évoluer sous l’action
sage vers l’architecture.
de qualités chromatiques définies de manière
leur en est le sexe féminin».8 On retrouve ici
conjuguée des physiciens, des chimistes, des
Une sensibilité et une intelligibilité picturale
sensible et raisonnée afin de permettre un jeu
l’accusation platonicienne à l’encontre de la
techniciens, des artistes et des pédagogues de-
autre va se développer. La perception et la
créatif en exploitant les notions de variables et
couleur perçue comme «fard», à la manière du
e
puis la seconde moitié du XIX siècle, jusqu’à la
conception du matériau-couleur en peinture
d’invariants : pendant qu’un ensemble de sur-
maquillage féminin affectant les sens et vouée
première moitié du XXe siècle.
génèrera son propre espace, sa propre raison et
faces varie en couleur, l’autre ensemble ne varie
aux finalités perfides de la séduction éphé-
Newton, Goethe, Chevreul, Seurat, Cézanne,
son propre dessin. Les peintres en font un ma-
pas et il est possible d’observer les interactions
mère. L’opposition dessin/couleur est très vive
Matisse, Malevitch, Theo van Doesburg, Riet-
tériau pictural qu’ils livrent à l’expérience per-
chromatiques qui s’en suivent en terme d’effets
dès la Renaissance et durant la période clas-
veld, Mondrian, Ostwald, Munsell, Itten, Albers,
ceptive de la construction plastique du tableau
teinte, d’effets saturation et d’effets valeur.
sique du XVIIe siècle, avec l’affrontement entre
Judd, etc. pour ne citer que les plus embléma-
selon une conception spatiale et chromatique
Dans la pratique pédagogique de son ensei-
les tenants florentins du disegno et ceux, véni-
tiques, contribueront, en leur temps d’activité
autonome. La couleur s’offre alors comme un
gnement, il propose l’utilisation de l’échantil-
tiens, du coloris.
et en leurs domaines d’actions, à opérer cette
matériau chargé de théorie à l’investigation
lon couleur-papier en tant que «fait» physique
lon des rapports d’harmonie et de contraste, de
stabilité et d’unité plutôt que selon des valeurs
Au XVII siècle, avec la création de l’Académie
mutation d’une nouvelle perception de la cou-
plastique de l’expression de l’artiste. Ou les
chromatique invariant doté d’une qualité de
Royale, «la question de fonder une science de
leur et de sa place dans la conception et la pro-
vertus du dessin de la couleur qui s’autorisera à
teinte, d’un degré de valeur et d’une gradation
l’art, invalide la couleur. En effet, si la couleur est
duction de l’œuvre d’art.
contredire jusqu’à malmener et mettre en crise
de saturation. Cet échantillon couleur-papier
de nature accidentelle, comment pourrait-elle
Un objet théorique, le cercle des couleurs,
le dessin graphique auquel étaient confiées la
est divisé en plusieurs petites surfaces qui sont
prétendre rendre le caractère stable des objets
change la perception et la conception de la
vérité et la beauté qu’exigeaient les vertus de la
ensuite distribuées sur des contextes chroma-
que la peinture s’efforce désormais d’imiter ?»9
couleur. Il organise le modèle perceptif des
mimesis en art.
tiques différents en teintes, valeurs et satura-
Sa représentation comme accident sera utilisé
couleurs primaires, des couleurs secondaires
à charge contre elle et précipitera sa subordi-
et des couleurs complémentaires.
nation au dessin.
«Tout l’apanage de la couleur est de satisfaire
e
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e
nifestent les effets de divergences et d’écarts
Il fait système et rend intelligible (Munsell) les
Albers (1888-1976), artiste et professeur au Bau-
psychosensoriels. C’était donner à la couleur le
trois variables sensorielles de la couleur : la
haus (Weimar et Dessau), puis aux États-Unis.
plein épanouissement de son action plastique,
les yeux, au lieu que le dessin satisfait l’esprit.»
teinte, la saturation et la valeur et leurs grada-
«En matière de perception visuelle, il existe
perceptive et fonder ainsi une autre esthétique
Ou encore : «Le dessin imite toutes les choses
tions mesurées qui autorisent leurs composi-
un écart entre un fait physique et un effet psy-
de la picturalité.
réelles, au lieu que la couleur ne représente que
tions raisonnées.
chique.»
Dans sa pratique d’artiste, il exemplifie, avec
ce qui est accidentel. Car l’on demeure d’accord
Il permet la perception de l’interaction des
«L’origine de l’art : l’écart entre le fait physique et
L’hommage au carré, la série comme mode
que la couleur n’est qu’accident et qu’elle est pro-
couleurs et la théorie du contraste simultané,
l’effet psychique.»
opératoire de la création raisonnée de l’œuvre
duite par la lumière, parce qu’elle change selon
du contraste successif que Chevreul définit, pa-
«L’art a sa source dans la divergence de percep-
picturale.
qu’elle est éclairée, en sorte que la nuit, le vert
radoxalement, comme des lois qui explicitent
tions entre les faits physiques et les effets psy-
Le matériau-couleur constitue la partie va-
paraît bleu et le jaune paraît blanc, étant tous
ce qui précédemment était perçu et conçu
chiques.»11
riable de la série, alors que l’organisation spa-
deux éclairés d’un flambeau. Ainsi, la couleur
comme instabilité et accident.
Ce qu’il dit avec insistance et qu’il expérimente
tiale du dessin de la partition du tableau reste
change selon la lumière qui lui est opposée».10
Soit une segmentation perceptive et un agen-
dans sa peinture, désigne une situation per-
invariable. Une composition en emboîtement
cement conceptuel de la représentation de la
ceptive problématique car instable et relative
gigogne de plusieurs figures carrées ordonne la
La couleur indexée par la science
couleur en provenance de la physique et de la
aux effets que produisent les faits de la couleur,
totalité des tableaux de la série.
Il faut attendre Newton pour que soit renver-
chimie, qui contribuera à ériger la matière-co-
dès lors qu’ils sont composés et perçus de ma-
S’observent alors la variation des couleurs et
sé le paradigme aristotélicien de la couleur
loris en matériau-couleur.
nière méthodique et sensible, selon les lois is-
les divergences d’effets qu’elles produisent sur
comme accident. C’est la découverte que la
«Si l’art moderne a trouvé l’abstraction dans son
sues des travaux de Chevreul.
la perception des tableaux. S’observent donc
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s’était appliqué
à en extraire
les éléments premiers
dans les cornues
de ses laboratoires.»
G.Dupuy.
tions afin que, par leurs interactions, se maL’exemplarité d’Albers
1 0
l’industrieux XIXe siècle
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La valeur esthétique
et le sens de l’œuvre
ne relèvent pas de
l’expression d’une
subjectivité, ni de l’habile
savoir-faire artistique
mais du dispositif
programmatique
matériau-perceptionconception que l’artiste
projette de mettre
en œuvre comme
problématique de la
création de l’œuvre.
ce que l’on pourrait nommer les transforma-
van der Leck, le peintre et sculpteur Georges
Les nouveaux standards de matériaux indus-
thermo-laquée, pliée et vissée de Donald Judd
tions d’espaces provoquées par les seules in-
Vantongerloo, le cinéaste Hans Richter, etc.
triels (verrier, d’aluminium et d’acier poli, brut
ou le madrier de bois brut de sciage et la tôle
teractions de la couleur ou, dit autrement, les
Un moment fertile où toutes les disciplines
ou thermo-laqué, les bétons, les panneaux
d’acier brut de découpe de Carl André ou les
capacités de la couleur à agir sur la perception
sont comme convoquées à s’interroger sur ce
de bois, les textiles métalliques, etc.), sont
chutes de feutre de Robert Morris et encore le
du dessin de l’espace ; ce que l’on pourrait dési-
qui les clôturait dans une esthétique éprouvée
conçus pour l’appareillage de murs rideaux
tube néon de Dan Flavin.
(1) Tiné, Gérard,
Le matériau, porteur de valise
Poïesis n° 3, La masse, le volume,
l’ombre et la lumière.
gner par l’apparition des effets et de écarts dûs
mais insatisfaisante aux yeux de ces créateurs,
qui enveloppent les structures d’immeubles.
En exposant leurs qualités littérales (tôle d’alu-
(2) Ibid.
au dessin de la couleur.
pour s’ouvrir à une sorte d’insurrection intel-
Ils prennent en charge l’enveloppement et le
minium thermo-laquée, madrier de bois, tôle
La série d’Albers accueille l’évaluation visuelle
lectuelle et factuelle porteuse du devenir d’un
déploiement d’un chromatisme industriel por-
d’acier brut, chutes de feutre, tube néon), dans
des phénomènes de divergences comme ce
monde moderne et progressiste.
té à la mesure des grandes dimensions de ces
l’évidence des matériaux organisés mais aussi
(3) Blanc, Charles,
Grammaire des arts du dessin,
1867.
qui constitue la caractéristique perceptive du
La couleur et l’architecture furent au premier
édifices.
de leurs dimensions physiques et mentales,
matériau-couleur et son déploiement interactif
rang des avant-gardes, dès 1924, avec l’appari-
L’accent sur l’enveloppe oblige à considérer
l’œuvre ne porte pas son sens en elle, mais
dans l’espace du plan pictural.
tion étonnante, en pleine ville, de cette chose
ce qui la constitue et comment. Soit le maté-
dans son paraître, avec toute la force séman-
La valeur esthétique et le sens de l’œuvre ne
dont il était dit que c’était une maison : la Mai-
riau dans sa définition et finition industrielle
tique et plastique que le matériau avec sa cou-
relèvent pas de l’expression d’une subjectivi-
son Schröder, conçue par Gerrit Rietveld.
en terme de matières de textures et de cou-
leur infuse au paraître et à ses effets.
té, ni de l’habile savoir-faire artistique mais du
Précédée par la fameuse Chaise Bleue et Rouge
leurs accompagné des dispositions de mise en
C’est toute une filiation qui partage le question-
dispositif programmatique matériau-percep-
du même concepteur, on a là une des premières
œuvre techniques.
nement sur la matière, le matériau, la couleur :
tion-conception que l’artiste projette de mettre
manifestations de l’articulation perceptive des
Ainsi, mettre l’accent sur l’enveloppe, c’est
leurs rôles comme vecteurs d’idées formelles
en œuvre comme problématique de la création
espaces de l’architecture par la présence de la
être confronté au problème de la surface et
et leurs présences dans l’ouvrage au plan de la
de l’œuvre.
couleur distribuée selon des agencements de
de ses effets perceptifs. La surface, qui s’inter-
conception comme expression ou effacement
Dans L’hommage au carré, la couleur-matériau
surfaces et de volumes qui interagissent avec
pose entre nous et la construction réelle de la
tectonique de la logique constructive. Mais
et sa manière de mise en œuvre s’imposent
les modes d’enchaînement ou de dissociation
structure, pose la question de l’écart entre les
aussi et surtout comme condition du paraître
comme idée formelle, afin d’engendrer l’œuvre
spatiale des lieux.
«Les batiments
nécessités constructives et l’apparence donnée
chromatique de l’architecture.
de peinture.
La Maison Schröder est l’exemplification même
«Les relations structure–habillage : harmo-
d’une pensée de la couleur qui puisse donner
en béton armé
au bâtiment.
Le contenu du tableau est sa forme et le maté-
«Les batiments en béton armé produisaient leur
nieuses, contradictoires, tourmentées, tra-
riau de cette forme, c’est la couleur : le maté-
à voir et à comprendre les conditions percep-
versent l’histoire de l’architecture… Actuelle-
tuelles et conceptuelles qui l’érigent en ma-
produisaient
effet le plus important avec les moyens les plus
riau couleur détermine l’apparition de la forme,
concis». (Mies Van Der Rohe)
ment les métamorphoses technologiques et
qui se comprend et s’offre comme parcours
tériau d’architecture. Les configurations des
De ce point de vue, «less is more» n’est ni une
morphologiques des matériaux ont rendu plus
perceptif à la jouissance esthétique, laquelle
espaces intérieurs et extérieurs de la maison
leur effet le plus
mode, ni une tendance, mais une position
floue la limite qui sépare la structure et la peau
se donne comme contenu pictural et spatial
relèvent d’une construction de la perception
éthique et une posture esthétique qui confère
qui la renferme.»13
(C.Bru).
déterminée par un processus de conception
important avec les
à l’unicité du matériau choisi la prise en charge
Pour conclure, le paradoxe est peut être là : qu’il
moyens les plus
chromatique et architectonique de l’architecture.
faille nécessairement la formule du matériau
Posé comme un écho de postures entre celles
comme premier contrôle technique et normatif
dont l’objet est de rendre interactif le dessin de
De Stijl : l’insurrection chromatique
la couleur et le dessin de l’espace.
qui vont du Carré blanc sur fond blanc de Male-
de la matière, mais aussi comme espacement
théorique et sémantique d’avec la matière,
une filiation d’attitudes, de positionnements,
pour que la couleur puisse, comme matériau,
confrontée au sens de l’acte créateur, au travail
prendre toute sa place dans le processus de
qu’exige l’activité de conception-perception du
plastique et architectonique.
conception et de perception en architecture ■
projet afin de construire l’apparaître des formes
Le Minimal Art américain des années 1960 tra-
d’architecture.
vaille cette prise de conscience, lorsque, avec
C’est en ce sens que pour les architectes, la cou-
culée dans ses fondements esthétiques par
leur peut être perçue comme matériau-couleur
la dynamique critique et créatrice d’un grou-
d’architecture. Il est alors en mesure de partici-
pement de peintres, décorateurs, sculpteurs,
per aux conditions intellectuelles et factuelles
architectes, autour d’une revue néerlandaise
pour les arts plastiques appelée De Stijl. Un
véritable forum d’artistes qui se concevaient
Mies Van Der Rohe.
où se publiaient des positions critiques, théo-
Le matériau : couleur d’architecture
pose d’échapper à la spécificité de la pratique
riques, mais aussi des manifestes et des projets
En posant la couleur comme matériau d’archi-
picturale ou sculpturale telle que la définissait
d’œuvres nouvelles.
tecture, nous l’avons placée, du même coup,
Clément Greenberg afin que puissent muter les
La figure principale, Theo van Doesburg, qui
à cet endroit de la conception, en capacité de
créations de l’art vers ce que Donald Judd ap-
crée et impulse la revue, menait de front, à la
générer l’idée formelle d’un projet d’espace. Si
pellera la production de l’objet spécifique.
fois, une activité de peintre et d’architecte. Mais
bien que, en retour, toute matière constitutive
La matière, le matériau, la couleur y sont mis en
il faut compter avec des personnalités comme
d’une formule de matériau peut être perçue
scène comme tels ou effacés comme tels, mais
les designers et architectes Gerrit Rietveld,
comme un potentiel de couleur pour le projet
intrinsèques ou consubstantiels à la produc-
Pieter Oud, les peintres Piet Mondrian, Bart
d’architecture.
tion de l’objet spécifique : la tôle d’aluminium
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(4) Roque, Georges,
Art et science de la couleur,
Paris, Jacqueline Chambon, 1997.
(5) Paczowski, Bohdan,
Couleur, peau et structure,
L’Architecture d’Aujourd’hui,
mai-juin 2001.
(6) Ibid.
(7) Ibid.
(8) Blanc, Charles, op.cit.,
(9) Roque, Georges, op. cit.
(10) Le Brun, Charles
Conférence du 2 Janvier 1672
dans Roque, Georges, op.cit.
(11) Albers, Josef,
L’interaction des couleurs,
Hachette, Paris, 1974.
(12) Lucan, Jacques
Steinmann, Martin,
Matière d’art. Architecture
contemporaine en Suisse
AMC n° 116.
(13) Paczowski, Bohdan,
Couleur, peau et structure,
L’Architecture d’Aujourd’hui,
mai-juin 2001.
Donald Judd, Sol Le Witt, Carl Andre, etc., il pro-
comme plasticiens radicalement progressistes,
58
concis»
vitch à L’Hommage au carré d’Albers, c’est toute
Dans les années 1920, l’architecture sera bous-
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Le décor dans l’architecture d’aujourd’hui
est-il encore possible ?
Robert Prohin et Pierre Parsus
24 avril 2007
Vous êtes invités à participer au dialogue chaleureux et passionné entre deux amis,
Robert Prohin et Pierre Parsus. L’architecture occidentale du début du XXe siècle se
Nîmes et sa région au cours du XXe siècle
grands panneaux peints dans la salle des fêtes.
Avec l’inertie commune aux villes de province,
Il faut également citer à Nîmes, les immeubles
l’architecture et l’art du décor ont intégré les
de la ZUP des frères Arsène-Henry.
caractérise principalement par l’épuration des formes, initiée par l’avènement de
idées du Mouvement moderne international.
Joseph Massota restera comme l’émule effer-
matériaux industriels. Ainsi est mise en application la théorie suivant laquelle la
Les œuvres laissées par les architectes les plus
vescent de Le Corbusier et de Niemeyer. Il in-
remarquables sont également construites avec
tègrera dans ses réalisations des sculptures,
les matériaux nouveaux que sont le béton
des bas-reliefs et des panneaux de céramique
Malgré ce positionnement qui se veut objectivement pur, la forme structurelle n’a
armé, le métal et le verre (en surface de plus en
réalisés par divers artistes. Les murs-rideaux
cessé d’évoluer ; elle intègre progressivement une sensibilité formelle plus ludique.
plus importante). Les gestes n’échappent pas
auront droit de cité : Marc Chausse les utilise-
aux critères de l’époque.
ra pour la première fois à Nîmes à la CNABRL
Le XIX siècle se termine sur des notes de mou-
(Compagnie nationale d’aménagement du
luration ornementale, de céramiques vernis-
Bas-Rhône Languedoc), Joseph Massota pour
sées aux couleurs raisonnables, sans pour cela
la Banque Chaix (1978) et la Chambre d’agri-
atteindre les exubérances parisiennes ou cata-
culture (1963). Nous terminons rapidement le
lanes.
siècle avec les constructions de métal et de
fonction crée l’organe et la logique constructive engendre la beauté.
Le décor lié à l’architecture dite moderne a logiquement perdu pied. Sa fonction
e
pédagogique s’est estompée. L’avènement des médias parachève son déclin.
Cependant la nécessité ludique du décor a survécu. Souvent les architectes la
dissimulent dans des gesticulations constructivistes ou fonctionnalistes mensongères.
verre : l’extension de l’école de La Placette par
Sous l’emprise des dogmes enseignés, ils n’osent encore l’intégrer dans leur démarche.
Jérôme Brunet et Eric Saunier (1991), la mé-
Tout en prenant garde au danger dévastateur et prolifique de la culture Walt Disney,
diathèque du Carré d’Art de Norman Foster
avec beaucoup d’attention exigeante, le temps n’est-il pas venu d’entendre l’appel ?
Armand Pellier,
hôtel-restaurant Les Cabanettes,
Arles
Compagnie nationale
d’aménagement du
Bas-Rhône Languedoc
(1993) et les logements sociaux du Nemausus
de Jean Nouvel (1985-1987). La brillance du so-
La place du poète aurait-elle à nouveau droit de cité ?
leil sur le verre sera le seul décor. Le Stade des
Costières du latin Gregotti (1989) reste en talus
de terre-plein et en béton peint en blanc.
Villa, rue Cité Foulc, Nîmes
État des lieux succinct
nombreux articles. «Crime et ornement», le titre
de l’architecture
d’un article d’Adolf Loos, se passe de commen-
et du décor au XX siècle,
taires. «Les œuvres sont rendues visibles par des
au niveau international
formes simples et dépouillées organisées en
e
constructions ordonnées génératrices d’harmo-
Robert Prohin
Fin du XIX siècle, début du XX siècle.
e
e
architecte, a laissé émerger sa
En réaction consciente contre l’école natura-
Le cubisme, en précurseur, et par la suite, l’art
sensibilité artistique vers les
liste qui traduisait la réalité en terme de pure
abstrait, s’inscrivent dans une esthétique de
arts plastiques. On lui doit la
sensualité, le Mouvement moderne s’impose
rupture.
réalisation de vitraux profanes
au début du XXe siècle. Animé par les pionniers
Évolution jusqu’à nos jours
dans des édifices publics ainsi
des années 1920-1940, tels Gropius (le fonda-
La volonté d’épuration du mouvement domi-
que des décors muraux.
teur du Bauhaus en 1919) ou Le Corbusier, ce
nant de l’architecture moderne bannit le décor.
Mouvement moderne est en rupture radicale
Mais celui-ci renaît toujours et l’architecture,
avec le style Beaux-Arts du XIX siècle. Neutra,
dans son essence même, retrouve des formes
Van der Rohe, Niemeyer, etc., nombreux sont
plus sensuelles. Il est intéressant de souligner
ceux qui y adhèrent. En 1928, Le Corbusier
comment Le Corbusier, illustre pourfendeur
fonde avec vingt-sept autres architectes euro-
d’agréments, évoluera lui aussi vers une irra-
péens le premier Congrès international d’ar-
tionalité émotionnelle et mystique, de la Villa
chitecture moderne (CIAM), au château de la
Savoye (1928-1931) à la chapelle de Ronchamp
Sarraz, en Suisse.
(1950-1955).
Pierre Parsus
En 1933, il élabore la Charte d’Athènes, texte
Que de chemin parcouru lorsqu’apparaît à Bil-
artiste peintre, s’est manifesté
fondateur de l’urbanisme et de l’architecture
bao, à l’aube du XXI siècle, le musée Guggen-
dans l’architecture
modernes. Le Style international est le résultat
heim de Frank Gehry (1993-1997). Ici, l’architec-
par l’exécution audacieuse
de réflexions du CIAM et de la Charte d’Athènes.
ture du musée devient son propre objet, une
de vitraux religieux.
Le manifeste sur l’homme moderne produit de
sculpture praticable.
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Quelques projets de Robert Prohin
La transition vers la modernité se manifeste par
la mise à plat des moulurations de pierre ou de
béton, animées par des bas-reliefs sculptés de
D’une architecture
même nature et de même couleur.
à forte charge expressive
Nous remarquerons les réalisations d’Henri
jusqu’au décor...
Floutier qui confiera ses décorations à Armand
Robert Prohin est né en 1939 à Le Cailar, dans
Pellier, jeune compagnon sculpteur arrivé à
le Gard. Il vit à Nîmes. Ses constructions se ré-
Nîmes dans les années 1930.
partissent dans le sud-est de la France, essen-
Ce même Armand Pellier s’affirmera par la suite
tiellement dans le Gard et la Lozère.1 En 1960,
(des années 1940 à 1980) comme un brillant
les premières œuvres sont dans la foulée de
architecte ayant la particularité de travailler
celles des aînés. Le béton gris brut de décof-
essentiellement avec la pierre de Vers-Pont-du-
frage est alors la référence : Joseph Massota a
Gard, où il exploite une carrière. On peut dire
revendiqué son expressivité rugueuse ; Armand
qu’Armand Pellier a réinventé ce matériau tra-
Pellier l’a lissé d’un blanc immaculé pour faire
ditionnel en l’intégrant merveilleusement dans
chanter la pierre jaune du Pont du Gard. Il était
le style de l’Art moderne. La blancheur des ban-
difficile d’échapper à cette filiation. Ce béton
deaux des couvertures en béton armé révèle,
brut gris ou enduit de blanc, Robert Prohin l’a
de façon éclatante, cette architecture moderne
converti en couleur calcaire concassé ou sable
en rupture avec le paysage environnant, qu’il
rosé des Costières. L’empreinte recherchée de
soit urbain ou rural.
moulages diversifiés rendra plus attractives les
1933 voit l’émergence d’un imposant bâtiment
lignes épurées. La fluidité pâteuse du matériau
en béton armé, bien accepté par la population;
coulé, le modelé grenu de ses reliefs et sa clar-
il s’agit de l’École pratique de la rue Dhuoda.
té accrochent la lumière du Midi. La structure
Son architecture est animée, notamment, par
organique vivra bien dans sa peau sans décor
des décors géométriques, des bas-reliefs et de
ajouté.
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Pour faire le portrait d’un oiseau
Jacques Prévert
Douceur de la courbe et rayonnement
Si les lignes épurées du béton brut de décofSabaton, abri pour piscine,
Vauvert
frage ont bien été reçues en héritage, la douceur de la courbe est déjà présente. La dynamique des rayonnements vivifie les formes
planes ou voilées. L’inscription dans le cadre
végétal se fait naturellement. Il s’agit d’un vrai
travail de charpentier à forte charge expressive.
Le parti constructif est à la base de la conception, mais il n’en est pas la limite.
Le brun du schiste acéré, émergeant de la végétation vert sombre, donne le ton.
Les maîtres d’ouvrage : un jeune médecin et
son épouse infirmière, venus à la rencontre de
ces paysans cévenols qui s’accrochaient encore à ce terroir austère, à l’époque où les plus
jeunes le désertaient.
Pour construire leur maison ici, il n’est pas
question de modernité mais plutôt d’ancrage
au flanc de la montagne. Sur les bancels étroits,
les étages s’emboîtent, les volumes se brisent
pour permettre les circulations et s’ouvrir au
soleil. Femme et homme publics, les maîtres
d’ouvrage ont voulu une maison toujours ouverte mais aussi secrète. Ô ! Paradoxe des êtres
riches d’amour et de projets ! Ici, le décor serait
déplacé, c’est l’âme du pays qui doit sourdre
d’entre les pierres.
de latérite rouge qui naissent de la terre même
dont elles sont faites. Pétries par les mains des
hommes, leurs formes adoucies invitent à la
caresse du temps qui nous dépasse...
Et nous voici partis pour un voyage allant de
palmiers en résineux de garrigues. La maison
se coule au travers des arbres, elle est secrète
et fermée du côté de l’entrée (au nord). A l’opposé, les transparences s’ouvrent vers la vue et
le soleil. Les percements sculptent la matière.
Les volumes habitables sont creusés dans
une pâte de plâtre blanchie à la chaux. Pour le
foyer de la cheminée, le sol de terre cuite rouge
s’incurve à peine, semblable à l’excavation du
foyer dégagée à la main d’un geste circulaire
dans le sable du désert, à l’heure du thé.
Bien organisée dans la fluidité de ses volumes
internes, la maison s’inscrit discrètement dans
le site dont elle révèle la beauté arborée. Son
décor naît de sa forme modelée aux contraintes
de la garrigue dans un rêve de palmeraie.
Au hasard d’une rencontre,
une villa en garrigue
Sur fond d’oasis saharienne et de souvenirs
échangés, un jeune couple de médecins rêve
encore de Timimoun où il voulait vivre et exerVilla Monod, Sainte-Croix
Villa Dr. Lafont, Nîmes
avec la fascinante présence des constructions
Une habitation ailleurs, en Cévennes
Villa Jaffiol, Montpellier
le souvenir du Tanezrouft, d’Adrar, de Reggane,
cer. L’évocation de cette contrée évoque en moi
Une école maternelle à Meyrueis (Lozère)
Dans la vallée, les petits enfants aiment leur
école maternelle. Dans la conque qui les accueille, ils reconnaissent aisément la petite
porte d’entrée qui leur est réservée au pied
de l’arbre-pilier. Les fenêtres épellent en ribambelle... Le cercle... Le triangle... Et le carré...
Les limites du terrain de l’école déterminent
la volumétrie, ainsi que le toit pentu d’ardoise
grise qui la marie au pays. Le portail entre
écoles primaire et maternelle illustre le célèbre
poème de Jacques Prévert.
La «cage» aux barreaux ordonnancés, côté primaire, se libère côté maternelle. Au centre, le
verrou bec d’oiseau ouvre la porte de l’escapade, de l’échappée belle.
École maternelle,
Meyrueis
Peindre d’abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d’utile
pour l’oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l’arbre
sans rien dire
sans bouger...
Parfois l’oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s’il faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l’arrivée de l’oiseau
n’ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l’oiseau arrive
s’il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l’oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l’oiseau
Faire ensuite le portrait de l’arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l’oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été
et puis attendre que l’oiseau se décide à chanter
Si l’oiseau ne chante pas
c’est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s’il chante c’est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l’oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
Une école maternelle à Vestric (Gard)
L’école est posée sur un terrain tout plat, dans
un lotissement ordinaire... Les six gallines qui
font office de gargouilles signalent au quartier
la présence de l’école. Elles sont les gardiennes
de la «nichée» qui se blottit sous le grand parapluie cintré ; les piliers aux troncs rouge
brique supportent les branches vertes de la
futaie. L’économie du projet tient au système
constructif : seize piliers en béton sont fondés,
coulés dans des boisseaux de terre cuite. Une
charpente métallique à treillis assure la portée
de la toiture et du plafond. Les parois des façades courbes ou brisées, auto-stables comme
des paravents, sont simplement posées sur
La Mandozère,
aménagement d’un carrefour,
Mende.
une dalle en béton armé coulé sur un hérisson
de pierre.
Aménagement
d’un carrefour à Mende
Un cirque de pierres calcaires incliné vers le
soleil. Au nord, les sources se déversent en cascades dans le creuset inondé d’eau bruissante.
Au sud, amarré à la rive de l’hémicycle occidental, émerge un plateau herbeux ; de l’hémicycle
oriental s’élève en strates ascendantes un éperon schisteux. Au centre, ou presque, se dresse
fière, altière, la Mandozère2. Mende... Mande...
Mandozère... de Lozère.
La Mandozère
D’où viens-tu ?
Emplie d’histoire sourde de la
terre profonde.
Semence féconde portée par les
vents chauds de la Méditerranée.
Longtemps, j’ai erré...
entre monts et vallées
entre soleil et lune
entre calme et tourmente
entre Auvergne et Languedoc.
A la limite des deux régions,
alors que l’orage gronde
l’éclair terrible m’a enfouie en un
lieu humide et sombre
où les anciens tinrent secret.
Longtemps encore j’ai vogué
dans l’onde chaude des courants
incertains
avant de saisir l’entre-deux
mondes, entre celtes et latins
pour sourdre enfin de l’ombre et
trouver ma place au soleil.
C’est d’entre vous, que je suis née.
Qui es tu ?
Je suis hybride
Je suis mutant
Être infini en devenir
Figure de proue dressée face au
pont des sources
prolongement naturel des
sombres pierres dont je suis née
(...)
Dans la matière dont je suis née,
je garde mes racines,
dans le ciel où je m’élève je
cherche ma spiritualité.
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La Genèse
Jacob et l’Ange
La porte étroite
Marie
Vitraux de
Pierre Parsus,
Église Saint-Joseph
des Trois Piliers,
Nîmes
Vitraux de
Pierre Parsus,
Église Saint-Joseph
des Trois Piliers,
Nîmes
La Résurrection
Vitraux de
Robert Prohin
Salle multimédia
Ispagnac, Lozère
L’Apocalypse
Le pressoir
Le buisson ardent
Vitraux de
Robert Prohin
Salle multimédia
Ispagnac, Lozère
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L’église Saint-Joseph
des Trois Piliers, Nîmes
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Des vitraux créés par Pierre Parsus
même composition. Pour tout dire, avec une
furent conquis par le fait que j’utilisais le relief
cation : au Collet passant sous les rayons du
Église Saint-Joseph des Trois Piliers
colle d’une consistance de miel liquide et inco-
et sculptais les couleurs. Par leurs conseils, ils
soleil qui brille, le facteur distribue le courrier
à Nîmes, vitraux, autel et tabernacle
lore, une technique autogène. Cette colle était
m’aidèrent à inventer une technique person-
supporté par l’oiseau de la République tandis
Pierre Parsus, artiste peintre invité par
teintée avec des couleurs polymérisées, fixées
nelle dans un matériau nouveau.
que la fleur sème à tout vent les graines de la
Robert Prohin, présente son travail à l’église
à la lumière. Un produit durcisseur plus un ca-
Ces travaux s’achevèrent par un vitrail hono-
connaissance.
Saint-Joseph des Trois Piliers. Pierre Parsus
talyseur y étaient ajoutés. Il restait dix minutes
rant la mémoire de l’Abbé Jean Thibon, ce curé
Au dessous, le Laborieux supporte toujours la
est né en 1921 à Paris. Il découvre le Gard en
pour peindre avant que la matière ne durcisse,
hors format, ce bâtisseur.
charge tandis que le capitaine guide sa desti-
1946 et s’y installe avec sa femme Lucette en
mais on recommençait couche sur couche,
1948. Son parcours et son œuvre sont présen-
nuance sur nuance autant de fois qu’il le fal-
Des vitraux créés par Robert Prohin
tés dans l’ouvrage Pierre Parsus - L’art singulier.3
lait. Donc, superpositions de teintes à l’infini
Salle multimédia d’Ispagnac, en Lozère
Conçue par l’architecte nîmois André Planque,
et surtout addition du matériau à volonté, ce
Cette salle publique créée pour les Ispagnacois,
l’église fut édifiée en 1966-1967 par la volonté
qui permettait de créer des reliefs, de les gra-
curieux de connaissances nouvelles, est aussi
de l’abbé Jean Thibon avec l’appui de tous ses
ver ensuite. Bref, un vitrail en bas-relief dans la
le lieu d’accueil et de rencontre des voyageurs
De la complémentarité
paroissiens.
lumière du ciel.
attirés par la beauté paisible de cette vallée où
pour un travail intime
Pour ma part, je reçus la commande de sa déco-
Seules contraintes : travailler à plat pour éviter
coule le Tarn, à la porte de ses gorges. Des ob-
Pierre Parsus habite une très ancienne maison
ration en 1967. Le curé Jean Thibon, m’avait-on
les coulures et, surtout, subir l’odeur atroce
jectifs sont donnés :
sur la place de Castillon-du-Gard. Il s’adjoint
prévenu, se méfiait énormément des peintres :
d’une matière mortelle, le métacrylate de mé-
• dans cette salle, trop petite, récupérer un
une bâtisse mitoyenne et demande à Robert
«Laissez-les faire et vous vous retrouvez chez
thyl, propice aux leucémies.
dessous d’escalier. Faire, de cette désa-
Prohin, son ami architecte, de projeter l’agran-
eux !». Fait important, il exigeait des vitraux qui
Restaient à décider les thèmes des vitraux.
gréable oblique, l’origine de la dynamique
dissement de son atelier au dernier étage, ainsi
seraient des sujets de sermons.
Avec le chanoine Dalverny, spécialiste de la
décorative du lieu.
qu’une pièce réservée aux activités de Lucette,
Lorsque je m’y rendis pour la première fois,
catéchèse et le curé Thibon, nous discutions.
• dans ce coquet amphithéâtre, faire, d’un
l’église était en construction. L’architecture,
Le chanoine fit alors une remarque décisive
fond d’impasse mal éclairé, une source de
son style, ses partis pris étaient très sages,
concernant l’église et ses vitraux sur deux cô-
lumière joyeuse et colorée inondant la salle
L’aventure commence
conformistes. Je recevais une commande pas-
tés : l’un d’eux, à droite, donnait sur la route de
d’une ambiance chaleureuse. L’impasse
Le parti pris par l’architecte est accepté sponta-
sionnante : douze vitraux, prenant naissance
Sauve très passagère ; celui de gauche donnait
est bien la cause essentielle qui justifie ces
nément par son client. L’atelier sera blanc. Son
au ras du sol, commandant, de ce fait , toute
sur une maison de retraite pour les prêtres
vitraux.4 Au nombre de cinq, ces vitraux par-
éclairage zénithal diffusera une lumière filtrée
l’ambiance du lieu. Chacun d’eux mesurait 5 m
2
âgés. Aussi, traduisit-il, «Église, que veux-tu dire
leront des ondes de vie pressenties au creux
uniformément répartie à l’aplomb des toiles à
environ, en forme de baies cintrées. L’abbé
au monde ?» d’un côté, «Église, que dis-tu de toi-
de ces lieux de fracture profonde :
peindre.
Thibon et moi, fûmes présentés l’un à l’autre.
même ?», de l’autre côté.
• «Le big-bang des origines, l’explosion.»
Les parois seront planes et les arêtes droites
Il y eut ce soir-là un déclic affectif aussi fort
Pour ma part, je demandais à traiter des
• «Le magma en fusion devient matière orga-
pour mettre en valeur les manifestations ly-
qu’inattendu ; il ne se démentit jamais. De mé-
thèmes à une dimension cosmique. Seraient
fiant qu’il était, le curé Thibon devint l’enthou-
présentés des «thèmes hugoléens», ceci afin de
• «L’apparition de notre planète, corps céleste.»
cette ressemblera à Pierre puisqu’elle l’aimait
siaste Jules II des Trois Piliers !
faire éclater l’espace, d’éviter à l’église un as-
• «D’entre ces blocs fracturés s’écoule enfin un
tant, son époux, son peintre venu d’ailleurs.
L’architecture de l’église était peu porteuse,
pect patronage ; mais aussi d’exploser les pon-
elle me laissait libre par conséquent. Mon rôle
cifs, trop habituels dans l’art sacré, à mon avis.
consisterait à l’animer, mais j’affirme que si
Côté route de Sauve, le soleil pourrait éclairer
elle avait été belle et originale, plus inspirée, je
les vitraux, aussi ai-je traité ceux-ci par la cou-
m’y serais soumis pour mieux la mettre en évi-
leur. Ce fut : «La Genèse», «Jacob et l’ange», «La
dence, en accord avec l’architecte.
Résurrection», «L’Apocalypse».
Restait un lourd problème paraissant inso-
L’autre côté, côté maison de retraite des prêtres,
luble : le vitrail authentique fait de verres de
couleur sertis de plomb est d’un prix de revient
née et qu’au dessus jacassent les trompettes
nique, source de vie.»
courant de vie porté par l’oiseau.»
• «Apparition de l’homme au cœur des flammes
rougeoyantes de l’oiseau initiatique.»
ser face à la perspective ainsi dégagée.
Un immeuble en Lozère,
Passons à l’aisance du cabinet : posé en ma-
drique. Au plafond, en son centre, lorgne l’œil
globuleux qui illumine le trône. Il ne reste plus
trop élevé, il fallait renoncer à l’employer... Que
«Marie», «Les disciples», «Je suis le cep, vous êtes
émerger au niveau de la route nationale qui
au peintre qu’à officier sur les murs.
faire ?
les sarments». Dans le chœur, j’eus à traiter «Le
traverse le village : des ateliers municipaux, des
Et c’est d’ici que se propagera un décor fan-
L’architecte eut vent, par pur hasard, de l’ap-
voile du Temple se déchirant», puis je peignis à
logements en accession à la propriété, des lo-
tastique se répandant, par la porte toujours
parition d’un matériau, à base d’Altuglass. Je
fresque l’autel et construisis le tabernacle en
gements sociaux, une supérette et la Poste.
ouverte, sur les parois, de la baignoire jusqu’au
partis à l’usine Alsthom à Courbevoie pour
Altuglass. Tout cela se fit en une dizaine d’an-
Cette construction est vitale pour la cité, sym-
plafond de la salle à manger.
m’initier et faire même un essai. Le principe
nées. Les paroissiens se sentirent, en général,
bole de la volonté d’un petit pays de s’affirmer
était simple : sur des plaques d’Altuglass de
bien concernés par tout ceci. Ce qui n’empêcha
vivant dans une économie fragile.
8 à 10 mm, on peignait avec de l’Altuglass de
pas les controverses. Les ingénieurs d’Alsthom
Le grand panneau décoratif5 affirme cette vo-
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Détail de l’un des cinq vitraux,
Ispagnac
en vis-à-vis, deux assises permettront de devi-
un signal dans la cité.
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Salle multimédia d’Ispagnac,
en Lozère
creux dans une paroi épaissie par des cloisons ;
Les fonctions s’étagent depuis la vallée pour
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L’ouverture de la baie trilobée s’affirmera en
sin ; ce fut : «Le veau d’or» et «La porte étroite»,
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riques et colorées de l’artiste. La pièce de Lu-
était mal éclairé. J’ai traité les vitraux par le des-
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sans oublier l’ajout de locaux d’aisance.
côtés, il peut être contourné puisque cylin-
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Au Collet les idées passent et la vie continue.
jesté au centre de l’espace, accessible de deux
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volent et du ciel, les oiseaux plongent.
au Collet-de-Dèze
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de la renommée. Du Gardon, les poissons s’en-
Immeuble aux fonctions multiples ;
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L’art comme interrogation
de l’architecture et de l’urbain
Daphné Brottet
13 février 2008
Comment le quotidien des espaces vécus participe-t-il à la transformation
d’un territoire, à la création d’une nouvelle identité d’un lieu ?
Depuis le geste de déconstruction de Gordon Matta-Clark, artiste
américain, architecte de formation, visant à critiquer le pouvoir politique
et le cloisonnement systématique de l’architecte, on a assisté à un
déploiement d’actions et de pratiques occupant les interstices émergents,
en décloisonnant les milieux architecturaux, artistiques, sociaux,
économiques. Ces nouvelles constructions produisent une réflexion visant
directement la notion d’ «habiter».
L’atelier
de Pierre Parsus
A Nîmes, l’approche globale de Nemausus, des logements sociaux conçus
par Jean Nouvel, fait prendre conscience de l’importance accordée
à la verticalité du projet et de la nécessité d’investir l’horizontalité.
Jean Nouvel a voulu deux bâtiments élevés sur pilotis.
Ces logements sociaux étant décollés du plan, le rez-de-chaussée extérieur
reste inemployé. Daphné Brottet propose une intervention artistique
avec les habitants sur cet espace en devenir.
Conclusion
De l’architecture au décor,
du décor dans l’architecture
vers une architecture expérimentale ?
importante pour le courant moderniste par l’organisation du Congrès International d’Architec-
nombreux artistes collaborer avec des archi-
ture Moderne) et 1985 (date de la création de
tectes et des urbanistes en vue de pousser plus
la résidence HLM Nemausus I), de nombreuses
loin les limites qui séparent le champ de l’art
études, recherches et applications du système
avec le quotidien, et, à travers cela, la disci-
fonctionnel révèlent les impasses du Style In-
pline de l’architecture-urbanisme. Cependant,
ternational et conduisent l’homme nouveau
l’apport le plus significatif concernant les liens
vers un «homme-type». Cette vision qui isole
étroits entre l’art et l’architecture reste celui de
le corps (ses proportions) de sa communauté,
Le Corbusier. Ses préoccupations visaient à
le positionne comme une référence absolue
répondre aux besoins d’une société qui devait
dans une approche naturaliste. Conjuguant
faire face aux problèmes d’hygiène et d’espace.
l’industrie et l’art, l’utopie du modèle appli-
Créant de nouveaux usages urbains, l’artiste-
cable, élaborée suivant des fonctions précises
Daphné Brottet
(2) Travaux réalisés par les ferronniers Joaquim Cortes
et Claude Fossaluzza (Nîmes). Maçonnerie : Bousquet
(Mende). Fontainerie : Jeanjean (Montpellier). Carrière :
Rabier (Chanac). Avec la participation de Dominique
Pierre.
architecte-urbaniste élabore des constructions
(habiter, travailler, circuler, se cultiver le corps
est artiste et curatrice. Elle mène
qui combinent le mobilier et l’immobilier du
et l’esprit), entre en scène significativement dès
des projets artistiques élargis
point de vue pratique et plastique. Cette esthé-
1945.
qui interrogent la société dans
tique, accessible pour tous (née à la suite de la
En 1985, l’architecte Jean Nouvel a envisagé un
toutes ses dimensions visibles et
(3) Pierre Parsus - L’art singulier. Imprimerie CIAM, 2005,
Carnets d’atelier 6, «Pierre Parsus», Paris, Mémoire
vivante, 2004.
crise de 1929 et jusqu’après la Seconde G uerre
projet «moderniste» pour Nemausus I, à Nîmes.
invisibles. Ils sont réalisés grâce à la
mondiale), a été diversement adaptée au fil des
Son projet, délibérément inspiré des principes
collaboration de différents acteurs
corbuséens apparaît comme un chef-d’œuvre
de la société. La forme des projets
(4) Les vitraux ont été exécutés par la miroiterie Cenac,
à Nîmes, avec la participation de Dominique Pierre.
décennies.
L’histoire de l’architecture est riche d’ensei-
pour les uns et, peu praticable, fait l’objet d’un
est variable, multiple et non dévolue
gnements, grâce aux expérimentations de
rejet catégorique pour les autres. En réalité, la
exclusivement aux lieux spécifiques
quelques-uns à partir (en faveur ou en critique)
problématique de cette résidence ne tient pas
de l’art contemporain.
temps nouveaux, de la liberté conquise et de
l’industrialisation, le décor a certainement été
méprisé.
Au fil du temps, le désir de dépasser l’utilitaire
s’affirme. Dans cette évolution vers une appréhension de plus en plus individualisée des
choses de la vie, noyée dans une internationalisation débridée, la recherche d’une liberté créatrice ludique est loin d’avoir atteint ses
limites.
nique consumériste ainsi que le vertige de l’infini commencent à nous interroger... Seront-ils
un frein ou le point de départ de nouvelles attitudes ?
L’évolution du décor sera toujours témoin de
l’état de la société qui le produit, que ce soit
en superposition, en prolongement, ou en osmose avec l’architecture.
Cultivons encore... Et toujours... La beauté ténébreuse des objets fraternels… ■
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des inventions de Le Corbusier. Entre 1928 (date
Le siècle dernier, fraîchement écoulé, a vu de
Au début du XXe siècle, dans la mouvance des
La perte de confiance en la science et la tech-
Faux procès, vrais questionnements :
(1) On peut se référer aux Carnets d’atelier 16, «Prohin»,
Paris, Mémoire vivante, 2004.
(5) Émaux réalisés par la céramiste Nicole Lefur de
Massillargues-Attuech.
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à son aspect visuel de métal et de béton mais
au site, en vue de générer de la disponibilité.
plutôt à sa structure même, créant ainsi des es-
Ici, c’est en tant qu’artiste que je présente une
paces interstitiels non investis, laissés vacants.
vision du Nemausus I et les projets à créer pour
Aussi, nous verrons en quoi ce projet ne peut
vivre ensemble.
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être perçu, en 2008, comme résolument «moLes grandes lignes
derniste» ou «utopique», malgré ses apparences
plastiques. Accordant aux futurs occupants des
de la résidence Nemausus
lieux le statut de locataires, qui est une valeur
Sans redire ce que Gérard Monnier a précé-
administrative, l’architecte français a écarté
demment expliqué concernant les liens de Le
celle d’habitant au sens entier et fort du terme.
Corbusier avec Jean Nouvel pour Nemausus, il
Mais ce qui retient l’attention sur ce projet, c’est
apparaît évident que ce dernier a voulu rendre
sa conception à partir de modules. Quelques
hommage aux principes fondateurs de l’ar-
moments importants de l’histoire des arts et
chitecture moderne. L’emploi des pilotis, du
de l’architecture (connus de l’auteur de Ne-
béton, le plan libre, la façade libre pour une
mausus) nous aident à prendre conscience des
luminosité optimum dans les logements sont
limites du vaste projet initié par Le Corbusier,
autant d’éléments qui, associés au métal, font
ses contradictions et ses écueils. Dans cet élan,
de cette HLM une résidence dite «fonction-
il serait possible d’échafauder des projets qui
nelle». Bien que le coût de la réalisation et de
permettraient de donner une véritable identi-
l’entretien soient de solides points en faveur de
té à la résidence de Jean Nouvel. Celle-ci, ap-
l’architecte, force est de constater l’écart avec
Fort heureusement, nombreux n’ont pas suivi
A la vision du monde résolument verticale du
portée par ses habitants sollicités comme des
ce qui relève du projet utopique. Le contexte,
ces directives et se sont appropriés leurs habi-
créateur du «modulor» qui refusait de recon-
contributeurs au projet architectural, tendrait à
si cher à Jean Nouvel, n’apparaît qu’à titre évo-
tations en peignant tout ou partie des murs et
naitre le mouvement (notamment entropique)
considérer le projet doublement inachevé dès
cateur. Anciennement une friche industrielle
des plafonds et ont décidé de l’aspect de leurs
comme élément fondamental de l’architecture,
sa livraison en 1987 pour un devenir radieux.
(d’entrepôts de matériel électrique), ce site ne
intérieurs avec les rideaux et voilages de leurs
Gordon Matta-Clark, alors architecte, va deve-
L’engagement de l’artiste américain Gordon
conservait que les deux rangées de platanes.
choix.
nir artiste plasticien et s’en prendre, au sens en-
Matta-Clark, qui fut architecte puis artiste plas-
C’est à partir de cette configuration que Ne-
Reprenant le concept de la Charte d’Athènes,
tier et direct du terme, au bâtiment. Parce que
ticien, proposa comme principe fondateur de
mausus a été dessiné.
en 1933, selon laquelle «les matériaux de l’urba-
les architectes-urbanistes du fonctionnalisme
création artistique, dans les années 1970, une
Par la suite, François Seigneur, alors artiste (de-
nisme sont le soleil, l’espace, l’acier et le ciment
considéraient l’humain à travers la dénomina-
critique de l’esthétique de Le Corbusier, une
venu architecte) et collaborateur de Jean Nou-
armé, dans cet ordre et dans cette hiérarchie»,
tion de l’homme standard, ils ne concevaient
vision de l’architecture déconstruite, au sens
vel, a été invité pour réaliser des interventions
sont à employer et à agencer, Jean Nouvel ré-
qu’un seul mode de circulation, celui guidé par
«derridien». Ses actions et réalisations furent
plastiques sur le béton laissé brut à l’intérieur
vèle, par là, les failles du Nemausus. Ses pro-
l’activité productive. Ils n’envisageaient pas le
largement empreintes de la pensée, des écrits
des logements. Une charte composée de plu-
blématiques ne se résument pas dans le sim-
principe de la mobilité de la société. L’isolation
et des productions filmiques des situation-
sieurs points pour l’entretien et la non-interven-
plisme et l’emploi de toutes ces données. Elles
des éléments au déni des flux et d’une vision
nistes que nous évoquerons pour certains pro-
tion était présentée à chaque locataire. Elle de-
invoquent l’ordre et la hiérarchie, c’est-à-dire
globale du politique, donc de la ville, a orienté
jets. Puis, c’est la vision d’un Giancarlo de Car-
vait être signée par eux-mêmes le jour de l’état
des éléments pour une architecture et un ur-
la création de modules suivant lesquels il fal-
lo, en Italie, qui nous permettra de comprendre
des lieux, et, s’ajoutant au bail, comportait un
banisme fixé, immobile et immuable. C’est sur
lait se conformer. L’utopie de Le Corbusier qui
en quoi le modernisme fait l’objet d’une remise
certain nombre d’interdits. Le plus important
ce point, apparemment invisible, que je prends
semblait répondre aux problèmes de logement
en question et resitue l’architecte dans un rap-
d’entre eux était de ne pas peindre ou tapis-
appui afin d’explorer ce que peut être un projet
et d’hygiène, s’engage, finalement, dans la voie
port horizontal et d’égalité avec ses contempo-
ser les murs et les plafonds, de ne pas changer
utopique et expérimental, forcément politique.
de l’hygiénisme, du conformisme et du cloi-
rains. Même s’il ne s’agit pas d’un chef-d’œuvre,
les rideaux des fenêtres. Un code couleur dans
L’utopie architecturale ne serait-elle pas, au
sonnement et fait fi de la valence des rapports
Nemausus I questionne et suggère des possibi-
le style de la maison radieuse a été établi. Par
contraire, l’antithèse des conceptions corbu-
humains. L’esthétique du Style International
lités par ses manques. Le film du projet Ecobox
exemple, les stores rouges correspondent aux
séennes, à savoir la prise en considération du
entend réunir l’art et la vie sur un même espace
réalisé en 2001 sous l’impulsion des architectes
appartements de Type 4, les stores bleus aux T2,
politique ? Aussi, vais-je me risquer en évo-
urbain contrôlé, régi par les lois des mathéma-
Doïna Petrescu et Constantin Petcou, associés
les stores jaunes pour des T3, et des stores verts
quant ce qui a été source d’enseignement dans
tiques pour contenir les individus-types, orga-
au sociologue Pascal Nicolas-Le Strat, est révé-
pour les T5. Pour inciter les habitants à ne pas in-
l’histoire de l’art et de l’architecture depuis Le
niser les déplacements et les activités selon un
lateur de changements réalisables dans la ville,
tervenir dans les lieux, François Seigneur a laissé
Corbusier, lui réfutant ainsi tout superlatif ; oser
modèle.
en mettant en œuvre le principe de la partici-
les marquages rouges horizontaux (repères tra-
aborder ces problématiques depuis le champ
Afin de révéler la trame idéologique du créateur
pation. Enfin, nous pourrons ouvrir un dialogue
cés pendant la construction) et a fait apparaître
de l’art contemporain et à partir ce que qui
démiurge qu’est l’architecte, l’artiste américain
à partir de cette modalité participative adaptée
les aspérités du béton sous son aspect lisse.
existe, ici et maintenant.
Gordon Matta-Clark s’attaque, dès 1971-1972,
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Entre-vues n°2.
Installation temporaire réalisée
par Daphné Brottet. Ruban de
sécurité en plastique rouge
et blanc, 2011. Une seconde
version, suite à celle de 2009,
réalisée lors de la Fête des
voisins.
Le point de vue d’un artiste :
Gordon Matta-Clark déconstruit
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à un bâtiment abandonné à New York. Bronx
l’artiste donne à voir les vides créés par la doc-
tecture. Cependant, cette pratique inédite et
révolutionnaires.»5 A la pensée de l’unité de
Floor : Four Wall est une découpe à l’aide de
trine du Style International et de ses faiseurs.
sans égale dans l’histoire de l’art, s’inspire lar-
culture, d’unité de travail, d’unité d’habitation
tronçonneuses, de marteaux et de burins dans
L’urbanisme d’alors expose une criante image
gement des situationnistes, à Paris.
de Le Corbusier comme vision progressiste de
le bâtiment aux intersections des espaces ver-
du contrôle de l’espace public. La question de
ticaux et horizontaux. Cette incision est extraite
l’image devient aussi très importante car elle
Le point de vue philosophique
tuationniste objectaient en décidant l’appro-
de la construction et laisse apparaître des
permet de comprendre les différentes facettes
et politique:
priation des espaces de la ville, de la polis, et
perspectives étonnantes de déconstruction.
d’un projet. Les photomontages que réalise
créer de nouvelles situations
par la même, de la politique, pour créer des
Le fragment est ensuite exposé au 112 Green
Gordon Matta-Clark à partir de Splitting, en
En effet, par delà la critique de l’artiste et ar-
zones temporaires d’activités alternatives et
Street Gallery à New York, en 1972, sous le titre
1974 (coupant net, en deux parties, la maison
chitecte américain Gordon Matta-Clark, l’as-
subversives. Leur pensée de l’unitaire campe
de Bronx Wall : Threshole.2 Ses interventions
d’un particulier à Englewood, dans le New Jer-
pect poétique de ces actions se conjugue avec
sa cohérence dans l’opposé du stéréotype
sont filmées, photographiées et relatées par
sey), et W-Hole House : Datum Cut, Core Cut,
l’engagement politique de ce dernier. Il crée un
écrasant. Par la déambulation dans la ville et
écrit. L’œuvre de l’artiste américain dénonce
Trace de Cœur composée de six photos noir &
nouveau territoire entre l’art et l’architecture.
suivant un parcours aléatoire, les protagonistes
précisément l’absence de l’art et de créativi-
blanc, en 1973, abordent la question du mon-
Son acuité de la société à travers son observa-
créent une autre temporalité. La dérive psycho-
té des architectes qui ne conçoivent que des
tage/démontage. Le démontage des logiques
tion de la ville le rapproche singulièrement des
géographique ouvre d’autres vues de la ville,
lieux de conditionnements des esprits et des
mathématiques appliquées à l’architecture,
situationnistes. Après avoir arpenté les rues et
des visions du paysage inédites, de nouvelles
corps. Par cette déconstruction de la «machine
dans sa version la plus simpliste, est ainsi ma-
les souterrains de Paris pendant ses années
zones d’ambiance. Elle est une méthode d’ana-
à habiter» (et non une destruction), il ouvre les
térialisé par la photographie. Recomposés, ces
d’études (à la Sorbonne, en 1963-1964) et cer-
lyse urbaine, d’où peuvent surgir des proposi-
compartiments, montre la face cachée de ses
fragments proposent une construction diffé-
tainement marqué par les écrits des lettristes et
tions de modifications à partir des désirs de ses
formes préétablies et entame une critique vio-
rente et innovante. Gordon Matta-Clark expose
situationnistes, il a exploré la ville de New York
usagers eux-mêmes.
lente et proportionnelle aux lois monolithiques
ainsi la conséquence originale et féconde de la
par ses interstices. En achetant de petites par-
«L’architecture est le plus simple moyen d’arti-
des architectes «corbuséens», lesquels, à la
pratique de la déconstruction, celle de l’agen-
celles de terrains urbains non utilisés, il a rendu
culer le temps et l’espace, de moduler la réalité,
suite du «grand ordonnateur», se considérèrent
cement.
visible ces espaces inexploitables apparaissant
de faire rêver. Il ne s’agit pas seulement d’articu-
au sommet de son système pyramidal. Les frag-
En déconstruisant la mécanique de la «ma-
comme des trouées sur le plan de la ville. Ces
lation et de modulation plastiques, expression
ments arrachés de la construction, deviennent
chine à habiter», il montre, tel le révélateur
morceaux de ville, résultat de nombreuses er-
d’une beauté passagère. Mais d’une modulation
des sculptures. Gordon Matta-Clark met en évi-
dans le bac de la chambre obscure, la photo-
reurs d’arpentage ou d’anomalies dans la dé-
influentielle, qui s’inscrit dans la courbe éternelle
dence un rapport d’échelle radicalement diffé-
graphie de l’idéologie fonctionnelle. Disposant
limitation des zonages, furent laissés à l’aban-
des désirs humains et des progrès dans la réali-
rent de celui imposé par le «Modulor». La pro-
ces nouvelles images de manière originale, il
don. Fake estate est composé de quinze lots
sation de ces désirs. L’architecture de demain
blématique ne se situe plus seulement dans la
compose et recompose. Il fait surgir d’autres
achetés aux enchères.
sera donc un moyen de modifier les conceptions
forme mais également dans le temps.
images, d’autres formes possibles à partir des-
Ce projet aborde l’espace urbain à la manière
actuelles du temps et de l’espace. Elle sera un
L’incapacité des architectes d’alors à réinventer
quelles le monde peut s’articuler. Ces images
d’un négatif photographique. Le détournement
moyen de connaissance et un moyen d’agir. Le
le monde, à proposer des structures adaptées
réorganisées, perçues dans un ensemble
d’images publicitaires et des références litté-
complexe architectural sera modifiable. Son as-
à l’humain, n’interrogent pas l’architecture
agencé ouvrent une voie, celle de la liberté
raires, l’écriture de textes (Potlatch) à partir des
pect changera en partie ou totalement suivant
sous l’angle de la temporalité et du temporaire.
de pouvoir construire autrement, et de ma-
dérives psycho-géographiques, la réalisation
la volonté de ses habitants.»6
L’autre écueil du projet dit «expérimental» se
nière temporaire. En définitive, loin d’être un
de films, la composition d’un corpus d’images
A travers la pratique du jeu (à ne pas assimiler
repère aussi dans le désir forcené de produire
acte de destruction nihiliste, l’œuvre de Gor-
constituent autant de pratiques situationnistes
avec les loisirs qui sont l’apanage de la consom-
des projets pérennes, au risque de négliger les
don Matta-Clark développe une esthétique
pour «changer le monde». Les conséquences
mation passive, haut lieu de vacuité), celle de
conditions de vie pour leurs habitants sur plu-
du vide, c’est-à-dire celle qui accorde la place
de l’utopie et des ordonnancements urbains
l’architecture doit être vécue différemment et
sieurs décennies.
aux modifications provisoires. Malgré le rejet
du fonctionnalisme, opèrent quotidiennement
diversement. Le plan général délimité au sein
«Nous vivons tous dans une ville..., dit Mat-
catégorique de son œuvre par les politiques
sur les comportements. «Nous pensons d’abord
duquel s’empileraient les unités de vie, pour
ta-Clark, dont le tissu est architectural [...], où
et les architectes-urbanistes, l’apport décon-
qu’il faut changer le monde. Nous voulons le
faire régner l’ordre et l’organisation rigoureuse,
la propriété est omniprésente [...]. En décon-
structionniste de l’artiste instaure une vision vi-
changement le plus libérateur de la société et
se fissure. La contestation, par une vision frag-
struisant un édifice [...], j’ouvre un espace clos,
vifiante chez certains et laisse quelques traces
de la vie où nous nous trouvons enfermés. Nous
mentée de l’espace et du temps, crée le mou-
préconditionné non seulement par nécessité
dans les créations de Frank Gehry par exemple,
savons que ce changement est possible par
vement à rebours du système des construc-
physique mais aussi par l’industrie qui inonde
ou fait écho aux préoccupations de Zaha
des actions appropriées. Notre affaire est pré-
teurs du fonctionnalisme. Les situationnistes
les villes et les banlieues de boîtes habitacles
Hadid. Les actions de Gordon Matta Clark
cisément l’emploi de certains moyens d’action
permettent des agencements à partir des dé-
dans le but inavoué de s’assurer le concours
(stoppées prématurément par un cancer en
et la découverte de nouveaux, plus facilement
sirs et non des rationalismes. Au pouvoir de
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d’un consommateur passif et isolé.» Catalogué
1978) furent délibérément ignorées des pro-
reconnaissables dans le domaine de la culture
tous, l’urbain et l’architecture appartiennent
fessionnels, et écartées de toute considération
et des mœurs, mais appliqués dans la perspec-
à chacun qui est invité à agir. «Contre le spec-
sionnels de l’urbanisme et de l’architecture,
par les enseignants au sein des écoles d’archi-
tive d’une interaction de tous les changements
tacle, la culture situationniste réalisée introduit
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la société, les membres de l’Internationale Si-
et réduit au statut d’anarchiste par les profes-
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la participation totale.»7 Cette technique du
avec les habitants, telle est la nouvelle mé-
prochaines années. Lui offrant l’opportunité
partagés et de nouvelles pratiques dans la ville.
déplacement sans but précis a été appliquée
thode de travail de l’architecte réputé pour son
d’advenir et de sortir du cadre de son image
Ces lieux, loin d’être le cimetière d’activités pas-
par les artistes et fut réinventée par l’architecte
engagement dans la modalité participative.
figée pour l’éternité, cette résidence HLM serait
sées, deviennent le terreau de projets collectifs
italien, Giancarlo de Carlo, proche de Le Corbu-
Conscient des problèmes de contraintes et de
le lieu de la créativité, de la mobilité par l’inter-
possibles et génèrent une disponibilité pour de
sier à ses débuts. Arpenter les lieux dans le but
conditionnement pour les occupants des lieux,
vention des habitants eux-mêmes. Sur ce mail
nouvelles pratiques urbaines.
précis, au contraire, d’observer l’histoire d’un
érigés plus à la gloire des architectes du fonc-
(espace central traversant initialement la rési-
«Nous proposons des “tactiques urbaines” pour
territoire, lui permet de concevoir un projet en
tionnalisme qu’aux destinataires en vue d’un
dence) laissé vacant émergeraient des projets
accompagner les micro processus locaux dans
adéquation au moment présent. Son apport
véritable confort approprié et en rapport avec
éphémères, et permettraient de transformer
les milieux urbains où les décisions sont prises
d’une vision organique de la discipline pour
le territoire et ses mobilités, Giancarlo de Carlo
les relations entre ses résidents et les autres
au nom d’intérêts économiques privés et de mé-
s’adapter à la société vient remettre en ques-
choisit la complexité. Il imagina peu à peu des
citoyens du quartier de manière sensible. Ne-
canismes politiques centralisés inadaptés aux
tion l’esthétique du Style International.
formes et des structures plus organiques, allon-
mausus se doterait alors de l’épaisseur huma-
mobilités territoriales actuelles : globales, in-
gées sur l’horizon, des espaces de reliance. Aux
niste tant attendue.
formelles, multiculturelles… Nous explorons la
Le point de vue d’un architecte :
logiques mathématiques corbuséennes, l’ar-
À la suite des expériences créatives des décon-
réappropriation de l’espace de vie et la création
l’engagement de Giancarlo de Carlo
chitecte italien ambitionne une construction et
structivistes d’une part, de l’observation du site
de nouvelles formes d’urbanité par des aména-
Plus attaché au processus qu’au produit, aux
un agencement urbain en corrélation avec l’en-
pour en extraire un contexte d’autre part, et
gements réversibles, des pratiques du quotidien,
méthodes plutôt qu’aux fins, Giancarlo de Car-
vironnement existant. Pour son grand projet à
d’un ancrage forcené aux valeurs du Style Inter-
par l’implication des habitants et des usagers
lo a plus souvent exprimé son désir de créer les
Urbino, Giancarlo de Carlo prend en compte
national d’une part supplémentaire, Jean Nou-
en tant que porteurs de désirs et de savoir-faire.
conditions permettant le désordre que de créer
les grandes lignes mais aussi les particularités
vel répond à la commande de Jean Bousquet,
En valorisant la position d’habitant et d’usager
le désordre lui-même afin de maintenir les liens
du site qui s’étend de la vieille ville à la ruralité.
alors Maire de la ville, avec Nemausus. Tous les
comme condition politique, nous développons
entre les constructeurs et les usagers. Pour lui,
Son étude est minutieuse et vigilante, dégagée
éléments pourraient s’agencer dans un ordre
ensemble des outils d’appréhension des enjeux
l’habitant n’est plus celui qui va s’accommoder
de tout préjugé. Sa recherche d’une cohérence
différent. Aussi, n’est-il pas si incongru de pen-
urbains et d’appropriation symbolique des es-
de ce qu’il lui est proposé (l’incitant à détermi-
tout en se saisissant des conflits, lui a permis
ser à inverser les hiérarchisations et de créer
paces de proximité et nous renforçons le pouvoir
ner son rapport au beau et au bien-être) mais
de repositionner l’architecte-urbaniste parmi
des situations inédites. Sans rejouer à la lettre
de décision et d’action des acteurs de terrain.
va devenir le collaborateur et le commanditaire
les siens et de prendre appui sur le contexte.
les expériences du groupe formé par des archi-
Ces outils incluent des réseaux trans-locaux,
de l’architecte. Il intervient à l’origine du projet,
Pour revenir à Nemausus, à Nîmes, et à Jean
tectes-urbanistes Doïna Petrescu et Constantin
des processus catalyseurs, des architectures
apparaît en co-auteur dans la construction de
Nouvel pour qui le contexte est la donnée fon-
Petcou, le sociologue Pascal Nicolas-Le Strat
nomades, des espaces autogérés, des plates-
son nouveau mode de vie, le créateur d’une
damentale de tous ses projets, il apparaît que
avec les habitants du quartier de la Chapelle, à
formes de production culturelle.»12
nouvelle esthétique. «Nous avons perdu la no-
la résurgence des grands principes de Le Cor-
Paris, pour le projet ECObox, il est envisageable
Un film a été réalisé et édité. Il relate tous les
tion de cité/organisme complexe et en sommes
busier s’applique difficilement dans les années
de s’inspirer des micro projets réalisés sur cette
projets élaborés par des groupes de personnes
venus à penser la construction d’habitation de
1985 pour un désir «expérimental», «utopique»,
friche, à la Halle Pajol.
vivants dans le quartier avec le collectif aaa, la
la même manière que la production d’objets
voire «idéal». C’est pourtant dans ces termes
manufacturés. En fait, dès que les études sur
que cette HLM est présentée, notamment par la
l’habitat se répandirent, nous ne pensions qu’à
uniformiser, normaliser et qu’aux typologies co-
et l’impact de ceux-ci sur la population, à long
présence d’associations. Cependant, la plupart
une inspiration pour des projets collectifs
terme. De ce fait, le projet apparaît comme pa-
d’entre elles ne se soucient pas d’expérimenta-
Constatant la vacance du terrain de cet an-
radigmatique de la réussite d’interventions col-
rollaires. Les typologies cessèrent d’être des clas-
tions et assurent la réalisation de leurs projets
cien entrepôt SNCF, laissé à l’abandon par les
lectives suivant la modalité de la participation.
sifications analytiques a posteriori pour n’être
sans correspondances particulières avec le
pouvoirs publics, les architectes ont proposé
Sur plus de trois ans, le groupe a œuvré avec
plus qu’une confortable idéologie a priori.»
site. Le défi financier et économique relevé par
aux habitants du quartier de créer un projet
les habitants. L’hypothèse de travailler à partir
La démarche de l’architecte qui avait rejoint
l’architecte pour des habitations plus vastes
architectural inédit et innovant en vue de res-
des brèches dans le tissu urbain a remodelé
le Congrès international de l’architecture mo-
et lumineuses deviendrait alors l’unique point
tructurer les liens entre eux, de changer la vie.
les temporalités. L’ampleur des activités dé-
derne vers 1955 mais dont il réfutait radicale-
d’importance pour qualifier ledit projet. Aussi,
Ce projet est constitué de plusieurs réalisations
veloppées a supplanté le processus de dégra-
ment le principe d’immuabilité, se prononça
pourquoi la version expérimentale de Nemau-
qui participent à la construction des besoins et
dation des relations humaines et, par consé-
rapidement pour une étude attentive du ter-
sus ne tiendrait-elle pas davantage à son deve-
des désirs humains investis dans le social. A la
quent, les éléments urbains. Ces nouvelles
ritoire. En le parcourant, il prend la mesure et
nir qu’à sa réalisation même? Les conceptions
manière d’un Gordon Matta-Clark, le groupe
situations permirent de transmuer l’espace et
apprend à : «[...] Lire les signes du territoire et à
de Patrick Bouchain pour qui «l’ouvrage doit
aaa (atelier d’architecture autogérée, créé en
le temps en une nouvelle cohérence, révélant,
travers cette lecture, devenir capable de décou-
rester ouvert, «non fini», et laisser un vide pour
2001)
a appréhendé la ville par ses inters-
par là, l’épaisseur des êtres et la mobilité des
vrir et d’interpréter son histoire qui n’est pas seu-
que l’utilisateur ait la place d’y entrer pour s’en
tices. L’esprit créatif du déconstructivisme «pe-
choses. La multitude d’instants créatifs (agis-
lement son passé mais aussi son présent et ses
servir, l’enrichir sans jamais le remplir totale-
rexiste». Dès 2001 aaa développe une stratégie
sant comme des petits coups de canif dans le
attentes futures.» 9
ment, et le transformer dans le temps»10, s’ap-
d’éco-urbanité dans le quartier La Chapelle, à
contrat avec le consumérisme) initiés par le
Lire et expérimenter (reading and tentative)
pliqueraient alors à Nemausus pour les vingt
Paris. Elle vise à inventer de nouveaux usages
collectif a généré des moments de réalisation
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manière dont les événements se sont déroulés
ECObox :
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de soi, de production d’ambiance en profon-
de le lire à l’aide d’une caméra avec les habi-
deur. Apportant également un renouvellement
tants et d’en réaliser un film. La multitude de
de l’esthétique des pratiques transversales ar-
points de vues construite propose un contre-
tistiques et culturelles, les micro projets nous
point au documentaire de Stan Neumann et
enseignent aujourd’hui la valeur des situations
Richard Copans. La somme des prises de vue
éco-urbaines désaliénées de toute dévotion
agencée (grâce au soutien technique de l’Esba-
aux instances politiques.
ma) apportera une vision hétérogène et subjec-
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Conclusion
de la résidence et permettra de répondre aux
attentes et désirs de ceux qui l’occupent. Cette
dans le quartier Route d’Arles et dans un design
première création collective donnera quelques
de style industriel est née de la volonté de re-
clefs pour l’émergence de projets futurs. Mes
connaître Le Corbusier comme une référence
propositions sont d’ordre artistique et pour-
d’autorité. L’ordonnancement d’une suite
ront s’associer avec des initiatives particulières
d’appartements traversants, à l’intérieur d’une
des habitants. En 2008, est-il démesuré de «re-
forme prédéfinie, s’organise avec plus ou moins
vendiquer des architectures improbables. Celles
de bonheur. Le décloisonnement des espaces
qui allient praxis et poiésis pour imprimer un
intérieurs met en valeur la quantité d’espace et
lieu, lier leur sort à ce lieu ?».14 Parallèlement
de lumière pour chaque logement. Quelques
aux actions déployées dans les espaces inters-
appartements bien dotés en cette matière, au
titiels de la résidence par les habitants, il sera
détriment d’autres, souffrent néanmoins de la
possible d’éviter la pose d’une clôture qui est
structure générale (forme compacte, simple,
envisagée par le bailleur pour résoudre les
visuellement attractive), des matériaux (si
problèmes de fréquentations et divers trafics
«beaux» soient-ils) et du climat (une canicule
illicites entrainant une dégradation des biens
intense chaque été et des hivers rigoureux et
personnels et collectifs dans les parkings situés
très venteux malgré la géographie). En effet, les
en entresol. Quelques associations perçoivent
coursives (espaces intermédiaires), loin d’être
positivement un changement par l’initiative
franchement investies par les locataires pour
des résidents et sont prêtes à contribuer.
vivre des instants conviviaux, sont vécus par la
À l’instar de Patrick Bouchain : «Il faut remplacer
population comme des lieux de nuisances so-
le dire par le faire et mettre le désir à l’épreuve,
nores. L’isolation phonique et thermique est à
car ce sont les contrastes qui, liés entre eux par
l’œuvre par le bailleur actuel. Des coursives (en
l’acte de faire, pourront coexister pacifiquement
hauteur) au mail (au rez-de-chaussée), les in-
et créer l’ensemble nécessaire à la vie en com-
terstices inoccupés restent visibles à qui prend
mun.»15 Et j’exhorte toutes les bonnes volontés
le temps de déambuler, d’observer le site.
à mettre en place plusieurs événements pour
Les manques donnent un aspect particulier à
créer un mode de vie innovant, en Méditerra-
la résidence. Ceux-ci, qui se montrent en né-
née. Le décloisonnement voulu par Jean Nou-
gatif photographique, deviennent une valeur
vel deviendra alors l’autre modalité sur un ter-
positive pour être le lieu du partage et faire
rain de jeu approprié pour tous ■
surgir une véritable identité au lieu. À partir
de l’image du bateau échoué au milieu de la
ville, les habitants peuvent décider des agencements qui leur sont propres par des actions,
des créations de micro événements temporaires. «Un sol abandonné est un terrain d’élection pour les plantes vagabondes. Une page
neuve pour esquisser un dessin sans modèle.
L’invention est possible, l’exotisme probable.» 13
En tant qu’artiste, je propose d’observer le lieu,
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Images du film 0347,
la porte est ouverte,
conçu par Daphné Brottet,
à l’invitation de l’association
«Les amis de Nemausus»,
finalisé en 2010,
www.reszone-xyz.blogspot.fr
tive du site. Elle abordera alors la face cachée
Pour conclure, la résidence Nemausus, inscrite
i
(1) Jacques Derrida, philosophe français (1930-2004) a
investi la théorie de la déconstruction (originellement
développée par Heidegger) du concept de différance
en percevant des écarts significatifs entre les oppositions dans le langage qui sont invisibles. La déconstruction, loin d’être une destruction, propose le démontage
des rouages du texte, découvre l’implicite, le présupposé et l’inaperçu. Sorte d’esthétique de l’intervalle, elle
révèle la charge subversive de la langue, celle-ci truffée
de failles. «Un texte n’est un texte que s’il cache au premier regard, au premier venu, la loi de sa composition
et la règle de son jeu. Un texte reste d’ailleurs toujours
imperceptible.» J.D.
(5) Guy Debord, Rapport sur la construction des situations, Paris, Mille et une nuits, 2001, p.7.
(2) En anglais, threshold veut dire seuil et hole : trou. Le
jeu de mot (mot-valise) inventé par l’artiste révèle son
intention de situer son acte au seuil des appartements
individuels dans le bâtiment en y réalisant des trouées.
threshold veut également dire, au figuré, à l’orée. Au
sens propre comme au figuré, l’artiste dessine son
projet de créer des trouées entre les pratiques pour en
découvrir la structure et, par là, d’explorer de nouveaux
territoires.
(9) in Architecture et Liberté, Paris, Édition du Linteau,
p. 254, 2004.
(3) in Anarchitecture et détournement, à propos de Gordon Matta-Clark, par Olivier Lussac.
(4) Dans les années 1990, les architectes se rapprochent
véritablement des arts plastiques grâce à une vision déconstructiviste de la discipline. Zaha Hadid, qui a conçu
la caserne des pompiers à Bâle en 1994, à partir de
l’éclatement des formes du Style International, propose
une sorte de mobilité architecturale. En déconstruisant
le modèle clos et rigide de Le Corbusier, et s’appliquant
à l’étude du site, l’architecte irako-britannique offre un
lieu adapté aux fluences du temps pour une évolution
des espaces. Isabelle de Ponfilly concluait son propos
lors d’un colloque («Y a-t-il une architecture industrielle
contemporaine ?») tenu à la Saline royale d’Arc-et-Senans, en 1999 sur le projet de Zaha Hadid : «C’est un bâtiment qui est extraordinairement vivant puisque c’est
un ouvrage de béton qui a, en même temps, la souplesse, l’agilité chorégraphique qui, moi, me fait penser à une sorte de danse des sept voiles. Et en effet, au
cœur de ce bâtiment, il y a ce vestiaire des pompiers qui
est, en un sens, impudique, mais qui est véritablement
la chose de l’architecture la plus proche et du corps et
du service rendu par ce bâtiment».
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(6) Ivain,Gilles ,»Formulaire pour un urbanisme nouveau», in Internationale situationniste n°1, Paris, juin
1958.
(7) Debord, Guy, Internationale situationniste n°4, Paris,
juin 1960.
(8) Giancarlo de Carlo, cité par John Mac Kean, in Giancarlo de Carlo, des lieux des hommes, sous la direction
de John Mac Kean, Paris, Axel Menges-Centre Pompidou, 2004, p.24.
(10) Construire autrement, comment faire?, Paris, Acte
Sud, «L’impensé » p. 27.
(11) aaa est une plateforme collective de recherche
et d’action autour des mutations urbaines et des pratiques culturelles, sociales et politiques émergentes.
(12) atelier d’architecture autogérée (aaa) : Doïna
Petrescu, Constantin Petcou, Pascal Nicolas-Le Strat,
les étudiants en architecture et sociologie réunis pendant des workshops.
(13) Patrick Bouchain, in Construire autrement, comment faire? Editions Actes Sud, coll. Impensé, Paris, p.
164.
(14) Manifeste de Louisiana, de Jean Nouvel, dans lequel il fustige l’architecture générique qui «fleurit sur le
terreau, sur les excréments fonctionnalistes de l’idéologie moderne simpliste du XXe siècle. La charte d’Athènes
se voulait aussi humaniste que le communisme de
Moscou mais les caricatures dogmatiques mises en
œuvre par des résignés ou des corrompus laissent un
héritage politique et urbain accablant.» Ces propos,
datés de juin 2005, mettent à jour le parcours réalisé
par l’architecte. Ils ouvrent de nouveau le livre de la
pensée complexe.
(15) Ibid., p. 26.
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La ruine comme fondement
en architecture et en psychanalyse
Fabienne Potherat 10 avril 2008
Le mot «ruine» est emprunté vers 1155 au latin ruina qui désigne la chute,
l’écroulement, en particulier l’éboulement des bâtiments. Le pluriel ruinae
du refoulé. Proche en cela du processus de
monde, il semble même en indiquer la trace.
transfert psychanalytique, notre fondement
Nous visitons à partir des traces archéolo-
est un lieu de rassemblement et de rencontre
giques certaines croyances, la ruine devenant
désigne concrètement les décombres ordinaires et se distingue ainsi des
de forces vives qui ne cessent d’échapper au
non seulement un fait architectural (Jean Nou-
vestiges. Ce mot est également employé au figuré pour «effondrement»,
Thanatos pour se relancer vers l’Éros, quittant
vel, la DOMVS VESVNNA de Périgueux) mais aus-
provisoirement le thanatique, car rien n’in-
si religieux et politique comme symbole d’une
«désastre», il est dérivé de ruere : faire tomber, s’écrouler. Le glissement de
dique que ce rassemblement ne tienne ou
volonté «royale et/ou divine» laissant une ques-
l’architecture à la psychanalyse s’opère aisément à partir de l’image d’un
n’ait la tenue et la rigueur mathématique des
tion ouverte sur la responsabilité de l’Homme
édifice n’ayant plus sa forme et sa structure originaires. Sous l’Até,
cités idéales. Nous ne sommes pas dans l’ho-
créateur.
mogène, le pur, l’incorruptible et l’aseptisé de
le désastre par une puissance extérieure, ce quelque chose n’est plus dans son
«C’est seulement quand nous pouvons
habiter que nous pouvons bâtir.»4
tout. Nous sommes dans le flux d’une terre,
unité figurale, mais il existe encore de façon chaotique, équivoque.
d’une ville, d’une vie, d’un moi et d’un langage,
Du symbole au symptôme, ce fragment parle d’un tout disparu et sert notre
perméables à nos fragilités internes et aux fluc-
imaginaire prompt à élaborer une reconstruction : «Restaure-moi !».
tuations externes par lesquelles nous devons
C’est par cette habilitation à habiter que les
vivre avec étonnement et stupeur.
hommes de décennies en décennies se sont
transmis cette faculté du bâtir, en y perdant
Du conte des Trois petits cochons à la Domus Vésunna de Jean Nouvel,
Des ruines à la ruine
petit à petit jusqu’à nos temps «modernes» la
Le mot «ruine» est emprunté vers 1155 au la-
simplicité et la sagesse d’une organisation an-
tin ruina qui désigne la chute, l’écroulement,
thropocentrique.
en particulier l’éboulement des bâtiments, le
C’est dans l’esprit du bâtir selon Heidegger que
pluriel ruinae désignant concrètement les dé-
l’espace habité peut rassembler cette mesure
combres ; ce mot est également employé au
de l’entre-deux du ciel et de la terre. Ce n’est
l’objet malgré le manque de cohérence et de repères lisibles. Nous tenterons de
figuré pour «effondrement», «désastre», il est
ni les opposer entre divin-humain, ni les isoler,
comprendre comment et pourquoi, en architecture comme en psychanalyse,
dérivé de ruere : faire tomber, s’écrouler.2
mais de notre lieu «attendre les divins», offrir
Le bel édifice s’est transformé, il n’a plus de
une demeure à l’être de l’habiter et finalement
forme mais il a encore sa base et son projet
ne remplir l’espace que de cette seule attente.
stable malgré son apparente fragilité. Comment et pourquoi Ça tient, même si
qui demeure hors du visible, de la vue, par le
Entre l’histoire des Trois Petits Cochons et le
ça tient mal, parmi les objets du monde et ce, à partir d’un traumatisme non
manque de repères que nous avons de sa glo-
Ground Zero, New York rejoint ainsi la liste, éta-
balité et de son unité. Ce quelque chose n’est
blie par Ovide dans Les Métamorphoses, des
plus dans son unité formelle, esthétique, dans
places fortes, villes puissantes et glorieuses qui
sa valeur univoque, il existe à présent partiel-
sont ruinées. Il faut nous rappeler le question-
lement de façon fragmentaire, équivoque. Ce
nement des Anciens , selon Aristote :
en passant par Ground Zéro de New York, la ruine est le fondement éthique et
esthétique de quelque chose d’autre...
La ruine comme fondement ne se coupe pas du monde, elle en indique sa
trace spatiale et temporelle à partir d’un «Ça a été» vers un ressaisissement de
Ça s’arrête là, à un certain moment, sous cette forme éclatée formidablement
résolu, fondement même de la psychanalyse.
fragment qui sert à parler d’un tout disparu
peut à nouveau satisfaire notre imaginaire en
«Enfin, si tu détruis,
que ce soit avec des outils nuptiaux»1
qui fait retour en nous. Nous ouvrons ce champ
Nous sommes conviés par le poète, si d’aven-
peut ad-venir dès que nous nous risquons à
ture nous avions détourné notre pas de la
accompagner une relance vers l’inconnu d’un
création, à choisir nos outils, tant l’œuvre de
champ artistique, éthique et psychanalytique.
destruction ne peut supporter des ustensiles
C’est sur cette idée de déplacement et de mou-
dans les Pyrénées-Orientales.
ordinaires. Que ce soit à travers les contes, les
vement que nous attarderons notre recherche
Diplômée en art et docteur en études
mythes ou les expériences de la réalité psy-
saisis de notre dernier outil nuptial à l’image
psychanalytiques, elle a réalisé une
chique de l’homme, nous ne détruisons pas en
d’un pont qui conduit par le désir, l’un vers
vain.
l’autre.
art, dirigée par Bernard Salignon, à
Il ne s’agit pas d’une fixation romantique
Ce pont, nous le traverserons par un diptyque
l’université Paul Valéry de Montpellier.
puisque nous relançons notre projet vers autre
de Théodore Géricault. Cette approche d’un
Elle travaille également auprès
chose dont nous posons la base : la ruine
«l’un vers l’autre», rassemble et relance, dis-
comme fondement …
perse et repousse dans la différence et l’écart
Nous ne pouvons que nous re-présenter à ce
ce passage, cette articulation comme retour
Fabienne Potherat
Docteur en études psychanalytiques,
Fabienne Potherat vit à Port-Vendres,
thèse sur la maladie mentale en
d’adolescents autistes et handicapés
depuis 2007.
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de ruines à un champ de possibles, sur ce qui
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servant de base à une re-construction. Tout fondement procédant d’une ruine investie comme
condition nécessaire peut prendre la valeur de
rédemption et par extension, la marque chré-
«N’est-ce pas parce que la corruption
de cette chose-ci est la génération d’une
autre, et la génération de cette choseci la corruption d’une autre, que le
changement est nécessaire sans arrêt ?»5
tienne de la faute et du péché originel.
Nous sommes donc portés par un mouvement
«[La ruine], c’est l’irruption
de l’au-delà dans notre monde éphémère,
c’est le signe de la présence
voilée d’une transcendance.»3
cyclique et générateur s’intégrant dans l’ordre
du monde, par ces passages alternatifs de
création et de destruction, réglés par le temps
cosmique, qui «ne naît, ni ne périt à aucun moment» mais dont «la génération est nécessaire-
Si la ruine, à partir du sol, se coupe d’une cer-
ment circulaire». Par ces ruines de Manhattan,
taine représentation d’idéalité, ce n’est que
l’occasion est donnée là de repenser ce lieu
pour s’ancrer à nouveau en pleine réalité ob-
même de vie clos sur lui-même, et de fonder
jective ; son fondement ne se coupe pas du
un sens à l’habiter de ce quartier d’affaires très
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individualisé. Nous étudions le projet architec-
fragilité de l’être qui peut se consolider psychi-
Sigmund Freud, que nous pouvons com-
L’émergence d’une réalité hallucinée d’une
tural retenu et ses conséquences possibles sur
quement, notamment par la pratique sublima-
prendre et tenter cette comparaison, comme
étrangeté, «c’est la signification énorme qui n’a
le psychisme des new-yorkais sidérés et trau-
toire de l’art. L’art en tant que fondement.
l’auteur, entre le passé d’une ville et le passé
l’air de rien – et ce, pour autant qu’on ne peut
d’une âme. Rome l’éternelle, est une accu-
la relier à rien, puisqu’elle n’est jamais entrée
mulation de couches de sédiments archéo-
dans le système de symbolisation – mais qui
logiques, ruines et reconstructions, vestiges
peut, dans certaines conditions menacer tout
toujours d’actualité, suite aux traumas d’une
l’édifice» 9.
guerre, d’un incendie. Auprès de la ruine, nous
Nous aimons croire aux côtés des bâtisseurs
matisés.
Avec ce projet de réhabilitation de Ground Zero
(2005), ne sommes-nous pas enfermés dans le
redoublement du même spectaculaire, au sens
de se renvoyer indéfiniment «la tarte à la crème
«Je suis coupable,
abominablement coupable de cette ruine,
la destruction vient de moi.
Je suis la destruction même.»
ne sommes atteints d’aucune mélancolie, nous
et des psychanalystes, qu’une aurore inaugure
même image de soi dans ce rapport à la mort,
Cette affirmation n’est pas celle de Zeus, ni
nous arrêtons certes à sa déliaison impossible
chaque ruine, que rien n’est jamais achevé,
à la fragilité et à l’éphémère de l’homme, notre
d’Attila, de Napoléon, ou d’un terroriste. Elle
au passé mais pour en faire quelque chose,
qu’un projet est en germe enfoui dans les dé-
propre Vanitas, comme dans une peinture hol-
émane de Renée, une patiente schizophrène
pour traverser le monde, voir comment cette
combres. La ruine devient, à ce stade d’avan-
landaise ?
de M. A. Sechehaye , elle nous parle de son état
forme symbolique de la contrainte s’articule à
cement de notre recherche, le soma de cet
Quelle raison y a-t-il à maintenir l’objet per-
de «désagrégation psychotique».
celle de l’anneau du temps.
effondrement impossible, sans possibilité
du symbolique (les Twins) et la permanence
Que nous dit Renée de cette ruine ? Qu’elle
Beuys revisite un traumatisme, suite à un acci-
d’évolution ou d’involution, qui ne peut être
du trauma indéfiniment au centre de la polis,
est son «être-là», son Dasein (Heidegger), sa
dent d’avion avec des brûlures conséquentes,
que la réplication du fragment douloureux, et
communauté de l’être, à la place du vide, sinon
condition d’émergence et paradoxalement sa
par l’appropriation de matériaux déclassés
qui emporte avec lui la représentation de son
celle d’y organiser et d’y affirmer son pouvoir ?
stabilité : son «être-étant». La faille, la désinté-
servant aux soins et à la conservation de l’in-
destin passé, présent et à venir . Elle apparaît
En tant que transfert de projet, l’œuvre subli-
gration, le morcellement sont des formes d’al-
tégrité physique : graisse et feutre. Ce sont des
et tire sa part funeste de ce côté-ci du monde,
matoire devrait être issue d’un déplacement
tération de «son être dans le monde», sa forme
matières transitionnelles propres au vécu réel
entre oscillation et indétermination, elle de-
de but détourné de la pulsion de mort et d’un
singulière de présence au monde. Ce délire de
ou imaginaire de l’individu, l’artiste en fait des
vient une nouvelle forme de l’affirmation de soi
déplacement d’objet.
Renée est la projection (retro-projection) d’une
composantes essentielles à sa création, mais la
dans l’attente que l’Autre agisse sur soi, cette
Dans notre conte, l’aîné, animal domestiqué,
ruine, le chaos d’une entité construite-détruite,
blessure reste offerte au monde dans sa forme
attention, ce «Répare-moi !», ne serait-ce que
semble avoir atteint une autre dimension en
soit une régression vers une représentation ar-
inachevée, jamais réparée, ou irréparable,
par compassion.
utilisant une production et une construction
chaïque du corps.
toujours en cours de cicatrisation. Au-delà de
Nous pensons comme René Char qu’ «il faut
propre à l’homme par un savoir-faire mathé-
Il s’agit, pour Yves Michelon, directeur d’Accueil
l’anecdote vraie ou fausse de l’artiste, le mo-
cesser de parler aux décombres»10, que c’est
matique grâce auquel il peut duper l’animal
Adolescents Autisme de Vauvert, «d’être vigilant
tif narratif s’articule autour du regard, il s’agit
aux décombres de nous dire quelque chose
sauvage. Nous ne sommes pas encore en pré-
sur deux pôles assez habituels dans la clinique
d’utiliser le matériau psychique fixé au trau-
d’eux-mêmes, l’histoire de leur origine, c’est
sence du divin venant habiter la crèche de
des TED (Troubles envahissants du développe-
matisme, lui-même partie prenante, consti-
sans doute là, le lien en substance à partir du
l’étable. Pulsions domestiquées et cohabita-
ment), d’une part d’aider à intégrer un schéma
tutive de l’être, pour parler d’un soi meurtri à
trop détruit ou du peu construit, entre l’archi-
tion pacifique semblent être le fil conducteur
corporel, un sens de soi corporel élémentaire, re-
l’Autre ou pour que le regard de l’Autre agisse
tecte-bâtisseur et le psychanalyste ■
de ce conte. Faut-il alors voir dans la dernière
présentations corporelles existantes sous l’effet
sur soi, ne serait-ce que par la compassion.
demeure, les fondements d’un asile solide, ce-
de sur-excitation ou sous excitation sensorielle,
«Répare-moi !». L’analyste endosse le rôle dé-
lui de la religion chrétienne ?
émotionnelle, imaginaire. [...] D’autre part, d’évi-
faillant, celui du maçon incompétent, sourd
D’un point de vue ethnique, grâce au loup les
ter les dys-régulations des représentations. A une
et muet, sa négligence rejoint la non-réponse
trois cochons ont tissé un réseau d’entraide
extrémité, l’absence de représentation du corps
d’un ensemble de désirs imaginaires vécus an-
et sont revenus à la forme première d’un «ha-
se signe par des recherches continues de flux
térieurement dans l’enfance. Le renoncement à
biter», une oikia collective , en abandonnant
sensoriels produisant un sentiment d’existence.
l’objet qui ne répond pas, à l’objet de frustra-
l’idée de l’oikia, la maisonnée, de l’ordre du do-
A l’autre extrémité, la représentation du corps
tion, qui non seulement ne répare rien, mais
maine privé. Nous avons ainsi défini cette hy-
est à fleur de peau et les conduites de contrôle
ne construit pas davantage permet au patient
pothèse que la ruine est une condition possible
de l’environnement, d’évitement, de rétention,
de placer sa demande, sa charge érotique sur
à tout fondement social. Dans l’antre-aide s’est
de vérification de son intégrité corporelle contri-
un autre bon objet, vers l’autre, à la recherche
engouffré un loup par le conduit de la chemi-
bue à diminuer l’anxiété et les angoisses de mor-
d’un autre plaisir lié à la réalité. L’artiste nîmois,
née. Par lui s’est opérée la liaison entre solidité/
cellement, de chute».8
Marcel Robelin, tel le Phœnix, fait œuvre et re-
fragilité interne de l’organisation psychique et
Nous pouvons, à partir de cette représentation
naît par la cendre, «la fleur du feu» (Colette).
solidité/fragilité externe des liens sociaux. Le
clinique du corps morcelé qui s’écroule sous
Nous proposons de prendre nos vestiges ou-
bâtir archaïque sommaire de la hutte ou de la
lui-même, relier la ruine à son fondement freu-
bliés pour nouvelles fondations, de relever une
cabane est ruiné pour devenir un «habiter» en-
dien : vers le traumatisme non résolu.
à une les pierres, et loin de l’absolu, d’habiter
raciné en terre. Nous développerons ce pan de
C’est en relisant Malaise dans la culture de
nos failles et de donner un sens au désastre.
de la pulsion de mort» (Bernard Salignon), cette
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(1) Char, René,
Les Matinaux, XXVII, Rougeur des
Matinaux, Paris, Gallimard, «Poésie,
Nouvelle Revue Française », 1e éd.
1966, 1987, p. 81.
(2) Le Robert
Dictionnaire direction Alain Rey,
France, 1999, p. 3332.
(3) Bernardin de St-Pierre, Henri,
Les études de la Nature, 1784, cité
par Roland Mortier in La poétique
des ruines en France, ses origines,
ses variations de la Renaissance à
Victor Hugo, Genève, Librairie Droz,
1974, p. 129.
(4) Heidegger, Martin,
Essais et Conférences, Bâtir Habiter
Penser, Les Essais, LXC, trad. A.
Préau, NRF, Gallimard, 1954, 8e éd.,
1958, p. 191.
(5) Aristote,
De la génération et de la corruption,
I,3, p. 16-25, trad. J. Tricot, Paris,
Vrin, 1971, cité par Sabine ForeroMendoza, op. cité, p. 20.
(6) Oikia collective,
L’expression de Paul Ricœur, in
préface de Condition de l’homme
moderne, Hannah Arendt, traduit
de l’anglais par G. Fradier, Paris,
Calmann-Lévy, 1983.
(7) Sechehaye, Marie-Andrée A.
Introduction à une psychothérapie
des schizophrénies, Paris, PUF,
«Bibliothèque de psychanalyse»,
1988, p. 72.
(8) Yves Michelon,
directeur Accueil Adolescents
Sésame Nîmes, «Les particularités
sensorielles des personnes avec
TED», 9 février 2005.
(9) Lacan Jacques,
Séminaire III, Les Psychoses,
Le phénomène psychotique et son
mécanisme, Le Seuil, 1981 p. 99.
(10) Char René,
Excursion au village, le Nu perdu,
Paris, NRF, Poésie, Gallimard, 1991,
p. 170.
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L’architecture
à l’épreuve de la photographie
David Giancatarina 26 février 2009
Depuis sa création, l’image d’architecture a une place de choix dans
l’histoire de la photographie et des arts plastiques.
de celle-ci, au lieu d’en révéler les véritables
spectre et s’intéresser aux petits métiers de
raisons.
Paris, des cours d’immeuble aux vitrines, aux
Roy Striker recrute une douzaine de photo-
Le photographe David Giancatarina nous convie à une balade au
détails des rues, au mobilier urbain, etc. Il ré-
graphes à fort engagement social et politique.
pays de la représentation, un univers où les images absorbent le
pertorie ainsi les petites ruelles de Paris, les
Parmi eux, Walker Ewans adopte un position-
hôtels particuliers et surtout les no man’s land.
nement particulier et élude l’aspect propa-
Eugène Atget fixe sur plaque de verre Paris en
gande attendu par le gouvernement : «Ceci est
en passant par Gordon Matta-Clark, le plus long chemin n’est pas
proie aux transformations urbaines ; ce sujet de
un pur enregistrement, et surtout pas de la pro-
forcément la ligne droite.
prédilection, ses cadrages et points de vue an-
pagande.» 1
noncent une grande modernité. De son vivant,
Evans travaille sa photographie de manière
malgré son illustre clientèle d’artistes - Georges
sérielle : monuments publics, églises du Sud,
Braque, André Derain, Maurice Utrillo, Maurice
tombes des cimetières, etc. Ses cadrages sont
de Vlaminck, André Dunoyer de Segonzac,
radicaux : compression de l’espace et surtout
Moïse Kisling, Tsuguharu Foujita -, sa situation
usage d’un premier plan perturbateur.
réel, où l’architecture est mise à l’épreuve. De Nadar à Sugimoto,
La photographie d’architecture, ses codes, ses
l’histoire de la photographie. Constat, descrip-
financière restera précaire.
modes et techniques, son «objectivité raco-
tion, inventaire, typologie, reconduction sont
Quelques années avant sa mort, il rencontre
Julius Shulman
leuse», forment un domaine à part de la pho-
des modes opératoires qui vont permettre au
Man Ray et son assistante américaine Berenice
Julius Shulman est né en 1910 à Brooklyn,
tographie professionnelle. Chaque architecte
photographe de documenter la ville.
Abbott. Ce qui va intéresser les Surréalistes,
New York, d’où il déménage avec sa famille
c’est cette part de choses qui échappe, la ma-
pour aller dans une ferme du Connecticut puis,
tains, un immeuble photogénique est un projet
La Mission héliographique
nière dont le fantastique s’immisce dans des
plus tard, en Californie.Alors qu’il prend des
réussi, pour d’autres, il est leur pire cauchemar.
C’est ainsi qu’en 1851, la Commission des mo-
scènes d’une grande banalité. En 1926, trois de
cours de photographie au début des années
Mais tous ou presque parlent du même type
numents historiques, dirigée par Prosper Méri-
ses images vont être publiées dans La Révolu-
1930, l’une de ses connaissances, assistant de
d’image.
mée met en place une campagne de prises de
tion surréaliste. Berenice Abbott rachète une
l’architecte Richard Neutra, lui demande de
vues intitulée «Mission héliographique». Viollet-
partie de son fonds après sa mort. Elle permet-
photographier la résidence Kum que Neutra
invente sa relation à l’image. Quand, pour cer-
Joseph Nicéphore Niépce
le-Duc ayant soutenu la supériorité de la pho-
tra de faire connaître la documentation qu’il
vient d’achever en 1936.
L’histoire de la représentation photographique
tographie descriptive, le daguerréotype, vient
a constituée sur les quartiers anciens de Paris
C’est avec un Kodak de poche qu’il réalisera ses
de l’architecture commence dès la première
compléter, voire supplanter le dessin. Les pho-
par la publication de divers articles et ouvrages.
première images d’architecture. Neutra, «ravi
photographie officielle. Paysage à Saint-Loup
tographes missionnés (Gustave le Gray, Auguste
Elle écrit au sujet d’Atget : «On se souviendra de
de la façon dont ses photos révèlent l’essence
de Varennes, que nous devons à Joseph Ni-
Mestral, Edouard Baldus, Hippolyte Bayard,
lui comme d’un historien de l’urbanisme, d’un
de son projet», va en faire très vite son photo-
céphore Niépce, représente bel et bien de l’ar-
Henri Le Secq) vont devoir fixer sur plaques de
véritable romantique, d’un amoureux de Paris,
graphe attitré.
chitecture, et ce n’est alors pas un hasard.
verre des monuments remarquables destinés
d’un Balzac de la caméra dont l’œuvre nous per-
Quel est l’apport de Shulman pour la photo-
Ce sont essentiellement des raisons techniques
à être rénovés. Par remarquables, on désigne
met de tisser une vaste tapisserie de la civilisa-
graphie d’architecture ? Il ne se contente pas
qui amènent Niépce à réaliser cette première
alors des sites de pouvoir, imposants par leur
tion française.»
de photographier l’architecture, il donne à voir
image photographique du monde à travers sa
taille et par leur place dans l’histoire. Le docu-
fenêtre : immobilité de l’architecture, lumière
des modes de vie mis en scène.
ment photographique permet alors de classer
Walker Evans
N’hésitant pas à trouer le plafond pour obtenir
intense et forts contrastes. Rapidement, les
et de décrire l’architecture, et par là même d’en
Une autre mission photographique va marquer
un angle de vue particulier, ses prises de vues
progrès techniques vont permettre une plus
diffuser son image.
l’histoire, celle de la FSA, la Farm Security Admi-
nécessitent parfois une préparation des lieux
nistration. C’est un organisme créé par le minis-
sur une journée complète.
grande sensibilité des surfaces sensibles et ouEugène Atget
tère américain de l’agriculture en 1937, chargé
Les assistants vont même jusqu’à recouvrir tous
Le portrait photographique va, peu à peu, de-
Atget, cet homme devenu orphelin à l’âge de
d’aider les fermiers les plus pauvres touchés
les vitrage des maisons pour mieux contrôler la
venir un incontournable, passant d’une sorte
vrir ainsi un vaste horizon de possibles.
cinq ans, dut interrompre sa carrière de comé-
par la Grande Dépression.
température de couleur de la lumière.
de signe extérieur de richesse, pour aboutir aux
dien au bout de quinze ans, suite à une affec-
Le projet consiste officiellement à faire un bilan
Certaines images, véritable scènes de cinéma
techniques de «photographie judiciaire» élabo-
tion des cordes vocales. Il apportera une vision
objectif des conditions de vie et de travail des
hollywoodien, sont devenues des icônes de
rées par Bertillon. La photographie de paysage
nouvelle sur la ville.
Américains ruraux. L’impulsion de ce projet est
l’architecture du XXe et indirectement, une base
et l’imagerie scientifique vont également rapi-
En 1890, il va arpenter Paris avec son maté-
purement politique, il s’agit de justifier et vali-
documentaire commensurable sur l’American
dement se développer.
riel lourd et encombrant avec, pour seul but,
der l’utilité des réformes de Roosevelt.
way of life des très belles villas et réalisations
est artiste et photographe
Force est de constater que la photographie
comme l’indique sa plaque de porte, de créer
Montrer aux Américains la réalité de leur mi-
californiennes des années 1950 à nos jours.
d’architecture.
d’architecture, et plus précisément d’objets ar-
des «documents pour artistes».
sère, fruit de la crise économique, et leur ren-
Il vit et travaille à Marseille.
chitecturaux, occupera une place majeure dans
Il ne se contente pas de l’architecture mo-
voyer en même temps une image émotionnelle
David Giancatarina
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numentale, bien au contraire, il va élargir le
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Bernd et Hilla Becher
Gordon Matta-Clark
de guerre et crée des peintures murales figura-
Il a donné à voir ainsi des halls d’immeubles,
Le travail du photographe d’architecture pro-
Gordon Matta-Clark (22 juin 1943 -27 août 1978)
tives. L’appareil photo est là pour conserver ce
des bureaux, des salles de bains.
fessionnel consiste avant tout à donner à voir
est un artiste américain connu pour ses œuvres
travail. Dès le début, la finalité de l’acte est la
Il rajoute désormais une dimension politique
un site dans un style documentaire. Il existe
sur site réalisées dans les années 1970.
photographie qui condense et conserve. C’est
à ses documents en reproduisant des espaces
pourtant une différence fondamentale entre
Il a étudié l’architecture à l’Université de Cor-
elle qui a valeur d’œuvre.
qui ont eu une forte résonance dans l’histoire
les images documentaires des Becher et les
nell, mais n’a pas exercé en tant qu’architecte,
Peu à peu, le figuratif s’estompe pour laisser
et les médias : le bunker d’Hitler, le Pont de l’Al-
images des revues d’architecture. Dans la pho-
au sens strict.
place à un simple jeu de couleurs et de transpa-
ma où Lady Di a trouvé la mort, l’ambassade du
tographie d’architecture, c’est le rendu final qui
En 1968, il passe une année à étudier la littéra-
rences dans l’espace. Il va ensuite se servir d’un
Niger à Rome où les Américains ont affirmé en
est calibré : jeu sur les transparences, contrôle
ture française à la Sorbonne à Paris et se trouve
appareil de projection de diapositives pour la
2003 avoir trouvé des documents établissant
des perspectives, meilleure lumière possible,
ainsi au cœur des grèves étudiantes.
mise en place de formes géométriques dans
que l’Irak fabriquait de l’uranium enrichi.
cadre visant à épurer l’image tout en évitant les
Il prend alors connaissance des philosophes
l’espace.
L’architecture, la feuille, le document… La po-
aléas du contexte. L’architecture est montrée
français, déconstructivistes et situationnistes,
L’anamorphose devient présente dans son
litique.
comme un objet. Les Becher, en revanche, ont
comme Guy Debord. Ces radicaux culturels et
œuvre. Les formes réalisées n’existent que par
produit une masse considérable de documents
politiques ont développé le concept du dé-
la photographie. Une fois les contours dessi-
Andreas Gursky
formatés, reprenant sans cesse des protocoles
tournement, ou «la réutilisation d’éléments
nés, il subtilise l’appareil de projection par une
Andreas Gursky (né le 15 janvier 1955 à Leip-
bien définis. C’est avant tout pour mettre sur
artistiques préexistants dans un nouvel arran-
chambre photographique. En illusionniste du
zig, Allemagne) est un photographe allemand,
un point d’égalité de représentation les sites
gement.»
volume, il tire parti des portes et des fenêtres,
guest star de la photographie contemporaine.
représentés. C’est une sorte de photocopie du
Ces concepts alimentent son travail. Il réalise
celles-ci permettant de plus larges profondeurs
Andreas Gursky a d’abord réalisé un travail à
réel, où chaque lieu offre à voir sa spécificité
alors des «coupes de bâtiment», une série de
pour produire des images qui annulent la pers-
la chambre en haute définition de paysage où
dans un cadre identique. On pense alors aux
travaux dans des bâtiments abandonnés dans
pective réelle. Influencé par Matta-Clark, il va
l’humain avait une place importante par sa
protocoles de test d’un laboratoire, ou encore
lesquels il a enlevé des morceaux de planchers,
même jusqu’à remodeler voire construire des
place, mais ridicule par sa taille.
aux techniques de photographie policière
de plafonds et de murs, notamment l’œuvre
cloisons, ouvertures, planchers pour rendre
Ses travaux actuels sont des mises en scènes
mises en place par Bertillon et ses successeurs.
Conical Intersection organisée par la Biennale
plus complexe l’appréhension de l’espace dans
gigantesques représentant des foules d’indi-
Leurs clichés sont classés, numérotés, archivés.
de Paris en 1975 : une percée architecturée
son image finale.
vidus, une fascination pour la foule et les es-
Chaque image fait partie d’une série, qui elle-
dans le vif d’un immeuble rue Beaubourg.
La métaphore de l’œil est souvent présente
paces démesurés. Son travail, très plastique,
même fait partie d’une famille... Une seule et
Ses building cuts changent la perception du
dans son travail, un cercle central qui n’existe
nécessite un énorme travail de post-produc-
même lumière «neutre» est choisie pour l’en-
bâtiment et de son environnement proche.
que par le point de vue.
tion informatique.
semble des prises de vues, diverses focales
Matta-Clark cinéaste déstabilise le spectateur
sont utilisées afin de s’adapter au site et de per-
et fractionne l’espace par le mouvement. Il uti-
Thomas Demand
mettre aux objets architecturaux de remplir le
lise le médium photographique pour donner à
Thomas Demand, artiste contemporain euro-
entre ces deux époques.
cadre de manière uniforme. Ce qui fait la force
voir ses réalisations et il va au-delà, en juxtapo-
péen d’origine allemande, a fait ses études en
Bundestag, la chambre des députés, réalisée
de ce travail, c’est peut-être les paradoxes qui
sant dans l’exposition une photographie du
Allemagne, à Paris et à Londres. Comme aucun
en 1998, est une image réaliste d’architecture.
le constituent. L’uniformisation de type scien-
lieu déconstruit avec un élément réel devenu
autre, son travail interroge la notion de docu-
Une vue frontale, univoque à première vue, qui
tifique de l’approche et la masse conséquente
sculptural.
ment, d’architecture et de fac-similé.
représente une façade de verre et par transpa-
d’objets architecturaux ainsi répertoriés fi-
Parfois, face à ses photographies, le doute
Il reconstitue à l’échelle 1/1 des simulacres de
rence, l’intérieur de l’édifice du sol au plafond
nissent par gommer l’individualité des sites. On
s’installe. L’alchimie de son travail nous donne
décors réels d’architecture et/ou historiques à
ainsi que les députés, le tout recouvert d’une
ne regarde plus chaque site en détail, mais une
à voir une sorte de photomontage, quand il ne
l’aide de carton-pâte et de feuilles de papier.
dose subtile de reflets de rue.
planche de formes possibles, une architecture
s’agit que d’un document «objectif» de son tra-
Comme Georges Rousse, la finalité du travail
Cette image d’architecture, qui semble objec-
en mouvement.
vail plastique. Ici, l’architecture et l’espace ne
est photographique. Face à ses reconstruc-
tive, a cela de particulier qu’elle intègre en son
Parcourir une rétrospective de leur travail re-
sont que matières propices à la manipulation.
tions de bureau, le spectateur est tout d’abord
sein des temporalités différentes.
leurré. L’espace est rendu avec une précision
En effet, la structure du bâtiment, le carreau
déroutante. Une attention prononcée laisse
à travers lequel on voit le plafond, ainsi que
pellé par les vestiges d’un monde industriel
Dans le sillage de Matta-Clark, Georges Rousse,
entrevoir des failles. Tout paraît si propre, lisse,
chaque autre carreau, qu’il contienne ou non
en voie de disparition a mené un travail d’une
un photographe sous influence, a poussé
neutre.
des reflets de la ville, proviennent de clichés
rigueur exemplaire à faire froid dans le dos, ce
d’un cran le rapport entre l’architecture et la
Le voile se lève, l’espace est créé de toutes
différents minutieusement assemblés sur or-
n’est pas le milieu scientifique qui leur a rendu
chambre photographique.
pièces, ce ne sont que des feuilles de papier...
dinateur.
hommage, mais bel et bien le milieu de l’art en
Au début des années 1980, le peintre George
métaphores subtiles du document photogra-
Une seule architecture, une seule vue pour le
leur décernant le prix de sculpture à la Biennale
Rousse est sans cesse à la recherche de lieux
phique, qui n’est de toute façon qu’une feuille
spectateur... Plusieurs instants décisifs. Il est
de Venise en 1990.
abandonnés, dévastés. Il s’empare de ruines
de papier mensongère.
à noter que l’avènement du numérique dans
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vous parler, image qui se situe à la charnière
George Rousse
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C’est d’une image particulière dont je voudrais
couple de documentaristes initialement inter-
lève d’un parcours hypnotique. Alors que ce
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Trois mille ans d’architecture
et d’urbanisme au Yémen
Christian Darles 19 mars 2009
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Marignier, Jean-Louis,
Niépce, l’invention de la
photographie, Paris, Belin, 1999.
Eugène Atget,
collectif, Paris, Gallimard,
«Livres d’art», 2012.
Walker Evans,
The Museum Of Modern Art,
New York, 1971.
la photographie professionnelle a rendu cette
un autre infini qui va lui permettre de remon-
Depuis les années 1970, Christian Darles participe à de nombreuses
pratique courante. On est entré dans l’époque
ter le temps. L’image floue de ces immeubles
du photomontage invisible ou image 3D et
conserve leur caractère d’icône tout en se dé-
missions archéologiques au Yémen et en Oman. Il a été ainsi amené à
photographie ne sont plus identifiables. On ne
barrassant des détails réalistes et du contexte
s’intéresser aux permanences et aux mutations de l’architecture et des
réalise plus forcément des photographies au
de la construction. Le photographe ne nous
villes de cette partie de la péninsule Arabique au passé prestigieux et à
sens de l’empreinte, mais on crée des images
donne pas à voir une image d’architecture,
en toute liberté, si l’on peut dire !
mais une sorte de projection de la genèse de
l’avenir incertain.
l’œuvre dans l’esprit de son architecte.
Hiroshi Sugimoto
Tout comme dans sa série sur les modèles ma-
Julius Shulman
www.juliusshulmanfilm.com
Hiroshi Sugimoto a débuté en 1997 la série Ar-
thématiques, Sugimoto réussit le pari d’utiliser
chitecture of Time. Les sujets de cette série sont
le médium photographique pour nous donner
«Il n’est pas dans tout l’Orient de grande cité qui
le put. Son roman concerne avant tout Sanaa et
Becher, Bernd Hilla
Coal Mines and steel mills,
Schirmer Mosel, 2010.
les icônes de l’architecture du XXe siècle à tra-
à voir une abstraction.
puisse donner une idée de Sanaa. Ni le Caire, au
la haute montagne, la Tihama au bord de la mer
vers le monde, allant de la Tour Eiffel à l’Empire
Colors of Shadows, dernier travail de Hiroshi
bord du désert que surveille le sphinx. Ni Damas,
Rouge et les confins des territoires africains des
State Building en passant par l’incontournable
Sugimoto, propose de nouveau un regard per-
reine de Syrie, molle et subtile, noyée dans son
Afars et des Somalis. Cependant les quelques
Ville Savoye de Le Corbusier, les immeubles
tinent sur une architecture, celle d’une maison
verger géant. Ni Jérusalem, bloc compact de
lignes citées plus haut définissent à merveille
de Frank Gehry, Tadao Ando. Ces sites ont été
japonaise sur une colline de Tokyo. Au pays du
voûtes, d’arceaux, de ruelles, d’exaltation, de
l’atmosphère emblématique et inchangée des
surmédiatisés et chaque jour des touristes ou
Soleil-Levant, les éléments ont une présence
haine et d’amour.
hauts plateaux de l’Arabie heureuse.
Thomas Demand
www.thomasdemand.info
autres amateurs réalisent de nouveaux «cli-
forte dans la culture tout comme le rapport
Sanaa, au milieu de la coupe prodigieuse de
Il s’agit tout d’abord, avant de parler architec-
chés».
entre l’ombre et la lumière. Le photographe a
pierre et de lave que ferment les djebels yémé-
ture et urbanisme en Arabie du sud, de dresser
Galassi, Peter
Andreas Gursky, Museum Of Modern
Art New York, 2001.
Ancrée dans notre mémoire collective, cette
fait enduire les murs intérieurs de Shikkui tradi-
nites, se dresse isolée du monde et près du ciel.
un panorama sommaire de la géographie et de
imagerie semble laisser peu de portes d’en-
tionnel, un enduit de finition à base de plâtre.
Flanquée de donjons ronds et pesants, cernée
l’histoire de cette partie reculée du monde qui,
Sugimoto Hiroshi,
Muller-Tamm, Pia,
Brougher, Kerry
Hiroshi Sugimoto, Hatje Cantz, 2010.
trées à l’approche d’un artiste contempo-
Alors que le fantasme de la cloison transparente
par d’épaisses enceintes crénelées, elle est
en ce moment, ne manque pas d’envahir l’ac-
rain. Sugimoto prend le pari et va utiliser sa
est rémanent chez beaucoup d’architectes ac-
vaste, solide, bâtie en force et tranquillité. Elle
tualité géopolitique.
chambre photographique 20x25 pour remonter
tuels, Sugimoto prend le contrepoint en uti-
semble issue du sol même, toute posée dans
La géologie de la pointe du sud-ouest de l’Ara-
le temps. En effet, il utilise un principe optique
lisant le minimalisme des murs blancs, des
sa force, sa fierté et sa sobre noblesse. Ainsi que
bie est tourmentée : au-dessus d’un socle
de défocalisation, c’est-à-dire de réduction du
angles et corniches comme supports pour nous
le haut plateau qui la soutient, Sanaa porte le
primaire où le granit domine, le volcanisme
tirage optique au-delà de la distance minimale
montrer l’espace qu’occupent la qualité de la
sceau de la fable et de la vie en même temps.
a provoqué des épanchements de lave ba-
de la focale : au-delà de l’infini. Il en résulte une
lumière, l’ombre et les modulations du temps.
Les maisons forment des alignements sévères.
saltique qui ont une puissance de plusieurs
image floue, un flou différent de celui du bou-
Ces images étant destinées à être montrées
Elles sont hautes de cinq à six étages et faites
centaines de mètres. C’est le paysage des
gé, ou d’une mise au point décalée. Là, tout est
dans des white spaces, musées et galeries, on
de pierre si bien ajustées qu’elles tiennent sans
hauts-plateaux qui culminent à près de 3700
uniformément flou.
imagine facilement la mise en abîme et le jeu
ciment ni mortier depuis des siècles. Des bandes
m d’altitude dans la région de Sanaa. A l’ouest,
Parce que n’est pas photographe japonais
d’attraction/répulsion que créent ces pièces
de chaux vive éclairent les murs gris et séparent
cette montagne descend de manière abrupte
conceptuel qui veut, Sugimoto va au bout de
dans de tels lieux.
les rangées de fenêtres aux verres multicolores.
et brutale vers la mer Rouge, où la plaine cô-
sa technique, en prenant comme repère la moi-
Une architecture qui s’efface, surface sensible,
Chacune d’elles a l’air d’un palais et d’une for-
tière sableuse - la Tihama - est une zone pous-
photographie... ■
teresse. Et les ornements de bois ouvragé, sculp-
siéreuse et déserte même si elle est réguliè-
té, dentelé avec une habilité et une patience
rement arrosée par le ruissellement des eaux
infinies, donnent une grâce étrange à cette vi-
de la montagne. Au cœur des hauts plateaux,
gueur minérale. Au fond des vastes et mystérieux
une série de bassins fertiles se succèdent du
jardins que l’on devine derrière les enceintes
nord au sud – Saada, Amran, Sanaa, Dhamar,
aveugles, le bruit rythmé, gémissant, des poulies
Yarim puis Taez. Arrosés par les pluies de mous-
d’eau qui ne cesse ni la nuit ni le jour forme le
son, ils concentrent la grande majorité des ri-
souffle et la voix de cette ville et de son éternité.
chesses agricoles du pays ainsi que la plupart
Christian Darles
Telle était la ville aux portes de laquelle, par ce
de la population. Une autre chaîne de mon-
Architecte et archéologue,
matin d’automne, Igricheff arrêta Chaïtane fu-
tagnes sépare, à l’est, les hauts-plateaux du
Christian Darles est enseignant
mant.»
grand désert situé à une moyenne de 1000 m
à l’École nationale supérieure
Qu’en est-il aujourd’hui, depuis cette vision ex-
d’altitude. Le grand territoire des basses-terres
d’architecture de Toulouse ; il
primée par Joseph Kessel, en 1931, dans son
correspond à l’avancée vers le sud du désert du
dirige également un laboratoire
roman Fortune carrée ? L’écrivain rêvait d’at-
Rub-al-Khali, ici nommé le Ramlat as-Saba-
de recherches consacré à
teindre Ma’rib et, plus loin, l’Hadhramawt. Il ne
tayn. C’est autour de cette pointe de désert,
l’archéologie du bâti.
Gordon Matta-Clark
Entretiens,
Paris, Éditions Lutanie, 2011.
Georges Rousse
www.georgesrousse.com
tié du tirage optique. L’infini divisé par deux,
(1)Walker Evans at Work, Thames & Hudson, 1990
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l’un des plus arides du monde, qu’ont vu le jour,
tard, dans le Nouveau Testament, doit être rap-
à la fin du deuxième millénaire avant notre ère,
prochée des écrits des plus grands historiens et
plusieurs grands royaumes. Plus à l’est, ce sont
géographes grecs et hellénistiques (Hérodote,
les plateaux tabulaires du Hadhramawt qui
Eratosthène, Agatharcide, Théophraste, Stra-
couvrent le territoire yéménite. Ces plateaux
bon…). Cette richesse attire des convoitises,
calcaires sont entaillés par de nombreuses val-
même Rome n’hésite pas, en 24 av. notre ère,
lées-oasis, riches de traditions et de cultures
à envoyer une légion pour conquérir, en vain,
verdoyantes. Ainsi le wadî Hadhramawt, qui ré-
le territoire des aromates. Plus tard l’unification
cupère les eaux souterraines issues des hauts
du pays se fera avec le royaume d’Himyar qui
plateaux de l’occident du pays, va couler par
dominera, à un certain moment, la quasi-tota-
intermittence sur plusieurs centaines de kilo-
lité de la péninsule arabique. Le monothéisme
mètres jusqu’à l’océan Indien.
apparaît chez les souverains de ce royaume,
La situation de ce territoire autour du détroit de
chrétiens et juifs alternativement. Le com-
Bab-al-Mandeb (ou Porte des Lamentations)
merce caravanier est supplanté progressive-
- à la rencontre de la mer Rouge et l’océan In-
ment par la navigation qui est maîtrisée en mer
dien - lui a donné un rôle fondamental dans
Rouge aux alentours de notre ère. Au VIIe siècle
les relations commerciales et politiques entre
l’apparition de l’Islam permet au Yémen une
le monde méditerranéen, l’orient indien et
conversion consentie très rapide.
l’Extrême-Orient.
Qu’en est-il des grandes traditions culturelles,
Dès le début du premier millénaire avant notre
linguistiques, artistiques, agricoles et archi-
ère, à la suite d’un âge du bronze particulière-
tecturales ? Au début de l’Islam, le retour à
ment riche, apparaissent plusieurs royaumes
un éparpillement tribal est contrebalancé par
qui vont s’inscrire dans l’histoire. A cette
cette religion unique librement acceptée et,
époque, les habitants de l’Arabie du sud in-
si le commerce extérieur décline, les produc-
ventent une écriture originale dérivée des lan-
tions locales restent riches et appréciées. En
gues sémitiques du nord de la péninsule. Sé-
témoigne le fameux café de Moka largement
dentaires, ils maîtrisent l’irrigation – l’irrigation
prisé dans les cours et les villes européennes
de pente sur les hauts-plateaux et l’irrigation
durant le XVIIIe siècle. Mais au XIXe siècle, dès la
de crue à la frange du désert. Résidant pour
redécouverte du pays par quelques aventuriers
la plupart dans des villes importantes, sub-
occidentaux, ce qui va frapper le plus sera cette
tils urbanistes et grands bâtisseurs dès cette
architecture ostentatoire, aux hautes façades
époque, ils sont également de fiers agriculteurs
richement décorées sur plusieurs étages, large-
qui mettent en œuvre des ouvrages bâtis pour
ment ouverte sur l’extérieur, à la fois sobre dans
l’irrigation de grands terroirs productifs. Cette
sa géométrie et prétentieuse dans la richesse
richesse agricole ajoutée à la production locale
de ses modénatures.
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d’encens et de myrrhe va permettre à ces habi-
Sanaa la ville
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tants de contrées semi-arides la maîtrise d’un
L’urbanisme et l’architecture de l’Antiquité
commerce international de grande ampleur.
De prestigieuses cités occupent l’Arabie du sud,
Les caravanes partaient de Shabwa, capitale
si riche qu’elle fut «prospère» pour les Grecs,
du royaume du Hadhramawt antique, pour
«heureuse» pour les Latins et surtout fortunée
rejoindre Petra, Gaza, Alexandrie ou Palmyre.
par ses parfums. Longtemps l’Arabie s’entou-
Ces caravanes importantes transportaient
rait de mystère. Les champs étaient luxuriants,
l’encens et la myrrhe locale mais aussi toutes
les palmiers odoriférants, ses mines d’or iné-
les marchandises venues de l’Orient – épices
puisables et ses troupeaux innombrables. Il
du sud-est asiatique et de l’Inde, soieries de
s’agit bien d’un monde de sédentaires qui
Chine, ainsi que l’or et les animaux de Somalie
contribuèrent par leur propre ingéniosité à
(le pays de Pount). La tradition d’une reine ri-
faire naître le concept de «ville neuve». Si l’ar-
chissime et sage, dans le royaume de Saba, que
chitecture trouve son émergence dans des
l’on retrouve dans la Bible (livre de Job) et, plus
constructions rurales défensives et isolées, dès
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Sanaa la ville
durablement s’installer dans le Jawf, au nord
de décors qui nous sont parvenus, en nombre
fiées en briques de terre crue (adobes) ; dans
du pays, où était situé le royaume important de
limité, peuvent être comparés aux panneaux
le Jebel Haraz, elles le sont en basalte et en
Maïn – les Minéens organisaient les caravanes
en dalle de calcaire dont les motifs stéréotypés
rhyolite, à Saada ou à Ma’rib, les parois sont
et les accompagnaient jusqu’à la mer Médi-
figurent des assemblages de menuiserie. Cette
montées en terre massive ou bauge appelée
terranée. Les résultats sont prodigieux. Appa-
pétrification du bois, bien connue dans les re-
localement zabour. Les maisons de Sanaa sont
rut tout un monde de bâtisseurs, politiciens
présentations figurées sur les stèles d’Axum, en
construites en briques de terre cuite au-dessus
hors pair, guerriers farouches et cultivateurs
Ethiopie, nous donne également de multiples
d’un premier niveau en basalte. Tous les murs
ingénieux dont l’immense digue de Ma’rib
informations sur les encadrements, les portes
sont porteurs, le bois n’est utilisé que pour les
témoigne. La comparaison des informations
et les fenêtres de ces édifices. Enfin, il est néces-
planchers et pour les menuiseries intérieures et
entre les différentes équipes d’archéologues
saire de regarder l’ensemble de l’architecture
extérieures. Parfois un ou deux poteaux, excep-
durant plusieurs rencontres annuelles a permis
religieuse de l’Arabie méridionale antique, où
tionnellement quatre, permettent d’agrandir
la publication d’un grand nombre de données
l’emploi généralisé de monolithes imposants
l’espace habitable des étages supérieurs en se
tant monographiques que thématiques.
d’un poids de plusieurs tonnes nous renvoie
substituant aux épaisses parois.
Les villes antiques, toutes dotées d’enceintes
à des techniques constructives issues de la
Les usages dictent l’architecture. La mai-
imposantes avec des courtines et des tours dé-
construction en bois.
son-tour correspond à un habitat destiné à une
famille étendue d’une douzaine de personnes
passant parfois quinze mètres de haut, regrou-
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paient de nombreuses habitations et plusieurs
La maison-tour…
au maximum. Sont intégrés au logement les
sanctuaires. Elles abritaient des sédentaires
Il faut, tout d’abord, réfléchir sur l’omnipré-
usages économiques liés soit à l’agriculture,
qui s’enrichissaient grâce à l’élevage et à l’agri-
sence, de tout temps, d’un type architectu-
soit éventuellement, en milieu urbain dense,
culture.
ral particulier : la maison-tour. Depuis la plus
au commerce. Une cage d’escalier, le plus sou-
L’architecture religieuse jouait un rôle impor-
haute Antiquité, ce type de bâtiment est édifié
vent à quatre volées, s’organise autour d’un pi-
tant dans cette contrée où chaque royaume
aussi bien sur les hauts plateaux de l’Arabie
lier massif qui est l’ossature primaire du cœur
le début du premier millénaire avant notre
avait un dieu tutélaire et où chaque cité avait
Heureuse (la ville de Sanaa) que sur les abords
de l’édifice. Ce dispositif, souvent doublé par
ère, les hommes regroupèrent leur habitat
ses propres dieux. A côté des grands temples
du grand désert central et plus particulière-
un puits de jour qui assure la ventilation, per-
afin de mieux se protéger, afin également de
confédéraux situés généralement à l’extérieur
ment sur les franges du Ramlat as-Sabatayn
met la distribution de tous les étages jusqu’à
contrôler des terroirs plus vastes et des nœuds
des villes, on trouve un grand nombre d’édi-
(Ma’rib) et dans la vallée du wadî Hadhramawt
la toiture. Le rez-de-chaussée est un lieu de
de communication indispensables. Plusieurs
fices sacrés où les rites expiatoires, divinatoires
(Shibam) . Ce type n’est pas unique ; à côté de
stockage consacré aux réserves, il possède la
royaumes se côtoient à la limite du grand dé-
et propitiatoires étaient accomplis quotidien-
cette architecture riche et prestigieuse existent
porte d’accès à l’édifice ; une seconde porte
sert, alternant alliances et conquêtes. Le long
nement. Ainsi Pline dans son Histoire Naturelle
également des habitats différents, construits
peut indiquer la présence d’un commerce. Le
de la grande route de l’encens, la richesse est
cite la ville de Shabwa et ses soixante temples.
en brique crue, en pierre ou en branchages pa-
deuxième niveau, ou entresol, est destiné soit
partout, chacun a son rôle dans le trafic des ca-
Ces temples étaient situés dans des complexes
lissés. Principalement reconnu dans les mas-
aux animaux de la maison, chèvres, brebis, vo-
ravanes et en tire de gros bénéfices. L’habitant
plus vastes où nous avons pu retrouver aussi
sifs montagneux de la région de Sanaa, dans
lailles, exceptionnellement une vache ou un
de l’Arabie du sud antique est guerrier, éleveur
bien des salles de banquets que des logements.
le Jebel Haraz ou dans les environs de Taez, ce
âne, soit à des réserves complémentaires, sou-
et cultivateur mais également bâtisseur.
Si l’architecture monumentale de l’Antiquité,
modèle d’habitat vertical se rencontre égale-
vent du fourrage. Les troisième et quatrième ni-
L‘archéologie est récente dans cette partie du
souvent très bien conservée, a été parfaite-
ment dans le nord, vers Saada, dans l’Asir saou-
veaux (parfois ils peuvent être dédoublés) sont
monde. Il y a tout juste trente-cinq ans, les pre-
ment analysée, il n’en va pas de même pour
dien2 ou bien dans la région de Najran ; il est
destinés à l’habitat, ils sont autant d’apparte-
mières missions importantes ont commencé à
l’architecture civile, principalement des mai-
peu représenté en revanche dans les contrées
ments autonomes avec cuisine et hammam à
étudier les vestiges de cette civilisation instal-
sons aux parois composites édifiées au-dessus
qui bordent la mer Rouge ou l’océan Indien .
chaque étage qui peuvent, selon les cas, possé-
lée initialement à la frange du Rub-al-Khali. Les
de hauts soubassements massifs en grand ap-
La maison-tour se caractérise par sa hauteur,
der des terrasses. La répartition des occupants
Français se positionnèrent à Shabwa, capitale
pareil. Cette architecture est caractérisée par
la disposition des étages, la distribution des
se fait selon l’âge ou le sexe. Dans tous les cas,
du royaume de Hadhramawt et tête de pont
un usage massif, dans les parois, de pièces de
usages et les dispositifs architecturaux mis en
l’étage supérieur possède une grande pièce de
du commerce de l’encens ; les Allemands étu-
bois de dimensions importantes qui consti-
œuvre. Édifices civils dès leur apparition, ils
réception et une vaste terrasse.
dièrent Ma’rib, capitale du légendaire royaume
tuent une ossature tridimensionnelle dont le
le sont restés, qu’ils soient riches demeures
L’apparition de ce type architectural tient
de Saba et les Italiens la ville de Tamna, capi-
contreventement est assuré par un remplis-
unifamiliales (ou palais), parfois modestes
pour beaucoup à la création de structures vil-
tale du royaume de Qataban. La mission so-
sage composé généralement de briques crues.
fermes défensives plus ou moins isolées au
lageoises puis urbaines en parfaite harmonie
viétique (puis russe) fouilla extensivement des
D’autres utilisations du bois sont attestées
milieu des champs. Cette architecture utilise
avec le contexte tribal. L’habitant de l’Arabie
villes importantes de l’intérieur du royaume de
dans différentes configurations constructives :
les matériaux de construction fournis par la
méridionale est avant tout un sédentaire qui
Hadhramawt ainsi que son port, Qana’. Pour
poutres, poteaux et planchers ont été décou-
matière disponible sur place, ainsi à Shibam
contrôle un terroir. La création d’édifices, à
des raisons de sécurité, aucune mission n’a pu
verts lors des différentes fouilles. Les éléments
les maisons de plus de 30 m de haut sont édi-
usage de logement, de ferme et de grenier,
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La structure des maisons
de Shabwa
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Les terrasses de Shibam
l’Arabie méridionale antique. À Tamna’, par
basses-terres, la production agricole ne peut
se composait d’un déversoir pour évacuer un
exemple, l’équipe franco- italienne a découvert
fonctionner qu’avec l’eau des rares crues sai-
éventuel trop-plein et de deux ouvertures qui
soixante-six fragments de bois dans les ruines
sonnières. Cette eau sauvage est pacifiée pour
alimentaient le canal irriguant la partie nord de
d’une des maisons qui bordaient la place du
ne pas détériorer les infrastructures complexes
l’oasis. L’Écluse méridionale régulait la quanti-
marché. À Shabwa, la fouille du palais royal
qui participent à sa gestion. La crue transporte
té d’eau destinée à l’oasis méridionale.
a permis de retrouver plusieurs centaines de
avec elle les limons qui fournissent, par accu-
Dans les montagnes du Yémen, le régime des
pièces de bois calcinées, parfois en connexion
mulation, la terre des champs qui est aussi la
précipitations dépend de la mousson, avec
entre elles ; ainsi, des restitutions de certaines
matière première de la construction. Toute une
deux saisons de pluie, la première peu co-
parties de la superstructure de l’édifice ont pu
architecture est liée à l’irrigation ; il s’agit de
pieuse au printemps (mars, avril et mai) et la
être réalisées avec une très grande précision.
barrages submersibles, déflecteurs de la crue,
seconde relativement abondante en été (juillet
À Sirwah et à Mari’b, les recherches archéolo-
de seuils, de vannes, de répartiteurs subtils qui
et août). À Sanaa, le niveau des précipitations
giques ont récemment abouti à la découverte
permettent à ce flot passager d’être calmé et
est en moyenne de 20 mm en mars, 50 mm
des montants de dispositifs d’accès en bois, en
d’être harmonieusement distribué. Chaque
en avril et 20 mm en mai, 40 mm en juillet et
parfait état de conservation, qui ne font que
année, des travaux nécessaires permettent la
70 mm en août ; tous les autres mois de l’année
valider les restitutions proposées par notre
remise en état de ces ouvrages fondamentaux
ont une pluviométrie inférieure à 10 mm. Dans
équipe pour le portail monumental du bâti-
pour la survie de la communauté. Mais aucune
l’Antiquité, les eaux du fleuve permettaient d’ir-
ment «tour» du palais royal de Shabwa.
de ces construction n’égale la grande digue de
riguer à Maʾrib un périmètre dont la superficie
Le bois a parfois été utilisé comme élément
Maʾrib.
de construction sous forme brute, un tronc
La Digue de Maʾrib tire son nom du bourg de
d’arbre est alors taillé à ses extrémités ; hori-
Maʾrib, qui se trouve à 7 km en aval, sur la rive
zontalement il servira de poutre, de lambourde
gauche du wadî Dhana. Ce bourg se trouve sur
ou de solive, verticalement de colonne ou de
le site de la ville antique capitale du royaume
poteau. Sous une forme travaillée, il est taillé à
la demande non loin du bâtiment en construction. La plupart du temps, il entre dans une
ramassés sur eux-mêmes pour des raisons
architecture composite qui fait également ap-
défensives, implique la réalisation de tours
pel à la terre et à la pierre. Les données sont
qui servent aussi de lieu de surveillance du
nombreuses, tant les vestiges eux-mêmes que
territoire. Le rassemblement de ces fermes for-
les représentations sculptées de menuiseries
tifiées en hameau amène très rapidement les
ou même les références au bois, dans les ins-
premiers dispositifs urbains fortifiés : les mai-
criptions dédicatoires. Cependant ce matériau
sons, en contiguïté, tournent le dos à l’extérieur
périssable n’est souvent que partiellement
en présentant des façades aveugles et forment
conservé, en général calciné. En dépit des vicis-
un enclos protégé. De nos jours encore sur les
situdes du temps et quelquefois des incendies,
Hauts Plateaux (al-Hajarah) comme en Hadhra-
certains éléments remarquables ont pu nous
mawt on rencontre de tels exemples (Shibam)
parvenir ; leur classement, leur interprétation
qui montrent bien la continuité entre les mo-
et la restitution architecturale permettent de
dèles de la ville préislamique et ceux de la ville
mieux comprendre la chaîne opératoire qui
islamique.
mène de la pensée du projet constructif à sa
Les conditions climatiques ont autorisé une
réalisation, en restituant le temps du chantier.
bonne conservation des pièces de bois, calci-
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nés ou non, à la fois dans des couches de des-
L’irrigation
truction et en connexion in situ. Bien souvent
Sur les hauts plateaux régulièrement arrosés
les édifices ont été enfouis sous les ruines de
par les pluies de mousson, durant le Ie millé-
leurs superstructures. Ainsi comme à Hajar
naire avant notre ère et ce jusqu’à l’appari-
am-Dhaybiya, les archéologues ont pu décou-
tion de l’Islam, l’agriculture est fondée sur le
vrir intacts les premiers niveaux d’occupation
ruissellement de pente et sur la création de
au-dessus des socles maçonnés, caractéris-
terrasses qui permettent l’accumulation de
tiques de l’architecture des basses terres de
terres fertiles. À la même époque, dans les
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de Saba. La Digue était un ouvrage gigantesque, barrant l’une des plus grandes vallées
du Yémen, dans un étroit défilé à sa sortie
des montagnes, juste avant que ce wadî se
perde dans le bassin désertique du Ramlat
as-Sabatayn. Elle se composait d’une massive
levée de terre barrant complètement la vallée
et de deux énormes écluses construites en
pierre sur la rive rocheuse, une à chaque extrémité. La levée de terre mesurait 650 m de
longueur et atteignait 15 m de hauteur dans
le lit du wadî ; à la base, sa largeur était d’une
centaine de mètres. C’était l’élément le plus
fragile du dispositif. À chaque crue d’une ampleur exceptionnelle, cette levée se brisait et
était emportée en plus ou moins grande partie.
Mais elle était facile à reconstruire. Cependant,
pour éviter que les ruptures ne soient trop
approchait 100 km2. Aujourd’hui, la quantité
fréquentes, elle était protégée par des pierres
d’eau qui parvient chaque année à Maʾrib est
plates fichées à sa surface. Aujourd’hui, il n’en
de l’ordre d’un million de m3.
subsiste plus que le tiers septentrional, entre
Dans la mémoire des Arabes, la Digue de
l’Écluse nord et le lit du wadî Dhana. La massive
Maʾrib, comme la fameuse église de Sanaa,
levée de terre était flanquée à ses deux extré-
est un monument emblématique de l’Arabie
mités par deux dispositifs complexes. Ces deux
préislamique. Elle le doit sans doute à ses di-
écluses, toujours debout, conservent la trace
mensions colossales et à l’ingéniosité de ses
de multiples réfections, surélévations et ajouts.
constructeurs, mais plus encore au fait que le
Dans son dernier état, l’Écluse septentrionale
Coran évoque son ultime rupture. Dieu aurait
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Digue de Ma’rib
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Shibam
décidé de l’abattre et de ruiner les oasis qu’elle
Sanaa
lorés ( le vitrail n’est apparu pourtant que très
irriguait pour punir les Sabéens de leur incré-
Quant à la ville yéménite, elle n’a que peu
tard à Sanaa, au début du XXe siècle). Dans peu
dulité :
changé après l’apparition de l’Islam, si ce n’est
de temps il n’y aura plus d’eau à Sanaa. Les
«Certes les Saba’, dans leur habitat, avaient un
ces dernières années. Les traditions construc-
quartiers périphériques témoignent ainsi d’un
signe. [C’étaient] deux jardins à dextre et à sé-
tives sont toujours vivantes et ce pays du bout
kitch tout à fait représentatif d’une absence
nestre. Mangez de l’attribution de votre Seigneur
de la péninsule témoigne encore d’un res-
manifeste de culture architecturale et, plus
et soyez-lui reconnaissants ! [ce pays est] un pays
pect de nombreuses valeurs et de traditions
grave encore, les pouvoirs locaux, avec leurs
délicieux. [Allāh] est un seigneur absoluteur.
architecturales et urbaines. On peut prendre
faibles moyens, ne sont pas capables de don-
Les Saba’ se détournèrent [cependant de Nous].
l’exemple de la capitale, Sanaa. Certes de
ner à la vielle ville le confort souhaité par les
Nous déchaînâmes contre eux l’inondation
nombreuses tendances ont contribué de tout
nouvelles générations. Le centre-ville devient,
d’al-‘Arim et, au lieu de leur deux jardins, Nous
temps à sa transformation progressive. Tout
comme de nombreuses médinas du Maghreb,
leur donnâmes deux jardins poussant [des vé-
particulièrement le monde Ottoman a impré-
un conservatoire romantique ouvert avant
gné l’urbanisme en jouant avec le type de la
tout aux touristes. Seule l’importance du souk
Ta’rim mais aussi les modestes bourgades du
maison-tour qui s’est vue dotée de jardins, de
de la vieille ville, la notoriété des hammams
wadî Do’an témoignent de cette activité de
cours et de clôtures. L’urbanisme lié à la domi-
et le prestige de la grande mosquée donnent
constructeurs. Shibam, emblème du patri-
nation turque a éclairci le paysage urbain en le
au centre urbain historique un rôle socio-éco-
moine urbain et architectural, la «Manhattan
dotant d’un grand nombre de vides permettant
nomique puissant. Témoignage du temps, les
du désert», comme le signalaient Daniel Van
une agriculture vivrière intra-muros. Plus ré-
autres villes, bourgades et villages des hauts
der Meulen et Freya Starck, inaccessible et
cemment (dès 1960) l’importance de l’impact
plateaux souffrent des mêmes dysfonctionne-
lointaine, place forte au sein d’une vaste oasis,
des travaux des ingénieurs en bâtiment issus
ments.
aurait été fondée par les habitants de Shabwa
gétaux aux] fruits amers, des tamaris et de rares
baies de jujubier. Cela, nous leur avons donné en
prix de ce qu’ils furent incrédules. Pourrions-nous
«récompenser» [ainsi] un autre que l’Incrédule ?»
sourate XXXIV, «Les Saba’».
Ce passage du Coran fait clairement le lien
entre l’incrédulité des Sabéens et la rupture
de la Digue. Il entre dans une longue série de
passages coraniques qui expliquent les catastrophes — étonnamment nombreuses au VI
e
siècle — comme des manifestations de la colère divine. Il est très exceptionnel que le Coran
fasse allusion à des personnes ou des lieux
appartenant au milieu dans lequel il est prêché, ou à des actes s’y produisant. Il est encore
plus rare qu’il fasse mention d’événements de
portée universelle. En plus de la rupture de la
Digue de Maʾrib, on ne peut guère citer que la
victoire (ou la défaite) des Romains (en 24 av.
J. C., évoquée dans la sourate XXX dite «Les
Romains» ou, de manière moins assurée, l’expédition des «Gens de l’Éléphant» - sourate CV
dite de «L’Éléphant». On peut en déduire que la
rupture de la Digue fut une catastrophe qui eut
calement l’univers des villes en conjuguant au
Shibam
L’architecture de la vallée est homogène,
nom de la modernité et de la salubrité l’arrivée
A l’est du pays, en Hadhramawt, les traditions
certes Shibam, ses 5000 habitants et ses cinq
restent plus présentes pour des raisons de dé-
cents maisons en font un exemple particulier.
veloppement économique évidentes. On est
Les très hautes maisons tournent le dos à la
tellement loin de la capitale.
vallée et forment une deuxième ligne de forti-
La vallée du wadî Hadhramawt, classée au pa-
fication que l’on ne peut franchir que par une
trimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO
porte unique, surveillée par la forteresse et le
au même titre que Sanaa et, plus récemment
palais du gouverneur. La ville avec ses sept
Zabib dans la plaine côtière de la Tihama, offre
quartiers est orientée vers les rues et les places
du béton armé avec celle de l’asphalte. Les
nouveaux développements de la ville de Sanaa
le long des voies de communications radiales
et tout autour des boulevards dits «périphériques» transforment radicalement de manière
radioconcentrique la «Forme de la ville» qui précédemment s’accroissait par additions succes-
doté d’appartements souvent en locations n’a
pas transformé en profondeur la maison-tour
des origines et la création de lotissements de
grosses maisons, isolées au milieu de leurs jar-
un grand retentissement et marqua les esprits.
dins-parcelles, ne fait que reproduire la mode
La rupture de la Digue de Maʾrib occupe une
ottomane. C’est avant tout l’apparition de nou-
place importante dans les mythes de la Tradi-
velles stratégies commerciales développées le
tion arabo-islamique. On y voit la cause de la
long des voies importantes qui, avec les nou-
désertification du Yémen et de la dispersion
veaux moyens de locomotion privés et publics,
des tribus yéménites dans toute la péninsule.
transforment la ville. L’étude du prix du foncier
C’est bien évidemment une fiction puisque la
montre bien cette évolution. Sans se soucier du
perte de quelques milliers d’hectares de terres
grave problème que représente le rabattement
cultivables dans un pays relativement bien
de plusieurs centaines de mètres de la nappe
arrosé comme le Yémen n’eut guère de consé-
phréatique, les habitants de Sanaa continuent
quences économiques, sinon locales.
à bâtir frénétiquement en gardant le souci des
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Le plan de Shibam
fertile et peuplée. Certes, ses habitants n’ont
Paradoxalement, le passage de la maison à
l’immeuble unifamilial, puis à l’immeuble
Shibam depuis la falaise
la particularité d’être une vallée oasis retirée
sives le long d’un axe est-ouest.
décors traditionnels de pierres et de vitraux co-
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après leur première défaite face aux Sabéens.
des universités égyptiennes a transformé radi-
jamais hésité à parcourir le monde, à contrôSanaa, vue intérieure
ler une partie de l’Insulinde et à commercer
avec les Indes et la Chine. On retrouve ainsi
les hadramis tout autour du globe, discrets,
efficaces dans des situations importantes de
commerçants et d’intellectuels. Dès l’Antiquité,
depuis leur capitale Shabwa, ils ont positionné
des comptoirs commerciaux, véritables têtes
de pont coloniales en Oman et dans le Golfe,
qui maîtrisaient le commerce entre le monde
méditerranéen et l’Extrême-Orient. Grands
propagateurs de traditions millénaires, les
habitants de la vallée du wadî Hadhramawt
ont su conserver et développer des traditions
architecturales et urbaines et ont su bâtir des
cités aussi diverses que prestigieuses, aussi
originales qu’imposantes. Shibam, Say’hun,
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De modernité et d’ici
Xavier Leibar
17 décembre 2009
Xavier Leibar et Jean-Marie Seigneurin, implantés à Bayonne et à
Bordeaux, sont auteurs de nombreuses réalisations architecturales
conçues dans un même esprit : établir un dialogue harmonieux
entre la modernité des constructions et les différents contextes
patrimoniaux dans lesquels elles s’inscrivent.
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intérieures. Le rez-de-chaussée des maisons
Bonnenfant, P.
est destiné aux réserves et, accessoirement,
Les maisons-tours de Sanaa, CNRS,
Paris, 1989. aux boutiques, le deuxième niveau est occu-
Sanaa, architecture domestique et
société, CNRS, Paris, 1995.
Au-dessus, plusieurs étages correspondent
Zabib au Yémen, archéologie du
vivant, Patrimoine Mondial de
l’Humanité, Edisud, Paris, 2004.
Les maisons de Zabib, Patrimoine
Mondial de l’Humanité, éclat
et douceur de la décoration,
Maisonneuve et Larose, Paris,
2008.
Breton, J.-F. & Darles, Ch.
pé par des animaux, poules, chèvres et brebis.
à l’habitat alors que le sommet de la maison
est consacré aux pièces de réception et aux
terrasses. Il existe une véritable vie sociale au
sommet de la ville, à 30 m au-dessus de la rue.
Les maisons sont toutes identiques, ce sont des
(1) Plusieurs ouvrages majeurs ont abordé cette architecture, parmi lesquels nous renvoyons le lecteur au
livre de Suzanne et Max Hirschi (1983), à ceux de Fernando Varanda (1982, 1994) et à plusieurs publications
de Paul Bonnenfant (1989, 1995).Nous signalons également l’article de Jean-François Breton et Christian
Darles sur la ville de Shibam (1980).
(2) Nous faisons ici référence au livre particulièrement
bien illustré de Thierry Mauger (1996).
(3) La ville de Zabib ne comporte aucune maison-tour
mais des maisons à cour richement décorées (2004,
2008).
Quel que soit le programme abordé (logements, bureaux, hôtellerie,
espaces publics, rénovation...), leur œuvre, basée sur l’usage, se
nourrit de l’histoire des lieux tout en assumant la modernité du
présent. Elle acquiert ainsi une épaisseur humaine et l’art de la juste
réponse lui confère plus que du sens, une véritable poésie.
Xavier Leibar présente ici quelques une des réalisations
emblématiques du travail de l’agence.
maisons-tours au crépi de terre soigné et aux
zones fragiles recouvertes de gadad, l’enduit
Shibam. Storia della Città, 14,
p. 63- 86, 1980.
de chaux si particulier au Yémen. Plus on est
Préambule
La maison tour et ses origines,
in P. Bonnenfant (éd.) Sanaa,
architecture domestique et société
(chapitre 21- Le livre des jours et
des modes), CNRS, Paris, 1995,
p. 449-457.
riche et plus la maison est blanche. Les portes
Le territoire face à la mondialisation
sont toutes identiques et seuls trois types de
C’est du territoire que Xavier Leibar et Jean-Ma-
nagements urbains, etc. Loin du geste et du
fenêtres éclairent et aèrent les logements. Un
rie Seigneurin choisissent d’emblée de tirer la
formalisme fashion, Xavier Leibar et Jean-Marie
consensus et des règles strictes obligent les
substance de leur réflexion. Leur première ré-
Seigneurin coulent leurs compositions dans
propriétaires à ne pas dépasser une certaine
alisation, l’Ikastola à Biarritz, en 1993, est une
le paysage naturel ou urbain du sud-ouest de
hauteur ; ainsi la ville, de loin, paraît-elle un
école de langue basque. Elle est, par son pro-
la France dont ils réveillent les richesses sécu-
immense parallélépipède doré posé au centre
gramme même, emblématique.
laires et révèlent le potentiel actif. Ils rejoignent
de la vallée. On pourrait parler de Tarim, la ville
Cette école où l’on apprend la langue basque
ainsi la démarche, non loin de l’Aquitaine,
religieuse aux multiples palais de style victo-
dit le désir de préserver, au cœur de la ca-
d’autres architectes tels Alvaro Siza, Eduardo
rien tels des palais de maharadjah, de Say’un
cophonie babylonienne du globe, le trésor
Souto de Moura, Rafael Moneo, ou encore l’ar-
sa capitale économique, du sanctuaire de Qabr
d’héritages immémoriaux et singuliers. Le
chitecte australien Glenn Murcutt.
Hûd, seul vestige architectural des temples
projet conçu par l’agence s’écarte d’emblée
préislamiques encore en activité au sein de la
de la solution du vernaculaire rapporté. On ne
Le ton juste
communauté islamique. Ce sont autant d’his-
trouvera pas ici, ni dans aucune des réalisa-
L’agence a trouvé, dès ses débuts, un langage
toires et de descriptions à venir…
tions suivantes, l’avatar d’un style néo-basque
et un ton : la forme juste, la juste réponse. Les
Nul n’est prophète en son pays. Alors, ne par-
plus ou moins improbable. Si écho il y a avec
déclinaisons du prisme originel et primordial,
lons pas trop d’un avenir urbain et architectural
le contexte patrimonial, c’est par le choix de
l’appropriation maîtrisée des techniques les
que nul n’est capable de prévoir même si l’ab-
volumes simples reprenant un gabarit cou-
plus innovantes (plaques de bois composites
sence d’eau est une certitude ■
ramment employé dans cette partie du Pays
empruntées aux chalutiers, en revêtement
basque. S’il y a ici œuvre d’architecte, c’est par
pour les logements collectifs de la Paloumeyre
l’emploi logique de matériaux performants ne
à Anglet, béton teinté dans la masse au péage
laissant aucune part à la nostalgie tout en ré-
d’Orthez et à l’actuel Îlot Saint-Jean à Bor-
Xavier Leibar
pondant aux contraintes budgétaires.
deaux, etc.), sont des constantes de ses projets.
architecte, a créé en 1991,
Dans ce premier édifice on trouve déjà pré-
La lecture attentive du contexte, qui induit le
avec Jean-Marie Seigneurin,
sentes les qualités qui fondent la démarche
travail sur le plan, puis le choix des matériaux,
l’agence Leibar&Seigneurin.
conceptuelle et esthétique de l’agence. Au fil
guide la réponse formelle.
Elle est aujourd’hui implantée
Darles, Ch.
L’architecture civile à Shabwa.
Pages 77-110 in J.-F.Breton (éd.)
1992.
Fouilles de Shabwa II, Rapports
préliminaires, Syria, LXVIII, 1991,
p. 77-110.
L’emploi du bois dans l’architecture
du Yémen antique, PSAS 40,
Londres, 2010, p. 149-160.
Hirschi, S. & M.
L’architecture du Yémen du nord,
Paris, Berger-Levrault, 1983.
Loreto, R.,
L’architettura domestica e Palazzi
reali di epoca sud Arabica nello
Yemen pre-islamico (VII SEC.A.C. –
VI SEC.D.C.), Università degli Studi
di Napoli “L’Orientale”, Istituto
Italiano per l’Africa e l’Oriente,
Napoli, 2011.
Mauger, T.,
Tableaux d’Arabie, Arthaud, Paris,
1996.
Serjeant, R. B. & Lewcock, R.
San’a’, an Arabian Islamic City,
Londres et Cambridge, 1983.
des années et des projets, le champ program-
Varanda, F.
The Art of Building in Yemen, MIT,
Boston, 1982.
The Art of Building in Tradition and
Change in the Built Space of Yemen,
Ph. D, 1994.
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à Bayonne et Bordeaux. Il est
matique s’élargit : nouveaux bâtiments d’en-
Le regard, le compas, la ligne
seignement, habitat individuel ou collectif,
La clarté d’un regard sensible à la beauté d’un
de l’État et enseignant à
immeubles de bureaux, équipements, chais,
édifice pluriséculaire, comme la commande-
l’École nationale supérieure
usines, réhabilitations ou reconversions, amé-
rie d’Irissarry, un centre d’éducation au patri-
d’architecture de Bordeaux.
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également architecte conseil
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Zazpi Hôtel
Saint-Jean-de-Luz, 2006
Gare de péage autoroutière,
Orthez (64), 2002
La gare de péage d’Orthez conçue comme un
monolithe simple et rigoureux, exprime sans
équivoque ni fantaisie déplacée (pas d’effet
haubané à la logique douteuse ici), sa fonction
de porte et de franchissement. Sas et seuil, elle
est un instant de territoire écrit dans l’infini du
paysage autoroutier dont elle cadre les lignes
de force.
Hegia, chambres d’hôtes,
Hasparren, 2004
Zazpi Hôtel Saint-Jean-de-Luz 2006, (64)
À Hasparren, en 2004, l’agence a aménagé cinq
chambres d’hôtes et une table d’hôtes dans
une ancienne ferme datant de 1746. L’amAménagement de l’esplanade
portuaire, Hendaye, 2005
moine, à celle d’Hegia, une simple ferme du
blie jamais que l’identité d’une région, d’une
XVIIIe siècle, ou au charme d’une maison de
ville, se construit et se réinvente à chaque pas
ville basque 1900 transformée en hôtel (Zazpi
et à chaque œuvre.
Hôtel), débouche sur des interventions où se
Sans provoquer la rupture ni refuser la mo-
mêlent un respect réfléchi aux lieux et l’ins-
dernité, les deux architectes conçoivent des
cription, au cœur d’espaces malmenés par
édifices nourris de mémoire et tournés vers
les siècles, de tout ce qu’une architecture au-
demain.
biance est dépouillée, lumineuse, propice à la
sérénité. La modernité des aménagements dialogue admirablement avec le bâtiment ancien.
Le Zazpi Hôtel est né de la réhabilitation d’une
maison de 1900 dont l’architecture très singulière constitue à elle seule un événement
dans le paysage urbain de Saint-Jean-de-Luz.
L’alliance réfléchie des lignes et des matières
thentiquement moderne est à même de leur
d’hier et de demain compose un ensemble à
Quelques réalisations
apporter.
dans le détail
La lumière du Sud-Ouest
Chai viti-vinicole,
La grandiloquence n’est pas le propos de cette
Château Tuerry, Villecroze (83), 2001
architecture profondément humaine, dont le
Ce projet de reconstruction et d’extension d’un
vocabulaire joue sur l’agencement subtil de
chai viti-vinicole à Villecroze, dans le Var, ne
formes pures. La rigueur n’est jamais le fin mot
cherche pas à rivaliser avec ce qui préexiste
d’une esthétique à l’écoute des langages plu-
et ne s’affronte pas avec le bâtiment d’exploi-
riels de son temps. Si la lisibilité en est une don-
tation existant. Il se contente de le souligner,
née fondamentale, le travail de l’agence ne se
de l’appuyer en opérant comme un soubasse-
réduit pas à cette apparente simplicité. Le tra-
ment à distance.
vail de conception, en amont, investit chaque
A l’opposé de l’architecture spectacle des chais
élément de ces compositions d’une force ac-
contemporains, le bâtiment se fait troglodyte
tive qui préserve l’équilibre des formes sans ja-
et s’insère dans le terrain, ne laissant transpa-
mais les garder captives. Chaque édifice s’étire,
raître qu’un portique de béton et l’énigmatique
se développe dans le paysage urbain ou rural
figure d’une pyramidion tronqué, stylisé, cam-
dans lequel il s’inscrit, en un processus d’in-
pé sans aucune velléité d’apparat et pour des
teraction souple, changeant et harmonique.
besoins fonctionnels dans un panorama natu-
La lumière du Sud-Ouest participe de ce jeu
rel superbe.
subtil et maîtrisé. Un même bâtiment donne,
La douce insertion troglodytique du chai de
selon les heures du jour, des versions alternées
Château Tuerry dans le terrain préserve ainsi
d’un raffinement sans artifice. L’architecture de
l’équilibre naturel du site. Les formes stylisées
l’agence Leibar & Seigneurin parle d’Aquitaine,
sont sans vains effets dans le panorama.
Chai viti-vinicole,
Château Tuerry
Villecroze, 2001
la modernité forte, douce et vivante. La souple
élégance du XXIe siècle tend une main fraternelle au Style 1900.
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rer, que la fin du XXe et le début du XXIe siècle
viennent ici remédier aux blessures, redonner
clarté et lisibilité aux espaces. Tout en enrichissant leur lecture par l’introduction de nouveaux éléments et matériaux choisis pour leurs
qualités performantes, mais aussi pour leurs
capacités à s’allier aux pierres et ferronneries
ancestrales dans de nouvelles compositions à
Hegia, chambres d’hôtes,
Hasparren, 2004
la plasticité harmonique.
Aménagement
de l’esplanade portuaire,
Hendaye (64), 2005
L’ancienne friche portuaire est devenue un
parcours ponctué d’une série de petits événements et de repères à vocations multiples.
Maisons à Floirac (33), 2005
Ce projet de onze maisons individuelles, réalisé dans le cadre d’une opération dite «expérimentale», propose une réponse à la difficile
question du lotissement. L’image emblématique de la maison individuelle, une déclinaison du prisme originel adapté aux besoins du
XXIe siècle en matière d’habitat.
même si elle en passe les frontières. Elle n’ou-
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C’est sans rien bousculer, forcer ou fractu-
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Le patrimoine architectural, urbain et paysager :
quels enjeux aujourd’hui ?
Alain Marinos 18 avril 2010
«Il nous faut redonner vie à la tradition, et non se contenter de la protéger,
sinon elle est vouée à la mort et à la disparition», disait Wang Chou,
architecte chinois, lors d’une conférence faite à la Cité de l’architecture et du
patrimoine à Paris.
«Tradition et
Des pratiques innovantes menées sur le territoire français et les coopérations
engagées à l’étranger font prendre conscience de la portée internationale
patrimoine
des enjeux nouveaux que le patrimoine culturel engendre, dans une
perspective de requalification et de revalorisation des villes et des territoires.
ne signifievnt pas
conserver
Immeuble d’entreprises Haristeguy,
Bayonne, 2006
Préambule
1930), puis aux abords des monuments (loi de
Je suis très heureux d’être ici à Nîmes, pour
1943-1946), aux quartiers historiques (lois de
évoquer avec vous l’évolution de la notion de
1962 et 1983) et enfin au paysage (loi de 1993).
patrimoine en France. Une évolution qui met
On pourrait ajouter les lois sur l’archéologie, les
en perspective des changements profonds
objets mobiliers, etc. (figure 1)
les cendres mais garder
la flamme allumée»
dans notre conception de l’aménagement et
Immeuble d’entreprises Haristeguy,
Les monuments historiques
de l’urbanisme.
Bayonne (64), 2006
L’immeuble de bureaux retient des belles com-
«Tradition and heritage do not
positions américaines le principe d’un plan
mean to preserve the ashes but to
une première liste de neuf cent trente-quatre
keep the flame alight».
des travaux, donc des crédits. La première loi
en H distribuant des plateaux pleinement ouverts à la lumière naturelle, mais aussi le lobby,
grand hall central déployant son volume d’un
toriques» créée trois ans auparavant, dresse
bâtiments dont la conservation nécessite
de protection date du 30 mars 1887, elle fixe
seul tenant jusqu’au ciel. Le bâtiment accueille
Ce proverbe indien résume à lui seul les enjeux
principalement les critères et la procédure de
le siège de plusieurs entreprises et de l’agence
et les objectifs poursuivis aujourd’hui.
classement.
elle-même. Il propose une salle de conférences
L’exposé qui suivra ce bref préambule compor-
C’est alors tout un système qui se met en
et un petit auditorium équipés de tout l’ap-
tera trois parties : «La protection du patrimoine à
place par la création progressive de services,
pareillage technique nécessaire à des vidéo-
travers l’histoire», «Des évolutions irréversibles»,
de corps spécifiques de fonctionnaires, par la
projections. L’enveloppe de l’immeuble, dont
Alain Marinos
«Quels enjeux pour quels changements ?»
formation d’architectes à la conservation et à la
est aujourd’hui inspecteur
restauration… Cette formation existe toujours,
général des patrimoines
l’esthétique sobre s’inscrit dans la juste filiation
100
En 1840, la «Commission des monuments his-
des diverses créations de l’agence, s’anime
La protection du patrimoine
elle est assurée par l’École de Chaillot. Le pre-
au ministère de la Culture
d’un jeu plastique et inventif, basé sur des dif-
à travers l’histoire
mier concours de recrutement des architectes
et de la Communication.
férences de traitement du matériau. Le béton,
Le concept de «patrimoine commun de la
des Monuments historiques fut organisé en
Architecte et urbaniste de
campant les volumes primordiaux en surfaces
nation», issu de la confiscation des biens na-
1893.
formation, il a été chef de
puissantes et lisses, est, sur toute la hauteur
tionaux à la Révolution, a fondé le système
Les premiers monuments historiques désignés
deux services départementaux
du bâtiment, comme découpé en lanières. Dis-
français de protection du patrimoine, en
sur la liste de 1840 sont tous emblématiques
de l’architecture et du
posées à intervalles choisis, elles confèrent à
construction tout au long du XIXe siècle, no-
des périodes préhistorique, antique ou médié-
patrimoine, directeur de
l’ensemble une rythmique horizontale dont on
tamment sous la pression des mouvements ro-
vale. Ils sont propriétés de l’État, du départe-
l’École de Chaillot et adjoint
devine aussi le potentiel d’isolation thermique
mantiques. «Il faut arrêter le marteau qui mutile
ment ou de la commune. Ils augmenteront en
au secrétaire général de la
et solaire. Ce parti, outre l’élégance qu’il induit,
le pays. Une loi suffirait. Qu’on la fasse !», disait
nombre et le domaine de protection s’élargira
Direction de l’architecture et
est une réponse intéressante à la sempiter-
Ce texte est rédigé à partir de l’ouvrage
Victor Hugo en 1837. Ce système, mis en place à
progressivement tant d’un point de vue chro-
du patrimoine (DAPA). Depuis
nelle question de la double peau dont, à force
Leibar & Seigneurin, De modernité et d’ici,
la fin du XIXe siècle, s’est développé tout au long
nologique que typologique, avec un intérêt
1998, Alain Marinos s’investit
de redites stéréotypées, l’architecture actuelle
écrit par Delphine Costedoat, paru en 2006,
du XXe siècle. D’abord limité à la protection des
croissant pour l’architecture vernaculaire.
également dans des missions
semble s’épuiser à proposer des motifs parfois
aux éditions Le Festin, dans la collection
monuments historiques (lois de 1887 et 1913),
La loi du 31 décembre 1913 sur les monu-
de coopération internationale,
à la limite de la fantaisie absurde ■
«Les marches de l’architecte».
il a été ensuite étendu aux sites (lois de 1906 et
ments historiques se substitue à celle de 1887.
notamment avec la Chine.
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figure 2
Évolution des modes de
protection du patrimoine
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cré
étendu par la loi du 8 janvier 1993 sur la protec-
1906/1930
Sites
tion et la mise en valeur des paysages, créant
les zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager (ZPPAUP).
figure 1
43.000 monuments
historiques
1887-1913
7.400 sites
2.456.000 ha
1906-1930
43.000
abords de monuments historiques
1943
100 secteurs
sauvegardés
1962
1.000 Zones de protection du patrimoine
architectural urbain et paysager
1983-1993
Dans un esprit de partage de compétences
1943
Abords de
Monuments
Historiques
entre l’État et les communes, la procédure de
ZPPAUP fut mise en œuvre pour répondre à
Elle précise notamment les critères de classe-
Elle a permis progressivement de protéger des
ment et les intervenants obligatoires. Depuis
lieux et des espaces d’une très grande diversité
près de cent ans, peu d’évolutions législatives
et d’une ampleur croissante : des sites naturels
de fond sont à signaler dans le domaine des
mais aussi des sites bâtis et des sites mixtes,
monuments historiques. Les deux niveaux de
englobant plusieurs communes, comme le site
protection, le classement et l’inscription créée
des monts d’Arrée en Bretagne qui porte sur
en 1925, sont désormais régis par le titre II du
vingt-huit communes.
Cependant, le domaine de protection et l’im-
Les secteurs sauvegardés ont été créés par la
pact continuent de s’élargir sur le territoire. Le
loi, dite «Malraux», du 4 août 1962, pour la sau-
nombre de monuments historiques et leur va-
vegarde des centres urbains historiques et plus
riété ne cesse de croître. Cet impact a pris une
largement d’ensembles urbains d’intérêt patri-
importance particulière pendant la dernière
monial. Il est important de noter que le secteur
guerre mondiale. La loi du 25 février 1943, vali-
sauvegardé est une démarche d’urbanisme
dée en 1946, a modifié la loi de 1913 en créant
qualitatif dont l’objectif est autant de conserver
«les abords» des monuments historiques dans
le cadre urbain et l’architecture ancienne que
un cercle de 500 mètres de rayon autour de
d’en permettre l’évolution harmonieuse au re-
chaque immeuble protégé. A l’intérieur de ce
gard des fonctions urbaines contemporaines,
cercle et sous réserve de «covisibilité», l’admi-
en relation avec l’ensemble de la ville.
nistration se donne un droit de regard au titre
Il s’agit, à l’aide de règles et prescriptions spé-
du patrimoine sur toutes les transformations
ciales, d’inscrire tout acte d’aménagement, de
effectuées. C’est en 1946 que furent créées les
transformation ou de construction dans le res-
agences des bâtiments de France et les «ABF»
pect de l’existant, ce qui ne signifie pas copier le
(Architectes des Bâtiments de France).
patrimoine ancien, mais le prendre en compte
dans une évolution des formes urbaines sans
Les monuments naturels et les sites
trimoine. Elle permet la prise en compte d’une
grande variété de lieux différents (construits
porter atteinte à ses qualités historiques, mor-
Sur le modèle de la loi de protection des mo-
phologiques, architecturales.
numents historiques de 1887, à l’incitation de
Pour la première fois il est donné un contenu à
plusieurs associations parmi lesquelles le Tou-
la protection (si on fait abstraction des «Zones
ring Club de France, le Club Alpin Français et la
de protection» du titre 3 de la loi du 2 mai 1930
Société pour la protection des paysages et de
dont le succès fut très relatif). Ce contenu est
l’esthétique de la France, la loi du 21 avril 1906
ici d’autant plus important que le secteur sau-
a été instituée pour organiser la protection des
vegardé constitue un document d’urbanisme à
sites et monuments naturels de caractère ar-
part entière.
intercommunaux), pourvu qu’ils soient dotés
d’une «valeur patrimoniale». Dans la circulaire
n° 85-45 du 1er juillet 1985, il est précisé que :
régionale, peut permettre cette perception : ici
l’histoire et l’archéologie prédominent, là le XIXe
siècle industriel, ailleurs l’architecture rurale du
Les ZPPAUP et les futures AVAP
et des sites de caractère artistique, historique,
Les zones de protection du patrimoine archi-
scientifique, légendaire ou pittoresque qui pré-
tectural urbain (ZPPAU) furent instaurées par la
voit, à l’instar des monuments historiques, un
loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition de
double niveau de protection, le classement et
compétences entre les communes, les dépar-
l’inscription.
tements, les régions et l’État. Leur champ fut
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1993
Zones de protection
du patrimoine
architectural, urbain
et paysager ZPPAUP
vignoble ou des alpages, parfois aussi les mines
et usines du XXe siècle qui fondent la conscience
collective».
Citons par exemple la ville reconstruite du
Havre, le caractère bien trempé de l’Île d’Oues-
2010
Aires de valorisation
de l’architecture
et du patrimoine AVAP
sant, le «charme» de la petite commune rurale
d’Amblie dans le Calvados, le réseau des villes
à ZPPAUP de l’Aude ou des Petites cités de
caractère des Pays-de-la-Loire, les Puces de
Saint-Ouen, les quartiers du Panier et de Belsunce à Marseille ou de la Croix-Rousse à Lyon,
les gratte-ciels de Villeurbanne, la Juridiction
des modes de gestion (planification cadrant la
de Saint-Emilion, etc.
gestion). Le patrimoine gagne alors progressi-
Avec la prise en considération du paysage se
vement sur l’urbanisme.
pose la question des limites, où arrêter la zone
Cependant la réalité est bien différente. Il est
lorsque le point de vue s’étend au-delà du lieu
intéressant de comparer la figure 2 avec la fi-
bâti voire au-delà du territoire de la commune ?
gure 3 qui montre la superposition en «mille-
Les ZPPAUP laisseront place dans un futur
feuilles» des différentes protections sur un ter-
proche aux aires de mise en valeur de l’archi-
ritoire donné, en l’occurrence l’ouest parisien.
tecture et du patrimoine (AVAP), permettant de
Cette image qui fait apparaître l’absence de
mieux articuler les préoccupations environne-
cohérence d’ensemble est semblable à celle
mentales et patrimoniales.
que l’on peut trouver dans beaucoup de communes riches en patrimoine.
1930 sur la protection des monuments naturels
a n s
1983
Zones de protection
du patrimoine
architectural et urbain
ZPPAU
à la personnalité d’une région et une politique
tistique. Elle fut remplacée par la loi du 2 mai
1 0
1962
Secteurs
sauvegardés
ou naturels, grands ou petits, communaux ou
lue dans le temps et qui est relatif, par exemple
Les secteurs sauvegardés
tive et partie réglementaire).
l’engouement de la population pour son pa-
«Le patrimoine est lui-même une notion qui évo-
livre VI du Code du patrimoine (partie législa-
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1887/1913
Monuments
Historiques
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Des évolutions irréversibles
Comme le montre la figure 2, nous constatons
Une augmentation régulière
au fil de l’histoire une évolution des modes de
du nombre de protections
protection du patrimoine qui se traduit par un
Le succès du patrimoine se traduit par une
élargissement régulier des domaines (de l’ob-
augmentation régulière des protections (voir
jet au territoire) et par un approfondissement
figure 4). Entre 1998 et 2008, le nombre de mo-
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figure 3
La superposition en
«mille-feuilles» des différentes
protections
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du XXe siècle», voire protégés au titre des mo-
mondial sont de plus en plus nombreuses ces
tuel de protections existantes !
numents historiques. Je me contenterai de
dernières années. Plusieurs candidatures ont
Faudra-t-il considérer, qu’à l’instar de cet extrait
quelques images sur le sujet et développerai
porté sur de larges territoires, d’autant plus
de l’article L110 du code de l’urbanisme, «Le
le phénomène à l’échelle de la ville. Le centre-
vastes qu’au-delà de la délimitation du bien
territoire français est le patrimoine commun de
ville du Havre peut être donné en exemple.
propre, l’UNESCO demande la prise en compte
numents historiques protégés est passé de 39
la nation», l’ensemble du territoire devrait être
Totalement détruit durant la dernière guerre
d’une «zone tampon» (les abords immédiats du
000 à plus de 43 000. 450 arrêts de protection,
protégé au titre du patrimoine ? Que penser
mondiale, il fut reconstruit sous la conduite de
bien) et d’une «zone d’influence» (les abords
environ, sont publiés tous les ans. Jusqu’où
d’une société qui se protège contre ses propres
l’architecte Auguste Perret selon un plan et une
lointains du bien).
ira donc la couverture du territoire ? Au début
aménagements ?
architecture résolument «modernes». Après
Le Val de Loire inscrit en 2000 s’étend sur 280 km
une période d’oubli, sous la pression d’un cer-
de long et cent soixante communes, dont Or-
Quand modernité se conjugue
tain nombre d’intellectuels, une zone de pro-
léans, Tours, Blois… Les douze sites aménagés
d’une demande sociale de plus en plus forte,
avec patrimoine
tection du patrimoine architectural et paysa-
par Vauban, inscrits en 2010, dominent des
la protection n’a cessé d’étendre son influence
L’objectif des premières protections au titre
ger (ZPPAUP) y est créée au milieu des années
territoires extrêmement vastes dépassant les
dans les territoires, nourrie par un intérêt de
des monuments historiques était principa-
1990. À l’époque, beaucoup s’interrogeaient
limites communales. D’autres candidatures
plus en plus fort des populations.
lement de protéger pour conserver, comme
sur l’intérêt de la démarche, mais l’idée a fait
françaises attendent d’être présentées de-
Au regard de l’intérêt des bâtiments et terri-
des «reliques», en l’état, et de restaurer pour
son chemin dans les milieux professionnels,
vant l’UNESCO : les Causses-et-Cévennes qui
toires récemment protégés et du potentiel
témoigner d’une période passée. Aujourd’hui,
comme au sein de la population. En 2001, le
portent sur deux cent trente-cinq communes
patrimonial existant en France, si le système
de nombreux monuments historiques sont ré-
centre-ville du Havre obtient le label Ville d’art
et couvrent plus de 300 000 hectares (la zone
actuel continuait de développer ses effets, on
habilités avec le souci de conjuguer l’intégrité
et d’histoire. La ville se porte alors candidate
tampon couvrirait une superficie complémen-
du monument et sa réutilisation. Un des pre-
auprès de l’UNESCO pour une inscription sur la
taire légèrement supérieure) ; le Bassin minier
miers exemples fut la «galerie David d’Angers»
liste du patrimoine mondial de l’humanité. Elle
Nord-Pas de Calais1 qui concerne un territoire
aménagée dans les anciennes ruines de l’église
obtient le précieux label en 2005, ce qui eut été
de plus d’une centaine de kilomètres de long,
Toussaint d’Angers classée au titre des MH.
impensable quinze ans plus tôt.
les paysages de Champagne, etc.
L’architecte en chef Pierre Prunet a réhabilité
Lorient, Brest, Royans ou Saint-Nazaire n’ont
L’UNESCO demande aux États l’élaboration
l’ancienne église pour en faire un musée réso-
pas obtenu cette distinction, mais toutes ces
d’un plan de gestion pour chacun de ces biens
lument contemporain, sans chercher à recréer
villes reconstruites ont aujourd’hui engagé des
inscrits, considérant que chaque pays doit
l’édifice ; il en a même modifié fondamentale-
démarches de protection et de valorisation de
utiliser ses propres outils de protection/pla-
ment le sens, tout en respectant l’architecture.
leur patrimoine. Des études de zones de pro-
nification pour répondre à la demande. Il est
De fait, avec une habileté remarquable, il a
tection du patrimoine ont même été engagées
important de préciser que ce sont les États qui
«recyclé» le bâtiment pour l’adapter, aux nou-
en Seine-Saint-Denis, à Saint-Ouen et à Noisy-
sont responsables de la bonne gestion du bien
veaux besoins de la ville d’aujourd’hui.
le-Sec.
devant l’UNESCO (convention de 1972) et que
Ce fut l’un des premiers exemples dans les
Au début des années 2000, Saint-Quentin-en-
la plupart des collectivités territoriales concer-
années 1970, depuis de nombreux autres ont
Yvelines s’est portée candidate au label Ville
nées attendent de l’État une aide pour l’élabo-
suivi comme très récemment la médiathèque
d’art et d’histoire. Le principal argument avancé
ration d’un cadre de gestion adapté, notam-
de Quimper réhabilitée par l’Atelier Novembre
fut d’avoir été, dans les années 1960, l’une des
ment lorsque le bien s’étend sur un nombre
dans l’ancien couvent des Ursulines transfor-
cinq «Villes nouvelles» d’Île-de-France et d’avoir
important de communes.
mé une première fois, à la Révolution française,
su conserver un patrimoine bâti qui figure ce
en caserne militaire. Nous reconnaissons tous
moment fort de l’histoire de l’aménagement
que ces réalisations sont très réussies, le mo-
en France. En 2006, Saint-Quentin-en-Yvelines
et des collectivités territoriales
nument reprend place dans la ville, la ville se
fut la première ville essentiellement construite
Le nombre de protections et de labellisations
reconstruit sur elle-même, sans rupture, sans
dans la seconde moitié du XXe siècle à recevoir
au titre du patrimoine augmente régulière-
blessure… Dans le même domaine, de nom-
le label Ville d’art et d’histoire.
ment, le plus souvent à la demande des élus
du XX siècle, les protections ne concernaient
guère que les monuments majeurs ; sous l’effet
Environ 1/3 classés et 2/3 inscrits
Nombre d’arrêtés
de protection
au titre des monuments
historiques
1998 473
1999 427
2000 476
2001 484
2002 491
2003 412
2004 379
2005 380
2006 482
2007 449
2008 400
2008
43.000
Monuments
historiques
protégés
Zones de Protection du Patrimoine Architectural,
Urbain et Paysager
notamment par la transformation de friches
industrielles en logements, etc.
1998
290 ZPPAUP
créées
2010
600 ZPPAUP
créées
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Les inscriptions de villes
des espaces protégés et/ou labellisés aug-
et de grands territoires sur la liste
mente donc en conséquence. Parallèlement,
du Patrimoine mondial de l’UNESCO
les nouvelles demandes portent sur des terri-
Quand la modernité devient patrimoine
Les demandes des élus pour l’inscription de
toires de plus en plus vastes.
biens matériels (villes, ensembles bâtis, pay-
L’État est un partenaire indispensable et at-
chitecture «moderne» labellisés «patrimoine
sages culturels...) sur la liste du Patrimoine
tendu par les collectivités territoriales dans
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Compétences de l’État
Nombreux sont aujourd’hui les bâtiments d’ar-
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locaux et toujours avec leur accord. La surface
breux autres exemples pourraient être cités,
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risquerait de multiplier par dix le nombre ac-
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1998
39.000
Monuments
historiques
protégés
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le domaine du patrimoine. Mais les partitions
té. De plus en plus de citoyens ordinaires, d’ha-
Pour tendre vers l’équilibre, il s’avèrerait néces-
les politiques nationales et internationales de
entre les compétences et l’organisation interne
bitants craignant de se perdre dans la totalité,
saire, dans un premier temps, de considérer la
développement, ainsi que dans la coopération
à chaque ministère ne lui permettent pas de
aspirent à plus d’humanité, à plus d’urbanité. Ils
culture comme un élément fondamental de
internationale pour le développement durable.
répondre de façon cohérente aux sollicitations
prennent alors le patrimoine en référence.
notre modèle de développement. Plusieurs
Prenant en compte que la culture prend des
à caractère culturel et patrimonial sur des terri-
Ces aspirations d’ordre culturel et social,
textes internationaux mettent en perspec-
formes diverses à travers le temps et l’espace et
toires élargis.
voire sociétal, prennent de l’ampleur. Ne de-
tive les changements, j’en citerai trois pour
reconnaissant l’importance des connaissances
La plupart des outils de protection du pa-
vraient-elles pas guider notre réflexion sur la
conclure :
traditionnelles comme une source de richesse
trimoine construits en France aux XIXe et XXe
place du patrimoine, aujourd’hui et demain,
• La Convention sur la valeur du patrimoine
immatérielle et matérielle, elle reconnaît la né-
siècles sont conçus pour des territoires rela-
dans un monde de plus en plus globalisé ?
culturel pour la société dite Convention de
cessité de prendre des mesures pour protéger la
tivement limités. Ils ont évolué ces dernières
L’action culturelle n’a-t-elle pas notamment
Faro (Conseil de l’Europe : 2005, en cours d’ap-
diversité des expressions culturelles, y compris
années mais ne peuvent prétendre couvrir de
vocation à devenir aussi une fonction régula-
probation). Dans une société de plus en plus
leur contenu […]».
vastes espaces.
trice dans la recherche d’un équilibre pour un
mondialisée, la recherche d’attaches et d’enra-
• Et l’Agenda 21 pour la culture. «[…] Le monde
Les schémas de cohérence territoriale et les
développement socialement et culturellement
cinement répond au besoin d’appartenance et
ne fait pas uniquement face à des défis d’ordre
plans locaux d’urbanisme pourraient répondre
durable ?
d’identification des individus. La Convention de
économique, social ou environnemental. La
à la nouvelle demande mais on constate
N’est-ce pas également ainsi qu’il faut concevoir
Faro aborde la question du pourquoi et du pour
créativité, la connaissance, la diversité et la
qu’ils ne le font que rarement ou de façon peu
la culture comme le quatrième pilier du déve-
qui transmettre le patrimoine. Ce texte présente
beauté sont autant de fondements indispen-
convaincante.
loppement durable ?
le patrimoine culturel comme une ressource
sables au dialogue en faveur de la paix et du
Quels modes de gestion mettre alors en œuvre
Françoise Choay2 formulait ainsi ses interroga-
servant aussi bien au développement humain,
progrès. Ces valeurs sont intrinsèquement liées
sur ces territoires ?
tions en 2006 lors d’une conférence intitulée
à la valorisation des diversités culturelles et à
aux notion de développement et de liberté[…]».
L’État se doit d’être crédible devant les collec-
«Patrimoine, quel enjeu de société ? L’évolution
la promotion du dialogue interculturel qu’à un
L’Agenda 21 de la culture présente le dévelop-
tivités territoriales comme devant l’UNESCO, il
du concept de patrimoine» :
modèle de développement économique fondé
pement durable sous forme de «quatre piliers»,
est aujourd’hui le seul à pouvoir conduire la ré-
«Entre notre passé et notre présent s’ouvre au-
sur les principes d’utilisation durable des res-
plaçant la culture sur le même plan que les trois
flexion permettant de mettre à disposition des
jourd’hui la béance d’une rupture qualitative. […]
sources. Il est basé sur l’idée que la connais-
piliers habituellement cités (l’environnement,
collectivités des outils adaptés.
Comment, à l’instar des autres domaines, est-il
sance et l’utilisation du patrimoine relèvent du
l’inclusion sociale et l’économie). Il propose
Issues des lois de décentralisations de 1982-
possible de redonner vie aux patrimoines anciens
droit du citoyen à participer à la vie culturelle.
de renforcer les politiques locales et d’intégrer
1983, les ZPPAUP sont appelées à devenir en
et du même coup de récupérer la compétence
• La Convention pour la protection et la pro-
la culture comme un élément fondamental
2010 les aires de mise en valeur de l’architec-
d’en produire de nouveaux pour les générations
motion de la diversité des expressions cultu-
de notre modèle de développement. Ce do-
ture et du patrimoine (AVAP). Cet outil fondé sur
futures ? Autrement dit, comment pourrait-on,
relles (UNESCO : 2005-2007). «[…] La Conven-
cument inaugure une nouvelle perspective et
un partenariat entre l’État et les collectivités,
parallèlement à la production d’équipements
tion rappelle que la diversité culturelle doit être
plaide pour qu’il y ait une dimension culturelle
présente l’intérêt de conjuguer les préoccupa-
performants, normalisés, hors d’échelle et décon-
intégrée en tant qu’élément stratégique dans
dans toutes les politiques publiques ■
tions environnementales et patrimoniales, et
textualisés, réactualiser la compétence d’édifier
de pouvoir être étendu à l’échelle communale
un milieu différencié, contextualisé et articulé à
voire intercommunale. Certaines expérimenta-
l’échelle humaine ?»
tions conduites avec l’outil ZPPAUP, à l’initia-
L’intérêt croissant pour le patrimoine conduit
tive des élus, portent les germes de solutions
à reconsidérer sa fonction, notamment dans le
pour ces territoires culturels, mais aucune éva-
champ de l’aménagement. L’aménagement des
luation n’en a été faite à ce jour.
villes et des territoires apparaît aujourd’hui di-
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visé sur deux échelles, deux fronts : l’un global,
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Quels enjeux pour quels changements ?
fondé sur un mode réticulé qui s’étend au-delà
Les succès croissants du patrimoine, sous toutes
de toutes limites, l’autre local, à caractère social
ses formes - attachement à l’environnement
et culturel, fondé sur le bâti, le lieu habité et le
bâti, succès du tourisme culturel, augmentation
territoire délimité. Le second est principalement
de la fréquentation des musée - révèlent des as-
culturel.
pirations profondes. Plus notre société accélère
Comment alors considérer leur complémen-
sa course vers la mondialisation, plus la tradi-
tarité, les relier et les articuler ? Peut-on imagi-
tion et le patrimoine suscitent l’intérêt, c’est une
ner trouver un équilibre par le jeu de fonctions
simple question d’équilibre. Mais l’accélération
complémentaires permettant de concevoir au-
des évolutions globalisantes rompt l’équilibre et
jourd’hui des modes d’aménagement «soute-
(1) Depuis 2010, les Causses-et-Cévennes et le Bassin
minier Nord-Pas de Calais ont été inscrits sur la liste du
patrimoine mondial de l’UNESCO.
met en cause jusqu’aux modes de vie en socié-
nable» (de l’anglais sustainable) ?
(2) Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2006.
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La générosité de l’espace
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Uli Seher 7 décembre 2010
Comment l’indéterminé peut-il se révéler facteur de sociabilité ?
Ne pensez-vous pas que la valeur d’usage néces-
Comment le changement et l’adaptation peuvent être générateurs
siterait d’autres contre-pouvoirs, pour éviter de
d’appropriation collective ? Comment l’imprécision peut-elle être
tomber dans certains excès ? La prise en compte
des textes est très diverse, certaines communes
garante de cohérence dans l’espace et dans le temps ? A travers ces trois
ne disposant d’aucune zone de protection du
questions majeures, Uli Seher aborde les thématiques centrales de notre
patrimoine.
société en évolution permanente et les outils de la conception. Il montre,
Je pense qu’en matière de protection du patrimoine, si nous n’y prenons pas garde, nous
à travers une sélection de projets de l’agence franco-allemande BRS
risquons de devenir les victimes du succès de
Architectes Paris/Cologne, l’importance de l’espace, du temps et de la
nos propres lois. Nous allons devoir inventer
tolérance au sein de notre société.
d’autres façon d’aborder le sujet et d’autres outils pour agir. J’aurais pu également développer
Des projets, comme les laboratoires de recherche Digiteolabs et Nano
davantage l’évolution des modes d’élaboration
Innov sur le plateau du campus de Paris-Saclay (le premier parc de
des ZPPAUP et des secteurs sauvegardés les
recherche d’envergure mondiale dans le domaine des sciences et des
plus innovants. Les associations locales et les
groupements d’habitants participent de plus
technologies de l’information), le conservatoire de musique, de danse
en plus à cette démarche au sein du groupe de
et d’art dramatique à Suresnes, la réhabilitation d’un bassin minier
travail chargé de suivre l’élaboration du docu-
à l’échelle territoriale, témoignent de la fluidité entre l’architecture et
ment. Lorsqu’ils en ont les moyens, les chargés
l’urbanisme ainsi que des limites de la programmation.
d’études s’entourent de compétences pluridisciplinaires, un effort est fait pour retrouver
un langage commun, réhabiliter une culture
de l’aménagement compréhensible par tous.
Comment conserver ou redonner une urbanité à nos villes et à nos territoires ? Comment
Pour aller plus loin :
«développer des formes urbaines et des qualités
Le site internet d’Alain Marinos :
d’habitat qui rendent la ville dense désirable, et
www.alainmarinos.net
donc durable» ? La reconnaissance de la valeur
met à disposition de tous de nombreuses
des textes passe nécessairement par une plus
ressources autour des thématiques du
grande considération pour l’habitant, son iden-
patrimoine, de l’architecture et de l’urbanisme.
Préambule
tité locale, sa culture.
L’un des principaux problèmes est l’émiettement des pouvoirs en matière d’urbanisme. Il
existe en France 36 000 communes et autant de
pouvoirs en la matière. Je vous ai parlé du Val
de Loire. Je comprends le souci du maire qui
souhaite favoriser la construction d’un lotissement pour attirer des jeunes et conserver une
école sur son territoire. La réflexion doit absolument être menée à une autre échelle. Cette
année, au 5e Forum urbain mondial, un constat
intéressant a été fait : les villes qui s’en sortent
le mieux dans le monde ne sont pas celles qui
affirment leur pouvoir, mais celles qui ont su
le partager avec les autres collectivités, régionales et nationales.
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• le Conseil général de la Haute-Vienne à Li-
Mes associés et moi-même avons choisi trois
moges,
termes comme fil rouge de cette conférence :
• le conservatoire de musique et de danse à
l’imprécis, l’indéterminé et l’imprévu. C’est le
Suresnes,
fil conducteur de notre travail à des échelles
• Digiteo Labs, trois bâtiments de recherche,
différentes.
au sud-ouest de Paris, au sein de l’un des plus
En tant qu’architectes et urbanistes, nous
grands campus de recherche de France, en de-
sommes fortement liés à notre société et à son
venir,
évolution. Nous avons une immense responsa-
• et une ZAC, que nous développons dans la
bilité vis-à-vis d’elle.
Ruhr, en Allemagne.
Je commencerai par la question suivante :
Dans un projet, on n’est jamais seul ! J’ai deux
comment l’indéterminé peut-il se révéler fac-
associés, Agnès Bertholon et Jean-Michel
teur de sociabilité, participer à l’efficacité et la
Reynier. Nous travaillons entre Cologne et Pa-
constitution de l’identité ?
ris. Nous échangeons de manière informelle
Ou comment le changement et l’adaptation
et nous construisons notre philosophie à tra-
peuvent être générateurs d’appropriations
vers les projets. L’École nationale supérieure
collectives et d’améliorations sociétales ? Com-
d’architecture de Toulouse où j’ai intégré un
ment l’imprécision peut-elle être garante de
laboratoire de recherche, nous sert beaucoup
cette cohérence?
à avancer intellectuellement et à réfléchir de
Ces grandes questions nous renvoient à notre
manière transversale.
Uli Seher
responsabilité vis-à-vis notre société. Je vais
cc uu ll tt uu rr ee
pp a r t a g é e
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est ingénieur architecte et
expliquer ce paradoxe à travers quatre projets
L’imprévu
urbaniste, professeur titulaire
qui sont tous lié par l’imprécis, l’indéterminé et
Comment le changement et l’adaptation dans le
à l’École nationale supérieure
l’imprévu :
temps peuvent-ils être générateurs d’appropria-
d’architecture de Toulouse.
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Conseil général de la Haute-Vienne
mettent de loger ces nouveaux usages. Doubler
un existant d’environs 10 000 m2 sans défigurer
le bâtiment, ce n’est pas rien ! Pour cela, le bâtiment existant devait rester le maître des lieux,
la figure représentative.
tion collective et d’améliorations sociétales ?
Créer des espaces informels
J’ai choisi la thématique de l’imprévu pour en-
Les espaces extérieurs sont des espaces
trer dans la réflexion sur l’espace et le temps.
d’usage informel. Le programme contenait
C’est vieux comme le monde. Mais je trouve
beaucoup d’éléments précis. Mais le flou sur
opportun de mettre l’espace et le temps au
l’aménagement extérieur nous a aidé à ar-
cœur de notre réflexion car on vit dans une
ticuler la beauté de cet ancien couvent à des
société où l’espace-temps évolue de manière
espaces informels. On a pu ainsi articuler les
permanente. Prenons l’exemple d’un jeans dé-
espaces introvertis, pour ceux qui travaillent, à
lavé, entré dans la haute couture ! La société a
des espaces plus représentatifs, afin de mettre
l’impression de pouvoir acheter du temps : on
en scène ce changement d’affectation.
dépense de l’argent pour acheter un jeans qui
En partie haute, un jardin permet d’articuler
a l’air d’avoir cinquante ans ! C’est révélateur de
les espaces représentatifs à l’esplanade. En
la société dans laquelle nous vivons.
partie basse, un jardin triangulaire est réservé
aux employés. Ils peuvent se retrouver pour la
L’exemple de la conversion
pause ou pour un pique-nique. L’espace repré-
de la caserne de la Visitation
sentatif, avec un magnifique cloître, a été mis
en Conseil général de la Haute-Vienne
L’intervention dans le sol était impression-
moges en un lieu politique, siège du Conseil
nante. Le niveau du sol est celui de l’entrée
général, semble a priori être un changement
principale dans la cour triangulaire. Une grande
assez radical. En 1644 c’était un couvent. En
ouverture y accueille les différentes fonctions
1850, il a été transformé en caserne. Comment
et permet la densification du programme du
est-il possible de transformer un lieu religieux,
bâtiment.
en lieu militaire puis en lieu politique ?
Nous nous sommes interrogés sur la matériali-
Si on se penche sur ces transformations, on se
té de cette intervention. La porcelaine, comme
rend compte qu’il s’agit de transformations et
matériau de façade, représente un savoir-faire
d’agrandissements spatiaux, mais tous liés à
très important dans ce département de la
une même thématique, le pouvoir. C’est une
Haute-Vienne. Une équipe de chercheurs tra-
grande responsabilité de transformer un pa-
vaille sur ce matériau et le transforme en une
trimoine d’usage. Il était important de le rou-
matière magique. Grâce à un travail commun,
vrir, le redonner aux gens, et rajouter ainsi une
nous avons pu utiliser cette matière, au cœur
strate de l’histoire à ce lieu impressionnant et
de la réalisation, comme matériau de façade.
prendre le risque administratif d’écartement
diens, comme des marchés par exemple. C’est
de la procédure du concours. Cette opportu-
également un moyen pour les piétons, les cy-
nité d’occupation pouvait aussi, si le Conseil
clistes et les parents avec poussettes de faire
général et la ville le souhaitaient, devenir une
un court-circuit dans leur trajet.
opération de réparation urbaine. Cette impréci-
En dehors du fait qu’il s’agissait d’un bâti-
sion volontaire s’est transformée peu à peu en
ment militaire relativement délabré, il fallait
projet qui a permis de fermer cette dent creuse
également accueillir de nombreuses voitures
par la construction de trois maisons banali-
sur site. A cette fin, on a pu créer un espace
sées. Cela a joué un rôle important d’intégra-
de parking sous la grande esplanade. A partir
tion en permettant au Conseil général, durant
de 18 heures, horaire de fermeture du Conseil
le chantier, de discuter avec les commerçants,
général, le parking peut devenir accessible aux
les habitants et les associations. Grâce à cela,
citoyens. L’endroit est situé près d’une place
une grande partie des acteurs de la ville a pu
très animée de la ville. Nous avons espéré ainsi
s’approprier le projet.
résoudre un enjeu, qui n’était pas exprimé dans
Le Conseil général a finalement fait usage de
le programme, mais dont nous nous sommes
cet endroit par un accueil banalisé pour des
sentis responsables. De manière générale,
rendez-vous du quotidien. D’autres program-
nous essayons d’utiliser ces moments d’in-
mations particulières et mixtes ont pu contri-
terventions projectuelles pour améliorer les
buer à une mixité programmatique bien vécue.
choses dans les environs directs.
Finalement, un petit grain de sable dans la
mécanique générale du projet a permis à l’en-
en valeur par cette reconfiguration.
La reconversion d’une caserne militaire à Li-
que le lieu puisse accueillir des usages quoti-
L’imprécision pour l’intégration
semble des acteurs d’échanger et d’ajuster,
Une imprécision programmatique nous a per-
faisant en sorte que cette nouvelle occupation
mis de développer un autre thème : l’intégra-
des lieux se passe le mieux possible. Je remer-
tion. Il y avait une parcelle inoccupée sur la
cie vivement cette imprécision du départ !
partie basse, une dent creuse dans une rue
Conservatoire de musique
et de danse à Suresnes.
typique de la ville centre. Depuis le début nous
Le temps et l’espace
avons proposé de construire à cet endroit, mais
Comment le changement et l’adaptation dans le
avec des espaces non programmés pour ne pas
temps peuvent être générateurs d’appropriation
collective, d’améliorations urbaines, et révélateurs d’identité ?
Comment l’imprévu peut-il changer les choses
et générer une appropriation collective ?
A l’image d’une crème antiride qui nous renvoie de nouveau à la posture de notre société
qui refuse de vieillir. C’est un clin d’œil aux opérations de rénovation urbaine, à des insertions
majestueux.
110
Nous avons choisi la posture de ne rien faire
Insertion et usages quotidiens
au-dessus du sol. Il y avait une stratification
L’autre aspect, c’est l’ouverture du lieu. Le fait
dans le temps, avec un rajout de bâtiments au
de redonner ce lieu, fermé à cause de l’usage
fil des années. Nous avons choisi de travailler
militaire, aux habitants, était pour nous cru-
dans la profondeur du sol, pour arriver à une
cial. Nous voulions restaurer un lien entre deux
organisation de stratifications des différentes
rues, ouvrir une grande esplanade et redonner
époques jusqu’à aujourd’hui. C’est aussi l’op-
le bâtiment et son terrain aux habitants du
portunité d’intégrer au sein de cet ouvrage des
département. Ce changement d’affectation
usages de représentation qui n’existaient pas
est une œuvre administrative complexe ! Mais
jusqu’à présent. Nous avons rajouté dans la
notre volonté était que le Conseil général re-
profondeur du sol plusieurs espaces qui per-
trouve sa place au sein de son département et
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du temps au sein de notre société.
L’exemple de la conversion
d’une galerie commerciale en conservatoire
de musique et de danse à Suresnes.
L’histoire commence avec Henri Sellier, ancien
maire de la ville. Ce socialiste humaniste avait
fait le pari d’implanter un théâtre au milieu
d’une cité ouvrière. Le succès de ce théâtre,
baptisé Jean Vilar, a été tel que soixante-dix ans
après, le conservatoire, logé à l’intérieur du bâti-
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Conservatoire de musique
et de danse à Suresnes.
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diés aux salles de musique, à l’administration et
Pour un meilleur respect budgétaire, nous
L’exemple du campus scientifique
aux autres espaces. Mais notre préoccupation
avons gardé tous les éléments structurels.
Digiteolabs à Saclay
a été les abords qu’on a mis au cœur de notre
Même quelques poutres gênantes, que nous
L’indéterminé est notre sujet principal de ré-
réflexion. Nous avons souhaité améliorer une
avons acceptées et transformées en objets
flexion pour le campus scientifique Digiteo-
petite placette qui faisait le lien avec le reste
uniques ; ce n’est pas grave.
labs sur le plateau de Saclay. L’indéterminé se
du centre-ville et ouvrir la salle d’audition sur
En périphérie de l’ensemble, nous avons amé-
trouve en dehors des limites de la program-
une esplanade abandonnée. Pour donner un
lioré des couloirs qui n’avaient aucune lumière
mation formelle. Il contribue à une typologie
rôle majeur à l’usage de l’espace public, nous
naturelle. Cela a permis d’établir un contact
spatiale organisationnelle. L’indéterminé est
avons transformé les culs-de-sac existants en
visuel avec la ville et ses habitants. C’est d’ail-
identificateur pour un campus scientifique de
salles de danse.
leurs devenu le nouveau parcours des habi-
recherche. C’est un titre de travail qui nous
La grande complexité du projet, générée par de
tants qui rentrent chez eux. Ils longent l’équi-
a guidés tout au long de ce projet complexe.
ment, a dû déménager. C’est à cette fin que la
multiples personnes concernées, a nécessité
pement culturel et peuvent le côtoyer. Par la
Inventer une seule typologie pour six labora-
ville de Suresnes avait lancé une concertation
plus de travail et de réunions, mais cela s’est
suite, les services responsables des chaussées
toires censés travailler ensemble, dans trois bâ-
pour transférer le conservatoire de musique
révélé plus efficace que la plupart des concer-
se sont associés au projet. Ils ont redonné un
timents, implantés dans trois villes différentes :
dans un autre lieu.
tations.
aspect continu et agréable à l’espace public.
Saclay, Palaiseau, Moulon.
Le pari, assez osé, de ne pas choisir le lieu le
La traduction spatiale apparaissait relative-
plus beau possible pour y construire un objet
ment complexe car rien ne se superposait.
Révéler des identités
prédominantes. Comment les gens travaillent ?
architectural a été argumenté, dans la conti-
Pour donner une orientation au projet, un point
L’architecte qui a mené les travaux de la réha-
L’espace de travail est-il fixe ou évolutif ? S’agit-
nuité de la philosophie d’Henri Sellier, par
d’ancrage, un patio a été imaginé. Ensuite, les
bilitation urbaine précédente n’aurait pas pu
il d’un travail individuel ou collectif ? Et, après
le choix d’un lieu où l’impact social serait le
différents niveaux se calent autour pour la mise
imaginer une seule seconde qu’un conserva-
toutes ces questions tournées vers le quoti-
plus fort. Comment redonner une importance
en relation des usages avec la ville à l’extérieur.
toire de musique allait se loger entre les multi-
dien, la simple notion de « quel espace fait la
à l’espace public ? Comment, à travers ce dé-
Trois étages ont été investis. Un rez-de-chaus-
ples poteaux de sa structure commerciale. Cela
qualité quotidienne, la sociabilité et l’identité » ?
ménagement, faire profiter d’une amélioration
sée minuscule, initialement occupé par un
nous a aidé à écrire une architecture très parti-
Un chercheur est une personne comme les
urbaine et sociale ? Pour répondre à ces préoc-
restaurant chinois, a été transformé en un petit
culière. Pour éviter les poteaux, il fallait, en effet,
autres. Il va travailler, comme nous, tous les
cupations majeures, le choix s’est porté sur une
hall d’accueil. Il est devenu l’entrée du conser-
chercher des formes bizarres. Acoustiquement,
matins. Il est passionné, certes, mais il a besoin
réhabilitation urbaine des années 1980-1990.
vatoire, donnant ainsi à la placette sa raison
cela a représenté un avantage. Grâce à cela,
d’une qualité de vie dans son travail, de socia-
Il s’agit d’une dalle commerciale surplombée
d’être et l’occasion de faire vivre l’endroit.
nous avons pu concevoir de manière imprévue,
bilité pour construire sa fierté, moteur de son
une réelle identité des différentes salles. Elles
acte. Il a besoin de participer à une identité
Améliorations urbaines
sont étranges. Les élèves et les professeurs ont
générale.
mais bien fonctionné a été rude : des espaces
L’autre question a laquelle nous avons été
tous leur salle préférée, qui conviennent au
Notre réponse a été la suivante : en-dehors
d’usages publics abandonnés, des magasins
confrontés était de mettre en relation les im-
mieux au type d’instrument qu’ils pratiquent.
de l’importance de créer les espaces de tra-
fermés, un escalator en panne laissé à l’aban-
meubles environnants avec l’espace d’usage
Chacun a pu trouver son bonheur, grâce à cette
vail les mieux adaptés, la cible se situe dans
don… Vous pouvez imaginer à quel point cet
public. Pour cela, on modifiait l’accès aux cages
trame de poteaux totalement imprévue pour
les espaces de rencontre. Ils permettent de se
espace était devenu le lieu le plus mal vécu de
d’escalier et l’organisation du système des pou-
un conservatoire.
détendre, de se relâcher, de prendre de la dis-
la ville.
belles à colonnes, loin du tri sélectif ! J’ai grandi
Les questions sur l’identité spatiale me font
tance. Nous avons fait circuler des images de
Mais le lieu avait la capacité de s’améliorer
en Allemagne avec un tri sélectif assez au point
basculer vers un autre projet avec l’indétermi-
situations urbaines au sein de notre équipe
grâce à cette programmation culturelle. Ce vide
et cela m’insupportait de voir de gigantesques
né comme acteur principal.
durant la phase de conception pour garder
urbain pourrait être effacé en implantant, ici,
poubelles «ramasse-tout». Nous avons pu ainsi
le conservatoire. Puis on a cherché le contact
repenser cette organisation et contribuer à son
d’un nombre important d’HLM. Le diagnostic
de cette galerie commerciale qui n’avait ja-
Indéterminé
dans la rue, la détente dans un jardin public, la
photo du baiser de l’Hôtel de Ville, le marché
amélioration.
meilleure adaptation à cette intervention.
Ce petit projet mettait beaucoup d’acteurs en
de sociabilité et participer à l’efficacité et à la
d’Aligre à Paris, etc. Comment un chercheur
Notre objectif était alors d’améliorer tous les
relation. On a pris un plaisir fou à le penser et
constitution d’identité ?
peut-il contribuer, lui-même, à son espace de
espaces environnant du lieu grâce à l’implanta-
à le réaliser.
Une publicité des années 1990 pour la Renault
travail ? Telle était la mission que nous nous
tion de cet outil culturel. C’est cette méthodo-
Chercher la lumière naturelle n’est pas évident
Espace posait cette question : «Et si le vrai luxe
étions fixée.
logie qui a convaincu la municipalité, qui nous
dans une galerie commerciale. Nous avons
c’était l’espace ?». Cette publicité nous a inter-
A l’intérieur des espaces programmés et des es-
creusé et cherché des endroits où rebondir sur
pelés. Elle montre un vide qui met en évidence
paces individuels de recherche, nous avons mis
la lumière naturelle. C’est important, surtout
trois personnes. Elles sont à table comme tous
en place des espaces collectifs, des salles de ré-
pour les professeurs qui passent leur journée
les autres, mais le vide donne une particularité
union où les différents groupes se rencontrent
entière dans l’établissement.
à cet espace.
et des plateaux de recherche. A l’intérieur, un
Le programme précisait le nombre de m2 dé-
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en tête les scènes à mettre en place : la foule
avec les habitants et discuté afin de trouver la
Espaces indéterminés
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De nombreuses questions nous semblaient
Comment l’indéterminé peut se révéler facteur
a confié par la suite ce projet excitant.
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Le campus scientifique
Digiteolabs à Saclay
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déclarés comme espaces de travail en tant que
semblant tous. Après avoir étudié le contexte
échelle dans les différentes attractions paysa-
tels. Ils donnent une marge de manœuvre à ce
en terme de déplacements, nous avons consta-
gères aux alentours, un lac, des terrils... On peut
bâtiment. On espère que cette jachère restera
té l’omniprésence de la voiture. Que faire dans
ainsi envisager une traversée en VTT et l’organi-
flexible dans le temps et aidera ce bâtiment à
un paysage dominé par la voiture ? Au sein
sation d’un mondial du VTT. La thématique du
perdurer, à continuer sa vie et à devenir ce qu’il
d’un workshop nous avons évoqué toutes les
sport renforcerait l’identité de ce lieu. On peut
espace vide se dessine. C’est lui le plus impor-
a besoin de devenir. On a laissé ces espaces
constructions liées à la voiture, jusqu’à ce que
aussi imaginer des courses de moto, du skate,
tant, car il détient au final ces fonctions de la
sans définition exprès, mais équipés, pour que
nous ayons imaginé une piste de Formule 1 !
du roller, du cyclisme, des marathons, etc., p
rencontre imprévue et improbable à la ma-
les futurs habitants puissent se l’approprier
Le point commun de tous les circuits de For-
our animer les lieux en dehors de toute autre
chine à café. Cet espace devait devenir l’acteur
pour y travailler ou cultiver des plantes... C’est
mule 1, c’est le sens unique, qui peut être une
activité et donner envie aux gens de venir sur
principal pour écrire l’identité spatiale.
à eux de le faire vivre. C’est ça la vraie qualité.
bonne base pour un projet différent. Une même
place.
adresse pour tout le monde et une orientation
Une maquette nous a permis de vérifier les pa-
simple. Le projet Ewald Ring était né !
ramètres opérationnels de cette nouvelle ZAC.
Le projet a été le résultat de multiples négociations avec les maîtres d’ouvrage et les équipes
Les usages dans le temps et l’espace
de chercheurs. Les vides entre les différents
Comment le changement et l’adaptation
Un départ et une arrivée autour des land
Nous avons décrit différentes qualités paysa-
étages sont devenus porteurs des messages,
peuvent être générateurs d’identité collective et
mark (points de repère) les plus significatifs,
gères, comme de grandes pelouses indéter-
des identités et des envies. On a travaillé ces
contribuer à l’efficacité économique et sociale?
comme la tour d’extraction de charbon. Les
minées pour les activités de loisirs, en tenant
silos peuvent avoir un rôle dans l’orientation,
compte des contraintes techniques des bassins
L’exemple de la revitalisation
c’est aussi un ancrage dans le patrimoine.
de rétention d’eau.
d’un bassin minier dans la Ruhr
Nous avons dessiné le parcellaire autour de
Parti d’un circuit de Formule 1, le projet a évo-
espaces comme une sculpture pour définir une
identité à travers l’usage de ces différents bâtiments de recherche.
cette route à sens unique. Finalement, cela
lué vers un lieu d’activités sportives. Que peut-
L’atrium, moteur bioclimatique et social
Un contexte particulier
paraissait de plus en plus réalisable et simple !
on faire alors des éléments déjà en place ? Les
Ce grand atrium, par exemple, est le moteur
La Ruhr est une agglomération de plusieurs
Nous arrivions à respecter la programmation,
bâtis anciens peuvent se reconvertir en hall de
de la sociabilité, de la rencontre et de l’identi-
villes de moyenne et grande taille, composée
sport. A travers l’implantation d’un magasin Go
té, marié à la logique d’un bâtiment bioclima-
d’industries, de zones agricoles et d’anciennes
Sport, les terrils sont devenus une véritable at-
tique. Avec nos ingénieurs, nous avons imaginé
mines, ainsi que de leurs habitations. Depuis
traction. Le Ring et le cœur d’îlot, sont devenus
de faire de ce bâtiment un moteur pour une
quarante ans, les mines ferment successive-
le support d’autres activités.
ventilation entièrement naturelle. Un pari fou,
ment, laissant derrière elles un désastre éco-
Le master plan, support des négociations, pos-
mais un vrai défi à relever car il permettait de
nomique et social, avec un taux de chômage
sède une identité très forte. Cela nous permet
rendre les gens qui y vivent responsables de
énorme. L’histoire minière y est très présente
de garder une identité claire et d’apporter avec
leur propre environnement. Ils sont à la fois
et a été déclarée héritage culturel mondial en
chaque discussion et décision suffisamment
chercheurs et usagers du bâtiment. On peut
2001. Le déclin a commencé dans les années
de matière pour renforcer l’identité des lieux.
ainsi les rendre utiles à l’intérieur. Nous avons
1970 avec la première crise pétrolière. Le terri-
La liaison avec le centre-ville se fera dans le fu-
réintroduit les notions simples du bon sens
toire compte 5,4 millions d’habitants, répartis
tur grâce à un télésiège.
dans ce monde high-tech, comme par exemple
sur 135 000 km . Il s’agit de la troisième agglo-
ouvrir la fenêtre pour aérer ou rafraîchir, fermer
mération européenne après Londres et Paris.
les volets pour se protéger du soleil, etc.
La ville de Herten, implantée dans la partie
A partir du moment où l’on essaye de ne pas se
L’atrium est donc devenu la colonne vertébrale,
nord de la Ruhr, a lancé un concours auprès
limiter, de s’arrêter, de trop préciser ou décider
un élément fédérateur de la sociabilité avec la
d’architectes et d’urbanistes pour implanter
Reconversion du bassin
à maintenir l’ensemble des bâtiments préexis-
l’indéterminé devient un véritable outil de pro-
fonction d’un moteur bioclimatique et social.
un parc d’activités, commerciales ou de loisirs,
minier Ewald, Ruhr
tants et les habitants déjà sur place. Ils offrent
jet. C’est le principe de l’incomplétude. Penser le
Heureusement, les trois sites se trouvent sur
afin de sauver socialement ce territoire.
la possibilité d’un ancrage permanent sur
projet comme incomplet.
un plateau très venteux, et le vent, par l’effet de
La zone d’intervention est un très grand terrain,
place dans un projet dessinant le futur. Ce sont
L’écriture du processus sera continuelle et se fera
cheminée, peut contribuer à cela.
doté d’un patrimoine fantastique composé de
des acteurs qui sont déjà là, ils vont nous aider
par les usagers. Il faut donc laisser des blancs,
Les bâtiments sont aujourd’hui très appréciés
bâtiments administratifs, industriels, de silos,
à implanter le projet et à réécrire cet espace, à
des vides, des espaces de réserve. Préserver
par leurs utilisateurs. Grâce à cela, trois autres
d’un terril qui s’avère être le plus haut d’Europe.
lui donner un sens.
des jachères, des espaces indéterminés, du flou,
Notre volonté était de créer de véritables es-
des marges, du battement, du jeu, de la pertur-
mandés.
La voiture comme vecteur d’identité
paces urbains, proches, avec les parkings en ar-
bation, de l’exception… Pour des projets futurs,
En premier lieu, nous nous sommes penchés
rière-plan, afin que l’identité même soit écrite
pour des appropriations spontanées et pour des
sera garante de la cohérence et comment les
sur la question : «Qu’est-ce que c’est qu’ un parc
par les habitants et non pas par les voitures
retraites possibles. C’est notre conviction ■
chercheurs vont vivre dans ces immeubles.
d’activités ?» Nous avons été déçus par ce que
garées devant chez eux. C’était aussi la volonté
Les espaces informels sont équipés mais pas
nous avons vu : des lieux sans identité, se res-
d’intégrer des activités sportives à plus grande
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Éloge de l’indéterminé
On verra dans le temps si cette imprécision
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bâtiments de la même typologie ont été com-
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Le développement durable :
vers une architecture globale et locale
Françoise-Hélène Jourda
14 avril 2011
La prise de conscience récente que les ressources de la planète sont
limitées va engendrer une véritable révolution technologique et culturelle
toute aussi importante que la révolution industrielle. Il ne s’agit pas
seulement de réduire nos consommations énergétiques ou de trouver
des énergies de substitution, mais aussi de conserver nos capitaux de
ONG avait attaqué le bailleur social en disant :
économes en énergie. Nous avions gagné un
«Vous louez des appartements sans chauffage.
concours pour le projet de l’école de la lan-
Or, un logement doit être confortable, chauffé
terne à Cergy-Pontoise. Puis tout s’est arrêté.
et ventilé, sinon c’est une caisse en béton». Le
Plus personne ne parlait d’architecture solaire
bailleur social affirme avoir respecté la RT 2005
ou bioclimatique. Travailler sur les économies
et cite l’architecte qui confirme avoir mis 12 cm
d’énergie, avec le climat, n’était absolument
d’isolant. L’ONG rétorque à l’architecte qu’en
pas d’actualité. Pire : c’était même péjoratif. On
ressources, ou ce qu’il en reste, pour laisser aux générations futures la
2007, il savait bien que l’énergie allait augmen-
disait : il vient d’où celui-là ? Du Larzac ? Qu’est-
possibilité de répondre à leurs besoins.
ter. La société d’HLM est d’accord, l’architecte
ce que c’est que cet architecte baba cool ? Dans
a un devoir de conseil. Il aurait dû demander
les années 1980, sous Mitterrand, l’architecture
au maître d’ouvrage de mieux isoler le bâti-
française est occupée par les grands projets,
d’architecture, nous sommes face à une responsabilité énorme puisque
ment. Les occupants auraient dépensé moins
le monumental, qui doit s’afficher, comme la
ces secteurs d’activité consomment plus de 40% des ressources. Il est
d’argent et auraient pu garder leur confort. Cet
pyramide du Louvre, l’Arche de la Défense, etc.
article s’intitulait Un architecte coupable d’ho-
Les questions de l’humain, de l’énergie ou du
micide involontaire.
climat sont ignorées.
En matière d’aménagement, d’infrastructures, d’urbanisme et
aujourd’hui possible de construire des bâtiments avec un impact très
faible sur la planète. Nous en avons les moyens. Il suffit (quelle ambition !)
Je prétends que dans ces années-là, l’architecLe développement durable en France,
ture française s’est engagée avec succès dans
dont l’esthétique est encore à découvrir. Mais il faut aussi réparer nos
grand absent des années 1980-1990
la production d’objets magnifiques, mais qu’en
La seule définition valable, pour moi, est celle
même temps c’est un échec terrible pour la re-
villes, «soigner» nos lieux de vie, rétablir des équilibres.
de Gro Harlem Brundtland : «Le développement
cherche de réponses à des besoins sociétaux et
durable est un développement qui répond aux
au défi de la préservation des ressources.
besoins du présent sans compromettre la ca-
Lorsque je donnais des conférences à l’étran-
pacité des générations futures à répondre aux
ger et que l’on me posait des questions sur les
leurs». Si l’on adopte cette phrase une fois pour
exemples d’architectures bioclimatiques en
une très grande chance qui s’offre à eux, de se
toutes, que l’on vit avec cette conscience en
France, je répondais que je ne faisais rien en
gagement. Il guide mon travail depuis trente et
remettre en question, pour renouveler leurs
permanence, je pense que cela génère tous
France, que je n’évoquais même pas ces sujets
un ans exactement. J’ai commencé ma carrière
pratiques et exercer autrement.
les actes de notre vie. J’essaye de le faire, ce
car je me faisais mal voir ! Comme si en France
en 1980 en remportant le premier concours eu-
L’idée s’est imposée à partir du moment où
n’est pas facile. Dans mon travail, j’ai un bilan
nous n’avions pas de problèmes de pollution,
ropéen d’énergie solaire passive. A l’époque, le
les politiques et des personnalités publiques
carbone épouvantable. En un mois et demi, je
d’énergie et de dégradation des milieux...
comme Al Gore se sont emparés du sujet.
suis allée en Guyane, à la Réunion, en Turquie,
de les mettre en œuvre grâce à des constructions conçues autrement,
Le développement durable est pour moi un en-
sujet même de développement durable n’existait pas. On parlait d’architecture solaire. J’aime
cinq fois à Vienne, deux fois à Munich... Je me
Premiers projets pour un nouveau discours
bien dire DD parce que le mot «développement
La responsabilité de l’architecte
dis que c’est acceptable car c’est toujours pour
En 1981, j’ai construit l’école d’architecture de
durable» me paraît très mauvais ! Il est traduit
Il se passe des choses très graves dans le
porter la bonne parole.
Lyon. J’ai fait une double façade vitrée, la première au monde. Elle n’a jamais fonctionné.
Françoise-Hélène
Jourda
de l’anglais sustainable mais le mot soutenable
monde. Je considère, qu’en tant qu’architecte,
J’ai fait mes études pendant les années 1970 au
n’est pas approprié en français. On aurait pu
on a une énorme responsabilité. Pire : si l’on
moment de la crise pétrolière à l’école d’archi-
Elle est censée récupérer la chaleur le matin
Architecte et urbaniste, Françoise-
inventer un nouveau terme. Développement
ne réagit pas et que l’on ne prend pas le sujet
tecture de Lyon. Nous avions une conscience à
sur la façade est, pour la transférer ensuite sur
Hélène Jourda exerce son activité
durable incite à rentrer dans l’éphémère et
à bras-le-corps, on sera coupable. Coupable
la fois politique et sociale, pour les sujets d’ar-
la façade ouest, et inversement. On n’a jamais
parlé de cette fonction, le sujet n’intéressait
au sein de son agence parisienne
pas du tout dans la durée, dans le temps. Il est
de ne pas l’avoir fait ! En 2007, avant le Gre-
chitecture solaire et bioclimatique. Nous avons
JAP (Jourda Architectes Paris).
entré chez le grand public assez récemment.
nelle de l’environnement, j’ai écrit un article
construit en 1981 une maison en briques de
personne. On parlait d’une façade cristalline
car c’était la grande époque de la transparence.
Après avoir enseigné à Lyon, à
En 2004, à la Biennale de Venise, on m’avait
sur ce thème. Une petite histoire qui se passe
37 cm d’épaisseur, très isolée pour l’époque, en
Oslo, à l’université du Minnesota, à
demandé de faire le pavillon de la France sur
en 2017. Un journaliste raconte ce qui se passe
Ardèche, dans l’idée de minimiser les déperdi-
Nous avons continué nos projets. Des maisons
en pisé en 1985 dotées d’une toiture-serre ré-
l’École polytechnique de Londres,
le thème du développement durable. La di-
dans un tribunal. Un petit garçon avait été re-
tions, avec des protections solaires, en utilisant
à l’université technique de Kassel,
rection de l’architecture et le ministère de la
trouvé mort dans un logement social, décédé
le minimum de matière. Nous avons réalisé
cupératrice d’énergie. Nous avons construit
notre maison aussi. Elle a joué un rôle impor-
elle occupe depuis 1999 la chaire
Culture étaient furieux, disant que cela n’inté-
d’une pneumonie. Il n’y avait pas de chauffage
une maison-serre également. Les habitants
d’écologie architecturale à la
resserait personne, ce truc d’écolo ! Il y a sept
dans l’appartement. Les parents n’avaient plus
avaient acheté une serre horticole. Ils ont en-
tant dans l’élaboration d’une nouvelle stratégie
d’architecture. C’est une maison, à Lyon, nichée
Technische Universität de Vienne.
ans encore, cela n’intéressait personne. Les
de quoi payer la facture. Aujourd’hui, ce n’est
suite construit leur habitation à l’intérieur.
En 2009, elle a publié le Petit
choses ont changé au début des années 2000
déjà plus de la fiction. Dans six mois ou un an,
En 1980, à la suite du second choc pétrolier,
dans un jardin très précieux, celui d’un presbytère. Elle s’est posée délicatement dans le site.
Il fallait garder le vieux poirier, les framboisiers
manuel de la conception durable
dans la conscience collective, mais pas chez les
avec les 30% d’augmentation du prix de l’éner-
il y a eu en France une vraie réflexion. Il y a
chez Archibooks.
architectes. Malheureusement, parce que c’est
gie sur cinq ans, cela peut vraiment arriver. Une
eu des programmes, comme celui des écoles
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et les fraisiers. Les fondations ont été des élé-
si la précision et le contrôle de la qualité, ainsi
social, je ne construirai pas ces logements sur ce
pour la santé. On étanche la surface en
ments en béton. La charpente métallique a
que la bonne gestion des déchets. On maîtrise
terrain». Bien sûr, les architectes ont souvent
construisant. C’est bien, car ainsi, l’eau de
été montée en trois jours. Il a fallu une journée
les émissions de Co ; on n’a pas de bruit et on
faim, ils doivent travailler. À ceux-là, je ne jette
pluie ne traverse plus la zone polluée et ne
pour déployer la toiture, un abri permettant
réduit la durée dans le temps du chantier.
pas la pierre. Mais je la jette à certains de mes
contamine plus la nappe phréatique. Mais
d’accumuler les déperditions de la maison (et
Durant les années 1980, les problèmes en-
confrères qui, eux, n’ont pas faim. Ils ont des
on ne le fait jamais. Si un maire annonce
de gagner trois degrés de température en hi-
vironnementaux
personne
agences de 150 personnes et vont construire en
qu’il va construire sur une zone polluée, tout
ver). Dessous, c’est une auto-construction avec
ici, contrairement à l’Autriche, la Suisse, l’Al-
Chine des bâtiments qui sont des cochonneries
le monde va lever les bras au ciel en disant
du contreplaqué uniquement à l’intérieur et à
lemagne, la Suède, le Danemark, ou même
environnementales. Uniquement pour l’argent.
qu’il n’en est pas question.
l’extérieur, de l’isolant entre les deux feuilles.
l’Angleterre. Nous avons donné beaucoup de
Eux, je les agresse très volontiers. Si l’on ne vit
Aucune étanchéité n’a été nécessaire car nous
conférences à l’étranger, en présentant nos
pas avec un minimum d’éthique, où va-t-on ?
de plus en plus cher. Quels matériaux vais-
avions déjà le parapluie et le parasol en même
projets sous l’angle environnemental et non
Imaginons que l’on ait un terrain bien adapté
je utiliser pour pouvoir en laisser aux géné-
temps.
plus seulement sous l’angle purement archi-
et un programme intelligent, que fait-on ? J’ai
rations futures ? Et si je les utilise, comment
C’est à partir de cette expérience que j’ai com-
tectural et esthétique comme c’était le cas en
écrit un petit livre qui s’appelle le Petit manuel
faire en sorte qu’ils soient encore disponibles
mencé à élaborer mon discours, autour de thé-
France. En 1986, nous avons eu une première
de la conception durable. Il est destiné aux
après ?
matiques comme la légèreté, la réduction de la
commande à Stuttgart pour des maisons bio-
«non-sachants». Il explique les questions qui
• l’énergie. On sait aujourd’hui construire des
quantité de matière, la création de microclimat
climatiques. On retrouve le même principe
se posent, du choix du site à la conception
bâtiments avec des niveaux de consomma-
grâce à l’architecture, l’utilisation au maximum
d’une grande toiture sous laquelle on construit.
des détails, pour construire durable. La seule
tion énergétique extrêmement réduits, à
de bois, la simplicité, sans aucune prétention
Dans cette réalisation, il y a une maison en
chose à faire, c’est évaluer l’impact. Ce que je
condition d’être dans le site adéquat. Quand
de durer des siècles. Nous avons développé
pierre et une maison en verre. L’idée dévelop-
fais aujourd’hui va-t-il priver de ressources les
on parle de bâtiment basse consommation,
ce principe pour le lycée international de Lyon
pée dans ce projet pour une exposition inter-
générations futures ? Les ressources que nous
il faut faire la part des choses. Un couple
avec une vaste toiture plantée de 4000 m de
nationale d’architecture ou IBA (Internationale
utilisons sont de cinq ordres :
vivant dans une maison BBC, consommant
prairie. Ce serait interdit aujourd’hui car à par-
Bauausstellung) était d’avoir une maison mini-
• l’air. La construction génère des émissions de
40 kWh/m2/an et par an, s’il utilise sa voi-
tir d’une certaine pente, on n’a pas le droit de
mum en hiver et une autre pour l’été, en verre,
CO2. On sèche l’air, on l’humidifie, on relâche
ture pour aller travailler, sa consommation
mettre de la terre végétale. Et pourtant, grâce
utilisée quand le climat l’autorise car elle n’est
des particules ou des composants volatils,
sera de 80 kWh/m2/an en énergie primaire.
à cette toiture sous laquelle se trouvent les es-
pas chauffée. Les gens pouvaient être nomades
etc. Cela concerne la qualité de l’air.
Construire une maison super économe en
paces communs, il y a un microclimat protégé.
entre ces deux espaces, habiter dans la maison
• l’eau. La construction utilise des ressources
Elle accumule l’eau de pluie et diffuse une hu-
minimum de 70 m et puis s’étendre sur une
en eau. Par exemple, l’acier demande énor-
midité qui fait défaut dans les grandes villes,
maison plus grande de 150 m2 à d’autres mo-
mément d’eau. Des tableaux permettent de
Il faut donc réfléchir globalement lorsque l’on
elle participe à l’étanchéité. De plus, cela oblige
ments de l’année.
calculer la quantité d’eau utilisée. On sait
parle d’impact. Il faut également regarder l’im-
que les ressources en eau sont comptées.
pact sur la biodiversité, comment la préserver
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n’intéressaient
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les personnes à monter deux fois par an sur sa
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Les gens en sont moins conscients que
ou même la relancer systématiquement, et
pour un architecte ?
pour l’énergie, dont l’augmentation du prix
penser aussi évidemment au confort et à la
car il était impossible de parler de toiture végé-
Très souvent, on impose aux architectes un site
touche directement au porte-monnaie.
santé.
talisée au début des années 1990.
et un programme : une école, des logements de
En réalité, c’est un drame en préparation. On
Pour en revenir aux matériaux, même le béton
grand standing ou des logements sociaux, etc.
va manquer d’eau potable partout sur la pla-
est un matériau qui atteint des limites graves.
La solution de la préfabrication
Sur ces deux aspects, nous n’avons pas grand-
nète. Il faut donc minimiser notre consom-
On importe en France du sable et des graviers
L’idée d’essayer de préfabriquer au maximum
chose à dire. Et c’est dommage car c’est là que
mation, en privilégiant certains matériaux,
du Maghreb pour construire des bâtiments ici.
les bâtiments s’est imposée dans notre ré-
se prennent les premières décisions. Si, par
en préférant des bâtiments peu gourmands
On détruit les écosystèmes de ces pays pour
flexion. La préfabrication a, dans notre pays,
exemple, on construit des logements sociaux
en eau pour leur entretien. Toutes ces infor-
construire nos bâtiments en béton, c’est gravis-
une image négative, des relents des années
loin de tout transport en commun, c’est gra-
mations existent et sont accessibles à tous.
sime. Beaucoup de gens l’ignorent.
1970, lourde, en béton, pour les ZUP, etc. C’est
vissime ! Surtout aujourd’hui, l’on sait ce que
• le sol. On utilise de l’espace. Il faut construire
une idée fausse. La préfabrication est merveil-
cela veut dire : les gens vont devoir utiliser leurs
sur des terres non cultivables, comme le fai-
leuse. D’abord, les gens travaillent à l’abri dans
voitures, ce qui va contribuer à augmenter la
saient les anciens. En Provence, on construit
Allemagne (1992)
des ateliers. Quand je vois des personnes cou-
pollution et diminuer les ressources.
sur des cailloux, certainement pas sur le peu
En 1990 l’agence été invitée à un concours en
ler du béton sous la pluie et dans le froid, dans
Il nous reste une chose à faire. Je le dis à l’inten-
de terres arables disponibles. On a complé-
Allemagne pour construire le centre de forma-
des conditions de danger incroyable, je trouve
tion de mes confrères. On a la possibilité de re-
tement oublié cela. Pour mieux vendre, on
tion du ministère de l’Intérieur du Land Rhé-
cela inhumain et scandaleux. Le monde du bâ-
fuser. De dire «Non ! Je ne le ferai pas car cela ne
construit dans les parcs. Or, au contraire, il
nanie-du-Nord-Westphalie. Cette région de la
timent est cruel et moyenâgeux comparé à ce-
correspond pas à mon éthique et à mon enga-
faudrait construire dans les zones polluées.
Ruhr fait 100 km de long sur 70 km de large.
lui de l’industrie. La préfabrication permet aus-
gement. Monsieur le promoteur ou M. le bailleur
Pollué ne signifie pas forcément mauvais
Une sorte de conurbation, un plat de spaghet-
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cela n’a aucun intérêt !
Que signifie le travail environnemental
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énergie dans la garrigue à 30 km de la ville,
l’état général. On a appelé cela la façade verte,
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• les matières premières. Les métaux coûtent
toiture pour couper l’herbe et donc de vérifier
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Académie de formation Herne-Sodingen,
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condition de pays industrialisé en déroute, on
cé un appel d’offre auprès des charpentiers,
à l’intérieur et l’extérieur du bâtiment. C’est
Une IBA1 avait été décrétée sur tout cet espace
le valorise et on construit une nouvelle éthique.
en leur précisant qu’il faudrait utiliser ce bois,
une région «chaude» d’Allemagne, pas le 93
qu’ils n’auraient aucun frais de fourniture et
mais presque ! Il n’y a jamais eu un seul verre
Des matériaux renouvelables,
qu’ils seraient rémunérés pour leur travail
cassé malgré ces tonnes de pierres qui sont à
On a gagné ce concours avec un projet un
réutilisables et/ou recyclables
uniquement.
disposition ! Le bâtiment est remarquablement
peu étonnant. Il s’agissait de construire sur
Les bâtiments à l’intérieur du centre de forma-
Je travaille actuellement sur un projet tout en
respecté.
le site d’une ancienne mine à charbon et de
tion sont en bois par choix d’utiliser un maté-
bois à Paris. Vingt ans après, je leur ai proposé
Quelques végétaux méditerranéens (nous
coke, au cœur de la ville, ce centre de forma-
riau renouvelable. Il repousse et ne prive donc
la même démarche. C’est pour eux inimagi-
sommes sous un climat niçois) ont été instal-
tion. Quand je me suis promenée sur le site,
pas les générations futures, à condition que les
nable ! Le bâtiment est donc en bois et en verre.
lés. Ils sont dans des pots. Nous avions prévu
le terril avait été mis à plat sur l’ensemble du
forêts soient replantées et que les arbres pro-
On y a intégré 10 000 m2 de panneaux photo-
un arrosage automatique. Mauvaise idée, nous
terrain. Il faisait froid, il y avait du vent et une
viennent de cultures certifiées.
voltaïques. Il produit depuis un mégawatt
a dit notre client : avec tous les chômeurs de
pluie fine. Je suis revenue assez découragée. Il
Si l’on ne peut pas utiliser de matériau renouve-
d’électricité par an. Avec les technologies d’au-
la région, il préférait recruter un jardinier. Lui,
fallait trouver une idée. Elle s’est vite imposée :
lable, que peut-on faire ? Choisir des matériaux
jourd’hui, il pourrait atteindre 1,8 MW. C’était
contrairement à un arrosage automatique, sur-
il faut faire un microclimat. On va reconstituer
que l’on pourra ensuite démonter et réutiliser :
un projet ambitieux pour lequel nous avons
veillera et soignera les plantes !
le climat de Nice dans la Ruhr ! Grâce à une
des gros blocs de pierre, des moellons de bé-
fait un appel d’offres international afin d’ob-
Toute la serre a été préfabriquée en atelier. Elle
grande serre de 13 000 m2, les courbes de tem-
ton massif, par exemple, comme on a fait dans
tenir les cellules qui n’étaient pas répandues à
a servi de gigantesque atelier pour la construc-
pérature sont naturellement celles de Nice. A
notre pays pendant des siècles où l’on récu-
l’époque. On a raflé les cellules du monde en-
tion des bâtiments à l’intérieur. Les ouvriers
l’intérieur, les bâtiments sont en bois, au milieu
pérait les pierres des anciennes constructions
tier. On a dû les assembler les unes aux autres
pouvaient travailler à l’abri.
d’un grand parc. Dans le premier projet, nous
pour les nouvelles. Et si l’on ne peut pas avoir
pour obtenir les 10 000 m .
A l’exception des églises et des théâtres, j’ai
avions planté des arbres. Mais il n’en était pas
de matériaux réutilisables, il faut alors veiller à
A l’intérieur du bâtiment, dans la grande serre,
réalisé toutes sorte de constructions. Petit ou
question ! C’est du terril, pas grand-chose ne
ce qu’ils soient facilement démontables et re-
ce sont des troncs d’arbres, écorcés et pon-
grand projet, ce qui m’importe est de pouvoir
pousse et les Allemands n’étaient pas du tout
cyclables.
cés simplement, assemblés sur des pièces
réellement m’exprimer, de travailler avec des
disposés à ramener de la terre d’ailleurs. Il faut
L’aluminium, par exemple, est un matériau très
métalliques en tête et en pied, à de grandes
clients sympathiques, partageant les mêmes
accepter la dégradation que l’on a fait subir à
facilement recyclable. Le problème est qu’il
charpentes. Des chaines portent les panneaux
idées. Par exemple, j’ai réalisé le viaduc pour
notre environnement : il faut qu’on la vive, il
faut énormément d’énergie pour le fabriquer,
solaires.
l’autoroute Grenoble - Sisteron. Les écologistes
faut qu’on la montre, nous disaient-ils. C’est un
encore plus que pour l’acier, 1000 fois plus
Des bassins permettent de rafraîchir l’air. L’été,
n’ont pas compris que je travaille à ce projet. Au
peu difficile à avaler pour nous, Français, pour
que pour le bois, avec les émissions de CO qui
la température de la serre est inférieure d’un
contraire, j’estime qu’il faut avoir une vue prag-
qui l’esthétique prime sur l’éthique. On laisse
vont avec. On peut donc utiliser de l’aluminium
degré. Une ventilation transversale renforce na-
matique. Mieux vaut confiner les voitures sur
donc le sol noir tel qu’il est. Des plantes com-
mais pas l’Alucobond. Ces panneaux en alumi-
turellement la sensation de fraîcheur. L’eau des
une autoroute plutôt que de les laisser circuler
menceront à pousser naturellement. Deux fois
nium contiennent un nid d’abeilles en matière
bassins provient de la pluie. La serre est venti-
n’importe où lorsqu’elles traversent les Alpes.
par an, on pourra couper, broyer et épandre les
plastique que l’on ne sait pas décoller pour le
lée en bas pour faire entrer l’air. Des ouvrants
déchets végétaux sur le sol. Huit ans après, il
recycler séparément. Cela suppose une atten-
en toiture l’évacuent.
y avait déjà 2 cm d’humus sur le sol. J’ai trou-
tion incroyable aux matériaux. Mais c’est notre
Ce bâtiment de 17 000 m accueille un hôtel
de la place du 8 mai 1945
vé la démarche formidable : on accepte notre
métier que de rechercher la matière et d’es-
de 170 chambres pour les personnes en for-
Lyon (1998)
sayer de travailler avec elle.
mation, des salles de cours, un restaurant, une
Pour ce projet, j’ai proposé d’intégrer des pan-
Pour ce projet allemand, nous sommes allés
salle de sport, une bibliothèque, une grande
neaux solaires photovoltaïques. Ils n’en ont pas
chercher le bois dans la forêt d’à côté ! On a fait
salle polyvalente.
voulu, ne comprenant même pas de quoi je
venir des experts suisses. Ils ont repéré les fûts
Au sol, il fallait trouver un matériau adapté. J’ai
parlais. Nous avons choisi des poteaux en bois,
capables de supporter la charge qui allait leur
d’abord proposé de mettre du lierre partout, à
simplement écorcés, même pas poncés, dans
être demandée. Seuls ceux-là ont été coupés.
l’intérieur comme à l’extérieur. Le client n’a pas
l’idée d’utiliser toujours moins d’énergie pour
Ils ont été laissés sur place pendant un an afin
trouvé l’idée bonne : il aurait fallu apporter de
élaborer l’architecture, tant que l’on peut. Les
de sécher naturellement. Ce qui charge le bois
la terre et gaspiller de l’eau pour l’arroser. Nous
élus ont accepté le projet mais ils n’avaient pas
en énergie grise, c’est le transport et le séchage.
avons cherché un matériau susceptible d’ap-
compris qu’il s’agissait de bois. Trop tard ! Nous
Il faut donc essayer au maximum d’utiliser du
porter des réponses aux exigences suivantes :
avions gagné le concours et il était impossible
bois séché naturellement. En France, c’est qua-
un matériau local, sans utilisation d’eau, dé-
de revenir en arrière. La population était ravie.
siment impossible d’en trouver. Nous n’avons
pensant un minimum d’énergie grise, sans
95 % de personnes se sont déclarées satisfaites
pas attendu un an et demi. Le bois a été coupé
entretien, et capable de réfléchir au mieux la
ou très satisfaites dans les enquêtes qui ont été
avant que les études soient achevées.
lumière. Juste à côté, une carrière désaffectée
menées.
Le client a préfinancé le bois. On a ensuite lan-
nous a fourni des pierres que nous avons mises
vironnemental, social, culturel et économique.
120
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tis d’autoroutes avec de l’industrie au milieu...
pour essayer de rénover d’un point de vue en-
L’académie de formation de
Herne-Sodingen en Allemagne est
un bâtiment pilote en matière de
protection de l’environnement et
d’économie d’énergie. Le projet est
basé sur la création d’un micro-climat
protégé grâce à une serre abritant les
différents bâtiments.
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La bibliothèque municipale
abritée dans le bâtiment de l’académie de formation Mont-Cenis
de Sodigen à Herne.
Halle de marché
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Hôpital Jean Mermoz - Lyon (2008)
français. C’est en région et chez les architectes
on appellerait cela BEPOS (Bâtiment à énergie
ser sa trace sur la planète. Je dis cela aux po-
Faire accepter l’utilisation de bois et l’installa-
les moins renommés que l’on trouve la plus
positive). Un bâtiment en L tout simple, avec,
litiques également, les premiers à souhaiter un
tion d’un jardin planté dans un hôpital, c’est
grande sensibilité sur le sujet et la plus grande
sur la toiture, des panneaux photovoltaïques. Il
mandat marqué par de grandes réalisations. Je
très compliqué ! La nature et le bois, c’est très
intelligence de faire les choses. Il faut continuer
ne consomme, à Paris, que 42 kWh(ep)/m2, soit
suis toujours d’accord lorsque l’on veut trans-
mauvais quand on est malade. D’ailleurs, il ne
à se battre.
30% en dessous du bâtiment basse consom-
former mon bâtiment. Simplement, je leur dis
faut pas aller à la campagne non plus ! Je vou-
Je travaille actuellement sur un chantier à Pa-
mation.
de venir me voir car je peux leur apporter de
lais récupérer les eaux de pluie pour arroser le
ris de très haute exigence environnementale.
C’est un bâtiment démontable, à structure
bons conseils. Les architectes doivent être au
jardin. On m’a dit que c’était trop dangereux... Il
En même temps, Bertand Delanoë, le maire
métallique et dalle de béton préfabriquée. Le
service des autres et non pas d’eux-mêmes.
faut se battre toujours contre cela dans les pro-
de Paris, présente le projet de la tour Triangle
client ne voulait pas de bois, craignant que cela
Cela me paraît essentiel.
jets, c’est une réalité.
d’Herzog & de Meuron, porte de Versailles, une
soit un frein pour la location. Toutes les façades
Ce bâtiment n’a pas de climatisation. Il est doté
Le bâtiment fait 50 000 m . Je me suis battue
vraie catastrophe écologique. Je me bats sys-
sont non porteuses et légères, avec 28 cm
d’ouvrants munis de grilles pare-insectes qui
pour imposer des feuilles d’inox. C’est un maté-
tématiquement contre les tours. Le bilan éco-
d’isolant pour un total de 48 cm d’épaisseur,
s’ouvrent automatiquement le soir pour la ven-
riau facile à démonter et très pérenne. Le client
logique global d’une tour est épouvantable.
en structure bois, recouvertes de zinc. Sur la
tilation nocturne. En France, on peut se passer
aurait préféré de l’Alucobond, bien moins cher.
Dès que l’on atteint une certaine hauteur, dans
façade, des passerelles d’entretien permettent
partout de climatisation, si l’on construit intel-
C’est une bagarre. Mais aujourd’hui, elle est
les règles d’IGH, c’est-à-dire d’immeuble de
de nettoyer les vitrages fixes (en triple vitrage)
ligemment. C’est elle qui consomme le plus
scientifique : nous disposons de tableaux et
grande hauteur, les bilans environnementaux,
et leurs petits ouvrants. Elles permettront aussi
en énergie et coûte très cher à la santé et au
des chiffres pour démontrer les défauts de ce
humains, sociaux et économiques sont catas-
de pouvoir changer la façade dans le temps.
confort. Elle produit de l’air chaud à l’extérieur,
type de matériau.
trophiques !
Je prône le principe de la réversibilité de la
c’est une catastrophe pour les espaces publics.
Des patios permettent d’apporter de la lumière
Un jour, j’ai reçu un coup de fil du ministère
construction, ainsi que la suppression de la
Je pense aussi que l’on peut supprimer la cli-
naturelle à tous les locaux. Ce n’est pas simple
me demandant de venir rencontrer Jean-Louis
propriété artistique sur la construction pour
matisation dans les voitures, tout au moins
dans un hôpital où tout doit être en liaison.
Borloo, le nouveau ministre de l’Environne-
les architectes. Je considère qu’un architecte
dans une grande partie de la France. Cela sup-
ment et des Transports. Je ne le connaissais
doit avoir la propriété absolue sur son œuvre
pose de changer nos modes de vie. On ne peut
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Le musée botanique - Bordeaux (2007)
pas du tout. Il était passionné par le sujet et
jusqu’à ce qu’elle soit livrée. Après, cela ne lui
pas rester en costume trois-pièces ici à Nîmes
Le bâtiment est situé dans le très beau jardin
m’a demandé, le 27 juillet, un rapport com-
appartient plus, c’est la propriété de la vie et
en plein été dans une voiture surchauffée. Il
conçu par Catherine Mosbach. Il utilise un
plet sur la prise en compte du développement
des habitants. Peut-être va-t-on démolir ou
faut peut-être porter la Djellaba... Je suis pour !
maximum de bois. Ce sont des caisses, un peu
durable dans la construction en France, pour
transformer de très beaux bâtiments, mais
Je travaille également comme urbaniste sur
comme des caisses de vin de Bordeaux, avec
le 15 septembre ! Heureusement, j’avais des
on s’en fiche ! Aujourd’hui le problème est de
des projets à la Réunion et en Guyane. Tout
une boîte en verre pour les serres et de gros
amis experts dans différents domaines qui
répondre aux besoins des gens. J’ai quelques
commence par l’urbanisme, la question des
cailloux à vocation coupe-feu. J’ai proposé
ont pu participer à ce rapport. J’ai commencé
problèmes pour cela avec l’Ordre des archi-
transports, la manière dont on oriente les bâ-
un projet inspiré du désordre apparent de la
par constater le retard de la France dans ce
tectes et mes confrères, mais j’explique les
timents, comment créer des microclimats ur-
nature, qui, comme chacun sait, est un ordre
domaine. J’ai l’habitude de dire que la France
choses. Il faut arrêter de construire pour lais-
bains bénéfiques... Le travail à faire est énorme.
extrême. C’est une conception du milieu des
a dix-huit ans de retard. La commande du bâ-
années 2000, avant le BBC. Le bâtiment est très
timent qui m’a été faite en Allemagne date de
bien isolé avec 25 cm d’épaisseur partout, tout
1990. La commande pour Paris, date de 2008.
en structure bois. Un soin particulier a été ap-
Mais je pense que le mouvement s’accélère.
porté aux protections solaires, à l’orientation
Les règlementations thermiques applicables
des baies, pour faire en sorte qu’il n’y ait pas
en 2012 sont les plus ambitieuses d’Europe.
de chaleur excessive l’été. Des patios et des jar-
Depuis le Grenelle de l’environnement, tout a
dins permettent d’être en contact étroit avec la
changé.
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nature. Les serres sont en bois et intègrent des
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panneaux solaires photovoltaïques, qu’EDF a
Immeuble de bureaux Landy Procession
mis sept mois à raccorder... L’autre avantage de
Saint-Denis (2006)
ces panneaux est qu’ils apportent de l’ombre
C’est un petit projet pour la région parisienne,
aux plantes et aux hommes.
avec 5 000 m seulement. Je connais bien le
Depuis ces projets que je viens d’évoquer, il
promoteur, une foncière très sérieuse. J’ai
s’est passé beaucoup de choses. Mais, malgré
accepté le projet à condition d’en faire un bâ-
la prise de conscience environnementale de la
timent à énergie zéro, c’est-à-dire capable de
France, il existe toujours de nombreux freins,
couvrir ses besoins énergétiques par la pro-
notamment au sein du top 50 des architectes
duction d’énergie renouvelable. Aujourd’hui,
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Une volonté d’exemplarité
«énergie zéro» pour cet immeuble
de bureaux Landy Procession
à Saint-Denis.
Un objet particulier dans un site
hétérogène mais en devenir.
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La halle réhabilitée accueille
une auberge de jeunesse,
une bibliothèque,
des lovcaux d’activité.
Le projet comporte
la réalisation d’un jardin
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Peut-on rentabiliser l’énergie utilisée pour la fa-
rage. C’est ce qui s’est passé en Allemagne. Je
brication des panneaux photovoltaïques ?
trouve que le financement s’est arrêté trop tôt
On a dit pendant longtemps en France que les
en France. C’est un problème très compliqué.
panneaux photovoltaïques duraient vingt ans
Je pense qu’il va y avoir une remise à plat com-
maximum. C’est absolument faux. Il faut sa-
plète de notre production d’énergie. A quelle
voir que l’on vit ici sous le lobby d’EDF qui n’a
vitesse et avec quel courage, je ne sais pas.
aucun intérêt pour les énergies renouvelables
L’Autriche a refusé le nucléaire mais elle brûle
mais qui préfère rentabiliser les centrales exis-
du pétrole et du charbon. Elle s’oriente d’abord
tantes. C’est du faux discours. La durée de vie
vers une réduction de la consommation éner-
des panneaux photovoltaïques bi-verre, (les
gétique. On peut vivre aussi bien en consom-
cellules sont entre deux verres), est quasi illimi-
mant moitié moins d’énergie.
tée. L’amortissement en terme d’énergie grise
est donc très rapide. Quand j’ai fait la première
Qu’apportent vraiment les réglementations
thermiques ?
Parmi les projets en cours, j’ai celui d’un quar-
grise, résistance au feu, inertie pour la ther-
installation en Allemagne, c’était le ministre
tier à économie positive à Clamart, avec un bâ-
mique d’été, émissions de CO2... On évalue, on
qui avait pris la décision. Il a passé une énorme
Elles sont indispensables, sinon on continue-
timent de 20 000 m de bureaux tout en bois,
fait des calculs savants, des analyses sur le cy-
commande de panneaux photovoltaïques afin
rait encore à faire n’importe quoi. Le pari de
un projet au Maroc dans le désert mais qui ne
cle de vie des matériaux utilisés. Cela nous per-
de permettre à une entreprise de s’équiper.
Jean-Louis Borloo était de devancer l’appel et
met de comparer les différentes solutions. Sur
Nous sommes tellement en retard en France
cela, c’est intelligent. On en a besoin. Je cri-
ce projet, nous avons fait un projet bis, basé sur
que l’on a pu nous raconter beaucoup de
tique beaucoup la RT 2012 car elle offre trop de
Réhabilitation de la Halle Pajol
les propositions concurrentes, qui avaient per-
choses fausses. Autre exemple : l’énergie grise
possibilités de s’en sortir, en particulier pour les
Paris (2007)
du le projet, pour comparer la quantité d’éner-
du bois et du bloc de béton est estimée iden-
immeubles de grande hauteur. Je pense qu’il
gie grise. Nous en avions 40 % en moins !
tique en France. En Allemagne ou en Autriche,
faut renoncer aux tours. Aujourd’hui on ne sait
étant recouverte de cellules photovoltaïques,
le bois est considéré comme dix fois moins
pas en faire qui soient économes en énergie. Je
s’est transformée en bâtiment à énergie posi-
Une centrale de cogénération biomasse
consommateur d’énergie grise que le béton.
suis pour des RT de plus en plus sévères mais
tive. La halle est conservée. Dessous, un bâti-
Saint-Pierre-des-Corps (2011)
Pourquoi ? Parce qu’on ne fait pas les mêmes
accompagnées de soutien car il faut pouvoir
financer les travaux. De la même manière je
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se fera pas...
Cette ancienne halle de la SERNAM à Paris, en
ment en bois, complètement indépendant,
Située près de Tours, la centrale utilisera
calculs qu’en France où le lobby du béton est
s’étend sur quatre niveaux. Les eaux de pluie
d’abord des déchets de bois des différentes
tout-puissant. On inclut l’énergie solaire né-
pense que le ravalement thermique doit être
sont récupérées et retraitées pour alimenter
industries alentour. Elle produira du chauffage
cessaire pour que le bois pousse dans le bilan
nécessaire mais il faut soutenir les copropriétés
le jardin. Il abritera une bibliothèque et une
urbain et de l’électricité. Je suis chargée de
énergétique du bois ! Alors je hurle ! Et je dis
privées. Mais c’est très compliqué et ça coûte
auberge de jeunesse. Le chantier a démarré et
mettre en forme architecturalement ce projet
qu’à ce compte-là, il faut aussi intégrer l’énergie
des fortunes. Ca nous coûtera encore plus cher
devrait être livré en septembre 2012.
dans la ville. Ce n’est pas si simple car les bâti-
tectonique pour calculer le bilan énergétique
si l’on ne le fait pas. Aujourd’hui, ce n’est plus
Pour des raisons climatiques et de gestion de
ments font 32 mètres de haut...On les a traités
du béton. Tant que le business vert n’aura pas
de la matière qu’il faut mettre dans le bâtiment
la thermique d’été, on est obligé d’avoir des
de manière très sculpturale.
pris le devant, on aura ce genre d’aberration. Il
mais de la matière grise !
dalles en béton en plafond et en plancher mais
Je terminerai avec un concours perdu pour
faut savoir que le CSTB qui fait ces calculs est
tous les murs verticaux sont en bois.
une piscine publique à Montreuil, toute en
financé à 60 % par des organismes privés et en
A l’agence, nous effectuons des recherches et
bois, où l’eau devait être retraitée par des
particulier par les grandes industries du bâti-
calculs. Pour chaque projet, nous étudions les
plantes et des substrats. Cela m’aurait bien plu
ment.
différentes solutions, en utilisant différents cri-
mais je l’ai perdu ■
Pour développer le photovoltaïque, la com-
tères : préfabrication, démontabilité, énergie
mande publique ne serait-elle pas une meilleure
solution que les primes ?
Le problème en France est que le coût de l’investissement est dissocié du coût de l’entretien
dans la commande publique. De plus, elle dépend des politiques et la plupart d’entre eux
préfèrent un bel objet plutôt qu’un objet économe en énergie et en ressources. La demande
est d’abord dans le privé. Il faut reconnaître
que les mesures d’incitation aident au démar-
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Aujourd’hui, la construction en pierre massive,
mythe ou réalité ?
Jean-Paul Foucher
30 novembre 2011
administratifs et bancaires. Paradoxalement,
à la demande du ministère de la Reconstruc-
c’est justement avec l’arrivée, vers 1850, d’un
aussi bien l’habitat modeste, les belles constructions militaires,
tion de réaliser des logements sociaux.
progrès prodigieux, le transport par voie ferrée,
Les tailleurs de pierre, quant à eux, sont appe-
confessionnelles, administratives ou bourgeoises. La maîtrise de la
que notre métier subit les prémices du déclin.
lés à la restauration du patrimoine historique
Car, même si l’on lui construit des ouvrages
ayant souffert des affres de la seconde guerre
d’art remarquables, le train favorise le déve-
mondiale. La formation aux métiers de la pierre
de l’art de construire en pierre.
loppement de la sidérurgie et de l’industrie du
s’organise alors et les jeunes formés sont diri-
Nos anciens bâtissaient de façon vernaculaire, sans «protocole du bilan
ciment.
gés sur les chantiers de rénovation dépendant
Mais on n’efface pas des siècles d’histoire de
des subventions du ministère de la Culture.
la construction en pierre ni l’état d’esprit des
Chacun connaît, hélas, les aléas de la dépen-
carriers, tailleurs de pierre et maçons de la pierre, devons presque nous
hommes. Ainsi, les bons praticiens d’alors,
dance financière… Il faut retenir toutefois de
justifier pour faire entendre l’emploi de ce noble matériau qu’est la pierre.
qui dominaient les marchés de la pierre, ne
positif que, contrairement à beaucoup de nos
croyaient pas à l’essor du béton.
voisins européens, nous avons su conserver
Cependant, c’est vers cette période que des
des savoir-faire traditionnels de taille de pierre.
La construction en pierre massive existe depuis l’Antiquité. Elle concerne
stéréotomie, et son essor, a permis, dès la Renaissance, la magnificence
carbone», avec le bon sens qui les caractérisaient. Aujourd’hui, nous,
La question se pose : aujourd’hui, la construction en pierre massive
est-elle un mythe ou une réalité ? Voici les réponses, à travers différentes
carriers de la région parisienne décident de
expériences et réalisations.
s’unir pour défendre leurs intérêts communs.
P comme Pierre, Pouillon, Pellier, Piano…
Le syndicat que nous connaissons sous sa
Nous ne pouvons passer sous silence le courage
forme actuelle fut fondé entre les deux conflits
et la pugnacité de l’architecte Fernand Pouillon
mondiaux.
qui, dès l’après-guerre, emploie la pierre pour
Préambule
la pierre, peu importe la nature de la roche et
D’autre part, les entreprises de taille de pierre
des habitations à loyer modéré. C’est la preuve
On constate malheureusement aujourd’hui
les outils utilisés. Le tailleur de pierre était un
avaient toutes au sein de leurs structures leur
qu’avec de l’imagination et des compétences
que l’on ne conçoit plus assez en pierre. Dans
bâtisseur mais aussi un carrier. Dans les temps
calepineur et leur appareilleur. Ces qualifica-
élargies, la pierre dans la construction reste un
les écoles d’architecture, les cours sur le sujet
les plus reculés, les hommes devaient s’abriter,
tions, toujours en vigueur dans les conven-
matériau éternel et d’actualité. Un autre archi-
ont cessé depuis 1965 et sont dispensés ici ou
se défendre, se protéger ; et de l’habitat troglo-
tions collectives actuelles, ne laissaient pas
tecte Armand Pellier, compagnon tailleur de
là, au gré de la bonne volonté des directeurs.
dyte à la carrière, ou inversement, il n’y a pas
forcément de place à un métier naissant, celui
pierre, sculpteur, propriétaire d’une carrière au
Ce n’est pas assez à mon goût.
beaucoup de différence. La matière est là, elle
d’architecte. La fonction de l’architecte était de
Pont du Gard, conçoit et réalise, principalement
Devoir, ingénieur professionnel de
Je commencerai cette conférence par un retour
nous attend depuis des millénaires.
concevoir et dessiner les ensembles en s’ap-
dans le Gard, des ouvrages remarquables en
France, Maître artisan, membre
sur la construction en pierre puis je détaillerai
Inévitablement, la pierre est un matériau d’au-
puyant sur la compétence des artisans et le
pierre dont l’originalité réside dans la texture et
deux expériences.
jourd’hui et encore plus de demain au vu de
savoir-faire des hommes de métier des entre-
les formes avant-gardistes.
la démarche citoyenne par rapport au bilan
prises pour la réalisation des détails. N’était-il
Le flambeau est relevé avec un architecte comme
Jean-Paul Foucher
Compagnon tailleur de pierre du
du bureau EACD (Association
Européenne Craft and Design),
responsable de l’Institut supérieur
De l’antique aux TIC
carbone. Imaginez un peu, la pierre est cuite
pas commun de dire à cette époque, «l’archi-
Gilles Perraudin, mais aussi Elisabeth Polzella,
de recherche et de formation aux
Quand on parle des métiers de la pierre, on
depuis des millions d’années ce qui veut dire
tecte est le chef d’orchestre et le tailleur de pierre
Jean-Paul Laurent, François Gauthier, Laurent
métiers de la pierre de Rodez,
évoque forcément le passé. Or aujourd’hui, si
en très clair qu’elle ne dégage aucun CO². En
le premier violon»? Le métier de concepteur se
Lehmann,
responsable du Pôle d’innovation,
l’on veut être performant, il faut utiliser les ou-
regardant d’un peu plus près, nos anciens
démocratise, des écoles, ou des ateliers auprès
Joël Sakarovitch qui enseignent les modules
Jean-Paul Foucher enseigne
tils actuels comme l’informatique et le numé-
construisaient de façon vernaculaire, en bois,
des maîtres, voient le jour.
«pierre» aux jeunes étudiants en architecture.
également dans différentes
rique. Les tailleurs de pierre sont très attachés
en pisé, en pierre, en fonction des lieux et des
Les architectes et les ingénieurs de la construc-
écoles d’architecture des modules
à leurs outils et cela leur donne des boutons…
approvisionnements. Cela donne en même
tion ont compris l’opportunité qui s’offrait à
Il est très difficile de faire changer les états d’es-
temps une architecture riche et un patrimoine
Évolution de la filière «pierre» en France
de formation «pierre». Son
eux avec l’emploi d’un matériau présentant
Aujourd’hui, l’évolution de la société nous
prit.
diversifié. Construire en pierre, c’est être à la
moins de contraintes techniques et d’approvi-
impose des modes et des contraintes d’ordre
déborde le cadre professionnel :
Aujourd’hui on dispose d’outils qui permettent
mode à tous les temps. Aujourd’hui, l’objectif
sionnement que la pierre.
économique et réglementaire ne favorisant
il est aussi le fondateur de
de modéliser des voûtes plates, et les rendre
affiché est de ramener la consommation de 50
Parallèlement, les cimentiers ont tactiquement
pas l’emploi de la pierre, parce que les perfor-
accessibles à tous… Même dans une maison !
Kwh/an/m2 à 0 Kwh/an/m2, tout en respectant
procédé au rachat des carrières, ils en ont fer-
mances de ce matériau sont méconnues ou
Temps», membre du comité
Le patrimoine architectural mondial est, de-
l’impact distance/fabrication/mise en œuvre.
mé certaines, puis exploité d’autres de façon
mal utilisées.
Pôle construction, du Centre de
puis toujours, construit en pierre, qu’il s’agisse
En France, mais aussi en Europe, nous pouvons
intensive, avec des moyens colossaux, notam-
Nous supposions que l’évolution de notre mé-
promotion de la pierre et de ses
de bâtiments publics, militaires, cultuels ou
apprécier l’extraordinaire témoignage laissé
ment à l’explosif, ruinant la possibilité de sortir
tier serait d’ordre informatique et se ferait par
métiers à Paris, de l’Académie de la
privés. Dès l’Antiquité, de l’Égypte à Rome, on
par nos ancêtres à travers les églises ou ca-
des blocs capables et sains.
la mécanisation. Ce qui n’était pas, d’ailleurs,
pierre de Lyon, conseiller au Collège
travaillait le granit, le marbre, le grès et la pierre
thédrales gothiques, les châteaux ou maisons
L’industrie de la construction métallique et du
sans inquiéter nos hommes de métier, tant
des métiers de l’Association ouvrière
calcaire avec une dextérité hors pair.
bourgeoises et, plus tard, avec la construction
béton prend son envol et les architectes s’affir-
ils étaient - et restent - attachés aux valeurs
Le tailleur de pierre a pour vocation de tailler
des gares ferroviaires ou des établissements
ment. Ils conçoivent des édifices pour répondre
ancestrales et gestuelles des métiers de la
investissement pour la pierre
l’association «Carrière du Bon
des compagnons du Devoir.
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pierre. C’est une forme de blocage culturel.
sations professionnelles et des centres de for-
tiers de la carrière de pierre dimensionnelle est
compter les conjointes ou collaboratrices d’ar-
Effectivement, il y eut des investissements
mation pour travailler ensemble, notamment
oppressante, voire handicapante d’un point de
tisans. L’intégration, au début, fut un peu diffi-
dans certains secteurs, notamment dans les
pour adapter nos formations à la demande du
vue financier. En effet, les garanties financières
cile, mais très vite, les postes ont évolué vers la
ateliers de marbrerie de décoration et dans le
marché.
pour la remise en état du site d’une carrière de
conception et l’organisation du travail.
secteur d’exploitation des carrières de pierres
Les tailleurs de pierre diplômés d’un certificat
pierre sont indexées selon les mêmes critères
dimensionnelles, mais nous n’avons pas re-
d’aptitude professionnelle (CAP), Bac pro et
que les carrières de granulats. Or, si dans les
Un marché qui doit s’adapter
marqué de façon significative le développe-
brevet professionnel (BP), travaillent de plus
carrières de granulats on pratique à l’explo-
On n’enseigne ni ne calcule plus la pierre dans
ment espéré de nos secteurs d’activité. Les
en plus dans les entreprises de maçonnerie qui
sif (ce qui donne les résultats voulus), on ne
les écoles d’architecture et d’ingénieurs. Or, la
investissements opérés ici ou là sont principa-
mettent en œuvre la pierre. Il n’existe qu’une
peut pas faire de même pour les roches orne-
société actuelle souhaite des réalisations cal-
lement isolés, sans concertation ou échanges
formation supérieure au niveau national, dans
mentales, si l’on veut des blocs sains et consé-
culées et certifiées. De ce fait, ce sont les en-
entre confrères de la profession dans le choix
les métiers de la pierre. Il s’agit du BTMS (Brevet
quents. Les applications des règles normatives
treprises structurées et engagées qui osent et
judicieux du matériel. Chacune des entreprises
technique des métiers supérieur), dispensé à
sont mieux amortissables par les entreprises
prennent les marchés.
découvre un outil souvent sophistiqué et un
Rodez chez les compagnons du Devoir. L’évo-
de granulats et cimenteries que par les petites
Le matériau pierre souffre d’une image de luxe
personnel insuffisamment préparé. Le résultat
lution de l’offre de formation nous amène à
exploitations. Pour donner une idée, les car-
comme le marbre. D’ailleurs, les banquiers
d’une telle attitude retarde les retours rapides
proposer de plus en plus de stages sur la res-
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rières de granulats exploitent 170 000 000 m
communiquent auprès de leurs clients et leur
sur investissement et, par conséquent, fragilise
tauration du bâti et la construction, en incluant
annuellement contre 582 000 m3 en pierre or-
recommandent d’investir dans la pierre... La
l’entreprise.
le développement durable.
nementale (source Unicem 2006).
taille de pierre est trop liée à la construction
En France, depuis quinze ans, la croissance
La production de roches ornementales est
en production de roche ornementale est qua-
stagnante en France alors qu’elle augmente
Un métier qui doit être valorisé
chologiquement la notion de cherté. La pierre
siment nulle, tandis qu’en Europe l’évolution
annuellement ailleurs dans le monde. La ré-
Aujourd’hui, si l’on pose la question : «Que fait
n’est pas, ou peu, en vente dans les circuits
est de 4 % ces dix dernières années. Au niveau
glementation de l’exploitation des gisements
le tailleur de pierre ?», l’image qui vient à l’es-
de distribution classique. Étant naturelle, elle
mondial, la croissance est de 10 %. Dans ce
en France est tellement décourageante que
prit est celle du restaurateur de cathédrales, de
n’offre pas toutes les garanties d’un produit
contexte, on peut imaginer la réaction de nos
les carriers deviennent ou s’improvisent négo-
châteaux ou du sculpteur. Or, les métiers de de-
uniforme, comme le souhaite le client. Quand
chefs d’entreprises. Faut-il croire ou non en
ciants en matériaux. En fait, au départ, la ré-
main seront principalement ceux de la concep-
il s’agit de pierre, le maître d’ouvrage veut du
l’avenir et au développement industriel du
glementation est la même en Europe, mais la
tion d’ouvrages en pierre, la conduite de chan-
beau, tout de suite, si possible standard et qui
matériau pierre ? Le manque d’unité dans les
France, à travers les services de la DREAL (Direc-
tiers, la décoration et l’utilisation de machines
s’adapte à tout. Les défauts qualifiés «patri-
objectifs communs des organisations profes-
tion régionale de l’environnement, de l’aména-
numériques.
moine » sont acceptés mais pas le vrai défaut
sionnelles, le conservatisme naturel, ancré
gement et du logement), se donne les moyens
La filière elle-même présentant peu d’attrait
naturel, comme pour le carrelage. Si vous allez
dans la tradition artisanale, parfois empirique
de contrôle et d’application des lois.
financier, les ouvriers s’orientent progressive-
le samedi matin faire vos courses chez un né-
et culturelle des gens de métier, ont également
Il n’existe pas de véritable «filière pierre» qui
ment vers des entreprises de maçonnerie ou
gociant ou un distributeur, vous trouverez les
empêché l’ouverture à de nouveaux marchés.
défende les intérêts comme on peut le voir
de travaux publics. La jeunesse veut s’identifier
plastiques, bois, tuiles, briques, peintures, iso-
Les campagnes publicitaires d’aide à la rénova-
dans d’autres secteurs d’activités en France,
à l’innovation, à la gestion moderne des chan-
lants, quincaillerie mais rarement de la pierre,
tion du bâti ancien et au ravalement de façades
comme la filière bois ou béton par exemple.
tiers, là où il existe des moyens de s’exprimer
sinon reconstituée.
ont permis aux entreprises locales de taille de
Dans d’autres pays, comme la Belgique, les car-
et de s’épanouir. Il y a des bassins pierreux en-
pierre d’en vivre largement et de s’installer
riers et transformateurs de pierres adhèrent à
tiers comme dans le Sidobre, au sud du Massif
La pierre, le matériau écologique
encore un peu plus dans ce marché. Il existe
une association de promotion de la filière. En
central, où beaucoup d’ateliers vétustes sont
de première heure
toutefois des paradoxes. Alors que tous les
Espagne et en Italie, les chambres consulaires
abandonnés faute de repreneurs. La raison est
La carrière est la plus grande et la plus an-
matériaux employés dans la construction (bé-
et les infrastructures régionales promeuvent
que la mise aux normes de tels ateliers est trop
cienne fabrique connue. La pierre est sédimen-
ton, verre, bois, métal, plastique) subissent ici
les entreprises et le matériau pierre. Des pays
élevée. S’il n’y a pas de constructions en pierre,
tée, métamorphisée depuis des millions d’an-
ou là des traitements de surface et de couleur,
comme la Chine, l’Inde, la Turquie, le Brésil,
il n’y aura pas de tailleur de pierre. De plus en
nées. Il faut donc très peu d’énergie grise pour
tout comme les églises romanes ou encore les
l’Iran investissent massivement et s’orientent
plus souvent, les maçons travaillent et posent
la transformer.
cathédrales gothiques en leur temps, et bien
sur des marchés internationaux non tradition-
la pierre. Notre formation doit s’adapter à la de-
Il y a trois activités des métiers de la pierre, l’ex-
nous, gens de la pierre, nous comptons seule-
nels (voirie, façades, etc.). Il faut donc que nos
mande et offrir un parcours valorisant.
traction, la transformation et la mise en œuvre.
ment sur la palette naturelle des roches ! Il n’y a
entreprises s’ouvrent à de nouveaux marchés.
Le métier nécessite des efforts physiques, tou-
Les notions d’écologie et de gestion des dé-
pas eu non plus de recherche innovante fonda-
Les coûts de production en France, la concur-
tefois depuis une dizaine d’années, plusieurs
chets obligent à une attention non négligeable.
mentale significative, comme par exemple, la
rence de produits artificiels manufacturés
jeunes femmes apprennent le métier, même
C’est ainsi qu’en carrière, l’exploitation se déve-
pose de pierre, la pierre précontrainte.
imitant la pierre ne favorisent pas le dévelop-
si cela ne représente qu’un faible pourcentage.
loppe avec des scies haveuses munies de bras
Enfin, nous ne pouvons que faire l’amer constat
pement économique de l’emploi de la pierre.
On dénombre environ cent cinquante femmes
et d’une chaîne diamantée de 4 à 6 mètres ou
qu’il n’y a pas de volonté affichée des organi-
En France, la réglementation affectée aux mé-
sur les chantiers ou dans les ateliers, sans
des fils diamantés, pour extraire plus vite, plus
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de bâtiments historiques, ce qui implique psy-
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droit et avec moins de pertes. Il faudra encore
tretien des constructions en pierre, et parfois
attendre pour voir arriver l’extraction à sec et
même avec des méthodes empiriques, comme
les méthodes pour capter et réutiliser les pous-
le ruissellement d’eau pour le nettoyage, par
sières. Il faudra aussi trouver des solutions pour
exemple.
utiliser les déchets d’équarrissement.
Il s’agit aussi de respecter les fondamentaux
L’outil numérique, qui fait son entrée par la
de la construction : pierre de faible capillarité
petite porte, améliore le prix de revient. En-
en soubassement, joint avec des liants compa-
core faut-il développer l’information et la
tibles et souples.
formation et en justifier l’utilité auprès des
Le passé, nous le connaissons, nous avons des
un rapport de résistance thermique car nous
entreprises artisanales. Le saut est particulière-
traces de construction, c’est notre patrimoine
Chauffage
étions en intérieur, mais le projet sera dupliqué.
ment hasardeux car, depuis toujours, on taille
architectural. Mais aujourd’hui ?
Plomberie, sanitaire, électricité
L’intérêt de ce projet était de démontrer que le
Peinture, carrelage
4.5%
7700
coût est compétitif lorsque le temps des opéra-
Étude, conception, coordination
13.3%
22000
la pierre pour des chantiers de restauration
Terrassements, fondations, dalles
7%
12200
21.8%
37300
Charpente et isolation
10.7%
18400
Couverture
15.8%27000
Isolation et cloison
5.2%
Ouvertures
6.5%11000
Construire en pierre : le défi d’aujourd’hui
teurs est limité. Il faut pour cela beaucoup de
préparation et d’organisation. C’est aussi un
lonnes), avec de petites quantités linéaires. Par
L’isle-d’Abeau puis une autre à Millau.
choix délibéré de construire à sec : pas d’en-
ailleurs, on passe de plus en plus de temps à la
Travailler avec les concepteurs, c’est-à-dire les
duit, pas de plâtre, pas de peinture.
pose. Alors, à partir de quand investir ? Faut-il
architectes, est primordial car ce sont eux qui
Une maison comme celle-ci, avec une couver-
se regrouper, comme le font certains confrères
prescriront les ouvrages. Or, ces mêmes archi-
ture membrane et végétalisée, des ouvertures
européens ? Les uns investissent dans le débit
tectes connaissent peu le matériau «pierre »
en portes-fenêtres bois en double vitrage,
Du 1er août 2011 au 31 juillet 2012 :
primaire, les autres dans le secondaire ou le
bien qu’il soit l’un des plus anciens et des plus
coûte 100 000 € en 2010.
Électricité : 460,05 € soit 38,33 € / mois
polissage, et tous se partagent le marché.
usités depuis l’Antiquité.
Les marbriers funéraires qui ont vu leur marché
On entend souvent dire que la construction
La maison de Millau (Aveyron)
Gaz : 15 € par mois
(privilégié un certain temps), se rétrécir par la
en pierre est chère. J’ai voulu démontrer le
Ce projet est une réalisation privée d’une sur-
Eau : 190 € par an.
concurrence asiatique et l’effet culturel de la
contraire, d’un point de vue économique puis
face habitable de 105 m², avec un garage cellier
Soit une consommation totale en énergie et
crémation, ont réagi et ont trouvé de nouveaux
écologique, ce que j’appelle «éconologique ».
de 45m².
eau de 69,16 € par mois ou 829,92 € par an.
1925 kwh /105 m² = 18,3 kwh/an/m²
La durée de montage de l’ossature pierre est de
Le projet de L’isle-d’Abeau (Isère)
neuf jours à trois personnes. Il a fallu 2 m3 de
Alors oui ! La construction en pierre massive est
lisent des plans de travail pour les cuisinistes et
J’ai fixé ce programme avec les étudiants en
sable, 2 m d’eau et neuf sacs de chaux hydrau-
écologique et économique. En étant bien étu-
les monteurs de salles de bains.
architecture de Grenoble et les apprentis com-
lique. C’est ainsi dire, qu’en prenant les maté-
diée, elle offre des résultats étonnants et com-
Quant à la mise en œuvre, elle est largement
pagnons du Devoir.
riaux de base le plus près possible du lieu de
pétitifs. Ce n’est donc pas un mythe mais bien
facilitée aujourd’hui par les outils de manuten-
La maison est destinée à un jeune couple avec
construction, nous sommes résolument tour-
une réalité… ■
tion. Sur le chantier, la grue hydraulique et la
des revenus modestes. Il a besoin de deux
nés vers l’écologie !
poutre télescopique ont largement remplacé
chambres, d’un séjour, d’une cuisine ainsi que
D’après l’étude thermique préalable nous
de façon inéluctable les bras ou le palan de for-
de sanitaires. Il doit pouvoir accueillir un bébé
voyons qu’après un an d’occupation par une fa-
tune. C’est un facteur important de lutte contre
dans les deux à trois prochaines années. La
mille de quatre personnes, les consommations
la pénibilité du métier.
maison devra donc être évolutive, avec une
sont les suivantes :
On peut dire que l’apogée de la taille de pierre
simple extension. Elle sera BBC (bâtiment
se situe entre le XVe et le XIXe siècle. On le voit
basse consommation) et elle fera 65 m² habi-
à travers les appareillages complexes comme
tables. Les murs feront 60 cm d’épaisseur.
la voûte de l’actuel hôtel de ville d’Arles et par
Nous avons monté ce projet en quatre jours,
les innombrables écrits des ingénieurs et ingé-
étant équipés de pont roulant et à l’abri. La
nieux concepteurs appareilleurs de pierre. La
charpente était préparée, il a suffi d’organiser
voix est tracée.
le levage et la pose de la structure avec le pont.
Cependant, même si l’on garde beaucoup
Nous avons fait réaliser un test d’étanchéité à
d’ouvrages de pierre de taille, un facteur patho-
l’air par la société Coprotec et le résultat a été
logique est constamment présent : l’eau. L’eau
surprenant, à tel point que l’ingénieur opéra-
est à la fois l’amie et l’ennemie de la pierre.
teur a vérifié deux fois le résultat ! La norme est
Il existe aujourd’hui suffisamment de techno-
de 0,60 m/sec et notre test était de 0,26m/sec,
logie de pointe pour la conservation et l’en-
donc favorable. Nous n’avons pas pu établir
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Total170600
riau, adapté l’outil et la tendance. Ainsi, ils réa-
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6.2%
J’aborderai deux expériences : une première à
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n
Transport, fourniture, pose des pierres
(escaliers, cheminées, fontaines, piliers ou co-
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Les coûts de construction sont les suivants :
du patrimoine ou de construction décoratives
produits de décoration. Ils ont gardé le maté-
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Les vitraux récents d’artistes dans le Gard
Thierry Gilhodez
12 janvier 2012
De Parsus à Soulages en passant par Viallat, un parcours-découverte
d’artistes dans le Gard et la région, avec la complicité et la participation
temps. Quand on regarde les vitraux des cathé-
ne fonctionne pas à tous les coups. L’église
de Robert Prohin, architecte et artiste plasticien.
drales, on ne distingue pas les figures. Les An-
d’Aigues-Mortes était intéressante car elle of-
ciens avait parfaitement intégré ce mécanisme
frait de petites ouvertures offrant un côté inti-
entre l’abstraction et le figuratif. Pierre Parsus
miste. Avec la complicité de l’atelier Bernard
est apparue entre les deux guerres. C’était dans
a fait en sorte que ses vitraux puissent servir
d’Honneur, installé à Marseille, Claude Vialat
Pour débuter ce parcours, je commencerai
l’air du temps. L’un des pionniers est Gaudin
le prêche de l’abbé Thibon. Ce travail a été fait
a joué de toutes les nuances des verres pla-
par le musée Pierre-André Benoit, du nom de
à Paris. Travaillant pour les Monuments histo-
avec beaucoup de conviction et de foi. Cela fait
qués multicouches pour obtenir, par gravure
son donateur. Imprimeur d’art, ami de grands
riques, il avait dû présenter des vitraux très ra-
référence dans ce style de technique.
à l’acide fluorhydrique, des dégradés, des pas-
peintres comme Picabia, Braque, Miro, il a of-
pidement sur une table lumineuse. Comme il
Pierre Parsus a profité des possibilités de l’Al-
sages, des fondus qui donnent l’effet que Vialat
fert à sa ville des œuvres exceptionnelles ainsi
n’avait pas pu monter en plomb, avec du sable
tuglas pour superposer un grand nombre de
recherchait.
qu’une bibliothèque riche en ouvrages et en do-
fin, il avait passé autour des pièces de verre,
pièces jusqu’à obtenir des reliefs saillants,
Dans la cathédrale de Nevers, les vitraux de
cuments rares. Tout ceci est visible au château
pour imiter la résille de plomb. Cela lui a donné
comme pour le vitrail du buisson ardent, qu’il
Vialat ont aussi sa forme de prédilection. Mais
de Rochebelle. Lui-même a réalisé quelques
l’idée d’expérimenter la technique pour travail-
considère comme sa pièce maîtresse. Il a éga-
cerné par la rigueur du plomb, le monotype
vitraux pour l’église de Ribaute-les-Tavernes,
ler de manière plus fluide. Cela donne un résul-
lement participé à la décoration intérieure
rendu systématique perd beaucoup de sa qua-
ainsi qu’un vitrail visible dans le musée. Il a tou-
tat très rustique. Mais c’est bien car le vitrail est
de l’église, notamment une fresque qu’il a dû
lité, noyé dans l’énorme volume.
jours gardé son style. On retrouve souvent dans
destiné à une architecture, il s’inscrit dans un
restaurer lui-même ultérieurement, ou ce ta-
Le terme de vitrail est assez récent. Il est ap-
son travail, une colombe et un nuage blanc.
caractère monumental. Cela tient très bien au
bernacle très étonnant. Il est à côté de l’autel
paru au XIXe siècle. Avant, on parlait plutôt de
Dans les années 1960-1970, la municipalité de
mur. Mais le défaut est que c’est très sombre.
et descend jusqu’à la chapelle. En passant d’un
verrière.
son village natal de Ribaute-les-Tavernes entre-
La dalle de verre fait presque trois centimètres
niveau à l’autre, on a cette sensation de conti-
prend de restaurer l’église, et, notamment, de
d’épaisseur et elle est enchâssée dans une ré-
nuité. Ce travail de la matière permet d’obtenir
La cathédrale de Maguelone
remplacer les vitraux manquants. Il fait appel
sille en béton très large. On perd donc beau-
une vibration. Il a réalisé un travail d’explora-
Cathédrale imposante de l’époque romane,
dans un premier temps à l’atelier Simon Marq
coup de lumière, la transparence et la pers-
tion et atteint une maîtrise sans équivalent, je
elle est située au bord de la mer sur un site iso-
de Reims qu’il connaît. Il a participé de très
pective. Dans certains lieux, cela peut donner
pense.
lé remarquable. C’est un édifice très sombre.
près à cette aventure. Cela lui a donné l’envie
matière à recueillement. La technique a connu
de fabriquer ses propres vitraux. Il a eu besoin
un engouement pendant une trentaine d’an-
L’église Notre-Dame des Sablons
vitrail dans un lieu qui ne s’y prête pas. Pour
de l’aide des techniciens de l’atelier pour le
nées puis est passée de mode, remplacée par
Aigues-Mortes
pouvoir restituer le maximum de lumière, il a
guider. Il a réalisé une série de vitraux, remplis
d’autres techniques correspondant davantage
Claude Vialat a été sollicité pour réaliser ces
voulu enlever le plomb et utiliser la technique
à la culture de notre époque.
vitraux. Les vitraux sont vus en transparence.
de verre fusionné. Changeants au fil des heures,
cheur à cette église. A chaque fois, on retrouve
Ils ne fonctionnent donc que d’un côté. Quand
à l’intérieur comme à l’extérieur, ces vitraux
ces nuages blancs qui sont aussi les galets de
L’église des Trois piliers
il fait jour, on les lit de l’intérieur et la nuit, si
sont l’expression du rapport qui existe entre
silice qui proviennent du Gardon. Les premiers
et les vitraux de Pierre Parsus, Nîmes
l’édifice est allumé, on les voit de l’extérieur.
l’architecture médiévale, l’eau et la lumière du
littoral méditerranéen. Des ondes parcourent
Le Musée PAB, Alès
d’une joyeuse conviction qui redonne de la fraî-
Thierry Gilhodez
est artiste-verrier, spécialisé
vitraux de l’église réalisés par Simon Marq sont
Conçue par l’architecte nîmois André Planque,
Claude Vialat n’était pas très satisfait du rendu
représentatifs de l’esprit des années 1970, où
l’église fut édifiée en 1966-1967 par la volonté
des vitraux qu’il avait réalisés pour la cathé-
ces vitraux tantôt bleutés, tantôt jaunes. Grâce
l’on était en plein dans la démarche concep-
de l’abbé Jean Thibon. Il a demandé à Pierre
drale de Nevers. Il a donc cherché une autre
à la technique du verre thermoformé, le maître
tuelle. Dans un petit coin discret, à l’étage, près
Parsus de réaliser les vitraux de l’église. Comme
technique pour mieux restituer la vibration
verrier Duchemin, chargé de leur exécution, a
de l’orgue, il a laissé un autoportait dans une
il n’était pas maître verrier, il a cherché une
recherchée. Il est l’un des représentants de
su transcender le parti de l’artiste.
toute petite ouverture. Il a voulu s’inscrire dans
technique à sa portée. Il a donc travaillé avec
l’école «supports-surfaces» qui a peu duré, mais
cet édifice.
de l’Altuglas. Ce n’est pas une technique sans
qui a produit des artistes de qualité. Ce qui est
Une chapelle romane à Castelnau-le-Lez
Il était très inspiré par le travail de Cocteau et
danger car il y a des émanations toxiques dans
fascinant dans son travail, c’est qu’il part d’un
Les ouvertures sont très petites. La DRAC s’est
les artistes de sa génération, qui se situaient
l’utilisation de cette matière organique dont on
monotype très dépouillé, pauvre même, et il en
adressée à François Rouan, comparse de Pierre
dans le figuratif et le symbolique, en opposition
ne connaît pas bien également le vieillissement
fait une œuvre aboutie. On l’interpelle souvent
Parsus au sein de la «fratrie» des Peintres de
dans le temps. Les maîtres verriers font les gros
sur cette forme qu’il a décidé d’utiliser. Voici
l’essentiel. Il a également été appelé pour réa-
yeux quand on leur parle de cette technique. Je
ce qu’il répond : «La répétition d’une forme n’a
liser des vitraux de la cathédrale de Nevers. Il a
L’église Sainte-Bernadette, Alès
faisais la même chose jusqu’au jour où je suis
aucun sens. Tout le monde pense que je suis ob-
eu beaucoup de mal à s’adapter au caractère
Ce sont les vitraux qui apportent à cette église,
entré dans l’église et j’ai pu apprécier le travail
sédé par cette forme, mais elle n’a aucun intérêt
monumental de l’édifice. Il est parti sur des papiers découpés-collés pour créer une sorte de
à l’art moderne abstrait.
dans les vitraux et l’art du verre
monumental, Meilleur Ouvrier
de France, correspondant régional
L’artiste américain Robert Morris a dû faire du
de l’Institut national des métiers
construite avec des moyens modestes dans les
et voir la beauté de la réalisation. C’est toujours
en soi.» C’est une profession de foi étonnante,
d’art (INMA). Son atelier de vitrail
années 1960, une dimension de qualité. Les vi-
mauvais d’avoir des préjugés.
presque suicidaire. Mais c’est très malin en fait,
kaléidoscope, mais cela n’a pas fonctionné. Il
a perdu le côté mystique du lieu. Il s’est rendu
compte qu’il avait fait fausse route mais c’était
132
est installé à Cardet,
traux ont été réalisés en dalle de verre par les
Le style est à la fois figuratif et abstrait. Ces
car avec une matière dépouillée, il arrive à faire
entre Nîmes et Alès.
ateliers Thomas de Valence. Cette technique
deux méthodes sont utilisées depuis très long-
une œuvre construite qui nous touche. Cela
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a
Ce sont les derniers vitraux profanes qui ont
Chapelle romane
à Castelnau-le-Lez
été réalisés dans les années 1930-1940, dans
le style Art Déco, car il y a eu ensuite en occi-
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La salle multimédia
Église romane primitive,
sise à Jazeneuil,
près de Poitiers, Vienne
Elle est petite, à l’échelle de la commune. La
salle est modulable. Elle peut se transformer
dent une terrible désaffection de l’ornementa-
en salle de cinéma. Un projecteur de cinéma
tion. L’édifice est très impressionnant avec ses
motorisé descend du plafond pour projeter sur
grandes colonnades, mosaïques et fers forgés.
un écran, mobile lui aussi. Un mouvement de
Les vitraux ont été restaurés il y a une dizaine
plafond a permis de cacher les gaines tech-
d’années par l’atelier Daniel Berneron à Viols-
niques qui alimentent les locaux de la mairie.
le-Fort dans l’Hérault.
L’éclairage était très faible et triste. L’idée a été
de remplacer le vitrage par un vitrail.
Les différentes étapes de la technique du
J’ai également utilisé du verre securit éclaté
vitrail en verre fusionné.
dans un granité blanc comme de la neige. Au
A partir d’une réalisation effectuée dans une
fond, le feu est sous la terre, les cavernes sous
petite église romane primitive, sise à Jazeneuil,
les dalles des causses et la matière qui prend
trop tard. Il a d’ailleurs refusé au début de faire
près de Poitiers dans la Vienne.
vie.
les vitraux de la petite chapelle. Finalement il a
Avant toute chose, on se rend sur place pour ap-
accepté et a pu réaliser une œuvre plus proche
privoiser le bâtiment, comprendre la lumière, de
de sa peinture et du mystère de la vie et la mort.
quelle époque il s’agit. On met ensuite en place
plumes et pinceaux. Ils servent à mettre en
coup : «La volonté de l’architecte du XXe siècle
Il a travaillé sur le thème de la mort, très adroi-
sa démarche artistique autour de cet édifice.
place la grisaille. On peut réaliser des traits, des
était de bannir le décor. Mais il est révélateur de
tement. Il a fait ce qu’on appelle une vanité,
On élabore une maquette à l’aquarelle. Ensuite,
jus pour avoir des passages, des modelés, des
souligner que Le Corbusier, illustre pourfendeur
avec un crâne qui apparaît lorsque l’on cligne
on fait le carton-grandeur, c’est-à-dire que l’on
fondus.
d’ornementation, a fini par évoluer dans l’autre
des yeux. Il n’a pas tenu compte de l’étroitesse
agrandit la maquette à l’échelle 1. Ceci est de-
La mise en plomb se fait à plat sur une table. Les
sens». Cette phrase résume bien le verrouillage
des ouvertures et les vitraux ne sont pas très
mandé par l’architecte en chef des Monuments
panneaux sont ensuite assemblés provisoire-
que les arts décoratifs ont subi pendant un
lisibles. Ces contraintes qui sont bien connues
historiques qui suit le chantier avec beaucoup
ment pour vérifier que l’ensemble correspond à
demi-siècle et dont on sort avec difficulté au-
des maîtres verriers et vitraillistes échappent
d’acuité, voire de sévérité.
l’idée de départ.
jourd’hui.
parfois aux peintres qui se penchent plus sur
On fait un double de ce carton-grandeur avec
La pose se fait à l’intérieur avec une reprise à
Je me suis amusé à composer un petit poème
la démarche artistique que sur le monument.
un calque et du carbone pour le reporter sur
l’extérieur. Il faut donc monter des échafau-
pour vous ce soir. Je vous le lis pour conclure.
Mais le lieu est très beau et propice au recueil-
un carton fort. On découpe alors, avec des ci-
dages de part et d’autre. Par précaution, on
lement.
seaux à trois lames, ce nouveau carton. La lame
commence par le haut.
du milieu dégage une petite languette qui fait
Le travail de graphisme vient structurer ma
2 mm d’épaisseur et qui correspond à l’épais-
composition, réalisée sur le thème de l’eau pu-
Elle a subi trois tranches de travaux importants
seur du plomb.
rificatrice. On part des fonds abyssaux, sombres,
verriers
au cours du XXe siècle mais les vitraux existants
On met ensuite le calibre sur le verre. On le dé-
jusqu’au clapotis des vagues reflétant le soleil.
Qu’à la fin du séjour je ne sois transformé
en 1994 étaient de facture relativement récente.
coupe avec un vrai diamant. Il faut ensuite déta-
L’abbaye de Sainte-Foy de Conques
134
Pour conclure cette conférence, je lirais cette
Nous disposons de nombreux outils : brosses,
Soulages a voulu faire des vitraux dans ce lieu.
cher la pièce. On assemble les différentes pièces
Il a donc fallu déposer les vitraux précédents.
sur le carton que l’on a conservé. L’ensemble est
Intervention de Robert Prohin.
On peut regretter que cette série de travaux ait
cuit au four pour obtenir la fusion des différentes
Ispagnac est un village de Lozère, blotti en fond
coûté cher au contribuable, car il y avait proba-
couches de verre superposées. On obtient ainsi
de vallée entre le causse Méjean et le causse
blement dans les environs des édifices tout à
de grandes plaques de verre dans lesquelles il y
de Sauveterre. Dans cette faille, le calcaire est
fait susceptibles d’accueillir les vitraux de Sou-
a les décors et les graphismes. Auparavant, pour
omniprésent. La mairie est bâtie dans cet esprit.
lages. Chantre du noir, ses vitraux sont blancs !
passer d’une couleur à une autre dans un vitrail,
Grâce au maire de l’époque, aujourd’hui décé-
Après bien des atermoiements, le verre utilisé
on mettait un joint de plomb.
dé, et de son épouse, très attachés à l’art et l’ar-
a été fusionné en Allemagne puis assemblé et
Une fois fondues, les pièces peuvent être
tisanat, nous avons pu réaliser tous ces travaux.
posé sur place par l’atelier Jean-Dominique
peintes selon la technique de la grisaille, déjà
Dans la mairie d’Ispagnac, la montée d’esca-
Fleury à Toulouse.
utilisée par les Anciens. Il s’agit d’oxyde de fer
lier est éclairée par ces deux vitraux abstraits. Il
mélangé à du verre pilé très fin. On obtient une
s’agit de créer une dynamique, quelque chose
L’ancien hôpital Saint-Charles
pâte onctueuse comme du miel liquide. Elle est
de vivant. Ce sont des verres non cuits peints à
Le bâtiment grandiloquent date des années
ensuite cuite au four à haute température de
la grisaille. Elle est englobée entre deux verres
1930. Il a été transformé en résidence de luxe.
manière à la fixer durablement sur le verre.
feuilletés, prisonnière définitivement de la colle.
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Ô vitrail en couleurs de mes mains façonné
Que n’ai-je tant œuvré dans les travaux
Par un jet de lumière pénétrant l’atelier
La mairie d’Ispagnac
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citation de Robert Prohin que j’aime beau-
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En lueurs persistantes qui viendront éclairer
Les chemins du labeur par où je suis passé ■
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Le bois, nouveau langage architectural
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De la cabane de berger au théâtre éphémère
de la Comédie-Française
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Jacques Anglade
26 janvier 2012
Faire du vitrail, est-ce faire de la peinture ?
sonnance avec la culture de leur époque. On
Composer des vitraux exige une bonne
situe trop souvent le vitrail dans le passé, mais
connaissance des techniques picturales. C’est
heureusement la technique du verre fusionné a
une extension de la peinture sous un angle
relancé notre activité.
du bois. Mais, au-delà, c’est une défense et illustration du dessin,
monumental. J’ai eu la chance de suivre une
Nous travaillons avec les particuliers. Ils nous
formation artistique complète à l’école des
et du document graphique, sans lequel rien n’advient.
aident à vivre de notre métier. On travaillait
métiers d’art : apprentissage de la couleur, du
beaucoup avant pour les cages d’escalier. Cela
Du croquis initial, où se synthétisent les exigences de la structure,
dessin, de la perspective, de l’histoire de l’art,
a totalement disparu. Il n’y a plus rien. D’ail-
en matière de portée, mais aussi en termes de confort thermique,
etc. Au fil de l’expérience, on essaye dans son
leurs, les bâtiments modernes font peur ! Les
parcours professionnel d’affirmer sa propre
écoles sont vides de tout élément décoratif,
acoustique, lumineux, aux éléments du dossier de consultation, où il
démarche artistique. En cas de commande
vides de sens. Le temple du savoir n’a plus au-
publique, il y a plusieurs types d’interventions
cune image. C’est sans doute pour cela qu’il y
entreprises, en premier chef aux charpentiers…
pour la réalisation de vitraux. Les artistes pro-
a tellement d’agressivité à l’école. Il est temps
cèdent généralement de deux manières : celle
que l’on revienne à la valeur humaine dans les
A chaque phase, le dessin, le tracé sont les outils les plus adaptés.
que j’utilise et qui consiste à prendre en charge
bâtiments. Il est temps de réhabiliter l’orne-
la totalité de l’intervention : conception, réali-
mentation. La tendance semble vouloir s’inver-
sation et pose des vitraux dans l’édifice ; l’autre
ser et le XXIe siècle deviendrait alors la renais-
manière est celle d’artistes plasticiens qui n’ont
sance des arts décoratifs et du sacré, dans son
pas les compétences techniques du maître ver-
sens le plus universel.
La présentation qui va suivre est une défense et illustration de l’usage
s’agit de transmettre le plus complètement possible ces intentions aux
Du dessin au chantier
«Plus que les constructions récentes, les maisons
L’usage du bois
aux couleurs usées par le temps avivent la fraî-
Rappelons d’abord quelques principes simples,
cheur des jeunes feuilles.» (Kawabata Yasunari,
qui concourent à faire progresser l’usage du
Kyoto)
bois aujourd’hui :
Il nous enseigne, en face des vaines prétentions
rier et qui travaillent en partenariat avec l’atePouvez-vous nous donner une idée de prix pour
lier de vitrail désigné.
un vitrail ?
Existe-t-il un organisme ou un syndicat qui pro-
Cela dépend du travail. Plus le vitrail est élabo-
meut le vitrail civil ?
ré, plus son budget est conséquent. Il faut éga-
Il existe un syndicat des maîtres-verriers de
lement ajouter les frais de déplacements et la
France. On n’est pas nombreux. On a subi la dé-
pose du vitrail sur place dans l’édifice. Mais on
saffection de la commande publique. Jusque
peut facilement s’offrir un vitrail d’un format de
dans les années 1950, il existait encore de
100 x 50 cm pour une somme de 1000 euros par
grands ateliers avec de nombreux employés.
exemple. En résumé, il faut compter entre 1500
Aujourd’hui, la taille de ces ateliers est très ré-
et 4000 € le m2. Pour le prix d’une télévision, on
duite. On ne maîtrise pas du tout le marché,
peut avoir un vitrail chez soi ! Et cela dure des
on est tributaire de la commande publique.
siècles.
Chacun d’entre nous fait sa promotion afin de
• L’utilisation du bois donne une valeur à la forêt, contribuant à son renouvellement.
• Un m3 de bois stocke environ une tonne de
carbone, la mettant à l’écart du cycle du car• Le bois est un matériau recyclable avec peu
d’énergie (exposition «N’en jetez plus»1).
Le Fusing, technique moderne de verre
fusionné, Ulisséditions, 2009
Vitrail en fusion, Musée du Vitrail, 2002
Vitrail et Vitriol, Musée du Vitrail, 1997
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Le plan de l’exposé s’inspirera des Leçons Américaines d’Italo Calvino.
Dans ce texte consacré à la littérature contem-
• Peu conducteur, il permet d’éviter facilement
poraine, l’écrivain énonce, dans un Aide-mémoire pour le prochain millénaire, six valeurs,
qu’il s’attache à illustrer par des exemples pris
dans la production littéraire:
Au-delà, et c’est à mon sens le plus important,
• légèreté
le bois est un maître à penser : les valeurs qui
• rapidité
président à son usage sont celles-là mêmes
• exactitude
sur lesquelles peut s’appuyer une société
• visibilité
éco-responsable : équité, environnement, et
• pluralisme
bien sûr économie :
Thierry Gilhodez
a n s
• Le bois est un matériau à faible énergie grise.
• Enfin, produit en France en grandes quanti-
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par des architectes comme Kengo Kuma.
Exemples
tés, c’est le matériau local par excellence.
136
vertus de la fragilité, revendiquées aujourd’hui
bone.
les ponts thermiques.
montrer que nous sommes des artistes en ré-
à l’immortalité des constructions humaines, les
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• consistance.
Il nous enseigne que l’entretien est le meilleur
De la même manière, j’essaierai d’illustrer com-
moyen de faire durer les choses, quand la fa-
ment le bois peut répondre à ces préoccupa-
brication de substances inaltérables a, en cin-
tions (même si je me permets d’entendre les
quante ans, altéré durablement les ressources
mots de façon un peu différente), pour élaborer
Jacques Anglade
communes.
une architecture de bois contemporaine.
Un charpentier épris
Il nous montre que le passage du temps peut
Le mot «contemporain» est vu ici comme une
d’architecture et qui aurait un
embellir les surfaces et les ennoblir.
réponse, avec les moyens d’aujourd’hui, aux
diplôme d’ingénieur.
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Chai, La Bastide-d’Engras
Architecte : G. Perraudin
spatiale porte à l’aide de la géométrie plissée,
évitant ainsi les grosses sections de poutres
droites.
L’école La Venelle à Épinay-sur-Seine : une résille de petits bois, comme transition entre les
arbres et la structure.
Des salles d’arts martiaux, à Voiron, où la technique d’arcs butant sur une sablière massive a
été empruntée aux églises du Moyen Âge.
En renversant la voûte, on obtient la chaînette,
trois cordes à sauter pour le préau de la Maison
de l’Enfance de La Talaudière.
Dans ce chai, à La Bastide-d’Engras, la massivité des pierres joue avec celle du bois : si tout
cela ne pèse pas, c’est peut-être une question
de grâce.
Avec Gilles Perraudin également, la Maison des
Vins de Patrimonio, qui joue avec les registres
de la pierre, du bois, mais aussi de l’acier, et des
questions qui se posent aujourd’hui. Une de
reusement, la règle.
ces questions est la recherche de matériaux
Répondant à ces impératifs, par la préfabrica-
permettant un développement durable : le
tion, le bois a permis, au terme d’une prépara-
bois, matériau renouvelable, recyclable et non
tion minutieuse aussi bien chez le charpentier
polluant est à cet égard un matériau d’avenir.
que dans le bureau d’étude et en utilisant le
Cet atout ne serait rien si son usage restait
levage de structures préfabriquées au sol, de
confiné dans les typologies et les techniques
répondre, non seulement à la question des dé-
d’hier (le chalet, le portique lamellé-collé, la
lais, mais aussi à celle de la sécurité, sur trois
charpente traditionnelle).
chantiers comme le gymnase de Veynes, le
Élargir le champ d’application et faire évoluer
gymnase Albalate à Vénissieux et la maison des
le langage du matériau, voilà la tâche que nous
arts martiaux à Tarbes.
nous sommes donnés, architectes, charpen-
Préparation des plans, assemblage et levage
tiers, ingénieurs : il s’agit bien, ensemble, de
des structures préfabriquées nécessitent par
faire parler au bois des langues nouvelles.
ailleurs un soin minutieux, pour lequel je fe-
Deux qualités éminentes du bois, tactilité et
rai éloge de la lenteur, celle qui a prévalu à la
légèreté, doivent nous guider, au-delà des
pose des éléments du préau Corneille à Ver-
contraintes de toutes sortes pesant sur la
sailles, combinant bois empilés et fermettes
conception d’un ouvrage. Tâchons de retrou-
rapprochées, l’ensemble réalisé à partir d’un
ver, in fine, ces qualités primordiales.
choix restreint de sections, sur le thème du jeu
d’enfant.
La rapidité encore une fois de mise, pour la
Différentes expressions de la légèreté…
salle éphémère de la Comédie-Française, où
À Mariac, une passerelle, qui n’est que passage,
panneaux de parois, fermes, et toitures étan-
constituant un centre ville, sans être LE centre
chées permettent d’obtenir en peu de temps le
de la ville…
hors-eau dans un site exigu.
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Exactitude (au sens d’économie)/rêverie
civil, bâtiment agricole, bâtiment industriel, logements sociaux, etc., le bois trouve sa place :
• dans l’atelier Martigniat à Firminy, aux grandes
étagères,
venteurs du cinéma. Le gymnase du lycée Lu-
• pour un pont routier à Barnas, avec une nouvelle interprétation du dos d’âne,
• pour les ateliers et bureaux d’Arcadie à Alès
nord qui dispense sur la grande salle lumière
• à la halle festive de Valleraugue, toute en
et vue sur le bois de pin situé au nord, d’autre
bois massif. Ici l’exactitude prend place dans
part, en faisant reposer tout le projet sur des
le processus d’optimisation : la conception
cadrages successifs.
résultant plutôt d’une certaine rêverie.
La structure du kiosque Aimé Césaire à Cornil-
Aujourd’hui, l’économie d’énergie prend le pas
lon est présente et cachée à la fois : les plis sont
sur toute autre.
portés par un treillis dont seul le tirant est ma-
Plus que de construire, notre mission sera bien
térialisé, diagonales et membrure supérieure
souvent un travail d’emballage de l’existant,
étant constituées par les plis eux-mêmes et le
comme pour l’extension-réhabilitation du col-
plateau supérieur.
lège La Forêt de Saint-Génix-sur-Guiers.
g a r d
Arcadie, Alès
Architecte : J-J. Johannet
Pluralisme/unité
Le mot peut être entendu comme :
• pluralisme
des solutions structurelles :
des règles de la conception des structures en
comme vu plus haut, nous nous attachons
bois. La bonne durabilité du bois dans les in-
à produire un grand nombre de variantes,
cendies permet d’éviter les faux-plafonds, cou-
concevant notre rôle d’ingénieur, non
rants dans les bâtiments à structure métallique.
comme celui d’un vérificateur, mais bien
Alors peuvent se lire :
comme celui d’ un concepteur, aux côtés des
• des portiques, au Centre nordique à Bessans,
• un système poteau-poutre pour les labora-
architectes.
• pluralisme des matériaux : l’usage du bois
toires INRA de Nancy,
dans des constructions mixtes fait se cumu-
• des fermes, pour le dojo d’Artenay.
ler les qualités du matériau avec celles :
Ailleurs, l’illusion est recherchée : une partie du
• de l’acier : structure mixte pour la passerelle
système porteur est «hors-champ» :
et accueil à Superdévoluy,
• la poutre treillis primaire, de section trian-
• structure acier, habillage bois pour la passe-
gulaire, est, dans le boulodrome de Varces,
relle au-dessus de l’étang de Thau au centre
entièrement cachée par des plafonds réflé-
thermo-ludique de Balaruc,
chissants.
• du béton et de l’acier : pour les collèges de
Le cadre porteur du shed central, en treillis,
est caché, seuls les plis en bois, qui suivent le
Varces et Gap,
dans la demi-pension du collège de Clamecy.
Claires de Grenoble,
• de la pierre, de l’acier et du bois à l’école
La toiture centrale de la crèche de Saint-Didier-
Jean Carrière à Nîmes
de-Formans, est revêtue de stuc, comme un
• du béton encore, pour des raisons phoniques
immense réflecteur. «Je ne saurais jamais assez
cette fois, à la Maison de la musique de Crolles,
parler de la lumière, parce que la lumière est très
avec des billes d’argile à l’auditorium du
importante, parce que la structure fait vraiment
Pontet.
la lumière. Quand on décide de la structure, on
• du bois, de l’acier, et de la toile enfin pour le
décide de la lumière».2
1 0
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Kiosque A. Césaire à Cornillon.
Architecte : J-J. Johannet
• du béton : en chantier, au lycée des Eaux-
même dessin, sont apparents, et absorbants
CIRCa d’Auch.
Lumière est aussi le nom des cinéastes, et in-
d u
mière à La Ciotat leur rend doublement hommage. D’une part, grâce à un belle orientation
Visibilité/illusion
La rapidité de mise en œuvre devient, malheu-
a n s
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La lisibilité des efforts dans la structure est une
Rapidité/lenteur
1 0
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Dans des contextes d’économie extrême : génie
eaux courantes.
138
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Comédie-Française
Architecte : Atelier Perrot ACMH
Le marché couvert de Tarare : la charpente
Légèreté/pesanteur
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• pluralisme des essences : les bois résineux (sa-
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École Jean Carrière à Nîmes
Architecte : Tectoniques
dans le hall, avec le même enjeu acoustique. Les
brise-soleil flottent entre sol et terre.
Des villes (re)désirées
Manuelle Gautrand
Coda
9 février 2012
Deux projets récents et un hommage :
• Le nouveau collège de Blénod-lès-Pont-àMousson assiège l’ancien, qui, une fois détruit,
pin, épicéa, douglas, mélèze) sont utilisés dans
la plupart des réalisations.
Mais diverses considérations : usage des matériaux locaux, durabilité sans traitement, expression enfin, font passer outre les difficultés
(nervosité, coulures de tanin, etc.), que peut
poser l’usage d’autres essences : l’eucalyptus à
Barra do Sahi, au Brésil, le châtaignier, formant
passerelle à Ajoux, en ombrière à Bron, et en
belvédère sur la vallée de l’Eyrieux.
Au- delà de ce pluralisme des solutions, il y a un
souci d’unité dans chaque structure, qui com-
laissera les patios, en empreinte négative,
• et le village de gîtes du Mas de la Barque,
en béton, pierre et bois,
font référence, à leur manière, à l’architecture
japonaise :
des horizontales, par la simplicité des volumes
est de renouveler son regard, chaque fois. Et d’avoir, pour chaque
construits, par la combinaison de nappes de
commande, toujours moins d’a priori.
bois contigües :
«Persiennes basses et feux éteints, la maison de
l’auvent de bois léger l’alignement des chevrons
par la recherche de structures composées par
tient comme un rang de rames égales pour l’en-
un seul type de section (Artenay, Versailles,
vol.» (Saint-John Perse, Amers)
Économie de moyens
Les Pygmées, parmi les premiers utilisateurs du
bois et qui sont l’un des peuples menacés par
la surexploitation des forêts tropicales, ont su
Consistance
Deux manières d’entendre le mot consistance :
• la consistance du matériau, sa couleur, sa
patine, son grain. Le bois, matériau tactile :
derrière l’écorce, la douceur des cellules
naissantes. De simples troncs passés au jet
d’eau sous pression ont un poli parfait.
On le trouve dès l’entrée, puis de part et d’autre
de la scène du complexe culturel de Fontaine.
Le gymnase de Meylan met en œuvre ces bois,
sous forme de poteaux et de poutres sous-tendues, pour porter sur 30 mètres.
• la consistance d’un projet, au sens étymologique, du latin consistere : qui se tient ensemble. Le projet de l’école de Tionkwy, au
Mali, réalisé avec tous les habitants du village, est consistant : s’y trouvent rassemblés
bâtir, avec un outillage rudimentaire, et en utilisant une quantité de matière dérisoire, un abri
pour leur famille.
Les structures tissées qu’ils utilisent sont
un parfait exemple de structure spatiale : la
conception est étroitement liée au processus
de réalisation.
La rapidité de la mise en œuvre et l’économie
de matière sont associées.
Le Centre Pompidou de Metz reprend ce thème
de la structure en vannerie, mais sans l’intelligence des femmes pygmées : lourdeur, prétention, coût astronomique et gaspillage de matière sont au rendez-vous.
Il nous faut essayer de repasser de l’âge de la
Rolex, à celui du cadran solaire ■
la volonté de donner un toit à cent enfants et
à leurs maîtres, le désir et le plaisir d’œuvrer
(1)Une exposition-atelier à destination des jeunes visiteurs, réalisée par
la Cité de l’architecture et du patrimoine, en écho à l’exposition «Habiter écologique. Quelles architectures
pour une ville durable ?».
(2) Kahn, Louis I., Silence et Lumière,
Le Linteau, p.184.
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ensemble, la plus stricte économie, le souci
En conclusion de la présentation des projets de
de durabilité dans un environnement hostile
Jacques Anglade, on peut souligner l’impor-
(chaleur, poussière, termites), l’exigence de
tance de sa démarche : le projet est pensé en col-
confort : faux plafond en nattes de mil, ther-
laboration avec l’architecte dès les premières es-
mique et phonique.
quisses. Cela permet de rechercher des solutions
Le collège de Chatte reprend les mêmes élé-
constructives innovantes et d’optimiser l’utili-
ments dans les classes : toiture froide ventilée,
sation du bois. Ce croisement de compétences
et plafond tissé, cette fois avec un jeu dense de
entre ingénieurs et architectes, trop longtemps
solives croisées. Le thème du tissage se retrouve
séparés dans la phase esquisse, est essentiel.
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novateurs en France et à l’étranger.
spécialiser, afin de pouvoir aborder tous types de projet. L’important
assemblages dans un ensemble de nappes
Gymnase de Meylan
Architectes : Roda, Klimine, R2K
Lille Métropole, Manuelle Gautrand multiplie les projets ambitieux et
• le monastère à Ohara, près de Kyoto.
Par le recours au simple jeu des verticales et
boiserie navigue comme une trirème, et sous
G. Albalate, etc.)
Étienne, la restructuration et l’extension du musée d’Art moderne de
L’une des grandes lignes directrices de son parcours ? Ne pas se
celui d’une seule essence de bois, se poursuit
«tissées» entre elles (Ajoux, Varces, Gap, GAP,
à la Gaîté Lyrique à Paris, en passant par la Cité des affaires à Saint-
• les écuries des Kami, au temple d’Ise,
mence par l’emploi d’un système statique clair,
Ajoux, etc.), s’achève par le souci de fondre les
De l’aménagement du nouveau quartier de Saint-Roch à Montpellier
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Préambule
Je démarre chaque projet sur une page
blanche, bien qu’un même fil conducteur
guide l’ensemble de mon travail. Le seul point
commun à tous mes projets est qu’ils se déroulent dans des sites très urbains. Là où se
pose la question de leur insertion dans l’environnement urbain. Doivent-ils s’insérer en douceur, ou au contraire réveiller le site ? Au fur et à
mesure, j’apprends à aimer les villes de plus en
plus. C’est comme un être vivant, il ne faut pas
Vitrine Citroën
l’abandonner !
Chaque maire a un rôle fondamental de mo-
sur les Champs - Élysées, Paris (2007)
dernisation de sa ville et d’écoute de ses ci-
Ce qui m’a plu dans cette commande, c’est la
toyens. On doit la soigner, la faire grandir, lui
simplicité du programme du client. Une simple
panser ses plaies parfois. Une ville demande
lettre développait l’ambition du groupe mais
une attention permanente. Le risque d’une ville
laissait aux différents concepteurs une énorme
qui s’endort, c’est que dix ans après, il faudra
marge liberté. Le souhait du client était de
redoubler d’efforts. Il faut voir la ville comme
créer un bâtiment renouant avec le passé de
Manuelle Gautrand
un espace qui traverse bien plus que les décen-
la marque et permettant de se projeter dans
est architecte depuis plus de vingt
nies, des siècles. Une ville qui n’a pas fait l’ob-
l’avenir, dans une ambition très innovante. Il
ans. Elle a créé son agence à
jet d’attentions régulières s’étiole et se meurt...
souhaitait une architecture très contemporaine
Paris en 1991. Ses réalisations les
Toutes les villes où j’ai pu travailler sont des
qui mette en scène et exprime, en trois dimen-
plus remarquées comprennent
villes qui ont des processus de croissance lents,
sions, l’esprit de la marque Citroën. C’était un
des immeubles de logements
mais dont certaines, comme Lille, font preuve
projet passionnant. Il y avait à la fois la décou-
et des bâtiments administratifs,
d’un incroyable dynamisme depuis vingt ans,
verte d’un quartier et celle du monde industriel
commerciaux ou culturels. Elle
et qui, aujourd’hui, atteignent le niveau de ca-
du client. Le site est minuscule : une parcelle de
travaille principalement en France
pitale européenne.
300 m au sol à peine.
et aussi à l’international.
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Cité des affaires,
Saint-Etienne (2010)
Je voulais que le projet soit puissant. Il n’y a
anciens parce que les Français ont un peu peur
que deux idées fortes. La première est de faire
de la modernité. Ils ont du mal à assumer une
en sorte que l’enveloppe du projet, la volu-
écriture très contemporaine, comme ici, à côté
métrie générale, toute la peau du bâtiment,
d’un bâtiment haussmannien. Les architectes
«raconte » le logo de la marque, sans avoir à
des bâtiments de France avaient interdit la pré-
écrire le nom Citroën. C’est un double chevron
sence de la couleur en façade. Les films rouges
dont le modèle a été développé au début du
à l’extérieur sont doublés par l’extérieur de
XXe siècle, le premier principe d’engrenage qui
films blancs translucides qui font que la cou-
faisait fonctionner le moteur. La seconde idée
leur n’apparaît pas du dehors mais se découvre
est de consacrer l’intérieur du bâtiment aux
du dedans.
voitures. J’ai voulu montrer beaucoup de voi-
Chaque fois, il faut être respectueux du patri-
tures même si l’espace est tout petit, quitte à
moine de nos villes. Mais cela doit fonctionner
leur laisser plus de place qu’au public, afin qu’il
dans les deux sens. Une ville doit accepter la
en ait plein les yeux ! Quoi de plus important
modernité. Car l’architecture contemporaine
pour une marque automobile que de montrer
sera, pour partie, des morceaux du patrimoine
les modèles, en particulier les concept-cars ?
de demain. Je pense qu’une ville a besoin d’ar-
On a créé, au centre du bâtiment, une sorte de
chitecture contemporaine pour montrer qu’elle
sculpture, un «arbre à voitures», de 30 mètres
évolue et ne s’installe pas dans un passé figé.
de haut, qui contient huit «tournettes», des
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plateformes circulaires où se trouvent les voi-
Cité des affaires, Saint-Etienne (2010)
tures. Le public circule autour de l’arbre, sur
Ce projet a bousculé son quartier. Saint-Etienne
des escaliers et des passerelles.
est une ville qui rencontrait des difficultés éco-
Le contenant raconte le logo et le contenu ra-
nomiques. Elle se pose beaucoup de questions
conte le produit. C’est à partir de là que s’est
sur son renouvellement urbain, tour à tour
bâti tout le projet. Toute la structure métallique
soucieux du patrimoine, ou, comme ici, dans le
du bâtiment a été enveloppée. Elle disparaît
quartier de la gare, très contemporain, pour an-
derrière un travail sur les matières, tout en dou-
ticiper le renouvellement urbain sur une ving-
ceur, en clarté et en légèreté, à l’image de ce
taine d’années. Le site paraissait assez ingrat.
que souhaite Citroën : transmettre le confort, la
Le quartier est hétéroclite avec une densité plu-
douceur et la légèreté.
tôt faible. L’objectif du projet était de constituer
J’ai créé une sorte de façade plissée, comme
la locomotive du devenir de ce quartier. J’étais
un origami de verre où l’on passe d’un chevron
la première à devoir anticiper la future densifi-
très littéral à des chevrons qui s’émancipent et
cation. Le programme était très dense, environ
se déforment.
25 000 m2 de bureaux sur un petit terrain. On
Sur les plateformes de la tournette, j’ai créé
ne savait pas au départ quel type de bureaux
des sous-faces facettées en miroir. Elles dé-
allait abriter le bâtiment. Aucun des futurs usa-
doublent le nombre de voitures et leur donne
gers, de la Direction départementale de l’Équi-
une image moins littérale, en offrant certains
pement, des services fiscaux, aux bureaux de
détails des véhicules. L’intérieur du bâtiment
Saint-Etienne Métropole, ne connaissait ses
est entièrement blanc, pour rendre hommage à
besoins en terme de surfaces. On a dû non seu-
la luminosité des modèles de Citroën, en terme
lement travailler sur un projet qui anticipait un
de forme, de matière et de transparence.
nouveau quartier, mais en plus, sur un projet
Ce projet témoigne de la question toujours
destiné à des usagers qui ne savaient pas bien
délicate pour un architecte de travailler dans
ce qu’il leur fallait. J’ai donc imaginé un projet
des villes, européennes en particulier, qui pos-
très flexible. Mon arrière-pensée était d’envisa-
sèdent un patrimoine architectural exception-
ger le bâtiment comme une seule volumétrie
nel. On doit trouver notre place en tant que
continue, avec un principe de vases communi-
créateur et architecte des XXe et XXIe siècles. Il
quants. Cela permettrait à un utilisateur, quand
est toujours difficile d’intervenir sur des sites
il aurait besoin d’augmenter ses mètres carrés,
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de se déplacer facilement. Au final on a pu gé-
Extension du LaM, Lille Métropole Musée
lu masquer les distinctions entre de grandes
rer ainsi la variation des demandes.
d’art moderne, Villeneuve-d’Ascq (2009)
baies vitrées et le béton percé, en créant des
L’autre enjeu était de pouvoir gérer la densifi-
Le musée a été construit dans les années 1990
fondus-enchaînés entre les parties pleines et
cation du quartier sur un terrain tout petit. On
à Villeneuve-d’Ascq par Roland Simounet. C’est
les parties vitrées.
a choisi de ne pas faire un bâtiment fermé mais
un projet moins urbain que les autres, situé
Dans mon extension comme dans le bâtiment
poreux. On a créé trois portes, ce qui rend l’îlot
dans un parc en périphérie de la ville. C’est
originel de Simounet, on ne peut jamais vi-
transparent, avec des promenades piétonnes
l’une des dernières œuvres de Roland Simou-
sualiser, en un seul clin d’œil, la totalité des
qui le traversent en tous sens, avec une grande
net, inscrite aux Monuments historiques en
œuvres. Les volumétries décrivent des sortes
cour intérieure en longueur d’où l’on peut re-
2000. La conservatrice a milité pendant dix ans
de méandres, afin que le parcours soit tout en
joindre les différentes rues. Il y a beaucoup de
pour que le musée accueille une magnifique
lenteur et que l’on ne découvre pas d’un seul
perspectives visuelles. Dans sa partie basse, la
collection d’art brut, précisément pour articu-
coup cinquante œuvres, ce qui pourrait provo-
volumétrie du bâtiment est vraiment contex-
ler cette collection avec l’art moderne et l’art
quer un sentiment de rejet. A chaque extrémité
tuelle par rapport aux bâtiments riverains, et,
contemporain. Cette articulation doit montrer
des salles, un espace de respiration est prévu.
en partie haute, elle ne l’est plus, mais elle offre
les points communs et surtout en quoi l’art brut
Une cimaise permet de retrouver la lumière na-
de grandes portes que l’on peut traverser pour
a été une source fabuleuse d’inspiration pour
turelle et le public peut s’y ressourcer avant de
maintenir ses liens avec le quartier. Le chantier
les artistes du XXe siècle. Elle souhaitait une
découvrir une autre salle.
est conçu pour moitié comme un bâtiment
fusion entre ces trois formes d’art. En 2000, un
Le projet était aussi une restructuration lourde
classique et pour l’autre moitié comme un ou-
concours a été lancé pour réaliser l’extension
vrage d’art. Ce qui donne un cachet tout parti-
du musée qui devait abriter la nouvelle collec-
culier à l’intérieur des bureaux.
tion.
La densité à l’intérieur de l’îlot me faisait peur
Le site étant classé, l’architecte des Bâtiments
car j’accorde beaucoup d’importance à la lu-
des Monuments historiques. Les salles sont en-
connexions entre l’ancien et le neuf, etc.
tièrement refaites et l’on ne voit absolument
Le bâtiment est essentiellement en rez-de-
pas notre «patte». On a retrouvé l’écriture archi-
de France a donné des contraintes très fortes.
chaussée. Une grande forme vient envelopper
tecturale originelle de Roland Simounet.
mière naturelle dans les bureaux comme par-
Il ne voulait absolument pas que l’extension
le bâtiment existant. Elle abrite cinq salles d’art
tout, à la manière de la capter pour faire en
vienne toucher le bâtiment originel. J’ai trouvé
brut en connexion directe avec les collections
Origami building,
sorte qu’elle irradie. Je redoutais le vis-à-vis
cette mise à distance très cruelle, par rapport
d’art moderne, d’art contemporain et les expo-
un immeuble de bureaux,
également. L’idée a été de travailler sur l’inté-
à l’œuvre de Simounet - que je trouve faite
sitions temporaires. Le parcours est conforme
avenue de Friedland, Paris (2011)
riorité. On a traité ces espaces avec une couleur
de modestie et de simplicité -, mais aussi par
au vœu de la conservatrice qui souhaitait faire
La commande était délicate. Le maître d’ou-
jaune. Je voulais une couleur vive, claire et
rapport à l’art brut qui allait se retrouver dans
en sorte que le public se promène entre ces
vrage, une grande foncière, souhaitait faire
gaie. C’est un peu comme un soleil artificiel qui
un pavillon à part. C’était pour moi un grand
trois formes d’art, sans trop sentir de rupture.
6 000 m2 de bureaux destinés à un siège social.
revêt tous les murs et qui crée à l’intérieur des
dilemme.
L’enveloppement était pour moi aussi une
C’est une très belle avenue, dans le «Triangle
bureaux une atmosphère assez spectaculaire.
Je me suis plongée dans l’œuvre de Roland
manière d’exprimer mon amour pour ce bâti-
d’Or» parisien, avec des immeubles haussman-
Véritablement, le jaune donne une lumière
Simounet. Il disait que les projets devaient se
ment. Au lieu de se tenir à distance, le fait de
niens remarquables. Haussmann avait pour
plus forte, une chaleur et une convivialité.
couler sur le site. Il y avait une grande délica-
l’envelopper, comme deux bras ouverts, est un
commande de faire un immeuble contempo-
L’idée était aussi de donner un aspect domes-
tesse dans ses propos. J’ai estimé qu’une mise
prolongement des propos de Roland Simou-
rain qui reprenne la pierre comme matériau
tique à cette rue intérieure. Il n’apparaît jamais
à distance n’était pas du respect vis-à-vis de
net : se couler sur un site, de manière simple et
premier, afin de ne pas créer de rupture dans
en façade extérieure. Cela lui donne un côté
son architecture, mais plutôt une forme de mé-
rustique, sans monumentalité...
cette avenue assez homogène.
attractif pour les gens du quartier qui repèrent
pris. Et vis-à-vis de l’art brut, ce n’était pas pos-
Il y a eu un énorme travail sur les bétons. Je n’ai
Nous sommes partis sur l’idée d’un pliage en
les portes. Je pense que la couleur apporte un
sible ! Le lien serait rompu. Cela allait complè-
pas repris le travail sur les briques. Mon propos
marbre translucide qui viendrait se poser sur la
aspect intime à un bâtiment dont les façades
tement à contresens du souhait pédagogique
a été de reproduire ses échelles volumétriques,
façade principale. Longue et très belle, située
montent jusqu’à trente mètres.
de la directrice du musée. J’ai donc décidé de
un séquençage vertical régulier que j’ai réin-
en partie haute de l’avenue, elle offre une vi-
Le site donne sur plusieurs carrefours. Il était
faire une réponse à contre-pied et d’envelop-
terprété par une architecture qui se plie et se
sion exceptionnelle de Paris et ses monuments,
important de le laisser transparent et de faire
per le bâtiment de Roland Simounet dans une
replie. J’ai fait du béton le médium principal
la Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe, le Sacré-Cœur.
en sorte que les publics puissent traverser l’îlot
grande forme fluide qui comporterait tous les
de mon architecture. Il est travaillé en mou-
Elle est orientée plein sud.
sans jamais avoir besoin d’en faire le tour. C’est
espaces d’art brut.
charabieh et en bas-relief, en hommage aussi
Le bâtiment est respectueux de l’environne-
une architecture pleine de reflets, très lumi-
A l’agence, nous travaillons énormément avec
à l’œuvre de Simounet qui a beaucoup travaillé
ment. Les besoins en énergie ont été mini-
neuse et gaie. Elle irradie. Le bâtiment capte
des maquettes. Nous réalisons toutes les idées
en Afrique du Nord.
misés. Je ne voulais pas le faire au détriment
des vues très différentes sur tout le quartier.
en maquettes avant de les tester en 3D, en
L’art brut est un art fragile, réalisé le plus sou-
des belles vues, ce qui aurait fait perdre au
Les bureaux possèdent des vues sur la ville très
plans, en coupes. C’est un outil d’une extrême
vent sur la base de matières recyclées. Elles ne
bâtiment sa position en belvédère. Le choix a
différentes selon leur situation.
souplesse qui permet d’aller très vite et de tes-
supportent pas la lumière naturelle. J’ai vou-
été fait d’une façade entièrement vitrée, et par
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de l’existant. J’ai travaillé comme un architecte
LaM, Lille Métropole
Musée d’art moderne,
Villeneuve-d’Ascq (2009)
ter : par rapport à l’échelle, aux matériaux, aux
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Origami building, Paris (2011)
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La Gaîté Lyrique,
Paris (2010)
devant, d’installer le pliage de marbre. Il commence à raconter l’inscription du bâtiment
de dispositifs de scénographie qui font qu’au-
la résolution des problèmes de transport qui
dans le reste de l’avenue, très minérale.
jourd’hui, les artistes sont très enthousiastes.
compensera l’étalement urbain. Il faut avoir le
Le marbre est mis en œuvre de manière pel-
Le bâtiment est un outil technologique et
courage de se poser la question de la densifi-
liculaire dans un feuilleté de verre. Il est donc
flexible pour que n’importe quel artiste puisse
cation de certains quartiers de Paris, de se dire
translucide. De nuit, on a une vue diaphane
y exprimer et réaliser ses plus grands rêves.
qu’une tour est forcément une réponse lors-
du bâtiment. Ce marbre légèrement gris-beige
Beaucoup de dispositifs technologiques ont
qu’elle apporte une soudaine densification. À
ce parc d’attractions n’a été ouvert qu’une se-
été installés. Un cinquième du montant des
côté de cela, elle permet de laisser des espaces
chaude lumière. Le pliage du marbre est irrégu-
maine. Le lieu est resté vide pendant quinze
travaux est dédié à l’innervation du bâtiment
libres généreux.
lier. Il crée plusieurs endroits très sculptés, sur
ans et s’est dégradé. On a eu deux ans et demi
en multimédia, en voix, en images, en données.
Le quartier de la Défense est cinq fois moins
cette façade longue de 35 mètres. Au final, on a
de travail pour démolir le parc d’attractions
Le bâtiment est comme un corps que l’on peut
dense que le VIIIe arrondissement de Paris, où
des vues très généreuses et ce filtre de marbre
et purger le bâtiment avant de démarrer la
piloter à distance depuis les plateaux d’artistes
on n’a pas de tours, mais une grande densité,
donne de l’intimité aux bureaux. Le travail sur
construction du nouveau programme.
du haut.
donc très peu d’espaces verts et un accès au
la cour intérieure est tout autre, avec une am-
Le projet était d’installer un lieu dédié aux
La flexibilité du lieu a été imaginée également
ciel assez limité. Et si le quartier de la Défense
cultures numériques. Une plateforme artis-
à partir de petits mobiliers qui peuvent se
n’est pas forcément une réussite, on profite au
tique regroupant le son et l’image, mais aussi
mouvoir dans le bâtiment, nommés les «éclai-
moins de l’air, du ciel et du soleil. Aujourd’hui,
La Gaîté Lyrique, Paris (2010)
toutes les pratiques culturelles actuelles, le
reuses». Elles possèdent leur propre monte-
la politique de La Défense est la densification.
En tant qu’architectes, nous avons pu, pour ce
multimédia, les performances, le cinéma, la
charge et peuvent se déplacer d’un étage à
Sur ce projet de tour de 300 mètres de haut, je
projet, travailler sur le programme. Personnel-
danse, etc. La Ville de Paris souhaitait en faire
l’autre. Il y a des modules multimédia, bar,
me suis posé de nombreuses questions. Sur
lement, j’aime beaucoup cela. J’estime que
un lieu public de diffusion mais aussi un lieu de
vestiaire, loges d’artistes, rangement, etc. Tour
la structure d’une tour et comment la rendre
l’architecte a le droit d’avoir son regard sur la
création avec des espaces uniquement dédiés
à tour, ils peuvent scénographier les différents
respectueuse de l’environnement. La première
programmation, que la qualité architecturale
aux artistes.
espaces du projet et assurer la mobilité des
idée était de mettre partiellement la structure
n’est pas seulement la volumétrie ou la lu-
La façade est inscrite monument historique.
fonctions dans le temps.
en façade, un exosquelette structurel, permet-
mière, mais c’est aussi des qualités d’usages.
La difficulté était d’installer un programme
Quand on a un programme très détaillé, c’est
très contemporain et original qui finalement
important de le bousculer parfois, d’avoir un
donne, à l’intérieur des bureaux, une belle et
biance d’intériorité complémentaire au reste.
tour de 25 %, ce qui représente une économie
n’a pas le droit de sortir dehors, de s’exprimer
un projet non lauréat...
de moyens énorme. Cela m’a permis d’expri-
vrai regard critique sur des usages et des pro-
en façade puisqu’ elle est protégée, comme
Ce projet est le premier concours de tour que
mer la structure de cette tour. J’avais envie de
grammations qui sont souvent très classiques
les deux foyers vestibules. On entre par un lieu
j’ai fait… Et que je n’ai pas gagné !
magnifier cette structure, de la montrer aux ci-
et ne font que reproduire des manières de
qui fait partie de l’histoire et après, on pénètre
Il y a beaucoup de débats sur la question des
toyens presque de manière pédagogique, car
fonctionner de bâtiments anciens. J’attache
dans les lieux restructurés ou reconstruits.
tours et de la hauteur à Paris et dans d’autres
une belle structure cela peut être très beau !
beaucoup d’importance à renouveler la pro-
Le projet est conçu autour de trois salles de
villes françaises. Je voudrais en profiter pour
Cela m’a permis aussi de protéger les façades
grammation et à faire en sorte que chaque
spectacle. Autour, les lieux sont très flexibles et
dire que je trouve très dommage que des
vitrées tour à tour par un filtre solaire dense sur
bâtiment possède un usage anticipant l’évolu-
simples, avec des plafonds techniques, des sols
hommes politiques et des experts de tous
les façades sud et moins dense sur les façades
tion des modes de vie. J’essaye d’avoir un vrai
en béton. Sur chaque niveau, les salles d’expo-
bords se permettent de dire qu’une tour dans
nord. Cela offrait une intimité dans les bureaux
travail analytique et scientifique pour faire en
sition sont identiques. Elles peuvent s’adapter
une ville est une aberration. Il ne faut jamais
et protégeait les usagers, en évitant que l’on
sorte que les programmations anticipent nos
et se transformer en foyer d’accès aux salles, en
avoir d’a priori. Cela dépend du site, du pro-
soit projeté dans la vue, avec une impression
futurs modes de vie et qu’elles conservent une
espace de travail, etc.
gramme, de la ville, d’un tas de choses. Je
de vertige parfois.
part de flexibilité énorme. Le plaisir, ici, était de
Le foyer historique du deuxième étage a été
pense qu’il est très dangereux de critiquer une
J’avais dans la tête la Tour Eiffel comme source
travailler sur un marché de définition et pas un
complètement réhabilité. On ne l’a pas pasti-
architecture juste en jugeant de sa forme. Une
d’inspiration. Une tour sous laquelle on passe
concours. La Ville de Paris attendait à la fois un
ché, on a gratté pour retrouver le décor d’ori-
tour est forcément une réponse dans certains
et qui donne beaucoup d’émotion. J’avais en-
travail architectural et un travail de program-
gine, parfois abîmé. Cela donne une ambiance
cas, dans d’autres cas elle ne l’est pas. Mais
vie que, ponctuellement, le projet soit monu-
miste. Dans mon équipe j’avais de nombreux
romantique, fellinienne, très appréciée. On
jamais je n’aurai l’a priori de dire qu’une tour
mental, que l’on sente le poids de la tour qui
consultants : programmistes, spécialistes des
s’est permis une installation contemporaine,
dans Paris est une aberration. Il faut toujours
vous dépasse et vous surplombe. Dans cet
musiques actuelles, d’art numérique, etc.
des dodécaèdres, en résine translucide. Ils ac-
savoir se remettre en cause et se questionner.
exosquelette, il y a un très gros travail de per-
e
La Gaîté Lyrique était un ancien théâtre du XIX
compagnent le public dans tous les espaces.
A Paris, l’étalement de la ville (au sens du Grand
cements en partie basse car ce sont de très
siècle, démoli dans les années 1980 pour en
Ils forment des assises, des bornes d’accueil,
Paris, de l’Île-de-France) est énorme. Il y a cer-
grandes fenêtres urbaines. Plus on monte, plus
faire un lieu d’attraction, sorte de Disneyland,
des guides dans les différents lieux. Les grands
tainement plus d’un tiers de la population du
les percements se délitent et s’affinent pour
qui s’est soldé par la démolition de la magni-
lustres sont des supports potentiels d’œuvres
Grand Paris qui fait plus d’une heure et demi
passer d’une échelle urbaine à celle de l’intimi-
multimédia. On a mis en place énormément
de transport en commun par jour. Ce n’est pas
té des bureaux.
fique salle à l’italienne. Un drame parisien, car
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tant de minimiser le poids de la structure de la
La tour Phare de la Défense,
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QUELQUES PROJETS EN COURS...
d’accéder au lobby de la tour. C’est là qu’on
installe tous les locaux communs, la cafétéria,
La tour Ava, Paris-La Défense (2008-2015)
le restaurant, etc., dans des échelles et des
C’est une tour de bureaux de 140 mètres,
volumes spectaculaires contrastant avec le vo-
proche du CNIT, située dans un environnement
lume plus répétitif des bureaux de la tour. C’est
très ingrat, avec un détail fâcheux : le boulevard
une architecture qui au final est plus longue
urbain de La Défense passe devant la tour, en
que haute.
viaduc.
Je pense que l’architecture est aussi un travail
Le projet a été très délicat. Je trouve qu’en tant
de scénographie dans une ville. Un bâtiment
qu’architecte, on doit, pour certains projets,
se voit à plusieurs échelles, l’échelle lointaine
être assez radical par rapport au site. On doit
et à l’approche, dans la rue, comment on entre
le remuer, le transformer à la limite, avant d’y
dans le bâtiment, comment on y est accueilli,
installer son architecture. C’est comme un oi-
etc. Le fait d’avoir travaillé sur de nombreux
seau qui fait son nid. Le contexte et sa qualité
projets culturels me donne l’envie de travailler
doivent précéder. Je n’ai pas pu imaginer plan-
sur les différents parcours, que ce soit dans la
ter une tour dans ce contexte tel qu’il était. J’ai
ville, le quartier ou à l’approche, dans la rue,
donc convaincu le maître d’ouvrage d’acquérir
comme une scénographie, comme dans un
des terrains environnants et la sous-face de
musée, en fait.
Conservatoire de musique
et de danse,
Ashkelon, Israël
La tour Ava, Paris-La Défense
viaduc. Finalement le terrain fait 200 m de long.
La Tour Phare, projet
J’ai pu alors prendre ce site à bras-le-corps.
Conservatoire de musique
Dans un premier temps j’ai fait un travail visant
et de danse,
à masquer la présence visuelle de ce boulevard
Ashkelon, Israël (2011-2014)
urbain afin que le contexte ré-acquière une
C’est une ville au sud du pays, au bord de la Mé-
certaine humanité. En fait, le projet précédant
diterranée, très hétéroclite comme beaucoup
celui de la tour est un projet tout en longueur
de villes à l’étranger. En Europe, les villes ont
qui vient se glisser sous le boulevard urbain,
une histoire millénaire et un rapport particulier
remonter sur les deux bords afin de le cacher.
à l’architecture. D’autres villes, dans d’autres
C’est seulement après cette architecture hori-
parties du monde, comme en Chine, sont mil-
zontale que le projet se développe dans la ver-
lénaires, mais elles ont un rapport différent au
ticale. Cela permet de créer une place orientée
patrimoine, sans notre envie de le conserver
sud-ouest sous un énorme porte-à-faux bien-
au fil des siècles. Ces villes sont plus difficiles
faiteur. Un parcours en intérieur permet de ne
à comprendre pour les architectes européens.
jamais deviner que l’on est sous le viaduc et
Elles peuvent avoir plusieurs centres comme
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Le système de toutes ces boîtes qui s’ac-
L’idée du projet était de créer une sorte de
crochent sur le noyau et ces terrasses succes-
socle, très perméable et très ouvert. On a vo-
sives est également là pour créer des lieux
lontairement installé des entrées sur les trois
extérieurs. Ce sont des espaces de repos, de
façades pour que le socle soit une plaque tour-
détente et de respiration pour les artistes.
nante. Il possède deux étages, le rez-de-chaus-
Il y a eu un gros travail sur l’enveloppe. Une
sée avec les entrées et la brasserie et un pre-
enveloppe en métal blanc perforé permet de
mier étage de bureaux. Les deux hôtels et les
se protéger du soleil. Les perforations viennent
logements fabriquent une volumétrie qui vient
envelopper comme un rideau de théâtre les vo-
s’enrouler sur le terrain et se replier sur elle-
lumes et rompre une certaine rudesse. De nuit,
même. Les deux hôtels occupent cinq niveaux
elles permettent une scénographie de points
et par-dessus, en pont, la dernière volumétrie
de lumière.
qui comporte les logements. L’avantage du
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projet est qu’il offre une volumétrie à l’arrière,
Ensemble mixte,
ZAC Saint-Roch, Montpellier
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au Japon, elles sont très hétéroclites. Cette
haut. Ces différentes strates s’organisent au-
ville d’Ashkelon possède de nombreux bâti-
tour d’un élément central qui est très impor-
ments assez banals. Mais la beauté d’une ville
tant.
ne se résume pas à son architecture, c’est aussi
L’idée de cet élément central est née d’une
l’énergie de ses habitants, l’appropriation des
contrainte, triste mais réelle, qui est que, de
espaces publics, comme on peut le voir dans
tout endroit d’un bâtiment public à Ashkelon,
certaines villes d’Asie. Cela fait qu’on s’y sent
on doit pouvoir rejoindre un abri anti-roquettes
bien. Ce qui me paraît fondamental, c’est la
en moins d’une minute. J’ai voulu que ces
qualité des espaces publics, leurs contenus, la
abris, présents à chaque étage, soient superpo-
liberté de se les approprier. Ce sont d’énormes
sés pour que le public puisse s’orienter très vite
vecteurs d’animation et de qualité de vie.
vers eux. C’est de là que vient la construction
J’ai été un peu prise de court face au site, très
de cette petite tour centrale, d’abord de ma-
hétéroclite. En plus, on m’a donné un tout petit
nière intuitive, puis un projet expressif s’est mis
terrain ! Je disposais d’un quart de la surface
en place avec une série de volumétries toute
d’une grande place pour installer ce conserva-
simples, très fonctionnelles. Il n’y a pas deux
toire de musique, de danse et d’art contempo-
volumes qui soient identiques. Chacun est ac-
rain. J’en ai profité pour faire une architecture
croché sur ce noyau central. Cela permet de
toute en verticalité, qui installe les différents
créer ce projet tout en hauteur, avec des vues
éléments de programme : l’entrée, le théâtre,
extraordinaires sur la ville et la mer. J’ai offert
l’espace dédié à la musique et à la danse, en
un espace en plus, un espace d’événement.
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Ensemble mixte, ZAC Saint-Roch,
côté centre-ville, au nord, très contextuelle. Et
Montpellier (2011-2013)
à l’avant, sur la gare, on anticipe de futurs bâ-
C’est un projet que j’aime beaucoup de par son
timents, on peut se permettre de monter plus
programme, sa mixité. De plus en plus, on nous
haut, sur onze étages.
demande de travailler sur la mixité. Ce sont
Ce projet, par ce retournement du volume
des sujets complexes mais très intéressants
par-dessus le précédent, permet l’installation
et pleins d’avenir. Cela donne aux bâtiments
des logements sur les hauts niveaux, des loge-
des possibilités énormes de mutualisation de
ments exceptionnels. Cela crée aussi un espace
programmes et de rencontres. Cela fait des
en creux, le cœur du projet. On y a installé la
architectures qui ne vivent pas que de jour,
salle de petit-déjeuner de l’hôtel et un café, que
pour les bureaux, ou le soir et de nuit pour les
tout le monde pourra rejoindre. C’est une vo-
logements. Les bâtiments vivent tout le temps
lumétrie avec une certaine intimité, parce que
et j’apprécie cela. C’est aussi une réponse au
l’on est sous le toit du bâtiment, avec une pe-
développement durable.C’est un site très ur-
tite percée. Le volume est assez magique. Il est
bain et très contraint. Une parcelle triangulaire
revêtu de métal blanc perforé avec différents
face à la gare. Le terrain est la locomotive de la
motifs. Sur la partie intérieure, le motif est re-
future ZAC Saint-Roch qui va se développer au
vêtu d’un vernis holographique qui donnera
sud. On est à l’articulation entre le magnifique
une atmosphère particulière et qui permettra
centre-ville de Montpellier et la future ZAC.
d’abriter la terrasse de la pluie.
La difficulté était le terrain triangulaire, difficile
Les logements sont traversants. Ils récupèrent
à occuper et le pont de Sète qui vient en ou-
au sud une vue sur la mer et au nord une vue
vrage d’art à 4,5 mètres du terrain naturel. On a
toute aussi belle sur le centre-ville ■
plusieurs programmes : deux hôtels, des logements, un centre d’affaires, un restaurant. Une
belle mixité donc.
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Bâtir en terre
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Romain Anger
15 mars 2012
La moitié de l’humanité vit dans des constructions en terre crue, telles
Pourquoi n’y-a-t-il pas de commerces et de
Vous n’avez pas abordé la qualité environne-
les maisons en pisé, en torchis, en bauge ou en adobes en France, ou les
bistrots autour de la cité des affaires de Saint-
mentale des bâtiments. Pourquoi ?
Etienne ?
J’estime que la qualité environnementale doit
immeubles de huit étages étages de Shibam, le «Manhattan du désert»,
C’était un quartier un peu triste, en devenir. Le
toujours être présente mais ne doit pas sous-
bâtiment est pour le moment en contraste très
tendre, à elle seule, la constitution d’un projet.
facilement en boue, peut-il être aussi résistant?
fort avec le riverain. Il n’y a pas de bistrots mais
Pour moi, les principales valeurs sont la quali-
il y en aura, forcément. Pour que la mayonnaise
té d’usage, le bien-être et l’inscription dans un
Pour le comprendre, embarquez pour un voyage initiatique surprenant,
prenne, il faut installer les ingrédients. C’est
site. L’environnement, de toute façon, est trans-
clair que l’installation de 25 000 m2 de bureaux
versal à ces deux valeurs principales. L’inscrip-
du sable, des argiles et de l’eau. Nous verrons que ces trois principaux
va donner envie aux hôtels alentour de moder-
tion dans un site, si elle est intelligente, saura
niser leurs cafés et aux rez-de-chaussée d’ouvrir
prendre la lumière du sud, orienter les volumé-
constituants de la terre font partie des terrains d’investigation scientifique
des commerces. Un premier doit se sacrifier et
tries par rapport à l’ensoleillement. L’environ-
particulièrement prometteurs à l’heure actuelle. Éclairant d’un jour
commencer à installer ce renouvellement. C’est
nement se retrouvera aussi dans la qualité de
nouveau les pratiques des bâtisseurs traditionnels, la connaissance
un bâtiment auquel je tiens car il fait beaucoup
l’usage. On se sentira bien grâce à la lumière
parler de lui. Je pense que l’architecte a deux
naturelle et parce que le bâtiment est flexible.
intime de la substance la plus commune qui soit, est manifestement
cas de figures dans son parcours. Parfois il a la
Bien sûr, il faut parler de l’énergie, de l’eau. Je
chance d’installer un bâtiment dans un site qui
n’en parle pas car pour moi, de fait, on est là
est déjà là, c’est assez simple. D’autre fois, il a la
pour minimiser notre trace. Par exemple, la
tâche d’amorcer en premier un renouvellement
Tour Ava est à 60 kWh/m2/an. C’est une critique
Préambule
À chaque époque, elle a fourni à l’humanité
Romain Anger
de quartier, une requalification urbaine, d’ins-
que je fais à ceux qui disent qu’une tour ne peut
La Grande Muraille de Chine est l’œuvre archi-
des solutions pour répondre aux contraintes
est ingénieur-chercheur au
taller une grande ZAC. On ne peut pas le faire
pas être environnementale. Les tours que je fais
tecturale la plus importante jamais réalisée
spécifiques de son temps, de la même manière
laboratoire CRAterre-ENSAG (École
dans la demi-mesure. Il faut assumer d’être le
le sont. On a un système où les productions
sur notre planète. Contrairement à l’idée an-
qu’aujourd’hui, elle propose des pistes face aux
nationale supérieure d’architecture
premier et que, pendant dix ans, notre archi-
d’énergie ne sont pas centralisées. Elles sont
crée dans l’imaginaire collectif, elle n’est pas
défis énergétiques et climatiques, ainsi qu’à la
de Grenoble) et co-auteur, avec
tecture connaisse la solitude. Puis au fil des
présentes sur chaque plateau et s’adaptent à
entièrement construite en pierre : sur des mil-
crise mondiale du logement. Il est temps que
Laetitia Fontaine, du livre Bâtir en
années, l’environnement va se renouveler et se
chaque nombre d’usagers. Elles sont flexibles
liers de kilomètres, il s’agit d’un mur de terre
cette architecture regagne dans les esprits la
terre et de l’exposition Ma terre
mettre en harmonie avec nous.
et fines.
crue. Cette gigantesque construction change
place qu’elle occupe dans la réalité. Par un
première, pour construire demain,
Le nouveau maire de Saint-Etienne est arrivé
Chacun de mes projets est environnemental
de nature avec le sol sur lequel elle est bâtie,
curieux hasard, au moment où se dessinent
présentée à la Cité des sciences
au moment où le chantier commençait. Il était
mais je ne le mets pas trop en avant non plus
en pierre sur la pierre, en terre sur la terre, et
les bases d’un renouveau de la construction
et de l’industrie, ainsi qu’au Pont-
d’abord réticent. Aujourd’hui, il aime beaucoup
parce qu’en ce moment je suis un peu en rage
parfois même… en sable sur le sable. La règle
en terre, la science développe des outils théo-
du-Gard
le bâtiment. Les Stéphanois aussi étaient hos-
contre ces réglementations qui se superposent
qui a dicté le choix des matériaux est simple :
riques essentiels pour mieux comprendre ce
tiles. Aujourd’hui, les habitants demandent à
les unes aux autres. On nous impose des ob-
construire avec ce que l’on a sous les pieds.
matériau. Les trois principaux constituants de
le visiter. Les usagers adorent les bureaux. Ils
jectifs et les moyens, des tas de choses qui font
Ce trait d’union entre la géologie d’un lieu et
la terre (sables, argiles et eau) font partie de
les trouvent lumineux et agréables à vivre. Ils
que le potentiel créatif de l’architecte est mi-
son architecture est universel. Dans toutes les
terrains d’investigation scientifique particu-
considèrent maintenant le bâtiment comme
nimisé et l’empêche d’avoir des réponses per-
régions du monde, les hommes et les femmes
lièrement prometteurs à l’heure actuelle. La
l’un des points de repères de la ville. Je me dis
sonnalisées pour chaque projet, par rapport au
exploitent les matériaux locaux pour construire
connaissance intime de la substance la plus
alors que c’était bien d’être en rupture et que la
programme, au site, à la ville où l’on est. Pour
leur habitat et la terre est souvent le seul dis-
commune qui soit est manifestement porteuse
mayonnaise est en train de prendre.
moi, l’environnement est transversal à tous
ponible. Si bien qu’aujourd’hui, on estime que
d’innovations pour l’avenir !
mes objectifs, mais celui que je mets au-des-
plus du tiers de la population mondiale vit
sus de tout, c’est le bonheur et le bien-être des
dans une habitation en terre crue. Construire
Qu’est-ce que la terre ?
usagers.
en terre n’est donc pas une alternative que
La diversité du matériau terre est ordinaire-
l’on redécouvre à l’occasion d’un salon écolo-
ment décrite en faisant référence à sa granu-
gique, mais bien la norme depuis que les êtres
lométrie : les terres sont qualifiées de caillou-
humains ont abandonné la vie nomade pour
teuses, sableuses, fines, argileuses, etc. Chaque
se sédentariser. Cette tradition vieille de onze
terre est un mélange de grains de différentes
mille ans a vu naître l’acte de bâtir en dur, puis
tailles. La proportion de cailloux, de graviers,
progressivement le hameau, le village, et la
de sables, de silts et d’argiles varie d’une terre à
ville : elle accompagne l’histoire de notre civi-
l’autre et conditionne souvent la technique de
lisation depuis les débuts jusqu’à ses dévelop-
mise en œuvre (fig. 1).
au Yémen. Comment ce matériau si commun, qui se transforme si
au cœur de la matière en grains, qui révèle les comportements étranges
porteuse d’innovations pour l’avenir.
Fig.1 – Chaque terre est un
mélange de grains de différentes
tailles en proportions variées :
cailloux, graviers, sables, silts
et argiles (© Anger & Fontaine,
CRAterre-ENSAG, 2009).
pements les plus récents.
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Les terres du Dauphiné, par exemple, contiennent
Les chercheurs connaissent ce principe élé-
à la technique dite de photoélasticimétrie
s’écroule lorsqu’il est trop sec. Quid dès lors
un mélange de ces différents grains en propor-
mentaire qui leur permet de concevoir des bé-
(fig. 3). Cette dernière montre que les chaînes
de la cohésion d’un mur en terre, matériau
tions équilibrées. Ce type de terre est idéal pour
tons de ciment aussi résistants que l’acier, en
de forces dirigent en partie l’effort vertical en
bien plus complexe ? En 1997, la célèbre revue
le pisé. Elle produit de véritables bétons natu-
diminuant leur porosité à l’extrême. Pour ce
direction des parois. Couler du béton ne peut
Nature publiait un article intitulé «What keeps
rels très durs, avec suffisamment d’argiles pour
faire, ils utilisent des modèles géométriques
donc se faire qu’avec des coffrages très résis-
sandcastles standing ?». Un an plus tard, suivait
bénéficier d’un maximum de cohésion et suffi-
tels que l’empilement apollonien (fig.2), afin
tants : une fraction du poids du béton est déviée
son pendant en quelque sorte : «How sandcast-
samment de grains pour que le matériau obte-
de déterminer les quantités idéales de graviers,
à l’horizontale dans le coffrage. Autrement dit,
les fall ?». Les recherches sur la physique des
nu soit rigide et ne fissure pas. Contenant moins
sables, grains de ciment et ultrafines pour ob-
ça pousse ! Lors de la mise en œuvre du pisé,
grains humides, bien plus récentes que celles
de cailloux et de graviers, les terres à adobes,
tenir un matériau de compacité maximale. Un
de la même façon, les coups verticaux du pisoir
autour des grains secs, mobilisent encore de
fréquentes dans le sud-ouest de la France, sont
autre modèle, appelé empilement espacé, per-
qui compactent la terre sont partiellement di-
nombreuses équipes.
plus faciles à modeler et à travailler à la main.
met d’obtenir un empilement compact, tout
rigés dans les coffrages qui doivent donc être
Tout enfant jouant sur la plage sait que les
La proportion de sables est suffisante pour que
en favorisant une meilleure mobilité des grains
suffisamment résistants. L’effort de compac-
propriétés physiques du sable sec et du sable
le matériau ne fissure pas lorsqu’il est mis en
entre eux lors du coulage du béton. Le maté-
tion vertical disparaît ainsi partiellement sur
humide diffèrent. En présence d’eau, de nou-
œuvre à l’état plastique. Les terres du nord
riau obtenu est si fluide qu’il adopte spontané-
les côtés : les chaînes de forces ne parviennent
velles interactions apparaissent et s’ajoutent
de la France, résultant de l’ altération de dé-
ment une surface horizontale lorsqu’il est versé
pas jusqu’en bas car elles se dissipent sur les
aux seules forces de contact et de frottement
pôts éoliens, sont extrêmement fines. Elles ne
sur le sol : ces nouveaux bétons sont qualifiés
bords. C’est pourquoi le pisé se met en œuvre
qui régissent le comportement d’un milieu gra-
contiennent presque pas de cailloux et de gra-
d’auto-nivelants. Des matériaux similaires sont
en compactant de fines couches de terre. Si
nulaire sec. En effet, l’eau est capable d’exercer
viers et la proportion de sable est faible. Elles
aujourd’hui réalisés en terre, en modifiant le
l’épaisseur de terre est trop importante, au mo-
une force attractive entre deux surfaces : c’est
collent très bien mais fissurent lors du séchage.
squelette granulaire de la terre naturelle par de
ment de l’impact, le bas de la couche n’est pas
l’existence de cette «vcolle» entre grains qui ex-
Ce type de terres, mélangées à de la paille pour
simples ajouts ou retraits de sables ou de gra-
compacté.
plique la cohésion du château de sable ou du
éviter la fissuration, est couramment utilisé en
viers : la terre peut être coulée à l’état liquide
La différence de compacité entre le haut et le
mur en terre (fig. 5). Un pont capillaire s’établit
remplissage sur une ossature en bois, selon la
comme un béton.
bas de la couche de terre damée est visible,
chaque fois qu’une goutte d’eau se trouve entre
si bien que le mur en pisé décoffré apparaît
deux surfaces qu’elle mouille. Dans un château
comme une succession de lignes horizontales
de sable, ces ponts d’eau liquide exercent des
superposées de dix centimètres d’épaisseur
forces attractives entre les grains et font te-
environ. La texture du pisé rappelle le béton
nir l’édifice. Ces forces capillaires ne sont pas
mais l’effet obtenu est plus subtil, car la couleur
spécifiques au sable mouillé : elles sont aus-
de la terre répond aux tonalités du paysage,
si présentes dans la terre et dans le béton où
technique du torchis.
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Fig.3 – Un ensemble de
grains plats découpés
dans un matériau
photoélastique est
placé entre deux films
polarisés. En exerçant
une pression verticale sur
les grains, les chaînes de
forces se matérialisent
sous la forme de lignes
lumineuses et colorées.
L’effort vertical est dévié
sur les côtés (© Anger &
Fontaine, CRAterre-ENSAG, 2005).
Fig.2 – Comment remplir
au maximum un espace
uniquement avec des
sphères ? La solution
mathématique optimale
est l’empilement
apollonien
(© Anger & Fontaine,
CRAterre-ENSAG, 2005).
Les argiles sont le liant du matériau terre, tout
Les chaînes de forces
comme le ciment est le liant du béton. Les cail-
Dans un ensemble de grains, les efforts se
loux, graviers, sables et silts constituent quant
distribuent d’une manière bien particulière :
à eux le squelette granulaire de la terre : ils ap-
par contact et frottement, les contraintes sont
portent leur rigidité au matériau. Pour produire
transmises grâce à un réseau de «chaînes de
un matériau de construction de bonne qualité,
forces». Dans certains cas, plusieurs grains
tandis que les lignes horizontales évoquent
elles jouent un rôle prépondérant. Les murs
on ne peut se passer ni du liant, ni du squelette
en contact forment une voûte et abritent de
une roche sédimentaire naturelle. Le rythme de
construits avec ces deux matériaux, même s’ils
granulaire.
petits espaces vides au sein de la matière. Ils
cette texture explique en partie la prédilection
semblent secs, contiennent en effet toujours de
empêchent alors les empilements de se pla-
du pisé dans les constructions contemporaines
l’eau. Les argiles sont des particules si petites
Remplir des vides
cer dans une configuration plus compacte, et
en terre crue, dont celles de Rick Joy aux États-
qu’elles sont impossibles à discerner à l’oeil
«Béton» est un terme générique. Il désigne un
donc de se comprimer. Ces voûtes fragilisent le
Unis et de Martin Rauch (fig. 4) en Europe font
nu ou au microscope optique. Au microscope
matériau de construction composite fabriqué
matériau lorsqu’elles se forment au sein de la
partie des exemples les plus emblématiques.
électronique, elles apparaissent généralement
à partir de granulats agglomérés par un liant :
terre ou du béton. Plus les grains sont rugueux
la terre est un béton d’argile. Ainsi, les principes
et à facettes, plus ces voûtes sont stables et
Du château de sable au mur en terre
l’ordre du micromètre. Ces deux spécificités, de
qui ont conduit à l’élaboration de bétons de
empêchent l’empilement de se placer dans sa
Bien que le matériau terre possède quelques
taille et de forme, sont à l’origine de leur grande
plus en plus performants (tels que les bétons
configuration la plus compacte. C’est pourquoi
points communs avec le béton, l’idée de
plasticité et de leur forte cohésion. En effet, les
à Ultra Hautes Performances) sont applicables
les graviers et les sables lisses et ronds donnent
construire en terre n’a rien d’immédiat : com-
forces capillaires augmentent énormément
au matériau terre. Le premier de ces principes
des bétons plus résistants, tandis que les terres
ment bâtir avec une matière qui se change si
quand la taille des grains diminue. Imaginez
est de remplir les espaces libres entre les grains.
qui contiennent des grains arrondis sont beau-
facilement en boue ? Par quel miracle ce même
dès lors l’intensité de ces forces entre des pla-
Quel que soit le matériau considéré, un vide
coup plus faciles à compacter.
matériau peut-il résister à la charge considé-
quettes d’argiles environ mille fois plus petites
constitue toujours une zone de faiblesse et la
Ces voûtes ne sont que la partie visible d’un
rable d’un édifice de plusieurs étages ? Autre-
que des grains de sable…
terre n’échappe pas à cette règle : elle est d’au-
ensemble de réseaux de contacts entre les
ment dit, comment tiennent les constructions
Dans un mur en terre, les grains sont liés entre
tant plus résistante que sa porosité est faible. La
grains. C’est par ce réseau que vont se propa-
en terre ? La question est complexe. Jusqu’à
eux par des ponts d’argile, vestiges figés des
proportion de vides dépend en grande partie de
ger et se distribuer les forces dans la matière.
une époque très récente, les physiciens ne
ménisques de boue qui se sont formés lors de
la répartition des grains de différentes tailles qui
Ces chaînes de forces sont invisibles, mais il
savaient pas justifier l’existence d’un simple
la préparation du matériau. Il est courant de
constituent un matériau granulaire donné.
est cependant possible de les visualiser grâce
château de sable, ou expliquer pourquoi il
considérer la terre comme un béton dont l’ar-
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sous la forme de plaquettes dont la taille est de
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Fig.4 – Entre 1990 et 2000, Martin
Rauch réalise la chapelle de la
Réconciliation, à Berlin, d’après
les plans des architectes Rudolf
Reitermann et Peter Sassenroth.
L’intérieur de la chapelle est
totalement minéral. Le mur du
fond apparaît comme une superposition de couches de terre horizontales (© Grégoire Paccoud,
CRAterre-ENSAG, 2008).
Fig.5 – Du sable sec s’écoule dans
une assiette remplie d’une nappe
d’eau. Une étrange «stalagmite»
se forme. La présence d’eau
conduit à une structure verticale,
fruit de l’action conjuguée des
remontées capillaires et de la
cohésion capillaire (© Anger &
Fontaine, CRAterre-ENSAG, 2005).
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Conclusion
gile serait le liant. En réalité, on observe que ces
présentent de fait une diversité de formes et de
ment, les argiles chargées fissurent davantage
Parce qu’elle est constituée de grains, d’argile
ponts d’argile sont constitués d’une multitude
structures, qui, à l’échelle du bâtisseur, corres-
mais collent mieux, grâce à la présence de
et d’eau, la terre est à la croisée de nombreuses
de particules solides liées entre elles par des
pondent à une pluralité d’états de la matière.
forces attractives de nature électrique. L’exis-
problématiques scientifiques contemporaines
ponts capillaires. Finalement, l’eau est le véri-
Le mot «argile » désigne ainsi un micro-monde
tence de ces charges électriques introduit un
développées par différents champs discipli-
table liant de la terre. La cohésion capillaire est
minéral extrêmement varié.
degré de complexité supplémentaire, plus phy-
naires de la physico-chimie de la matière.
tout simplement beaucoup plus importante
D’un type d’argile à un autre, les feuillets se
sico-chimique, aux échelles les plus fines des
La physique des milieux granulaires secs, ou
dans le cas des argiles grâce à leur taille et à
séparent plus ou moins facilement en fonc-
argiles. Une simple boue, dispersion de petites
physique du tas de sable, permet de mieux
leur forme particulières.
tion des forces qui les lient. Ainsi, certaines
particules solides dans l’eau, est donc le siège
tirer profit des empilements de grains afin de
Poursuivons notre raisonnement : si l’eau est la
argiles sont capables d’absorber énormément
d’interactions électrostatiques complexes entre
réaliser des matériaux plus compacts et résis-
colle de la terre, pourquoi un mur en terre ne
d’eau entre leurs feuillets : ce sont des argiles
les charges électriques des argiles et celles des
tants. Elle met également en évidence les effets
s’effondre-t-il donc pas quand il sèche, comme
gonflantes. Une pâte préparée avec ces argiles
atomes et molécules positifs ou négatifs dis-
de voûtes, qui s’opposent à la compaction du
le fait un château de sable ? Entre des grains de
contient plus d’eau que de matière solide : lors-
sous dans l’eau de gâchage. Agir sur la phase
matériau terre, et les chaînes de forces, qui
sable, les ponts capillaires finissent en effet par
qu’elle sèche et que l’eau s’évapore, la pâte se
liquide, plutôt que sur la phase solide, est au-
diffusent les contraintes de manière très spé-
s’évaporer, affectant la cohésion de l’ensemble.
rétracte et fissure. La smectite, argile des boues
jourd’hui une des pistes d’innovation les plus
cifique. La physique des milieux granulaires
Mais à l’échelle nanométrique du pont capil-
de forage et des masques de beauté, est très
prometteuses pour l’avenir du matériau terre.
humides, ou physique du château de sable,
laire entre deux plaquettes d’argiles, les règles
différente de la kaolinite, argile de la porce-
L’éclosion des nano-sciences met (ou remet,
permet de mieux comprendre le rôle de l’eau
ne sont plus les mêmes. L’eau ne s’évapore ja-
laine et de la pâte à papier. En mélangeant ces
car la physico-chimie des colloïdes et des in-
dans la cohésion du matériau terre, ainsi que
mais complètement et c’est même l’inverse qui
deux argiles avec de l’eau, on constate que la
terfaces ne date pas d’hier) au goût du jour les
les phénomènes de condensation et d’évapo-
se produit parfois : l’humidité de l’air peut venir
smectite est une argile gonflante et que deux
questions à résoudre concernant les compor-
ration capillaire entre les particules argileuses
se condenser entre les plaquettes d’argile, en
boues préparées avec ces deux argiles ont des
tements parfois surprenants du matériau terre.
avec les variations journalières d’humidité rela-
formant des ponts capillaires microscopiques
consistances très différentes : pour une même
tive. Enfin, la physico-chimie des colloïdes, plus
de quelques nanomètres et en enrobant les
quantité d’eau, la boue de kaolinite a la fluidi-
particulièrement celle des boues d’argile, nous
plaquettes d’un film de molécules d’eau en-
té du lait, tandis que la boue de smectite est
éclaire sur les interactions entre les particules
core plus mince. Ainsi, un mur en terre n’est
plastique. Cette dernière a donc besoin de
d’argile et l’eau à l’échelle moléculaire.
jamais complètement sec : il contient toujours
beaucoup plus d’eau pour atteindre la plastici-
La connaissance scientifique de la matière
un peu d’eau entre les plaquettes d’argile, eau
té de la kaolinite. En conséquence, une brique
nous invite ainsi à reconsidérer les pratiques
qui ne s’évapore pas car elle est en équilibre
moulée à l’état plastique, et contenant une cer-
constructives, tout comme ces dernières nous
avec la vapeur d’eau contenue dans l’air.
taine proportion d’argile gonflante comme la
permettent de mieux comprendre les caracté-
smectite, fissurera au séchage, à l’inverse d’une
ristiques du matériau, mettant à jour la néces-
autre brique contenant la même proportion de
saire interdisciplinarité des compétences dans
Il reste que cette physique du château de sable,
kaolinite.
le champ de l’architecture ■
où la cohésion capillaire n’est possible qu’à la
Pour comprendre ces différences, il est néces-
condition que de l’eau et de l’air soient simulta-
saire d’observer les argiles à l’échelle micros-
nément présents entre les grains, n’est d’aucun
copique. La kaolinite apparaît sous la forme
secours pour comprendre le matériau terre à
de plaquettes microscopiques, elles-mêmes
l’état plastique, visqueux ou liquide. En effet,
constituées de feuillets empilés entre lesquels
dans ces trois états hydriques, la terre est un
l’eau ne peut pas pénétrer. Quant à la smectite,
mélange de grains et d’eau, sans air : il n’existe
elle présente un réseau de membranes inter-
donc plus de forces capillaires. Une autre disci-
connectées, tandis qu’à une échelle inférieure
pline, la physico-chimie des boues d’argile, est
apparaît à nouveau une structure en feuillets.
alors davantage adaptée pour décrire et com-
C’est entre ces derniers que l’eau peut cette
prendre la terre.
fois pénétrer et faire gonfler le réseau. Une ca-
S’il existe plusieurs familles d’argile aux pro-
ractéristique qui change radicalement le com-
priétés très différentes, elles possèdent toutes
portement de ce type d’argile. Les différences
une caractéristique commune : être consti-
de gonflement et de fissuration des argiles
tuées de feuillets microscopiques dont l’épais-
sont liées aux propriétés de surface distinctes
seur n’excède pas quelques atomes. Ces feuil-
des feuillets. Les smectites portent en effet
lets s’assemblent dans l’espace de différentes
des charges électriques négatives, tandis que
façons : à l’échelle microscopique, les argiles
le feuillet de kaolinite est neutre. Paradoxale-
La physico-chimie des boues d’argile
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Fontaine, Laetitia, Anger, Romain,
Bâtir en terre, du grain de sable à
l’architecture, Paris, Belin et Cité des
sciences et de l’industrie, 2009.
Anger, Romain, Fontaine, Laetitia,
Houben, Hugo,
Ma terre première, pour construire
demain. Exposition 600 m², Cité des
Sciences et de l’industrie, Paris, 2009.
Van Damme, Henri, Houben, Hugo,
Anger, Romain, Fontaine, Laetitia,
«Construire avec des grains, matériaux
de construction et développement
durable», in Graines de sciences, vol.
8, sous la direction de Wilgenbus, D.
et Pol, D, Paris, Le Pommier, «La main
à la pâte», 2007.
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Alain Gensac
La politique royale d’embellissement des villes,
les exemples de Montpellier et Nîmes
Pascal Trarieux
Nîmes : les migrations du musée des Beaux-Arts
dans la ville
Isabelle Durand
Scénographie urbaine au XIXe siècle :
un projet autour du monument antique
(Nîmes, Arles, Vienne)
Jean-François Pinchon
Les vacances du plus grand nombre :
l’aventure de la mission Racine
Thierry Lochard
De Nîmes à Perpignan :
les villes et les chemins de fer aux XIXe et XXe siècles
Denis Berthelot
Le projet urbain dans l’usage des règlements
d’urbanisme (1970-2007)
Gérard Huet
Ouverte pour donner, ouverte pour recevoir :
la devise de Chandigarh
Yves Chalas
La demande urbaine contemporaine d’habitat
Gilles Marty
Les meilleurs m2 sont ceux que l’on ne construit pas
Stéphane Paoli
Paul Virilio, penser la vitesse
Françoise Choay
Les conséquences de la mondialisation
ssur l’aménagement
Olivier Mongin
Où vont les villes ?
Christian Skimao
L’œuvre de François Morellet dans l’espace public
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La politique royale d’embellissement des villes :
les exemples de Montpellier et Nîmes
Alain Gensac
22 janvier 2004
La politique d’embellissement des villes est initiée par le pouvoir royal,
pace urbain, menées de pair avec un aménage-
à carrosses planté de quatre rangées d’or-
aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ce sont les débuts de l’urbanisme organisé.
ment du territoire provincial, avec notamment
meaux, est réalisé après drainage du ruisseau
la refonte de l’armature du réseau routier.
des Aiguerelles. Cette préfiguration de l’actuel
Dans le langage des architectes et ingénieurs
cours Gambetta, faute d’entretien, périclitera
du Roi et des décideurs de l’époque, deux ex-
jusqu’au projet de 1764 de restructuration du
pressions-clés sont récurrentes : «une ville doit
cours des Casernes par Jean-Antoine Giral et
être bien percée et symétrisée», dénotant l’esprit
Jacques Donnat.
prévalent pour ces travaux d’embellissement.
Nîmes n’occupe plus la vaste enceinte romaine
Comment s’est-elle appliquée en Languedoc-Roussillon ? Les exemples
de Montpellier et de Nîmes.
qui était la sienne. La cité à la trame antique
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Le contexte politique
de celle des hôpitaux et hospices par l’édit de
Le XVIIe siècle français est celui de l’affirmation
juin 1662, et de celle de la collecte efficace des
de la dynastie des Bourbon qui a eu pour ambi-
finances, ce qui ne veut pas dire juste, c’est
tion, par l’instauration d’un pouvoir royal fort et
l’avènement des manufactures, des réseaux
affirmé, d’amener la France à devenir le grand
de communication comme le Canal des Deux
état centralisé moderne qu’elle sera dans l’Eu-
Mers ou les routes provinciales, l’assèchement
rope du XVIIIe siècle.
des marais, etc.
Cela se fera souvent avec brutalité pour réduire
Cette volonté d’affirmation de l’autorité de
tout pouvoir identifié comme opposant, réel,
l’État implique que l’image de sa représenta-
celui des grands féodaux, ou présupposé, celui
tion soit très codifiée ; ses grands serviteurs
des Eglises réformées, et obtenir rapidement
en province - les titulaires d’offices et autres
la réalisation des objectifs politiques fixés,
charges royales - se doivent d’avoir le même
en faisant peu de cas des détresses morales
mode de vie et d’habitat qu’à Paris et Versailles.
ou physiques infligées à la population. La dé-
L’architecte régnicole Pierre Le Muet, dès
nonciation de cette seule brutalité d’une part,
1623, dans la première édition de son ouvrage
ou la glorification des victoires guerrières et
Manière de bien bastir pour toutes sortes de per-
des fastes de la cour d’autre part, ont été les
sonnes, revue, augmentée et enrichie dans sa
champs opposés majeurs d’investigation de
réédition de 1663, propose treize prototypes de
trop d’historiens, aux dépens de la relation de
maisons, de la plus simple aux grands hôtels
l’émergence durant le XVIIe siècle d’une admi-
particuliers dont le corps principal est «entre
nistration efficace, qui permettra l’avènement
cour et jardin». C’est ce dernier modèle qui ser-
d’une formidable opération d’aménagement
vira de référence théorique pour la transforma-
du territoire, réellement probante dans la der-
tion des maisons intra-muros des négociants
nière décennie de ce XVIIe siècle et qui se pour-
médiévaux de nos villes, en hôtels particuliers
suivra durablement au cours du XVIIIe.
ornés au goût du jour pour les magistrats et of-
C’est alors l’ingérence systématique du pou-
ficiers royaux des XVIIe et XVIIIe siècles, avec un
voir royal dans l’organisation de la société et
compromis d’importance pour la localisation
dans la mise en place des grandes structures
du jardin, difficile à caser dans la dense trame
socio-économiques, par l’intermédiaire de ses
parcellaire médiévale ; c’est hors l’enceinte
intendants dans chacune des provinces - in-
urbaine, mais en périphérie immédiate que
tendants de justice, police et finances -, en es-
s’établiront ces «jardins d’agrément», lieux de
sayant d’uniformiser au mieux, pour plus d’effi-
réception extérieurs fonctionnant de pair avec
cacité, la mosaïque des usages locaux.
leurs hôtels de l’enclos, substitués aux jardins
Après l’organisation, au début du XVIIe siècle,
maraîchers médiévaux.
de la souveraineté locale et de la justice avec
C’est avec l’arrivée, comme intendant, de Nico-
Alain Gensac
les parlements et les différentes cours, de celle,
las de Lamoignon de Basville, en octobre 1685,
est architecte - urbaniste,
au milieu du siècle, de l’enseignement - des
que vont débuter les «travaux d’embellisse-
secrétaire de la Société
élites bien sûr - par diverses congrégations
ment», terme alors consacré pour désigner les
archéologique de Montpellier.
enseignantes - catholiques, bien sûr, suivie
opérations planifiées de remodelage de l’es-
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Quel est alors l’état de nos villes en ces
perturbée s’est repliée dans un enclos médié-
prémices du siècle des Lumières?
val entre l’amphithéâtre romain, entièrement
Montpellier, comme ville, n’a pas de passé an-
squatté, et un rempart au-delà du Vistre s’écou-
tique ; elle est l’établissement urbain créé par
lant de la Fontaine.
une branche de la dynastie carolingienne à
L’enceinte périurbaine construite par le duc de
partir du XI siècle, avec vocation de ville mar-
Rohan en 1628, rapidement démantelée à la
chande, fortement imprégnée dans sa typolo-
paix d’Alès, n’a laissé que peu de traces, les fau-
gie d’habitat par les négociants de l’Italie du
bourgs se sont étendus, notamment celui des
Nord, attirés pour la peupler. Elle connaît une
frères Prêcheurs.
croissance fulgurante, passant d’un manse, ex-
C’est ce dernier site, en contrebas de la Tour
ploitation agricole pour une famille, en 985, à
Magne, qui est retenu par l’ingénieur militaire
52 hectares enclos dans la Commune Clôture,
François Ferry, pour édifier un fort en surplomb
au début du XIIIe siècle, avec l’édification ulté-
de la cité, mettant ainsi Nîmes, avec retard,
rieure d’une palissade périphérique pour pro-
dans le même état de surveillance que Mont-
téger les vastes faubourgs du XVIe siècle.
pellier.
Place de commandement du Midi, de la rébel-
Le projet présenté à l’intendant Nicolas de
lion protestante au pouvoir royal, Montpellier
Lamoignon de Basville le 12 mai 1688, par l’ar-
en subira une forte empreinte spatiale ; après
chitecte parisien Jean Papot associé au nîmois
avoir dû raser ses faubourgs dès la fin du
Jacques Cubizol, est exécuté immédiatement
e
XVI siècle et façonner entre 1621 et 1622, sous
dès le 24 mai, son gros-œuvre étant terminé un
la direction de Thierry Conty d’Argencourt,
an plus tard, dans une insertion brutale au sein
une enceinte bastionnée pour conforter son
de ce faubourg dense de jardins d’agrément,
rempart médiéval, en prévision d’un inévitable
subissant nombre de démolitions.
siège par les troupes royales, advenu à l’au-
Ce n’est qu’après une semblable et préalable
tomne 1622. Il devra subir en rétorsion, l’érec-
mise en forme punitive de ces deux villes hu-
tion d’une citadelle, par l’ingénieur militaire
guenotes, que peuvent être envisagées leurs
Jean de Beins, entre 1624 et 1627.
campagnes d’embellissement, au principal
Cette citadelle d’assujettissement de la ville est
souci d’agrément urbain.
reliée à la Commune Clôture par deux murs de
A Montpellier, c’est par l’arrivée en 1692, à la
jonction, l’un à la porte de Lattes, l’autre à celle
demande de l’intendant Lamoignon, d’un ar-
du Pila Saint-Gély, le rempart médiéval étant
chitecte du roi, membre de l’Académie royale
démoli entre. Un vaste glacis dégage cette cita-
d’architecture, Augustin-Charles Daviler, élève
delle de la ville éventrée, établi sur l’arasement
de François d’Orbay, qui se verra officiellement
de l’ancien bourg épiscopal de Montpelliéret,
recruté en 1693 avec le titre d’architecte de la
tandis que tous les terrains alentour, jusqu’au
province par les États de Languedoc. Il a été
Lez, sont neutralisés, déclarés zone militaire
l’un des collaborateurs, pendant cinq années,
inconstructible.
de l’Agence des bâtiments du roi, et revient
En 1659, sous l’impulsion du comte du Roure,
d’un long séjour à Rome et en Italie, et aussi de
gouverneur de la province, un acte précur-
Tunis, mais là, c’était contre sa volonté !
seur d’aménagement urbain, pour un cours
Sa première commande est la réalisation im-
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Nîmes : Plan de Gautier, 1724
Montpellier,
Porte du Peyrou, aquarelle vers
1828, Inventaire DRAC
Montpellier, Porte du Peyrou
avant et après
et après sa restauration en 2003
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médiate d’une porte monumentale en forme
cations de Languedoc, l’ingénieur Jean-Fran-
la Commune Clôture entre les portes de Lattes
la ville, échappe rapidement à la Communau-
d’arc de triomphe à la gloire de Louis XIV, don-
çois de La Blottière, qui se voit confier une mise
et du Pila Saint-Gély, les propriétaires des fonds
té ; ce sont les intendants successifs Louis de
nant accès par un pont sur le fossé de la ville
à jour du projet de Subreville, dont il donnera
riverains avaient grignoté du terrain sur l’em-
Bernage et Jean Lenain d’Asfeld qui prennent
à un promontoire rocheux, le Peyrou, qui sera
un projet variante en 1731, qu’il réactualisera
prise des bastionnages réalisés en prévision
toutes décisions, dès 1739.
aménagé à peu de frais en promenade.
en 1739, mais qui restera sans suite.
du siège, débordant même sur le glacis de la
Un arrêt du Conseil du roi du 20 décembre 1740
Par ailleurs, il établit rapidement des directives
C’est après la décision par la ville de Montpel-
citadelle qui ne fut jamais parfaitement nivelé,
désigne Jacques-Philippe Mareschal, directeur
et des plans types pour les équipements à
lier, de faire construire par l’ingénieur Henri
laissé à l’état de terrain vague.
des ouvrages publics de la province de Langue-
réaliser dans toute la province, comme cet ar-
Pitot un aqueduc amenant les eaux de la fon-
Sur l’initiative du duc de Roquelaure, gouver-
doc, pour succéder à Jean de Clapiès, décédé
chétype pour les casernes, distribuées avec un
taine de Saint-Clément au Peyrou, opération
neur militaire de la province, l’ingénieur mi-
en 1740, et revoir tout le projet.
plan en gril sur le modèle de celui de l’Hôtel des
réalisée de 1753 à 1764, que les États de Lan-
litaire Dominique Sénès présente le 7 juillet
C’est par un autre arrêt du Conseil du
Invalides de Paris, que nous retrouvons dans
guedoc décident, le 6 mars 1764, de lancer un
1723, un projet pour l’aménagement au goût
26 octobre 1744, qu’est ordonnée l’exécution
toutes les villes du Languedoc, dont Montpel-
concours pour l’aménagement définitif de la
du jour, d’un large mail planté de trois rangées
du projet d’un jardin monumental avec un
lier et Nîmes, accompagnées d’un cours exté-
place Royale du Peyrou.
d’arbres, délimité par une façade régulière sur
grand nymphée à l’antique et que pour cela
rieur pour l’exercice des troupes, ou comme
Ce sont des architectes locaux, Jean-Antoine
un alignement général, du côté de la ville.
il sera procédé, à la charge de la Communau-
des modèles pour les clochers devant différen-
Giral et son gendre et associé Jacques Donnat,
Il est alors imparti aux propriétaires riverains de
té de Nîmes, mais devant le nouvel intendant
cier les églises des temples.
qui furent désignés comme lauréats, dans un
réaliser sous cinq ans, sur un alignement impo-
Jean de Guignard de Saint-Priest, «à l’adju-
Il décèdera malheureusement trop tôt, à 47 ans,
climat polémique digne de certains concours
sé, celui de l’actuel boulevard Sarrail, un mur
dication au rabais des ouvrages contenus aux
en 1701, mais ayant eu cependant le temps de
contemporains.
de façade de dix pieds de haut (environ 3,25 m),
mémoires, plans et devis dudit sieur Mareschal» !
former à l’architecture académique de jeunes
La première pierre est posée le 29 décembre
surmonté d’une balustrade avec des balustres
En 1754, les consuls, devant le coût des tra-
architectes provinciaux comme Jean Giral.
1766, mais c’est après de longues mises au
en pierres, en échange de la pleine propriété
vaux décident de les interrompre, mais l’in-
L’axe créé par cette porte du Peyrou sera dé-
point, que les travaux commencent pour une
du terrain compris entre ce nouvel alignement
tendant obtient un nouvel arrêt du Conseil, le
terminant pour la ville de Montpellier. En effet,
réception des ouvrages le 20 février 1776, après
et leurs anciennes limites de propriété à l’inté-
30 décembre, ordonnant à la Ville de les pour-
tranchant dans une controverse, durant depuis
de sérieux dérapages financiers.
rieur du rempart. De très nombreux actes nota-
suivre et de contracter un emprunt complé-
son arrivée, sur le choix d’un emplacement
Cette opération va donner lieu à l’institution
riés, entre 1724 et 1729, attestent de prêts sous-
mentaire !
pour la création d’une place royale destinée
d’une réglementation d’urbanisme d’ordre
crits par les propriétaires impécunieux pour ne
C’est ainsi que la Communauté de Nîmes se
à servir de cadre à une statue équestre de
général ; deux servitudes de non altius tollendi,
pas perdre pareille aubaine, car en cas de non
retrouvera très endettée, et pour longtemps,
Louis XIV, l’intendant Nicolas de Lamoignon de
établies par deux édits du roi en son Conseil,
réalisation, les terrains en question retom-
pour un aménagement monumental qui lui fut
Basville, opte avec Joseph Bonnier, baron de
en 1775 et 1779, ayant toujours cours actuel-
baient dans le domaine public.
imposé, à partir d’une simple velléité d’opéra-
la Mosson, trésorier général de la bourse des
lement, ont pérennisé la protection des vues
Dans cette opération, c’est à la Communauté
tion d’édilité publique.
États de Languedoc, dès le début de 1715, pour
depuis le Peyrou, évoquée dès 1688.
de Montpellier qu’incombe la charge des tra-
À Nîmes également, cet aménagement du
le belvédère du Peyrou, sur la base d’un projet
En dehors de cet aménagement unique pour
vaux viaires d’accompagnement, nivellement
Jardin de la Fontaine imposera son axe de ré-
qu’ils ont fait établir par Subreville, officier du
la province, car selon la volonté de Louis XIV
de l’Esplanade, confection d’un mur de soutè-
férence, avec les allées Jean-Jaurès, qui mar-
Corps des Fortifications. Un simple aménage-
une seule place royale devait être réalisée dans
nement au nord, creusement de la rampe pour
quera fortement le développement urbain de
ment sommaire sera réalisé en 1717, par l’ins-
chaque province dotée d’États, et Montpellier
se raccorder au faubourg de Nîmes, et planta-
la ville dans ce secteur ■
pecteur des travaux publics de la province Jean
avait été nommément désigné pour le Lan-
tion des trois rangées d’ormes.
de Clapiès, pour permettre de dresser le 10 fé-
guedoc, c’est la promotion des esplanades et
Aux ormes rapidement dépéris faute d’arro-
vrier 1718, cette statue équestre, avant que La-
autres larges cours plantés à plusieurs rangées
sage, succèdent quatre rangées de sycomores
moignon ne quitte Montpellier, quelques jours
d’arbres qui va se répandre dans la province,
qui ne connaîtront pas un sort meilleur, l’ar-
après, pour une retraite parisienne.
petites villes et même villages compris.
rivée en 1779 des eaux de l’aqueduc d’Henri
La polémique déclenchée par ce choix de
Sous l’Ancien Régime, en l’absence de légis-
«mettre le roi aux champs» par la création d’une
lation spécifique pour les aménagements ur-
place hors les murs, est aplanie par la confection
bains, ce sont par des dispositions diverses,
1847 par les platanes actuels.
en 1717 par Subreville, sur la demande de Jo-
notamment d’ordre financier, doublées d’in-
En 1778, une banquette de pierre est rajoutée
seph Bonnier, d’un plan de circonstance présen-
jonctions régaliennes, que les intendants ob-
pour clore l’Esplanade au nord, à la demande
tant le Peyrou comme la future place centrale
tiennent la réalisation des aménagements sou-
de l’intendant Jean de Guignard de Saint-Priest.
d’une grande extension de la ville vers l’ouest.
haités, en opérations blanches, financées par
A Nîmes, l’aménagement de la Fontaine en-
Ce projet sera contrecarré par Antoine Niquet,
les propriétaires privés et les communautés ; il
trepris en 1738, sous la direction de Jean de
directeur des fortifications de Languedoc.
en sera ainsi pour l’Esplanade de Montpellier.
Clapiès, ingénieur de la province, par les
En 1729, c’est le nouveau directeur des fortifi-
Depuis la démolition en 1623 de la portion de
consuls pour améliorer la ressource en eau de
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Esplanade servitude Sénès,
Montpellier
Boulevard planté
à Marsillargues
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Nîmes, canal du Vistre
en sortie de la Fontaine
Nîmes, projet d’agrandissement
vers le sud-est
Pitot, dans deux bassins destinés à leur arrosage, étant trop tardive. Ils seront remplacés en
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Nîmes : les migrations du musée
des Beaux-Arts dans la ville
Pascal Trarieux
29 avril 2004
L’histoire de la création du musée des Beaux-Arts, à Nîmes,
de ses localisations successives, de la construction du musée actuel,
de l’aménagement du quartier Cité Foulc.
Le musée des Beaux-Arts de Nîmes a connu
Maffei, Séguier se fit bâtir en 1770-1771 une
plusieurs lieux successifs, liés à l’architecture,
maison pour contenir ses collections qui furent
dans quatre édifices : la Maison Carrée réhabili-
aussitôt ouvertes au public, suivant un circuit
tée en 1823, l’ancien hôpital général restructuré
de visite, que de nombreux scientifiques eu-
en 1875-1880, le musée provisoire puis le bâti-
ropéens purent apprécier. Bien que de statut
ment actuel, construit il y a tout juste un siècle
privé, les collections de Séguier sont à l’origine
spécifiquement pour cet usage.
de celles qui composent aujourd’hui le musée
archéologique, celui d’histoire naturelle, ainsi
Situation antérieure, l’Ancien Régime
Bien avant l’organisation institutionnelle et lé-
que le fonds patrimonial de la bibliothèque,
par confiscation révolutionnaire.
164
tée de lieux pouvant répondre aux définitions
Le musée Marie-Thérèse
les plus actuelles de musée, étant elle-même
Les collections du musée des Beaux-Arts de
un vaste musée à ciel ouvert, où les monu-
Nîmes sont nées dans le musée créé en 1823
ments romains sont reliés par un parcours de
à la Maison Carrée, sous l’impulsion du préfet
vestiges antiques dans les rues : les couvents,
Villiers du Terrage, qui voulut y rassembler des
les cours d’hôtel particuliers, les églises, dans
modèles destinés à former le goût des élèves
les murs desquels stèles, statues et fragments
de l’école de dessin fondée par lui en 1820.
de frises et de chapiteaux sont enchâssés (dont
L’établissement porta jusqu’en 1830 le nom de
il reste l’homme dit «aux quatre jambes», l’hô-
musée Marie-Thérèse en souvenir de la visite
tel Meynier de Salinelle, ou celui de Régis). Il en
que lui fit la duchesse d’Angoulême. Les sculp-
est ainsi à Nîmes depuis longtemps. Mais nous
tures romaines et les collections d’antiques y
n’avons de témoignages de collections qu’à
voisinèrent durant plus d’un demi-siècle avec
partir de la publication, en 1559, du Discours
les collections artistiques contemporaines
historial de l’antique et illustre cité de Nismes
constituées des premières œuvres de peintres
par Jean Poldo d’Albénas : les découvertes
vivants, provenant des précédents salons où
d’éléments de l’Antiquité sont nombreuses et
apparaît le mouvement romantique : Xavier Si-
les pièces sont collectées par les érudits locaux.
galon, Locuste essayant le poison destiné à Bri-
Dès le début des travaux d’aménagement du
tannicus, salon de 1824, acquis en 1829 ; Paul
Jardin de la Fontaine, en 1738, sont mis au jour
Delaroche, Cromwell découvrant le cercueil
les «bains des Romains», qui guideront l’ingé-
de Charles Ier, salon de 1831, dépôt de l’État
nieur du Roi Jacques-Philippe Mareschal dans
en 1834 ; mais aussi des peintures anciennes
le projet dont résulte le jardin actuel. Parallèle-
issues
ment au chantier, le Temple de Diane va pro-
(Reynaud Levieux, La Décollation de Saint
gressivement constituer une sorte de conser-
Jean-Baptiste (1656) et Saint Jean-Baptiste et
vatoire des vestiges exhumés : une première
Hérode (1686).
notion de collection publique en quelque
Les acquisitions semble judicieuses de nos
sorte, car en 1741, est affecté «le sieur Mathieu,
jours puisque nous trouvons en 1826 le Por-
médecin, à la conservation de toutes les antiqui-
trait de Marcelliano de Barea par Rubens ; en
tés que le creusement des canaux pourra faire
1827, l’achat de la collection de Jean Vignaud :
découvrir».
Cairo, Cornelis de Heem, Michel II Corneille,
Pascal Trarieux
Le cabinet de travail de Jean-François Séguier
Hyacinthe Rigaud, Jean-François de Troy,
est attaché de Conservation
fut le premier musée à Nîmes, voire en Europe.
Deshays et Boucher ; en 1828 : Elisabetta Sirani,
du patrimoine au musée des
De retour dans sa ville natale en 1755, après
Prospero Fontana et Mattia Preti, deux portraits
Beaux-Arts de Nîmes.
un long séjour à Vérone auprès du Marquis de
par Delyen.
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confiscations
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alors que la galerie totalise 606,58 m². Les nou-
dons, des legs et des dépôts de l’État, fit appa-
velles perspectives offertes par l’installation
raître l’insuffisance d’un local où, en plus des
de locaux plus spacieux et mieux aménagés
vestiges archéologiques, on dénombrait déjà
étaient encourageantes pour l’accroissement
cent quarante-quatre peintures et sculptures en
des collections. C’est ainsi que les dons se ma-
1844, dont certaines étaient de grandes dimen-
nifestent : sculptures en marbre, tableaux de
sions. On y présentait, en outre, périodique-
grand format. On notera l’exceptionnelle toile
ment, des expositions ; celle qui fut organisée
de Luca Giordano L’Enlèvement de Déjanire
en 1865 ayant réuni pas moins de cent soixante-
actuellement en restauration. Les dépôts du
quinze œuvres. Lorsque la ville se vit offrir en
Louvre se multiplient également : dix envois
legs la collection de l’Anglais Robert Gower, qui
en 1872 (Charles Natoire, Le Repas de Marc An-
comportait plus de quatre cents objets d’art et
toine et Cléopâtre, puis en 1876 le troisième ta-
peintures anciennes, il fut évident qu’elle ne
bleau de Reynaud Levieux, L’Arrestation de saint
pourrait l’accueillir à la Maison Carrée.
Jean-Baptiste, complétant ainsi le cycle).
La plupart des œuvres importantes des écoles
gislative des musées, la ville de Nîmes était do-
des
Cet enrichissement assez rapide, accru par des
révolutionnaires
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italiennes proviennent de ce legs (Giambono,
Le musée provisoire
Lippi, Maestro Esiguo, atelier de Lorenzo di
Malheureusement, cette période faste fut
Credi, Garofalo, Moroni, Capassini, Lelio Orsi,
brève : le projet de palais des Arts, ayant été ra-
Morazzone, Scarsellino, Lanfranco, Rosselli,
pidement abandonné au profit du Lycée Dau-
Vassalo, Mola, Langetti, Vaymer, Guidobono,
det (conséquence des lois de Jules Ferry de
Marieschi), le chef d’œuvre étant la Suzanne et
1880), un musée provisoire fut prévu dès 1883
les vieillards de Jacopo Bassano, signé et daté
dans le quartier neuf de la gare, pour abriter la
de 1585.
collection de peintures, devenue trop importante.
Le palais des Arts : un projet ambitieux
Le 13 août 1883, le conseil municipal décide de
La ville accepta sans trop d’hésitation la col-
l’emplacement, de l’achat du square de la Man-
lection Gower, car elle projetait d’installer
dragore au propriétaire Edmond Foulc (don-
l’ensemble de ses collections, ainsi que la
nant son nom à la rue Cité Foulc) et de l’accep-
bibliothèque et l’école de dessin, dans un pa-
tation du projet. La construction est envisagée
lais des Arts qui occuperait les bâtiments de
à l’économie, mais les évènements modifient
l’ancien hôpital général. Ceux-ci furent effec-
le projet qui devient définitif par la découverte
tivement aménagés, et même complétés par
d’une somptueuse mosaïque romaine dite
des constructions nouvelles, et le musée y fut
d’Admète, de 9,50 m sur 6,50 m, qui sera scellée
transféré en 1880. En février, le conseil décide
au sein du bâtiment.
de l’ameublement : deux statues pour le vesti-
Deux peintures de Raphaël Courtois montrent
bule ainsi que deux divans, les tentures de la
les salles de cet édifice en 1898.
porte d’entrée, et projette «de défendre l’approche indiscrète des tableaux par la pose d’un
Naissance du musée des Beaux–Arts
grand câble soutenu par des consoles en fer
Ce musée provisoire fut remplacé sur le square
forgé», enfin «un objet décoratif en rapport avec
de la Mandragore par l’édifice actuel, grâce à
la beauté et l’étendue de la grande salle» com-
un concours organisé en 1902 et construit de
plété par deux divans de quinze places chacun,
1903 à 1907, suivant un programme préétabli
en bois mouluré, tendus de velours rouge,
pour cet usage : servir d’écrin aux œuvres d’art,
la restauration des banquettes de la Maison
par l’architecte nîmois Max Raphel (1863-1943),
Carrée en velours grenat, les socles pour les
lauréat du concours. «Le projet de M. Raphel
statues. On trouve les indications précieuses
se recommandait par la simplicité de son plan
des surfaces des salles d’exposition : vestibule
et par le groupement des services autour d’un
24,32 m², hauteur 7,80 m ; grande salle de 35 m
hall central ; par le système d’éclairage spécia-
sur 15 m, pour une hauteur de 8 m soit 525 m²
lement étudié et projeté, au moyen d’écrans mo-
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Scénographie urbaine au XIXe siècle :
un projet autour du monument antique,
(Nîmes, Arles, Vienne)
Isabelle Durand
14 décembre 2004
Une présentation des aménagements projetés, réalisés ou non, pour les
Façade principale
du musée des Beaux-Arts
à Nîmes
monuments antiques au XIXe siècle : à Nîmes, la Maison Carrée et l’amphithéâtre,
à Arles, l’amphithéâtre et à Vienne, le temple d’Auguste et de Livie.
biles placés entre le plafond en verre et le châs-
d’une épuration totale. J’avais laissé vraiment le
sis, et qui prendraient jour par la toiture : ce qui,
minimum, seules les portes ressortaient, toutes
avec le caractère de simplicité et de grandeur
les cimaises étaient blanches, et l’on avait mis
- mais sans trop de recherche monumentale -
au plafond de grandes herses noires qui sup-
imprimé aux façades, a dû plaire au Jury». C’est
portaient l’éclairage. C’était une intervention en
un bâtiment moderne qui se cache sous un
douceur, un vrai coup de clarté».
habillage décoratif : sculptures ornementales,
Le soin apporté au traitement des portes, à la
ferronneries, stucs et mosaïques ; mais le mé-
mise en valeur des verrières, à la lumière, au
tal et le verre des charpentes et des verrières,
choix des couleurs (serrurerie noire, planchers
les planchers de béton et d’acier, sont autant
gris, murs et plafonds blancs) témoigne de la
d’innovations techniques à l’aube du XXe siècle.
volonté de restituer au musée toute son am-
Cet esprit novateur se retrouve dans la réno-
pleur. Rendu à son efficacité, le plan des lieux,
vation spectaculaire. Ce nouveau bâtiment
parfaitement symétrique, n’est jamais rompu
consacré essentiellement aux peintures an-
ni compartimenté. Seuls de grands vitrages
ciennes permit l’accueil d’un legs exceptionnel
isolent les galeries supérieures. Le regard est
de toiles surtout nordiques et françaises de
sans cesse sollicité par l’immense atrium que
la collection de Charles Tur en 1948 : Bellotti,
surplombe un sobre gril de théâtre. La pers-
Crespi, Conca, triptyque du Maître du Saint-
pective faite de motifs successifs de serliennes
Sang, Francken, Van der Helst, Berthélémy,
stylisées - emblématiques de l’architecture de
Moreau, Lagrenée. Les dépôts du Musée du
la Renaissance italienne - livre à l’admiration le
Louvre viennent enrichir cet ensemble : 1954,
superbe Tondo Foulc : Vierge à l’Enfant d’Andrea
Pannini, Subleyras et Théaulon ; 1957, Jacob
della Robbia, bas-relief en faïence polychrome
Duck ; 1958, les grandes toiles de Natoire (com-
qui constitue le joyau de la collection, don
plétant le cycle de Marc-Antoine) et Brenet.
d’Edmond Foulc en 1916.
Les acquisitions récentes avec l’aide du
Réhabilitation par Wilmotte
FRAM, en 1998, Moïse et le serpent d’airain par
Respectueux d’une symbolique monumen-
Chaperon ; en 1999, la Salomé de Bramer
tale inscrite dans la mémoire de la ville,
constitue
Jean-Michel Wilmotte a métamorphosé en
d’achat, puisqu’il s’agit du tableau représenté
1987 ce lieu en espace ouvert. Il décrit ainsi sa
dans la peinture de Jacob Duck.
première intervention sur un musée en tant
Le musée de Nîmes est devenu aujourd’hui un
qu’architecte : «C’était à Nîmes, au musée des
lieu d’échange et de communication. Vivant,
Beaux-Arts, un grand espace datant de la fin du
il abrite des collections renouvelées, des ex-
siècle dernier. Mon travail consistait à simplifier
positions temporaires mais aussi une série de
l’ensemble, à supprimer les reliefs qui avaient
services faisant partie d’un même ensemble
trop d’importance et pouvaient gêner l’œil, puis
culturel ouvert sur le XXIe siècle ■
l’exception
dans
l’opportunité
à introduire une lumière efficace. Il s’agissait
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Le dégagement et la restauration des vestiges
flexion sur les abords des édifices dans ses
antiques posent, dès le premier Empire, le pro-
Entretiens. Il regrette en effet que : «Les monu-
blème crucial de la place consacrée aux monu-
ments de l’antiquité en ruine, saccagés, portant
ments au sein de la ville du XIXe siècle.
l’empreinte de la dévastation des barbares»
La «résurrection» de ces édifices s’accompagne
soient le plus souvent «perdus dans la poussière
de deux mesures mises en œuvre avec plus ou
ou la fange, entourés de débris informes»1. Il
moins de succès : la réutilisation et la mise en
rappelle aussi que : «Les anciens, s’ils élevaient
valeur. Elles apportent une solution à la ques-
de beaux monuments, ne négligeaient pas leur
tion de la pérennité de la sauvegarde en les
entourage, choisissaient leur place, ils savaient
plaçant au cœur d’un projet urbain.
conduire la foule, par des transitions habile-
La mise en valeur des édifices antiques méri-
ment ménagées [et les édifices] n’étaient jamais,
dionaux bénéficie des réflexions menées sous
comme la plupart de nos monuments publics,
le premier Empire sur la ville. La question de
les pieds dans la boue. Il faut aux œuvres d’art
la place du monument antique dans la ville a
une mise en scène», parlant de «présentation au
été posée en termes précis sous le premier Em-
public». Cette réflexion annonce les travaux de
pire à Rome. Les expériences conduites dans
l’autrichien Camillo Sitte, Der Städtebau nach
la Rome napoléonienne (1809-1814) dès 1810
Seinen Künstlerischen Grundsätzer (1889) énon-
par la «Commission pour les embellissements de
çant les principes d’une conservation muséale
la Ville de Rome», sous la présidence du préfet
de la ville historique.
de Tournon constituent une source d’inspira-
Des travaux urbanistiques sont exécutés au-
tion pour les restaurateurs du XIX siècle qui ne
tour des édifices afin de les mettre en valeur.
peuvent ignorer les travaux romains. Il est alors
L’isolement en est la condition sine qua non.
question tout autant d’archéologie, que d’hy-
Des places, des rues mais également des en-
giène, de voirie ou encore d’esthétique. sembles urbains sont créés afin de «recevoir»
De cette expérience est né un principe définis-
les vestiges antiques. La recherche esthétique
sant le projet urbain comme corollaire de la
menée tout au long du siècle précédent, le res-
conservation. Il ne s’agit plus de dégager et de
pect de l’ordonnance et le goût de la symétrie
consolider mais «d’exposer» et de «présenter».
s’appliquent à la trame urbaine. L’esthétique
e
Depuis la création à la fin du XVIII siècle du
urbaine appelle la rectitude des rues en rela-
corps des Ponts et Chaussées, les architectes
tion à la perspective monumentale. S’impose
sont confinés dans le vase clos de l’école des
alors l’inscription de la forme dans la trame
Beaux-Arts, et par conséquent, peu préparés à
urbaine. La forme des amphithéâtres conduit
la nécessité de réorganiser les espaces urbains
les autorités, les ingénieurs et les architectes
autour des monuments. Nombreux sont ceux
à concevoir des dégagements d’espaces de
Isabelle Durand
toutefois qui cherchent des solutions comme
forme identique. Cet espace elliptique ainsi
docteur en histoire de l’art, est
Charles-Auguste Questel et Constant-Dufeux,
créé induit la mise en application d’un plan
l’auteure d’une thèse sur la
au sein de la Commission des Monuments His-
d’alignement du quartier ; ce que font l’ingé-
conservation et la restauration des
toriques.
nieur des Ponts et Chaussées Victor Grangent
monuments antiques au XIXe siècle
Mais le sujet est rarement débattu ou même
sous le premier Empire à Nîmes et l’architecte
à Arles, Nîmes, Orange et Vienne,
évoqué dans les projets relatifs aux monu-
des Monuments historiques, Charles-Auguste
publiée aux Presses Universitaires
ments. En 1863, Viollet-le-Duc formule la ré-
Questel, à partir de 1844-1845 à Arles.
de Rennes.
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Mais le sujet est abandonné et il faut attendre
Le temple d’Auguste et de Livie fait l’objet plus
qui «le véritable aspect de la maison carrée doit
1841 pour que l’architecte de la ville Guillaume
tardivement d’une scénographie urbaine.
être par la rue projetée en face du frontispice
«primitif». Le bâtiment du Jeu de Paume, situé
Véran reprenne l’idée d’un dégagement circu-
En 1838, le conservateur-bibliothécaire Thomas
d’où il produira le plus bel effet.»12. L’attention
près du monument et l’ancienne Comédie sont
laire. L’année suivante, l’inspecteur des Monu-
Delorme demande «d’isoler le monument de
doit donc se porter et se centrer sur cette voie
démolis. L’annonce du décret impérial du 2
ments historiques, Prosper Mérimée, est envoyé
toutes les constructions qui l’entourent et qui
projetée. Le percement est effectif en 1828. La
février 1809 permet à Victor Grangent de pro-
sur place «pour arrêter les bases d’un plan géné-
nuisent ainsi à l’admiration que l’œil peut en
rue projetée en face du temple d’Auguste et de
poser un dégagement et un isolement de tout
ral d’alignement.»
Le premier véritable plan
faire, comme elles compromettent son existence
Livie à Vienne ne sera quant à elle jamais per-
l’espace compris entre l’amphithéâtre, l’ancien
d’isolement et de mise en valeur correspond à
même par le danger de la communication de
cée.
palais de Justice et l’esplanade. En 1812, Victor
l’arrivée de l’architecte Charles-Auguste Questel
l’incendie.» Cet isolement s’accompagne de
La ville désormais expose ses vestiges tels des
Grangent envisage de cerner l’édifice de grilles
sur le chantier de l’amphithéâtre en 1845.
la création d’une place. La question de l’ex-
joyaux dans l’écrin du tissu urbain, paré pour la
d’enceinte (en rouge), les maisons (en jaune)
La création de places autour des monuments
position et de la présentation du vestige est
circonstance de nouveaux atours. La recherche
du côté de la façade principale nord sont à
antiques participe de la refonte du tissu urbain.
au cœur de la réflexion patrimoniale. En 1844,
esthétique entre pour une grande part dans les
démolir, ainsi que d’autres dont les bâtiments
Esplanades ou placettes, circulaires ou rectan-
Charles-Auguste Questel souhaite placer l’édi-
projets urbains conçus autour des monuments
appartenant au palais de Justice.
gulaires, tous ces projets portent la marque, si
fice «au milieu d’une belle place et dans les
antiques. Cette mise en valeur a largement re-
Il projette aussi l’aménagement d’une place au
ce n’est l’influence, du goût pour les places du
meilleures conditions voulues pour qu’on puisse
cours au mobilier urbain : pavages, bornes et
sud. La route conduisant de Lyon à Montpellier
XVIIIe siècle. Le discours se teinte parfois d’hy-
apprécier ses formes architecturales.»10 L’idée
balustrades.
passe au sud de cette place (espace partielle-
giénisme mais le souci du Beau et le respect de
est reprise par son successeur Constant-Dufeux
Le paysage urbain touché par les campagnes
ment libéré par la démolition des remparts à la
la symétrie sont néanmoins très présents.
qui décide de redessiner les contours de cette
de dégagement et de restauration s’est retrou-
6
9
fin du XVIII siècle). L’autre côté de cet axe relève
A Nîmes, Victor Grangent songe, dès 1809, à
place en modifiant le plan primitif.
vé profondément bouleversé. Les travaux de
également du plan d’alignement ; en rose, fi-
une mise en valeur de l’amphithéâtre afin de
Un plan cadastral de 1875 montre ainsi le
déblaiement et d’isolement ont eu pour consé-
gurent les maisons à construire afin de parfaire
«faire jouir les habitants et les Etrangers de la
temple au milieu d’une place aux larges pro-
quence spécifique un abaissement du niveau
l’urbanisme du quartier.
vue de ce magnifique monument et de la belle
portions. L’édifice antique, un peu décentré
du sol. Ces distinctions de niveaux nécessitent
Le plan est d’ailleurs approuvé par le Conseil
platteforme qui existera à son pourtour jusqu’au
sur le côté sud, est entouré d’une plate-forme
des travaux de nivellement qui se confondent
des bâtiments civils car il «rend le monument
chemin de Montpellier».7 Un espace a été laissé
à degrés conduisant au niveau du sol antique
très rapidement avec des opérations d’em-
à l’indépendance, à la pureté, à l’isolement
vacant au sud en 1811, mais il ne s’agit pas d’un
selon un dénivelé d’environ un mètre. Les
bellissements de différents types. Les édiles
qu’il avait dans le principe».4 En 1824, le direc-
ensemble concerté. En 1812, l’ingénieur ré-
monuments antiques sont entourés de voies
conçoivent ces opérations d’ordre esthétique
teur des travaux publics de la Ville, Desmaret,
dige donc un premier projet de création d’une
publiques, voire même traversés par celles-ci
comme la parfaite continuité de tous les efforts
conçoit un plan d’alignement des maisons si-
place et un plan d’aménagement du quartier
(amphithéâtres, théâtre antique d’Arles).
consentis auparavant et surtout comme une
tuées autour de l’amphithéâtre. L’îlot parasite
des arènes doté d’une place méridionale. En
Les travaux de déblaiement perturbent cette
juste issue à des décennies de travaux.
doit disparaître du tissu urbain, les rues du
1816, les travaux sont en cours d’achèvement.
topographie particulière et modifient la trame
Après avoir créé des places et percé des rues,
Mulet et des Sœurs Grises sont touchées. Du
L’espace ainsi libéré permet un recul et une
urbaine afin de mieux intégrer le vestige par la
il convient de les doter d’aménagements en
côté nord-ouest, cinq maisons sont également
meilleure vue d’ensemble sur le monument
création notamment de nouveaux axes, répon-
conséquence. Le pavage des rues est la me-
frappées par la mesure d’alignement. Les dé-
antique, tel un joyau offert aux yeux des voya-
dant aux soucis d’hygiène, d’assainissement et
sure la plus couramment utilisée. Dès la fin des
pendances de l’ancien palais de Justice et les
geurs empruntant la route conduisant de Lyon
de circulation.
travaux de déblaiement de l’amphithéâtre de
anciennes prisons doivent être démolies (en
à Béziers.
C’est le cas pour la Maison Carrée. Dès 1785,
Nîmes et alors que les restaurations ne sont pas
jaune). L’est, constitué essentiellement par un
La réflexion est identique pour les temples.
Jean Arnaud Raymond (1742-1811), véritable
encore achevées, Victor Grangent prévoit une
nouveau quartier, ne présente aucune modifi-
Dès 1800, l’architecte Charles Durand conçoit
urbaniste visionnaire, propose un plan am-
gondole circulaire établie au pourtour, revêtue
cation, si ce n’est la mise en valeur, en prolon-
un plan de mise en valeur de la Maison Carrée,
bitieux de la ville. Il envisage la création d’un
d’une couche de ciment sur laquelle sont dé-
gement de la place Saint-Antoine et du bou-
valorisation qui semble indissociable de celle
square (Antonin) à l’extrémité d’une rue devant
posés des moellons d’échantillon, des bornes
levard des Arènes qui contourne l’édifice par
de l’ensemble du quartier. Son projet s’ins-
être percée, afin d’offrir une perspective sur le
en pierre de Roquemaillère et un chaînage13.
l’est. Au sud, le directeur des travaux publics de
pire des réflexions de Jean Arnaud Raymond
péristyle de la Maison Carrée (la future rue Au-
Une réflexion similaire est développée pour
la ville prévoit, tout comme Victor Grangent, un
en 1785 sur le quartier et la mise en scène du
guste) et un théâtre ou une salle de spectacles
l’amphithéâtre d’Arles. À partir de 1844,
certain nombre de reconstructions.
monument antique. Il imagine une place car-
en face du temple. En 1800, Charles Durand
Charles-Auguste Questel conçoit un véritable
La question se pose aussi à Arles autour de
rée fermée entre l’édifice antique et la salle de
propose à son tour un plan général du quar-
plan général de sauvegarde comprenant non
l’amphithéâtre. Dès 1812, l’architecte-voyer
spectacles dite la «Comédie». Victor Grangent
tier et prévoit «d’ouvrir en face du péristyle du
seulement les opérations de consolidation
Frézel propose dans son plan d’alignement gé-
reprend le projet en 1809. Dans son Mémoire
temple une rue qui conduit de ce temple au
courantes mais aussi l’insertion dans un vaste
néral des rues de la ville la mise en place «d’une
sur les moyens de restauration de la Maison Car-
grand cours.» Cette rue devait porter le nom
projet d’ordre urbanistique touchant tout le
ligne circulaire et parallèle à la courbe de l’am-
rée, il propose la création d’une place entre le
de «rue Bonaparte» (aujourd’hui rue Auguste).
quartier. A la fin de l’année 1847, tous les dé-
phithéâtre pour l’isoler de 12 mètres.»
temple antique et la Comédie.
L’idée est reprise en 1809 par Grangent pour
blais sont enlevés, les rues nivelées sont lavées
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rendre à l’amphithéâtre son cadre urbain jugé
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Nîmes : Victor Grangent,
Plan d’une partie de la
ville de Nîmes au pourtour de l’amphithéâtre
romain, [1812], Arch.
Dép. Gard 8T 275
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Dès 1807, la municipalité nîmoise souhaite
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Nîmes : Victor Grangent,
Plan de l’amphithéâtre
romain, 1809, Arch. Dép.
Gard 8T 273
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Vue d’un temple antique appelé
Notre-Dame-de-la-Vie à Vienne,
Les monuments de la France
classés chronologiquement,
1816-1836, pl. 40, dessin de
Bance.
169
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«Vue perspective de la Maison
Carrée du côté nord-ouest»
Description des monuments
antiques de la France, Grangent,
Durand et Durant, pl. XXI.
«Vue de la nouvelle salle des
spectacles de la ville de Nismes
exécutée d’après les plans
et dessins et sous la conduite
de M. Meusnier», architecte,
début XIXe siècle,
Arch. Dép. Gard carton I.
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et pavées en petits cailloux de la plaine de la
règles. Le portique doit être monumental, mais
l’entrée principale. Le monument antique se
urbain. L’intégration est jugée réussie à Nîmes
Crau14. Les options retenues mettent en scène
sans écraser l’édifice antique ; la colonnade ne
trouve de cette façon mis en valeur. Surélevé
et à Arles alors que le constat est plus mitigé à
et en valeur l’édifice mais en conservant un
doit pas rivaliser avec celle du temple voisin.
sur son massif rocheux, il domine dès lors le
Vienne. Il reste que ne se retrouve pas à Arles,
caractère pittoresque au quartier. Point là d’ar-
En 1798, une société d’actionnaires charge l’ar-
quartier au nord ; le perron frontal, d’une quin-
pas plus d’ailleurs qu’à Vienne, cette volonté
chitecture antiquisante ou d’effet de grandeur,
chitecte Antoine Meunier et le peintre Lesueur
zaine de degrés, permet une liaison quelque
indéniable, présente à Nîmes, de dégager et
mais tout au contraire un projet urbain plus en
de dresser les plans d’une nouvelle salle de
peu théâtralisée.
de restaurer l’édifice, associée à un rêve de re-
rapport avec la ville. Une relative simplicité et
spectacles sur la place de la Maison Carrée et
Ainsi, architectes et ingénieurs ont su mettre
construction d’un environnement antiquisant
une adéquation au caractère de la ville (cail-
d’en assurer sa décoration intérieure. En 1800,
en scène et valoriser le patrimoine antique au
dont la ville porte encore des traces. ■
loux de la Crau) ont présidé à la mise en scène
au terme d’une construction rapide mais ina-
moyen d’une connaissance précise du tissu
de l’amphithéâtre. Les rues convergent vers
chevée (le bâtiment n’a pas encore de façade
l’amphithéâtre, défini en quelque sorte comme
digne de ce nom), la salle de spectacles peut
point de ralliement. Plus qu’à Nîmes encore,
enfin ouvrir. La société connaît de gros soucis
le monument devient le centre du quartier au
financiers, les actionnaires réclament un fort
risque d’être enfermé dans son écrin de rues et
loyer, le directeur croule sous les frais et les
de places.
fermetures fréquentes imposées par la censure
Le monument antique peut faire l’objet de
limitent les rentrées d’argent et les prises de
réels projets urbains accompagnés d’une vo-
bénéfices. Malgré les injonctions des préfets
lonté d’embellissement de leurs abords.
Dubois puis d’Alphonse, la façade tarde à être
Dès 1800, Charles Durand envisage une refonte
terminée. Victor Grangent, en 1821, remarque
du tissu urbain, accompagnée d’un nouvel or-
que «Personne n’a eu et n’aura sans doute ja-
donnancement des façades autour de la Mai-
mais la prétention de distraire l’attention de ce-
son Carrée. Une vue perspective de la Maison
lui qui approchera la Maison Carrée de Nismes.
Carrée du côté nord-ouest, extraite de la Des-
Un péristyle à colonnes d’ordre ionique pour
cription des monuments antiques de la France
l’entrée de la salle de spectacles, des maisons
de Victor Grangent, Charles Durand et Simon
particulières construites avec goût au pourtour
Durant (pl. XXI) montre au premier plan une
du monument, ne seront jamais que le cadre
façade ordonnancée à trois niveaux (arcade,
d’un beau tableau».16
surmontée d’un large bandeau plat au-dessus
La façade finalement réalisée est une version
duquel s’ouvre une large fenêtre rectangulaire
épurée du projet de Meusnier. Dans les années
encadrée de consoles à volutes soutenant l’en-
1826, la salle de spectacle est dotée d’un pé-
tablement supérieur en faible saillie), le dernier
ristyle plus sobre. Trop coûteuses, les statues
niveau est percé de petites ouvertures et sur-
ont disparu. Cette colonnade fait pendant à
monté d’une corniche en forte saillie à modil-
celle de la Maison Carrée. Il ne s’agit pourtant
lons. Alphonse de Seynes s’attache aussi aux
nullement de concurrence mais bien de la ré-
façades des maisons situées en vis-à-vis du pé-
alisation d’une toile de fond antiquisante à la
ristyle de la Maison Carrée. Il retient un rythme
mesure du monument. Les travaux s’achèvent
architectonique ternaire pour l’animation de la
en 1828. Finalement inscrite à l’Inventaire gé-
(11) Arch. Vienne Q 27 : arrêté préfectoral daté du
18 octobre approuvant ces dispositions.
façade ; deux fenêtres alternent avec une baie
néral, la magnifique colonnade ionique fait dé-
occupant toute la hauteur du premier registre.
sormais le bonheur… des conducteurs épuisés
(12) Ibid.
Toutes ces ouvertures sont placées sous des
sur l’aire de Caissargues, sur l’autoroute A54,
arcades figurées. Enfin, l’ordonnance com-
entre Nîmes et Arles.
plète du quartier est repensée et redéfinie sur
De façon assez similaire, l’amphithéâtre
des références antiquisantes : les façades sont
d’Arles fait l’objet d’une théâtralisation avec
alignées et uniformisées à l’aide d’arcades, de
la construction d’un grand perron au nord en
bandeaux, de corniches .
1847. Les travaux d’isolement et de recherche
Mais cette idée d’ «écrin» va plus loin et lorsqu’il
du sol antique contribuent à accentuer le dé-
est question de donner une façade à la salle
nivelé important et l’accès en est désormais
de spectacles proche, l’architecture antique,
compliqué. Charles-Auguste Questel conçoit
tant admirée de la Maison Carrée, impose ses
donc une sorte de «piédestal» majestueux pour
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(1) Viollet-le-Duc, E., Entretiens, (1ère éd. 1863),
Bruxelles, 1975, t.VII, pp.253-254.
(2) Arch. Dép. Gard, 8T 272 : lettre du maire Casimir Fornier adressée au préfet, datée du 10 octobre 1807.
(3) Arch. Dép. Gard, 8T272 : lettre de Grangent adressée
au préfet, datée du 14 mars 1809.
(4) Arch. Nat. F21 2485 : p.-v. du Conseil des bâtiments
civils, rapport de Rondelet en séance du 10 juin 1813.
(5) Arch. Arles IIM 3 : extrait du registre des délibérations du conseil municipal, séance du 15 février 1812.
Le projet est présenté par le maire comme relevant de
«l’utilité publique et de l’embellissement de la ville».
(6) Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, VIIT 91/1 : lettre du
ministre de l’Intérieur adressée au préfet La Coste,
datée du 26 juin 1842.
(7) Arch. Nat. F13 1707 : «Mémoire sur les moyens de
restauration et de conservation de l’amphithéâtre de
Nismes, rédigé par l’Ingénieur en chef de Première
classe du corps impérial des Ponts et Chaussées dans
le département du Gard, Grangent», daté du 19 juin
1809.
(8) Arch. Dép. Gard, 8T 275 : devis estimatif des
ouvrages à faire à l’amphithéâtre de Nîmes, signé
Grangent, daté du 1er décembre 1812.
(9) Arch. Monuments historiques 1110-1 : rapport de
1838.
(10) A.M.H. 1135-1 : extrait du rapport de Questel, daté
du 15 février 1844.
(13) Arch. Dép. Gard, 8T274 : rapport de l’ingénieur
en chef des Ponts et Chaussées, Grangent, daté du
7 octobre 1808.
(14) Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, VIIT 91/4 : états
de situation des travaux réalisés à l’amphithéâtre
d’Arles, durant les exercices 1847/1849 : états n°11 à 16
(travaux du 31 décembre 1847 au 30 novembre 1848).
(15) Seule la rue Auguste porte encore les traces de ces
aménagements.
(16) Arch. Dép. Gard, 8T342 : «Rapport relatif à la situation actuelle des travaux de restauration de la Maison
Carrée de Nismes», signé de l’ingénieur des Ponts et
Chaussées, daté du 30 mai 1821.
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Les vacances du plus grand nombre :
l’aventure de la Mission Racine.
La Grande-Motte, le Cap d’Agde, Leucate-Barcarès
Jean- François Pinchon
12 avril 2005
«d’inventer quelque chose» pour juguler
tint à l’organisation d’une opération réelle-
l’hémorragie touristique vers la Costa Bra-
ment originale d’une envergure sans équiva-
va et éviter l’engorgement de la Côte d’Azur.
lent dont l’objet fut d’assurer la mutation éco-
côtes du Languedoc-Roussillon. Le 18 juin 1963, un décret donne naissance à la
C’est-à-dire remédier au déséquilibre évident
nomique du Languedoc-Roussillon. Après un
Mission interministérielle pour l’aménagement du littoral du Bas-Languedoc et
dont souffre la côte méditerranéenne, avec,
siècle de stagnation, de déclin, dûs avant tout
d’une part une surpopulation en Provence et
aux difficultés de la viticulture, on a mesuré
d’autre part, une inexploitation complète des
dans celle-ci les dangers de la monoculture,
rivages du Golfe du Lion.
entraînant le départ des éléments jeunes et
L’entreprise de la Mission Racine, sa logique
actifs soucieux d’échapper à l’appauvrisse-
et sa méthode apparaissent comme un vaste
ment progressif des populations. Le Langue-
laboratoire, exemplaire à bien des égards. Ce
doc-Roussillon, sans industrie lourde, avec
laboratoire, ce sont 180 kilomètres de côtes,
une industrie de transformation et des indus-
autant que la Côte d’Azur, sur lesquels ont été
tries extractives de faible production, voyait
scientifiquement disséminées des villes nou-
son avenir économique presque totalement
velles exclusivement dévolues au loisir du
bouché. C’est ainsi qu’est née l’idée d’intro-
«plus grand nombre».
duire une activité touristique dans la région.
Georges Pompidou, Premier ministre, prend en 1962 la décision d’aménager les
du Roussillon. La mission est présidée par Pierre Racine. Des «unités touristiques»
sont projetées. Des idées des architectes sur «la ville de loisirs du plus grand
nombre» naît un plan d’aménagement d’ensemble. Il est élaboré par plusieurs
architectes, dont Georges Candilis, architecte en chef de Leucate-Barcarès, et
Jean Balladur, architecte en chef de La Grande-Motte. Des réponses diverses sont
apportées selon les stations…
Mon propos ne sera pas d’illustrer ce que cha-
des vacances sont à créer. Plus que les congés
Elles-mêmes sont incluses dans un ensemble
C’est en 1963, après un long examen, que
cun connaît : les stations nouvelles du Langue-
payés de 1936, l’octroi de la troisième semaine
plus vaste «d’unités touristiques» (composées
l’État se résout officiellement à prendre
doc-Roussillon, Port-Camargue ou La Grande-
de congés payés, en 1956, va entraîner le dé-
de ces créations ex nihilo, d’espaces naturels
en main l’entreprise. En six mois, un plan
Motte en tête. Mais il sera de donner les idées
veloppement massif du départ en vacances et
et de stations anciennes, dont le Plan d’Occu-
d’aménagement est arrêté, ce qui évite toute
forces qui ont présidé à leur création et de
son orientation vers le littoral. Toute l’Europe
pation des Sols (POS) a été révisé). Des cités
spéculation foncière. L’État achète tous les
s’attacher aux règles générales de l’urbanisme
septentrionale et les régions industrialisées
dévolues, également, à des types de loisirs
terrains nécessaires à la construction ou à
plutôt que s’arrêter au détail de l’architecture.
du territoire français subissent l’attraction des
nautiques (petite navigation de plaisance et
la protection de cinq sites, cinq unités tou-
La métamorphose des côtes comme celle de
rivages de la Méditerranée.
voile) alors en pleine expansion, à d’autres al-
ristiques nouvelles, au sud des réservoirs de
la montagne, est la plus directe conséquence
En 1962, la dégradation de la balance touris-
lant se démocratisant, tel le golf.
population des cités les plus importantes de
de l’importance que les loisirs prennent dans la
tique française est sérieusement amorcée de-
Il s’agit d’une œuvre extraordinaire : créer
la région : Nîmes la romaine, Montpellier la
vie des habitants des pays de l’OCDE.
puis quelques années. Le nombre de touristes
les capacités d’accueil devant égaler en fin
savante, Béziers et Narbonne les médiévales
Comme aimait à le répéter l’urbaniste Georges
étrangers venant en France s’accroît moins que
d’opération celles de la Côte d’Azur1. Au dé-
ainsi que les bastides maritimes proches de
Candilis : «Le loisir, possibilité d’une classe, est
par le passé. La France est concurrencée par
but des années 1960, les rivages du Langue-
Perpignan.
devenu loisir, droit des masses aujourd’hui». Par-
différents pays du bassin méditerranéen, dont
doc n’accueillaient que 300 000 vacanciers,
Une erreur que l’on commet fréquemment
ler des réalisations de la Mission Racine, c’est
l’Espagne. Les touristes allemands «colonisent»
essentiellement au mois d’août. La Costa
consiste à réduire l’opération d’aménagement
évoquer l’apparition et le développement de
le littoral espagnol et la côte de l’Adriatique.
Brava et la Côte d’Azur comptabilisaient déjà
du littoral Languedoc-Roussillon aux stations
ce que l’on appelle communément la «société
Les Français eux-mêmes sont de plus en plus
en millions d’estivants. Et donc, l’objectif était
balnéaires nouvelles que l’État a entrepris de
de loisirs» dans ce qu’elle offre comme vision la
attirés par des séjours au delà des frontières.
d’attirer chaque année deux millions de tou-
créer. Cette manière de poser le problème est
plus prégnante : des villes nouvelles exclusive-
L’industrie naissante des tour-opérateurs et les
ristes, ceci dans un délai de dix à douze ans.
contraire aux principes mêmes qui ont guidé
ment vouées au repos et aux loisirs sportifs ou
formules telles que le Club Méditerranée les y
L’ensemble présente une originalité unique
les architectes-urbanistes et l’administration
ludiques. La société de loisirs est, dès lors, des-
incitent vivement. De même que l’attrait de va-
au monde dans l’histoire de l’architecture des
chargés de cet aménagement d’ensemble :
tinée à la masse ; et non plus à une élite aristo-
cances ensoleillées et à bon compte. Renverser
XIXe et XXe siècles.
«Leur volonté a été d’organiser des espaces
cratique ou bourgeoise.
le mouvement paraît impossible. En revanche,
La grande presse, L’Express par exemple, et
qui, par l’effet structurant des grands équipe-
Dès 1936, le gouvernement du Front populaire
il est envisageable de modifier la situation. La
les revues spécialisées ont depuis 1963, date
ments généraux mis en place, voies express,
a opéré une mutation sans précédent en don-
France doit dès lors améliorer la quantité et la
du lancement de la Mission Racine, consacré
adduction d’eau, assainissement, boisement,
nant à tous les travailleurs le droit aux vacances
qualité des structures d’accueil touristique : of-
pléthore d’articles, d’études et de numéros
etc., prennent la cohérence économique et
payées et obligatoires, «les congés payés». Dès
frir qualitativement mieux que la concurrence,
spéciaux à l’aménagement touristique du lit-
humaine de complexes importants : les unités
lors, il convient, non plus de raisonner pour
pour un coût attractif. La tentation est grande
toral. Paris Match offrit même, à ses lecteurs
touristiques. Ces unités touristiques apportent
une clientèle élitiste et fortunée, mais pour ce
également de canaliser des formes de tourisme
ébahis, émerveillés devant tant de «moder-
toute la variété des possibles désirables en ha-
que l’on nomme «le plus grand nombre». Une
très populaires et d’en tirer profit. Il s’agit bien
nisme», la vision des stations du nouveau Lan-
bitat de loisir, parce qu’elles intègrent à la fois
population aux références esthétiques et cultu-
de créer «un piège à devises».
guedoc-Roussillon, en l’an 2000... Un numéro
des stations existantes, des opérations nou-
est professeur des universités
relles différentes, au mode de vie simple, dont
En 1962, Robert Maziol, ministre de la Construc-
spécial halluciné. Ce numéro visionnaire frap-
velles d’État, des opérations nouvelles privées
à Montpellier III.
les besoins en matière d’occupation du temps
tion, se voit pressé par le gouvernement d’alors
pa les masses. Cet engouement médiatique
ou mixtes, des espaces de nature, etc.» 2
Jean-François Pinchon
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interministé-
Lamour et Abel Thomas sont mis en présence.
L’équipe ainsi constituée se met au travail. La
collectifs doit répondre aux caractères propres
rielle pour l’aménagement du littoral du
Ces deux hommes sont convaincus de la néces-
forte personnalité de Georges Candilis, son pa-
des vacances et des loisirs. Elle doit égale-
Languedoc-Roussillon, est créée, plus connue
sité d’intéresser l’ensemble du Gouvernement
tronage dans l’émergence d’un urbanisme et
ment tenir compte des impératifs de climat et
sous la dénomination Mission Racine, du nom
et non pas le seul portefeuille du tourisme.
d’une architecture de loisirs, moderne et adap-
des microclimats, pour leur implantation et
de son président, Pierre Racine, conseiller
Qualitativement, l’aménagement doit être
tée, planent sur l’ensemble de l’œuvre.
leur conception architecturale. Chaque grou-
d’État. La Mission se compose de vingt perma-
exemplaire, afin de reconquérir une clientèle en
Toutefois, parmi les membres de l’AALR, (nom
pement d’un caractère différent est implanté
nents dont six fonctionnaires qui élaboreront
lui offrant des produits plus attractifs que ceux
donné à l’atelier de la Mission), Georges Candi-
dans l’ensemble du site, en harmonie et en
les projets, les soumettront au gouvernement
qui lui sont proposés dans les pays étrangers.
lis, dont la pratique cosmopolite lui a permis de
équilibre, l’un par rapport aux autres. Suivant
et conduiront leur exécution, avec les services
Car d’une façon générale, les formes nouvelles
construire des programmes de résidences de
sa localisation face à la mer, sans vue ou face
techniques de l’État, les architectes et les col-
de tourisme exigent un urbanisme maîtrisé,
vacances à travers le bassin méditerranéen, a
à un étang dans le cas de Leucate-Barcarès,
lectivités locales.
donnant à régler des problèmes considérables
des idées dogmatiques mais claires... Une véri-
l’assemblage répétitif de villas accolées, par
De 1963 à 1982, date de sa dissolution, cette
touchant à la compétence de divers services
table doctrine qu’il sait imposer à ses confrères.
exemple, est une formule idéale. Il constitue un
Mission a effectué un travail titanesque et rem-
de l’État. L’urbanisme doit prendre en compte
Selon Candilis, l’expérience lui a démontré qu’il
collectif horizontal, véritable transition entre le
pli une «mission impossible», pour plagier le
les hébergements et les distractions, concilier
est insuffisant de réaliser seulement des plans
collectif vertical et le pavillon isolé et évite le
titre du livre que Pierre Racine publie en 1981 .
l’accueil du grand nombre qu’exige l’amortis-
d’aménagement, d’urbanisme et de maisons. Il
mitage des paysages. Le groupement ponctuel
Soulignons que la réussite tient pour une
sement des équipements, prendre en compte
faut au contraire, constamment provoquer et
d’îlots à forte densité constitue le cœur des ac-
grande part aux études préalables d’ Abel Tho-
l’ambiance de calme et de liberté que les cita-
animer un esprit de vacances, c’est-à-dire un
tivités collectives. Les espaces naturels, libres,
mas menées dès le milieu des années 1950 et
dins en vacances recherchent. L’urbanisme de
ensemble de loisirs actifs, un lieu où les esti-
les zones de faible densité doivent former des
au soutien actif de Philippe Lamour.
tourisme est à créer, avec ses solutions origi-
vants peuvent vivre au contact de la nature, dé-
«villages-assemblages» de maisons dans le
En 1955, une première initiative d’envergure est
nales et ses normes propres favorisant la satis-
gagés des contraintes urbaines de la vie quoti-
sens horizontal, l’un des principes fondateurs
lancée par l’État. Elle vise à diversifier l’agricul-
faction des besoins exprimés, dans les limites
dienne. L’absence de contraintes matérielles et
de Team X. Ils sont rendus nécessaires pour la
ture languedocienne et à reconvertir une partie
d’un prix acceptable. L’urbanisme doit écarter
l’absence de ségrégation sociale (idée chère au
diversité, le dépaysement, le changement par
du vignoble. On crée alors la Compagnie du
tout ce qui pourrait asservir le touriste.
marxiste Georges Candilis) doivent permettre
rapport aux normes de la vie quotidienne. Ce
Bas-Rhône-Languedoc. Son instigateur et pré-
En conséquence, une nouvelle forme de dé-
aux loisirs de jouer leur rôle véritable7. «Un
sont ces principes qui sont scrupuleusement
sident est Philippe Lamour. Compte tenu de la
cision et d’opération est à créer. L’État doit la
problème nouveau exige une architecture nou-
mis en œuvre à Barcarès et qui constituent une
réalité de la semaine de cinq jours et du mois
prendre en charge mais les structures de l’ad-
velle. La diversité des sites et des activités exige
base de travail à l’ensemble de l’AALR.
de congés payés, Philippe Lamour déclare :
ministration sont trop contraignantes pour être
également une diversité architecturale, pour
De Leucate à Gruissan et à La Grande-Motte,
«Plus du tiers de l’année civile sera affecté au
efficaces. Abel Thomas sera l’âme et le moteur
que s’épanouisse un nouveau milieu humain, en
l’idée est exploitée systématiquement. «La
loisir ou tout au moins au non travail. Le loisir
de la grande œuvre qui allait commencer. In-
harmonie avec les merveilleux éléments offerts
clientèle de masse demande des solutions nou-
est devenu dès à présent, non seulement, un
génieur du génie maritime, ancien des Forces
par la nature : montagne, vallée, forêt, mer, so-
velles et les palaces de la Côte d’Azur destinés
des éléments les plus importants de l’activité
Françaises Libres, dès 1959, Abel Thomas par-
leil, neige, eau...» . Les maisons, les sites et les
dans le passé uniquement aux riches, dispa-
et du développement économique des pays
court le Languedoc-Roussillon, où il connaît
équipements doivent former un tout à l’échelle
raissent pour laisser place aux divers villages et
modernes, mais aussi un élément fondamen-
beaucoup de monde, notamment les élus po-
des besoins de la société. Un tout où la popula-
clubs de vacances, aux motels, hôtels et autres
tal d’une politique rationnelle du territoire.»4
litiques, des radicaux, amis de Bourges-Mau-
tion peut, l’espace de la durée de ses vacances,
marinas, aux ensembles résidentiels avec ser-
Cette vision extrêmement moderne, Philippe
noury et des socialistes, alors au pouvoir, et
choisir sa façon de vivre :
vice hôtelier et enfin aux campings et carava-
Lamour l’avait développée au contact de la ré-
notamment son vieil ami Jean Ramadier, fils
• être au calme,
nings pour le plus grand nombre. Les chambres
alité du sud de la France.
de l’ancien président du Conseil, qui l’aidera
• s’amuser, se rassembler,
d’hôtel destinées aux vacances peuvent avoir un
Depuis 1935, Philippe Lamour avait imaginé
beaucoup. Il revient à Paris, convaincu qu’il faut
• s’agglutiner, s’isoler,
caractère de petit logement simple de diverses
d’exploiter les richesses touristiques du Lan-
aménager le littoral du Languedoc-Roussillon,
• se baigner,
dimensions. Ce sont les services hôteliers qui
guedoc. Sur ce terrain, Philippe Lamour ren-
dont la côte encore vierge offre d’immenses
• pratiquer un ou plusieurs sports,
identifient ces ensembles de logis à un hôtel9[...].
contre Abel Thomas, commissaire du gouver-
possibilités.
• se promener ou ne rien faire.
La simplification à l’extrême du logis familial
nement. L’idée pratique d’aménager le littoral
Pierre Sudreau donne son accord de principe.
En conséquence, il convient pour l’urbaniste
destiné aux vacances d’été, nous oblige à am-
remonte à 1962 . Diverses études très poussées
L’opération d’aménagement va désormais se
de créer en abondance des équipements fa-
plifier les éléments d’accueil de diverses acti-
sont conduites par Georges Meyer-Heine, char-
préparer, sans qu’aucune décision de principe
vorisant les sports, surtout nautiques, et les
vités et manifestations collectives, pour rendre
gé de fonction d’inspection dans les régions
ne soit encore prise. Abel Thomas joue, dès
manifestations culturelles, tout en évitant la
la vie plus facile, plus simple et plus agréable.
de la Côte d’Azur et du Languedoc-Roussillon.
lors, un rôle décisif. Il parcourt inlassablement
confusion et l’envahissement des automobiles,
La diversité de la vie, même temporaire, exige
Georges Meyer-Heine, architecte et urbaniste
la côte et choisit les emplacements où pour-
afin de sauvegarder le caractère récréatif des
une infinité d’installations techniques et d’équi-
de formation, démontre l’intérêt de l’aménage-
raient être créées des stations. «Au début de
vacances. Les groupements d’hébergements,
pements collectifs : l’utilisation temporaire de
ment touristique.
1963, l’idée est mûre. Le 14 février, la délégation
suivant leur situation dans l’ensemble de l’uni-
tous ces équipements et installations oblige à
En 1962, après un examen approfondi de ses
à l’Aménagement du Territoire est créée : Olivier
té touristique, doivent avoir un caractère diffé-
concevoir des solutions architecturales simples,
conclusions, le ministre de la Construction et
Guichard est placé à sa tête, Jérôme Monod l’as-
rencié afin d’accentuer le choix des possibilités
économiques, facilement transformables et
de l’Urbanisme charge Abel Thomas, commis-
siste. Le temps des grandes opérations arrive...»6
de vivre et de s’occuper. Cette différenciation
aménageables et surtout à trouver un système
saire régional à l’Aménagement du Territoire,
La mission interministérielle s’entoure bien-
des groupements apporte une rupture de la
de construction qui accepte la diversification
pour le Massif Central, au sens large, et le Midi,
tôt des conseils d’ingénieurs réputés et d’une
monotonie et de la répétition. Monotonie et
et la spontanéité de ces activités et, en même
d’approfondir l’étude, d’en envisager la viabi-
équipe restreinte d’architectes urbanistes re-
répétition sont inacceptables pour des réalisa-
temps, assure l’unité de l’ensemble. Le logis de
lité et d’opérer secrètement les premières ac-
groupés autour de Georges Candilis et de Jean
tions d’envergure. Dès lors, la conception des
vacances, lieu de liberté familiale, se prolonge
quisitions de terrains. C’est ainsi que Philippe
Balladur.
hôtels, motels, villages, villas et immeubles
dans les équipements collectifs, lieu de la vie
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sociale. Ces deux éléments fondus au site natu-
contemporains. Au demeurant, l’attribution
Port-Camargue du même Jean Balladur. C’est
exemplaire par le monde entier, grâce à une
rel et conçus dans un esprit dégagé du confor-
de ces deux unités de grande capacité si-
oublier, aussi, les succès en demi-teinte ou les
équipe dynamique composée de responsables
misme de la vie quotidienne peuvent devenir
tuées aux deux extrémités de l’aire géogra-
échecs qui caractérisent les unités touristiques
de l’administration, des élus locaux, des techni-
générateurs d’une nouvelle qualité de loisirs.»10
phique de la Mission est quasi symbolique : à
de l’Aude et des Pyrénées-Orientales : Gruissan,
ciens et, enfin, des architectes. Nous n’avons pas
Ce sont ces idées qui séduisent Abel Thomas.
Jean Balladur, le secrétaire de l’Agence d’ur-
Port-Leucate, Port-Barcarès et l’adjonction tar-
seulement construit des routes, des ports, des
Dès lors, le plan d’aménagement est simple :
banisme, les 24 kilomètres de littoral de l’unité
dive de Saint-Cyprien. «Un problème nouveau
maisons, beaucoup de maisons, des cités en-
alterner les zones d’urbanisation et de na-
touristique Grau-du-Roi/Palavas, le «plus mau-
exige une architecture nouvelle. La diversité des
tières pour les vacances, assaini les marécages,
ture, garantir des vacances de qualité : on fixe
vais site» selon l’architecte... à Georges Candilis
sites et des activités demande une diversité ar-
éliminé les moustiques, mais nous sommes
pour cela un quota de cinq cents à six cents
au faîte de sa renommée et président de cette
chitecturale.» Une simple observation nous dé-
parvenus à créer cette symbiose, tant souhai-
vacanciers à l’hectare de plage, dans la réa-
agence, la part du lion : 22 kilomètres ininter-
montre que les goûts, les préférences et les be-
tée, entre un élément nouveau, le loisir, et la vie
lité huit cents ! La densité des espaces bâtis
rompus de littoral afin de créer une double
soins des gens durant leurs vacances sont très
traditionnelle de cette région.»18 Cette mutation,
est proportionnée à la capacité des plages11.
station à l’américaine que même les divisions
différents.16 A La Grande-Motte, le décor du re-
constatée par Georges Candilis, trouve partiel-
On assure la sécurité et le développement de
administratives des deux départements sur les-
pos fut facile à planter : zones de faible densité
lement son origine dans les écrits de médecins
la plaisance en créant 9000 postes à quai, ré-
quels elle est implantée, ne peuvent dissocier :
aux abords de l’étang, espaces abondamment
et psychologues qui, depuis la Seconde Guerre
partis dans douze ports à moins d’une journée
Port-Leucate et Port-Barcarès. Une émulation
plantés, monochromie des matériaux, horizon-
mondiale, insistent sur la nécessité physiolo-
de navigation l’un de l’autre, s’intégrant dans
doit naître de ces deux projets. Leur éloigne-
talité des constructions.
gique des loisirs et des vacances. Les loisirs et
un plan d’aménagement plus global d’une
ment doit également permettre aux masses de
En revanche, il fut plus difficile de concevoir
les vacances deviennent une nécessité physio-
vingtaine d’abris, à moins de deux heures de
visualiser l’étendue du territoire à coloniser. En
l’ambiance «festive» qui caractérise les quais
logique.
navigation, afin de se prémunir des effets des
fait, avec les ambitions de la Mission Racine ce
des ports de Gruissan ou du Cap-d’Agde et ses
Dans l’un de ses nombreux textes relatifs à la
entrées maritimes. La diversité de l’ensemble
sont 180 kilomètres de plages inhospitalières
venelles. Cette ambiance résulte du contraste
société de loisirs, l’architecte Georges Candilis
est garantie par le choix d’architectes aux sen-
qui sont concernés. Là où la végétation était
des formes, des couleurs (contraste parfois
rappelle que : «C’est dans cet esprit que Lénine
sibilités fort différentes. Enfin, une place est ré-
désolante : ni verdure, ni arbres, mais des ma-
violent) de la dissonance des lignes rompues,
a créé des loisirs thérapeutiques. Ainsi, en URSS,
servée au tourisme social : 25% des terrains lui
récages abritant des colonies de moustiques.
d’une modénature pittoresque, de la multi-
les vacances s’appellent cures. Les travailleurs se
reviendront dans les stations à créer. Après une
Là encore où il n’y avait presque rien : quelques
plicité des éléments qui constituent chacun
remettent des fatigues de l’année et reprennent
enquête approfondie des conditions clima-
cabanes de pêcheurs et tentes de touristes
des bâtiments, des éclairages violents, aussi.
des forces pour produire un meilleur rendement
tiques, de la flore, de la faune, des conditions
égarés entre mer et arrière-pays «écologistes»
En fait, elle semble prendre sa source dans
au travail.»19
de la circulation routière, de la navigation, il
avant l’heure, découvrant les charmes du natu-
des archétypes éprouvés et enfouis dans la
Cette nécessaire et nouvelle évolution de la
devint possible, à partir de ce dossier presque
risme sauvage.
conscience populaire : le port de Saint-Tropez
société a été analysée par les sociologues,
exhaustif de renseignements, de conclure qu’il
En 2005 on a tendance à l’oublier, tant la réus-
par exemple. L’écueil à éviter, faire une archi-
psychologues et les médecins dès les années
fallait traiter l’aménagement du littoral comme
site de La Grande-Motte s’impose et qu’une
tecture plaquée, décorative là où l’on attend
1950. Ces travaux novateurs s’intègrent dans
un ensemble avec son infrastructure routière,
moisson d’éloges, d’études érudites font florès.
une architecture contemporaine prenant en
un ensemble plus général d’études entreprises
portuaire et balnéaire cohérente.12
Et ce, depuis le somptueux portfolio de Jean
compte les spécificités du béton. A chaque pro-
depuis le début du siècle (vers 1920) par l’école
La réalisation de ce plan est facilitée, dès
Balladur (L’architecture en fête ), jusqu’aux
tagoniste un rôle clairement défini. A l’État, les
de psychologie génétique20, qui a multiplié les
l’abord, par le soutien des collectivités locales.
travaux récents de Claude Prelorenzo et
infrastructures : routes nationales, ports, reboi-
documents permettant une description minu-
Par exemple, Pierre Brousse, sénateur et maire
Antoine Picon. A en croire ces derniers auteurs,
sement de 2 200 hectares, démoustication et
tieuse du comportement moyen de l’enfant
radical valoisien de Béziers, est pour beaucoup
La Grande-Motte serait l’exemple de la ville
adduction d’eau.
puis de l’homme.
dans la réussite du Cap d’Agde. L’absence de
nouvelle du XX siècle réussie. La station pren-
Les collectivités locales et les départements
A cette époque, en 1955-1958, la sémiologie
populations sur les sites choisis n’obligera pas
drait rang aux côtés de Brasilia et de Chandi-
groupés au sein de sociétés d’économie mixte
neuro-pathologique fait l’objet de descriptions
à ménager les susceptibilités, à l’exception des
garh... L’un de leurs articles, publié en 1993,
sont chargés de la viabilité des sols. Conces-
de plus en plus détaillées par l’école de la Sal-
possesseurs des typiques et précaires cabanes
dans Les cahiers de la recherche architecturale,
sionnaires de l’État, ces sociétés d’économie
pêtrière.
plantées sur les rivages.
proposait une comparaison entre le tracé des
mixte réalisent tous les travaux d’équipement :
Et la loi de Jackobson, qui décrit une hiérarchie
Afin d’échelonner les travaux et les dé-
voies de Deauville (ville nouvelle et balnéaire
distribution de l’eau et de l’électricité, canalisa-
fonctionnelle des activités de l’être humain, se
penses,
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prioritaires,
du XIX siècle) et celui de La Grande-Motte.
tions, assainissements, construction des édi-
trouve vérifiée par ces nombreuses observa-
Leucate-Barcarès et La Grande-Motte furent
C’était, bien sûr, insister sur l’immense réussite
fices administratifs, etc. Le secteur privé joue
tions cliniques qui montrent que la déstructu-
lancées. D’entrée de jeu, ce sont deux concep-
de ces deux modèles . Force est de leur don-
un rôle éminent, la matérialisation architectu-
ration des fonctions suit l’ordre inverse de leur
tions architecturales et urbaines différentes qui
ner raison. S’il convenait de modérer cet éloge,
rale des unités touristiques : immeubles collec-
acquisition, les plus complexes étant les der-
caractérisent les projets. Leurs concepteurs
l’historien de l’art pourrait relever que le dis-
tifs, villas, villages, gîtes mais aussi installations
nières acquises et les plus fragiles21.
Georges Candilis, d’une part, et Jean Balladur,
cours des différents auteurs reprend celui que
sportives et campings.
Ceci accrédite la théorie naissante du célèbre
d’autre part, abordent le problème d’une ville
l’architecte - homme de culture – a lui-même
Mais la réussite de l’aménagement de la côte
psychologue suisse Jean Piaget, qui, à la même
et d’une architecture de loisirs d’une manière
élaboré dès 1963, lors de la mise au point du
repose sur pléthore d’études préparatoires et
époque, assimile le développement de l’indi-
résolument opposée. L’une, La Grande-Motte,
projet, puis amplifié et ressassé par la suite :
surtout sur les conceptions d’un architecte de
vidu humain au développement phylogéné-
est une pleine réussite (exemplaire) parfaite-
une sorte de mythologie laudative exempte de
réputation internationale, Georges Candilis, et
tique22.
ment étudiée.
toute critique...
sur l’étude minutieuse des conclusions de psy-
Cette évolution naissante vers l’ère des loisirs,
L’autre, est encore, en 2005, un échec cuisant...
Mais se focaliser sur La Grande-Motte, c’est ou-
chologues éminents dont les travaux trouvent
sociologues, psychologues et médecins la
Même si le village grec de Candilis a encore
blier les autres réussites immenses que sont Le
ici leur application. «L’aménagement du
considèrent comme le nécessaire contrepoint
de fervents admirateurs parmi les architectes
Cap-d’Agde de Jean Le Couteur et la marina de
Languedoc-Roussillon est une réalité reconnue
d’un monde du travail sans cesse et davantage
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La Grande Motte
Façade de résidence (détail)
professeur Sivadon explique que : «Ce dépaysement, on l’obtient sur le plan de la régression
temporelle, on l’obtient aussi dans la progression, dans le rêve de choses inattendues, inhabituelles. Les éléments naturels, essentiellement
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déshumanisé, contraignant et traumatisant...
la mer et le soleil sont sécurisants, ils sont à l’ori-
Parmi les travaux des médecins qui se pen-
gine de toute vie, de la rencontre du soleil et de
chèrent sur la nécessité d’une société récréa-
certains éléments biologiques dans la mer.» La
tive, ceux du professeur Paul Sivadon font réfé-
réussite de l’étrange Grande-Motte, du dépay-
rence. Il est professeur de psychiatrie médicale
sant néo-régionalisme du Cap-d’Agde, l’échec
de l’Université Libre de Bruxelles et directeur de
du fonctionnalisme doctrinaire de Georges
l’hôpital Marcel-Rivière.
Candilis à Port-Leucate-Barcarès s’expliquent
Dans un article, il explique combien dans la
vraisemblablement par les mécanismes psy-
hiérarchie fonctionnelle de l’individu, des
chologiques analysés, depuis les années 1950,
fonctions originales, récentes et fragiles sont
par le professeur Paul Sivadon et l’École de la
devenues génératrices de fatigue nerveuse.23 Il
Salpêtrière. Il convient de se souvenir que, dans
explique pourquoi le loisir devient dès lors une
les années 1960, les manifestations prégnantes
fonction vitale. En voici la substance : «Cette
d’une architecture de loisirs et de dépayse-
évolution vers une autonomie accrue dans un
ment sont les paillotes du «Club Med», pour les
monde plus vaste, plus complexe et surtout plus
classes moyennes, les luxueuses villas-rochers
mouvant, exige la mise en œuvre de fonctions
de Burini Vicci tapies au ras des flots ou au-
originales, que le sujet doit élaborer et modi-
berges troglodytes de Karim Aga-Khan en Sar-
fier à chaque instant. Ces fonctions récentes et
daigne ou futuristes de Häusermann et le décor
fragiles, elles-mêmes complexes et non encore
futuriste de Nicolas Schöffer pour le Voom-
automatisées, sont grandes consommatrices
Voom, la célèbre discothèque de Saint-Tropez,
d’énergie émotionnelle, et par là, génératrices
pour les nantis.
de fatigue nerveuse. Ce régime fonctionnel ne
On a fait, sur la côte sarde, un cadre pour des
peut être maintenu longtemps sans dommage.
gens ayant trop d’argent et sachant qu’ils ne
Il doit être suivi de périodes de détente, carac-
risquent rien par manque de moyens finan-
térisées par le retour à des activités plus auto-
ciers, il fallut donc introduire quelque chose
matiques, soit par le repos24. La civilisation des
qui les étonnât. Nous retrouvons les mêmes
loisirs ne sera pas une époque où le travail aura
particularités dans l’élaboration des stations
cédé la place à l’oisiveté. Ce sera un temps où
de la Mission Racine, adaptées à la psycholo-
l’activité humaine sera rythmée par l’alternance
gie spécifique des classes moyennes et labo-
des activités de haut niveau et des activités de
rieuses, population visée par le projet. Dans
détente»25. En conséquence, le loisir se définit
L’Architecture d’Aujourd’hui, le Professeur Paul
comme un désengagement par rapport à une
Sivadon préconise les formes étonnantes de
contrainte, une obligation, une monotonie,
l’architecture afin de procurer la détente aux
une lassitude qui provient de la permanence
vacanciers26. A la question : «Certaines formes
des excitations. Aucun être humain ne peut
sont-elles plus aptes que d’autres à déclencher
supporter d’être toujours dans la même situa-
une sensation de détente ?», le psychiatre ré-
tion.
pond qu’il y a des lignes qui sont sécurisantes
Dès lors se trouve justifié le besoin de dépay-
parce qu’elles correspondent à des schèmes
sement recherché par nos contemporains,
inscrits dans notre système nerveux, mais si
lorsqu’ils sont en vacances. Dans une interview
on n’utilisait qu’elles, on s’endormirait. Il faut
publiée dans un numéro thématique consacré
produire des effets de contraste. C’est ce qui se
aux loisirs, de L’Architecture d’Aujourd’hui, sous
dégage du cadre habituel de vie qui entraîne la
le titre «L’évolution biologique de l’homme», le
détente.
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Des techniciens qui vivent dans des usines
(PUIR) en est l’exact reflet. Compte tenu du
parallélépipédiques ont besoin de retrouver
changement d’échelle, quels doivent être les
la paillote, la hutte, etc. Dès lors, pour les ci-
composants qui structureront la station bal-
tadins, habitués à vivre dans des volumes à
néaire de demain ? Quels sont les besoins de la
angles droits, les formes courbes ont une va-
masse ? Quelles sont ses attentes ? Quelles ac-
leur toute particulière : l’urbanisme et l’archi-
tivités pratique-t-elle ? Quelle méthode adop-
tecture dits de loisirs doivent être à l’opposé
ter pour gérer un «urbanisme opérationnel»
de ce que les villes sont devenues. Ces préoc-
à l’échelle d’une région ? Dès lors, la connais-
cupations médicales rencontrent la vision de
sance des modèles possibles devient une prio-
Candilis qui apparaît comme le spécialiste de
rité. Ce sont les opérations concertées pour la
l’architecture des loisirs. «Un problème nouveau
création de stations d’altitude dont la méthode
exige une architecture nouvelle. La diversité des
de maîtrise des terrains, les plans-masse et les
sites et des activités demande une diversité ar-
partis esthétiques s’élaborent vers 1960.
chitecturale, afin que s’épanouisse un nouveau
On pense immédiatement au travail pion-
milieu humain en harmonie avec les merveilleux
nier de Charlotte Perriand et aux propositions
éléments offerts par la nature27 [...] L’homme,
de cette dernière, associée à Candilis, Josic,
consciemment ou inconsciemment, choisit ou
Woods mais aussi Suzuki et Prouvé pour le
oriente ses loisirs pour se dépayser, sortir du
concours de la Vallée des Belleville, en 1962.
quotidien, faire autre chose et aussi rétablir un
Le concours prévoit déjà, pour partie, des Vil-
équilibre psychique et physique détérioré par les
lages Vacances Tourisme. Outre la conception
tensions qui résultent des activités obligatoires
d’une station fonctionnaliste, ils repensent
de la vie de tous les jours».28 Un autre aspect du
les fonctions des différents types d’habitats et
loisir est d’apporter l’équilibre psychique. «Les
des divers genres d’équipements de loisir, afin
préférences et les besoins des gens durant leurs
de les rendre attractifs et même utilisables en
vacances sont très différents. Ceux qui vivent iso-
été. Leur projet est très remarqué, mais déclaré
lés toute l’année, soit en raison de leur travail,
hors concours. Les Ménuires, station de 25 000
de leur lieu de résidence ou de leur âge, tentent
lits (première tranche de la Vallée des Belleville)
pendant les vacances de se grouper, recherchent
sera construite par Douillet, Maneval, Caplain,
les activités collectives et l’animation. Ils ont be-
Geudelin, Cottard et de Villers.
soin de distractions et de divertissements pour
Sur la durée du IVe et du Ve Plan, ce sont plus
porter remède à l’ennui de leur vie quotidienne.
de trente stations de montagne qui ont ain-
Certains prétendent justifier le camping qui en-
si été créées. Elles sont toutes d’une certaine
vahit les côtes pendant le mois d’août par ce
importance. Compte tenu des investissements
besoin de promiscuité. Par contre, ceux qui sont
lourds à réaliser pour la viabilité, les équipe-
éprouvés et fatigués par le poids excessif d’un
ments du domaine skiable et les frais inhérents
travail pénible, préfèrent pour la plupart l’iso-
à leur fonctionnement, le seuil de rentabilité
lement, le calme, le repos, dans le cadre de la
de toutes ces stations est fixé à 5000 lits mini-
nature».29
mum. C’est donc un travail de «colonisation»
C’est pour parvenir à ce résultat idéal qu’une
des Alpes très comparable à celui entrepris
équipe d’architectes, d’urbanistes et d’un ar-
dans le Languedoc-Roussillon qui s’élabore, à
chitecte-paysagiste se trouve donc composée.
la même époque. Avoriaz, dont l’architecture
Ses membres en sont Jean Balladur, Georges
originale est maintenant bien connue et ap-
Candilis, Jean Le Couteur, Raymond Gleize,
préciée, Flaine, l’Alpe-d’Huez, Les Arcs, chers
Edouard Hartané, Pierre Lafitte, Henri Castella
à Charlotte Perriand, Le Corbusier, sont autant
et Elie Mauret. Cette équipe se constitue en vé-
de réussites magistrales30.
ritable centre de recherches et échafaude une
A l’AALR, on étudie aussi des modèles étrangers
authentique doctrine sur le sujet du tourisme
de stations balnéaires, «afin d’éviter les erreurs»
populaire et de l’aménagement littoral.
dit-on ; mais également afin d’étudier les ré-
Le Plan d’Urbanisation d’Intérêt Régional
ponses au tourisme de masse, de l’Espagne à
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Israël et à la Mer Noire. Au nord de Constanta,
À charge pour lui de créer un plan d’urbanisme
livrer un permis conforme aux dispositions du
d’habitation, Candilis et Woods vont en Afrique
dont elle est la proche voisine, Mamaïa est la
d’ensemble et un parti architectural de nature
plan et du règlement d’urbanisme spécifiques.
du Nord et se chargent, avec Henri Piot, de la
plus importante et la plus originale parmi les
à plaire aux estivants. La banalité étant exclue,
Ces permis correspondent, en outre, aux diffé-
direction de l’ATBAT-Afrique. L’ATBAT, l’Atelier
nouvelles stations roumaines. Elle est le sym-
la séduction est recommandée.
rents lots définis par l’architecte en chef et ven-
des Bâtisseurs, avait été fondé en 1947 par
bole de l’aménagement littoral roumain.
Après tout, l’objectif n’est-il pas d’offrir mieux
dus par la société d’économie mixte, en confor-
Le Corbusier, Vladimir Bodiansky, André
Ses architectes sont L. Stadecker et A. Culescu,
que la Côte d’Azur et le pitoyable et uniforme
mité avec le zonage arrêté32.
Wogenscky et Marcel Py. Candilis et Woods di-
œuvrant sous l’autorité du coordinateur et ar-
mur de béton de la Costa Brava ? Comme l’ont
L’agence d’urbanisme pour l’aménagement
rigent l’ATBAT Afrique jusqu’en 1954, date du
chitecte en chef de l’opération, Cezar Lăzăres-
démontré Claude Prelorenzo et Antoine Picon,
touristique du Languedoc-Roussillon est ani-
retour de Candilis à la centrale française de
co. Mamaïa s’étend sur plusieurs dizaines de
la Mission remet à l’honneur la fonction d’ar-
mée par Georges Candilis (directeur) et Jean
l’ATBAT, à Paris. Il y rencontre Alexis Josic. De sa
kilomètres, sur une bande de sable large de
chitecte en chef, alors tombée en désuétude et
Balladur (secrétaire). Jean Le Couteur, Henri
rencontre avec la «personnalité exceptionnelle»
300 mètres qui sépare la mer d’un lac d’eau
sujette à caution .
Castella, Raymond Gleize, Edouard Hartané,
de Michel Ecochard, l’urbaniste en chef du Pro-
douce. C’est aussi l’interprétation de modèles
Tout projet de construction doit être soumis à
Pierre Lafitte, Marcel Lods, Elie Mauret et Fran-
tectorat35, et de cette expérience africaine, Can-
de cités de loisirs de Californie et de Floride
son visa préalable. Chaque constructeur a le
cisco Lopez en sont les chefs d’agence.
dilis retient une nouvelle vision de l’urbanisme
(Fort Lauderdale et la Golden Coast en parti-
choix de son architecte d’opération, mais il ne
En fait, les architectes retenus élisent, parmi
et de l’architecture. Marqué par les bidonvilles,
culier), tournées vers la pratique du nautisme,
peut construire qu’un projet ayant reçu le visa
eux, leur président et leur secrétaire général.
les identités plurielles des juifs, des arabes et
qui commence à toucher une large frange de la
de l’architecte en chef. Ce dernier, afin de dé-
Leurs votes se portent sur Georges Candilis. La
des pieds-noirs, des notions récurrentes telles
population française, avec une forte demande
montrer le style architectural qu’il veut confé-
culture, l’éloquence et la facilité de plume de
«architecture du plus grand nombre», «identi-
d’anneaux d’amarrage. Avec le développement
rer à «sa» station, a le droit d’être l’architecte
Jean Balladur le désignent naturellement au
té» et «nombre», enrichissent son vocabulaire
du nautisme, les urbanisations balnéaires se
opérateur de 10% des hébergements projetés,
poste de secrétaire. Ensemble, tous les archi-
architectural et générèrent de nouveaux types
doivent d’offrir l’attrait d’une station balnéaire
à titre de démonstration.
tectes mettent au point le fameux Plan d’urba-
de logements sociaux. Ils sont conçus avec son
(parfois ostentatoire) et l’animation d’un port
C’est par le biais de l’atelier d’architecture de
nisme d’intérêt régional (PUIR).
associé Shadrac Woods.
de plaisance de préférence typique. C’est,
la Mission baptisée AALR, que l’État, une fois
Georges Candilis (1913- 1995) est le président
Ces types s’intitulent Nid d’abeille ou Sémira-
croit-on, la clef de la réussite. Le modèle de
son œuvre accomplie, garde la main mise sur
de l’atelier d’urbanisme. Sa personnalité mar-
mis. Le type Nid d’abeille est un moyen très
référence qui s’impose est Saint-Tropez dont
l’architecture. L’État garde ainsi un regard sur le
quante et sa carrière doivent ici être évoquées,
simple d’articuler la surface extérieure des bâ-
Brigitte Bardot, Vadim et quelques autres en-
développement des futures unités touristiques.
afin de comprendre combien ses idées géné-
timents. Dans les logements sociaux réalisés
tretiennent l’image de dolce vita. D’ailleurs, les
Un littoral d’un autre type peut enfin naître.
rales se sont imposées auprès de ses confrères.
par Candilis à Oran en Algérie, par exemple,
références au port de Saint-Tropez et aux pro-
Les architectes sont donc investis d’une tâche
Il a joué un rôle prépondérant dans le dévelop-
cette expression prend la forme de patios in-
portions de la place Saint-Germain-des-Prés à
exaltante, d’une sorte d’œuvre totale. En effet,
pement de l’architecture des années 1960 à
dividuels sur lesquels ouvrent les fenêtres de
Paris, sont les constantes des entretiens avec
ils doivent élaborer une doctrine générale et
1980, à laquelle il a insufflé un esprit novateur à
chacun des logements en duplex. Le patio
les membres de l’AALR, rencontrés lors de l’éla-
concevoir le Plan régional d’intérêt régional,
la pratique architecturale et urbaine, courante
procure une articulation volumétrique inté-
boration de la thèse d’Habilitation à la Direc-
le PUIR. Puis travailler à l’échelle d’une unité
et de loisirs.
ressante, tout en répondant aux spécificités
tion de Recherches de l’auteur.
touristique définie, dessiner le plan-masse
D’origine grecque mais né à Bakou, en Sibérie,
de l’habitat musulman replié sur l’intérieur, a
d’une nouvelle station. Enfin, dans ce cadre,
Georges Candilis fait ses études secondaires
priori sans vue extérieure. La superposition,
ce qui représente la face apparente de leur
à Athènes ; il intègre l’École Polytechnique
l’étagement de ces patios créent un effet vi-
travail : élaborer l’urbanisme et l’image d’une
Spéciale d’Athènes pour devenir architecte-
suel intéressant. De cette expérience seront
ville nouvelle, construire les bâtiments publics
ingénieur. Il obtient son diplôme en 1936 et
redevables les plans des maisons à patios, les
(le plus souvent) ainsi qu’une partie du bâti
y enseigne, en qualité d’assistant. Au cours
terrasses (certes ouvertes) et les plans des ap-
privé. Enfin, veiller au respect par les construc-
de ses études, en 1933, il assiste aux sessions
partements en duplex des immeubles à 45° de
teurs du cahier des charges par eux élaboré...
des Congrès internationaux d’architecture
Leucate-Barcarès. Dès 1953, Candilis participe
L’ensemble de cette tâche représente le meil-
moderne (CIAM) d’Athènes (dont celui de la
aux travaux d’un groupe d’architectes officiel-
leur de ce qu’un architecte peut espérer. On
célèbre Charte) et y rencontre Le Corbusier.
lement nommé Team X en 1956, lors de la pré-
comprend dès lors l’attachement quasi viscéral
A la suite du congrès, des architectes et des
paration du 10ème CIAM37. Reyner Banham,
de Jean Balladur ou de Jean Le Couteur pour
étudiants créent la section grecque des CIAM ;
Alison et Peter Smithson font entendre leurs
«leur» œuvre.
Candilis y adhère. La guerre suspend son activi-
voix et contestent l’indifférence au contexte en
Parmi les études commandées par la Mission,
Le plan-masse de chaque station ainsi que le
té professionnelle. Comme de nombreux intel-
matière de construction. Pour les Smithson et
vers 1964, l’une d’elles a pour objet l’examen
règlement d’urbanisme qu’élaborent les archi-
lectuels, la guerre civile grecque précipite son
Reyner Banham, le formalisme de l’ancienne
du développement de trois stations touris-
tectes en chef sont arrêtés par la Mission, en
départ pour la France, en 1945. Après un bref
génération est trop simpliste ; ils prennent
tiques nouvelles : Bénidorm en Espagne, Lu-
accord avec la commune. Une fois la décision
passage dans l’agence d’André Lurçat, il entre
en compte les changements survenus dans le
gano en Italie et Le Lavandou-Cavalaire dans
prise, ces documents sont adressés au préfet
en 1946 chez Le Corbusier. Georges Candilis va
monde et contestent les «aspects mécaniques
le Var. Cette précieuse étude a permis aux ar-
qui les revêt de sa signature, les authentifiant
devenir le correspondant des CIAM à L’Architec-
de l’ordre», au nom de l’existence d’un «nou-
chitectes de l’AALR de profiter de l’expérience
et leur donnant une date certaine. Tout projet
ture d’Aujourd’hui .
vel esprit». L’influence de Team X sur la fin de
acquise ailleurs. C’est de la synthèse de toutes
de construction est soumis à l’obtention d’un
Dans l’agence du 35, rue de Sèvres, avec
l’épopée des CIAM est déterminante, Candilis y
ces observations que doit sortir le profil idéal
permis de construire. Celui-ci doit être approu-
Shadrach Woods , Candilis suit le chantier
joue un rôle prépondérant. Sa participation au
de «la ville de loisir du plus grand nombre».
vé par l’architecte en chef de la station avant
de la Cité Radieuse de Marseille, dès 1948. En
projet (non retenu mais abondamment com-
Pour l’architecture, la Mission désigne un archi-
d’être adressé au directeur départemental de
1951, à l’achèvement du gros œuvre, grâce à
menté) au concours de la vallée des Belleville,
tecte en chef pour chaque station touristique.
l’Équipement. Celui-ci doit obligatoirement dé-
Vladimir Bodiansky, l’ingénieur de cette unité
en 1962, retient aussi l’attention. Son Grand
La Grande-Motte du Levant :
pyramides dressées.
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La Grande Pyramide,
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donne l’échelle de l’œuvre à entreprendre :
de l’étude du réseau routier et de son tracé.
«Le plan [...] couvre 180 km de côte»,
Jusqu’à l’inauguration de la voie littorale ra-
«Sujet immense», «Problème à l’échelle de notre
pide Carnon/Aigues-Mortes, le 8 juillet 1968,
temps jamais encore traité»,
l’architecte a travaillé en liaison avec Roger
«Il faut refuser la tentation de raisonner sur
Vian, ingénieur des Ponts et Chaussées déta-
180 km comme sur 10 ou 1»,
ché auprès de la Mission. Un réseau routier
«L’échelle est trop grande pour être saisie par
maîtrisé constitue une garantie de succès de
intuition directe»,
l’entreprise : 70% des vacanciers viendront au
«Procéder par comparaison»,
moyen de leur automobile et l’utiliseront pour
«Raisonner par analogies»,
se déplacer. On calcule le trafic sur la base
«Trouver ressemblances et dissemblances qui
d’une automobile pour quatre estivants. Dès
conduisent à imaginer la structure qui convienne
lors, les aires de stockages dans les stations
à l’ensemble aussi bien qu’au détail».
ont une superficie de 23m2/automobile. L’op-
Après l’acceptation du plan-directeur par le
tion de la desserte des nouvelles stations «en
gouvernement, la Mission a désigné le ou
peigne» à partir d’un boulevard de desserte
les architectes responsables de chacune
(voie primaire idéalement située à 600 mètres
des unités touristiques. Le rôle des diffé-
du rivage) est systématiquement privilégiée.
rents architectes est donc clairement défini.
Seule Port Leucate-Barcarès déroge partielle-
Jean Le Couteur, par exemple, est investi de
ment à cette règle, au grand dam de Georges
plusieurs missions particulières : l’étude de la
Candilis à Leucate. Néanmoins, la notion de
navigation de plaisance, l’aménagement de
«boulevard de bord de mer» est toujours ban-
l’unité touristique du Bassin de Thau (le plan
nie. Aucune voie littorale séparant les habita-
d’urbanisme directeur, PUD, du Cap d’Agde, de
tions de la plage n’est acceptable. Les rues en
Marseillan, Mèze, Frontignan, Sète, Bouzigues
peigne aboutissent à des parkings agréable-
et l’étude de l’isthme des Onglous), ainsi que
ment aménagés. Dans une vision très moderne
l’aménagement touristique du Cap d’Agde.
de l’urbanisme, l’AALR évacue toute circula-
Enfin, en 1980, il est chargé d’étudier la pos-
tion automobile, nuisible à la tranquillité et à
sibilité d’urbanisation de l’embouchure de
la sécurité des résidents. Pour le Languedoc-
Prix d’architecture aussi. Ses conférences et ses
• L’ensemble du plan, c’est-à-dire la globalité
nombreux écrits témoignent de sa vision à long
des 180 km de côte, est de la responsabilité de
l’Aude .
Roussillon, on veut créer un nouveau style de
terme propre à convaincre les dirigeants de la
l’ensemble de l’équipe. A cet échelon, on traite
Les cinq unités touristiques et leurs architectes
stations balnéaires orientées vers la navigation
Mission38.
tous les problèmes liés à un ensemble aussi
sont les suivants :
de plaisance et la pêche sportive.
Ce que Candilis retient dans le projet d’aména-
important, notamment la liaison de cette entité
gement, ce sont les grands espaces vierges et
avec l’ensemble du territoire et l’Europe.
41
• Leucate-Barcarès, 100 000 lits touristiques,
Georges Candilis
• La Grande-Motte, 50 000 lits, Jean Balladur
sa tendre enfance et possesseur de voiliers de
plans d’eau intérieurs, afin de favoriser les
semble d’un groupement de stations et de son
• Le Cap d’Agde, 50 000 lits, Jean Le Couteur
croisières, semble l’homme de la situation. Il
sports nautiques. Le principe du respect des es-
potentiel touristique. La responsabilité, à cet
• Gruissan, 50 000 lits, Raymond Gleize et
doit étudier l’implantation des ports sur le lit-
paces naturels qui font l’originalité et la beauté
échelon, relève de l’ensemble de l’équipe mais
du paysage languedocien est arrêté dès cette
un rapporteur, membre de l’équipe, réalise les
phase d’étude : «Entre les unités touristiques
études.
Édouard Hartané
leur beauté naturelle, leur faune ou leur flore
alors pratiquement inexistante. Son expérience
tionnent la rapidité d’exécution des projets.
de marin et ses amitiés dans le milieu de la
ou que les monuments qu’elles possèdent en-
nées sous l’autorité d’un membre de l’équipe
1965 marque le début effectif des travaux dans
voile, notamment avec le fondateur de la re-
traînent à protéger rigoureusement.»39 Pragma-
préalablement désigné : la Grande-Motte/
les deux stations prioritaires ; mise en état des
nommée école de voile des Glénans, sont les
tiques, les urbanistes envisagent également :
Balladur ; Agde/Le Couteur ; embouchure de
sols, construction et amélioration des routes,
gages d’une réflexion efficace. Rappelons que
«Des zones d’équipement touristique complé-
l’Aude/Castella et Lafitte ; Gruissan/Gleize et
création des ports, reboisements, premiers
l’étude et la création d’une chaîne de ports de
mentaire, n’exigeant pas de lotissement et n’atti-
Hartané ; Barcarès/Candilis.
travaux de génie sanitaire voient le jour. Parmi
plaisance est l’un des traits les plus originaux
rant qu’une faible densité de population : hôtel,
• Les études particulières, mais générales, sont
l’ensemble des travaux préliminaires effectués,
de la Mission.
motel, restaurant, camping de qualité, etc.» Un
confiées à un membre de l’équipe qui les mène
deux études revêtent une importance particu-
L’architecte rend donc une étude minutieuse
premier rapport émanant de l’AALR proposait
en collaboration avec un représentant de l’ad-
lière.
en janvier 1967. Il étudie les caractéristiques
de retenir sept unités touristiques, non com-
ministration compétente : paysages et boise-
La première est vitale par son aspect straté-
de la côte. Vers l’Espagne, la côte rocheuse
pris le secteur de côte rocheuse des Pyrénées-
ment, Elie Mauret et les Eaux et Forêts ; ports
gique sur le désenclavement des unités touris-
offre la possibilité d’aménager des ports en
Orientales.40
de plaisance, le Couteur et le Service Maritime ;
tiques : l’étude du réseau routier. La seconde
eau profonde. Il affirme la nécessité de créer un
Au sein de l’AALR les architectes établissent
routes, Lafitte et les Ponts et Chaussées (en fait
correspond à la finalité des stations nouvelles :
grand port de yachting international, relais vers
une modulation des responsabilités adossée à
c’est Jean Balladur qui mène à bien l’étude) ;
promouvoir le nautisme populaire.
l’Espagne. Sur la côte sablonneuse, l’implanta-
une échelle correspondante de tâches à entre-
liaison avec l’arrière-pays, Marcel Lods.
Au sein de l’équipe d’architectes-urbanistes,
tion de ports et leur entretien se heurtera à des
c’est Jean Balladur qui est, de fait, chargé
difficultés onéreuses dues à l’ensablement de
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navigation de plaisance dans le Golfe du Lion,
zones d’actions directes. Les études sont me-
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moyens à mettre en œuvre pour sécuriser la
L’efficacité des études et leur sérieux condi-
Dans le paragraphe «Approche» du PUIR, l’AALR
j
toral, quantifier les besoins et réfléchir sur les
• L’embouchure de l’Aude, 50 000 lits, Pierre
Laffite et Henri Castella.
• Le niveau suivant correspond aux différentes
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Le Couteur, breton de naissance, marin depuis
• Le second niveau correspond au sous-en-
ainsi délimitées se situent tantôt des zones que
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Dans le cadre de la mise au point du PUIR, Jean
la possibilité d’associer la mer et les différents
prendre :
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leur embouchure, quelle que soit leur impor-
les savoir-faire techniques d’une époque (voiles
tions : «Le respect du site a dominé les études du
et à Georges Candilis et Port-Barcarès, Le
tance. Il propose de développer les ports plutôt
de béton, préfabrication, etc.) et des partis gé-
plan de masse. Il doit continuer à inspirer tout
Couteur a bénéficié de leur expérience et de
que de les multiplier. Les «graus» apparaissent
néraux si différents, dessinés entre 1963 et 1970
candidat constructeur en Agde car la création
deux ans supplémentaires pour peaufiner son
comme des abris intéressants avec la possibili-
mais appliqués plus tardivement, d’où un dé-
d’une ville est une œuvre collective et sa réus-
plan d’urbanisme et chercher une architecture
té d’implanter des quais le long des rives. L’ob-
calage stylistique intéressant. Un exemple : le
site dépend avant tout de l’adhésion de tous [...]
réellement adéquate. «Il ne faut surtout pas que
jectif, c’est 40 000 bateaux, dont un quart seule-
Palais des congrès de La Grande-Motte est un
Il faut également que l’architecture dans son
ceux qui fuient les quartiers uniformes et sans
ment demanderait l’utilisation d’un port. Parmi
édifice fonctionnel, d’une rare plasticité, à la
ensemble, comme dans ses détails, contribue
âme des banlieues se retrouvent en vacances
ces ports, certains pourraient recevoir 1 000 ou
manière d’une sculpture de Brancusi ou de Cal-
à l’harmonie de l’environnement et n’y apporte
dans la même ambiance».
2 000 bateaux : La Grande-Motte, Cap d’Agde,
der, construit en 1981. Il semble pourtant issu
aucune fausse note. [....] A une époque où les
Selon Jean Le Couteur, l’urbanisme n’a de sens
embouchure de l’Aude, Leucate-Barcarès et
d’une bande dessinée avant-gardiste de la fin
tendances sont diverses, où les matériaux sont
qu’en devenant architecture. L’architecture,
Saint-Cyprien. Les autres auraient une conte-
des années 1950. Dans les stations nouvelles,
trop abondants et où les techniques permettent
à l’échelle d’une ville, se traduit par des sil-
nance de 400 à 800 unités. Port-Camargue et
on trouve des bâtiments publics exprimant
tout, cela suppose des choix qui font l’objet de
houettes, des volumes et des espaces variés, à
Carnon viendront se greffer plus tardivement
l’idéal de chacun des architectes en chef et
ce cahier des charges particulièr. […]Tout en évi-
l’échelle humaine.
sur ce schéma.42 Dans l’esprit des architectes,
leur 10% d’hébergement à titre exemplaire. On
tant le pastiche du passé, tout en acceptant les
Pour l’écologiste ou le poète, l’aménagement
l’application du PUIR doit être suffisamment
trouve aussi un traitement raffiné des sols et du
véritables bienfaits du progrès mais en refusant
de cette côte relève toujours de l’hérésie, il n’en
souple pour intégrer les besoins qui se défi-
mobilier urbain au Cap d’Agde où Le Couteur
ses abus, la station doit être édifiée dans le sou-
reste pas moins que, pour le commun des mor-
nissent au fur et à mesure, le temps passant. Le
confie le traitement des espaces publics pavés
ci constant de retrouver le charme d’un village
tels qui recherche le soleil, la mer et l’air pur,
PUIR est à l’inverse absolu de l’urbanisme d’in-
de basalte local et de terre cuite au sculpteur
méditerranéen, de tenir compte des données cli-
c’est une réussite. Quant aux historiens et aux
terdiction qui a si longtemps prévalu en France.
Henri Martin-Granel.
matiques et de procurer aux estivants l’échelle
architectes, ils y trouvent matière à alimen-
C’est une manière dynamique et moderne
L’épineuse question du style doit maintenant
humaine dont la civilisation machiniste les
ter leurs réflexions : entre Marina-Baie-des-
d’aborder un chantier d’une aussi grande en-
être soulevée. Les options de Jean Balladur ont
prive de plus en plus». Quelques mots clefs re-
Anges et Port-Grimaud sur la Côte d’Azur et la
vergure. Seul, le respect de la cohérence des
largement été débattues. Candilis tente d’im-
viennent tout au long du document : harmonie,
côte varoise, l’Antigone de Bofil à Montpellier,
infrastructures et des options fondamentales
poser, à la fois, un style néo-corbuséen métissé
unité, échelle humaine, quartier. Ils résument,
Le Cap d’Agde et La Grande-Motte trouvent
s’impose dès lors. Notons que l’esprit même
de culture grecque. C’est l’architecture tradi-
en effet et la pensée de l’urbaniste et le résultat
leur parfaite justification. Pour le Languedoc-
du PUIR semble répondre à la doctrine de l’ur-
tionnelle, sans nostalgie mais pas sans charme,
globalement obtenu. L’harmonie impose unité
Roussillon, quelle manne que cet aménage-
banisme fonctionnel de la Charte d’Athènes :
qui posera problème aux modernes doctri-
et diversité. Les particularités proposées par Le
ment ! Le budget est équilibré. Il est impossible
«Un plan de région remplacera le simple plan
naires. Les partis pris ne sont pas arrêtés dès
Couteur correspondent parfaitement au cahier
de quantifier les profits du secteur privé. L’État
municipal43 […] Le programme sera dressé sur
l’origine. Le parti initial peut être radicalement
des charges élaboré par l’AALR qui préconisait
n’a investi qu’un milliard dans l’aménagement
des analyses rigoureuses faites par des spécia-
modifié. Le nom de Jean Le Couteur est ici at-
«une architecture dépaysante».
du littoral proprement dit et s’est largement
listes»44. Pour la ville, «qui pourra prendre les
taché à la plus «languedocienne» des stations
Les règles sont simples et faciles à appliquer.
remboursé par la perception de la TVA sur les
mesures nécessaires pour mener à bien cette
nouvelles. Ses propositions architecturales ne
La règle générale est la suivante : des toits en
logements bâtis. Les collectivités territoriales
tâche, sinon l’architecte qui possède la parfaite
furent pas toujours dans cet esprit.
tuile canal à une seule pente de 25% ou des
et les sociétés d’économie mixte qu’elles
connaissance de l’homme, qui a abandonné les
On connaît les extrapolations parues dans Pa-
terrasses, pourvu qu’elles soient carrelées ;
contrôlent ont investi une somme équivalente.
graphismes illusoires et qui, par la juste adap-
ris-Match, d’un délirant futurisme, sur la station
une palette de couleurs élaborée par Jean
Le secteur privé, la promotion immobilière
tation des moyens aux fins proposées créera
qu’il projetait d’édifier sur l’isthme des On-
Chauffrey est imposée.
principalement, a fourni quatre milliards ■
un ordre portant en soi sa propre poésie ?»45
glous47. Ses propres dessins sont passionnants.
En fait, en 1968, Le Couteur avait effectué un
Au sein de l’AALR sont clairement exprimés le
De même, le parti «moderne» initialement étu-
périple le long de la côte méditerranéenne afin
refus des utopies et l’humanisation de l’archi-
dié pour Le Cap-d’Agde. Dès le lancement de
de se replonger dans l’architecture vernacu-
Cette conférence est inspirée de l’ouvrage
tecture, dans le respect des acquis de la mo-
l’îlot-pilote du Port-Saint-Martin, Le Couteur
laire et d’étudier les réalisations récentes. Com-
La Grande-Motte, Cité des Dunes,
dernité.
revendique une architecture qui réponde aux
mençant le chantier avec deux ans de décalage
de Frédéric Hébraud et Odile Besème (CAUE 34),
En matière d’architecture, comme en matière
aspirations du public, une architecture qui «se
par rapport à Jean Balladur et sa Grande-Motte
paru en 1994 aux éditions Les Presses du Languedoc.
d’urbanisme, Georges Candilis aime à théo-
mettrait en vacances».
riser. Selon lui, il est impossible de prétendre
Les critiques ne manquent pas qui expriment
qu’il existe un stéréotype d’architecture de
leur crainte devant cette volonté de retrouver à
loisirs. Chaque cas doit avoir sa propre expres-
tout prix l’échelle des villages méditerranéens,
sion qui dépend du but, du site, des moyens.
de renouer avec l’Antiquité. Mais on critique
Cette diversité doit permettre le libre choix
aussi les pyramides de la Grande-Motte. Le par-
des individus. Les différentes stations nou-
ti le plus sage est bien celui des aménageurs
velles répondent à ces objectifs. De l’urbaine
qui laissent entière liberté aux architectes.
Grande-Motte à la populeuse unité de Leu-
Le Couteur ne peut être suspecté, à priori, de
cate-Barcarès, toutes les variations modernes
nostalgie régionaliste. Il est le concepteur de la
sont exploitées. A chaque segment de clientèle
nouvelle cathédrale d’Alger (1961, René Sarger
potentielle du littoral correspond un esprit ar-
et Pier-Luigi Nervi ingénieurs) en béton.
chitectural, qui, dès lors, se justifie pleinement.
Dans le préambule du règlement d’architec-
L’étude de l’architecture des stations nouvelles
ture du Cap, destiné à ses confrères et aux
est passionnante. S’y trouvent concentrés tous
opérateurs, Jean Le Couteur précise ses inten-
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De Nîmes à Perpignan, les villes et le chemin de fer
aux XIXe et XXe siècles
(1) Le terme de Côte d’Azur tend à prendre ici une
extension surprenante. À la côte des Alpes-Maritimes
est associée celle du Var...
(2) Balladur, Jean, Œuvre, éd. Score S.A. Chiarro Suisse, p. 38.
(3) Racine, Pierre, Mission impossible ? L’aménagement
touristique du littoral Languedoc-Roussillon, Montpellier, Éditions du Midi Libre, «Témoignages», 1980.
(4) Cette citation est donnée par D. Valeix dans
l’introduction du numéro 112 d’AA, février-mars 1962.
(5) Documentation de la DATAR, Henri Bariseel,
«Syndicat mixte pour l’aménagement touristique du
Languedoc-Roussillon, période 1983-1988», 2ème partie,
page 1.
(6) Ibid., p.26.
(7) Les témoignages concordants de MM. Balladur et
Le Couteur attestent de la prédominance des idées
de Georges Candilis en la matière. La conception du
PUIR doit beaucoup à son expérience et à ses théories.
Les documents déposés au centre des Archives du
XXe siècle de l’I.F.A. (234 Ifa 318) permettent d’établir
les ambitions et les credo de l’architecte décédé. En
outre, ses écrits, ses interviews forment un corpus
exceptionnel inspirant les développements de cette
section.
(8) Candilis, Georges, « Recherches sur l’architecture
des loisirs », op.cit., p. 10.
(9) Ibid. p.107.
(10) Candilis, Georges, op. cit. p. 113.
(11) Balladur, Jean «La Grande-Motte dans l’unité
touristique Grau-du-Roi/Palavas», La Construction
moderne, n°3, 1969, p.38.
(12) Une importante documentation constituée
notamment de ces précieux rapports a été déposée
au GREGAU par Philippe Jouvin, collaborateur
montpelliérain de la Mission Racine de 1977 à 1986.
Le GREGAU est le laboratoire de géographie urbaine
de l’Université Paul Valéry. Ce fonds fort complet
constitue pour l’auteur une source primordiale de
renseignements.
(13) Thibault, Claude, L’aventure de La Grande-Motte,
Paris, Bibliothèque de la construction, 1977.
Balladur Jean, La Grande-Motte, l’architecture en fête
ou la naissance d’une ville, Montpellier, Espace Sud,
1994.
(14) Prelorenzo, Claude, Picon, Antoine, L’aventure
du balnéaire, La Grande-Motte de Jean Balladur,
Marseille, Parenthèses, 1999.
(15) Prelorenzo, Claude, Picon, Antoine, Borruey, René,
«Territoire, ville et architecture balnéaires, l’exemple
de la Grande-Motte », Les cahiers de la recherche
architecturale n°32et 33, 3ème trimestre 1993, p. 67.
(16) Ibid., p.8.
(17) Dans les années 1950, tout le monde connaît le
village de Saint-Tropez, même sans jamais s’y être
rendu. La presse populaire élabore une mythologie
tropézienne connue de tous, en France et à l’étranger...
La vie et les amours de Brigitte Bardot et d’autres
personnalités en vue s’illustrent en clichés couleur
dont l’arrière plan est invariablement le pont d’un
voilier ou un canot Riva en acajou verni ancrés dans le
port, un pastis dégusté à la terrasse de chez Sénequier
ou la pittoresque partie de pétanque de la place des
Lices...
(18) IFA fonds Candilis 234 Ifa 318/1. «Loisirs » chap. 10.
Languedoc- Roussillon : les loisirs pour le plus grand
nombre, p.9.
(19) Ibid., p.7.
(20) Terme aujourd’hui désuet et remplacé par celui de
psychologie du développement.
(21) Ces renseignements nous ont été fournis par
Martine Barbeau, pédo-neuro-psychologue à l’hôpital
Robert Debré, à Paris.
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(22) Cette théorie trop parfaite et harmonieuse,
proche de celle de l’évolution des espèces de Darwin
sera battue en brèche à partir des années 1975 et
totalement abandonnée au début des années 1990.
(23) B.P. Revue, Anvers, n° 23, p.10.
(24) Ibid.
(25) Ibid.
(26) Ibid., p.5.
(27) IFA fonds Candilis, 234 Ifa 318/1, chap.10.
Languedoc- Roussillon : les loisirs pour le plus grand
nombre, p.7.
(28) Ibid.
(29) Ibid., p. 8
(30) Le numéro spécial «Constructions en montagne »
d’Architecture d’Aujourd’hui, n° 126 juin/juillet 1966 fait
le tour des réalisations françaises et étrangères.
(31) Prelorenzon, Claude, Picon, Antoine, op. cit. p.
76. En effet, la notion d’architecte-en-chef est liée au
contexte de la Reconstruction. Alors qu’en Allemagne,
aux Pays-Bas et en Angleterre, on tirait parti des
destructions pour remodeler les villes et les adapter
aux contraintes techniques modernes, en France,
l’administration et ses architectes en chef apparaissent
rétrogrades par l’absence de prospective dans la
définition des objectifs et l’absence d’un dessein
proprement urbanistique, même si sporadiquement
des réussites essentiellement architecturales sont à
distinguer.
(32) L’ensemble de ces dispositions est expliqué par
Henri Barisel, op. cit. pp.9 à 11.
(33) Entretien avec Jean Le Couteur, 6 avril 2001.
(34) Alison Smithson et Team X, Georges Candilis
se souvient in Architecture d’Aujourd’hui, n°290,
déc.1993. Candilis explique qu’il assistait à toutes les
réunions préparatoires des CIAM dans le bureau de Le
Corbusier.
(35) Woods est Américain. Il est né le 30 juin 1923 à
Yonkers, dans l’état de New York. Il étudia le génie
civil à l’Université de New York ; en 1945, il alla à
Dublin, au Trinity Collège où il étudia la littérature et la
philosophie. Il se consacra à l’architecture en 1948.
(36) Candilis fonde avec Michel Ecochard le Groupe
Gamma, Groupement des architectes modernes
marocains, la section marocaine des CIAM.
(37) CIAM dont feront partie Candilis, Woods, Jaap
Bakema, Aldo Van Eyck, Shadrach Woods, Alison et
Peter Smithson, John Voelcker, Howell et Guttmann.
(38) Vers le début des années 1980, Candilis
abandonnera une partie de ses activités en France à
certains de ses collaborateurs. Il vivra principalement
en Grèce, alternant son séjour de voyages en France.
Il ne se désintéressera pas de l’architecture et sera
un membre actif de l’Académie internationale
d’architecture, un organisme qu’il animera jusqu’à son
décès, à Paris, en 1995.
(39) Racine, Pierre, Reynaud, Pierre, op.cit, p.7.
(40) Barisel, Henri, op. cit. p. 27.
(41) Ibid.
(42) PUIR, in La Construction Moderne, n°3, 1969, p.38.
(43) Le Corbusier, La Charte d’Athènes, Paris, 1957,
Éditions de Minuit, p.82.
(44) Ibid p.86.
(45) Ibid p.87.
(46) Pour les enfants du baby boom, elle évoque les
architectures de l’arrière-plan des aventures de Spirou,
Fantasio et du Marsupilami...
(47) Entre Marseillan-Plage et Sète
(48) I.F.A. Centre des Archives d’Architecture du XXe
siècle, 187IFA118/2
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Thierry Lochard
15 mars 2006
L’arrivée du chemin de fer dans les villes languedociennes renouvelle au
XIXe siècle les héritages urbains. La modernité qui s’annonce, dans la forme
et le décor urbain et dans la typologie architecturale, modèle les villes avec
plus ou moins de force, selon les contextes particuliers.
Considérées sur la longue durée, ces transformations interrogent ce
patrimoine du XIXe siècle et sa place dans les villes languedociennes et
roussillonnaises actuelles, de Nîmes à Perpignan.
A l’autre extrémité de l’avenue, près de l’am-
Nîmes
Deux voies ferrées sont ouvertes à Nîmes
phithéâtre, la Ville transforme l’Esplanade, la
dans la première moitié du siècle : la ligne
promenade favorite des Nîmois qui viennent
Nîmes-Beaucaire en 1839 avec une première
depuis le milieu du XVIIe siècle hors de la ville
gare, l’embarcadère du chemin d’Uzès, et la
prendre le frais et admirer la campagne envi-
ligne Nîmes-Montpellier par l’ingénieur Didion
ronnante, le paysage, la plaine du Vistre et la
en 1840-1842. Cette dernière retient l’attention
mer… Dans la délibération du 20 novembre
par l’ampleur des transformations urbaines
1841, elle prévoit son aplanissement, sa clôture
qui accompagnent la réalisation : construction
par une balustrade de pierre, des plantations et
d’un long viaduc sur lequel est implantée la
la création de deux fontaines monumentales.
gare, ouverture d’une avenue monumentale et
Une seule sera réalisée : la fontaine de Questel
aménagement d’une grande place publique.
et Pradier, inaugurée en 1851.
Le viaduc doit permettre le passage de l’eau
De part et d’autre de l’avenue Feuchères, le
et de la circulation sous la voie ferrée et faci-
quartier s’urbanise selon un plan élaboré sur
liter également l’extension de la ville, au-delà
près d’une vingtaine d’années, de 1842 jusqu’au
de la ligne du chemin de fer. Mais c’est aussi
milieu des années 1860. Entre la route de Mont-
et surtout une œuvre édilitaire, comme le sou-
pellier et la voie ferrée, à l’ouest de l’avenue, le
ligne un contemporain : «Cette longue rangée
négociant Foulc aménage une «Cité» dont les
d’arceaux percés à jour et se dessinant à l’ho-
dispositions font l’objet de nombreuses dis-
rizon, ces trains roulants et en quelque sorte
cussions dans les années 1840-1850, et seront
suspendus seront un monument pour la ville de
néanmoins jugées irrégulières en 1861 par la
Nîmes» ; un monument «moderne» qui en rap-
nouvelle municipalité…
pelle naturellement d’autres, beaucoup plus
Le nouvel embarcadère, l’avenue monumen-
anciens.
tale, la promenade et la fontaine déterminent
A cheval sur ce viaduc, la gare constitue le
un axe urbain perpendiculaire au viaduc de
point de départ d’un axe urbain majeur, celui
la voie ferrée et orienté vers l’édifice le plus
de l’avenue Feuchères actuelle, projetée dès
emblématique de la ville antique situé à l’ho-
1841 et réalisée en 1844-1845. De nombreux
rizon, la tour Magne. Cet alignement volon-
immeubles bourgeois et, dès 1855, la nouvelle
taire concrétise avec force le lien entre la ville
préfecture, sont érigés le long de cette avenue
moderne et son histoire antique, le lien entre
prestigieuse de 300 mètres de long et d’une
sa grandeur passée et son avenir. Les quatre
largeur considérable (la largeur initiale de
édifices qui forment la couronne de la déesse
50 mètres est portée à 60 mètres sur proposi-
nîmoise de la fontaine de Questel et Pradier le
tion de quelques conseillers municipaux), avec
signalent également : la Maison Carrée et l’am-
voie pavée au milieu, allées latérales et planta-
phithéâtre, les édifices antiques que l’architecte
Thierry Lochard
tions d’arbres. L’avenue s’apparente ainsi à un
Durand avait déjà exaltés en 1809-1810 dans
Architecte, ingénieur de recherche
«cours», l’une des figures les plus remarquables
la nouvelle façade de l’ancien hôpital général,
à l’École nationale d’architecture
de l’urbanisme baroque déjà très présente à
et le théâtre et le palais de Justice, deux mo-
de Marseille, Thierry Lochard est
Nîmes.
numents alors assez récents et remarquables
chercheur au Laboratoire INAMA.
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Nîmes : palais de Justice, Maison
Carrée et colonnade du théâtre
(détruite), gare et voie ferrée, amphithéâtre (Arènes), jardin de la Fontaine, tour Magne, avenue Feuchères,
fontaine Questel et Pradier, église
Saint-Baudile, cathédrale NotreDame-et-Saint-Castor et façade
principale de la gare.
Carte postale ancienne,
début XXe siècle
(Coll. Part, Éditeur : RF).
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des remparts inutiles et vétustes souhaitée par
Edouard Teste propose de nombreuses va-
meubles «jumeaux» qui l’encadrent constituent
les édiles dès 1766, autorisée en 1785, projetée
riantes pour relier la gare à la ville, mais il n’y
la nouvelle entrée dans la ville. Construit entre
la même année par Raymond dans un célèbre
a pas comme à Nîmes de collaboration forte
1867 et 1870 sur l’axe majeur du quartier le plus
plan d’embellissement et achevée en 1793 ;
entre des aménageurs inspirés, pas de vo-
moderne et face au nouveau square, le temple
une démolition qui donne alors son unité fonc-
lonté urbaine manifeste, pas de projet qui
protestant symbolise sans aucun doute la re-
tionnelle à la ville.
s’impose d’emblée. Certains conseillers mu-
conquête d’une dignité pour la communauté
L’aménagement du quartier de la gare nîmois
nicipaux jugent ainsi superflue et inutile la
protestante. Plus haut, dans la rue Maguelone
s’inscrit dans la forte continuité entre les héri-
création d’une rue entre l’embarcadère et la
encore, deux immeubles «uniformes» caracté-
tages antique et de la période moderne et le
place de la Comédie (rue Maguelone actuelle) ;
ristiques de l’haussmannisme montpelliérain
XIXe siècle, entre l’évolution urbaine et cultu-
d’autres conseillers proposent de réduire de 15
composent une seconde porte de ville.
pour être associés à la gloire de la ville chargée
relle de l’Ancien Régime et les transformations
à 9 mètres la largeur de la rue ouverte en di-
La modernité montpelliéraine emprunte alors à
de l’aura d’une histoire urbaine illustre.
de la ville industrielle. Les liens professionnels
rection du faubourg de la Saunerie (rue de la
l’éclectisme, au néo-gothique et au néo-roman,
Les projets architecturaux et urbains du début
mais aussi amicaux tissés entre des personna-
République actuelle) et s’attirent les critiques
et à l’architecture métallique avec la construc-
du XIX siècle s’inscrivent également dans cette
lités influentes : Raymond, Grangent, Durand
sévères du préfet… Et, compte tenu de l’em-
tion d’un remarquable marché couvert inaugu-
continuité. Charles Durand et Victor Grangent
et l’ingénieur Didion n’y sont sans doute pas
placement choisi pour l’embarcadère, les deux
ré en 1859, deux ans seulement après le mo-
s’inspirent du projet de l’architecte toulousain
étrangers, comme la présence d’un patrimoine
rues de la République et Maguelone forment
dèle parisien donné par Baltard. Et, à propos
Jean-Arnaud Raymond pour l’aménagement
remarquable : «Le nombre et la qualité des mo-
un biais par rapport à l’édifice. Didion avait du
de l’aménagement du quartier de la gare, le
des boulevards, la restauration de l’amphithéâ-
numents antiques condamnaient en quelque
moins sauvé la mise en scène urbaine : «Nous
conseiller Gaston Bazille, adjoint à l’urbanisme
tre après la démolition, entre 1809 et 1812, des
sorte les Nîmois à l’histoire » ; ajoutons : à cette
avons placé le centre de l’embarcadère de telle
du maire Jules Pagézy, juge alors sévèrement
maisons qui l’encombrent et forment un véri-
époque du moins, à l’architecture et à l’urba-
sorte que, de la place de la Saunerie, on puisse
les édiles des années 1840 : «Il y a quelques an-
table quartier, la mise en valeur de la Maison
nisme également.
voir la façade du bâtiment et son horloge.» Son
nées, le conseil [municipal], encore un peu no-
compromis marque les esprits dans une ville
vice en fait de grands travaux de voirie urbaine,
a procédé avec trop de timidité peut-être…».
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Carrée et sa transformation en musée avec l’ouverture, dans son axe, de la rue Auguste dont
Montpellier
alors peu habituée aux compositions urbaines
les façades ordonnancées s’accordent au mo-
Tel n’est pas le cas à Montpellier où l’ingénieur
magistrales : les vues emblématiques de la ville
dèle donné en 1800 et enfin la construction en
Didion intervient également dans la réalisation
de la fin du siècle représentent en parallèle la
Béziers
1827 de la célèbre colonnade ionique (détruite)
de la ligne Nîmes-Montpellier inaugurée en
nouvelle rue ouverte dans le prolongement
Du haut de son éperon rocheux couronné par
qui ouvrait le théâtre sur le boulevard, face au
1844. Mais le contexte est ici tout à fait diffé-
du boulevard et la gare en biais à l’arrière plan
la puissante cathédrale, Béziers domine la
monument romain. D’autres créations monu-
rent : après la démolition totale des faubourgs
avec la percée de la prestigieuse rue Impériale,
plaine viticole et contrôle les routes qui fran-
mentales suivront, églises, palais de Justice
lors des conflits religieux du XVI et du début du
projetée dans les années 1860-1863 dans l’axe
chissent le fleuve côtier, l’Orb : la route antique
avec son portique dorique, façade de l’hôpital
XVIIe siècle, la ville moderne est réduite grosso
de l’ancienne place royale du Peyrou…
tout d’abord, la Voie Domitienne, puis la route
général, mais aussi dégagement en 1849 de la
modo à l’emprise médiévale intra muros et les
Pour l’ouverture de la rue Maguelone avec une
médiévale, le chemin de pèlerinage de Saint-
porte d’Auguste redécouverte fortuitement à la
projets d’agrandissements restent sans suite :
largeur de 17 mètres seulement, la municipalité
Jacques de Compostelle. Au pied de ce site
fin du XVIII siècle… Les projets urbains inspi-
dans les années 1830-1840, l’ancienne capitale
envisage le recours à l’alignement : «Cela n’en-
rés des monuments antiques, ordonnés autour
de la Province du Languedoc devenue simple
gage pas le présent et garantit l’avenir contre
et par eux, sont suffisamment rares en France
préfecture de département à la Révolution,
les exigences des propriétaires.» Soucieux d’une
pour que le cas de Nîmes soit souligné.
conserve encore une emprise modeste, cen-
plus grande efficacité dans l’aménagement du
Comme l’a montré Line Teyssere-Salmann, la
trée sur la colline d’origine.
quartier, le préfet impose à la Ville le recours
redécouverte au XVIII siècle du passé antique
Le choix de l’emplacement de l’embarcadère
à l’expropriation pour la première partie de la
avait permis aux Nîmois d’espérer reconstruire
fait ici l’objet d’âpres disputes. Didion avait pré-
rue créée en 1845 du côté de l’embarcadère.
un nouvel équilibre social, l’héritage venant
vu l’implantation de la gare dans l’enclos Bous-
La seconde partie le sera vingt ans plus tard à
en quelque sorte «légitimer», à cette période,
sairolles, un faubourg proche du centre ancien
travers le faubourg de Lattes, sous le second
le renouvellement de la structure urbaine et
et l’ouverture d’une rue monumentale dans
Empire, dans le contexte des grands chantiers
l’extension rapide des faubourgs : le lotisse-
l’axe du nouvel édifice pour le relier à la place
urbains et de l’haussmannisation de la ville : le
ment régulier du faubourg Richelieu à l’est à
de la Comédie, et au-delà au centre ancien.
projet fait alors partie des «Grands Travaux La-
partir de 1745, l’agrandissement urbain projeté
Mais plusieurs riches propriétaires proposent
zard», du nom de l’architecte concessionnaire.
à l’ouest par l’ingénieur du Roi et directeur des
de faire construire la gare sur leurs terrains,
L’architecte de la ville Cassan en dresse le plan
Fortifications de la Province Jacques-Philippe
dans le faubourg de Lattes et obtiennent une
en 1855 et la réalisation a lieu dans les années
Maréchal à l’occasion de l’aménagement du
décision favorable à leurs intérêts.
1860. Face à la gare, le square Planchon dessi-
jardin de la Fontaine et, plus tard, la démolition
Influencé par Didion, l’architecte de la ville
né par les frères Bülher en 1857 et les deux im-
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Montpellier. Square de la gare P.L.M.
[square Planchon actuel] et rue
Maguelone. Carte postale ancienne,
début XXe siècle
(Coll. part., Éditeur : L.J. Albaille,
Montpellier).
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a
Béziers. «Sortie de la gare».
A l’arrière plan, le plateau des Poètes
et le départ de l’avenue Gambetta
actuelle. Carte postale ancienne,
début XXe siècle
(Coll. part., Phot. M. Pons).
exceptionnel, le chemin de fer arrive en 1857.
L’ouverture de la ligne Bordeaux-Sète sera suivie par celle de la ligne de Bédarieux l’année
suivante, puis celle de Lodève en 1863 et celle
de Béziers-Neussargues-Paris plus tardivement,
en 1895.
Déjà prise en compte lors de la construction
du Canal des Deux Mers, la contrainte du relief
s’impose ici avec force. Comme le canal, la voie
ferrée passe au sud de l’acropole, à proximité
de l’Orb. La dénivellation considérable rend
difficile la liaison entre la gare et la ville, opérée
ici par un magnifique jardin à l’anglaise, le plateau des Poètes que les architectes paysagers
Eugène et Denis Bülher dessinent en 1865 d’allées sinueuses bordées d’arbres d’essences
rares et plus tard ponctuées de nombreuses
sculptures : l’Enfant au poisson par Injalbert
et les bustes des poètes biterrois Maffre Ermengaud, Jean Pons, Guillaume Viennet et
les frères Azaïs sculptés entre 1880 et 1922 par
Injalbert, Villeneuve et Magrou ; vers la gare,
l’imposant monument aux morts et à la victoire sculpté par Injalbert avec ses escaliers et
ses grilles luxueuses dessinés par l’architecte
Victor Laloux (1925), et plus haut, le monument
dédié à Jean Moulin natif de Béziers que son
ami Marcel Cordier représente assis, nu et grave
(1951) ; enfin, dominant le lac du jardin, la fontaine du Titan, chef-d’œuvre qu’Injalbert avait
achevé en 1892 : le Titan qui supporte la sphère
céleste dans un effort tragique surplombe la
fontaine rustique, dans le goût italien avec bossages et rocailles, atlante et cariatide, alors que
dans le bassin supérieur, des enfants joueurs
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entourent un Pan gigantesque et malicieux
présente la promenade, la statue de Riquet qui
lition qui commence l’année suivante, en 1868.
devant le beau paysage de la plaine languedo-
la décore et la vaste plaine qui s’étend jusqu’à la
Mais le chemin de fer arrive à Narbonne en
cienne visible à l’arrière-plan.
mer.» Le théâtre et les allées forment donc un
1854 alors que la ville est encore enfermée
Une longue avenue, l’avenue Gambetta ac-
ensemble urbain et architectural monumental
dans ses murs. La contrainte militaire s’impose
tuelle, ouverte en pente assez raide en direc-
très remarquable que le plateau des Poètes re-
à l’aménagement du futur nœud ferroviaire
tion du centre ancien et une rampe dite du
lie à la nouvelle gare située en contrebas.
entre Toulouse, Perpignan et Béziers. La ligne
Fer-à-Cheval aménagée entre 1856 et 1861 vers
Le quartier de la gare reste à l’écart de cet es-
longe la ville fortifiée et la nouvelle avenue qui
la place de la Citadelle et les allées Paul-Riquet
sor urbain exceptionnel. Le passage du Canal
relie la gare et la ville, l’avenue Pierre Sémard
relient également la gare et la ville. Sur l’ave-
du Midi avait d’ailleurs déjà déterminé la spé-
actuelle, doit contourner le bastion Saint-Félix
nue s’élèvent des immeubles d’habitation avec
cialisation de cette partie basse de la ville dans
avant d’atteindre l’une des quatre portes de
boutiques en rez-de-chaussée et des maisons
le commerce du vin et de l’alcool. Une voca-
l’enceinte, la porte Royale ou de Béziers.
dont les grandes portes charretières signalent
tion confortée par la création d’un nouveau
Après la démolition de l’enceinte, la création
une activité agricole très certainement liée au
port fluvial bientôt bordé d’entrepôts et par la
des boulevards remet en cause le tracé de cette
commerce du vin et de l’alcool. L’architecture
construction du Pont-canal qui assure le pas-
avenue ouverte en face de la gare : une nou-
modeste, sans décor et sans apparat, implan-
sage du canal au dessus du fleuve : imaginé dès
velle avenue presque parallèle à la première,
tée sur des parcelles cadastrales dont la régula-
1684 par Vauban, réalisé en 1857 seulement par
le boulevard Condorcet actuel, relie la gare et
rité signale un lotissement concerté, contraste
l’ingénieur du Canal du Midi Jean Maguès, le
le square aménagé à l’emplacement de l’an-
avec l’opulence des immeubles des «beaux
pont remarquable libère enfin les bateaux des
cienne porte Royale. Les plans d’extension de
quartiers.»
caprices de l’Orb, comme l’avait fait pour la cir-
la ville établis en 1880 par Payras ou en 1901
La ville se développe en effet sur le plateau,
culation le nouveau pont routier qui double en
par Carbon intègrent ces aménagements suc-
à l’est, le long des routes vers Bédarieux, vers
1846 le Pont-Vieux médiéval construit sur des
cessifs. Les plans réguliers probablement inspi-
Montpellier et vers Agde dans le contexte de
bases probablement antiques et alors même
rés de celui donné par Cerda à Barcelone dans
l’essor exceptionnel de la viticulture biterroise
que le chemin de fer, lui aussi, franchit à la
la seconde moitié du XIXe siècle comportent
et du commerce favorisé dans la seconde moi-
même période le fleuve…
des figures urbaines de rattrapage caractéris-
tié du XIX siècle par le chemin de fer : Béziers
est à la fin du siècle la ville la plus riche du Lan-
Narbonne
en baïonnette, angles aigus, accidents parcel-
guedoc et sa population a quadruplé depuis la
La ville antique et médiévale de Narbonne de-
laires, cour ouverte sur la rue laissant voir un
Révolution.
vient au XVIe siècle une place de guerre impor-
alignement plus ancien, etc. Par son hétérogé-
A la jonction du centre ancien et des nouveaux
tante : face aux Espagnols installés depuis la fin
néité, l’architecture elle-même reflète les aléas
faubourgs, l’ancienne promenade hors les
du XVe siècle dans le fort de Salses situé à une
d’une liaison problématique entre la gare et la
murs devient le cœur du nouvel ensemble ur-
cinquantaine de kilomètres dans la plaine du
ville : les immeubles de rapport et les maisons
bain. Les immeubles cossus, richement ornés
Roussillon, l’ingénieur italien Anchise de Bo-
modestes coexistent avec un hôtel particulier
d’ordonnances architecturales de frontons, de
logne commandité par François I y construit,
et des maisons viticoles aux grandes portes
pilastres monumentaux et de sculptures, sou-
à partir de 1523, une enceinte bastionnée mo-
charretières.
lignées par des balcons aux ferronneries abon-
derne, particulièrement remarquable par sa
Faite de collages typologiques et architectu-
dantes bordent les «Allées» (allées Paul-Riquet
précocité et par l’intégration de très nombreux
raux, l’urbanisation du quartier se poursuit
actuelles), véritables ramblas qui abritent à
vestiges antiques dans la courtine et dans les
jusque dans la première moitié du XXe siècle
l’ombre des platanes les terrasses des cafés,
ouvrages d’entrée.
sans pour autant créer un ensemble cohérent,
le marché mais aussi les manifestations po-
L’enceinte utile à la défense du royaume consti-
alors qu’à l’opposé, du côté de l’ancienne pro-
litiques. Celle du 12 mai 1907 y réunit 150 000
tue au XIXe siècle un véritable carcan pour la
menade des Barques et le long du canal qui tra-
personnes et les soldats du 17 , solidaires des
ville, alors que la croissance démographique y
verse la ville, les immeubles cossus de la fin du
manifestants, bivouaquent crosses en l’air de-
est forte : la rareté des espaces disponibles ac-
XIXe et du début du XXe siècle jouxtent les belles
vant le théâtre construit entre 1842 et 1844,
croît le prix des terrains et empêche la construc-
villas éclectiques. Et de même, sur les boule-
comme un fond de scène monumental orné
tion des équipements publics indispensables,
vards aménagés à l’emplacement de l’enceinte
d’un décor de reliefs en terre cuite attribué
et les quatre portes de ville rendent les commu-
s’ouvrent les grands immeubles bourgeois
à David d’Angers : la disposition du théâtre a
nications avec les faubourgs très difficiles. Les
et les équipements urbains : les halles métal-
«l’avantage de terminer la promenade par la fa-
demandes nombreuses faites pour le déclas-
liques inaugurées en 1901, l’hôtel de Police vers
çade la plus ornée de l’édifice et celui de donner
sement de l’enceinte n’aboutissent qu’en 1867
1930, la sous-préfecture, le «Kurssal» en 1923…
au foyer du théâtre le beau coup d’œil que re-
avec la signature du décret autorisant la démo-
Avec l’imposant et remarquable palais des
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tiques des hésitations et des compromis : rue
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fortifications. Un plan d’ensemble et d’aligne-
dans les nouveaux quartiers. Viggo Dorph
ment du quartier est levé à cette date ; il sera
Petersen, Eugène Montes, Claudius Trenet,
repris et modifié dix ans plus tard . Un premier
Léon Baille travaillent déjà au tout début du
tramway remplace en 1882 le service de trans-
XXe siècle ; d’autres renouvellent l’architecture
port public mis en place dès 1866 entre la gare
perpignanaise en s’inscrivant dans les nou-
fait également œuvre d’urbaniste en prévoyant
et la porte du Castillet. Des équipements pu-
veaux courants stylistiques, régionalisme, Art
une extension urbaine à l’intérieur des murs, la
blics répondent également aux besoins d’une
Déco, rationalisme structurel, style paquebot,
ville Neuve.
population toujours plus importante : établis-
modernisme minimaliste ou pittoresque :
Ainsi, lorsque le chemin de fer atteint Perpi-
sements scolaires publics et privés, gendarme-
Henry Sicart, Jean Mérou, Alfred Joffre, Pierre
e
gnan au milieu du XIX siècle, la ville est en-
rie en 1881 (place de Belgique actuelle), église
Sans, Louis Trenet, Jean Ferrer, Félix Mercader,
close, comme Narbonne, dans une formidable
Saint-Joseph en 1892 d’après les plans de
Louis Tilhac, Joseph Roque, Henri Graëll,
enceinte bastionnée. Le tracé de la voie ferrée
l’architecte Vignol, dix ans après l’érection du
Cyprien Lloansi, Joseph Prudhomme, Edouard
et l’implantation de la gare font donc l’objet de
quartier en paroisse de banlieue.
Mas-Chancel, Raoul Castan et Férid Muchir…
négociations entre la Compagnie du Midi et le
Avec la démolition des fortifications au début
Ces architectes et ces ingénieurs forment un
Narbonne, la gare.
Carte postale ancienne
(Coll. part., Phot. Labouche frères,
Toulouse).
Génie militaire : l’accord passé le 28 mai 1855
du XX siècle, le développement du quartier et
milieu professionnel très dynamique ; leurs
Sports, des Arts et du Travail construit en béton
prévoit que le chemin de fer, qui doit être su-
sa liaison avec la ville entre dans une nouvelle
projets dans la première moitié du siècle re-
bouchardé à partir de 1938, Narbonne possède
e
rélevé sur un talus, passera loin de la ville dans
phase. Un «Comité de Démolition des Remparts»
tiennent l’attention et ont fait l’objet d’une
un patrimoine de la fin du XIXe et du XXe siècles
la troisième zone de servitudes militaires, à 650
s’était mis en place dès la fin du XIXe siècle pour
étude qui met en évidence leur syncrétisme,
très important, en partie construit sur les ves-
mètres de l’enceinte. Le train de Narbonne ar-
obtenir la démolition de l’enceinte bastionnée ;
la fusion des acquis de la tradition et ceux de
tiges de monuments plus anciens : le palais de
rive ainsi à Perpignan en juillet 1858.
l’architecte Claudius Trenet, membre du Comi-
la contestation, le partage des motifs architec-
Justice remplace l’ancien palais du XIXe siècle
Face à la gare que célébrera le peintre Salvador
té, a d’ailleurs levé, dès le début des années
turaux et des effets pittoresques par les per-
détruit ; la poste est construite par l’architecte
Dali, une avenue de 600 mètres de longueur
1890, un plan d’aménagement des terrains
sonnalités les plus affirmées, le régionaliste
Carlier en 1928 à l’emplacement du couvent
(avenue du Général de Gaulle actuelle) rejoint
militaires. Les longues négociations entre le
Mas-Chancel ou le «moderniste» Férid Muchir
des Trinitaires ; et les boulevards eux-mêmes
en ligne droite la ville enclose dans laquelle on
ministère de la Guerre et la Ville aboutissent à
notamment. Ainsi, malgré les juxtapositions
remplacent l’enceinte bastionnée du début
pénètre alors par la porte de Solférino (place
la signature d’une convention en 1904. Certes,
typologiques et stylistiques, la grande diversi-
du XVIe siècle démolie à la dynamite malgré
Jean Payra actuelle). Le préfet impose pour
comme à Narbonne, des voix s’élèvent contre
té des réalisations perpignanaises des années
les protestations des érudits et celles de l’ins-
cette avenue une largeur de 16 mètres contre
la destruction des remparts : «Comme il est
1900-1950 s’accompagne d’une très forte im-
pecteur général des Monuments Historiques
l’avis des édiles timorés : comme à Montpellier,
mesquin, trivial et bourgeois, ce souci de faire
pression d’unité.
Boeswillwald qui fustige en 1885 l’état d’incurie
la municipalité perpignanaise n’anticipe pas le
comme tout le monde, de niveler, de ratisser,
Ce rôle unificateur, à l’échelle de la ville, se
et de malpropreté des fouilles réalisées pour la
développement urbain à venir. Le quartier se
de moderniser prétentieusement et de jouer au
manifeste dans les nouveaux quartiers, le lotis-
construction d’un collège, jugeant que la Ville
développe en effet malgré les servitudes mi-
petit New York.» Mais les protestations, tardives,
sement des Remparts Nord ou celui plus tardif
devrait «se montrer plus soucieuse des anciens
litaires qui couvraient depuis 1829 la totalité
pèsent peu devant l’engouement général pour
des Remparts Sud créé autour de la Citadelle à
souvenirs de la Cité.»
du nouveau faubourg. Les négociants en vin,
les transformations urbaines : les démolitions
partir de 1931. Il s’exprime également dans le
S’il ne constitue pas un ensemble urbain remar-
les tonneliers, les cheminots pour la Compa-
entreprises dès 1904 au nord de la ville sont
centre ancien, mais aussi dans le quartier de
quable comme ailleurs, du moins le quartier
gnie du Midi, les commerçants, les ouvriers
achevées deux ans plus tard.
la gare : les architectes recourent là aussi à des
de la gare et son aménagement sans ampleur
de l’usine à gaz ou de la fabrique de papier à
Les zones dégagées par la démolition de la for-
styles très divers pour leurs réalisations dissé-
échappe-t-il à la fatalité de la démolition qui
cigarettes Nils et ceux des entreprises vini-
tification s’urbanisent et se densifient. Ces nou-
minées dans toutes les rues du quartier et dans
touche la ville : comme le souligne l’historien
coles s’installent à proximité de la gare. Liée à
veaux quartiers jouxtent le centre ancien et le
les lotissements créés entre l’ancienne ville et
de la fortification René Caïrou : «Ainsi en a-t-il
l’essor démographique et au développement
relient au quartier de la gare pour former un en-
la voie ferrée, de part et d’autre de l’axe central
été du destin de Narbonne : celui de voir au cours
économique induit par l’arrivée du chemin de
semble urbain cohérent. Le plan d’extension et
de l’avenue du Général de Gaulle, tel le hameau
des siècles un esprit destructeur s’acharner sur
fer, l’industrialisation est surtout déterminée
d’embellissement dressé par l’architecte urba-
des Quatre-Cazals proche de la ville dont le
par les intérêts privés. Il n’y a pas, comme à
niste Adolphe Dervaux en 1927 conformément
plan d’alignement est donné en 1907, ou le lo-
les témoins de son histoire.»
Nîmes, de plan d’ensemble ou d’alignement :
à la loi Cornudet de 1919 prend en compte
tissement du Coin Tranquille où Muchir, Joffre
Perpignan
immeubles de rapport ordinaires, maisons de
cette unité renouvelée de la ville agrandie en
et Mas-Chancel interviennent dans les années
Chacun à leur tour, les rois d’Espagne et de
faubourg, villas, hôtels particuliers mais aussi
couvrant le territoire immense d’une «banlieue
1930 : les deux premiers empruntent à l’Art
France ont transformé l’ancienne capitale ma-
entrepôts, usines, les constructions modestes
indifférenciée», structurant l’espace autour des
Déco pour une maison unifamiliale alors que
jorquine en place de guerre. Au XVIe siècle, les
et luxueuses s’élèvent de manière anarchique
grands axes de circulation et d’un réseau de
le troisième accommode là pour un ensemble
ingénieurs de Philippe II d’Espagne moder-
et parfois même en toute illégalité ; en 1882,
parcs.
de six maisons de faubourgs modestes le style
nisent l’enceinte urbaine et élèvent une cita-
deux cents constructions clandestines sont
Les créations architecturales de la première
régionaliste qu’il défend ailleurs avec brio
delle autour du palais des rois de Majorque.
répertoriées entre la première et la deuxième
moitié du XXe siècle participent également à
dans des hôtels particuliers prestigieux (hôtels
Après le rattachement du Roussillon à la France
zone de servitudes militaires. Pour faire face
cette unification de l’ensemble urbain. Des
Foxonet et Alboise par exemple). Ailleurs dans
en 1659, Vauban élève à partir de 1679 une
à la pression foncière, la création d’un poly-
architectes éminents construisent pour une
le quartier, l’architecte Pierre Sans puise dans
enceinte bastionnée remarquable et d’une
gone exceptionnel de défense réduit en 1883
bourgeoisie cultivée de nombreux immeubles,
les références catalanes, celles de la masia ba-
les servitudes aux zones les plus proches des
des maisons de ville et des hôtels particuliers
roque en particulier, les motifs pour une grande
emprise considérable ; mais l’ingénieur du roi
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villa quand Muchir et Joffre s’inspirent du style
pas éclipser par les villes voisines.» A Perpignan
Béziers
paquebot pour le grand hôtel Royal-Roussillon.
également, de nombreux habitants, commer-
L’hétérogénéité des constructions souvent re-
çants, hôteliers et rentiers craignent la forma-
marquables entreprises depuis le milieu du
tion d’une nouvelle agglomération autour de
Sagnes, Jean
Histoire de Béziers, Toulouse, Privat,
1986.
XIXe siècle jusqu’aux années 1950 témoigne
l’embarcadère, «non seulement des hôtels, des
donc avec force d’une histoire urbaine singu-
magasins, mais toute une ville, tout un nouveau
lière et confère un charme certain à un quartier
Perpignan qui, au détriment de l’ancien, pourra
que viennent perturber les réalisations hors
s’étendre tant qu’il voudra, n’étant pas comme
d’échelle des années 1970-1980…
celui-ci étreint dans une immuable ceinture de
fortifications.»
Perpignan. L’avenue de la gare
et l’hôtel Royal-Roussillon. Carte
postale ancienne, vers 1960 (Coll.
part., Éditeur : A. L’Hoste, Paris).
De l’architecture des gares au
Mais tel n’est pas le cas, semble-t-il, à Nar-
«déplacement de la centralité»
bonne où l’aménagement du quartier de la
La comparaison des transformations urbaines
gare ne paraît pas faire l’objet de débats, ni à
occasionnées par l’arrivée du chemin de fer
Nîmes, agrandie à plusieurs reprises au cours
dans les cinq grandes villes languedociennes
des siècles précédents : au XVIIe siècle, l’ancien
et roussillonnaises révèle naturellement des
faubourg des Prêcheurs, au nord, avait été en-
traits communs. L’architecture des gares mé-
globé dans la ville après la construction du fort
rite une étude plus approfondie qui fera sans
en 1687-1688 et la création du Grand et du Petit
aucun doute apparaître des références com-
Cours (boulevard Gambetta actuel) à l’empla-
munes pour la construction de ces «embarca-
cement de l’enceinte médiévale détruite ; au
dères» de la première génération et le recours
XVIIIe siècle, la création des quartiers Richelieu
systématique à la charpente métallique pour
à l’est et de la Madeleine à l’ouest avait éga-
répondre à un programme totalement nou-
lement modifié l’équilibre urbain (cf. supra).
veau. De même, l’analyse des opérations d’ur-
L’extension urbaine au sud, vers la voie ferrée
banisme liées à la création des voies ferrées et
et la gare, apparaît dès lors comme la suite
à l’aménagement des nouveaux quartiers, met-
d’un mouvement déjà amorcé aux périodes
tra probablement en évidence le rôle du dispo-
précédentes et l’occasion d’un renouvellement
sitif juridique traditionnel de l’alignement et sa
urbain. Le Cours Neuf créé par Maréchal dans
relative inefficacité et celui de l’expropriation
l’axe du jardin de la Fontaine est d’ailleurs pro-
hérité de la loi du 3 mai 1841 sur l’expropriation
longé jusqu’à la voie ferrée entre 1866 et 1872…
pour cause d’utilité publique. La loi conçue à
À Béziers, le relief s’impose fortement et contra-
l’origine pour le chemin de fer, précisément,
rie le développement d’un véritable quartier
est bientôt appliquée dans de nombreux cas à
résidentiel aux abords de la nouvelle gare. Au
l’aménagement urbain.
demeurant, la ville s’agrandit ailleurs : la cen-
La création des quartiers nouveaux à proximi-
tralité biterroise trouve au XIXe siècle dans les
té des embarcadères remet en cause parfois
«Allées» la figure urbaine appropriée à la nou-
l’équilibre et la centralité urbaine, hérités de la
velle sociabilité. Avec la belle composition du
période moderne. C’est manifestement le cas
plateau des Poètes, la magie du site biterrois
à Montpellier : le centre ancien n’a fait l’objet
suscite alors l’une des réalisations paysagères
d’aucun aménagement d’envergure ; le préfet
les plus exceptionnelles et les plus originales
s’en inquiète vivement en posant la question
de la région.
de la rente foncière : «La ville se déplacera ra-
Ainsi, les créations urbaines et architecturales
pidement si l’on ne la rend pas facilement ac-
liées à l’arrivée du chemin de fer reflètent aus-
cessible de sa circonférence à son centre. Elle
si les contextes culturels qui font, à travers
renferme une foule de maisons magnifiques qui,
l’histoire et l’ambiance urbaine, à travers les
pour conserver ou reprendre une valeur considé-
hommes et leur imaginaire, le «génie du lieu»
rable, n’ont besoin que d’être rapprochées des
de chacune des villes ■
rues plus spacieuses, ayant des pentes moins
rapides.» La ville se déplacera du côté de la
gare, bien sûr, là où des immeubles bourgeois
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en jeu : «Il reste encore énormément à faire pour
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Le projet urbain dans l’usage
des règlements d’urbanisme (1970-2007)
Denis Berthelot
et de leurs effets, voulus ou fortuits, sur la production ou la transformation des
tissus urbains. Le malentendu qui résiderait dans l’opposition fréquemment
proclamée entre les règlements d’urbanisme et le projet urbain. Force est
cependant de constater que les rapports entre la règle et le projet urbain,
entendu au sens de projet sur l’espace communal, ont été fort rares pour ne pas
dire qu’ils ont relevé de l’exception.
Une évidence
faite au PLU de fixer les règles d’implantation
Les règlements d’urbanisme, essentiellement
des constructions par rapport aux voies et aux
ceux des PLU, des POS et des ZAC, couvrent plus
limites séparatives, avatar de la loi de 1983 re-
de la moitié du territoire français, concernent
pris en 2001 par la SRU, en est une illustration.
90 % de la population et plus encore des
De surcroît, les vieux règlements de POS éla-
mètres carrés construits ou des autorisations
borés dans les années 1970 perdurent dans
délivrées. Si aux documents existants l’on
le contenu même des PLU de nombreuses
ajoute ceux en cours d’élaboration, de révision
communes. Ils se maintiennent dans leurs
ou de modification, près de 18 000 communes
structures et n’évoluent qu’à la marge, à l’oc-
vivent la création, l’application ou l’évolution
casion d’autorisations ponctuelles, c’est-à-dire
de règlements d’urbanisme.
lorsqu’un projet particulier s’impose face à la
Peu de projets d’aménagement ou de construc-
faiblesse ou à l’absence du projet collectif et
tion se conçoivent actuellement en dehors
conduit à une modification du règlement de
de leur existence. Ils en acquièrent une quoti-
POS ou de PLU qui seule permet de le réaliser.
dienne, banale et familière actualité. Sont-ils
À la lecture des règlements apparaissent ainsi
pour autant l’expression ou le moyen de ré-
telles ou telles modifications, matérialisées
gulation juridique d’un projet communal sur
dans les vieux documents par des polices de
l’espace ?
caractères différentes, rappelant aux anciens
Depuis quarante ans les règlements des POS
certains projets particuliers, aboutis ou non. Il
et des ZAC, puis des PLU, ont été ou sont cri-
convient donc de s’interroger sur cette persis-
tiqués, bien souvent à juste titre, pour leur in-
tance des règlements locaux. Ne peut-on en
capacité à accompagner la production d’une
chercher la cause dans une absence de projet
forme urbaine voulue. Ce mode de régulation
collectif suffisamment puissant, seul légitime
juridique, tellement dénigré, aurait dû être dé-
à remettre en cause une règle de fonctionne-
laissé au profit d’un autre. Or ce n’est pas plus
ment à laquelle sa durée d’application aurait
le cas au plan législatif que cela ne l’est au plan
conféré une sorte d’épaisseur technique et so-
réglementaire local. La transformation du POS
ciologique ?
en PLU par la loi Solidarité et Renouvellement
Mais est-il possible de poursuivre un projet
Urbains (SRU) n’a en effet pas apporté de modi-
collectif sur l’espace en l’absence de règles juri-
Denis Berthelot
fication substantielle sur le contenu réglemen-
diques dont l’objet est d’organiser, dans l’équi-
Denis Berthelot est urbaniste. Il
taire des plans. La réaffirmation par la loi de la
té, en dehors de toute négociation, les rapports
a été maître de conférences en
nécessité d’un projet préalable à l’édiction de la
entre le projet de la collectivité et celui de cha-
aménagement de l’espace à
règle a plus interpellé l’usage qui a pu être fait
cun des particuliers, citoyens éventuellement
l’Institut d’Aménagement Régional
des documents d’urbanisme qu’elle n’a modi-
propriétaires ? En d’autres termes, le projet
d’Aix-en-Provence.
fié leur cadre juridique. L’obligation aberrante
peut-il se passer de règlement?
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par les élus,
13 mars 2007
que constituent la généralisation et la permanence des règlements d’urbanisme
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ont de ce fait été perçus
complexes marqués du double sceau de l’évidence et du malentendu. L’évidence
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Les règlements
Les règlements d’urbanisme entretiennent avec le projet urbain des rapports
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Un malentendu
malisation, sa «pureté juridique», un moyen
A cet égard il convient sans doute de lever un
de contrôler l’action de services extérieurs
malentendu. La règle juridique est volontiers
prenant par ailleurs quelques libertés avec
opposée au projet. C’est méconnaître que
la doctrine sur la question du zonage dans
les conditions de production des règlements
les négociations qu’ils étaient contraints de
d’urbanisme ont très rarement installé des
conduire avec les élus locaux. Elle a ainsi en-
relations entre la règle et le projet sur l’es-
cadré l’action des DDE par des instructions et
pace local. On peut même affirmer que, dans
des circulaires qui ont conduit à la générali-
l’immense majorité des cas, ces règles ont été
sation de règlements-types produits dans une
produites en l’absence de projet sur la ville. La
sorte d’autonomisation par rapport à leurs es-
confrontation, la règle contre le projet, n’a donc
paces d’application. En témoigne notamment
généralement pas eu lieu, l’accumulation des
le Tableau général des expressions juridiques
règles produites ces quarante dernières années
purifiées du règlement d’urbanisme, édité en
comblant une sorte de «vide projectuel».
mars 1981 par la Direction de l’Urbanisme et
Il nous semble donc nécessaire d’explorer les
des Paysages, qui servit de référence tutélaire
conditions de production qui ont le plus sou-
aux règlements-types départementaux et dont
vent prévalu d’une règle sans projet, voire
les actuels «règlements cadres», proposés (ou
d’une règle comme projet qui jettent à notre
imposés) par les DDTM aux communes comme
sens un voile sur la possibilité d’élaborer une
une garantie de sécurité juridique, sont les for-
règle au service du projet.
mulations dérivées.
les professionnels
et les usagers,
les citoyens
devrait-on dire,
comme un outil
d’interdiction
et d’uniformisation.
Les règles produites dans ces conditions
La règle sans projet 1970-1983
peuvent être considérées dans leur grande ma-
Les premiers POS ont été élaborés rapidement
jorité comme des règles subsidiaires édictées
et en grand nombre dans les années 1970 dans
en l’absence de projet explicite sur l’espace
le cadre d’une domination de l’appareil tech-
communal, de telle sorte qu’elles ne furent pas
nique du ministère de l’Équipement sur les col-
tant l’expression d’une volonté qu’une somme
lectivités locales, d’une façon qui conditionne
pléthorique de «garde-fous» posés par les
encore aujourd’hui leur mode d’édiction et leur
agents de l’appareil technique d’État, de mo-
contenu.
des ou d’habitudes. Le règlement des POS, et
L’usage des règlements de POS dans ce
nombre de PLU n’y échappent pas, a ainsi plus
contexte centralisé fut caractérisé par une nor-
été utilisé comme outil d’encadrement voire de
malisation des formulations juridiques forte-
contrainte, que comme le moyen d’un projet.
ment inspirée des principes fonctionnalistes et
Les règlements ont de ce fait été perçus par
par la production de règlements-types dépar-
les élus, les professionnels et les usagers, les
tementaux.
citoyens devrait-on dire, comme un outil d’in-
Ce mode de faire s’est d’autant plus dévelop-
terdiction et d’uniformisation, dont la légiti-
pé qu’un découplage s’était instauré entre
mité reste, au fond, encore contestée. Si dans
d’une part la délimitation des zones construc-
les débats techniques autour de l’usage de
tibles qui faisait l’objet de négociations et de
la règle d’urbanisme est souvent abordée la
compromis élaborés par les représentants de
question de sa pertinence ou de sa légalité,
l’État et les élus locaux, dessinant en quelque
il nous semble que nous devrions commen-
sorte «les contours du politique» (Robert Lafore
cer par nous interroger sur la légitimité d’une
1987), et d’autre part l’édiction du règlement,
règle énoncée en l’absence de projet collectif
abandonnée à des techniciens du ministère
de gestion ou de transformation de l’espace. Si
de l’Équipement, peu formés en matière ju-
le Conseil d’État (1992) définit le droit de l’ur-
ridique comme sur le plan de la culture ur-
banisme comme celui des «atteintes légales
baine, comme une «triste nécessité subalterne»
au droit de propriété», naturel, imprescriptible,
(Jean Coignet 1985). L’administration centrale
inviolable et sacré suivant les termes de la
de ce ministère a vu dans la règle et sa nor-
Déclaration des Droits de l’Homme et du Ci-
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Élaborés en chambre,
sans connaissance
réelle de chaque
commune,
toyen (1789), il convient en effet de se pencher
sive de POS. Ce renouveau aurait nécessité une
tive incompétence urbanistique et juridique,
faire qui s’impose à tous et qui se transcrit soit
sur la légitimité de l’usage qui en est fait. Les
formation des professionnels, une déformation
la pratique des règlements-types, sans projet.
dans des documents (tracés, plans, règlements),
de son évolution,
règles produites par les règlements-types, dont
des pratiques antérieures, l’abandon des au-
L’autre prônant l’affirmation d’un projet local
soit dans des recommandations. La règle définit
beaucoup sont donc encore à l’œuvre, ont eu
tomatismes. Les conditions de cette évolution
sur l’espace comme préalable à l’élaboration
les moyens de produire du temps et de la forme.
sans projet,
de fortes incidences, fortuites et regrettées le
semblaient se dessiner, lorsque vint la décen-
de la règle, plaçant celle-ci comme seconde, au
Ainsi pensée, elle doit être portée par le politique
plus souvent, sur la transformation des tissus
tralisation de l’urbanisme faisant de l’édiction
service du projet.
pour exister».
urbains, l’étude de la forme urbaine et de ses
de la règle un projet.
Ce deuxième discours a montré par deux fois
Ainsi le règlement est anti-urbain en l’ab-
sa fragilité. Il appelle en effet des modes de dif-
sence de projet. Nous irons même plus loin
ces documents ont
contribué
à la transformation
des tissus urbains.
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modes de composition n’ayant pas été faite au
préalable. Élaborés en chambre, sans connais-
La règle comme projet 1983-2000
fusion fondés sur l’échange, la formation sur la
en affirmant qu’alors, en l’absence de volonté
sance réelle de chaque commune, de son évo-
Elle fut le résultat du dispositif de décentrali-
durée et nécessite pour être reçu une culture
consciente et explicitée de l’autorité compé-
lution, sans projet, ces documents ont contri-
sation instrumentalisant le POS, outil du pro-
urbanistique qui fait défaut dans les services du
tente, il serait illégitime. Mais, s’il y a projet, le
bué à la transformation des tissus urbains. On
jet communal, au service d’un projet d’État, la
ministère comme plus généralement dans le
règlement ne pourrait-il le servir, régulant, no-
peut considérer que ceux-ci en ont générale-
décentralisation. En faisant du POS la clef du
milieu professionnel et chez les élus locaux. Les
tamment dans le temps, les rapports entre les
ment pâti, pour ce qui concerne leurs capacités
transfert de certaines compétences à la com-
quelques séminaires qui lui ont été consacrés
partenaires et s’il y a projet urbain le règlement
à évoluer, le paysage qu’ils proposent et plus
mune, ce dispositif a recréé les conditions
furent malheureusement plus l’occasion de se
ne serait-il pas urbain ? Tel a pu être l’avis de
généralement leurs performances en matière
qui avaient présidé à la production de règle-
congratuler à propos des quelques exemples
Christian Devillers voici quelque temps, pour
d’accueil d’habitat ou d’activités. Leurs habi-
ments-types : l’urgence dans l’élaboration des
d’usage attentif de la règle, suffisamment rares
lequel alors «le règlement a pour fonction d’im-
tants aussi ont souffert des contraintes, peu lé-
nouveaux POS (pour échapper à la sanction
pour être connus de tous, que de s’interroger
poser un certain ordre urbain. Il est le complé-
gitimes parce qu’édictées en l’absence de pro-
de la constructibilité limitée en l’absence de
sur la généralisation des règlements-types.
ment des interventions projectuelles, voiries et
jet collectif et techniquement peu pertinentes,
POS), la mise en avant de la procédure qui en
Le premier discours se satisfait en revanche
équipements». (1981).
opposées aux projets des particuliers.
a résulté, au détriment du projet, ont induit la
de la diffusion par voie hiérarchique, appelle
La perte de savoir concernant la règle de l’art, le
On voit bien la trace de ces règlements-types
reproduction à l’identique des modes de faire
la conformité, se satisfait de la reproduc-
déficit d’appropriation commune de la conven-
dans ces tissus urbains banaux gérés par les
du milieu des années 1970.
tion, et rencontre dans les services de l’État
tion a pu laisser le champ libre, trop libre, à un
POS et les PLU, qui ne feront que rarement,
Le découplage entre zonage et règlement s’est
comme des collectivités qu’il conseille, une
règlement devenu d’autant plus nécessaire,
voire jamais, l’objet des grands «Projets Ur-
trouvé poursuivi voire renforcé, dans une ges-
plus grande réceptivité. Le ministère et les ser-
mais fatalement moins apte à contribuer à la
bains» et qui couvrent la plus grande part des
tion du territoire communal où la procédure
vices techniques de nombre de collectivités, se
production d’une forme urbaine voulue. Le re-
espaces urbains. Ce sont ces espaces d’immé-
avait retrouvé les conditions de sa prédomi-
comportent ainsi dans leur ensemble plus en
tour annoncé de cette compétence propre aux
diate périphérie des centre-villes, directement
nance sur le projet. Il faut rechercher à notre
administrations de gestion de procédures et
hommes de l’art devrait permettre d’espérer
visés par la loi Solidarité et Renouvellement
sens le renforcement de ces dysfonctionne-
de normes qu’en administrations impulsant et
que chaque outil reprenne sa fonction.
Urbain, dont les composantes principales sont
ments dans le paradoxe consistant à faire por-
soutenant des projets sur l’espace.
La proposition de Christian de Portzamparc
établies, mais qui contiennent des possibilités
ter un projet d’État, la décentralisation, par
L’opposition entre l’approche de l’aménage-
de substituer la règle (de l’art) au règlement,
réelles d’évolution sous forme d’accroissement
l’outil du projet local, le POS. La production
ment par la procédure et celle qui privilégie le
un système de références aux contraintes juri-
des densités ou de remplacement du bâti exis-
de la règle est ainsi devenue un projet en elle-
projet est-elle irréductible ? Les services de l’État
diques ouvre une voie. Permettra-t-elle, dans
tant. L’analyse de leurs évolutions met en évi-
même.
comme ceux des collectivités sont-ils inélucta-
une consensualité soudainement retrouvée
dence des problèmes fréquemment rencontrés
Il convient nous semble-t-il de mettre en évi-
blement prédisposés à favoriser la première ?
de gérer dans le temps et l’équité les projets
: destructuration progressive du tissu, impossi-
dence une étonnante répétition, une sorte de
bilité de réaliser des opérations souhaitables,
parallélisme entre les deux périodes de pro-
Règle de l’art et règle de droit
Nous pensons pour notre part qu’il convien-
impossibilité éventuelle d’entretenir le tissu
duction des POS qui entourent 1983 : chacune
S’il n’est pas souhaitable de voir se substituer
drait plus de les associer que de les substituer.
existant, édiction de règles inutilement com-
a en effet été caractérisée par une première
la règle locale de droit à la règle de l’art, il n’est
La récente proposition de Jean Nouvel (2009)
plexes, inapplicables, inexplicables parfois par
phase productiviste ; au terme de ces phases
pas utile non plus de l’y opposer. La nécessité
de supprimer le règlement d’urbanisme à Paris,
ceux-là mêmes chargés de les appliquer et bien
de production quantitative est chaque fois
sinon l’intelligence commande de les associer.
la tâche étant confiée à un architecte coordina-
souvent illégitimes.
venu le temps de l’interrogation sur la qualité
Cela ne semble pas simple si l’on en juge par
teur, de faire contribuer l’ensemble des projets
Au début des années 1980, les acquis de la re-
des règlements produits ; chaque fois le mi-
l’interview accordé par Bernard Huet au pério-
individuels à l’aboutissement d’un grand des-
cherche urbaine et la couverture par des POS
nistère de l’Équipement a alors élaboré deux
dique Projet urbain et grands ensembles en juin
sein collectif, a pu laisser perplexe.
de la plupart des communes à enjeux avaient
discours concurrents sans être nécessairement
1993.
déjà créé les conditions de l’édiction d’une
contradictoires.
«La règle (entendons règle de l’art, convention)
La règle peut-elle servir le projet ?
deuxième génération de documents plus at-
L’un visant l’amélioration de la seule qualité
sera donc l’outil du projet. Elle s’oppose au règle-
La règle, mal utilisée, sans projet ou comme
tentifs aux tissus urbains concernés, dans un
juridique des règlements, de la règle pour elle-
ment généralement anti-urbain car non nourri
projet, a montré ses limites dans la définition
contexte de «moratoire» de la production inten-
même, a favorisé, dans un contexte de rela-
par un projet. La règle, elle, est une manière de
et l’encadrement de la forme urbaine. Doit-elle
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Ainsi le règlement
est anti-urbain
en l’absence de projet.
concurrentiels dans l’usage d’un espace rare?
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La loi SRU,
dans son exposé des
motifs, a réaffirmé
l’importance
de l’espace public,
au cœur du
projet communal
d’aménagement.
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être incriminée pour elle-même ou son échec
Deuxième observation :
règles installant un rapport entre la rue et le
quelles les nouveaux bâtiments devront s’insé-
tient-il aux conditions de son utilisation ? Nous
l’usage des règlements
bâti édifié sur les parcelles riveraines. L’exis-
rer. La faisabilité de ces opérations tient notam-
renverrons ici à quelques observations et ques-
La loi SRU, dans son exposé des motifs, a réaf-
tence d’un projet spatial appuyé sur l’espace
ment à la capacité du parcellaire à accueillir les
tionnements nécessaires à un moment où la
firmé l’importance de l’espace public, au cœur
public semble inciter à éliminer les règles qui
volumes envisagés ou à muter. Dans ce but, le
réaffirmation, la résurgence du projet spatial
du projet communal d’aménagement.
ne contribuent pas effectivement à la mise en
règlement peut aussi fixer une taille minimale
rencontre la permanence de la règle. Ce débat
L’existence d’un projet spatial et le retour de
œuvre de ce projet, en distinguant l’essentiel
de parcelle. Mais l’on voit que la réussite de ce
semble nécessaire puisque des observateurs
l’espace public comme élément principal de
et l’accessoire. C’est ainsi que l’attention est
type d’opérations nécessite des conditions par-
aussi attentifs que François Cluzet, confondant
la forme urbaine impliquent l’existence d’une
d’abord portée sur les alignements, dans le
ticulières et notamment une forte pression de
sans doute l’outil avec l’usage qui en est fait,
stratégie de composition urbaine et incitent
règlement ou dans les documents graphiques,
la demande.
n’hésitent pas à parler de standards d’urbani-
d’une part à hiérarchiser les espaces entre eux
sur les emprises et sur la hauteur, capables
sation imposés par le POS.
et d’autre part à supprimer les règles qui ne
d’exprimer la densité, au détriment de l’usage
Troisième observation :
contribuent pas à la mise en œuvre d’une vo-
du COS. Une distinction est en outre opérée
l’adaptabilité de la règle
Première observation :
lonté explicitée. «Il faut donc susciter ou rendre
entre les façades bordant les voies et les autres.
La gestion d’un projet/processus sur la durée
la règle et le contrat
obligatoire un urbanisme de projet ayant pour
D’une certaine façon, l’on revient vers une ma-
pose la question de l’adaptabilité de la règle.
Nous avons constaté que la règle de droit, vi-
finalité la qualité et la cohérence de l’espace
nière haussmanienne de penser le règlement,
Si en effet la stabilité du droit est un facteur
lipendée, présentée et vécue souvent comme
urbain. Les règles du POS s’imposent essentiel-
hiérarchisant les voies et faisant perdre aux bâ-
d’équité, elle peut être pour la ville un fer-
incapable de participer à la production ou à
lement aux tiers privés. Il s’agit maintenant de
timents leur vocation fonctionnaliste de «ma-
ment de sclérose face aux évolutions propres
la transformation voulues des tissus urbains
faire porter l’effort sur l’espace public lui-même
chines célibataires» pour reprendre l’heureuse
aux processus de projet. La règle doit-elle être
ne disparaît pas. Lorsqu’elle n’est pas édictée
et sur son rapport avec les constructions ou le
expression de Bernard Huet.
modifiée périodiquement ou bien le dispositif
dans les règlements, elle reparaît énoncée
tissu urbain, c’est-à-dire sur ce qui ressortit à
Mais si l’exposé des motifs de la loi Solidarité et
énoncé doit-il contenir en lui-même des élé-
plus tard sous d’autres formes, contractuelles
la responsabilité et à la compétence de la puis-
Renouvellement Urbains pointe l’importance
ments de «souplesse» ? Qu’en est-il de cette
notamment. C’est le cas dans les ZAC. Cette
sance publique», disait Christian Devillers en
des espaces publics dans les démarches de
souplesse?
pratique, qui consiste à transférer du réglemen-
1994.
projet urbain et singulièrement de renouvelle-
Elle peut résulter d’un corps de règles précises,
taire au contractuel, du règlement d’aménage-
L’ensemble du territoire communal n’est pas
ment urbain, les textes stipulent seulement que
peu nombreuses, concentrées sur l’essentiel et
ment de zone (RAZ), ou du règlement de PLU
concerné avec la même sensibilité par le pro-
les PLU peuvent «…prévoir les actions et opéra-
renvoyant à la négociation ce qui n’est pas défi-
dorénavant, au cahier des charges de cession
jet urbain. On peut distinguer, sur le plan de
tions à mettre en œuvre, notamment en ce qui
ni. Ce peut être le cas le long d’axes importants
de terrain (CCCT), un certain nombre de dis-
la forme urbaine comme dans les autres do-
concerne le traitement des espaces et voies pu-
mais ne comportant pas de bâti riverain dont
positions, emporte la faveur de bon nombre
maines, entre les territoires à enjeux et les
blics…» dans les orientations d’aménagement.
on souhaiterait conserver la complexité. On
d’aménageurs. Le CCCT peut être facilement
autres. C’est ainsi que dans les communes por-
Cette prescription facultative est à rapprocher
l’observe par exemple dans des secteurs d’ur-
révisé puisqu’il suffit d’un accord entre les deux
teuses d’un projet urbain, l’on voit apparaître
de la disposition suivant laquelle ces mêmes
banisation nouvelle ou d’entrée de ville.
parties, il permet en outre d’obliger le construc-
dans le plan de zonage des lignes et des points
PLU définissent «les règles concernant l’im-
Dans des tissus urbains au bâti complexe ou
teur à réaliser son projet dans un délai donné
forts, là où auparavant ne figuraient que des
plantation des constructions», c’est-à-dire qu’ils
remarquable, l’option a été souvent prise d’un
ce qui évite les terrains vacants.
surfaces. Ces lignes suivent les espaces publics
doivent le faire quelle que soit la rue, l’avenue,
corps de règles nombreuses, sophistiquées,
Ne peut-on dès lors constater l’irréductibilité
majeurs, le plus souvent des voies, des axes ;
la place, importante ou non en matière de
recherchant la préservation de l’existant, de
de la règle (publique ou contractuelle) qui, si
ces points marquent des éléments de compo-
composition urbaine. Le législateur a peut-être
sa complexité, de ses aléas. C’est le cas par
elle ne crée pas le projet, reste nécessaire à la
sition urbaine forte, des points de convergence,
manqué là une occasion de poser les bases
exemple à Lyon, sur les pentes de la Croix
gestion d’intérêts concurrents dans l’usage de
de rencontre entre ces lignes et marquent un
d’une hiérarchisation entre espaces publics et
Rousse, à Paris, à Rennes. Mais dans la plupart
l’espace ? Mais le règlement d’ordre public et la
lieu particulièrement fort, ou sensible, du pay-
espaces privés et entre les différents espaces
des cas, il s’agit de tissus dont on entend pré-
disposition contractuelle ne sont pas de même
sage urbain. C’est le cas par exemple à Lyon,
publics dans les documents d’urbanisme.
server les caractères dominants. Qu’en sera-t-il
nature. Qu’en est-il en effet du déficit démocra-
Bordeaux, Nice, Grenoble, Rennes ou à Paris,
L’association documents d’urbanisme/pro-
dans les périmètres voués au renouvellement
tique d’une pratique qui consiste à renvoyer
notamment dans le Faubourg Saint-Antoine.
jet urbain a également vu le «renouveau» des
urbain? Comment utiliser les règles dans la
au secret de la négociation, entre le maître
Sur ces points sensibles, le long de ces lignes
secteurs à projet... Cette pratique est utilisée
conduite d’une évolution maîtrisée ?
d’ouvrage urbain et celui de chacune des opé-
de force, la collectivité aura légitimité à édic-
dans des secteurs stratégiques qu’il serait sou-
Un corps de règles précises et limitées à l’es-
rations, la mise en place de dispositions qui
ter des règles précises, exigeantes, ce qui sera
haitable de voir densifier ou restructurer mais
sentiel permet à la collectivité de disposer
concernent le cadre de vie de la collectivité, au
moins le cas dans les espaces porteurs de
où la collectivité n’envisage pas néanmoins de
d’une base intangible à partir de laquelle né-
moment où les textes visent à un renforcement
moins d’enjeux collectifs.
lancer une opération publique, préférant s’en
gocier l’accessoire. La souplesse réside dans
de la concertation ? L’association de la règle et
L’affirmation de l’espace public comme élé-
remettre aux initiatives des opérateurs privés.
cette distinction. Elle offre, avec une marge
du contrat nécessite donc un dosage attentif
ment principal de la forme urbaine conduit
Elle consiste par exemple à fixer des gabarits,
de manœuvre, la possibilité de contrôler l’es-
des deux modalités.
en outre les auteurs des PLU à privilégier les
enveloppes maximales et minimales dans les-
sentiel dans la durée et appelle le recours à la
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Dans des tissus
urbains au bâti
complexe ou
remarquable,
l’option a été souvent
prise d’un corps de
règles nombreuses,
sophistiquées,
recherchant
la préservation
de l’existant.
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Ouverte pour donner, ouverte pour recevoir :
la devise de Chandigarh
Gérard Huet
18 décembre 2008
Il est des villes qui ne nous interrogent pas… Elles sont là, hiératiques depuis
des temps lointains, et nous les parcourons, tous sens en éveil.
Chandigarh n’est pas de cette veine, ville neuve issue de la pensée rationaliste,
elle affiche son étalement pour assurer ses limites.
Indienne de par son inscription territoriale, elle n’exhibe pas pour autant
les bazars colorés, la foule grouillante, la coloration, les senteurs de curry,
la cacophonie de klaxons et de timbres de vélos. Cette ville est autre !
Elle est l’unique témoignage du seul grand projet urbain de Le Corbusier.
Dans les faits,
la diminution
L’Inde
Je commencerai cette conférence par une
du corps
brève révision géopolitique, indispensable
pour se rapprocher de Chandigarh.
de règles correspond
L’Inde occupe une superficie de 3 287 000 km²,
ce qui représente cinq fois la France. Elle est
fréquemment
peuplée d’1,2 milliards d’habitants. C’est une
fédération de vingt-huit états. C’est une grande
à l’existence d’un
médiation pour ce qui est moins déterminant.
collectif face aux exigences des porteurs de
démocratie. La dernière élection générale s’est
Dans le sens où la démarche de projet implique
projets particuliers. En outre, les acquéreurs
déroulée en 2004. Elle a été gagnée par le Par-
justement l’idée de durée et de processus, la
de terrains auxquels, pendant une période de
ti du Congrès. Le Premier Ministre est un Sikh :
tendance à l’édiction d’un corps de règles li-
forte demande, l’aménageur aurait pu impo-
Manmohan Singh.
et d’une équipe
mité correspondant à un petit nombre de prin-
ser une application exigeante de règles floues,
L’indépendance date d’août 1947, grâce au tra-
cipes d’aménagement précis et volontaires,
accepteraient mal de voir laisser édifier sur des
vail de Gandhi qui a prôné la non-violence et la
de suivi.
s’accompagne alors d’un suivi de leur applica-
terrains voisins des bâtiments obéissant à de
désobéissance civile entre 1915 et 1947.
tion par un architecte ou un urbaniste, qui agit
moindres contraintes.
Mais durant cette période, de graves tensions
comme un «gardien du sens». Dans les faits,
Si l’on espère un renouveau des politiques ur-
communautaires entre hindous et musul-
la diminution du corps de règles correspond
baines spatialisées, le temps n’est pas venu
mans ont secoué le territoire. Il en a résulté, en
fréquemment à l’existence d’un projet affirmé
semble-t-il d’opposer la règle et le projet. Ce
même temps que l’indépendance, la partition
et d’une équipe de suivi. Il s’agit, au cours du
renouveau appellera le recours à des compé-
de l’Empire. L’Inde, d’une part et les Pakistan
processus de mise en œuvre du projet urbain,
tences affirmées dans le maniement savant des
d’autre part : le Pakistan occidental et sa capi-
d’accompagner ses évolutions en conservant
règlements au service d’un projet sur l’espace.
tale Islamabad (avec Lahore, comme principale
ce qui structure son parti.
Elles n’existent pas ou peu à l’heure actuelle.
ville) et le Pakistan oriental, qui a pour capitale
Mais l’idée de souplesse peut également revêtir
Quelle place cette ignorance tient-elle dans la
Dacca Bengladesh (et pour ville principale Chit-
la forme d’un ensemble de dispositions floues
distance entretenue entre les concepteurs et
tagong).
ou «cadre». Ces règles qui semblent offrir une
les juristes ? Une nécessaire reconnaissance
Cette partition a fait des centaines de milliers
plage de négociation intéressante pour attirer
mutuelle ne permettrait-elle pas de sortir de
de morts et cette opposition se poursuit encore
les projets lors du lancement d’une opération
l’infructueuse opposition annoncée entre les
aujourd’hui. L’enjeu est le Cachemire. En effet,
installent en fait des rapports de force sur la
règlements et le projet ? Après la règle sans
l’Inde, c’est aussi une immense mosaïque so-
totalité du dispositif. Elles n’indiquent pas les
projet, la règle comme projet et le projet contre
ciale et religieuse. Cette partition a fait éclater
lignes de force du projet, n’offrent pas à l’amé-
la règle, l’usage des règlements d’urbanisme,
le territoire sikh entre Inde et Pakistan. Ballotés
nageur de bases de négociation et risquent,
après bientôt trente ans d’adolescence tumul-
de part et d’autre de la frontière, les Sikhs ont
dans un contexte concurrentiel entre villes
tueuse, acquerrait, au service du projet réaffir-
revendiqué la création d’un État autonome au
ou opérations, de faire disparaître le projet
mé, la sérénité d’une maturité modeste ■
sein de la fédération indienne. En 1966, ils ob-
projet affirmé
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tiennent satisfaction. L’État du Punjab relevant
du découpage de 1947 se subdivise en trois
états :
• Punjab
• Haryana
• Himachal Pradesh
Punjab veut dire : cinq (punj) et eaux (ab). Voici
rapidement esquissée l’histoire de cette région
du monde. Mais revenons à la période 19151947. La démographie est galopante, la redistribution de populations liée aux partitions est
importante, l’attraction de la ville est très forte.
L’inde doit construire des villes comme la Chine
Gérard Huet
aujourd’hui.
est architecte et directeur général
La naissance de Chandigarh
de Cardete&Huet, agence
À la demande de Nehru en 1949, cent villes se-
d’architecture fondée en 1975
ront créées, ou plutôt agrandies. Mais neuve en
avec Francis Cardete. Plus de
tous points, c’est Chandigarh. Conçue d’abord
quarante architectes œuvrent au
pour 150 000 puis 500 000 habitants, elle en
quotidien dans l’esprit insufflé
compte aujourd’hui 1,5 millions.
par les fondateurs au sein de trois
A 300 km au nord de Delhi, au pied de l’Hima-
structures : Toulouse, Marseille,
laya, elle jouit d’un bon climat tempéré.
Rabat.
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Chandigarh est reconnue comme la création
Lewis Mumford dit de cette période : «Au mo-
partielle. Les professionnels progressistes se re-
tures car Nehru voulait une ville exemplaire,
de Le Corbusier mais il n’est qu’un des ac-
ment où, à travers toute la civilisation occiden-
groupent alors dans l’effervescence de penser
témoin de l’inscription de l’Inde dans la mo-
teurs, certes important, mais pas unique. En
tale, les villes étaient en train de se multiplier en
à la fois une ville et un habitat pour l’homme
dernité.
1949, Nehru confie ce projet à un architecte
nombre et en taille, la nature et la finalité de la
moderne.
Nehru hésite à confier cette étude à un archi-
américain : Albert Mayer. D’autres architectes
ville en vinrent à être complètement oubliées.»
L’internationalisation naissante des pensées
tecte-urbaniste étranger mais il ne dispose pas
étrangers avaient déjà œuvré en Inde : Edwin
Soria y Mata, ingénieur espagnol, proposa la
précipite la création des CIAM de 1928, par le
de spécialiste indien. Il se résigne donc à desi-
Luytens pour New Delhi commandé par les An-
ville linéaire en relation avec la nature pour Ma-
fait que la réalisation du palais des Nations de
gner Albert Mayer qu’il connaissait déjà.
glais en 1912, terminé en 1929 ; ou encore Doe-
drid. L’urbaniste britannique Ebenezer Howard
la Société des Nations n’ait été pas confiée à Le
Mayer, ingénieur civil de l’armée américaine,
nigsberger à Bhubaneswar.
proposa la ville-jardin, la ville comme orga-
Corbusier. Cela consacre la victoire des acadé-
avait été envoyé en mission en Inde. Il avait
Cela illustre bien la tradition indienne de créa-
nisme vivant à Letchworth. Cerdà propose la
mies sur les modernes (qui veulent mettre en
rencontré Nehru et manifesté de l’intérêt pour
tion de villes neuves : Fathepur Sikkri par Akbar
ville orthogonale pour Barcelone.
relation l’architecte dans son milieu écono-
la culture et le mode de vie des Indiens. Il avait
en 1572-1583 et Jaipur par Jai Singh en 1728.
Ce XIXe siècle, c’est l’expression de l’idéal de li-
mique et social).
d’ailleurs établi des programmes pour les
Mais avant de pénétrer au cœur de Chandigarh,
berté, d’égalité, de fraternité ! Il continuera de
Suite à cela, Sigfried Giedion invite toute
villages ruraux, qu’il avait offerts au Parti du
je vous propose d’abord une visite des théories
croire à l’harmonie entre l’homme et la nature
l’équipe de contestataires au château de la
Congrès. Il avait également œuvré pour Bom-
urbanistiques du moment.
et à la capacité de l’homme à en découvrir les
Sarraz, en Suisse. La dynamique contestataire
bay et Kanpur. Mayer travaille sur le projet avec
lois.
et, au-delà, les réflexions qui vont suivre, vont
ses associés Whittlesey et Glass. L’équipe s’ad-
L’urbain
Le XX siècle : c’est l’explosion de l’industrie…
fonder un des modèles forts pour la construc-
joint les compétences de Clarence Stein, un ar-
Il faut avoir à l’esprit que notre actualité ici,
Celle du monde. C’est la ville de Tony Garnier.
tion des villes futures. L’un des principes qui lie
chitecte-urbaniste qui avait réalisé l’extension
c’est l’extraordinaire expansion de la ville et
La problématique est de combiner ouverture
tous ces acteurs repose sur l’idée de fonder une
en 1928 de Radburn dans le New Jersey. Lewis
des agglomérations : Los Angeles compte 13
et souplesse avec un ordre social signifiant.
ville fonctionnelle pour :
Mumford dit qu’il s’agit là de la plus importante
millions d’habitants, New York : 20 millions,
Les pionniers de l’urbanisme moderne n’ont
• habiter,
étape dans l’histoire de l’urbanisme depuis Ve-
Saõ Paulo et Calcutta : 21 millions, Tokyo :
jamais cherché une nouvelle interprétation
• travailler,
nise. Radburn, la ville «for the motor age…».
36 millions , Delhi : 26 millions, etc.
aux concepts traditionnels et fondamentaux de
• circuler,
Stein entraîne avec lui un jeune et talentueux
La ville existe depuis la nuit des temps, mais ce
lieu (centre), de parcours (continuité linéaire)
• se recréer corps et esprit.
architecte, professeur en Caroline du Nord,
n’est pas le cas de la pensée urbaine. La mise
et de domaine (zonage). La Révolution russe de
En 1933, la Charte d’Athènes gravera dans le
Matthew Nowicki, qui s’intéresse aux faits
en théorie, en étude et en concept de la ville,
1917 avec le mouvement populaire qui aspirait
marbre toutes ces idées, notamment la sépara-
contextuels et culturels. Il vient ainsi compen-
est un fait moderne.
à un nouvel ordre social, a été un donateur de
tion des fonctions.
ser les disciplines techniques.
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concepts. C’est la naissance du suprématisme
Bref historique de l’urbanisme
La ville médiévale et les bastides sont issues
Leonidov, etc.
du pouvoir féodal et religieux. La Renais-
Le projet
Leur plan s’inspire du mouvement anglais des
hésité. Lahore était la capitale pakistanaise du
cités-jardins et du principe des unités de voisi-
sance, avec Florence, invente le tracé urbain
Le Bauhaus (1919)
Punjab. Seule Amristar, côté indien pouvait
nage, avec deux grandes artères parallèles aux
et la perspective. Au XVIII siècle, l’architecte
Gropius, Mies Van der Rohe, Klee, Kandinsky...
rivaliser mais elle était trop proche de la fron-
lignes de plus grande pente, vers la Haute Cour
français Étienne-Louis Boullée (1728-1799)
Ils recentrent les disciplines de la création en
tière. Simla était trop difficile d’accès. De plus,
et vers le Capitole. Ces voies s’appuient sur les
et son cénotaphe de Newton, Claude-Nico-
une unité de lieu et développent une esthé-
située à 2 200m d’altitude, elle avait été la ca-
lits de rivière toujours à sec, sauf au moment de
las Ledoux (1736-1806), avec la saline royale
tique objective bornée sur la connaissance
pitale d’été durant toute la période coloniale.
la mousson, avec en perpendiculaire, des voies
d’Arc-et-Senans, ont formulé des concepts et
scientifique. C’est l’avènement du rationalisme.
D’évidence, il fallait créer une ville nouvelle.
transversales. La première phase comporte
Le choix s’est porté sur une plaine bien irriguée
une cinquantaine de secteurs qui occupent
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des réalisations qui ont marqué leur époque.
C’est au XIX siècle que naît véritablement la
L’entre-deux-guerres
par deux rivières, Sukhna Rao et Patima rao,
2 800 hectares pour 150 000 habitants.
ville moderne au sens où la ville perd le sens
C’est l’expression, le confortement de la société
avec quelques noyaux villageois. Près du site,
Mayer, qui veut ancrer la ville dans la dyna-
de sa limite. Les agglomérations organiques
marchande, celle de l’écoulement des produits
un temple dédié à Chandi, la déesse du pou-
mique indienne, propose de créer une universi-
issues de la simple nécessité devinrent des
industriels. C’est la confirmation de la déserti-
voir, donna son nom en partie à la future ville.
té au nord, une zone industrielle au sud-est, au
agglomérations sans limites du fait de l’appa-
fication des campagnes au profit des villes. Au
On accola à ce nom Chandi, le mot garh, qui
contact de la voie ferrée et un centre commer-
rition du déplacement. On vit alors apparaître,
plan théorique, il faut sortir des académismes,
signifie forteresse. Chandigarh, c’est donc la
cial, à l’articulation avec l’extension.
pour réponse à son expansion, la grille ortho-
s’adapter à la notion de vitesse et du déplace-
forteresse du pouvoir.
Le projet s’élabore… Nowicki prend en charge
gonale dans laquelle les bâtiments étaient trai-
ment. C’est aussi la mise en relation de l’indus-
Nehru nomme deux ingénieurs d’État : Thapar,
le Capitole, le centre commercial et la gare. Il
tés comme de simples commodités.
trie et de l’architecture.
administrateur, et Varma, ingénieur en chef du
préconise aussi de prévoir des équipements
La planification relevant de la simple nécessité
Il apparaît alors que la ville-jardin (anglaise) ou
Punjab. Varma avait fait le voyage aux États-
de loisirs dans les parcs linéaires pour com-
du signifiant cède la place à un système neutre.
allemande (Weissenhof) n’est qu’une réponse
Unis pour étudier les villes et leurs infrastruc-
pléter les dispositifs urbains. Le projet dessine
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Chandigarh
En 1949, Nehru décide sa fondation après avoir
avec Tatlin, Lesnin, Malevitch, Pevsner, Gabo,
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cinquante superblocs de 1 350 m x 900 m cha-
Le Corbusier, qui refuse dans un premier temps
Le Corbusier réfléchit. L’idée fait son chemin et
Tout de même, l’équipe sur place travaille. Les
cun, encadrés par des voies rapides à 2x2 voies,
car ce n’est pas assez rémunéré. Puis il réflé-
le 25 novembre 1950, il écrit à l’ambassadeur
architectes seniors étoffent leur cabinet avec
avec la hiérarchisation des voies, une sépara-
chit, fait son bilan et constate que tout son tra-
de l’Inde en France : «Je me considère comme
de jeunes talents comme Talati et Doshi. L’in-
tion piétons et voitures et la création de parcs
vail d’urbaniste n’est que cimetière de papier…
le seul en Europe, préparé par quarante années
fluence de Fry et Drew se fera d’ailleurs sentir
en cœurs d’îlots. Ceci dans le but de protéger
Et d’idées…
d’expérience et d’études sur ce thème, à pouvoir
pendant des décennies.
le piéton et de l’éloigner de l’agitation de la rue.
Finalement, Le Corbusier accepte. Il a 63 ans. Il
vous aider utilement.»
Quant à Le Corbusier, silence… Il refusait de
Le projet est en totale contradiction avec la tra-
conseille à Varma et Thapar d’aller à Marseille
Quelques jours avant, il a envoyé à Fry et Drew
parler d’architecture. Piloo Moody, architecte
dition commerciale américaine de la ville-rue.
voir le chantier de l’Unité d’Habitation, ce qu’ils
un schéma de circulation des documents pour
junior, disait qu’il parlait de tout : mathéma-
À Chandigarh, les superblocs sont eux-mêmes
feront avant de partir en Grande-Bretagne.
les prises de décision. Bien sûr, il se place au
tiques, cinéma, peinture, mais jamais d’archi-
divisés en trois îlots séparés par des petites
À Londres, ils rencontrent deux architectes spé-
centre, il se veut le mandataire. La conception
tecture. C’est seul, avec son cousin, qu’il parlait
voiries. Chaque bloc est autonome avec des
cialistes de construction en climat tropical, qui
sera faite à Paris avant transmission à Chandi-
à voix basse d’architecture ! Il entretenait une
logements en R+1 et R+2. Il accueille 1 150 fa-
ont fait déjà fait quelques publications, Maxwell
garh, mais un pointillé relie l’équipe sur place
distance avec tous les membres de l’équipe.
milles et mesure 1350 m x 850 m. Les habitants
Fry et Jane Drew. Fry construit à Londres le
au maître d’ouvrage !
Seul le paysage l’intéressait, comme son Don
disposent d’un petit bazar, d’écoles, de com-
premier immeuble d’habitat social à North
Il demande aussi que son cousin Pierre Jean-
Quichotte qui ne le quittait jamais, recouvert
merces de proximité. Ainsi se dessine donc, pe-
Kensington. Il travaille en collaboration avec
neret participe à l’opération. L’équipe est en
du pelage de son chien mort.
tit à petit, le projet.
Walter Gropius sur un collège à Impington village.
place. Elle est composée de Le Corbusier,
Au retour de son premier voyage, en avril 1951,
Mais l’Inde affiche de plus en plus son autori-
Drew est une brillante élève, diplômée en 1934.
Jeanneret, Fry et Drew. Mais ils ne représentent
il mobilise son agence et dessine d’un seul jet
té au plan international et mène une politique
Elle travaille avec Aliston. Ils se sont mariés en
qu’une seule voix, afin que Le Corbusier garde
le plan d’ensemble de la ville, le plan de masse
de non-alignement. Cela se traduit par la raré-
1942 et ont fondé leur agence. Ils signent de
l’autorité.
du Capitole, l’esquisse de l’Assemblée et de la
faction du financement mondial et la chute de
nombreux projets en Angleterre et en Afrique.
En décembre 1950, Thapar et Varma repassent
Haute cour de justice.
la roupie. Nehru hésite beaucoup à confirmer
En 1947, au sixième congrès des CIAM, ils ex-
par Paris et finalisent le contrat le 19 décembre
Il met au point son organisation de travail. À
cette étude à cette très grande équipe d’Améri-
posent leur approche qui met en avant la di-
1950. Ils ont réussi leur mission. En un mois, ils
partir de ses esquisses, les pièces graphiques
cains. Une étude payable en dollars !
mension humaine de l’urbanisme : Satisfaire
se sont attachés les services de l’architecte le
sont établies par ses collaborateurs de Pa-
Il envisage alors une nouvelle organisation avec
aux besoins spirituels et matériels de l’Homme
plus réputé au monde, d’un bâtisseur recon-
un seul architecte américain installé en Inde
par la création d’un milieu conforme aux
nu (Jeanneret) et des meilleurs spécialistes de
qui dirigerait une équipe de jeunes architectes
concepts sociaux, éthiques, esthétiques et scien-
l’urbanisme et de l’architecture tropicales, Fry
indiens, avec un contrat établi en roupies.
tifiques de l’urbanisme et de l’architecture.
et Drew.
Mayer et Nowicki en acceptent le principe. Ils
Ils voient le territoire par l’urbanisation des
se rendent en Inde en juin 1950 pour finaliser
villages. Leur ouvrage, Village housing in the
Les débuts
le contrat. Ils prennent conscience que rien n’a
tropics, intéresse vivement Thapar et Varma.
Nehru est conquis. Le projet commence enfin,
vraiment démarré et que Varma ne croit plus au
Mais ils ont été impressionnés par Marseille et
deux ans après sa décision initiale. Fry arrive
projet. Nowicki décide alors de s’installer deux
demandent à Fry et Drew ce qu’ils penseraient
le premier, début février 1951, à Simla, rejoint
mois en Inde, dans des conditions difficiles. Il
d’une collaboration avec le maître…
à la fin du mois par Le Corbusier et Jeanneret.
étudie, comme témoin, un bloc, le 137. Il finali-
Fry connait Le Corbusier et pressent les risques
Il leur était demandé de mettre en place le plan
sera le plan Mayer qu’il nomme le Leaf plan. Fin
d’une telle alliance. D’ailleurs, il lui dira plus
Mayer. Vous pensez bien que Le Corbusier ne
août 1950, Nowicki rentre à New York, mais son
tard : Honneur et gloire pour vous et part impré-
l’entend pas de cette oreille : «Nous rectifierons
avion s’écrase au Caire…
visible de misère pour nous.
le plan directeur», pour commencer par le com-
Mayer, désormais seul, hésite : l’Inde, le non-ali-
Son pressentiment s’est révélé juste. Les tirail-
mencement …
gnement, etc. Tous ces événements signent
lements entre eux ont été nombreux. En 1964,
Le Corbusier s’acharne à détruire l’antériorité
pour lui la fin de ce projet.
lorsque Fry et Drew rééditent leur ouvrage sur
de Mayer, alors qu’il reprend l’immense partie
Les Indiens, eux, n’abandonnent pas et
l’architecture tropicale, ils passent sous silence
de son travail. Sa stratégie est de doubler ses
cherchent d’autres solutions. Le 5 novembre
toute référence à Le Corbusier, alors qu’ils
propres partenaires et de capter à son seul
1950, Varma et Thapar partent en Europe afin
parlent de Niemeyer, Neutra, Raymond. Mais ils
usage et à sa propre notoriété la paternité de
de trouver une équipe. La mission est difficile
lui reconnaissent une grande sensibilité et un
ce projet. Il règle ainsi son compte à Luytens,
car il y a peu d’argent à offrir.
sens de l’analyse hors du commun.
Mayer et même à Vignole !
L’Europe est en pleine reconstruction. À Paris,
Malgré cette crainte exprimée et touchés par
Mais Mayer ne quitte pas l’Inde pour autant, il
ils rencontrent Auguste Perret, mais celui-ci
la dose d’idéalisme de Varma et Thapar, ils
entretient une correspondance régulière avec
est trop occupé au Havre. Le ministre de la Re-
acceptent la proposition de s’installer en Inde
Fry et Drew, ce qui permettra l’expérimentation
construction, Eugène Claudius-Petit, parle de
pour trois ans.
des superblocs.
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ris, avec Samper pour les plans, Maissonier
tion motorisée dans la ville fonctionne à des
pour les façades, Salmona pour les coupes.
vitesses différentes et en conséquence, le trafic
Le Corbusier est à la synthèse, à l’habillage final.
peut être hiérarchisé selon 7 types de voies :
Ces documents servent de base à la discussion
V1 : grandes voies de liaisons inter-régionales.
avec le maître de l’ouvrage pour les critiques et
V2 : axes de grande circulation dans la ville (100
C’est en 1954 que l’université est créée, ou plu-
la mise au point du programme. Ensuite, tout
m de large)
tôt regroupée sur Chandigarh. C’est un projet
est repris par Jeanneret à Chandigarh.
V3 : autour des îlots : 2x2 voies (25 m de large)
de Chowdhury, une architecte junior qui signe
Ce modèle d’organisation de travail a déjà été
V4 : voies traversant les secteurs
les plans du département de chimie et de tech-
expérimenté au Mill Owners. Sur place, Jeanne-
V5/V6 : ramifications pour distribuer l’habitat
nologie, de 500 logements, d’un bâtiment ad-
ret, Veret et Doshi étaient à la manœuvre. Le sys-
V7 : piétons.
ministratif.
tème a bien fonctionné pendant les premières
Le système se déploie à l’échelle d’un bloc.
En 1958, Jeanneret complète ce travail et, libé-
la redistribution des responsabilités à l’agence
L’organisation des secteurs
avec le musée d’art, les bâtiments d’enseigne-
de Paris et de l’autorité que prenait l’agence
Il y a à Chandigarh, comme partout ailleurs,
ment, la bibliothèque, la maison des étudiants
de Chandigarh. Les architectes seniors, archi-
des zones-clés qui structurent la ville. Ici, il
et l’école d’art.
tectes aguerris, étaient sur place, au contact
plan de mai 1952. Il est établi pour 150 000
avec le maître de l’ouvrage et revendiquaient
habitants, il précise clairement le zonage, les
leur autonomie en particulier pour tout ce qui
principaux équipements, la hiérarchisation des
concernait l’habitat. Ils l’ont d’ailleurs obtenue
voies, l’intégration du Capitole, les parcs, les
malgré les manœuvres de Le Corbusier.
commerces le long des voies, quatre secteurs
Pour en revenir au plan masse, Le Corbusier
près de la zone industrielle et le renforcement
n’aura tracé que deux plans. Celui de 1951
de la figure en svastika. Les travaux s’engagent
d’abord qui fixe les modifications apportées au
en 1951 par la construction des routes et des
plan de Mayer.
réseaux. La ville est officiellement inaugurée
La surface urbanisée est diminuée, ramenée à
le 7 octobre 1953. La construction des grands
une figure carrée et à un réseau de voiries qua-
bâtiments débute, mais toutes les techniques
drillé, hiérarchisé. Le Capitole est au nord (sec-
sont à inventer. Il faut aussi tester la capacité
teur 1) au débouché de la ville. La dimension
des entreprises locales à construire en béton.
des blocs est modifiée à 1 200 m x 800 m, mais
La tâche est immense et les moyens techniques
il conserve l’orientation à 45° au nord. Puis le
dérisoires : quelques bulldozers, malaxeurs à
béton, mais pas de grues…
Le ciment vient de Delhi, à 300 km de là, par
le chemin de fer. L’écriture architecturale de
Le Corbusier trouve donc en Inde l’apogée
de la malfaçon. Il en arrive même à dire que
ces malfaçons renforcent la cohérence plastique, comme le fait l’usure du temps sur les
pierres des cathédrales. En 1952, les premiers
bâtiments sortent de terre dans le secteur
22, choisi comme secteur d’expérimentation,
mais tous les secteurs (de 1 à 30) sont lancés
(phase 1), afin d’édifier au plus vite la forme de
la ville et inciter l’initiative privée.
Avant de rentrer dans l’organisation des secmise au point par Le Corbusier en 1948 dans
une recherche pour l’Unesco et expérimentée
dans ses études pour Bogota et Marseille sud.
L’idée est simple mais pertinente. La circula-
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Croquis de Gérard Huet
s’agit du secteur commercial (secteur 17), du
secteur universitaire (secteur 14), du secteur
Le secteur institutionnel
institutionnel (secteur 1) et des secteurs d’ha-
C’est le secteur 1. Il couronne la composition.
bitations.
Ce secteur va du Rajindra Park jusqu’au lac
Le secteur commercial, armature de la ville, et
Sukhna. Il intègre le parc, le jardin botanique,
œuvre de Le Corbusier, s’inscrit dans le débat
le Rock Garden et les équipements sportifs du
sur le cœur des villes, le thème central du hui-
Lake club. Y sont groupés par ordre d’achè-
tième congrès des CIAM à Hoddesdon en juillet
vement : la Haute cour (1955), le secrétariat
1951. On y avait débattu de la place du piéton,
(1958), l’assemblée (1962) inaugurée en 1964,
de l’humanisation de la ville, la rue, thème cher
la Tour des ombres, le Monument aux morts
au Team X, comme expression de la vie sociale.
(1972), la colline artificielle (1972), la Main ou-
Avec la place italienne Saint-Marc comme ré-
verte (1985).
férence, ou le souk, porté par Team X pour ses
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Conclusion
qualités formelles, son adaptation à la culture
et au climat.
Cette ville de Chandigarh vit au rythme de sa
Le Corbusier est assez étranger à cela, il est plu-
démographie. Elle s’adapte aux évolutions des
tôt pour la réalisation d’objets architecturaux
usages, tout en faisant perdurer son écriture
monumentaux mis à distance par un grand
typologique par l’omniprésence réglementaire.
vide public piéton. Il dessine donc une place
Trop monotype disent certains architectes lo-
publique au croisement des deux rues déhan-
caux, il faudrait assouplir pour permettre l’inat-
chées. Les bâtiments institutionnels, mairie
tendu. Le Capitole en est l’expression la plus
et poste, ordonnent la composition. Les com-
criante, ce haut lieu de l’architecture mondiale
merces sont sous des portiques, en raison de la
est un espace désolé.
chaleur et de la mousson. Brise-soleil et déca-
Faut-il construire le palais du gouverneur ?
lage de nu de façade avec balcon-loggia, créent
Faut-il construire le musée de la connaissance
des variations de rythmes.
que Le Corbusier avait proposé à la place du
Cela permet de poser les enseignes dans ce
Palais du gouverneur ? Ou faut-il rester dans
deuxième plan et de garantir l’intégrité archi-
l’inachevé ?
tecturale du premier plan.
Le Corbusier écrivait dans la revue Urbanisme
en 1925 : «Place à une œuvre ouverte de senti-
teurs, il est temps d’évoquer la théorie des 7V,
1 0
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ré de l’emprise du cousin, il affirme son écriture
années ; par la suite, il s’est dégradé du fait de
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Le secteur universitaire
ment moderne.» C’est le symbole ou la devise
Il occupe le secteur 14. C’est le contrepoint ori-
de Chandigarh : ouverte pour donner, ouverte
ginel du secteur industriel au sud. Le secteur 14
pour recevoir ■
est, au nord, desservi par la V2 Madhya Marg.
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La demande urbaine contemporaine
d’habitat
Yves Chalas
22 janvier 2009
Se pencher sur les raisons de l’engouement français (mais pas seulement
français) pour la maison individuelle, c’est comprendre la demande d’habitat
contemporaine dans ses tendances lourdes, à laquelle l’offre de logement
collectif en centre-ville ne répond pas toujours de manière satisfaisante. Cette
demande d’habitat est essentiellement urbaine et elle est indissociablement
liée à l’évolution des modes de vie, fondée sur le développement de nos
sociétés modernes et de leur processus de modernisation, c’est-à-dire sur la
croissance et la démocratisation séculaires de la mobilité, du temps libre, de la
compatible avec leur désir. Si les centres-villes
est une condition de l’intégration sociale et ur-
oublient ces attentes, ils seront de plus en plus
baine. Le taux de motorisation individuelle est
délaissés. Jusqu’en 1996, le centre-ville de
corrélé au taux de chômage, ce qui signifie qu’il
Grenoble perdait 2 000 habitants par an : les
est plus facile d’accéder à un emploi et de s’y
classes moyennes quittaient le centre-ville par
maintenir si l’on dispose d’une automobile. Le
goût de la nature, parce que la mobilité était
droit à la ville, c’est aussi le droit à la mobilité :
facilitée, etc.
pour avoir accès aux loisirs, il faut être mobile.
Pour comprendre la demande d’habitat
Les centres-villes denses apparaissent comme
contemporaine, il convient d’analyser où les
un obstacle à la mobilité pour le travail, les loi-
Français vivent et où ils souhaitent vivre. 54 %
sirs, etc. Nous nous retrouvons alors face à une
des Français habitent une maison individuelle.
situation paradoxale, puisque la société nous
consommation, de l’individualisme, de l’hédonisme, de l’accès à de la nature,
Sur les 46 % restants, les deux tiers aspire-
incite à être mobile mais que nous rencontrons
entre autres. Cinq mots-clés identifient cette demande urbaine d’habitat :
raient à vivre dans une maison individuelle. Il
des difficultés pour nous déplacer et pour sta-
convient donc d’analyser, si l’on s’intéresse à la
tionner.
demande d’habitat, cet engouement des Fran-
Il est intéressant de constater, par ailleurs, que
çais pour la maison individuelle périurbaine.
les déplacements travail-domicile ne repré-
Il convient également de noter que la France
sentent plus qu’un tiers du nombre total de dé-
est le pays d’Europe où la part des logements
placements. Les deux autres tiers sont liés aux
garage, placard, terrasse, évolutivité, environnement.
Éléments de compréhension
L’individualisme croissant – une montée en
collectifs est la plus grande. Que les Français
loisirs et à la consommation. La mobilité n’est
de la demande d’habitat
puissance séculaire – influe également. Nos
recherchent-ils donc dans les maisons indivi-
donc plus vécue comme une contrainte, ce
Le sujet de mon exposé d’aujourd’hui me paraît
grands-parents se sont battus pour une civili-
duelles, qu’ils n’arrivent pas à trouver dans les
qui était encore le cas lorsque j’étais étudiant
important : il s’agit de la demande d’habitat.
sation individualiste. Ce processus qui ne doit
habitats denses du centre-ville ?
en sociologie urbaine, car elle était largement
Quelle est la demande d’habitat aujourd’hui
donc pas être considéré au sens négatif du
et comment a-t-elle évolué ? Les logements de
terme. La ville et la démocratie induisent de
centre-ville ancien correspondent-ils encore à
l’individualisme. L’individualisme ne signifie
pas l’absence d’éthique ; l’hédonisme, c’est-
de la demande d’habitat
Des études portant sur les embouteillages aux
la demande urbaine en terme d’habitat ? Ce
Trois mots-clés me semblent importants : «ga-
entrées des villes montrent que le problème
sujet touche à la problématique de périurba-
à-dire la part que l’on accorde au plaisir et au
rage», «placards» et «terrasse» ; et deux autres
n’est pas prêt d’être résolu. 20 % des habitants
nisation et d’étalement urbain, d’occupation
confort, est une notion importante dans des
mots-clés émergent : «évolutivité» et «environ-
se retrouvent soir et matin dans les embouteil-
de l’espace, de développement durable, de
sociétés tolérantes comme la nôtre.
nement».
lages. Quant aux autres, ils ont choisi de béné-
associée aux trajets entre le domicile et le lieu
Les mots-clés
de travail.
Yves Chalas
gestion des paysages, etc. La seule question
est professeur à l’Institut
de la demande d’habitat débouche donc sur
Facteurs influant
travail (introduit par la gauche) et de flexibilité
des interrogations beaucoup plus larges. Pour
sur la demande d’habitat
Le garage
d’urbanisme de Grenoble de
Le garage est relié à deux notions : la mobilité
du travail (introduit par la droite) et ils ne su-
l’Université Pierre Mendès France
comprendre la demande d’habitat, il faut avoir
Nous allons examiner de quelle manière ces
et le stationnement. Les habitants des centres-
bissent plus que deux ou trois embouteillages
et chercheur à l’UMR PACTE
en tête l’évolution des modes de vie et la mon-
facteurs influent sur la demande d’habitat.
villes évoquent des problèmes de circulation
par semaine. Pour 80 % de la population, les
CNRS (Politiques publiques,
tée en puissance des modes de vie dans l’oc-
Revenons un instant sur la périurbanisation :
et de stationnement et, en vivant en maison
embouteillages sont relativement bien vécus.
Action politique, Territoires).
cupation des territoires, la consommation, le
l’on a coutume d’expliquer le fait que des fa-
individuelle, ils pourront enfin les résoudre. La
Il est possible de commencer à travailler vers
rapport à l’espace, etc.
milles s’installent loin des centres-villes par
mobilité et le stationnement sont deux notions
10 heures, ou de finir plus tard, ou encore de
contemporaines constituent son
Le temps libre est une notion très importante
le coût prohibitif du domaine foncier dans
indissociables. Les constructeurs automobiles
travailler entre midi et quatorze heures. Les
domaine d’enseignement et
pour comprendre la demande d’habitat et
le centre-ville. Cette explication est aux trois
savent que pour toute voiture produite, il faut
personnes qui habitent dans les maisons in-
de recherche. Il est notamment
l’organisation urbaine des territoires. La démo-
quarts fausse. J’ai travaillé sur les phénomènes
prévoir entre quatre et sept places de stationne-
dividuelles échappent à cette situation para-
l’auteur de L’invention de la
cratisation et la facilité de la mobilité, le coût
de périurbanisation autour de 1995 et je me
ment : celle du logement, celle de l’école, celle
doxale à laquelle sont confrontés les habitants
ville, de Villes contemporaines,
de l’énergie encore faible jusqu’à aujourd’hui,
suis aperçu (chiffres à l’appui), que l’exode ur-
du bureau, celle du centre commercial, etc.
des centres-villes.
de L’imaginaire aménageur en
et enfin le goût pour la mobilité, sont d’autres
bain (le fait de quitter le centre-ville pour s’ins-
Derrière cet engouement pour le garage, nous
mutation, de L’Isle d’Abeau,
entrées du problème. Par ailleurs, les nouvelles
taller en zone périurbaine, voire rurale) avait
voyons que nous vivons dans une société de
Le placard
de la ville nouvelle à la ville
technologies de l’information et de la commu-
eu lieu entre 1980 et 1994, c’est-à-dire avant la
l’injonction à la mobilité. Nous travaillons, nous
En outre, le garage fait souvent office de pla-
contemporaine, de La mobilité
nication influent très fortement l’utilisation
hausse des prix du foncier.
consommons, nous rencontrons les autres par
card, de cellier ou de remise, ce qui m’amène
qui fait la ville, de Comment
du temps et de l’espace dans nos logements.
L’étalement urbain s’est donc opéré parce que
la mobilité. La mobilité signifie aussi que nous
à mon deuxième mot-clé. Si nous vivons dans
les acteurs s’arrangent-ils avec
En outre, nous vivons dans une société de
les familles en question n’arrivaient pas à trou-
créons de la richesse. La mobilité nous relie les
une société de plus en plus mobile et nomade
l’incertitude ?
consommation, voire d’hyperconsommation.
ver, dans le centre-ville, une offre de logement
uns aux autres et nous lie aux lieux. La mobilité
(nous avons des téléphones cellulaires, des
Les mutations urbaines
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ficier des systèmes de réduction du temps de
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ordinateurs portables, etc.), nous vivons aussi
le temps libre que nous avons gagné était pas-
Le maire avait failli perdre les élections à cause
leurs au sentiment de méfiance vis-à-vis de la
dans un monde où la consommation est de
sé dans les centres commerciaux et devant la
des concitoyens du centre-ville qui souhai-
nature à l’époque, car celle-ci était présentée
plus en plus démocratisée. Il s’agit là d’un mou-
télévision. Au-delà de la télévision, nous pas-
taient avoir des terrasses. Cette demande des
comme relativement hostile, sujette à des fan-
vement séculaire, qui trouve ses racines à la Ré-
sons de plus en plus de temps chez nous, à na-
Biterrois m’avait paru étrange et je l’ai gardée
tasmes (les démons, les bandits, etc.). La nature
volution française. L’idée était qu’il fallait que
viguer sur internet, etc. Le centre commercial
en mémoire. En recoupant avec une enquête
était donc redoutée, à tort ou à raison, pour des
tout le monde travaille pour pouvoir consom-
n’est plus seulement considéré comme un lieu
sur les maisons individuelles, j’ai compris l’im-
motifs réels ou fantasmés, et l’on préférait donc
mer. Saint-Just disait que le bonheur était une
de consommation mais également comme un
portance des terrasses. Les promoteurs immo-
la voir de loin. Elle offrait un point de fuite dans
idée neuve en Europe, liée au fait que si tout
lieu de rencontres. Quant à l’habitat, il corres-
biliers s’efforcent de proposer une place de sta-
un contexte où la mobilité n’existait pas.
le monde travaille, il deviendra plus facile de
pond de plus en plus à un rêve de maison glo-
tionnement, un îlot vert et des terrasses.
C’est
produire des biens et d’y accéder. Dans l’Ency-
bale : si nous passons de plus en plus de temps
La terrasse correspond à une évolution de la
haussmanniens : la nature sert de décor et l’on
clopédie de Diderot et consorts, l’on trouve une
chez nous, ce n’est pas seulement pour regar-
demande de nature urbaine. J’ai réalisé, à une
marche sur des pavés ou des graviers, tandis que
grande quantité de planches à métier. Cela cor-
der la télévision, mais c’est aussi pour pouvoir y
époque, une enquête sur la demande de na-
de magnifiques barrières en ferronnerie ou en
respondait à l’idée que l’Europe entière devait
recevoir les autres et échanger avec eux.
ture urbaine pour le compte de l’Agence d’ur-
bronze nous séparent de la nature. Nous pour-
se mettre au travail.
Le ministère de l’Équipement a organisé un col-
banisme de Grenoble. Je cherchais à analyser
rions également évoquer les espaces verts «fonc-
Nous sommes entourés d’un nombre croissant
loque sur l’hospitalité. Jamais, jusqu’en 1999,
si les citoyens préféraient avoir des squares,
tionnalistes», où les pelouses sont interdites.
d’objets : costumes, chaussures, télévisions, or-
les Français ne s’étaient autant reçus les uns les
des placettes ou des parcs et je me suis aperçu
La demande de nature sensible actuelle est
dinateurs, vélos, raquettes, etc. Où ranger tous
autres. Ainsi, passer plus de temps chez soi ne
que ces éléments ne correspondaient pas tout
symbolisée par la terrasse et le jardin.
ces objets ? Avec des étudiants, nous avons
signifie pas que l’on se replie sur soi-même.
à fait à la demande de nature urbaine contem-
mesuré la surface offerte par les placards d’un
Les placards se retrouvent donc liés à la société
poraine. Les habitants souhaitent surtout avoir
L’évolutivité
appartement de type haussmannien, non pas
de consommation et aux nouvelles technolo-
de la nature «sensible ». A travers les entretiens
Venons-en maintenant au premier terme émer-
situé dans l’hypercentre, mais plutôt sur les
gies de l’information et de la communication.
réalisés avec eux, il apparaît qu’ils veulent pou-
gent : l’évolutivité. Autour de Lyon, j’ai rencon-
grands boulevards. Le pourcentage moyen de
Notre habitation est de plus en plus le lieu de
voir sentir le vent, le soleil, toucher la végéta-
tré des maires qui m’ont confié que la moitié
la surface occupée par les placards atteignait
télé-loisirs, de télé-enseigenement, de télé-hô-
tion, marcher nu-pieds dans le gazon, c’est-à-
des demandes de permis de construire concer-
seulement 4 % de la surface habitable. Dans
pital, de télé-sociabilité, etc. Cela correspond
dire ressentir la nature avec tous les sens. Cette
naient des projets d’agrandissement d’habita-
les maisons individuelles, sans même compter
à l’image de la demeure globale, où il devient
notion est également liée à l’hédonisme, à tra-
tions existantes. Au-delà d’un besoin d’espace,
les garages, 40 % de la surface est constituée
possible de tout faire et d’échanger avec le
vers le culte du corps, etc. L’on souhaite avoir
cela dénote une volonté d’évolutivité. L’évoluti-
de placards ou d’espaces de rangement divers.
monde entier. Le fait de passer du temps chez
du temps pour, de temps en temps, manger au
vité est liée à de nombreux facteurs : les modes
Les personnes vivant en zone périurbaine pour-
soi correspond aussi à l’idée d’hédonisme,
soleil, sentir le vent sur son visage ou marcher
de vie, l’allongement de la durée de vie et les
ront donc lever cette injonction paradoxale de
de confort, de démocratisation du pouvoir
dans le gazon. J’ai interrogé des personnes qui
mouvements affectant les familles (divorces,
consommer davantage – idée qui est plus que
d’achat, même si cette dernière notion pourrait
vivent dans des habitations de quatre ou cinq
remariages, etc.). Les agrandissements peuvent
jamais reprise dans le contexte de la crise ac-
être remise en question avec la crise.
pièces et qui disposent de quelques mètres
consister en des terrasses, des vérandas, des
tuelle – sans avoir de place pour ranger ses
J’avais réalisé une enquête qualitative auprès
carrés de pelouse et ils m’ont paru tout à fait
appentis, des chambres supplémentaires, des
objets.
des habitants des cités, et j’avais retenu une
heureux.
modifications de cloisons, des conversions de
Autour de Grenoble, les maisons individuelles
définition intéressante du confort : le confort,
J’ai travaillé avec des paysagistes, et notam-
caves ou de greniers en lieux d’habitation, opé-
sont en général de type T4 ou T5. La surface
c’est lorsque l’on ne se cogne pas aux meubles !
ment Michel Corajoud, qui a obtenu un grand
rations qui sont impossibles dans un logement
habitable moyenne des maisons individuelles
Cette image était à la fois poétique et pleine de
prix de l’urbanisme voici quelques années,
en immeuble collectif.
2
iséroises est de 106 m . Un tiers d’entre elles
vérité. Dans les appartements exigus, aux cou-
Gilles Clément, que vous connaissez peut-être
Sous Giscard d’Estaing et Mitterrand, l’on pen-
ont une surface de plus de 130 m2. Par ailleurs,
loirs étroits, l’on se cogne en effet aux meubles.
de réputation, Bernard Lassus et l’école de
sait qu’en construisant 300 000 logements par
la surface par habitant ne cesse de croître de-
Les maisons individuelles permettent de lever
paysagistes de Versailles. Leur analyse est que
an, on résoudrait la crise du logement, sachant
puis cinquante ans. Les séjours deviennent de
encore une fois une injonction paradoxale :
nous sommes passés du paysage au jardin.
qu’à l’époque, il manquait un million de loge-
plus en plus grands, tandis que la cuisine et la
nous sommes conduits à consommer de plus
Cette transition exprime notre rapport urbain à
ments en France. Nous avons atteint un rythme
salle de bains sont devenues des pièces à vivre
en plus et à passer de plus en plus de temps
la nature. Cela conforte tout à fait les résultats
supérieur à 400 000 logements par an et pour-
à part entière. Avec les systèmes home-ciné-
chez nous, mais notre logement n’est pas tou-
de ces entretiens qualitatifs réalisés avec des
tant, la crise du logement n’est pas résolue, et
ma, la télévision dispose presque d’une pièce
jours adapté car trop exigu.
personnes vivant dans des logements relative-
la natalité n’est pas l’unique source d’explica-
spécialement dédiée. Le bureau devient égale-
d’ailleurs
aussi
l’esprit
des
ment modestes mais qui s’estimaient très heu-
tion. Nous avons demandé à des sociologues
reuses de posséder quelques mètres carrés de
de travailler sur le sujet et nous nous sommes
vail, soit pour accéder à internet.
Le troisième mot-clé est la terrasse (ou le jar-
pelouse ou d’avoir le loisir de tailler leur haie.
aperçus que la crise du logement était entrete-
Les enquêtes réalisées à l’époque du passage
din). J’avais animé une conférence à Béziers il
Le paysage est une invention du XVIIIe siècle : il
nue par l’allongement de la durée de la vie – les
aux 35 heures ont montré que, sommairement,
y a longtemps, avant même la ville émergente.
est seulement vu de loin. Cela correspond d’ail-
logements vacants à la suite de décès sont plus
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parcs
La terrasse
ment une place importante, soit pour le télétra-
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Les meilleurs m²
sont ceux que l’on ne construit pas
Gilles Marty
14 janvier 2010
Cette conférence explore les affinités profondes qui lient l’architecture à son
rares – et par la décohabitation (divorces et
garde alternée des enfants).
milieu physique, naturel et humain. Comment considérer l’architecture comme
Le sentiment d’appropriation de sa maison
(pour y avoir travaillé soi-même) passe au se-
une partie du monde vivant qui doit «apporter à la terre plus qu’on ne lui prend» ?
cond plan, l’idée primordiale étant que son
Comment innover en construisant moins ? Comment utiliser l’architecture, toujours
habitation a besoin d’évoluer en fonction de
«consommatrice» d’énergie et de paysage, à bon escient et en toute connaissance
son mode de vie, ce que ne permet pas un lo-
de cause, lorsque les autres registres d’action ont été épuisés ? Comment penser les
gement collectif.
relations significatives de tout petits objets à de très grands espaces ? Telles sont
L’environnement
Le deuxième terme émergent est l’environne-
les questions qui seront abordées et développées au travers des projets de l’agence
ment, une préoccupation qui n’est pas encore
INCA, Innovation, Création & Architecture : des projets d’aménagement et de mise
massive comme pour le garage, par exemple.
en valeur de grands sites tels que Lascaux, Rocamadour, la Baie de Paulilles, qui
Certains habitants de maisons individuelles
souhaitent y intégrer des éléments répondant
s’intéressent aux relations fécondes entre l’architecture, les sites, les paysages, le
à une notion de développement durable (pan-
patrimoine, l’histoire et les territoires.
neaux solaires, isolation, pompes à chaleur, éoliennes, nouveaux matériaux de construction,
etc.). De telles opérations sont beaucoup plus
Préambule
sont conçus par une équipe pluridisciplinaire,
faciles à réaliser dans une maison individuelle
«Les meilleurs m² sont ceux que l’on ne construit
avec qui nous avons toujours grand plaisir à
que dans un logement collectif déjà ancien.
pas.» Une telle profession de foi peut appa-
travailler et échanger.
raître complètement contradictoire pour un
Je mentionnerai également la sensibilité à
architecte, dont la vocation consiste à bâtir et
l’architecture, acquise au travers d’opérations
Comment faire évoluer la demande d’habitat
construire. Il ne faut pas y voir de ma part cy-
sur des sites patrimoniaux ou de grande qua-
pour mieux répondre aux attentes des Fran-
nisme ou misérabilisme. La question n’est pas
lité paysagère. La création de l’agence Inca
çais ? En synthèse, si les Français sont atta-
tant l’absence de construction, mais de s’in-
coïncide avec le début des opérations «Grand
chés à la maison individuelle, c’est en raison
terroger sur le sens de la construction. Il s’agit
site» d’aménagement de sites classés et proté-
des éléments de confort qu’elle leur procure
davantage d’une vision de l’architecture, que
gés. La question à l’époque était la suivante :
(garage, placards, accès à la nature sensible,
l’agence Inca assume depuis plus d’une quin-
est-il possible de concevoir un aménagement
etc.). Pourquoi ne pas réintégrer ce type d’ha-
zaine d’années. C’est une manière de consi-
contemporain pour des sites historiques ou
bitat dans les centres-villes ou à proximité de
dérer l’architecture, perçue comme systémati-
patrimoniaux, extrêmement forts ? Que pou-
ces derniers ? Certains habitants pourraient
quement en relation avec quelque chose, que
vons-nous apporter, avec notre sensibilité
ainsi ne plus contribuer à l’étalement urbain,
ce soit le paysage, l’environnement, l’histoire,
des XXe-XXIe siècle, à ces sites, où les généra-
et trouveraient une offre correspondant à leur
le patrimoine, etc. Tel est d’ailleurs l’esprit qui
tions précédentes n’ont pas hésité à créer de
demande.
nous a guidés pour la réalisation du schéma
véritables monuments d’architecture ? Notre
Sur les 54 % de maisons individuelles en France
directeur du Grand site de Carcassonne, par
sensibilité s’est développée au travers de pro-
(par rapport aux logements collectifs), 12 %
exemple. Comment se confronte notre regard
jets très différents. Nous travaillons ainsi sur
seulement concernent des habitations indivi-
d’architecte à des sites qui dégagent une forte
du «très grand», tel le plan d’interprétation du
duelles groupées et 42 % des habitations indi-
puissance architecturale, historique, patrimo-
Rhône, qui s’étend sur 530 km de long du Lac
viduelles diffuses. Nous voyons là un gisement
niale et économique ? Quelle stratégie adopter
Léman jusqu’à la Méditerranée, ou les Opé-
relativement important et des possibilités pour
pour travailler sur ces sites ?
rations Grands sites, qui s’inscrivent toujours
des modes d’habitat individuels offrant des
Tous les projets qui vous seront présentés ont
dans un large territoire. Nous développons
densités convenables. Il serait finalement rela-
fait l’objet d’une réflexion collective. En effet, le
également une seconde mission au sein de
tivement facile de réintégrer en centre-ville une
travail sur des sites de grande envergure et de
l’agence visant plus spécifiquement les équi-
Gilles Marty
offre assez proche de ce que l’on peut trouver
qualité suppose la constitution et le dévelop-
pements associés, c’est-à-dire les centres d’in-
est architecte, directeur et
en zone périurbaine ■
pement d’un réseau de paysagistes, de spécia-
terprétation, les musées, etc.
fondateur de l’agence INCA et
listes de l’environnement, du patrimoine, de la
Je vous présenterai donc à la fois une manière
enseignant à l’École nationale
scénographie, etc. Ainsi, ces projets ne sont pas
de voir, de comprendre, d’aménager et de pro-
supérieure d’architecture de
uniquement des projets d’architectes, mais ils
grammer des sites, mais aussi les architectures
Grenoble.
Conclusion
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Yves Chalas,
La mobilité qui fait la ville,
Lyon, CERTU, 2008.
La ville émergente,
La Tour d’Aigues, L’Aube, 1997.
L’invention de la ville, Paris,
Anthropos-Economica, 2000.
Villes contemporaines, Paris,
Cercle d’Art, 2001.
L’imaginaire aménageur en mutation,
Paris, L’Harmattan, 2004.
L’Isle d’Abeau, de la ville nouvelle à la
ville contemporaine, Paris,
La Documentation française, 2005.
Comment les acteurs s’arrangent-ils
avec l’incertitude ? Paris, Archives
contemporaines , 2009.
214
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associées, d’où l’idée que «les meilleurs m² sont
Il écrit : «Il faut donner à la terre plus qu’on ne
savoir comment faire de l’architecture avec
lui-même des propositions d’aménagements.
ceux que l’on ne construit pas.». Celle-ci pourrait
lui prend». Cela m’évoque un projet de grande
des moyens non architecturaux. Selon Price :
Il est intéressant de voir que, vingt à trente ans
se résumer simplement : À qui s’adresse-t-on ?
ampleur à Abu Dhabi qui comportait plusieurs
«Chaque fois que nous arrivons à résoudre des
plus tard, de grands projets d’aménagement
Quelle que soit l’échelle de construction envi-
îles autonomes, censées être à la fois des lieux
questions architecturales avec des moyens non
de territoires, comme dans la Ruhr, détournent
sagée, parvenons-nous à bien comprendre un
de vie, de tourisme et de relogement des per-
architecturaux, c’est autant de gagné pour l’ar-
d’anciens sites à des fins de réhabilitation et de
site, son histoire, son patrimoine, la manière
sonnes menacées par la montée des eaux.
chitecture. ». En se penchant sur l’histoire de
réappropriation. Ils les transforment en lieux
dont il s’est créé ? Est-il possible de le gérer par
Nous voyons aujourd’hui fleurir des projets
l’architecture, nous voyons bien que les grands
d’accueil d’activités artistiques ou de loisirs.
des moyens non architecturaux ? L’architecte
étonnants, visant une autonomie totale, pour
architectes modernes ont emprunté des idées
Essentiellement préoccupé par l’utilité et l’ef-
n’a pas pour seule vocation de couler du béton.
lesquels sont mis en avant les concepts d’éner-
à d’autres secteurs. Price incitait, en son temps,
ficacité sociale de l’architecture, il a procédé à
Je ferai le parallèle avec une stratégie d’acu-
gie zéro, voire positive, le recyclage de l’eau, le
à faire confiance à la technologie et à explorer
une remise en cause systématique et logique
puncture : peut-être avons-nous besoin de
recours à l’énergie solaire, etc. Robert Harrison
toutes sortes de voies possibles pour réali-
des fondements de l’architecture. Formidable
connaître le fonctionnement général du corps
considère que nous sommes arrivés au bout
ser de l’architecture sans nécessairement en
inventeur, il est un des précurseurs des grands
d’un site ou d’un territoire, afin de donner du
de l’exploitation de la terre. Comme si toutes
faire. Et ce, par le biais de l’architecture mobile,
concepts de l’architecture contemporaine.
sens à l’architecture. Et donc, construire très
les ressources de la terre étaient aujourd’hui
temporaire, évènementielle, etc. Il a réalisé
L’unique projet construit par Price est un centre
peu.
mobilisables, comme si les biens que la terre
plusieurs grands projets amusants, comme le
social en banlieue de Londres. Uniquement
Nous travaillons sur de grandes opérations,
nous prodigue étaient infiniment exploitables
Thinkbelt Potteries, un campus réalisé sur un
constitué de matériaux industriels, il illustre
mais aussi sur de toutes petites choses. Par
par notre société industrielle et capitaliste.
territoire minier abandonné qu’il a recyclé en
parfaitement la notion de détournement. Price
d’exemple, l’agence Inca a lancé et dévelop-
J’appelle cela la «frénésie moderne». Elle re-
université. Les silos sont devenus des salles de
évoquait également l’obsolescence program-
pé un projet de structures mobiles pour les
lève davantage d’un fantasme de l’autonomie
cours, par exemple. Il s’agissait à l’époque d’un
mée de l’architecture. Il indiquait la période de
archéologues. L’aventure a duré deux ans. Il
de l’architecte. A contrario la phrase de Robert
projet complètement scandaleux. Il était im-
vie des bâtiments qu’il concevait. Il prévoyait
s’agissait de réaliser des structures à la fois ou-
Harrison : «Il faut donner à la terre plus qu’on ne
pensable de loger une université à la pointe du
pour le centre social une durée de vie de trente
tils de travail pour les archéologues, mobiles
lui prend», nous invite à considérer d’emblée
savoir dans une friche industrielle. Autre grand
à quarante ans. Peu avant son décès, dans les
d’un site à un autre, et lieux d’accueil et de
que ce que nous construisons et réalisons s’ins-
projet, sans doute le plus connu, le Fun Palace
années 2000, l’Office du patrimoine anglais dé-
médiation pour le public. Nous avons réalisé
crit dans un monde vivant, où il faut privilégier
ou palais de l’amusement. Il a choisi de récu-
cida de classer le bâtiment, devenu une icône
plusieurs prototypes qui ont abouti aux Archéo
des relations intelligentes à l’environnement.
pérer une structure industrielle, avec toutes
des années 1960. L’architecte ne l’a pas enten-
sortes de containers, mobiles à volonté grâce à
du ainsi, car il avait prévu sa destruction dès sa
La seconde manière de comprendre cette
un système de ponts roulants et d’escalators.
conception.
phrase est de l’entendre comme radicale et
Price exploitera toutes les possibilités offertes
Sept manières de comprendre la phrase
innovante. Je me réfère à l’un des maîtres de
par le temps : mobilité, adaptabilité, flexibilité,
Troisième manière de comprendre cette
«Les meilleurs m² sont ceux
l’architecture, Cedric Price, architecte anglais
évolutivité... Son projet du parc d’amusement
phrase : l’angle écologique et politique. Je fais
Structures. D’une surface de 90 m², elles se
montent en moins d’une heure.
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que l’on ne construit pas»
des années 1960, à l’humour féroce totalement
Fun Palace à Londres, consiste en une structure
appel à un paysagiste américain, Richard Haag,
Je vais vous exposer les principes qui animent
iconoclaste et provocateur. Lorsqu’un couple
métallique qui supporte une «machine interac-
dont les projets, bien que peu nombreux, sont
notre agence. Chacun de nos projets (le Grand
venait lui demander de concevoir sa maison,
tive», constituée d’équipements techniques et
fondateurs et ont marqué les générations de
site de Rocamadour, l’entrée du pont du Gard,
il lui posait cette question : «Ne préférez-vous
ludiques, qui visent à créer un espace en per-
paysagistes. Le projet d’aménagement de
le musée de la Paléontologie à Villers-Sur-Mer,
pas divorcer ?», lui expliquant qu’au final, une
pétuel renouvellement. Ce projet est considéré
jardins Bloedel Reserve sur une île proche de
la valorisation des sites miniers de Haute-
séparation serait beaucoup plus économique
comme le prototype de Beaubourg. De là est né
Vancouver illustre la notion de «faire avec».
Marne, etc.), constitue une sorte de dosage
et consommerait moins de paysage ! C’est un
un courant de pensée fondé sur l’idée d’appro-
Comment un projet se situe d’emblée dans
particulier de ces sept principes. Pour chacun
personnage étonnant de l’histoire de l’archi-
priation, de transformation, d’adaptabilité et
une dynamique historique, végétale, environ-
d’eux, je mettrai un personnage en avant, et
tecture. Il a réalisé peu de projets, tous très
de flexibilité, une nouvelle manière de conce-
nementale. Il a détourné toute une structure
pas nécessairement un architecte.
décriés mais révélateurs d’une pensée parti-
voir l’architecture. Le Fun Palace fit également
paysagère pour en faire autre chose. Il a créé
culièrement novatrice. D’une certaine manière,
scandale, mais Cedric Price persista. Il propo-
une série de jardins de mousse en repiquant
Je citerai en premier lieu le paysagiste Robert
les grands architectes contemporains, tel Rem
sa aux États-Unis le projet Generator, véritable
des milliers de plants. Il a mis en valeur une
Harrison. Écrivain et directeur du départe-
Koolhaas, qui travaillent aujourd’hui sur les
adaptation de la cybernétique à l’architecture.
ancienne piscine, simplement en la clôturant
ment de littérature française à l’université de
grands territoires, ne font que réinterpréter les
Cet étonnant ensemble, jamais concrétisé, au-
d’une haie et la rebaptisa «Miroir du ciel». Avec
Stanford, il est l’auteur d’un très bel ouvrage
concepts et les idées de Cedric Price. Il disait :
rait été composé de différents modules mobiles
de l’imagination, il est possible de transformer
mêlant philosophie et jardins. Il explique com-
«Personne ne devrait être intéressé par le design
au gré des besoins des utilisateurs grâce à des
l’existant en poésie.
ment l’activité de jardinage a toujours été liée à
d’un pont, mais se préoccuper plutôt de la ma-
grues contrôlées par un système informatique.
une certaine manière de vivre pour les hommes
nière de passer de l’autre côté». Il s’agit là d’une
Price aurait également calculé une combinai-
La quatrième manière de comprendre la
et de concevoir leur relation à l’environnement.
idée intéressante, d’où découle la question de
son «ennui», l’ordinateur central pouvant faire
phrase fait appel aux termes «poétique et holis-
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tique» et au personnage emblématique Richard
Gilles Deleuze. Ce philosophe avait développé
férence Andrea Palladio, célèbre architecte
vision. Lorsque Seagram inaugura et commer-
Long, dont les interventions sont extrêmement
la vision quelque peu paradoxale, selon la-
du XVIe siècle, dont l’œuvre la plus célèbre
cialisa le bâtiment, elle loua les m² disponibles
délicates et minimales. Pourtant, elles nous
quelle les nomades ne bougent pas. Lorsque
est la Villa Rotonda. À une époque où Venise,
cinq fois plus cher qu’ailleurs à New York, et ce,
parlent et nous révèlent toute la dimension
les populations humaines se déplacent en rai-
concurrencée par les grands ports du nord de
grâce à la généreuse place publique offerte aux
d’un site. Elles peuvent nous parler de géolo-
son de conditions difficiles, les nomades, eux,
l’Europe, s’interroge sur la conquête de ses
habitants. Le Seagram Building était l’endroit
gie, de géographie, d’histoire, de matières, etc.
s’accrochent à leur territoire. Ils développent
terres intérieures, Palladio inventa une struc-
où il fallait être. Seagram est ainsi largement
Avec des choses délicates ou éphémères, il fait
une ingénierie incroyable en lien avec leur terri-
ture magnifique : le palais aristocratique ru-
rentré dans ses frais pour cette opération.
ressortir les qualités intangibles et souterraines
toire, afin de pouvoir se déplacer toujours dans
ral. Une réalisation combinant villa d’apparat,
On dit souvent que Mies proposait toujours les
d’un lieu. Il organise d’ailleurs des marches et
les mêmes espaces.
et outil de gestion agricole du territoire. Cette
mêmes bâtiments, quel que soit le lieu. C’est
balades de nuit et peut faire dix allers - retours
Pour avoir travaillé sur des architectures tem-
architecture devint une icône classique et
complètement faux. J’ai vu dans les archives de
sur un site sans éclairage. Il note ce qu’il ressent
poraires et mobiles, je considère que si elles
Palladio l’un des maîtres de la composition
Mies des centaines de maquettes permettant
au cours de son cheminement à l’aveugle. Pe-
paraissent ridicules ou simples, elles recèlent
architecturale autonome. Ses œuvres sont
de déterminer, pour ses projets, une alchimie
tit à petit, il acquiert une connaissance fine
une grande sophistication, liées aux probléma-
de pures merveilles d’architecture, avec des
entre l’ombre et la lumière, la rue, etc. À la suite
des lieux. C’est une belle idée. Richard Long a
tiques matérielles. L’absence de bois dans les
moyens extrêmement réduits. Toute l’organi-
de la réalisation du Seagram Building, le code
réalisé en Angleterre quatre marches sur quatre
prairies, par exemple, a abouti à l’invention des
sation intérieure, axée sur la symétrie, se tour-
d’urbanisme de New York accorda d’ailleurs
lieux de dimensions différentes.
tipis. Les Indiens ont conçu des structures mo-
nait vers l’exploitation agricole. Chaque point
une dérogation de hauteur aux constructions,
Je prendrai également l’exemple de Luis
biles en peaux d’animaux, transportables par
trouve son contrepoint avec un élément de
sous réserve de libérer un espace public au
Barragan. Il a développé la notion d’incorpora-
les femmes. Ils ont développé une ingénierie
paysage. C’est précisément ce qui m’intéresse
pied des bâtiments. L’initiative donna lieu à la
tion au travers de ses architectures. Il conçoit
technique qui leur a permis d’utiliser au mieux
dans ces architectures : comment réaliser une
réalisation de tous les buildings suivants. Il est
son travail comme une volonté de libérer de
les ressources à leur disposition. Rémi de
structure extrêmement puissante au sein d’une
donc intéressant de voir comment les m² que
l’énergie, afin de ressentir une fraternité avec
Cronenbourg décrit fort bien dans son ouvrage
échelle de grande ampleur, en lien avec un
l’on ne construit pas, donnent une grande va-
l’ensemble du voisinage terrestre, et d’être en
sur l’histoire de l’architecture mobile et trans-
paysage, un territoire. Les jardins classiques ou
leur à ceux que l’on construit !
contact avec des éléments très éloignés, qui
portable comment celle-ci reflète une efficaci-
baroques s’insèrent dans un système de com-
nous dépassent, tel le cosmos.
té sociale, symbolique et cosmologique. Une
position sophistiqué où chaque chose répond
Cette dimension revêt une importance fon-
yourte ou un tipi sont organisés en fonction des
à une autre.
damentale dans nos travaux sur les grands
vents dominants, de la course du soleil, etc. À
sites de patrimoine. Ceux-ci nous tendent un
l’intérieur, aucune cloison n’est nécessaire,
La dernière manière de considérer la phrase
ment. Le premier terme à mentionner est l’in-
piège, sachant que nous avons tendance à
chacun sachant où se situer dans la tente selon
est l’angle économique, avec Mies van der
novation. En effet, tout architecte a vocation à
porter notre attention sur ce que nous voyons.
sa hiérarchie sociale. Cette organisation revêt
Rohe. Architecte d’origine allemande, il a com-
changer les choses et à s’interroger sur les dif-
Or, ce que nous voyons n’est que le reflet de
également un aspect cosmologique. Chaque
muniqué autour de l’idée «less is more». Il est
férentes manières d’innover.
quelque chose de beaucoup plus vaste. Je dis
élément utilisé évoque un univers : animalier
le champion de la réduction des moyens archi-
souvent qu’un grand site reflète 5 % de visible
avec les peaux, végétal avec le bois, le feu, la
tecturaux. Le pavillon de Barcelone est l’une de
Le Grand Site de Rocamadour
et 95 % d’invisible. Par exemple, que compre-
pierre, etc. Lorsque nous plantons un parasol,
ses plus belles œuvres, avec la séparation des
Nous travaillons sur le projet depuis six ans
nons-nous d’une abbaye cistercienne ? Nous
nous faisons déjà de l’architecture, tout comme
porteurs des cloisons. Pour avoir travaillé sur
dans le cadre d’une Opération Grand site. Ce
voyons des cloîtres, mais comprenons-nous
les Indiens ! Nous choisissons un endroit enso-
ses réalisations, je me suis aperçu qu’il s’agis-
site de renommée nationale et internationale
l’organisation ayant abouti à cette construc-
leillé, face à un joli paysage de préférence, en
sait, en fait, de bidouillage. Certains poteaux du
est très fréquenté. Il se dénature de plus en
tion ? Comprenons-nous la conquête du terri-
tenant compte des vents dominants, etc. Nous
pavillon ne portent pas grand-chose et d’autres
plus. Les services de l’État, la municipalité, le
toire associée ? Les matières utilisées, le choix
sommes toujours en relation avec le temps, la
sont cachés dans les cloisons. L’élément le plus
Conseil général et le Conseil régional ont donc
de ce lieu, etc. ? C’est ce que j’appelle les 95 %
durée d’installation.
intéressant chez Mies n’est pas donc «less»,
décidé de fixer un schéma directeur pour les
d’invisible. Je dis souvent à mes clients que
Autre notion intéressante dans l’architecture
mais plutôt «more». Pour le Seagram Building,
quinze prochaines années, concernant le patri-
notre intérêt ne porte pas sur ce que nous
mobile : le détournement. Les souks maro-
situé sur la 5e avenue à New York et comman-
moine, le tourisme, les équipements d’accueil
voyons, mais que nous entendons donner du
cains, par exemple, montrent qu’avec une
dé à Mies au cours des années 1950, il a conçu
et la gestion du territoire.
sens à ce que nous ne voyons pas. La question
simple couverture, l’espace public se mélange
une sorte de monolithe noir, mis en valeur par
Dans le cadre d’une Opération Grand Site, il
est alors de le rendre visible.
à l’espace privé. On ne fait plus la différence
une grande place publique urbaine. Une pre-
existe une notion selon laquelle l’économie
Cinquième manière de considérer «Les meil-
entre la rue et un café, une échoppe ; de petits
mière version, fondée sur une structure mé-
d’un site est souvent prédatrice vis-à-vis du
leurs m² sont ceux que l’on ne construit pas»,
gestes permettent de créer des sensations et
tallique apparente, fut rejetée par la direction
territoire.
la manière ingénieuse et ludique, avec l’archi-
des rencontres.
de Seagram qui souhaitait un bâtiment plus
Savez-vous pourquoi il n’y a pas de charcute-
tecture légère et temporaire, en référence aux
Sixième manière de considérer la phrase :
classique, utilisant la totalité de l’espace dis-
rie à Rocamadour? On raconte que ce sont les
Archéo structures. J’ai choisi le personnage de
l’angle architectural et territorial, avec en ré-
ponible. Mies parvint finalement à imposer sa
restaurateurs locaux qui empêchent les char-
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Philosophie et projets de l’agence INCA
Ces projets et réalisations mettent en pratique
les différents principes évoqués précédem-
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cutiers de s’installer, craignant un manque à
avons ainsi présenté notre projet au travers du
mé «l’Empreinte». Nous savions que le site était
gagner si les visiteurs avaient la possibilité de
site internet à mettre en place, avec des on-
pénalisé par des conditions d’accueil déplo-
pique-niquer. Donc Rocamadour, qui compte
glets de présentation des lieux, de réservation
rables et l’absence d’équipement aux normes.
630 habitants et accueille plus d’un million de
de gîtes, de boutique en ligne, d’informations
Il s’agissait donc d’un plan paysager, reprodui-
visiteurs par an, n’a aucun commerce en hiver
utiles, etc. Sur cette base, nous avons expliqué
sant à grande échelle des gravures d’animaux
et oblige, par ce fait, les habitants à se rendre
à nos clients que s’ils parvenaient à créer ce
de la grotte originale. Il permet d’organiser les
à vingt kilomètres pour faire leurs courses. La
site, ils auraient déjà accompli la moitié du tra-
parcours, de canaliser les flux et de préparer
richesse d’un site n’implique donc pas forcé-
vail. La concrétisation du site supposait en effet
la visite du fac-similé. En terme d’architecture,
ment celle de son territoire...
de structurer le projet à l’échelle du territoire
nous sommes restés dans l’idée de l’univers
L’une des premières missions à remplir, au titre
et, en conséquence, de construire beaucoup
animalier en développant des structures extrê-
de notre intervention, consiste à replacer la
moins que prévu. Au final, les clients ont adoré
mement minimales de petits pavillons réver-
notoriété du site au service d’un projet de ter-
notre idée. Nous avons mis six ans à la leur faire
sibles en bois. Nous avons obtenu un permis de
née par 80 000 visiteurs. Ils viennent admirer le
ritoire.
comprendre car elle allait à l’encontre des no-
construire au bout d’un an, notre projet ayant
panorama des falaises crées par la Rouvre. La
Pour ce site de pèlerinage, il convenait d’avoir
tions habituelles d’investissement, d’aménage-
suscité l’adhésion des décideurs. A cette occa-
commande portait sur un centre d’interpréta-
une vision innovante. Nous avons donc ex-
ment du site et du patrimoine.
sion, j’ai beaucoup appris en termes de qualité,
tion, au sein d’un paysage fabuleux et très inté-
pliqué au client que nous n’allions pas régler
Les clients souhaitaient la réalisation d’un
de réversibilité, de fondations superficielles,
ressant sur le plan géologique, de la biodiver-
les problèmes de parking ou d’accueil pour
grand centre d’interprétation de 5 000 m² en
car il s’agissait de notre premier projet sur un
sité animale, etc., L’objectif était de sensibiliser
le moment, mais nous projeter dans dix ans.
haut de la corniche de Rocamadour, pour six
site Unesco. Nous avons travaillé avec trois bu-
les touristes et d’expliquer ce lieu. Nous avons
Après examen des tendances du tourisme,
millions d’euros. Nous leur avons expliqué
reaux d’études pour arriver à calculer les struc-
détourné le programme du concours, qui posi-
nous avons soumis l’idée de parc nomade, en
qu’une telle structure n’était pas nécessaire,
tures à triple courbure. Au final, nous sommes
tionnait les bâtiments à distance du site, pour
lien avec l’histoire de Rocamadour. En effet, de
car les visiteurs ne se rendent pas sur un grand
parvenus à réaliser des aménagements qui, je
nous mettre en limite classée, en utilisant un
tout temps, Rocamadour a été un lieu de pèle-
site pour s’enfermer dans un centre d’interpré-
le pense, s’intègrent assez bien dans le site. Sur
boisement à proximité des falaises. Nous avons
rinage, de nomadisme et de migrations. Nous
tation. En outre, la corniche constitue de fait un
le plan économique, nous avons également
conçu un bâtiment dans la continuité du pay-
avons fait le pari que, dans dix ans, les visiteurs
espace d’interprétation à ciel ouvert, de 1,5 km,
conçu, sur la base de l’univers animalier, l’amé-
sage comme un filtre, au travers duquel le vi-
viendront passer plusieurs jours à Rocamadour
à aménager. Il était donc préférable de réin-
nagement de la boutique qui participait pour 3
siteur se sentirait déjà dans l’environnement
sans prendre leur voiture, à l’instar de ce qui se
jecter les six millions d’euros sur cet espace,
% au chiffre d’affaires du site y contribue désor-
de la Roche. Nous avons développé une archi-
fait en Écosse ou en Irlande. Nous avons privi-
en créant des liens paysagers avec le plateau,
mais pour 35 %.
tecture en bois, avec un travail sur différentes
légié un aménagement qui, sans surcharger le
en sortant les voitures et les parkings de proxi-
site, permettrait de développer l’idée selon la-
mité pour offrir de belles promenades. Je tra-
La Roche d’Oëtre
paysagère avec les falaises. Pour l’intérieur,
quelle il sera possible de venir à Rocamadour,
vaille aujourd’hui avec un paysagiste, Philippe
Le troisième terme est l’incorporation ou com-
nous avons défini des espaces ouverts et en-
passer une journée de balade, partir à cheval,
Deniau. Sur le budget de six millions, quatre
ment, par le biais de l’architecture, nous pou-
cadrés par des piliers de bois, sous des ver-
réserver une nuit dans un gîte, repartir le len-
millions sont consacrés au paysage. Nous en-
vons aller chercher des éléments appartenant
rières, plutôt que des murs et des cloisons. En
demain pour une excursion en canoë dans le
visageons la réalisation de petits belvédères et
au paysage et à la nature, matérielle et imma-
regardant le bâtiment dans la profondeur, on a
Lot, etc. L’objectif était ici de faire du site le
de petites unités d’interprétation qui viendront
térielle. Je vais illustrer mon propos avec le
l’impression d’être dans la forêt. L’architecture
cœur d’un projet territorial. Nous avons donc
se loger aux endroits stratégiques. Ainsi, pour
projet d’un site naturel classé en Normandie :
est entièrement bioclimatique, avec une venti-
conçu le projet de Grand Site à l’échelle du
illustrer cette notion d’innovation, nous avons
la Roche d’Oëtre. Il est fréquenté chaque an-
lation naturelle et de nombreuses entrées de
parc naturel régional, sur la base de la notion
utilisé un media, internet, pour amener à com-
de nomadisme. Nous avons rédigé une charte
prendre une vision et s’accorder au préalable
selon laquelle aucune nouvelle construction
sur un projet.
La Roche d’Oëtre :
une façade imitant la lisière
boisée existante.
Projet d’aménagement du site de Lascaux
avons choisi une stratégie complètement différente, en proposant un bâtiment en forme de
connexions à créer depuis la gare, etc. Il s’agis-
Un bon projet doit toujours raconter une his-
plaque d’ardoise. Mon associé, qui a travaillé
sait donc d’un projet capillaire, irriguant d’un
toire. L’un des premiers projets que nous avons
sur le projet durant un an, avait une plaque
seul coup le territoire. C’est cette idée inno-
réalisé est l’aménagement du site de Lascaux
d’ardoise sur son bureau afin de comprendre
vante qui nous fait gagner. Nous avons choisi
(300 000 visiteurs par an). Aucun permis de
sa structure, ses strates.
de ne pas faire de plan d’aménagement, ce qui
construire n’avait été accordé depuis quinze
Autre projet, dans les Hautes-Alpes, un centre
était un peu audacieux, mais de réaliser le site
ans et les éventuels travaux étaient envisagés
dédié aux sciences physiques et astrophy-
internet de Rocamadour dans cinq ans. Nous
de nuit. Nous avons proposé un projet dénom-
siques à Aspres-sur-Buech. Nous sommes
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Lascaux : le pavillon d’accueil se
loge dans une structure textile.
Et d’autres…
Le deuxième terme à retenir est la narration.
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Pour le Musée de l’ardoise de Morzine, nous
de chemins à restaurer ou à développer, les
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lumière.
été réhabilité. Nous avons calculé le nombre
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essences, dans une perspective de continuité
ne serait lancée tant que l’existant n’aurait pas
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partis sur l’idée d’une architecture de lumière,
avec une structure alternant le monde intérieur
de la science et le monde extérieur de la nature,
où les visiteurs puissent être en contact avec le
paysage.
Autre exemple intéressant, le projet d’écolodges pour l’île de la Réunion, au sein d’une
forêt tropicale. Nous avons choisi une architecture ouverte et en harmonie avec le site. On
retrouve la notion d’incorporation au travers
de petites structures s’insérant dans une plus
large échelle.
La baie de Paulilles
Le quatrième terme que j’utiliserai est celui
de soustraction. Ne pas faire, c’est déjà beaucoup... J’illustrerai cette notion par le projet de
la baie de Paulilles, site classé dans le cadre
naturel des Albères qui accueillit la première
dynamiterie d’Alfred Nobel. Pour cet ancien
site industriel, propriété du Conservatoire du
littoral, nous avons présenté un concept très
simple, dénommé «L’avenir d’une mémoire». Il
se fonde sur la valeur affective de ce lieu pour
les catalans et sur la mise en valeur du littoral.
Nous avons travaillé avec des paysagistes autour de l’idée que chaque réalisation devait
partir du passé pour délivrer un message d’avenir. Nous avons détruit soixante-dix bâtiments
sur le site et restauré dix, dont le château d’eau.
Au fur et à mesure de l’avancée du projet, nous
avons compris qu’il était possible de faire renaître ce lieu par le paysage. Plutôt que de
concevoir des architectures, nous avons fait en
sorte que les bâtiments aient du sens par rapport au paysage environnant. Nous avons rebaptisé une ancienne fabrique de caoutchouc
Paulilles, la vigie,
belvédère sur le site
«Longue vue», car elle ouvre la vue sur la pinède
et le littoral. Pour la «Maison de site», l’accueil,
nous avons reproduit des fresques évoquant
le patrimoine industriel à sa grande époque.
Tous les éléments du projet architectural et
paysager sont conçus comme une mise en
valeur du patrimoine industriel. Enfin, l’ancien
château d’eau et son réservoir ont été transformés en un lieu d’observation du site. Auparavant insignifiant, il se situe désormais dans une
composition paysagère et une perspective du
littoral. Il devient un lieu de grande importance
sur le site. À travers ce projet d’ensemble, nous
avons réalisé un important travail d’adéquation entre architecture, paysage, matériaux...
assuré par une cheminée et le mobilier d’ins-
expérience incroyable, au cours de laquelle
Ce site reflète une dimension qui m’est chère :
piration domestique. Cette notion d’appropria-
j’avais l’impression, tel un entomologiste ou
la notion d’interprétation. Nous avons travaillé
tion est très importante pour nous. Un projet
un botaniste du XVIIIe siècle, de découvrir des
sur des notions de découverte curieuse et intui-
doit fonctionner pour 10, 100 ou 1 000 per-
sites protégés, d’une splendeur incroyable,
tive où chaque chose, que l’on vienne pour une
sonnes. Nous pensons qu’avec une petite ar-
parfois dégradés. J’ai ainsi travaillé à partir de
heure ou l’après-midi, fait l’objet d’un message
chitecture, il est possible de capter différentes
mon carnet de dessin avec les différents res-
par le biais d’une empreinte, d’une maquette,
dimensions, par la narration et l’interprétation.
ponsables afin de revaloriser le paysage. Nous
d’un objet. L’objectif est de s’adresser à tout
Enfin, je terminerai en évoquant le terme de
avons noué un dialogue au travers de ces des-
le monde. In fine, le seul bâtiment neuf conçu
dissolution, c’est-à-dire la quasi-disparition de
sins. J’ai pris conscience de l’importance de la
par notre agence est le pavillon d’accueil, pour
l’architecture. Je prendrai pour exemple le tra-
mémoire pour les Algériens, mais aussi le po-
lequel nous avons volontairement organisé les
vail réalisé sur les cinq premiers sites du littoral
tentiel paysager à restaurer, plutôt que d’amé-
flux de visiteurs à l’extérieur, les agents d’ac-
algérien dans le cadre de la politique de pré-
nager. Petit à petit, nous avons développé une
cueil venant à leur rencontre.
servation et de valorisation développée par le
logique de travail, non plus sur l’architecture
ministère de l’Environnement et du Tourisme. À
et la construction, mais sur l’adéquation entre
l’occasion de ma première visite, j’ai vécu une
les attentes du client, le paysage existant, les
Fontainebleau :
une architecture en dialogue
avec la forêt protégée.
Centre d’éco-tourisme
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À La Réunion,
les écolodges de la forêt
de Bélouve
en forêt de Fontainebleau
possibilités de restauration des vestiges. J’ai
Pour le terme d’appropriation, j’ai choisi un
alors écrit le scénario du site en dix dessins,
projet sur lequel nous travaillons et «transpi-
dix étapes : la découverte, la plongée, les oi-
rons» actuellement : la conception d’un centre
seaux, etc. En travaillant avec des environ-
d’éco-tourisme en forêt de Fontainebleau,
nementalistes et d’autres spécialistes, nous
dans les gorges de Franchard, le site le plus
avons choisi de renforcer certaines transitions
fréquenté de cette célèbre forêt classée. L’en-
paysagères, restaurer certains périmètres, etc.
jeu était de trouver comment réaliser un bâti-
À partir d’un certain moment, les choses nous
ment de 150 m² susceptible d’accueillir 300 000
apparaissaient tellement intéressantes et par-
visiteurs. Nous avons proposé au client un es-
lantes qu’il convenait de les laisser s’exprimer
pace narratif, l’idée d’un salon dans la forêt, où
elles-mêmes. Pour conclure mon intervention,
les personnes se sentiraient chez elles. Nous
je citerai une phrase de Marcel Proust : «Le plus
avons développé une architecture réversible en
beau voyage de découvertes ne consiste pas à
bois, avec des formes souples et douces, un es-
chercher de nouveaux paysages mais à voir avec
pace d’accueil sans borne, le personnel venant
de nouveaux yeux». C’est là, je trouve, une belle
à la rencontre des visiteurs. Le chauffage serait
définition de l’architecture ■
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Fontainebleau :
l’espace d’accueil
comme un salon
dans la forêt.
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Paul Virilio, penser la vitesse
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13 janvier 2011
En une heure trente, le film «Paul Virilio, penser la vitesse» passe notre époque
Quelles sont les missions du designer de l’envi-
des appuis indispensables sur les projets.
ronnement ?
C’est la raison pour laquelle je considère tous
J’ai découvert durant mes études d’architecte
les projets de l’agence comme des co-produc-
plus lucides et les plus tranchants, sur les conséquences politiques liées aux
à l’étranger, le département du design de l’en-
tions. Nous ne savons pas travailler seuls. Nous
vironnement à l’université de Montréal. Ce fut
sommes malheureux si nous sommes seuls.
révolutions technologiques. Exemples à l’appui (la tragédie du 11 septembre,
une révélation pour moi. J’y ai vu une ouverture
sur le gril de la pensée de Paul Virilio, l’un des esprits contemporains les
l’ouragan Katrina, etc.), l’auteur de L’insécurité du territoire et de Cybermonde,
et une effervescence passionnantes. Certains
Comment faites-vous passer l’idée selon la-
la politique du pire démontre avec conviction que tous les champs ou presque
dessinaient un grand projet urbain, d’autres
quelle «Les meilleurs m² sont ceux que l’on
des parcs, des stations de métro, etc. J’ai alors
ne construit pas» auprès des architectes et du
de l’activité humaine sont désormais placés sous le régime quasi dictatorial de
compris qu’en travaillant avec ces personnes,
grand public ?
la vitesse. De grands experts comme Jeremy Rifkin, Walter Bender, Muhammad
il était possible de mobiliser de larges moyens
Cette idée passe très bien, en tout cas auprès
Yunus, Hubert Védrine, Jacques Attali, ou encore le dessinateur Enki Bilal et
pour traiter les sujets qu’on nous confie. J’en
des maîtres d’ouvrage avec qui nous travail-
ai retenu aussi la grande sensibilité des Améri-
lons, peut-être du fait des sites sur lesquels
l’architecte Jean Nouvel, étayent ou contredisent son discours. Accessible sur
cains au paysage, notamment des Québécois.
nous intervenons. Voici quelques années, je
le fond, surprenant dans la forme, ce film prend le temps de réfléchir à notre
Nous avons de nombreux partenaires au Qué-
devais user d’une grande force de conviction
bec, avec qui nous avons travaillé sur la notion
pour faire passer une conception minimale au-
environnement et au sens des choses. Un exercice salutaire quand les repères se
d’interprétation. Ils ont une certaine avance sur
près du client. Désormais, nous sommes tous
nous dans ce domaine, car ils n’ont pas de mu-
dans ce cadre de pensée et dans une volonté
sée, de collections, de sites, etc. C’est d’ailleurs
d’optimisation. La crise aidant, nous sommes
Échanges autour du film
la raison pour laquelle ils se sont posés depuis
beaucoup plus sensibles aux questions du
fort longtemps la question de l’interprétation,
territoire, etc. Pour le grand public, c’est par
«Paul Virilio, penser la vitesse»
c’est-à-dire comment rendre sensible un site
le biais de conférences, d’expositions ou d’un
et l’expliquer, sans forcément disposer d’objets
livre en préparation que j’essaye de faire com-
anciens. C’est ce qui explique la présence d’un
prendre mon idée, par des moyens simples,
designer environnemental au sein de l’agence.
des exemples, des références historiques, etc.
Lorsque nous travaillons sur un projet, nous
S’agissant de mes confrères, j’ai constaté, lors
travaillons à la fois sur un territoire, un site avec
d’une exposition à Grenoble, qu’un véritable
les paysagistes et les environnementalistes, le
débat pouvait s’instaurer. Ces échanges ont été
design, la scénographie, la muséographie, etc.
très intéressants.
Nous avons une approche holistique, avec plus
ou moins de bonheur suivant les projets…
Est-ce que vous voyez cette idée gagner du terrain petit à petit ?
Comment travaillez-vous avec les architectes du
Oui, j’en suis persuadé. Pour prendre l’exemple
patrimoine sur des grands sites ?
de Gilles Clément et des paysagistes, un chan-
Nous travaillons avec Régis Nebout, architecte
gement de mentalité s’est opéré au profit
du patrimoine, notamment sur Rocamadour,
d’une pensée écologique et socio-dynamique.
les jardins archéologiques d’Eauze dans le
Ce type d’évolution touche notre métier. Je le
Gers, etc. C’est pour nous un apport essentiel
note déjà auprès des mes étudiants, qui sont
car il porte un regard savant sur un patrimoine.
extrêmement curieux de ces idées. Ils sont is-
Cela nous permet de revenir à une dimension
sus d’une culture de réseaux, d’image, associa-
historique et de dérouler un parcours depuis la
tive, etc. C’est une philosophie assez différente.
création du site, son évolution, jusqu’à ce jour.
Je suis donc confiant. Nous avons assisté à une
Au début, j’avais quelques appréhensions en
mutation importante. Il y a dix ans, il aurait été
particulier lors de la réalisation du projet de
impossible de réaliser un site comme Rocama-
Lascaux. Néanmoins, au fil des années, j’ai
dour.
beaucoup appris de ces spécialistes. Ils sont
224
Stéphane Paoli
dérobent.
de Stéphane Paoli
Ce film est une tentative de faire un état des
lieux de ce que nous sommes, nous humains,
collectivement, en ce début de XXIe siècle. Il est
le premier d’un triptyque et traite de la vitesse1.
La question qui se pose à nous désormais est
celle de la confrontation des humains avec
les machines. Les machines ont une capacité
jusqu’ici inconnue dans l’histoire humaine,
d’accélérer tous les process : l’information et
le transport de l’information. Et pas seulement
celle que vous lisez dans les journaux ou écoutez à la radio ou à la télévision, mais l’information économique. On a vu les effets que la
Le second film traitera de la mémoire. Celle que
vitesse pouvait entraîner dans la sphère écono-
nous stockons désormais dans des disques
mique. Ces outils que nous utilisons accélèrent
durs. Le fait de déléguer notre mémoire à des
de plus en plus et ne cesseront plus d’accélérer.
machines pose des questions, à l’Histoire -
Cette accélération de l’histoire nous met dans
avec un H majuscule - mais pas seulement.
une situation extrêmement complexe, parce
Une question qui n’a pas encore été posée est
nous n’avons pas encore (et peut-être ne l’au-
celle de l’oubli, car la machine n’oublie pas !
rons-nous jamais), la capacité d’analyser les
Or, l’histoire de l’humanité est nécessairement
choses à la vitesse de la machine.
une histoire de l’oubli. La diplomatie est une
Stéphane Paoli
Il n’existe plus aujourd’hui un seul cerveau hu-
histoire de l’oubli. Sans l’oubli, beaucoup de
Journaliste salué et reconnu pour
main capable de gérer l’économie en temps
choses deviennent impossibles. Et puisque
son professionnalisme et son
réel. Seuls les algorithmes peuvent le faire, et
les machines n’oublient pas, qui décidera de
exigence, Stéphane Paoli est l’une
encore, ils rencontrent parfois des difficultés de
ce qui doit être oublié ? Au nom de quoi ? La
des grandes voix de France Inter
calcul.
mémoire devient déjà une question politique.
depuis 1994.
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Le troisième film ou niveau de tentative de des-
2000 pouvait être interprété par les ordinateurs
d’une extrême complexité. Le temps dont nous
La simplification est-elle possible ?
cription du monde dans lequel nous sommes,
comme un passage à l’an 1000. Le bug n’a pas
avons besoin pour comprendre disparaît. Nous
Il n’y a rien de plus difficile que la simplification.
sera le chaos, au sens physicien du terme. Au-
eu lieu. En revanche, ce qui est plus fréquent,
voilà confrontés à un paysage mondial sidérant
La matière première du XXIe siècle ce n’est pas
jourd’hui, quel que soit le fait, où qu’il inter-
c’est l’utilisation par certains de cette mise en
sans avoir même le temps de simplement nous
le pétrole, c’est l’information. Il y aura de plus
vienne, dès qu’il existe, il entre en interaction
réseau planétaire avec des conséquences dra-
demander : «Qu’est-ce que cela veut dire ? Que
en plus d’informations, de métiers créés autour
avec beaucoup d’autres choses. Et ce, avec ou
matiques. À l’exemple de la paralysie de l’Esto-
sommes-nous en train de faire ?»
du transport de l’information. Alors comment
à cause des technologies comme internet et
nie qui a eu lieu il y a deux ans. En quelques
Ce décalage entre ce que nous faisons et ces
simplifier cela ? De mon point de vue, il n’y a pas
la mise en réseau. Par exemple, WikiLeaks. Ce
minutes seulement, un pays tout entier s’est
outils que nous fabriquons pose question. Ils
d’autre moyen que de temporiser, de remettre
n’est pas simplement un transport d’images
retrouvé dans l’incapacité de fonctionner : plus
nous regardent et interrogent notre humanité.
des séquences d’analyse dans tous les raison-
ultra-rapide, une ouverture de l’information
d’aéroports, plus de gares, plus d’hôpitaux,
La posture ontologique confrontée à la struc-
nements.
à des champs qui nous étaient jusqu’alors
plus de feux rouges, plus de distributeurs auto-
ture strictement mécanique, électronique,
interdits comme la diplomatie, la politique
matiques de billets, plus rien...
technologique. On n’a jamais connu dans
L’enjeu de la réception
l’histoire de l’homme un rendez-vous de cette
Il y a un mot magnifique qui est celui de ré-
Autour des propos de Jeremy Rifkin
nature. Même si Virilio a pu vous paraître ca-
ception. Je suis laïc militant, je le précise, mais
voir comment nous allons pouvoir gérer cette
interviewé dans le film
tastrophiste, l’immense générosité de la prise
ce mot est utilisé par l’Église. La réception du
image du monde qui est une accélération. On
Il y a des choses très intéressantes dans les pa-
de risques de ses interrogations me rend cet
Concile de Trente, qui a été le dernier grand
peut tout savoir ou presque tout, tout de suite
roles de Jeremy Rifkin. Tout d’abord, lorsqu’il
homme sympathique. Même s’il pousse le rai-
concile ayant précédé Vatican II, a duré cinq
ou presque. Et disparaît alors la séquence de
fait référence aux différentes révolutions indus-
sonnement aux limites de ce qu’il peut être. Le
siècles. Pendant cinq siècles des hommes se
réflexion qui nous permet de comprendre.
trielles. Elles ont été chacune des marqueurs de
trou noir est, Dieu merci, improbable, mais il
sont rassemblés pour réfléchir au sens, faire
Si nous n’apprenons pas à vivre dans un monde
l’accélération de l’histoire. Lors de la première
n’est pas absolument impensable. C’est pour
une analyse critique du Concile de Trente, une
où les événements interagissent de manière
révolution industrielle au XIX siècle, l’unité de
cela que Virilio s’engouffre dans cette brèche et
décantation, une quête de sens, une instru-
tellement improbable, alors il y a beaucoup
temps était la minute. Pour la deuxième ré-
tire cette théorie de l’accident intégral. Un peu
mentalisation politique aussi, comme toujours.
à craindre. Avec le risque de voir intervenir la
volution industrielle, c’était la seconde. Nous
seul contre tous ■
De cinq siècles pour la réception du Concile de
tentation de déléguer la gestion de ce monde
sommes dans la troisième révolution indus-
Trente nous passons à la réception Google. A
à des machines. Elles seront peut-être plus per-
trielle, les unités de référence sont la nanose-
l’instant où vous posez une question, vous cli-
formantes, mais il y aura un effacement de l’on-
conde et la picoseconde. La différence avec les
quez et Google vous répond instantanément.
tologique, un recul de l’humain et des enjeux
unités précédentes est que la nanoseconde et
Mais ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible.
de l’humanité. Il ne s’agit pas d’être pessimiste,
la picoseconde ne sont plus concevables par
Même si Google dispose d’une masse immense
bien au contraire.
un esprit humain. Nous sommes désormais
de données qu’aucun cerveau humain ne peut
régis par des unités de mesure que notre cer-
traiter aussi vite, Google ne prendra jamais le
secrète, etc. C’est une image du monde tel
qu’il fonctionne désormais. Et c’est à nous de
e
La théorie de l’accident intégral
veau ne peut pas envisager. Nous avons bas-
temps de réinscrire un fait dans un continuum.
Paul Virilio est une figure hors du commun, un
culé dans une abstraction absolue. Et c’est
Il faut s’emparer de l’enjeu de cette réception.
penseur original et très attachant. Il passe pour
intéressant de voir que ce passage s’opère pré-
Il ne faut pas repousser le progrès, mais face
un pessimiste désespéré. Ce qu’il n’est absolu-
cisément au moment où nous entrons dans un
à cette vitesse du progrès, nous nous devons
ment pas. C’est un très grand croyant. C’est son
temps qui est une vraie révolution culturelle.
de défendre notre propre humanité. Nous
affaire, mais sa foi est une forme d’espérance
C’est pour cela qu’il y a une tentative de com-
sommes les héritiers d’un temps où la pensée
permanente pour lui. Il libère quelque chose
paraison avec le Quattrocento et la perspective
de l’homme était synchronisée au pas du che-
qui relève de cette sérénité d’une inscription
dans la peinture. C’est la pensée du monde en
val. La picoseconde ou la nanoseconde nous
dans l’éternel. Il dit des choses qui dérangent
profondeur, là où on le pensait à plat. C’est une
met hors de notre humanité et risque de don-
beaucoup. Par exemple, quand on invente
façon de considérer le monde et donc l’autre,
ner raison à Kubrick dans le final de son film
l’avion, on invente le crash. Quand on invente
dans une géométrie différente.
2001, l’Odyssée de l’espace : le temps arrivera où
il faudra débrancher l’ordinateur sinon c’est lui
le bateau, on invente le naufrage. L’invention
226
de cette mise en réseau est peut-être ce que
Aujourd’hui, le saut technologique est sans
qui nous débranchera...
Paul Virilio appelle l’accident intégral. On en a
commune mesure avec ce qu’a été le Quat-
Aujourd’hui, on voit les enjeux qui se posent
eu quelques préfigurations. Souvenez-vous du
trocento. Nous basculons dans un univers vir-
lorsque l’on doit prendre une décision techno-
bug de l’an 2000. Tout le monde craignait que
tuel multidimensionnel. Mécaniquement, cela
logique. A l’exemple d’un pilote d’avion qui se
la planète soit paralysée simplement parce
nous emmène dans une pensée complexe au
trouve dans une situation critique. Qui prend la
qu’un petit calcul informatique n’avait pas été
sens où Edgar Morin l’entend, où tout bouge
décision de remettre l’avion dans une forme de
prévu dans les machines. Le passage à l’an
en même temps. La grille de lecture devient
stabilité ? Est-ce le pilote qui prend le manche
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pour essayer de redresser l’appareil ou ap-
Jusque-là, la monnaie de référence est la livre
que ceux qui sont à l’échelon le plus bas ? N’y
Dans cette église, Virilio et Parent ont réussi
puie-t-il sur des boutons pour déclencher des
Sterling, avec la banque d’Angleterre, première
a-t-il pas des systèmes à rééquilibrer, en remet-
quelque chose qui n’est pas loin d’une sym-
process électroniques pour tenter de remettre
banque centrale au monde. Avec la révolution
tant de la durée dans le protocole ?
phonie de Mahler ou d’un concerto de Mozart.
l’avion en bonne position ?
industrielle du XIXe siècle, les Américains ar-
Je pense que la racine de cette accélération est
Il y a là quelque chose de plus, qui relève de
Je suis moi-même confronté à cette problé-
rivent. Après la guerre de 1914, c’est le dollar
mécaniquement liée à la vitesse de l’économie
l’indicible. C’est un lieu qui nous dépasse.
matique au quotidien dans mon métier de
qui prend le pas sur la livre Sterling. La guerre
et de la finance.
journaliste. Quand je suis en studio avec un
a été un incroyable accélérateur de la mise en
Certains lieux sont sidérants. Lorsque nous
Virilio est pessimiste. Il y aura bien une échappa-
écran d’ordinateur en face de moi où défilent
place de nouveaux systèmes de production.
sommes arrivés au CERN pour filmer le colli-
toire. Qu’en pensez-vous ?
en continu les dépêches du monde entier. Et il
À partir du moment où cette machine écono-
sionneur de hadrons, nous étions dans un lieu
Vous avez raison, il faut être optimiste. A l’in-
faudrait que je sois capable d’expliquer à la se-
mique décolle, elle va petit à petit secréter sa
incroyable. Avec une machine ronde énorme,
verse de vous, je ne pense pas que Virilio soit
conde ce qui se passe ? C’est impossible ! Il n’y
propre règle du jeu. Et la seule règle du jeu de
trois fois la taille de Notre-Dame, à cent mètres
pessimiste, même s’il a des propos alarmistes
a pas un seul journaliste au monde qui peut le
l’économie, c’est sa rentabilité. On l’a vu dans
de profondeur. J’ai vu un homme sortir d’un en-
et catastrophistes. C’est là que Jean Nouvel a
faire. Il faut accepter de dire : «Je ne comprends
le film, on passe alors d’une économie inscrite
chevêtrement de câbles comme s’il sortait de la
raison, il a une certaine forme de coquetterie,
pas ce qui se passe, on en reparle demain ma-
dans un processus lent (tout chef d’entreprise
forêt vierge. Il y a une telle densité de câbles et
ça le fait rire d’être l’imprécateur. Il a besoin de
tin.» Il y a de notre part à nous, hommes et
sait qu’investir pour son entreprise est un
l’on se dit alors qu’un seul bug là-dedans pour-
petites béquilles pour tenir sa posture philoso-
femmes de communication, une grande fragi-
temps long, un pari sur la durée) pour arriver
rait faire sauter Genève ! On imagine que l’en-
phique et la solitude dans laquelle elle le place.
lité. On n’a pas pris le temps de se demander
insidieusement au champ de la finance. Et
droit est secret. Mais non ! Tout ce qui se passe
Je suis comme vous, je veux croire en l’Homme.
si, face à ces outils, nous étions réellement en
c’est là que les accidents arrivent, parce que
ici est en accès libre sur internet. «En tant que
Ce n’est pas la première fois que l’humanité
situation de les maîtriser.
la finance, c’est la spéculation, des bulles suc-
chercheurs, la seule chose qui nous intéresse et
est confrontée à des révolutions culturelles
Chaque matin vous allez écouter la radio, on va
cessives. Ceux qui ont inventé l’économie mo-
de savoir comment cela marche, il n’y a pas de
et technologiques. Quand je regarde mon pe-
vous parler de la Tunisie, de l’Algérie mais on ne
derne, les Américains, vont petit à petit passer
secret», nous a-t-on dit. Tout est transparent.
tit-fils, je vois un mutant. C’est une génération
vous dira jamais qu’il va falloir beaucoup plus
d’un système économique qui s’appuyait sur le
Ouvert à tous ! C’est un bel exemple de simplifi-
qui a un rapport au réel et au virtuel qui me
de temps pour comprendre réellement ce qui
produit industriel et le travail, à la spéculation.
cation, mais elle est très complexe car pour en
laisse sans voix. Je ne sais pas le suivre sur ce
est en train de se passer. On a tort de ne pas
L’économie américaine ne fonctionne plus que
arriver là, il a fallu passer par-delà les enjeux de
terrain. Mais c’est normal, je ne suis déjà plus
vous le dire.
de bulle en bulle. Certaines scènes sont tour-
recherche, les egos de chercheurs, etc. Peut-
dans son monde à lui. La réponse, ce n’est pas
Mais c’est aussi le résultat de l’image du monde
nées à Wall Street. J’y étais et j’avais en face de
être que ce type de simplification nous permet-
moi qui vais l’avoir, ni Virilio, mais c’est la gé-
L’Université du Désastre, Galilée, 2007.
telle qu’elle s’impose à nous aujourd’hui :
moi un responsable de la première place finan-
tra de mieux comprendre le monde dans lequel
nération des enfants qui, aujourd’hui, ont entre
vitesse, rentabilité immédiate, retour sur inves-
cière mondiale. Je lui ai dit : «Mais comment
nous vivons aujourd’hui.
huit et douze ans.
Le grand accélérateur, Galilée,
«Espace critique», 2010.
tissement, la technologie coûte cher, bataille
faites-vous ? On va droit dans le mur». Il m’a ré-
de l’audience, etc. On est comme les médecins
pondu : «Oui, c’est vrai, ça ne va pas fort, mais on
A propos de la sémiologie de l’espace
de Molière : c’est l’image de notre vanité collec-
va faire comme on a toujours fait. On va sortir de
De Rosnay est filmé dans le lieu où il travaille,
tive. Le problème est que cela ne veut pas dire
la bulle et accepter une fois de plus de faire du
c’est-à-dire à la Cité des Sciences à Paris. Son
grand-chose. On est dans cette vrille complexe.
déficit pour relancer la machine. Cela va repartir
bureau est devant la grande sphère. Je n’ai pas
C’est à ce sujet que Virilio, tel un guetteur nous
et on fera à nouveau une bulle». C’était en 2008.
choisi cette sémiologie. Ni pour Jeremy Rifkin,
met en garde, je trouve que c’est un homme
«Et quelle sera la prochaine bulle ?» lui ai-je de-
que l’on voit dans son bureau incroyable au mi-
qu’il faut entendre.
mandé. «Probablement les terres agricoles». Et
lieu d’un bazar inouï avec un téléphone datant
bien, on y est en effet, regardez la spéculation
de Mathusalem. L’église2 que l’on voit dans le
Que fait-on de tout cela ? Quels sont les outils
sur les matières premières. On n’est plus dans
film m’a beaucoup troublée. J’ai eu un senti-
pour reprendre la main ?
le temps long, on est dans le temps immédiat.
ment de spiritualité, de calme et d’harmonie
Parmi les nombreuses réponses proposées,
Au fond, pour répondre à votre interrogation, la
en y entrant, alors que l’on est dans un bloc
l’une apparaît en filigrane dans le film. Si l’on
première question à se poser n’est-elle pas de
de béton. J’aime beaucoup les églises et les
cherche les racines de l’accélération, on les
changer de modèle dans une société où la ren-
monastères. J’ai visité l’abbaye de Cîteaux et
trouve dans la révolution industrielle qui com-
tabilité impose la disparition du temps ? Peut-
il m’a semblé que c’était le MIT3 du bas Moyen
mence au XIX siècle. Elle nous entraîne vers
être que la première réponse serait politique.
Âge. Les moines de Cîteaux lisent et écrivent.
des modes de production différents, c’est le
Mais le G20 et le G8 vont-ils vraiment se poser la
Pendant que certains commencent à écrire,
fordisme et la possibilité pour chaque paysan
question de la régulation, de la redistribution,
le soft, d’autres montent les murs, le hard. Ils
américain d’avoir une voiture pour aller dans
de l’équité ? Est-il normal que dans une en-
iront ensuite ensemencer toute l’Europe de
son champ. C’est la mise en place d’un système
treprise des hommes et des femmes gagnent
leurs connaissances. La comparaison n’est pas
économique qui portera l’essor des États-Unis.
deux cents, trois cents, quatre cents fois plus
absurde.
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Paul Virilio,
Vitesse et Politique, Galilée, 1977.
La Bombe informatique : essai sur les
conséquences du développement de
l’informatique, Galilée, 1998.
Ville Panique : ailleurs commence ici.
éd Galilée, 2003.
(1) Paul Virilio, penser la vitesse, réalisé par Stéphane
Paoli, 2009, DVD Arte Éditions, 90mn.
(2) Sainte-Bernadette du Banlay, conçue par Paul Virilio
et Claude Parent.
(3) Massachusetts Institute of Technology, célèbre université américaine de l’état du Massachusetts, près de
Boston.
229
Les conséquences de la mondialisation
sur l’aménagement du cadre bâti
et l’identité des sociétés humaines
Françoise Choay
b i b l i o g r a p h i e
L’Urbanisme, utopies ou réalités
Ni plans, ni images pour comprendre
l’invention de l’urbanisme, mais simplement les textes fondateurs. C’est
ainsi que Françoise Choay présente
trente-sept auteurs (européens,
américains et russes) dont les écrits,
publiés depuis la révolution industrielle, ont participé à faire entrer
l’urbanisme dans l’histoire des idées.
Cette anthologie est aussi une interprétation de l’histoire dans laquelle
l’auteur discerne deux périodes et
deux modèles : le pré-urbanisme des
penseurs politiques sociaux (Ruskin,
Marx, etc.) et l’urbanisme des praticiens (Garnier, Sitte, etc.) ;
le culturalisme passéiste et le
progressisme, tourné vers l’avenir.
L’Urbanisme, utopies ou réalité,
Seuil, «Points Essais», 1979.
10 février 2011
Françoise Choay est la grande théoricienne de l’urbanisme, en France.
Historienne militante des théories de l’aménagement spatial et de l’urbanisme,
son ouvrage Pour une anthropologie de l’espace, lui a valu le Prix du livre
d’architecture de l’Académie d’architecture en 2007.
Depuis longtemps, elle s’est penchée sur la question du patrimoine bâti. Elle
cherche désormais à évaluer les incidences de la révolution électronique et de
la mondialisation sur l’espèce humaine et son destin. Dans cette optique, elle
abordera en particulier la question des territoires et de leurs spécificités, dans
l’esprit de son livre La terre qui meurt.
Commençons par définir le contenu du
En effet, les humains sont des êtres vivants qui,
ne saurait être autre chose que la coalition, à
concept de mondialisation. L’ensemble de la
comme tous les animaux et végétaux, sont in-
l’échelle mondiale, de cultures préservant cha-
planète parle aujourd’hui de globalization.
dissociables d’un contexte climatique et géolo-
cune son originalité.»
Ce terme a été lancé par le canadien Marshall
gique. Ils sont en outre dotés d’une spécificité,
Il n’est donc pas surprenant que cet article ait
McLuhan pour définir ce qu’il appelle le village
la fonction symbolique représentée par le lan-
été écrit pour dénoncer la politique culturelle
global, autrement dit l’avènement de l’ère élec-
gage articulé.
de l’Unesco qui allait s’approprier les théories
tronique qui, selon lui, permet l’unification de
Les travaux des anthropologues ont mis en
d’André Malraux, lancer la conception de pa-
toutes les cultures du globe terrestre. Il s’agit là,
évidence deux particularités de cette fonction
trimoine mondial et lui conférer sa valeur éco-
en effet, d’une révolution culturelle sans précé-
symbolique.
nomique. (Je rappelle, pour symbole de cette
dent depuis la sédentarisation de notre espèce
Premièrement, celle-ci ne peut s’exercer que
marchandisation, que l’Unesco a reçu en 2008
à l’âge néolithique.
par la médiation d’artefacts matériels. En ef-
le Grand prix international de l’industrie touris-
Cependant, je préfère pour ma part une termi-
fet, la parole est volatile. Tandis que je vous
tique.)
nologie plus précise et épistémologiquement
parle, mes mots s’envolent. Vous les compre-
Mais il est temps de conclure positivement.
incontestable, c’est-à-dire non inféodée à une
nez, certes, sur le moment. Mais, s’ils ne sont
Autrement dit, quelles mesures prendre au-
idéologie. Tout d’abord, je qualifie ladite ré-
pas fixés matériellement, mon discours sera
jourd’hui pour éviter la robotisation des
Françoise Choay
volution d’électro-télématique, adjectif qui me
voué à l’anéantissement. Les humains, sans
cultures en conservant leur identité ? Le pro-
est titulaire d’une thèse de
permet d’y intégrer les réseaux matériels des
exception, c’est là un «universel culturel », ne
blème, comme celui des langues, réside dans
Doctorat d’État dirigée par André
nouvelles voies de communication promues
peuvent survivre que grâce à ces supports de
la conciliation et le respect simultané de la
Chastel, soutenue en 1978 et
par l’urbanisme de branchement.
la mémoire sociétale, dont la diversité s’étend
conservation du passé et de l’innovation. Un
publiée aux éditions du Seuil
Ensuite, je refuse de désigner par le substantif
de la pierre levée au livre en passant par les sta-
troisième terme s’impose alors : l’élimination
en 1980 sous le titre La règle
de technologie (dont l’étymologie laisse croire
tues totémiques, les tombeaux, les temples, les
de l’héritage périmé.
et le modèle, sur la théorie de
à une science) l’instrument purement tech-
églises, etc.
De ce véritable combat pour la vie, Nîmes, forte
l’architecture et de l’urbanisme,
nique qui permet la communication instanta-
Deuxièmement, les cultures humaines pro-
de son précieux legs de la romanité, nous offre
(rééditée en 1996). Elle a enseigné
née par ordinateur, radio, téléphone portable
gressent en se différenciant les unes des
un cas paradigmatique ■
à Paris-VIII, à Louvain-la-Neuve,
etc., dont il n’est pas question de contester la
autres. La différence est une marque d’identi-
au Politenico de Milan, à l’École
valeur pratique, instrumentale.
té. Claude Lévi-Strauss l’a démontré en termes
de Chaillot et aux États-Unis (MIT,
Dès lors, quelles conséquences attribuer à la
inoubliables, dès 1952, dans son article Race
Ce texte est une synthèse
Princeton, Cornell). Par ailleurs
pseudo technologie qui semble aujourd’hui
et histoire dont je citerai seulement les lignes
rédigée par Françoise Choay
critique d’art et directrice de
régner sans partage sur notre planète entière ?
finales : «Il n’y a pas, il ne peut y avoir, une ci-
collection au Seuil, elle a reçu pour
Réponse : le suicide de notre espèce au profit
vilisation mondiale au sens absolu que l’on
son œuvre le premier Grand Prix
d’un monde virtuel qui l’éloigne chaque jour
donne à ce terme, puisque la civilisation im-
national du livre d’architecture
davantage de l’espace et du temps réels, en
plique la coexistence de cultures offrant entre
en 1981 et le Grand Prix national
d’autres mots, de sa congénitale insertion dans
elles le maximum de diversité, et consiste même
la durée et dans l’espace physique.
en cette coexistence. La civilisation mondiale
du patrimoine en 1995.
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L’Allégorie du patrimoine
Conserver et protéger le patrimoine
architectural et urbain est devenu
aujourd’hui une pratique universelle.
Françoise Choay restitue dans cet
ouvrage l’invention des notions
occidentales de monument et de
patrimoine historiques. Sur les
traces d’André Chastel (La Notion de
patrimoine), à qui est dédié ce livre,
l’auteur enquête sur l’histoire de
ces notions depuis les Humanistes
jusqu’à l’âge de l’industrie. Une étude
menée sur près de cinq siècles pour
comprendre le passage du culte des
monuments au culte du patrimoine.
L’Allégorie du patrimoine,
Paris, Seuil, 1992, réédité en 1996.
Dictionnaire de l’urbanisme
et de l’aménagement
Qu’est-ce que l’urbanisme et pourquoi un dictionnaire de l’urbanisme
et de l’aménagement ? «L’urbanisme
n’est-il pas à la fois théorie et pratique,
solidaire du projet de société dans
son institution imaginaire comme
dans ses institutions réelles, tributaire
de savoirs multiples, scientifiques ou
non, de savoir-faire, traditionnels ou
novateurs, de coutumes et d’habitudes ?» s’interroge Françoise Choay.
L’aménagement est une discipline de
l’espace, ou des espaces, car on peut
disposer avec ordre à l’échelle du territoire, voire de la planète, comme à
celle de la plus petite unité physique...
L’aménagement est donc inséparable
de l’histoire, du patrimoine comme
de la prospective. «L’aménageur ne
peut être inculte, il doit être imaginatif»
précise Pierre Merlin. Interventions
volontaires de l’homme sur son
environnement, l’urbanisme comme
l’aménagement, sont des disciplines
nécessitant une praxis plurielle, une
action au cœur de laquelle se retrouvent les pratiques des architectes,
des élus et responsables administratifs, mais aussi des juristes, des historiens et des citoyens. Autant dire que
plusieurs disciplines sont associées
dans ce «champ de faction humaine,
pluridisciplinaire par essence, ancré
à la fois dans le passé, le présent et
l’avenir.» Un dictionnaire s’avère in-
dispensable pour ordonner et donner
un sens aux mots et concepts utilisés.
La quatrième édition entièrement
revue et augmentée, propose une
information professionnelle replacée
dans une perspective transdisciplinaire, doublée d’une présentation des
problématiques actuelles.
Dictionnaire de l’urbanisme et de
l’aménagement, avec Pierre Merlin,
PUF, Quadrige Dicos Poche, 1989,
4ème édition 2010.
Pour une anthropologie
de l’espace
Dans cet ouvrage, Françoise Choay
livre une anthologie d’articles novateurs et fondamentaux sur les figures
multiples de la spatialisation et de
son histoire : architecture, urbanisme, aménagement, protection
du patrimoine, modalités selon
lesquelles les sociétés humaines
construisent et vivent leur environnement spatial. Ces articles, écrits
au fil des vingt dernières années,
découvrent progressivement un
propre de l’homme, la compétence
d’édifier, et les enjeux majeurs dont
cette compétence est dépositaire à
l’heure de la mondialisation.
Pour une anthropologie de l’espace,
Paris, Seuil, 2006.
Le patrimoine en questions.
Anthologie pour un combat
Cette anthologie engagée regroupe
les documents essentiels qui, du XIIe
au XXe siècle, nous permettent de
comprendre comment a émergé et
s’est développé le souci de la préservation des édifices ; mais surtout
les confusions et les amalgames
dangereux qui sont attachés à la
notion de patrimoine, omniprésente
aujourd’hui. Françoise Choay désigne
le combat qu’il faut mener, en cette
époque de mondialisation, contre
tout ce qui tend à transformer notre
cadre bâti en simple objet de profit,
ou de musée.
Le patrimoine en questions.
Anthologie pour un combat
Paris, Seuil, 2009.
La Terre qui meurt
Quel avenir pour le territoire alors
que son aménagement n’est plus
considéré comme le socle de nos
sociétés ? Cri d’alarme fondé sur une
réflexion qui demeure à la pointe
de l’actualité, La Terre qui meurt,
concerne chacun d’entre nous.
Du tissu serré d’où émergent les
cathédrales gothiques, des percées
haussmanniennes aux villes
nouvelles, puis aux agglomérations proliférantes d’aujourd’hui,
Françoise Choay pointe à chaque
occasion comment les mentalités, les
savoirs techniques et les pratiques
économiques ont marqué la ville et
l’urbain. Face aux effets normatifs de
la mondialisation et à la marchandisation du patrimoine, elle appelle
à retrouver le contact perdu avec
la Terre. La Terre qui meurt, Paris,
Fayard, 2011.
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Où vont les villes ?
Olivier Mongin
15 mars 2012
Comment dissocier aujourd’hui une réflexion sur la ville dans l’Hexagone
ou en Europe d’une prise en considération de ce qu’il faut bien appeler la
Une ville, c’est donc un espace qui peut mar-
banisation que l’État est obligé de contrôler
mondialisation urbaine ?
quer des limites de manière à intégrer politi-
l’identité urbaine.
quement ceux qui veulent y habiter.
Nous sommes donc face à plusieurs paradoxes.
Une ville classique, c’est pour l’écrivain Julien
L’expérience urbaine européenne n’est pas for-
ou internes, mais re-territorialiser la question urbaine, refaire de la ville à l’heure
Gracq dans son ouvrage La forme d’une ville, un
cément celle de l’avenir du monde. Faut-il alors
de ce qu’on appelle l’urbain généralisé, l’urbain diffus ou même l’après-ville.
grand roman républicain, l’espace d’intégra-
renoncer à l’expérience urbaine des villes euro-
tion politique par excellence. Et c’est selon lui
péennes ?
Tel est le défi contemporain : non pas sauver la ville face aux pressions externes
Pour donner sens à toutes ces questions, elles seront abordées par des exemples
par l’école, par le lycée que s’effectue l’intégra-
en Europe, Chine ou Amérique latine.
La mondialisation urbaine :
tion. Une ville, c’est un centre, une périphérie,
un monde de flux immatériels
avec un jeu permanent entre les deux.
Préambule
Elle dit les choses très clairement : aujourd’hui
A l’heure de la globalisation et de la mondia-
nous ne sommes plus dans un monde de la
lisation, une question se pose : comment
ville, nous sommes dans un monde de l’après-
faire la ville ? A partir d’exemples en Chine, en
ville. Il existe donc un vocabulaire post-urbain
Amérique latine, aux quatre coins du monde,
qui donne l’impression que la ville a disparu.
je vous propose de découvrir ce qui se fait ailleurs. Je vous parlerai donc de la mondialisa-
L’expérience urbaine européenne
tion urbaine et de ses tendances lourdes en
Dans mon livre, La condition urbaine, la ville
précisant d’emblée que nous vivons dans un
à l’heure de la mondialisation , j’ai essayé de
monde local avec ses problèmes propres, aux-
montrer l’état de la mondialisation urbaine et
quels viennent s’articuler ceux du monde glo-
la manière dont l’expérience urbaine s’exprime.
bal. S’il existe des tendances lourdes qui sont
D’un côté, il y a la mondialisation urbaine et
effectives, il n’y a pourtant que des cas singu-
de l’autre côté, une crise de l’expérience ur-
liers.
baine qui survit cependant, dans le contexte
2
de la ville européenne et de villes historiques
Une question de vocabulaire
comme Bologne ou Nîmes.
Les limites qui sont donc administratives et
On peut faire un premier constat : la mondiali-
urbaines relèvent également de l’imaginaire et
sation n’est pas qu’un problème économique.
du mental. Il n’y a pas de ville au monde qui ne
Si le phénomène le plus percutant est celui de
raconte pas un récit, même s’il se mélange avec
l’urbanisation et de la métropolisation, nous dit
d’autres récits de villes. Car toutes les villes
un rapport de la DATAR (Délégation interminis-
s’entrelacent entre elles, ce que montre Italo
térielle à l’aménagement du territoire et à l’at-
Calvino dans Les villes invisibles.
tractivité régionale), la question des nouvelles
technologies est centrale. Nous ne sommes
La problématique centrale de la limite
pas encore sortis du monde industriel que déjà
Le problème de la limite est donc au centre de
nous sommes portés par les nouvelles tech-
la réflexion. Il touche les acteurs politiques, il
nologies. Cela n’est pas sans poser un certain
nous touche tous, avec cette question : quelles
nombre de questions par rapport à l’espace.
sont les limites de l’espace où j’habite ? Le pro-
Les flux sont à la fois immatériels et matériels.
blème de la limite est à l’origine des débats sur
La manière dont s’organise le virtuel, c’est au-
les collectivités territoriales, la ré-aggloméra-
jourd’hui la manière dont les territoires sont
tion, les métropoles.
en train de s’organiser à l’échelle mondiale. Le
Où commence la ville ? Où se termine-t-elle ?
monde virtuel est un monde liquide, sans limites,
Dans l’urbain généralisé, celui de l’après-ville, il
maritime, anglo-saxon. De nombreux cher-
n’y a justement plus d’entrée ni de sortie. Nous
cheurs représentent le monde d’aujourd’hui
avons un bel exemple avec le film américain
comme un monde liquide. Je rappelle au pas-
Collateral de Michael Mann : on ne sait jamais
sage que 90 % du commerce mondial est mari-
quand on entre, ni quand on sort de la ville de
time, sans obstacles physiques, sans frontières
Los Angeles.
ni murs. Le monde virtuel contemporain est un
Je vous parle de l’après-ville et de l’urbain gé-
monde de flux et de liquidité. C’est un monde
néralisé mais du côté d’ONU-Habitat - le pro-
de navigateurs et d’internautes où l’on ren-
gramme des Nations unies qui réfléchit au de-
contre des pirates.
venir de la ville à l’échelle mondiale - on nous
Le monde entier est pris dans cet univers puis-
dit que le XXIe siècle sera le siècle des villes. La
sant de flux immatériels, qui est de plus en plus
Je commencerai par évoquer les problèmes de
Bologne est toujours montrée comme le site
vocabulaire. Non pas pour jouer avec la séman-
parfait d’une ville historique qui a réussi à re-
tique, mais parce que ce qui me frappe le plus,
coudre sa périphérie et son centre historique.
en discutant avec les urbanistes et les archi-
C’est d’ailleurs à propos de Bologne qu’on a
tectes, c’est que le langage part dans tous les
parlé de «nouvelle culture urbaine ».
sens. Il est technique, juridique et très normé
Mais une question se pose : peut-on accepter,
puisqu’il y a des codes. Cette question du voca-
ici, l’idée que nous sommes dans un monde
bulaire me semble importante. Je citerai Cerdà
de l’après-ville ? Cela peut en choquer beau-
qui a écrit le premier manuel d’urbanisme ap-
coup. La question est plutôt de se demander
Olivier Mongin
pliqué à Barcelone en 1857 qui commence par
comment refaire de la ville, c’est-à-dire de
Philosophe et essayiste, il dirige
un glossaire. Un glossaire, histoire de savoir de
l’expérience urbaine (du corps, de la scène, de
depuis 1989 la revue Esprit, qui
quoi l’on parle. David Mangin, auteur d’un livre
l’espace public) dans un monde de l’après-ville.
question de l’urbanisation galopante conjugue
rapide car la question de la vitesse est centrale.
joue un rôle considérable dans
intéressant sur l’urbanisme contemporain : La
toujours l’ambiguïté urbain-urbanité.
Mais ce monde des flux immatériels peut aider
la vie intellectuelle française et
ville franchisée1, qui décrit l’urbanisme sectori-
Qu’est-ce qu’une ville pour un Européen ?
C’est un problème fondamental à l’échelle
à comprendre la réorganisation des territoires.
européenne.
sé et sécuritaire, à l’échelle hexagonale et mon-
C’est d’abord une ville médiévale, c’est l’éman-
mondiale, pourtant, bizarrement, on nous
Celle-ci est analogue à la manière dont fonc-
Éditeur, vice-président du
diale, commence lui aussi par un glossaire. On
cipation communale, c’est le dé-assujettisse-
donne comme modèle la ville harmonieuse
tionne aujourd’hui la société en réseaux. Cela
pourrait en citer beaucoup d’autres...
ment.
chinoise. Le modèle s’est très bien vendu.
remet en cause des points extrêmement impor-
Il faut donc avant tout se poser ces questions :
Si l’expérience urbaine est politique d’entrée
Mais il faut savoir que c’est l’État qui contrôle
tants, surtout en France : le rapport centre-péri-
comment parle-t-on et de quoi parle-t-on ?
de jeu, elle s’articule au commerce et à l’univer-
là-bas, qu’il existe une carte d’identité urbaine
phérie a cessé d’être le plus déterminant, nous
revue Urbanisme, il enseigne
Je vais me simplifier la tâche en évoquant
sité. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, via le
en Chine, c’est-à-dire que tout le monde ne
sommes entrés dans une société horizontale
également à l’École nationale du
Françoise Choay, grande historienne de l’urba-
projet du Grand Paris, on redécouvre le rôle de
devient pas urbain en quittant simplement sa
et non plus verticale, dans une société de flux,
paysage de Versailles.
nisme, venue l’année dernière à cette tribune.
l’université dans les grandes métropoles.
campagne. Il existe une telle pression de l’ur-
maritime, liquide. Aujourd’hui, les questions
syndicat de la presse culturelle
et scientifique, membre du
comité de rédaction de la
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décisives se situent autour des questions des
problème : que faire d’une forêt aujourd’hui
n’importe où, ni n’importe comment, nous dit
Des villes à plusieurs vitesses
connexions et de la vitesse. Il faut considérer
dans un espace urbain qui s’est constitué au
Lévi-Strauss. Habiter, cela a une signification
Comment le problème de la vitesse se pose-t-il ?
que les connexions et les connecteurs - c’est-
départ contre une forêt ?
fondamentale : la question de l’habiter ne se
Il existe plusieurs types de vitesse. La plus im-
à-dire ce qui accompagne la mobilité, les gares,
Il suffit de voir comment la forêt amazonienne
réduit pas à la question du logement, de mon
portante est la vitesse bateau. C’est elle qui fait
les aéroports, etc. - sont à plusieurs vitesses. Le
est au centre des débats en Amérique du sud.
intérieur. Il n’y a pas d’humain sans possibilité
le plus gros travail, grâce au container. Il joue
territorial s’organise de plus en plus autour des
Est-ce un bien commun mondial ? Appar-
de s’extérioriser et de participer à un monde
un rôle central. Il est multimodal. Il passe du
connexions ; et le matériel et l’immatériel fonc-
tient-elle aux tribus qui l’ont habitée et qui y
commun.
bateau au camion ou au train. Il glisse d’une vi-
tionnent de plus en plus en parallèle.
vivent toujours ou à l’État brésilien ? Notons
au passage que la France possède une partie
Un urbain généralisé vulnérable à l’échelle
trument du flux tendu et du stock zéro, la règle
de cette forêt en Guyane (qui signifie nulle part
mondiale. La vitesse de l’urbanisation
dominante du monde actuel. La première ville
de la mondialisation urbaine
en langage indien). Aujourd’hui, les règles de
La question centrale est celle de la vitesse de
de containers est une petite île émergente, Sin-
Un phénomène planétaire et endogène : c’est
l’ONF sont telles qu’elles interdisent aux Guya-
l’urbanisation. Prenons l’exemple de la ville
gapour. Elle est le plus grand port-container et
la première caractéristique de la mondialisa-
nais toute création d’entreprise dans la forêt.
chinoise de Chongqing au-dessus du barrage
le plus grand chantier naval au monde. C’est là
des Trois Gorges, qui compte 35 millions d’habi-
que tout se passe. Parmi les villes-ports émer-
par exemple ne croissent plus en fonction de
L’urbain généralisé
tants, bâtie en vingt-cinq ans. Des bâtiments s’af-
gentes, on trouve aussi le port de Tanger Med,
l’exode rural, mais en raison de la croissance de
Si nous acceptons ce constat d’urbain géné-
faissent déjà un peu, la construction urbaine y
qui se développe massivement dans l’axe du
la population urbaine.
ralisé, il va donc falloir reconquérir de la cam-
est fragile. Ce sont les Chinois qui s’occupent de
Proche-Orient, contrairement à Marseille.
Un monde interconnecté et mis en réseau. C’est
pagne et de la forêt, reconquérir des paysages
l’urbanisation à Tlemcen en Algérie par exemple,
Je rappelle au passage que nous sommes dans
l’exemple de Nouakchott où l’axe autoroutier
qui ont été urbanisés à outrance, déforestés,
c’est une catastrophe. C’est cela aussi la mondia-
un monde catholique, le monde du solide, de
qui se met en place entre le Maroc et le sud
désertifiés. Ce sont là des questions globalisées
lisation, un deal : on vous donne du pétrole et
l’intérieur, de l’État, qui n’est pas celui d’un
Sahara est en train de réorganiser tout le rap-
car elles concernent l’ensemble du monde.
vous faites en échange du béton, des autoroutes
monde maritime et de ports. Michelet décrit
port au désert dans la région.
L’urbain généralisé est donc planétaire.
et des constructions. Je ne fais pas du tout de
très bien dans La Mer4, le combat entre la ville
Mais dire qu’il y a interconnexion ne veut pas
On l’oublie un peu ici, dans un pays à État
l’anti-chinoiserie mais simplement je pose le
de la Rochelle, protestante et maritime, ville de
dire que tout l’espace est occupé, construit ;
fort. Nous ne sommes pas un pays de villes.
problème de la construction, qui nous ramène à
départ vers le Nouveau monde et celle de Ro-
cela signifie que l’espace est quadrillé de la
Fernand Braudel distinguait en Europe les
Nîmes et à Bologne : cela prend du temps et cela
chefort, une ville de l’intérieur, la ville de Riche-
même manière que l’espace américain était
pays à régime-Ville, comme l’Italie, et les pays
doit tenir longtemps, c’est cela le durable !
lieu et de l’État.
quadrillé par la grille de Jefferson dès l’origine.
à régime-État, comme la France. Dans tous
Lévi-Strauss est à São Paulo en 1935. La ville
Doit-on alors développer une culture mari-
Autre grande tendance : un urbain diffus et acos-
les débats sur les collectivités territoriales au-
compte deux millions d’habitants, contre vingt-
time ? Dans cette question, le débat sur le lit-
mique. Pour le géographe Augustin Berque, fils
jourd’hui, il est question de rééquilibrage État/
deux aujourd’hui. Il y a encore des vaches dans
toral est central. Quelle peut être la place d’une
du grand anthropologue Jacques Berque, l’ur-
villes, sachant que l’État, on l’a vu avec le débat
la rue. Il dit que cela va beaucoup trop vite,
ville comme Nîmes dans un espace entre les
bain diffus ne peut plus faire monde car il ne
sur le Grand Paris, n’est pas prêt à disparaître
que cela ne tiendra pas. Il met là l’accent sur la
Cévennes et la mer ? L’enjeu est de créer une
suscite plus une expérience urbaine.
de la circulation... Nous sommes dans un pays
question décisive qui est la vitesse de l’urbani-
spécificité, surtout dans le contexte de mobilité
La mondialisation urbaine casse le rapport que
où l’État est fort et contrôle assez bien son ur-
sation. Les Chinois l’ont bien compris puisqu’ils
résidentielle attendue dans la région.
nous avions au monde urbain.
banisme, peut-être trop. Voyez le pamphlet
contrôlent l’accès à la citoyenneté urbaine.
Si la vitesse maritime est la plus importante,
Comment l’expérience urbaine européenne
de l’architecte Ricciotti HQE , que tous les
Alors, défendons la ville européenne me di-
elle n’est pas la plus rapide. C’est bien enten-
a-t-elle pu faire monde, se demande-t-il ?
étudiants adorent. Il montre à quel point il est
rez-vous, elle a pris son temps. On le voit bien
du la vitesse avion, mais inutile d’insister car
Le monde urbain a fait monde par rapport à la
devenu impossible pour un architecte de tra-
ici dans les murs de Nîmes, il y a des strates,
elle est très claire. Attardons-nous plutôt sur
campagne comme la campagne l’avait fait avec
vailler compte tenu de toutes les normes qui lui
du palimpseste, de l’histoire qui se raconte.
la vitesse train. Aujourd’hui, c’est la vitesse TGV
la forêt. La campagne s’est conçue par rapport
sont imposées.
Nous aimons ces couches historiques. C’est
qui s’est imposée et le train à grande vitesse
aux limites de la forêt. Selon la conception de
Mais l’urbain généralisé est aussi de plus en
vrai, mais il y a ce mouvement en marche. La
ressemble plus à un habitacle d’avion qu’aux
l’homo urbanus chère à Jacques Le Goff, au
plus informel. Cela veut dire qu’il n’est pas sou-
rupture anthropologique s’est opérée très rapi-
trains à compartiments d’antan. Par exemple,
Moyen Âge, l’espace urbain ne s’oppose pas à
mis partout à des politiques urbaines comme
dement à l’échelle globale. 8 % de l’humanité
la gare de Shanghai réalisée par l’architecte
la campagne mais à la forêt (celle de Michelet
nous le sommes ici. Une ville comme Le Caire,
est urbaine au début du XX siècle, aujourd’hui,
français Jean-Marie Duthilleul (longtemps res-
et de la Sorcière).
c’est 70 % d’informel.
plus 60 % et en 2050 on passera à 70%.
ponsable des gares pour la SNCF) est une gare
Les limites ont donc été très fortement paysa-
Cela pose aussi un problème central, anthro-
Ce différentiel historique et géographique est
aéroport. Comme la gare TGV est le modèle qui
gères. Dans la ville d’Arras par exemple, l’ar-
pologique, celui de l’habiter. Dans une urbani-
très intéressant et nous fait comprendre que
s’impose, les autres gares disparaissent. Les
mée libère aujourd’hui une friche de 75 ha,
sation galopante, aujourd’hui la grande majo-
la mondialisation, c’est le fait que tous ces pro-
chiffres de la SNCF sont explicites. On comptait
avec de beaux bâtiments Renaissance et plus
rité de l’espace urbain est inhabitable, au sens
blèmes soient globalisés. En même temps, on
60 000 km de voies ferrées en 1930, contre 32
de 50 ha de forêt. Le maire est confronté à ce
anthropologique du terme. On n’habite pas
ne vit pas partout à la même vitesse.
000 à ce jour, les voies TGV incluses.
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tesse à l’autre. Il fonctionne partout, il est l’ins-
Les grandes caractéristiques
tion urbaine. Les grandes villes brésiliennes
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Les grands scénarios
La ville globale a désigné ensuite les villes
constructions américaines sont plus aléa-
que j’ai déjà citée. Elle a un récit historique très
Nous ne pouvons pas nous contenter de dire
émergentes, comme Singapour, qui sont de-
toires, plus fragiles, parce qu’on part de l’idée
fort. Mais a-t-elle la capacité de ne pas se lais-
qu’il y a d’un côté l’urbain généralisé avec ses
venues les villes référentielles. Aujourd’hui,
que l’on va se déplacer et qu’on ne prête pas
ser marginaliser ? Sa faiblesse réside peut-être
dérives urbaines, de São Paulo à Kinshasa, que
il existe aussi de toutes petites villes globales
tant que cela attention à la construction. On
dans sa trop grande assurance de survivre dans
c’est invivable et peut-être inhabitable ; et de
émergentes. Buenos Aires par exemple. Elle
cite souvent l’exemple de Los Angeles, à tort
la durée. Dans le monde d’aujourd’hui, elle a
l’autre côté, nos villes européennes qu’il faut
a été l’une des grandes villes industrielles de
je pense, comme l’exemple de la ville nomade
besoin de se greffer sur d’autres entités. C’est
préserver parce qu’elles ont pris le temps de se
l’entre-deux-guerres outre-Atlantique. Une ville
avec l’urban sprawl, l’étalement, très différent
le débat des agglos, du rapport à la Région, du
faire, qu’elles sont durables. Il faut tenir compte
assez européenne dont on disait qu’elle était à
du mitage à la française. La ville nomade se
rôle de l’État.
aussi de la problématique de la vitesse et de la
la fois Rome, Londres et Paris. Grâce aux docks
caractérise par sa capacité à se déplacer dans
limite. Les connexions et la mondialisation des
industriels du nouveau quartier de Puerto Ma-
les territoires, en construisant une ville en plein
L’imaginaire urbain
diverses routes virtuelles et réelles constituent
dero, elle regroupe tous les éléments évoqués
désert comme Las Vegas. Le problème est que
Toute ville a besoin de récit. Prenons l’exemple
aussi le monde d’aujourd’hui. Derrière la ques-
précédemment.
la ville nomade peut se fragmenter très faci-
de Kinshasa. Ici, c’est l’envers du récit de Bo-
tion «Où vont les villes ?», il y a toujours un pro-
Un autre type de ville globale, très émergent
lement. Los Angeles connaît un processus de
logne ou de Nîmes. C’est une ville où l’on n’a
jet urbain, la question de l’imaginaire et celle
aujourd’hui, est ce que j’appelle la ville vitrine,
désincorporation : il est politiquement possible
même pas un abri, un logement. Un anthropo-
de la gouvernance, car la ville, c’est aussi une
la ville branchée, à l’exemple de Dubaï. Sans
de se constituer en corps référendaire, de dé-
logue belge a écrit un livre magnifique, Kinsha-
organisation politique.
trop caricaturer, on peut dire que c’est une ville
cider de se dissocier de la ville et de créer sa
sa : les récits de la ville invisible5, où il montre
Plusieurs scénarios sont mis en avant et cer-
qui n’existe qu’en se branchant sur l’extérieur.
propre unité urbaine de résidents.
que la ville survit uniquement grâce à la capaci-
tains peuvent se passer près de chez nous.
Elle n’a rien à voir avec les habitants de la ville.
L’autre type de ville nomade, c’est la ville
té des habitants à s’inventer des histoires. C’est
Quand on se branche, on se déconnecte de
pieuvre, la ville monde comme Kinshasa. Ce
une ville productrice de récits où il n’y a pas
ceux qui habitent la ville. Cela vaut à peu près
ne sont pas des villes qui se déplacent, ce sont
de gouvernance. Pour mieux appréhender ce
Le scénario de la ville globale
Agglomération, métropole... De quoi parle-t-on ?
pour toutes les villes globales.
des villes qui attirent, très magnétiques, où l’on
qu’est un imaginaire urbain, on peut lire le livre
Difficile de s’y retrouver. Tout le monde fait
Le paradoxe est que partout où l’on a de la
vient s’installer. Elles se plient et se déplient,
d’un historien consacré à la ville de Mazagão6
métropole : l’agglomération, la communauté
matière première, on trouve des villes globales
avec un phénomène de villagisation qui se dé-
qui a été fondée au XVe siècle par les Portugais
d’agglo, deux communes qui se réunissent...
émergentes. C’est le cas des républiques d’Asie
veloppe à l’intérieur de la ville, toujours dans
au Maroc. Subissant les coups des Bédouins,
J’exagère volontairement mais la métropolisa-
centrale, avec la ville d’Astana par exemple. Elle
cette idée d’illimitation, contrairement à la
les habitants ont décidé de partir, la ville a été
tion n’est plus l’indice d’une réalité cohérente.
est en train de constituer une petite ville glo-
Chine.
mise sur un bateau avec quelques habitants et
Commençons par la ville globale. La ville glo-
bale, avec des tours qui veulent dépasser celles
bale s’articule au réseau interconnecté des
de Dubaï !
autres villes globales. Cela ne veut pas dire que
c’est une cité virtuelle, cela veut dire qu’elle a
arrêts à Lisbonne et Belém. Chaque année, on
La ville branchée, la ville de la réussite se donne
Ils sont maintenant assez connus. D’un côté on
fête la refondation de la ville. C’est un exemple
une image captatrice et de carte postale. Elle
trouve la ville hors les murs, la favela, avec des
de l’imaginaire urbain qui est un imaginaire
les éléments permettant de se brancher aux ré-
est dans l’illimitation puisqu’elle rassemble
exemples très contradictoires et tous les scéna-
du déplacement. Chez les Grecs, au départ, la
seaux de la réussite.
toutes les connexions, tout en étant coupée de
rios possibles. Ce n’est pas l’exclusivité de São
ville n’est marquée nulle part, la polis n’a pas
Dans un premier temps, la ville globale concer-
son environnement. Elle est radicalement dé-
Paulo ou de Rio de Janeiro ; à Barcelone, sur
de balise, elle n’a aucune limite administrative,
nait de très grandes villes, en terme quantitatif
contextualisée. Dubaï, c’est un grand aéroport,
les collines, il existe aujourd’hui deux favelas
c’est du mental, en tout cas jusqu’à la réforme
et non les villes émergentes, c’est-à-dire Tokyo,
un grand port, un grand hôtel, etc. C’est fasci-
issues de l’immigration bolivienne. Ce sont des
de Clisthène.
New York, Paris, etc. Le projet du Grand Paris
nant cette ville hyperbranchée entre l’eau et le
villes hors-la-loi qui produisent leur propre sé-
d’ailleurs n’a été que de faire de Paris une ville
désert, où limitation et illimitation vont de pair.
curité.
globale à nouveau déterminante.
Cette notion de limitation-illimitation est très
De l’autre côté, on trouve la ville sécurisée
de l’urbanisation aujourd’hui
Je précise qu’il ne s’agit pas pour Paris par
importante et donne lieu à deux types d’urba-
sur le modèle américain de la gated commu-
Tous ces scénarios urbains évoqués se re-
exemple, de la ville centre mais de Paris région,
nisation : la ville nomade et la ville historique.
nity, la ville grillagée. Avec l’exemple de Lyon
trouvent un peu partout : un peu de ville glo-
Confluence où la plupart des immeubles ré-
bale, un peu de ville récit, de ville en suspens,
Les villes nomades
sidentiels sont grillagés, ce qui n’était pas né-
un peu de ville sécurisée.... S’imposent trois
C’est important de le préciser afin qu’il n’y ait pas
C’est par exemple la ville nomade américaine
cessairement prévu à l’origine. Ou aussi à São
tendances lourdes en même temps que des
d’ambiguïté sur les chiffres et pour savoir de quoi
avec une urbanisation et la grille orthogonale
Paulo avec les Condominiums où l’on peut
singularités.
nous parlons. On parle de ville globale quand il
de Jefferson. La ville se déplace très rapide-
vivre dans un immeuble, une unité urbaine, qui
Première tendance : les flux sont plus forts que
y a la présence d’une bourse, la finance donc, le
ment car l’habitant américain est très mo-
livre tous les services, faisant ainsi l’économie
les lieux.
siège des multinationales, des universités d’élites
bile, il a une culture de migrant et se déplace
d’avoir à pénétrer dans la ville.
Les villes au Moyen Âge, certes, faisaient ré-
et les services indispensables. Avec la nécessaire
très facilement, contrairement au Français.
L’autre modèle de la limitation, c’est la ville
seaux mais elles tenaient le commerce et ne
présence d’immigrés pour assurer ces services.
Cela explique d’ailleurs que bien souvent les
historique. On revient en Europe, avec Bologne
subissaient pas la pression de l’extérieur. Au-
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Les tendances lourdes
tants, et pas les 102 km2 de la ville capitale centre.
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déplacée au fin fond de l’Amazonie, avec des
Les scénarios de la limitation
de la ville métropole et ses douze millions d’habi-
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jourd’hui, la situation est bien différente. Nous
pourquoi le débat autour des gares est fonda-
la solidarité tout d’abord. Rappelons que pour
Il ne s’agit pas de faire l’éloge de l’hypermobi-
sommes dans le réseau des villes, les flux ma-
mental.
Cerdà, l’urbanisme n’est rien d’autre que l’État
lité mais de trouver des types de mobilité qui
tériels et immatériels et les connexions (gare,
Troisième notion : le milieu. L’espace vide, la
Providence et la mutualisation des services.
permettent de s’inscrire dans des territoires où
aéroport, etc.) sont plus forts que les lieux. Le
rue, la place... Tout ce qui a fait nos villes de-
Second domaine où la décélération est in-
nous sommes nécessairement mobiles.
problème alors est de savoir comment re-terri-
puis l’agora des Grecs. C’est peut-être la place
dispensable : la compétence et le savoir. À
Il faut également prendre en compte la ques-
torialiser dans ce contexte.
Tahir que tout le monde cherche à s’approprier,
l’origine, nos villes ont été faites par les uni-
tion de l’habitat mobile. On est de plus en plus
Deuxième grande tendance lourde : la ville sé-
les révolutionnaires, les salafistes et les Frères
versitaires, les bourgeois commerçants et les
mis en mouvement, c’est le ressort de notre
curisée.
musulmans. C’est une bagarre pour l’espace et
moines.
condition d’homme spatial. La mobilité dans le
La mixité perd du terrain sur la ville de la frag-
le rapport à l’espace est une question centrale.
À Bogota, où le contexte est particulièrement
logement est importante aussi. On a reproché
difficile, ce sont d’ailleurs les universités qui
à M. Delanoë, le maire de Paris, de ne pas avoir
portent le projet urbain.
anticipé la sociologie des femmes célibataires
mentation et du repli sur soi, de l’entre soi.
La troisième grande tendance : le public perd
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La métropole, une question omniprésente
du terrain face au privé.
Comment va-t-on ré-agglomérer des territoires
On assiste à la privatisation de l’urbain. L’es-
dans un ensemble donné ?
Vitesses et mobilités
dans cette optique. L’affectivité est aussi de
pace public n’a plus le même rôle qu’il pouvait
Pour répondre à cette question, je vais évoquer
Cette thématique de la décélération, de la pa-
plus en plus mobile, et forcément cela a des
avoir lorsqu’il était l’espace physique de la dé-
les ressorts de la mobilité, de l’image et des es-
cification est particulièrement intéressante.
impacts sur le logement.
libération.
paces publics.
Elle nous situe entre le local et le global qui,
Avec le Grand Paris, on a aussi redécouvert l’im-
De ces grandes tendances, on peut retenir trois
L’intérêt de l’architecture et de l’urbanisme ré-
toujours, sont articulés. Un courant important
portance de l’université et le problème du lo-
notions intéressantes.
side dans les pratiques urbaines qu’ils rendent
à Turin, les territorialistes italiens, valorisent ce
gement étudiant. La mairie de Paris vient d’ail-
Nous avons aujourd’hui des non lieux, des lieux
possibles.
qu’ils appellent la mondialisation par le bas.
leurs de lancer une grande étude sur la place
complètement enclavés, hors-jeu, ou des lieux
Or, ce que l’on constate aujourd’hui, à l’échelle
Oui, nous sommes dans les flux, mais pour les
de l’université à Paris. Elle propose de refaire le
volontairement hors-jeu comme ceux des pi-
française, c’est que les pratiques des gens sont
capter, il faut re-territorialiser. Mais avec quels
Grand Quartier Latin. Or ce GQL n’est plus habi-
rates de la toile, à l’exemple de WikiLeaks, des
très décalées par rapport aux formes de terri-
types de territoires, sachant que les habitants
té par des étudiants. Il n’y a que des touristes et
non lieux réels et des non lieux virtuels.
toire qu’on leur propose, ne serait-ce que pour
sont de plus en plus mobiles ?
des boutiques LVMH. Il y a certes des étudiants
Pourtant, il est facile de désenclaver. Comme
la question de la mobilité.
Aujourd’hui, les questions centrales sont celles
qui viennent à la Sorbonne, mais ils ont tous
cela s’est passé à Medellin, la grande ville
Il ne faut pas oublier nos classiques. Françoise
des mobilités : ce qui implique le transport,
été dégagés du quartier en ce qui concerne le
considérée un temps comme mafieuse, où le
Choay a beaucoup travaillé sur Alberti, qui
mais aussi le travail, les loisirs, le résidentiel.
logement. Il faut donc engager une réflexion
quartier de San Antonio a été désenclavé en
reste la bible pour les architectes. Il a vécu au
L’INSEE en 2005 a indiqué qu’en Région Bre-
métropolitaine, d’autant plus qu’il y a des uni-
quelques jours grâce à la mise en place d’un
XVIe siècle et a édicté trois principes toujours
tagne comme ici en Languedoc-Roussillon, il
versités hors les murs de Paris.
Metrocable.
d’actualité sur l’art d’édifier . La construction
y aura la plus forte mobilité résidentielle. Com-
Il y a énormément d’enclaves. La limite revient
doit durer le plus longtemps possible et res-
ment anticiper cela ?
en force, mais elle est séparatrice et non plus
pecter la nature environnante pour préserver
La question de la mobilité est décisive dans
Le problème de l’image est fondamental. La
intégrative.
la santé des personnes qui y habitent. C’est la
un monde urbain à plusieurs vitesses. Jacques
ville, c’est l’épreuve du corps, de la scène. Il n’y
L’urbain est devenu acosmique, il ne fait plus
necessitas : le respect de la santé, de la nature
Donzelot, le sociologue, a travaillé sur la notion
a pas de ville sans mise en scène et capacité de
monde selon le géographe Augustin Berque. Il
et des lois physiques. Si un urbaniste respecte
de ville à plusieurs vitesses8.
se théâtraliser. La grande expérience urbaine,
faut donc recomposer à partir de l’urbain géné-
ce principe, c’est déjà bien. Second principe, la
Il dégage le groupe des habitants hyper mo-
au sortir du village, c’est la capacité de rendre
ralisé des espaces qui fassent sens.
commoditas : construire pour les gens qui vont
biles, du transit permanent et de l’hyper
possible de l’anonymat qui fonde les espaces
Il faut reconquérir de la ville, de l’expérience ur-
y habiter. Troisième règle : la voluptas, la beau-
connexion. Ils habitent partout et nulle part, ils
publics urbains, comme l’a dit Julien Gracq.
baine, de la campagne, de la forêt mais aussi
té. Tout est dit !
ont un studio à peu près partout. Ce sont les
Il n’y a pas de ville sans imaginaire. Qu’est-
du désert. Ce dernier n’est pas un espace vide :
Salmona, le grand architecte de Bogota, a d’ail-
financiers et les gens de la mode par exemple.
ce qu’un récit métropolitain qui engage des
il est habité par les hommes du désert, les no-
leurs appliqué les principes d’Alberti.
Second type de mobilité : la mobilité contrainte
échelles très différenciées ? Il existe beaucoup
mades. Un nomade, c’est celui qui a la parfaite
La réflexion actuelle autour des métropoles
du périurbain qui nécessite de recourir à la voi-
d’outils pour étudier cela. D’abord il faut écou-
maîtrise des lieux par lesquels il passe. Il sait
appelle plusieurs questions. En préambule,
ture.
ter les gens. Il n’y a pas qu’à Kinshasa que les
constamment où il met les pieds.
je citerai Pierre Veltz, responsable du pôle de
Et enfin, l’immobilité, le fait d’être enclavé et
habitants ont des choses à raconter. Mais il faut
Autre notion importante : l’hyper-lieu, avec ses
Paris-Saclay, le grand spécialiste des territoires
assigné à résidence. Sans caricaturer, on pense
faire en sorte que les gens puissent raconter
connexions et ses connexions aux transports,
en France. Pourquoi aujourd’hui a-t-on besoin
aux cités de la région parisienne. J’aime beau-
cette histoire. Il y a aussi l’ensemble du prisme
c’est aussi la ville branchée déjà évoquée. Au-
de métropoles ? Les flux économico-finan-
coup l’analyse de l’architecte Henri Gaudin sur
artistique : les romans, le cinéma, la musique
jourd’hui, ce sont les connexions et les trans-
ciers sont très rapides. On a besoin d’espaces
les enfants des cités, dont on dit qu’ils sont
etc. Aujourd’hui, une ville se capte à la vidéo
ports qui organisent le territoire. En France,
urbains territoriaux qui décélèrent. Deux do-
dans l’escalier, ni dedans ni dehors, ni dans
et au cinéma par de grands cinéastes urbains
c’est le TGV qui a réorganisé les territoires. C’est
maines au moins exigent l’accalmie. Celui de
l’espace privé, ni dans l’espace public.
comme Jim Jarmusch ou Aki Kaurismaki avec
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et donc de ne pas avoir repensé le logement
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La ville, c’est aussi l’image
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la ville du Havre. Les villes aujourd’hui ont leurs
par exemple, que l’on voit comme une plage
paces publics. Il faut sortir de la vision unique-
tituer des limites dans un urbain généralisé.
propres critères et leurs agences de notation,
alors que c’est une ville mal habitable. Les fa-
ment centrée sur les transports. Pour le Grand
Michel Corajoud dit d’ailleurs que l’on n’a pas
comme pour l’économie. Richard Florida, par
velas s’installent sur des mornes, des collines
Paris, plusieurs grandes institutions publiques
besoin de monument. Le seul monument, c’est
exemple, a établi les critères de la ville créa-
verticales et glissantes. Il ne suffit pas que cela
comme les Hôpitaux de Paris ou les universi-
le respect de la terre et de la nature.
tive . Beaucoup de mairies métropolitaines
soit beau pour que cela soit habitable.
tés, qui n’étaient pas prises en compte, se sont
Je ferai à cette occasion une dernière remarque
sont dans le combat pour les critères. Avec par-
Le débat du paysage est omniprésent et les
invitées dans le débat car elles participent à
sur la patrimonialisation qui risque de devenir
fois un conflit entre l’image carte postale faite à
approches ne sont pas partout les mêmes. En
l’animation de l’espace public. Le problème est
une dérive chez nous. Le risque est de dériver
des fins touristiques et l’image de la ville portée
France, le paysage est enseigné à Marseille et
toujours la question de l’accès. A Lille-Flandre,
vers une patrimonialisation tous azimuts, chez
par ses habitants.
à Versailles. Le jardin, le paysage référentiel
à la sortie de la gare, on peut accéder directe-
nous comme ailleurs. Elle intervient souvent là
La direction culturelle de la Ville de Paris, par
dans notre conception, c’est l’organisation du
ment à l’hôpital Saint-Vincent de Paul. L’archi-
où il y a une connexion très forte, qui décontex-
exemple, a une vision très touristique, contrai-
pouvoir. Comme le jardin de Versailles, il est à
tecte a fait une rue traversante, car le quartier
tualise. Le littoral sud-américain par exemple,
rement à Barcelone qui ne fait rien pour attirer
la fois très ordonné, très rationnel et labyrin-
était enclavé. Cela a changé les rapports entre
avec Salvador de Bahia, Recife, Valparaiso au
les touristes qui, de toute façon, viendront voir
thique. En Suisse, la conception du paysage est
les gens sains et les malades : les gens passent
Chili... On déconnecte ces lieux pour en faire un
les œuvres de Gaudi et le musée Picasso.
différente : c’est l’espace public. Un architecte
maintenant par l’hôpital. Un geste simple pour
patrimoine mondial de l’humanité. Là où l’on
Quelle capacité avons-nous de faire remonter
qui fait autre chose qu’une maison privée doit
l’architecte qui a pourtant transformé totale-
ne sait plus construire, on ne sait plus être ur-
les récits des habitants sur leur propre ville et
recourir à un paysagiste pour travailler. Le pay-
ment le rapport des habitants à leur environne-
bain, alors on patrimonialise pour compenser.
de nourrir l’imaginaire ? Le petit livre remar-
sagiste est le responsable de l’espace public. Le
ment proche.
Quelles seraient les limites d’une reconfigura-
quable Les Mauvestis, de Frédéric Vallabrègue10,
paysage est la question.
Pour revenir au Metrocable de Medellin, le tra-
tion territoriale, les limites qui toucheraient les
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qui se passe dans un quartier nord de Marseille,
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vail n’est pas arrivé dans le quartier désenclavé,
questions imaginaire/grand paysage ? Com-
montre très bien comment les mômes ont un
La question centrale de l’espace public
mais en haut, une bibliothèque a été installée.
ment un projet urbain peut-il proposer cela ?
langage vestimentaire, comment ils parlent
Cette problématique de l’espace public est
Le quartier est aussi culturel que les autres. Il y
Il n’y a pas d’un côté, les Européens cultivant
entre eux et se racontent, ce qu’ils ont dans
mieux ressentie en Amérique latine qu’ici, où
avait là une nécessité de répondre à l’urgence.
leur durée historique heureuse et de l’autre, un
la tête. La ville, c’est un mental. Il n’y a pas
l’on confond souvent espace public et services
Comment ? En refaisant de l’espace public.
monde en voie de dérive urbaine.
de ville qui n’ait pas un mental. Comment ré-
publics. On oublie que le service public a des
Pour finir, je citerai à nouveau Augustin Berque :
Les questions de connexion/enclave et de la
pondre à l’image vitrine, à la ville créative, avec
critères très précis : les agents, la mission et
refaire de l’espace public, c’est s’inscrire dans
re-territorialisation sont des questions parta-
ses propres critères ? Je fais partie de ceux qui
l’accès. À Bogota, grâce à l’architecte Salmona,
la rareté, reprendre les questions de la terre fi-
gées par tout le monde avec des intensités dif-
pensent que la ville doit retrouver des limites
l’espace public est le préalable. Avec en prio-
nie, de la terre unique. C’est aussi reprendre la
férentes. C’est déjà intéressant de partager ces
mentales, celles d’un grand paysage, d’un site.
rité l’accès qui est donné avant même le type
question de l’agriculture et de la forêt. Dans un
réflexions et ces expériences ■
de bâtiment. Prenons l’exemple d’une grande
contexte différent. On va être amené à ré-ins-
Limite et paysage
bibliothèque à Bogota. Elle a été réalisée il y a
Le grand paysage fait remonter la sensibili-
vingt-cinq ans en pleine ville. Elle s’est inscrite
té d’un territoire. Les questions de la limite
dans l’espace public, autonome, avec autour
et du paysage sont souvent mieux posées à
le paysage des Andes. Le maire avait demandé
l’étranger. Recife a un estuaire comme la ville
à Salmona à l’époque, de réaliser une biblio-
de Nantes. Le problème de son maire est de
thèque pour des gens qui ne savent pas lire.
(2) Mongin, Olivier Vers une troisième ville ?
Olivier Mongin, Hachette, Questions de société, 1996.
capter cet estuaire pour essayer de créer une
C’est la question la plus intéressante : la ques-
(3) Ricciotti, Rudy, HQE, Al Dante, 2009.
limite. Un paysage est une limite poreuse, pas
tion du public qui doit accéder à un espace
4) Michelet, Jules, La mer, Hachette, 1861.
administrative. D’ailleurs, pour le grand pay-
public.
sagiste français Michel Corajoud comme pour
Pour l’espace public, il faudrait éviter que le dé-
Lévi-Strauss, la limite du paysage se fait par le
bat ne porte que sur les connexions et les trans-
lever et le coucher du soleil.
ports, mais faire en sorte qu’il pose d’autres
Dans quel type de paysage commun sommes-
questions. Que met-on dans un espace public
nous inscrits ? Avec quelle sensibilité ? On
comme une gare ? À Brasilia par exemple, la
aborde ici la question centrale du contexte. Il
gare propose des offres multiples qui ne sont
est essentiel de re-contextualiser. Quel est le
pas simplement commerciales, mais égale-
contexte d’une métropole ? Pour le savoir, il
ment sociales - avec la présence de la sécurité
faut tenir compte du récit des habitants.
sociale - et des offres culturelles, avec une bi-
Ces questions se posent à peu près partout. Il
bliothèque notamment.
(9) Florida, Richard, The Rise of the Creative Class. And
How It’s Transforming Work, Leisure and Everyday Life,
Basic Books, 2002.
y a des sites impossibles à vivre. Rio de Janeiro,
Le problème ensuite est de décliner les es-
(10) Valabrègue, Frédéric, Les Mauvestis, POL, 2005.
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(1) Mangin, David, La ville franchisée,
Formes et structures de la ville contemporaine,
Éditions de La Villette, 2004.
(5) De Boeck Filip, Plissart, Marie-Françoise,
Kinshasa : les récits de la ville invisible,
La Renaissance du Livre, Bruxelles, 2005.
(6) Vidal, Laurent, Mazagão, La ville qui traversa
l’Atlantique, Flammarion, Paris, 2005.
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(7) Alberti, Leon-Battista, L’Art d’édifier, Seuil,
«Sources du savoir», 2004.
b i b l i o g r a p h i e
(8) Donzelot, Jacques, La ville à trois vitesses,
Éditions de La Villette, 2009.
Olivier Monginv
La condition urbaine, la ville à
l’heure de la mondialisation, Seuil,
2005 ; rééd. coll. poche Points
Seuil, 2007
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Vers une troisième ville ? Hachette,
«Questions de société», 1996
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L’œuvre de François Morellet dans l’espace public
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superposition, hasard, interférence et fragmen-
l’espace public. On analysera une intervention
tation».12 François Morellet jouit d’une forte
éphémère et d’autres réalisations pérennes.
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réputation internationale. Artiste important en
Christian Skimao
26 avril 2012
L’application rigoureuse des notions de géométrie et des mathématiques
Trames 3°- 87°- 93°- 183°
blic, il est très connu en Allemagne, multipliant
au Plateau La Reynie (1971)15.
les commandes privées et publiques dans de
La première intervention se nomme Trames
nombreux pays européens.
3°- 87°- 93°- 183°. Elle a été réalisée en 1971 à la
apporte au fil des années une approche spatiale qui place François Morellet
Il s’est également beaucoup intéressé au dia-
demande du Centre national d’art contempo-
d’emblée du côté des grands artistes de l’art minimal et conceptuel. Il s’est
logue ou plutôt à la confrontation entre archi-
rain (CNAC) et consiste à peindre des murs pi-
tecture et art. Il a réalisé plus d’une centaine
gnons – 24 m (hauteur maximum) x 45 m – qui
de projets dans l’espace public au travers
se situent au Plateau La Reynie, à l’angle des
centaine de projets dans l’espace public au travers d’une réflexion portant sur la
d’une réflexion portant sur la notion de «dé-
rues Quincampoix et Aubry-le-Boucher, à Paris.
«désintégration architecturale», c’est-à-dire essayer de trouver un autre rythme
sintégration» architecturale. Il en donne une
Il s’agit d’un travail de type trames de couleur
définition dans une lettre adressée à un jeune
rouge qui se recoupent sur un fond bleu, les
architecte le 22 mars 1977 : «C’est-à-dire trouver,
couleurs de la ville de Paris. Cette approche de
rythmes. De cette confrontation naît une œuvre spécifique et singulière marquée
par exemple, un autre rythme que celui de l’ar-
Morellet avec les trames montre le système en
par une tension nouvelle. Au travers de quelques réalisations emblématiques
chitecture et jouer avec les interférences de ces
action : il s’agit d’un croisement orthogonal (à
deux rythmes. L’indication de mon rythme (c’est-
angle droit) de plusieurs réseaux de parallèles,
à-dire d’un espace régulier répété) peut être
le premier étant disposé à 3° puis une deu-
matérialisé par une bande peinte, un piquet,
xième grille identique à la première bascule à
un volume simple, etc. Je vois ces interventions
87° et ainsi de suite pour les autres, soit 93° et
après la construction architecturale, c’est-à-dire
183°. Partant de façon aléatoire d’un angle don-
beaucoup intéressé au dialogue entre l’art et l’architecture. Il a réalisé plus d’une
que celui de l’architecture tout en jouant avec les interférences entre ces deux
des années 1970 à aujourd’hui, nous verrons comment fonctionne ce processus
et comment ses œuvres parviennent à s’inscrire ou non dans l’univers quotidien
de chaque spectateur
pas intégrées dans la construction. Elles peuvent
né, l’artiste assure une neutralité à l’ensemble
Préambule
être plus ou moins discrètes suivant le lieu.»13 Et
de l’œuvre qui continue tout naturellement sur
François Morellet est né en 1926 à Cholet. Il se
enfin de conclure avec un humour qui n’appar-
sa lancée sans aucune intervention subjective.
situe au confluent de diverses références allant
tient qu’à lui : «Elles ne plaisent pas aux archi-
Ce système se retrouve dès 1958 chez Morellet
des entrelacs de l’Alhambra de Grenade aux
tectes en général (j’en ai fait l’expérience) parce
dans ses toiles. Il y a donc transposition dudit
mouvements abstraits. Après une courte pé-
qu’elles semblent ignorer leurs esthétiques ou
système avec un changement d’échelle impor-
riode figurative, il arrive à l’abstraction grâce à
les structures de leurs constructions. C’est nor-
tant et en tenant compte des caractéristiques
l’influence de Pierre Dmitrienko.1 Admirateur
mal puisque l’œuvre même consiste en un com-
du lieu. Dans un entretien avec Serge Lemoine,
de l’Art concret , il se réfère à Piet Mondrian
bat de deux structures, la leur et la mienne.»
14
Morellet explique : «Ces murs-pignons forment
et à Théo van Doesburg4 avant d’évoluer vers
Les mathématiques, le jeu ainsi que l’humour
un angle, ont de grandes échancrures et sont
des problématiques systématiques proches
ont une part essentielle dans son approche ar-
bien loin des carrés ou rectangles réguliers des
de celles de Max Bill.5 Grâce à la fréquentation
tistique. La conceptualisation ne se trouve ja-
toiles d’artistes. J’ai appliqué là un de mes prin-
de Victor Vasarely et au travers des recherches
mais figée dans une posture hautaine mais se
cipes favoris (qui a été favori, en fait, après ce
du GRAV (Groupe de recherche d’art visuel) en
trouve toujours au service d’un esprit amusant
mur) : tracer mes trames de parallèles, les yeux
compagnie de Julio Le Parc, Horacio Garcia
et amusé.
fermés, les laissant se casser dans les trous, se
Rossi, Francisco Sobrino, Joël Stein, Yvaral ain-
De cette confrontation naît une œuvre spéci-
gonfler sur les bosses, dévier dans les angles. Et,
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Christian Skimao
si que François et Vera Molnar, de 1961 à 1968,
fique et singulière marquée par une tension
bien sûr, ce sont ces cassures, ces déformations
Artension, Al Dante, Artjonction
il va clarifier ses relations avec le cinétisme et
nouvelle. Nous verrons dans une première
qui font l’intérêt de l’œuvre même.»16
l’Association internationale
Le Journal, Performarts et dans
l’Op art. L’importance de la mise en place d’un
partie au travers de quelques réalisations dans
L’œuvre a disparu par la suite, recouverte en
des critiques d’art, Christian
les webzines Unanima et Artcom.
système pour réaliser ses œuvres lui permet
l’espace public des années 1970 à aujourd’hui
1976, puis un nouvel immeuble a été construit
Skimao est né en à Mulhouse et
Il s’occupe du blog Le Chat
d’éliminer toute conception idéaliste dans sa
comment fonctionne ce processus ; dans une
sur l’espace vacant. En 1977, Morellet écri-
vit depuis 1979 en Languedoc-
Messager des Arts. Il est l’auteur
pratique.8
seconde partie, nous nous intéresserons en
vait, prônant un détachement (une désinvol-
Roussillon. Il intervient dans de
de plusieurs essais, dont Michel
L’application rigoureuse des notions de géo-
détail à une réalisation spécifique sise à Mont-
ture ?) qui n’est pas feint mais qui témoigne au
nombreux domaines allant de
Butor, qui êtes-vous ? (publié à
métrie et des mathématiques apporte au fil
pellier, «Le grand M», de son érection en 1986 à
contraire d’une grande sérénité vis-à-vis de son
conférences à l’enseignement
La Manufacture en 1988) avec
des années une approche spatiale qui le place
sa réhabilitation en 2000. Tout au long de ces
travail et de sa réception : «Mon mur près du pla-
(histoire et marché de l’art) en
B. Teulon-Nouailles, et Claude
d’emblée du côté des artistes de l’Art minimal9
deux analyses, nous nous poserons la question
teau Beaubourg vient d’être enfin repeint et j’en
passant par la presse spécialisée
Viallat (aux éditions Demaistre).
et de l’Art conceptuel.
A partir des années
de savoir si ses œuvres parviennent à s’inscrire
suis très heureux.»17
et la publication de plus d’une
Il participe à la rédaction et la
1970 commence une approche qui opte pour le
ou non dans l’univers quotidien de chaque
Prolongation d’une trame de parallèles orthogo-
centaine de catalogues, dont
gestion du site internet consacré
dépouillement et la mise en relation de formes
spectateur.
nales (indiquée sur le sol) sur les murs formant
celui des expositions de François
à Daniel Dezeuze.
simples avec leur situation dans l’espace. Tra-
Morellet à Montpellier en
Docteur ès-Lettres, il poursuit un
vaillant dès lors sur l’idée centrale de less is
De quelques réalisations
au Centre Culturel de Compiègne (1978-1979)
2001. Il écrit dans des revues
travail de recherche universitaire
more («moins est plus») énoncée par Mies van
dans l’espace public
Il s’agit cette fois d’une réalisation pérenne
spécialisées comme Pictura
sur les relations entre écriture
der Rohe , il recherche une neutralité active
Examinons par ordre chronologique un certain
concernant un bâtiment à caractère culturel
Magazine, L’Art Vivant, Kanal,
et peinture.
au travers de cinq principes : «juxtaposition,
nombre de réalisations de l’artiste situées dans
dans le cadre du 1% de la commande d’État.
Critique d’art, membre de
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France, quelque peu méconnu du grand pu-
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(avec ces parallèles) des angles de 22,5° et 11,2°
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Les architectes se nomment Jean-Marie Char-
L’Angle DRAC à Nantes (1987)
entre «Défense» et «défonce». Enfin en argot, le
chaque baie et oculus. L’emploi du procédé
pentier, Oliver Brière, et Jean-Michel Grouard.
L’œuvre a été réalisée pour le bâtiment de la Di-
terme «se défoncer» définit l’utilisation de pro-
de grilles géométriques superposées rappelle
Morellet utilise ici aussi le principe des trames
rection régionale des affaires culturelles (DRAC)
duits stupéfiants dans le but d’aboutir à un état
celui des «Trames» et s’inscrit donc pleinement
mais dans le cadre d’un projet devant s’inscrire
à Nantes dans le cadre d’une commande pu-
second, «être stone». Le basculement qui doit
dans sa démarche. Les travaux préparatoires
dans la durée. La peinture se trouve remplacée
blique. Elle se compose de tubes de néon (gaz
choquer l’œil et pourrait donner l’idée d’un
ont été effectués sur calque, puis un démon-
par des carreaux de céramique industrielle, de
coloré) de couleur rouge et de matériel élec-
tsunami virtuel fonctionne en contrepoint de la
tage suivi d’un remontage des vitraux a été
couleur rouge et bleue pour les murs, brune
trique pour une taille de 10 m x 10 m (angle
verticalité des tours environnantes. Une sorte
réalisé avec la complicité de Bruno Loire. Dans
pour le sol, opposés à un revêtement de car-
droit). Toujours fidèle au principe de la lutte
de vision où le monde se renverse, impossible
leur configuration finale ils rappellent aussi les
reaux blancs. La taille des murs va de 3,50 à
entre l’architecture et sa réalisation, Morellet
à percevoir dans un état normal. L’artiste ex-
orbites des planètes. Dans un entretien avec
4,20 m x 150 m. Les murs extérieurs forment des
propose donc une structure lumineuse qui
plique d’abord le contexte général parisien à
Marie-Laure Bernadac, l’artiste déclare avec
angles assez inattendus qui incitent l’artiste à
transperce le bâtiment comme une ligne brisée
propos de sa réalisation : «Il s’agit d’une réac-
sa malice légendaire : «Mon argument de vente
mettre en place une confrontation active : «Sur
ou un éclair. Partant d’une forme géométrique
tion au triomphalisme local. Je ne partage pas
pour convaincre les architectes, argument que
le sol, j’ai dessiné des trames orthogonales et
minimale, il joue sur le support de la construc-
ce penchant français sans complexe pour les
j’aurais bien sûr utilisé avec Lefuel est le suivant :
parallèles orientées de façon à ce qu’elles ne
tion qui se compose d’une composition cu-
grandes perspectives et les arcs de triomphe.
vous architectes, vous pouvez, comme moi je
forment jamais d’angle droit avec les murs.
bique en étages avec des carreaux blancs pour
On avait déjà en ligne, deux arcs de triomphe et
l’espère, vous faire plaisir tout seul, mais pour
Sur les murs j’ai fait grimper les lignes du sol
le revêtement ainsi que d’une importante par-
l’obélisque, il a fallu que l’on rajoute à un bout
vous faire rire il faudra vous faire chatouiller par
d’après le système très simple du «mur abattu».
tie vitrée. L’effet optique fonctionne à plein à la
une pyramide et à l’autre un arc de triomphe.»
quelqu’un d’autre, donc, si vous voulez au moins
Et grâce à la relative complexité du bâtiment j’ai
tombée du jour et la nuit, provoquant l’atten-
Visiblement, pour lui, il ne s’agit à aucun mo-
faire sourire votre architecture, appelez-moi.»26
eu un vrai feu d’artifice : mes lignes s’envolaient
tion du passant et offrant une modification de
ment de s’accommoder de l’environnement
La controverse ne se trouve jamais éloignée
à gauche, à droite suivant quatre angles diffé-
la vision du lieu. L’artiste a souvent utilisé les
ambiant et de s’inscrire dans une volonté mo-
des projets de l’artiste et crée une dynamique
24
rents mais jamais verticalement.» L’ensemble
néons dans ses réalisations depuis 1962-1963
numentale censée flatter le goût du Prince,
propice à l’invention. La discrétion reste à
crée un effet faussement aléatoire où les lignes
et on ne peut s’empêcher de penser à Dan Fla-
fut-il républicain : «J’ai alors imaginé une œuvre
l’ordre du jour pour lui dans ce genre d’inter-
partent en apparence dans des sens non régis
vin dans une démarche différente. Laissons la
qui puisse paraître dérisoire : une structure de
vention : «... J’espère bien avoir introduit un dé-
par une règle donnée, proche de l’expression-
parole à l’artiste qui explique : «Ce bâtiment est
grosses poutres d’acier qui, à l’origine, aurait
sordre discret et absurde qui pourra faire sourire
nisme abstrait ; à ce sujet, Morellet prend les
fait d’une succession de volumes cubiques, qui
encadré les arêtes du bâtiment, mais qui, à la
des visiteurs dans mon genre, tout en ne sautant
travaux de Franz Kline comme référence avec
donnent de grandes marches, avec une multi-
suite d’un séisme, aurait basculé, défonçant le
pas aux yeux de tous les autres, au risque de
ses grands coups de brosse sur la toile qui se
tude d’angles droits. J’en ai ajouté un autre en
sol creux et les fragiles bureaux qu’elle était cen-
les faire trébucher dans l’escalier.» Enfin au ni-
croisent de façon plus ou moins spontanée.
néons, je l’ai mis en biais et me suis arrangé pour
sée protéger.»25
veau du titre, la réalisation, nommée «un décor
Pourtant, lorsque le spectateur ou l’usager
qu’il transperce l’architecture : il passe devant
Serge Lemoine a évoqué «un spectacle d’une
pour le palais»27 sur le carton d’invitation, fonc-
s’approche, il comprend la règle du jeu et ses
un mur, puis devant les vitres, ensuite à l’inté-
grande brutalité» à propos de La Défonce.
tionne sur un jeu de mots qu’affectionne tant
conséquences.
rieur du vitrage, change de direction et ressort
L’idée majeure se trouvant alors dans la mise
Morellet : «avoir l’esprit d’escalier» ou «l’esprit
L’artiste ne cache rien de sa démarche, elle
à l’air libre plus haut sur la façade vitrée qu’il
en scène d’une confrontation à l’architecture
de l’escalier» signifie «avoir un esprit de répartie
fonctionne suivant des règles établies par lui
a transpercée de nouveau. Cette idée n’a pas
qui passe par une dramatisation de l’action
mais qui se manifeste trop tard». L’analyse nous
en respectant un développement de type ma-
beaucoup plu aux architectes.»21
artistique. Cette théâtralité présente ici trouve
montre que le physique (Lefuel) rencontre le
thématique qui à l’arrivée aboutit à une œuvre
Au fil du temps, l’œuvre a acquis une grande
sans doute ses racines dans la volonté d’agir
langage (Diderot et Rousseau font allusion à
d’art. En ce qui concerne la dynamique entre-
importance à Nantes et dans les milieux cultu-
sur la conscience même du regardeur, comme
cette expression), le tout donnant le concep-
tenue avec l’architecture, il affirme avec ma-
rels et institutionnels puisque la lettre bimen-
au temps du GRAV mais avec des moyens dif-
tuel (Morellet).
lice : «Si l’œuvre peut être intéressante, ce n’est
suelle d’information de la DRAC Pays de la Loire
férents.
pas à cause du système ou de l’architecture
se nomme «Angle DRAC».22
18
La Défonce au siège du FNAC
Vitraux décalés dans l’escalier Lefuel,
L’origine de la commande
l’architecture. Mes lignes cassent l’architecture,
à La Défense à Paris (1991)
aile Richelieu,
Cette œuvre monumentale achevée en 1986 est
l’architecture casse mes lignes. C’est un combat
Morellet a imaginé une structure en métal peint
au Musée du Louvre à Paris (2010)
inaugurée le 15 novembre de la même année.
loyal !»19
de 27m x 12m x 7m pour le Fonds national
La présence de François Morellet peut paraître
Elle résulte d’une commande passée à l’ar-
Le Centre culturel, aujourd’hui Espace Jean
d’art contemporain (FNAC) qui allait se trouver
de prime abord surprenante au Louvre. Il s’agit
tiste par la Ville de Montpellier en accord avec
Legendre, comprend deux salles de spectacle
construit en 1991 sur et sous l’esplanade de
d’une commande effectuée par ce musée en
le Centre national des arts plastiques (CNAP).
et des espaces d’exposition permanents ; il se
La Défense à Paris. L’ensemble forme un pa-
partenariat avec le CNAP bénéficiant du mécé-
Le but : «Créer un signal symbolisant la ville de
trouve place Briet Daubigny à Compiègne. Une
rallélépipède incliné et à moitié enfoui dans le
nat de GDF SUEZ et du soutien du Cercle des
Montpellier, visible depuis une longue distance
autre réalisation fonctionnant sur le même
sol. Il faut noter que les locaux de stockage se
Jeunes Mécènes du Louvre. L’escalier Lefuel, du
pour les visiteurs venant de Béziers. Donner un
principe, mais à l’intérieur du bâtiment, a été
trouvent enterrés et invisibles et que seule une
nom de l’architecte qui l’a construit entre 1852
intérêt aux autres points de vue situé autour du
réalisée en 1981-1982 à la Direction régionale
petite partie du bâtiment émerge. Le nom de
et 1858, se nommait d’abord l’escalier de la Bi-
cercle.»28 Elle se situe avenue de Toulouse, sur
des télécommunications de Dijon et se nomme
l’œuvre repose comme souvent chez l’artiste
bliothèque. On le qualifiera de grand, imposant
l’ancien rond-point de la Croix d’Argent, rebap-
Prolongation d’une trame de parallèles ortho-
sur un jeu de mots à entrées multiples : d’une
et d’une grande blancheur. Se penchant sur le
tisé Flandres-Dunkerque, à la sortie de la ville de
gonales (indiquée sur le sol) sur les murs for-
part, la volonté de traverser le sol et une partie
projet à partir de 2009, Morellet a choisi un des-
Montpellier, suivant le tracé de la RN 113 condui-
mant (avec ces parallèles) des angles de 30°, 45°,
des bureaux se trouve dans le verbe défoncer,
sin inversé de la grille existante qui se super-
sant vers Béziers et Toulouse. François Morellet
60°, 90° et sur un mur en arc de cercle.20
d’autre part le glissement sémantique opère
pose et se mélange à l’ancien découpage pour
travaille sur la signalétique de deux angles ai-
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le grand M de Montpellier
de la bataille qui se passe entre le système et
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Analyse d’un exemple précis :
L’esprit d’escalier
pris indépendamment : c’est à cause du heurt,
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gus, respectant les impératifs liés à des figures
La réception de l’œuvre et sa réhabilitation
dur avec le nom des deux créateurs permet de
dénomination s’utilise surtout pour les artistes
simples mais très caractéristiques et «il sera as-
À partir de la fin 1986 commence une étrange
repérer l’œuvre et de l’attribuer. Mais en fin de
du Land Art depuis la fin des années 1960. Ri-
sisté par M. Christophe Morellet, co-auteur qui in-
période, qualifiable de non-réception de la
compte, l’esprit général de l’œuvre demeure in-
chard Serra, grand artiste américain précise sa
tervient notamment en tant que correspondant,
part du public montpelliérain qui, mal informé
tact tout en retrouvant une nouvelle jeunesse.
position : «Les sculptures conçues pour un lieu
sur place.» Dès le départ, on se trouve en pré-
sur cette création et son rôle fortement sym-
François Morellet a par ailleurs bénéficié d’une
s’élaborent avec les composantes de l’environ-
sence d’un tandem d’acteurs, tant du côté artis-
bolique, ne saisit pas véritablement les enjeux
double exposition au Musée Fabre («Discrète-
nement d’un espace donné. L’échelle, les dimen-
tique que du côté politique. L’œuvre en question
de cette commande qui devait ancrer la ville
ment») et au Carré Sainte-Anne («Carrément»),
sions et l’emplacement des pièces en extérieur
répond à une nécessité locale (un aménage-
dans une contemporanéité vis-à-vis des arts
à Montpellier en 2001. Un catalogue a paru
dépendent de la topographie, qu’il s’agisse
ment circulatoire) mais aussi nationale (la cau-
plastiques. L’œuvre a été maintenue en état
couvrant les deux manifestations tout en n’ou-
d’une ville, d’un paysage ou d’un ensemble
tion du CNAP) et internationale (le rayonnement
de fonctionnement de 1986 à 1993, puis toute
bliant pas le grand M, ce qui a permis d’établir
architectural. L’œuvre devient partie du site
29
lié au choix de l’artiste). À l’époque Montpellier
une série d’incidents allant de courses de vé-
un premier texte critique sur cette première
et restructure son organisation aussi bien sur
ne possède aucune œuvre d’importance en art
hicules type 4x4 sur le rond-point, tirs au fusil
commande publique.38 On peut depuis évo-
le plan de la conception que de la perception.
contemporain dans l’espace public.
de chasse sur les néons, vandalismes de tous
quer une nouvelle réception de l’œuvre tant
Mes œuvres ne décorent, n’illustrent ou ne dé-
ordres, intempéries, etc., ont conduit à une
au niveau de la reconnaissance du site par les
peignent jamais un lieu.»43 Pour le grand M, on
Analyse de l’œuvre et de ses composants
forte dégradation de l’ensemble. Le fait de
Montpelliérains qu’au niveau usuel ; ainsi est
peut discerner une similitude d’attitude mais
En ce qui concerne ces derniers, l’un des angles
n’avoir pas assez communiqué sur cette réali-
apparue la dénomination de «Rond-point du
tempérée par l’aspect de commande et des
se trouve composé de troncs d’arbres brisés,
sation, de n’avoir publié ni plaquette informa-
grand M», qui a tendance à remplacer celle de
contraintes liées à cette dernière. Néanmoins
l’autre de tubes inox : «Ils peuvent être vus comme
tive ni document à vocation touristique ont
«Flandres-Dunkerque» dans le langage courant
dans ce cas et reprenant la dernière phrase de
un agrandissement microscopique de fibres artifi-
conduit à la pire des attitudes, l’indifférence.
et sur internet (par exemple, la pharmacie du
Serra, cette œuvre ne décore pas le lieu, ne l’il-
cielles et naturelles. Ils peuvent aussi représenter
Heureusement, le lancement de la première
«Grand M»39 dont l’adresse utilisée est «Rond-
lustre pas et ne le dépeint pas. Morellet joue à
35
la technologie et la nature.» L’artiste précise :
ligne de tramway à Montpellier en 2000 accom-
Point du Grand M»). La prémonitoire phrase de
la fois sur une vision classique de la sculpture
«L’angle en tubes d’acier inoxydable est pour
pagnée d’une commande publique de cinq
Morellet finirait-elle alors par prendre tout son
mais dynamisée par un effet optique et les
moi l’image de la technologie de pointe (en in-
œuvres à cinq artistes contemporains (Chen
sens : «J’ai voulu, il y a quinze ans, rendre un
contraintes liées au lieu et à la dimension sym-
formatique, semi-conducteur, chirurgie,…)».31 Et
Zen avec Constellation humaine ; Alain Jacquet
hommage à ce grand «M» bleu qui, pour beau-
bolique du projet. La partie paysagère confiée
«L’angle en troncs d’arbres, représente la nature
avec Hommage à Confucius ; Allan McCollum
coup de Montpelliérains, a remplacé le blason
à Christophe Morellet acquiert une grande im-
organisée (jardins, promenades, esplanades) et le
avec Allégories ; Sarkis avec Le Voyage ; Ludger
traditionnel.»40
portance, créant un nouvel espace de percep-
30
plus ancien jardin des plantes.»
Gerdes avec L’Arène) a relancé l’attention sur
Chaque faisceau mesure 15 mètres, se trouve
le grand M : «Avec la réalisation de la première
à 33 mètres l’un de l’autre et à 33 mètres de la
route. «De nuit, des tubes d’Argon bleus sou-
32
Des notions applicables à l’œuvre :
zonnée et les pins de Leyland). Les conditions
ligne du tramway et l’édification de cinq œuvres
environnement, in situ, installation
de l’in situ se trouvent donc remplies.
d’art sur son itinéraire, nous ne pouvions accep-
On peut également envisager une approche de
Troisièmement, l’installation : elle «suppose
lignent les fibres des faisceaux. Ces tubes trans-
ter que cette œuvre majeure d’entrée de ville
cette réalisation monumentale au travers de
une réflexion sur les rapports susceptibles de
parents sont invisibles le jour.» Fonctionnant
demeure en l’état actuel, c’est pourquoi, nous
notions théoriques cardinales de l’art contem-
s’instaurer entre plusieurs œuvres, selon la ma-
sur le principe d’un automobiliste entrant ou
avons prévu la remise en service de celle-ci peu
porain. Nous en avons retenu trois qui peuvent
nière dont l’artiste détermine leur situation en
sortant de Montpellier, l’œuvre fonctionne sur
de temps après l’inauguration du tramway, soit
éclairer cette œuvre d’un jour nouveau : l’envi-
fonction de la structure architecturale destinée
une illusion optique permettant de superposer
le 14 juillet 2000.» Le grand M a donc fait l’ob-
ronnement, l’in situ et l’installation.
à les accueillir.»44 Les deux faisceaux entrent en
à une distance donnée les deux angles aigus
jet d’une campagne de réhabilitation en 1999-
Premièrement, l’environnement : «Les premiers
relation avec l’ancien tracé central de la RN 113
afin de reconstituer visuellement la lettre «M».
2000 avec des variations quant à la version
environnements datent de la fin des années
ainsi qu’avec la zone paysagère mise en place.
Il s’agit ici de l’utilisation d’un procédé illusion-
originelle : les néons ont été remplacés par une
1950. Il s’agit d’œuvres tridimensionnelles qui
L’événement actif fonctionne de jour et de nuit
niste classique mais qui trouve aussi ses racines
fibre optique diffusante de nouvelle génération
impliquent une appréhension mouvante de la
(éclairage) avec la participation du conduc-
dans l’Op art. Les deux jambes séparées de la
créant un effet de lumière veloutée durant la
part du spectateur correspondant à une forme
teur qui passe. Si la notion d’interactivité
lettre retrouvent une unité temporaire dans
nuit ; une barrière de rochers situé de part et
de participation.»
Cette définition s’adresse
fonctionne à plein, jouant avec un formalisme
l’œil du conducteur créant ainsi un choc visuel
d’autre de l’ancienne route centrale, dont les
directement à l’automobiliste qui pénètre, non
certain, on pourrait aussi penser que cette sta-
qui rappelle soudain le lieu où il arrive ou celui
restes d’asphalte ont été retirés, en interdit l’ac-
pas dans le rond-point, mais circule autour. La
tuaire monumentale semble plus proche d’un
qu’il quitte, Montpellier, avec l’emploi d’une
cès. On pourra bien sûr regretter au niveau vi-
zone active se situe au moment où opère le
classicisme postmoderne que d’une installa-
synecdoque. D’autres éléments interviennent
suel cette nouvelle barrière rocheuse qui pour-
choc visuel qui consiste à la reconstitution de
tion stricto sensu.
également : d’abord le tracé de l’ancienne route
rait briser l’axe mental de projection sous les
la lettre «M». La fonction mouvante demeure
N’oublions cependant pas la référence perma-
au niveau du rond-point se trouve conservé avec
deux angles, mais la sécurité prime dans l’es-
ici essentielle, avant ce moment l’œuvre ne
nente de l’artiste à l’art minimal et conceptuel
des débris d’asphalte laissés en vrac ; ensuite
pace public. D’autres matériaux ont retrouvé
fonctionne pas véritablement, après c’est trop
qui irrigue l’ensemble de ses travaux. C’est
l’aménagement d’un espace paysager réalisé par
une nouvelle jeunesse grâce à leur remplace-
tard. Dans le cas d’un piéton, le cheminement
dans ce cadre très ouvert et très complexe, au
Christophe Morellet34 qui se compose d’un côté
ment et à diverses opérations de réhabilitation.
sera plus long et l’effet de recomposition moins
croisement de ces diverses notions que prend
d’un plan gazonné et de l’autre d’une rangée de
L’emplacement lié à la sortie de ville devient
évident.
place la réflexion artistique de Morellet, à la fois
cyprès de Leyland d’une hauteur de 2,50 m à 6,25
inexact, cette dernière ayant tendance à se
Deuxièmement l’in situ : une «œuvre réalisée sur
pragmatique, ludique et toujours inattendue,
m, car les deux plans qui encadrent la structure
trouver plus éloignée, puisque le rond-point
place en fonction de l’espace qui lui est imparti,
en dehors des classifications trop restrictives.
possèdent deux inclinaisons différentes. Ces
se trouve désormais dans un espace fortement
afin qu’il existe une interaction de l’œuvre sur le
arbres créent aussi une séquence dynamique
urbanisé lié à la construction de nombreux
milieu et réciproquement. Mais in situ ne signi-
lorsque l’on prend cette voie circulaire.
nouveaux bâtiments. La pose d’une plaque en
fie pas obligatoirement environnement.»42 Cette
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«Le grand M» , plan serré,
Entrée vers Montpellier en 2012
tion qui n’existait pas auparavant (la zone ga-
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«Le grand M» , plan serré,
Entrée vers Montpellier en 2012
Conclusion
porain facilite grandement la connivence avec
Tout au long de sa carrière, François Morellet a
le public. Ainsi, pour le Louvre, il n’y a eu au-
conservé une étonnante distance avec la lour-
cune contestation en raison de la remise en
deur du monde. Sa légèreté, influencée indirec-
cause discrète mais ferme voulue par l’artiste
tement par Alphonse Allais45, lui a permis d’en
dans son rapport au monument. Les œuvres
faire un antidote face au monde de l’art et à
de grande taille posent souvent de grands pro-
son esprit de sérieux. Si dans ses relations avec
blèmes en raison même de leur forte visibilité.
l’architecture il a prôné cette notion de «désin-
À Montpellier, cette œuvre signalétique si forte,
tégration architecturale», c’est dans le but de ne
le grand M, demeure un hommage sincère où
pas mettre son art simplement au service des
la lutte ne se déroulait pas contre l’architec-
architectes mais de s’en affranchir pour affir-
ture urbaine (encore que les panneaux publici-
mer une primauté créatrice : «Beaucoup d’ar-
taires et l’éclairage entourant le rond-point ont
chitectes sont très sympathiques et intéressants.
fait l’objet d’une surveillance attentive), mais
Mais ils n’ont absolument pas et heureusement,
contre une certaine indifférence, prélude à
les mêmes préoccupations que les artistes. Sauf
l’oubli. Il n’en est heureusement rien et, depuis
s’ils font une architecture utopique (qu’ils ne
2000, les automobilistes, spectateurs pressés,
peuvent pas construire) ou si les artistes sont des
ont intégré cette œuvre symbolique dans leur
décorateurs.»
mémoire.
Comme on a pu le voir dans la première partie
Finalement, le spectateur se trouve confronté
avec les divers exemples analysés, la réception
à sa propre liberté d’appréciation, le fameux
du travail artistique finit par s’effectuer en fonc-
«j’aime, je n’aime pas» utilisé par Roland Bar-
tion du temps qui passe. Si l’on met de côté
thes. Fidèle à ses principes, François Morellet
les œuvres éphémères comme La Reynie, on
reprend la métaphore de l’auberge espagnole
constate que le Centre culturel de Compiègne
mais en la transformant de façon malicieuse
fonctionne bien et qu’il a été adopté par ses uti-
en pique-nique : «Je sais que ce que je fais est
lisateurs. Pour Nantes, l’angle lumineux DRAC a
destiné à des gens qui me ressemblent. Des gens
fini par devenir une signalétique forte ainsi que
qui déballeront leur pique-nique sur les empla-
le parallélépipède du FNAC à Paris. Le temps
cements vides que j’ai préparés pour eux…».47
qui passe allège le choc premier et une fami-
On ne peut dès lors que souhaiter bon appétit
liarité toujours plus grande avec l’art contem-
à tous les «pique-niqueurs» du monde ■
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(1) Pierre Dmitrienko (1925-1974), artiste français d’origine russe.
(2) L’Art concret prône l’autonomie de l’œuvre en tant
qu’objet offert à une contemplation strictement visuelle.
(3) Pieter Cornelis Mondriaan dit Piet Mondrian
(1872-1944), artiste hollandais, est un des pionniers de
l’abstraction.
(4) Christian Emil Marie Küpper dit Theo van Doesburg
(1883-1931), artiste néerlandais, architecte et théoricien.
Fondateur de la revue De Stijl.
(5) Max Bill (1908-1944), artiste, théoricien et architecte
suisse.
(6) Győző Vásárhelyi dit Victor Vasarely (1908-1997),
artiste hongrois devenu français, est l’un des fondateurs
de l’art optique.
(7) Optical art (Op art) : le terme apparaît dans la
revue Time en 1964. Il s’agit d’un art qui produit chez
le spectateur une réponse optique physiologique et
psychologique.
(8) «Morellet François» in L’art du XXe siècle, Paris, Larousse, p. 587-588.
(9) Minimal art : le terme est utilisé la première fois par
Richard Wollheim dans la revue Arts magazine en 1965.
L’œuvre doit se concentrer sur sa propre réalité. Ainsi le
contenu d’une sculpture est la sculpture elle-même.
(10) Conceptual art : l’artiste Harry Flint utilise cette
dénomination pour la première fois en 1961 et Sol Le
Lewitt la reprend en 1967. La réflexion ne doit plus porter
sur la réalisation de l’objet d’art, mais sur l’objet de l’art
lui-même, tout en privilégiant le discours.
(11) Ludwig Mies dit Ludwig Mies van der Rohe (18861969), architecte et théoricien allemand, ancien directeur
du Bauhaus à Dessau et Berlin, réfugié aux États-Unis
après 1938.
(12) François Morellet, Mais comment taire mes commentaires, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts,
1999, p. 59.
(13) Idem, p. 65-66.
(14) Ibid., p. 66.
(15) Pour davantage de précisions voir l’ouvrage de
Serge Lemoine, François Morellet, Paris, Flammarion,
1996, p. 136-137.
(16) «Commentaires » in François Morellet Désintégrations architecturales, Musée Savoisien de Chambéry et
Musée d’Angers, 1982, p. 43.
(17) Mais comment taire mes commentaires, op.cit., p. 65.
(18) Désintégrations architecturales, op. cit., p. 58. Pour
davantage de précisions sur cette réalisation voir les
pages 58-59 de cet ouvrage.
(19) Ibid., p. 58.
(20) François Morellet, Sur commande. Calais, Galerie
de l’Ancienne Poste, Centre de développement culturel,
1988, p. 11.
(21) François Morellet, op.cit., p.152. Pour davantage de
précisions sur cette réalisation voir les pages 152-153 de
cet ouvrage.
(22) http://www.culturecommunication.gouv.fr/Regions/
Drac-Pays-de-la-Loire/
(23) Créé en 1878, le Bureau des travaux d’art devient le
FNAC en 1976. Il stocke et conserve les œuvres d’artistes
français et étrangers sur 4 500 m² ; il ne se visite pas.
(24) François Morellet, op.cit., p.162. Pour davantage de
précisions sur cette réalisation voir les pages 162-163 de
cet ouvrage.
(25) Ibid., p.162.
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(26) «L’esprit d’escalier» in François Morellet L’esprit d’escalier (ouvrage sous la direction de Marie-Laure Bernadac). Paris, Editions du Regard / Musée du Louvre, 2010,
p. 26. Pour en savoir davantage, on pourra consulter cet
ouvrage qui offre un point de vue historique sur l’escalier
Lefuel, un résumé de la carrière de l’artiste, un entretien
(voir supra) et de très belles photographies.
(27) Au niveau de la terminologie utilisée existe toujours
une confrontation, voilée certes, entre l’immuable (Le
Louvre) et l’éphémère (Morellet).
(28) François Morellet, Projet pour un rond-point à l’entrée de Montpellier, Cholet, document de travail, 1985-86,
une page.
(29) Convention d’étude, réalisation et cession de droits
afférents à une œuvre artistique entre la Ville de Montpellier représentée par son Député-Maire Georges Frêche et
François Morellet. Elle se trouve enregistrée au Bureau du
courrier de la Préfecture de l’Hérault à Montpellier, le 2
mai 1986. 2 pages.
(30) Projet pour un rond-point à l’entrée de Montpellier,
op.cit.
(31) Note de François Morellet, Le grand «M », 4 septembre 2000, une page.
(32) Ibid.
(33) La partie pour le tout : soit M pour la dénomination
de toute la ville de Montpellier.
(34) Christophe Morellet a travaillé longtemps sur la notion de paysage avant d’abandonner (temporairement ?)
le domaine de la création artistique. Un petit catalogue
réalisé en 1993 lors d’une exposition personnelle au
château de Taurines en Aveyron, avec un entretien réalisé
par mes soins qui donne une idée de ses recherches à
l’époque.
(35) Des réalisations similaires et leur réception, mais
hélas pas le grand M, ont été analysées par Nathalie
Heinich dans son ouvrage L’art contemporain exposé
aux rejets. Etudes de cas. Nîmes, Éditions Jacqueline
Chambon, 1998.
(36) Pour en savoir davantage on peut consulter le site
web du Ministère la Culture et de la Communication :
http://www.culture.fr/
(37) Lettre de M. Claude Cougnenc, secrétaire général de
la Ville de Montpellier, avril 2006, 2 pages.
(38) Christian Skimao, Carrément-discrètement-le grand M,
Montpellier, Ville de Montpellier, 2001.
(39) http://pharmacie-du-grand-m.com/
(40) Note de François Morellet, Le grand «M », op.cit.
(41) Jean-Yves Bosseur, Vocabulaire des arts plastiques
du XXe siècle, Paris, Minerve, 1998, p. 82.
(42) «Lexique» in Groupes, mouvements, tendances de
l’art contemporain depuis 1945, Paris, École nationale
supérieure des Beaux-Arts, 1989, p. 164.
(43) Richard Serra, «Texte de la conférence de Yale» (1990)
in Art en théorie, Paris, Hazan, 1997, p. 1227. Première
parution en anglais chez Blackwell Publishers (Oxford)
en 1992.
(44) Vocabulaire des arts plastiques du XXe siècle,
op. cit., p. 113.
(45) Entretien de Christian Besson avec l’artiste,
«Entretien avec François Morellet» in François Morellet,
Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1986, p. 114.
(46) François Morellet, Mais comment taire mes
commentaires, op.cit., p. 65.
(47) Ibid., p. 64.
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Rémy Kerténian
Habiter Marseille au XIXe siècle :
trois types d’habitat bourgeois dans la seconde moitié du siècle
Alexandre Cheval
La décoration intérieure des demeures nîmoises
au XVIIe siècle
Pascal Trarieux
Une maison nîmoise au XVIe siècle. Architecture et décor
Thierry Paquot
Habiter
Gérard Monnier
Le Corbusier et Jean Nouvel, francs-tireurs de l’habitat
Hubert Nyssen
La maison commence par le toit
Luc Antoine
La Maison-Miroir ou le Feng-Shui à l’occidentale
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Habiter Marseille au XIXe siècle :
trois types d’habitat bourgeois
dans la seconde moitié du siècle
Rémy Kerténian
11 janvier 2005
glement de voirie de 1859, codifiant hauteur,
cessible, certains modèles, de par les difficul-
décrochement, inclinaison des toitures... lui
tés techniques de leur réalisation, restent très
même inspiré du règlement parisien de 1848.
onéreux et réservés à une clientèle d’élite. Les
triomphante. Croissance urbaine, afflux de population, dynamisme de
L’élévation comprend cinq travées et six ni-
murs du vestibule sont ici recouverts d’un pa-
l’armement, de la banque et du haut négoce, politique de grands travaux :
veaux sur basses offices. Les deux travées des
pier gaufré ivoire rechampi d’or, imitant le stuc
extrémités reçoivent un traitement particulier
et orné d’une frise de paons à son sommet. Ce
en avant-corps de très faible saillie, marquant
papier peint, du type Anaglypta, fut créé par
Dans ce cadre renouvelé, l’élite bourgeoise locale, forte de moyens accrus,
plus nettement les deux entrées de l’im-
le peintre illustrateur anglais Georges-Charles
entend asseoir sa puissance reconquise par le choix de résidences, dignes reflets
meuble. Chaque niveau reçoit également un
Haïté, en 1901. Le motif d’entrelacs stylisés et
décor différent : rampes en ferronnerie conti-
répétés est le résultat du renouveau des arts
nue au premier étage, frontons triangulaires au
décoratifs amorcé en Angleterre dès les années
premier, semi-circulaires au second. Ce type de
1850 autour de la personnalité de William Mor-
décor, inspiré des immeubles des grands bou-
ris et du mouvement Arts & Crafts. La France,
levards haussmanniens de la capitale, est diffu-
avec le courant Art Nouveau, intégrera pro-
sé à Marseille sur les grands chantiers de la rue
gressivement ces données. En choisissant ce
Impériale (actuelle rue de la République), de la
papier peint, Jean-Marie Chambon se montre
rue Noailles (Canebière prolongée) ou du pa-
à la pointe du goût de son époque alors que
lais préfectoral. Toutes les références ornemen-
Marseille ne succombera que très rarement
tales y sont permises. Ici, c’est la Renaissance
aux charmes du Modern Style. Dans le fumoir,
française qui sert de source décorative.
l’ambiance est toute autre. Ici, le décor est
Pour la distribution intérieure, il faut coller aux
comme il se doit orientalisant et les papiers
codes sociaux du temps. Dans la partie hôtel
peints imitent les cuirs de Cordoue avec des
particulier, on entre par un premier vestibule,
motifs d’entrelacs, inspirés de l’orfèvrerie niel-
permettant de se détacher du mouvement de
lée persane. Ces modèles façon cuir, d’une vir-
la rue, avant d’accéder au second vestibule
tuosité étourdissante, furent présentés pour la
distribuant les pièces de réception (grand sa-
première fois à l’exposition universelle de 1867
lon, salle à manger, petit salon et fumoir). Là,
par la manufacture Balin. On l’aura compris, de
deux escaliers, l’un d’honneur, conduisant aux
telles traces de décor sont exceptionnelles, de
appartements privés de l’étage, l’autre dissi-
par la fragilité même des matériaux.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Marseille apparaît comme une ville
la cité phocéenne se transforme et se modernise.
de sa réussite. Chacun se doit de posséder hôtel particulier en ville, villa dans la
périphérie ou bastide dans le terroir. À Marseille, c’est entre Préfecture et palais
de justice, rue Grignan et Prado, Allées de Meilhan et palais Longchamp que vont
se déployer les fastes de la bonne société. Les goûts du temps sont à l’éclectisme,
au luxe cossu et capiteux, parfaitement adaptés à un système social fait de
représentation mondaine et d’intimité familiale.
Le choix des trois demeures étudiées est repré-
auprès de la municipalité un lot de terrains
sentatif de cet attrait historiciste et des modes
sur la plus prestigieuse promenade de la ville,
de vie du temps. Par leurs types différents (un
le cours Bonaparte (actuel cours Pierre Puget),
hôtel-immeuble, un hôtel particulier et une
face au palais de justice récemment élevé, afin
villa) et leurs dates de construction, s’éche-
d’y faire construire l’immeuble. Pour lui, il est
lonnant sur une dizaine d’années entre 1861
question d’investissement immobilier et en
et 1872, elles permettent de dresser un por-
1868 il revend l’immeuble, avec la plus-value
trait de l’architecture domestique bourgeoise
que l’on imagine aisément, au riche entrepre-
à Marseille dans la seconde moitié du second
neur de travaux publics Jean-Elie Dussaud.
Empire.
Pour ce dernier, un logement sur le cours Bo-
Rémy Kerténian
naparte est une consécration. Pourtant, il pré-
Historien d’art de formation,
L’hôtel-immeuble Chambon
fère louer l’ensemble et ne s’y installe qu’en
(29-31 cours Pierre Puget)
1885. Dès lors, il habite au 31 et loge les bu-
des programmations de la
Le 29-31 cours Pierre Puget est un hôtel parti-
reaux de sa compagnie au 29. À sa mort, l’im-
Direction des affaires culturelles
culier-immeuble de rapport comprenant deux
meuble est acquis par un parent par alliance,
de Toulon. Il enseigne l’histoire et
types d’habitat. Le 31, de deux niveaux, sur
l’armateur Jean-Marie Chambon, qui modifie le
la sociologie de la mode à l’IUT
basses offices, s’apparente à un hôtel particu-
décor intérieur.
d’Aix-en-Provence et l’histoire de
lier, alors que les autres niveaux, accessibles
L’immeuble, mitoyen des deux côtés, offre
l’art à l’École supérieure d’art de
par le 29, comportent un appartement par
sa façade principale sur le cours alors que
Toulon-Provence – Méditerranée.
étage, avec les combles destinés au logement
les communs, situés à l’arrière de la parcelle
Commissaire de nombreuses
des domestiques. Sa construction remonte
donnent sur la rue de l’Arsenal (actuellement
expositions sur les arts de la
à 1864, l’architecte reste inconnu. Nous lui
Roux de Brignoles). Peu pratique, leur accès
mode, la photographie et l’art
conservons le vocable de Chambon car les
se fait pour les voitures en faisant le tour du
contemporain, il est également
traces les plus précieuses de décor intérieur
pâté d’immeubles. Ce principe, développé sur
l’auteur de plusieurs ouvrages
datent de la période d’occupation de la partie
le Cours d’Aix-en-Provence au XVIIe siècle reste
et d’articles pour des catalogues
hôtel particulier par cette famille d’armateurs,
une référence pour les architectes locaux deux
entre 1899 et 1906.
siècles plus tard. En revanche, le parti pris sty-
contemporain et le patrimoine
Mais, en 1864, c’est le négociant et banquier
listique de la façade se fait l’écho des modèles
marseillais.
Jacques Paulin Henri Audibert qui acquiert
contemporains parisiens et est assujetti au rè-
Rémy Kerténian est responsable
d’exposition sur la mode, l’art
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mulé et desservant les basses offices, animent
l’espace avec une somptueuse rampe de fonte
L’hôtel Armand (11, rue Lafon)
en motif de crosse d’évêque. C’est dans les
A deux pas de la Préfecture, l’hôtel Armand reste
espaces de réception que sont conservées les
le plus beau témoignage d’hôtel particulier de
plus belles traces du décor intérieur.
la période et montre à un haut degré l’envie
Selon l’habitude du temps, chaque pièce reçoit
de la grande bourgeoisie de se rapprocher du
un décor particulier, s’adaptant à la fonction
mode de vie aristocratique. L’hôtel particulier
des lieux. Pour les salons, on préférera rappe-
reste le type d’habitat urbain le plus presti-
ler par exemple les styles Louis XV et Louis XVI,
gieux. Pour autant, l’héritage des demeures ur-
remis au goût du jour par les publications des
baines aristocratiques des XVIIe et XVIIIe siècles
frères Goncourt comme par la passion de l’im-
doit désormais allier à l’orgueil d’une position
pératrice Eugénie pour Marie-Antoinette et son
sociale la notion de confort et d’intimité dont
époque.
le bourgeois du XIXe siècle ne saurait se priver.
Sur les murs de la cage d’escalier et dans le fu-
Comme pour l’hôtel Chambon, l’architecte
moir, on trouve un ensemble exceptionnel de
reste inconnu. Cependant la qualité et l’origi-
papiers peints, des toutes premières années
nalité du programme sont la marque d’un ar-
du XXe siècle, posés durant l’occupation de
chitecte de talent à la hauteur des ambitions et
l’immeuble par la famille Chambon. Si la pro-
de la culture de son commanditaire. L’hôtel est
duction de papiers peints se fait en série depuis
construit en 1872 sur l’emplacement de celui
les années 1840 et est donc devenue plus ac-
que le marquis de Cipières avait élevé en 1775,
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La référence aux demeures urbaines des
comme à l’habitude historiciste. Si le vaste hall,
Plage, son accès avait été aménagé au bout de
grands patriciens banquiers de la Renaissance
jouant la polychromie des marbres, évoque la
la petite avenue de Marveyre en perspective du
italienne est évidemment toute indiquée pour
grandeur du style Louis XIV, l’enfilade de récep-
Prado. Une entrée secondaire ouvre sur la rue
un personnage comme Amédée Armand. Ce
tion reprend toutes les délicatesses des styles
du commandant Rolland. Darier dut acquérir
grand bourgeois se positionne en digne héritier
Louis XV et Louis XVI. Cette atmosphère dite
trois propriétés à vocation agricole pour amé-
de ces mécènes éclatants. A l’hôtel Armand la
tous les Louis est le cadre privilégié des récep-
nager cette vaste demeure et un jardin digne
référence va même plus loin. Tout comme au
tions, bals, dîners, concerts... que se doit de
d’elle. Par la construction de son imposante vil-
Palais Médicis, le rez-de-chaussée est occupé
donner l’un des plus importants personnages
la proche de la très élégante avenue du Prado,
par les bureaux de la société et l’étage noble est
de la cité.
Emile Darier entend bien montrer au monde sa
cochère on accède à un vaste vestibule ouvrant
La Villa Marveyre
Marveyre sera l’un des plus prestigieux lieux de
sur le grand escalier d’honneur. Cet escalier de
C’est avec le second Empire que se développe
la vie mondaine marseillaise dans la seconde
style Louis XVI conduit à la pièce maîtresse et
à Marseille un type nouveau de résidence bour-
moitié du XIXe siècle. La liste des bals, des dî-
centrale du bâtiment : le grand hall – salle de
geoise, la villa. Forte de sa tradition bastidaire
ners, des grands concerts, opéras et pièces de
bal. Ce dernier s’élevant sur trois niveaux afin
structurant son terroir depuis le XV siècle et
théâtre qui y furent donnés est interminable.
de recevoir un éclairage zénithal, grâce à une
par sa situation géographique en bord de mer,
Darier choisit pour l’emplacement de la villa
verrière, est au centre de la parcelle et orga-
Marseille accueille avec un certain bonheur ce
le point le plus haut de la propriété. Ceci per-
nise toute la distribution. Il donne au sud, côté
nouveau type d’architecture domestique. Les
met évidemment de mieux jouir du site, mais
rue, sur une enfilade comprenant grand sa-
bastides renonçant de plus en plus à leur vo-
également de découvrir progressivement la
lon, salle à manger et petit salon, et au nord,
cation agricole pour devenir des lieux entière-
villa au détour du chemin qui serpente dans
par l’un des plus importants notables de la
sur le cabinet de travail et le fumoir-billard. Un
ment dévolus à la plaisance se rapprocheront
le parc depuis l’entrée principale. Ce parti pris
place, industriel, banquier, armateur, président
somptueux escalier de bois, inspiré des galions
de l’idéal de la villa rendant plus floues les dé-
est exactement celui que choisit, par exemple,
de la très puissante chambre de commerce et
baroques et véritable parure de la pièce, donne
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finitions. François Loyer définit la villa au XIX
au même moment, vers 1860, l’armateur Eu-
grand collectionneur, Amédée Armand. A sa
accès à la galerie de circulation du deuxième
siècle comme «le modèle le plus éloigné de l’im-
gène Pastré pour la construction de son châ-
mort en 1881, c’est sa sœur, puis son neveu le
étage desservant de part et d’autre, les appar-
meuble - le plus suburbain dans son dessin – [...]
teau, par l’architecte parisien Jean Danjoy,
comte Albert Armand qui lui succèdent dans la
tements de monsieur et la chapelle au nord,
dans son sens exact de villa à l’italienne : un
dans la campagne familiale de Montredon.
fastueuse demeure comme à la tête de ses ac-
ceux de madame au sud. Des escaliers de ser-
cube posé dans un espace de verdure». Pour
Orientée nord-sud, la Villa Marveyre, de plan
tivités industrielles.
vices assurent, en angle de parcelle, des circu-
Marseille, cette définition peut évidemment
massé, est un quadrilatère complété au sud,
L’hôtel Armand, mitoyen des deux côtés, oc-
lations verticales des sous-sols à l’attique.
s’appliquer aussi à la bastide. Cependant, la
vers le parc, par deux avant-corps latéraux, peu
cupe une vaste parcelle de 21 mètres en ali-
La présence de ce grand hall est exceptionnelle
villa est ici liée au développement de la villé-
saillants, en retour d’équerre, encadrant la ter-
gnement sur la rue Lafon, sur près de 30 mètres
à Marseille. Ce type de distribution est remis à
giature hivernale sur la Côte d’Azur et la Riviera
rasse. Un autre avant-corps marque l’emplace-
de profondeur. Il s’élève sur quatre niveaux
l’honneur sous le second Empire au château
italienne, elle possède l’avantage d’être beau-
ment de la salle à manger sur la façade ouest.
au dessus de basses offices. On accède à une
de Ferrières, construit par Joseph Paxton pour
coup moins éloignée du centre-ville que la
Le bâtiment est élevé d’un étage sur entresol
cour arrière (remises, écuries, lavoir) par une
James de Rothschild. Paxton avait d’ailleurs
bastide, reléguée dans le terroir. Ainsi, les villas
partiel (aux angles nord-est et nord-ouest), rez-
porte cochère à l’angle sud-ouest du bâtiment.
expérimenté cette solution en Angleterre dès
marseillaises sont généralement construites
de-chaussée surhaussé sur sous-sol. L’étage
L’entrée décentrée permet de ne pas couper
1850 au château de Mentmore pour le frère de
en bordure de la promenade du Prado, dans le
est surmonté de combles partiellement amé-
les espaces du rez-de-chaussée. L’élévation
James, Mayer de Rothschild. Paxton lui-même
quartier Saint-Giniez et sur la Corniche. La Villa
nagés. L’élévation de la façade d’entrée, au
est directement inspirée des palais de la Re-
avait adapté, en le recouvrant d’une verrière, le
Marveyre, qui fut édifiée sous le second Em-
nord, est d’une austérité monumentale. Sur
naissance italienne. Tout comme au Palais
cortile des palais italiens de la première Renais-
pire, entre Prado et Corniche, reste un des pre-
cinq niveaux et divisé en cinq travées, le traite-
Médicis, élevé par Michelozzo à Florence en
sance, transformé dès le XVIe siècle en grand sa-
miers et plus beaux exemples de villa de cette
ment opte pour un parti horizontal, accentuant
1444, le parti général est horizontal. Chaque
lon central, comme on le voit chez Palladio à
époque. Et si le parc a disparu, si l’intérieur de
à la vue l’ampleur de la façade. Plusieurs élé-
niveau, traité différemment, est séparé par une
la célèbre villa Rotonda, en 1569, à Vicence. La
la villa fut complètement mutilé par des amé-
ments concourent à cette impression : le décor
corniche régnante tandis qu’une corniche à
France du XVII siècle intègrera cette innovation
nagements peu respectueux, les vestiges de sa
en bossage continu, la corniche régnante, peu
forte volumétrie, sur une rangée de modillons
du salon à l’italienne. Pensons, par exemple, à
splendeur et les archives conservées sont suffi-
volumétrique, séparant rez-de-chaussée et
carrés, termine l’élévation. Le décor du rez-de-
Vaux-le-Vicomte. Au XVIIIe siècle, Ledoux à l’hô-
sants pour justifier une étude du bâtiment.
entresol de l’étage noble, l’étage des combles
chaussée aux larges bossages en table s’allège
tel de Montmorency et en 1839, Duban dans le
L’actuel Parc Marveyre constitue l’ancienne
simplement décoré de tableautins et d’oculi,
jusqu’à l’attique, donnant un effet ascension-
grand salon du château de Dampierre, repren-
propriété de 5,2 hectares appartenant, à par-
enfin la forte corniche de couronnement. Pour
nel compensant le parti général du traitement
dront le principe.
tir de 1861, à Emile Darier, grand négociant et
équilibrer ce parti pris, chaque travée est mar-
par niveau.
Dans les salles de réception, le décor se veut
industriel. Située dans l’actuel quartier de La
quée par de hautes fenêtres en tabernacles.
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fulgurante réussite sociale. D’ailleurs, la Villa
dévolu aux grands appartements. De la porte
Anonyme, Grand hall-salle de bal
de l’Hôtel Armand, circa 1900
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Anonyme, Grand salon de la
Villa Marveyre, 1894
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Afin de garantir cet équilibre, les ouvertures de
chaussée. De l’antichambre, on peut gagner la
française, dans l’angle nord-ouest de la pièce
manque d’eau, qui sera comblé par l’arrivée
l’entresol sont intégrées dans le chambranle
salle à manger et le petit salon à l’ouest et le
formant un pan coupé, est recouverte de boise-
du canal de Marseille, peut expliquer ce retard,
des fenêtres du rez-de-chaussée. Seule une tra-
grand salon dans l’axe de l’entrée, qui s’ouvre
ries. Le manteau de la cheminée est orné d’une
mais c’est un peu simple car même en bordure
verse indique les différents niveaux. Autre élé-
par trois grandes portes-fenêtres sur la ter-
niche ovale abritant un buste de Minerve, co-
de l’Huveaune les parcs paysagés ne s’étaient
ment de verticalité, chaque extrémité de la fa-
rasse et le parc. Le grand salon occupe un vo-
pie d’un antique. Les murs sont recouverts de
pas développés. Une des premières grandes ré-
çade est ornée de pilastres jumelés superposés
lume considérable sur une surface de plus de
toiles marouflées imitant des tapisseries. Les
alisations d’envergure à ce niveau fut entreprise
d’ordre toscan, tout comme la travée centrale
107 m , il donnait accès au grand escalier, au
bordures sont larges et ornées de grotesques
par le négociant David Cohen de Léon, pour sa
elle-même encadrée de pilastres superposés
fumoir-bibliothèque, à l’est. Pour préserver
avec cartouches imitant le stuc de style belli-
bastide de Maison Blanche (actuelle mairie
de même ordre. Côté jardin, la façade est plus
l’harmonie des proportions, le grand salon
fontain, masques énigmatiques de sphinges
des IXe et Xe arrondissements) par l’architecte
animée grâce aux deux avant-corps latéraux en
est aussi la pièce la plus haute de la villa. Sans
et guirlandes de citrons et de fleurs au naturel.
ingénieur paysagiste François Duvilliers, entre
pans coupés. La terrasse, se terminant par une
s’élever sur deux niveaux comme une pièce à
Ce qui frappe ici, c’est évidemment la surabon-
1853 et 1857. Le parc de Maison Blanche fera
balustrade en pierre ouvragée, est encadrée
l’italienne, il mord légèrement sur le premier
dance de capitons, de tentures et de passe-
date et à sa suite, toute la bonne bourgeoisie
de deux volées de marches courbes formant
étage. Grand salon, fumoir, petit salon et salle à
menteries envahissant tous les meubles et por-
de la ville voudra avoir son parc paysagé. Autre
un fer à cheval permettant de gagner le parc.
manger formaient une double enfilade côté jar-
tières dans le goût tapissier développé depuis
grand exemple de jardin paysagé, autour de
Mais ici, l’élément de décor le plus charmant
din et en retour côté ouest. Cette majestueuse
le règne de Louis-Philippe. La salle à manger
1860, avec l’ingénieur Gassend. Directeur de la
est constitué par la frise de rinceaux, qui, au
disposition en enfilade pour les appartements
ne conserve à l’heure actuelle de son décor
voirie, il aménage le grand parc à l’anglaise de
niveau des combles, encadre les oculi. Elle est
de réception, dans la tradition du XVII siècle,
que la somptueuse cheminée de marbre vert.
Borély, sur les anciens domaines agricoles de la
ornée de putti engainés dans le réseau végétal
est encore souvent pratiquée dans la seconde
Elle est surmontée d’un trumeau de glace dont
propriété appartenant désormais à la ville.
et court également sur les façades est et ouest.
moitié du XIXe siècle. De ces espaces dévolus à
le cadre est du même marbre. Le manteau de
La réalisation du parc de Marveyre s’inscrit donc
Le parti architectural est ici directement inspi-
la réception, on accède au premier étage, ré-
la cheminée possède un rétrécissement ébrasé
dans un contexte propice auquel il faut ajouter
ré de la Renaissance italienne et plus particu-
servé aux appartements privés, par un escalier
imitant le bronze doré, assorti aux bronzes du
la passion botanique du commanditaire. Et si
lièrement de la Rome du début du XVIe siècle.
d’honneur, en bois, à vis suspendu. Cet escalier
cartel signés Barbedienne. Ce cartel est orné
on garde encore un potager et un verger, le parc
La référence à la Farnesina, villa suburbaine
reçoit un éclairage zénithal grâce à une verrière
de ravissantes guirlandes de fruits et légumes
de Marveyre allie aux grands principes du jardin
construite par Baldassare Peruzzi pour le ban-
en coupole. La distribution du premier étage
rappelant la vocation du lieu. D’une grande
paysagé, le goût pour l’acclimatation avec les
quier Agostino Chigi entre 1509 et 1511, est évi-
est plus délicate à restituer en raison des mal-
délicatesse, on remarque un petit mascaron
grandes serres pour la collection d’orchidées,
dente. Le plan, la sobriété des élévations, les pi-
heureuses modifications apportées dans les
copié sur le visage de la Diane d’Anet, célèbre
les plantes exotiques venues des quatre coins
lastres d’ordre toscan, les baies rectangulaires
années 1960. Les circulations verticales sont
sculpture entrée au Louvre en 1823. Le reste du
de l’empire colonial. Le parc de la villa, au-
et le seul élément de décor apporté par la frise,
également assurées par deux escaliers de ser-
décor, mis à part les lambris d’appui identiques
jourd’hui définitivement mutilé, ne pourra re-
tout à Marveyre rappelle la célèbre villa ro-
vice tournants à volées droites, desservant l’en-
à ceux du grand salon, a disparu. Du petit salon
trouver sa splendeur, mais son évocation reste
maine. Là encore, aucun document d’archives
semble des niveaux des sous-sols aux combles.
Louis XVI, comme du fumoir orientalisant, il ne
nécessaire pour comprendre l’environnement
en notre possession n’a permis d’établir le nom
Le sous-sol était évidemment dévolu à l’office,
reste rien.
initial de la villa.
de l’architecte de la villa bien qu’une tradition
la cuisine, la cave et la réserve.
Le parc de Marveyre, aujourd’hui loti par de
Ce qui peut surprendre dans le décor de Mar-
familiale, fort plausible, attribue le chantier à
Si, à l’heure actuelle, les éléments de décor
nombreuses villas, a complètement disparu.
veyre, c’est l’absence d’une quelconque évo-
Samuel Darier, cousin germain du commandi-
encore visibles sont peu nombreux, on a la
Seuls quelques arbres séculaires rappellent
cation bucolique que l’on attendrait d’une
taire, architecte et élève de Jean-Marc Vaucher,
chance de posséder un album de photogra-
encore que le créateur de cette villa a résolu le
demeure quasi campagnarde. Ce type de dé-
lui même architecte de la Maison de l’Empe-
phies, prises en 1894, restituant une partie de
problème difficile de se donner presque dans
coration, historiciste et sans particularismes
reur pour la Résidence impériale de Marseille,
la décoration des pièces de réception du rez-
la ville l’illusion de la pleine campagne. En ef-
locaux, se retrouve d’ailleurs dans les deux
le palais du Pharo, entre 1852 et 1861.
de-chaussée. Une des premières constatations
fet, Emile Darier est un passionné de botanique
précédents programmes étudiés. Il est le par-
La distribution intérieure n’a rien d’original et se
que l’on peut faire, c’est l’aspect sombre et cos-
et son jardin paysagé, de cinq hectares, fut l’un
fait reflet de l’internationalisation du goût dans
conforme aux manières d’habiter de la grande
su du décor inspiré de la Renaissance française
des plus beaux de Marseille. Des grilles s’ou-
cette seconde moitié du XIXe siècle. Éclectisme
bourgeoisie du second Empire. Les plans ac-
de la seconde moitié du XVIe siècle. En faveur
vrant sur le boulevard Marveyre on accédait
et exotisme règnent dans les intérieurs de cette
tuels, s’ils tiennent compte des modifications
depuis les années 1830, ce style continue à
par des allées, aux courbes gracieuses et aux
grande bourgeoisie que l’on retrouve de Paris
apportées par l’aménagement en bureaux, per-
faire l’unanimité sous le second Empire. On le
points de vue choisis, jusqu’à la villa.
à Marseille, de Bordeaux à Strasbourg, mais
mettent de restituer en partie quelques pièces
retrouve chez James de Rothschild au château
À Marseille et dans la région, le goût pour les jar-
également de Londres à Rome, de New York
ainsi que certaines circulations horizontales.
de Ferrières ou chez la marquise de Païva dans
dins paysagés à l’anglaise s’impose finalement
à Saint-Pétersbourg. Une bourgeoisie triom-
De l’entrée, élevée de plusieurs marches, on
son hôtel des Champs-Elysées. Les boiseries
assez tard. Si le marquis d’Albertas est pionnier
phante, sûre d’elle, égrenant en tous lieux du
pénètre dans un vestibule donnant accès à
foncées dominent le décor : parquet marque-
en ce domaine avec son parc dans la vallée de
globe ses manières de vivre sans jamais rien
une antichambre qui ordonne la distribution
té, lambris d’appui assez haut, chambranles
Saint-Pons à Gémenos dès les années 1770, il
changer à ses habitudes ■
des pièces de réception occupant le rez-de-
des portes et fenêtres. Même la cheminée à la
apparaît comme un cas isolé. Evidemment, le
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La décoration intérieure
des demeures nîmoises au XVIIe siècle
Alexandre Cheval
8 février 2005
La décoration des demeures nîmoises au XVIIe siècle est présentée à partir
de documents d’archives. Plusieurs exemples précis permettent d’aborder
le mobilier, les peintures, les tapisseries, etc., d’intérieurs bourgeois
rapport avec leur rang social. D’après Emma-
sées dans les inventaires de la région nîmoise
nuel Coquery, ceux-ci portaient une attention
se trouvent majoritairement dans la salle ou
particulière aux bordures2.
la cuisine. Certes, nous ne pouvons affirmer
protestants et catholiques.
avec certitude que nous avons affaire à la
Les décorations des armoires languedociennes
salle à manger, au sens où nous employons
sont organisées selon les mêmes principes que
aujourd’hui ce terme, puisque nous n’avons ja-
sur les tapisseries. Ainsi, elles se composent
mais retrouvé cette dénomination. Pendant la
d’une ou plusieurs scènes centrales figura-
journée, les tables disparaissent sous de lourds
tives basées sur une certaine narration, parfois
tapis, et les chaises sont parfois alignées le long
animées de jeux d’enfants, encadrées de guir-
À partir du XVe siècle, on cherche à faire dispa-
sont tout aussi modestes : table et tabourets
raître l’apparence de forteresse liée à l’habitat
des murs.
landes de fruits, de frises d’animaux fantas-
de facture simple, sans doute en essences peu
du Moyen Âge. On subit alors directement l’in-
Nous notons, en effet, à Nîmes, comme dans le
tiques ou de chasses, rappelant les bordures
nobles (sapin, saule). Sur une autre estampe, et
fluence des traités d’architecture, comme celui
reste du royaume, un goût prononcé pour cou-
des tapisseries. Celles-ci remplissent donc un
même si la scène se déroule dans un salon un
d’Andrea Palladio (1508-1580) qui reprend les
vrir de tapis les surfaces planes des meubles,
rôle unificateur des différentes pièces tissées,
peu désordonné, où les vierges se livrent à la
principes évoqués par Vitruve. Les intérieurs
armoires et tables tout particulièrement. Le ca-
mais assurent aussi une certaine cohésion or-
frivolité, on retrouve une cheminée sculptée à
sont divisés selon une distribution étudiée, les
binet est la pièce la plus intime de la demeure.
nementale et un lien évident avec les montants
droite (estampe tirée de l’ouvrage de Bosse de
pièces ont une fonction précise. Au cours du
Lieu de travail, on s’y retirait pour écrire, faire
ornés de guirlandes de fruits des meubles. Mal-
1633 d’après les compositions de Barbet), les
XVIIe siècle, la France ravit à l’Italie la supréma-
ses comptes ou pour y ranger ses objets de va-
heureusement, nous n’avons jamais trouvé de
chaises ornées de tapisseries, les miroirs aux
tie dans le domaine de la décoration intérieure.
leur. Cette pièce reflétait les goûts du proprié-
descriptif de bordures de tapisseries dans les
cadres sculptés et les tentures aux murs. Sur
taire et se présentait donc sous la forme d’une
inventaires après décès, ni même dans le seul
d’autres estampes, ce sont des lits à colonnes,
La distribution intérieure des maisons nîmoises
bibliothèque ou un lieu de conservation de col-
prix-fait retrouvé, baillé par Jean Jacques de
les armoires recouvertes d’une draperie.
reprend désormais les schémas établis dès la
lections de médailles ou d’estampes.
Reynaud le 23 mars 1678 au marchand tapis-
A Nîmes, les façades des demeures peuvent
siècle. Le cabinet,
Dans tous les cas, elle était le témoignage de la
sier d’Aubusson Jean de Lachaud. La tapisserie
être ornées de superbes ornements à l’exemple
apparu au milieu du siècle, est une nouvelle
vie intellectuelle. Il ne semble pas qu’à Nîmes,
est ornée de «l’histoire des Femmes fortes»3.
des termes encore visibles au n° 2 du Plan de
pièce qui complète, dans les demeures des
le cabinet ait eu une décoration spécifique.
Les quatre types de tapisseries les plus décrits
l’Aspic. Ces sculptures ont peut-être été réa-
notables, le noyau primitif composé de la salle,
On retrouve le même type de tapisseries et de
à Nîmes sont ceux en cuir, de Bergame, d’Au-
lisées par Philippe Mauric, sculpteur formé à
de la chambre et, parfois, d’une garde-robe. Il
meubles, même si certains pouvaient être or-
vergne et des Flandres. Elles étaient tendues
l’arsenal de Toulon, qui fondera une dynastie
semble toutefois qu’à Nîmes, on ne fasse pas
nés de quelques tableaux, plus nombreux que
sur des tringles en fer ou en bois et suspen-
d’artistes importante dans la cité puisque ses
la distinction entre cette dernière et le cabinet.
dans la salle ou la chambre.
dues à l’aide de clous. Il semble que la plu-
fils Jean et Joseph, respectivement architecte
On retrouve d’ailleurs cette analogie dans les
Les sols du rez-de-chaussée ne sont jamais
part étaient accrochées à la suite les unes des
et doreur, seront très actifs dans la première
meubles nommés ainsi. L’organisation inté-
moitié du XVIIIe siècle et que sa fille épousera
décrits, mais il est possible qu’ils aient été en
autres, rarement dimensionnées aux murs, car
rieure tient compte de la séparation du corps
le sculpteur et peintre Florent Natoire. De cette
carreaux de terre ou en plancher de bois. Ceux
achetées toutes faites à des manufactures. Les
de logis principal et des communs. Certaines
union naîtra l’un des plus importants peintres
des étages supérieurs étaient en très forte ma-
tapisseries de Bergame, grossières, faites de
pièces ont de vastes proportions aux plafonds
français du XVIIIe siècle, Charles-Joseph Natoire
jorité constitués de planchers de sapin, maté-
laine, de soie, de coton, de chanvre, de poils de
élevés.
(1700-1777).
riau isolant.
chèvre ou de bœuf, étaient produites à l’origine
Le mobilier suit naturellement la tendance
Cette façade est la plus belle qui nous soit par-
Les tentures murales assuraient, pendant tout
dans la ville de Bergame en Italie4.
venue. Elle montre la qualité ornementale qui
le XVIIe siècle nîmois, l’homogénéité de la dé-
Ce n’est qu’à la fin du XVIe siècle qu’elles firent
orchestrée en architecture. Les formes sy-
pouvait exister dans la ville à cette époque.
coration de la demeure, tout en garantissant
leur apparition en France. Les centres de pro-
métriquement ordonnancées, les motifs dé-
Nous retrouvons les colonnes inspirées de
une isolation thermique basée sur le principe
duction les plus importants sont ceux de Rouen
coratifs, tout concourt à reproduire, à une
et d’Elbeuf. L’expression «tapisserie de Rouen»
échelle réduite, les leçons de ces traités d’ar-
l’antique, les rinceaux de végétaux, etc. À l’in-
du vide sanitaire. Nous ne retrouvons en réa-
térieur des demeures nîmoises, la chambre
lité que peu de cheminées dans les intérieurs,
devenant alors synonyme de «tapisserie de Ber-
chitecture. Les estampes d’Abraham Bosse
game». En point de Hongrie, à grandes barres
(1602/1604-1676) reflètent bien les scènes de
était, semble-t-il, l’une des pièces principales
la plupart étant dans une chambre ou dans
de la maison nîmoise. Elle accueillait ce lit de
la salle.
chargées de fleurs et d’oiseaux, ou imitant le
la vie domestique de ses contemporains. Elles
point de Chine ou les écailles de poissons, ces
ne nous montrent pas uniquement de riches
forme cubique parfois richement orné de tex-
L’usage de la tapisserie était donc très répandu
tiles colorés. Nous n’avons pas, en revanche,
dans la cité romaine et apportait une harmo-
tapisseries, très fréquemment inventoriées,
intérieurs, même si ce sont ceux que nous al-
font partie des modèles les plus communs que
lons surtout aborder aujourd’hui. Lazare gît
le sentiment qu’il était habituel d’y dresser les
nie colorée très recherchée dans les intérieurs.
Alexandre Cheval
tables comme cela semble être le cas dans la
En effet, parmi les arts du décor, elle restait le
l’on puisse retrouver même chez des personnes
dans une masure sur un lit de paille, veillé par
peu aisées. Les villes de Strasbourg et de Tou-
est docteur en histoire de l’art
une femme en haillons. Les autres meubles
capitale1.
symbole d’un certain goût du faste. Les commanditaires souhaitaient surtout des pièces en
louse en fabriquèrent, mais leurs modèles
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En effet, les plus grandes d’entre elles recen-
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Ornements de façade à
Nîmes, Plan de l’Aspic
Façade de la demeure rue
Saint Castor à Nîmes
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étaient moins recherchés. Celles à «verdures»,
liser ces six pièces de verdure. Ces tapisseries
située dans la rue Sabaterie (actuelle rue des
il reçoit 30 livres pour avoir peint les portraits
originaires d’Auvergne ou de Flandre, sont plus
prenaient appui sur des lambris composés de
Tondeurs). Il verse la somme de 369 livres au
des consuls «et autres peintures». Jean Gom-
délicatement ornées et d’une meilleure qua-
panneaux horizontaux et verticaux. Ces orne-
menuisier Antoine Bertrand, qui y fabriqua
meau est actif jusque dans le premier quart du
lité. Elles reprennent des motifs végétaux de
ments de bois étaient très prisés à Nîmes, aussi
des planchers, des croisées, six placards, dont
XVIIIe siècle.14
diverses tonalités ; on retrouve ainsi souvent la
bien chez les particuliers que dans les décors
un de noyer «avec figures et ornements dans
qualification de «feuilles mortes» pour certaines
de bâtiments religieux. Deux types existaient
sa chambre du fond»12. Souhaitant décorer
Autre notable de la ville ayant les moyens de
d’entre elles.
alors : le lambris à la française et le lambris dit
ces plafonds, il baille à cette fin un prix-fait au
faire décorer sa demeure, le 24 mai 1666, le
Les tapisseries de cuir sont surtout présentes
de hauteur. Le premier, parfois richement mou-
maître-peintre et vitrier nîmois François Gom-
marchand bourgeois François Cambon verse,
chez les notables les plus argentés. Parfois do-
luré voire sculpté, s’interrompait au tiers ou aux
meau le 18 mars 1654 pour «peindre a lhuille
en divers paiements, 600 livres aux maîtres
rées, elles arborent un riche aspect, quelques
deux tiers des murs alors que le second couvrait
le plafond de gip de la chambre haute du coing
peintres de Montpellier Jacques Bedes et Jean
fois légèrement gaufré. Dans son dictionnaire
la totalité du mur. Nous n’avons jamais retrouvé
de la maison [...]. Il sera paint a compartiment et
Baumes, pour des peintures «aux huiles de noix
(1680), Richelet précise que les tapisseries d’Es-
ce type de qualification dans les actes nîmois,
les compartiments remplis de grisaille cirage et
couleur de cire», réalisées aux planchers, portes
pagne sont les plus estimées «& celles de Hol-
mais il est presque certain que ce sont sous ces
camaïeu comme aussy la frise de la largeur dun
et fenêtres de sa maison édifiée de neuf à la
lande après.5»
deux formes décoratives que devaient se pré-
pied de roy de mesme fasson et colleur comme
rue de la Lombardie, proche de celle des Car-
La tapisserie reste un élément décoratif im-
senter les lambris de la région. La plupart de
aussy a paindre la cheminée de lad chambre
dinaux et du greffier Donzel15. L’utilisation de
portant dans les intérieurs nîmois et certaines
ceux fabriqués à Nîmes étaient de forme simple,
a lhuille darchitecture de grizaille et au milieu
l’huile de noix est recommandée dans divers
pièces commandées par les notables de la
sans décoration sculptée. Jamais évoqués dans
dicelle un cartouche et au dedans dud cartouche
traités techniques de l’époque. Le sieur Watin
ville sont de grandes et belles pièces. Jean de
les inventaires après décès, puisqu’on indique
une bataille de cavalerie et infanterie le tout au
précise (1776), par exemple, que lorsque «on
Langlade possédait une tapisserie d’Auvergne
uniquement les «objets mobiles».
naturel et avec que colleurs propres pour diversi-
veut broyer & détremper à l’huile des couleurs
fier aud subject et le tout a lhuille comme aussy
claires, telles que le blanc, le gris, etc. il faut se
de neuf pièces dans sa salle représentant
«Les femmes illustres» . On peut rapprocher ce
Le tapis de Turquie est l’autre élément textile
sera tenu de paindre de grizaille lespesseur du
servir d’huile de noix ou d’œillet». Il indique, en
thème de celui des Femmes fortes évoqué pré-
très présent dans les demeures nîmoises. Ce
dedans des deux croisieres de lad chambre a la
outre, que cette huile est tout à fait adaptée
cédemment.
type d’ouvrage décorait toutes les demeures
detrampe». Gommeau recevra 80 livres un an
pour peindre les portes, les croisées et les vo-
Dans le garde-meubles de noble François de
du royaume, si bien que dès 1604, Henri IV,
après «la perfection et la reception du travail»13.
lets, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.16
Rozel, seigneur de Sernas, conseiller du roi et
pour concurrencer les importations, avait ac-
François Gommeau est un peintre et vitrier
Le 5 janvier 1666, Cambon verse 83 livres
lieutenant principal de la Sénéchaussée de
cueilli dans la Grande Galerie du Louvre le
originaire de Beaune. C’est un artiste reconnu
10 sous au serrurier Benjamin, 1386 livres le
Nîmes, mort à Paris le 20 décembre 1672, on
tapissier Pierre Dupont (vers 1570-1640), afin
à Nîmes. Nous avons, en effet, découvert bon
20 août 1666, au menuisier Jacques Desbois
trouve mentionnée la présence d’«une tapisserie
qu’il perfectionne la technique des tapis10.
nombre de quittances le concernant dans les
en paiement de tous les travaux de menuise-
de verdure d’Auvergne en six pièces de moyenne
Malheureusement très peu décrites dans les in-
comptes de la ville. Il a, en outre, travaillé avec
rie, 120 livres le 6 novembre 1666, à l’architecte
valleur sur laquelle le sieur de Sernas a dit avoir
ventaires nîmois, ces pièces avaient les mêmes
un certain Pierre Briot, «maistre paintre de Pa-
de Nîmes Gabriel Dardailhon et 139 livres le
a prandre deux cents livres ou environ quil avoit
fonctions que les tapisseries : elles étaient à la
ris», les deux artistes se déclarant «quittes de
20 septembre 1669 au serrurier Maurice Sollier.
payé à Friquet tainturier de ceste ville comme
fois d’efficaces isolants thermiques sur des sols
toutes les affaires quils ont ensemble» en 1679.
On n’hésitait pas à dépenser de fortes sommes
remissionnaire de Pericou marchand tapissier
froids, en particulier pour les rez-de-chaussée,
Dans le premier tiers du XVII siècle, deux Briot
d’argent pour la décoration de sa demeure17.
lequel avoit vendu lad tapisserie aud feu sieur de
et permettaient une unité ornementale.
sont actifs à Paris : Guillaume et Isaac. Le pre-
Ces plafonds de couleurs, sans doute ornés de
6
Rozel père dudict sieur de Sernas» . Il doit s’agir
e
mier est peintre et le second graveur. Peut-être
motifs végétaux ou d’ornements divers, partici-
de Jean Parricourt, maître-tapissier de Felletin,
La plupart des plafonds mentionnés dans les
Pierre Briot est-il le descendant de l’un d’eux ?
paient à l’harmonie générale avec les menuise-
dans le diocèse de Limoges, qui est chargé éga-
quittances et prix-faits sont «à la française».
Son fils Jean Gommeau, peintre également,
ries, les tapisseries, les différents textiles et les
lement, le 20 janvier 1672, de réaliser la tapisse-
Ce type de plafonds à poutres et solives appa-
qui se forma dans l’atelier de François Jacques,
meubles. On retrouve ainsi les camaïeux, les
rie dans le chœur de la cathédrale pour laquelle
rentes, disposées régulièrement, a peu été étu-
sieur de Sainte Foy, peintre ordinaire du roi
peintures en grisaille, qui décoraient aussi cer-
Cohon, ancien évêque de Nîmes, légua au cha-
dié. A Nîmes, certains étaient peints, soit de fa-
de France, à partir du 9 mai 1664, à l’âge de
tains meubles, comme les chaises de Louise de
7
pitre 3000 livres dans son testament.
çon unie, soit présentant un décor ornemental.
dix-sept ans ans, pour deux ans et au prix de
Baudan, indiqué dans son inventaire après dé-
Le 11 novembre 1673, Jean Parricourt re-
Gilles Corrozet, dans ses Blasons domestiques,
100 livres, dont un tiers est versé le jour même.
cès du 11 juillet 168918. Ces ornements concer-
çoit donc du chapitre nîmois la somme de
évoque en 1539 : «Chambre dorée, chambre
François Jacques est un peintre actif à Nîmes
naient tous types de clients qui en avaient les
2000 livres, pour reste et entier paiement des
paincte, chambre de riches couleurs tainctes»11.
dans la seconde moitié du siècle. Nous avons
moyens. Ainsi, le 8 mai 1676, Isaac de Possac
3000 livres, prix de la dite tapisserie selon le
Quelques exemples sont ainsi représentatifs du
retrouvé plusieurs quittances dans les comptes
demande à Jean Gommeau de peindre à
prix-fait du 23 janvier 1672, reçu par le notaire
type de décoration qu’on trouvait alors dans
de la ville qui concernent surtout des paie-
fresque, à la détrempe et à l’huile les portes,
Privat (acte non trouvé).
8
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la cité romaine. Le premier, du 7 janvier 1647,
ments d’armoiries réalisées lors de venues de
fenêtres et croisées de sa demeure du coin de
Rozel a donc dû profiter de la présence du ta-
décrit les travaux réalisés dans la demeure du
personnages importants dans la ville. L’une
Saint-Véran. L’ensemble devra être fait selon ce
pissier dans la ville pour lui demander de réa-
maître-pâtissier Jean Duplessis dit Langevin,
d’elles précise toutefois que le 2 octobre 1666,
qui fut fait chez l’avocat Guiraud, c’est-à-dire
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Les plafonds décorés participent
à l’harmonie générale des riches
demeures.
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1646. La dot se monte à la somme de 15000
a la naissance du platfond une frize dornements
Les meubles de grand luxe, d’ébénisterie ou
300 livres pour ce travail.19
livres, dont une maison donnée par la famille
percés a jour dune grandeur suffisante tout le-
de marqueterie, somptueuse démonstration
Le 4 novembre 1686, François et Jean Gommeau
de la mariée, ainsi que 3000 livres de bijoux .
quel sera boisé de quatre grandes poultres et de
d’une réussite sociale, restaient bien entendu
reçoivent de l’évêché de la ville 211 livres 14 sous
Jacques de Boisson meurt en 1696 et son
soliveaux geinés et listeaux necessaires».28
l’apanage de notables argentés. Cette nouvelle
pour les peintures et «barboulhages» qu’ils
petit-fils, Charles de Boisson, revend cette
L’un des seuls exemples encore existant de
technique pénétra à Paris par l’intermédiaire
ont réalisés au nouveau palais épiscopal. Cela
demeure l’année suivante à Pierre Sartre, se-
ce type de plafond est celui de l’église de
d’artisans venus d’Allemagne et des Pays-Bas.
concerne le grand et le petit cabinet, l’em-
crétaire du roi et receveur de gabelle du Lan-
l’Hôtel-Dieu.
Les premiers ébénistes se spécialisèrent dans
brasure des fenêtres, le dessus des portes et
guedoc pour 1 635 000 livres, d’après certains
Les menuiseries étaient donc également peintes,
la fabrication de cabinets. Nous avons déjà ex-
«autres endroits ou la tapisserye ne garny pas».
érudits locaux.
de gris, de rouge ou couleur bois. Les portes in-
pliqué que ce terme est employé dans la région
Ils ont travaillé à l’huile et à la détrempe. Il reste
En 1709, Sartre fait faillite, ayant un lourd passif
térieures, en noyer, saule ou sapin, ne compor-
nîmoise également pour désigner les armoires.
aujourd’hui quelques traces de ces ornements
de 6 000 000 livres ! Raymond Novy, receveur
taient qu’un seul vantail, parfois animé de plu-
Le cabinet, au sens strict et moderne du
dans ce palais, devenu depuis 1920, le Musée
des tailles de Nîmes, l’achète alors en 1713.
sieurs panneaux. Leur couleur s’harmonisait avec
terme, était fabriqué au XVIe siècle à l’étranger
du Vieux Nîmes20. Malheureusement, clients
L’ensemble est richement décoré de scènes
les croisées, l’embrasure des fenêtres, voire sans
et n’apparaît donc en France qu’au début du
et artisans ne passent pas toujours devant un
champêtres, et de diverses figures, dont ces
doute les lambris. Certaines portes pouvaient
XVIIe siècle. Ce meuble d’apparat, beaucoup
notaire pour établir la commande de ce type
portraits en médaillons des propriétaires sur
être vitrées, à l’exemple de celles qui se trou-
moins fonctionnel qu’une armoire, même à
d’ouvrage.
les solives et un soldat sur le revers de la porte
vaient dans le palais épiscopal d’Uzès. Le 27 mai
deux corps, avait surtout une fonction orne-
Le plus bel exemple qui reste visible encore
d’entrée. Les tableaux de paysages avaient sou-
1679, le peintre Jean Gommeau reçoit 316 livres
mentale. Certains notables en possédaient.
aujourd’hui est le cabinet du château de
vent la préférence des notables nîmois, comme
pour avoir réalisé tous les vitrages de ce palais,
L’appellation «cabinet dallemagne» parfois
Caveirac, à une dizaine de kilomètres à l’ouest
ceux mentionnés chez le bourgeois Antoine
dont les carreaux de Venise posés à la porte entre
utilisée par les huissiers dans les différents in-
de Nîmes. Restaurée il y a quelques années,
Ginhoux lors de son inventaire après décès du
une grande chambre et une petite antichambre.29
ventaires ne signifie en rien que ces meubles
cette pièce d’environ 25 m est entièrement re-
9 avril 1665. Les portraits en médaillons ren-
Les fenêtres pouvaient également êtres peintes
étaient forcément originaires de ce pays. Les
couverte de peintures sur les murs et le plafond
voient directement au goût pour les médailles
de scènes figuratives. Le 22 janvier 1653,
modèles présents chez les Nîmois reprennent
à la française. Nulle indication, ni prix-fait n’a
antiques. Les représentations de soldats ne sont
François Gommeau reçoit 13 livres 17 sous du
en fait les caractéristiques stylistiques de ceux
encore été découvert pour déterminer le ou les
pas sans rappeler les cavaliers retrouvés parfois
maître-tailleur d’habits Pierre Dardailhon pour
du nord de l’Europe, proches de celui exposé
auteurs (les Gommeau ?) de ces ornements et
sur les panneaux d’armoires de la région.
quatre vitres posées dans sa maison, dont deux
dans la salle de l’audience publique du Palazzo
leur commanditaire.
Autre modèle de plafond, le type bâtard est éga-
ovales décorées des figures de la Vierge et de
Pitti de Florence.31
Jacques de Boissons acheta le château en
lement très présent. C’est un plafond simple,
Saint-Jean pour la première et d’une Vierge à
A Nîmes, le poirier teinté est souvent préfé-
1653 pour 430 000 livres selon les services de
dont les poutres et les solives, toujours visibles,
l’enfant pour la seconde30. Les fenêtres, agran-
ré à l’ébène, essence onéreuse. Nous savons
2
26
Portraits de l’un des
seigneurs de Caveirac
et de son épouse, dans le
cabinet du château.
27
la DRAC. La chronologie des propriétaires de
ne sont sans doute pas alignées et ordonnées
dies à la période moderne, sont pourvues de vo-
qu’à Nîmes, cette technique reste très peu
ce lieu reste parfois assez difficile à établir : ain-
avec grand soin. Son coût est moindre que son
lets. Nous ne pouvons affirmer si ceux-ci étaient
présente, à la fois dans le nombre d’objets et
si, le 2 septembre 1659, c’est Jacques Boisson
homologue à la française, c’est pourquoi il est
intérieurs ou extérieurs, leur présence n’étant ja-
dans le nombre d’ébénistes, même s’il faut gar-
qui demande au charpentier Pierre Vignes de
souvent présent chez les plus humbles.
mais indiquée dans les inventaires. De plus, nous
der à l’esprit que la dénomination même des
reconstruire toute la charpente et quelques
Les plafonds à voussures ont sans doute été
n’avons jamais retrouvé la moindre mention de
artisans n’est pas toujours très précise pour ce
planchers de l’édifice.23 Mais c’est Henri de
présents à Nîmes dans la seconde moitié du
la fabrication de ces éléments dans les différents
qui est de la diversité de leur activité. En outre,
Montalieu qui passe commande à des menui-
siècle, même si nous n’en avons trouvé aucune
actes dépouillés.
une certaine prudence doit être de mise étant
siers pour la fabrication des portes intérieures
mention dans les minutes notariales, hormis
La recherche de cohérence décorative dans
donné la piètre qualité des descriptifs des in-
22
Représentation de soldat,
détail d’une porte peinte.
le 4 novembre 1663. Le 8 octobre 1671, c’est
les quatre plafonds «de forme imperialle», à
l’ameublement est l’une des préoccupations
ventaires dépouillés. Nous avons indiqué plu-
à nouveau Jacques de Boisson qui baille un
l’exemple du prix-fait du 11 novembre 1678,
majeures du notable du XVIIe siècle. Certaines
sieurs exemples de cabinets en ébène, preuve
prix-fait à l’architecte Jacques Dardailhon pour
baillé par les consuls nîmois aux architectes
chaises non utilisées, par exemple, pouvaient
que ce matériau était connu et apprécié des Nî-
effectuer des travaux dans ce château25.
Jacques Cubizol et Gabriel Dardailhon pour
demeurer alignées le long d’un mur, formant
mois. Corinne Potay avait trouvé, pour sa part,
Étant donné le style des peintures, il est cer-
qu’ils construisent, au prix de 132 livres, un pla-
ainsi une sorte de bande décorative colorée : la
un texte concernant un ébéniste : l’Italien sieur
tain qu’elles furent réalisées à la demande de
fond en impériale dans la chambre du conseil
couleur de leurs garnitures étant associée à celle
René s’installe à Nîmes pour y exercer cette
l’un de ces deux seigneurs. Les portraits sur les
de la maison consulaire de la ville, «fait en ova-
du plafond et aux tapisseries. Le mobilier de
profession en 1755.32
solives représentent donc l’un des deux et son
lle au milieu fait dun cordon de feuilles de laurier
base reste le même pendant les règnes de Louis
Nous avons pu établir la présence d’au moins
épouse.
ou de chesne et a lendroit du ranflement de lad
XIII et de Louis XIV : lits, tables, sièges, coffres et
trois d’entre eux dans la cité au XVIIe siècle. Il
imperialle sera fait une plate bande garnie dun
armoires. Très souvent en noyer à Nîmes, ils se
est donc plus que probable que ce ne sont pas
Jacques de Boisson, fils de Jean, bourgeois,
entrelas avec des rozes et au mitan de lad impe-
différenciaient surtout par la richesse des étoffes
uniquement François Landry, Michel Boissy et
épouse Olympe de Fabrique, fille d’un conseil-
rialle seront mizes les armes de la vile relevées
qui les garnissaient ou par la présence de sculp-
Michel Clissier, actifs, semble-t-il, à partir seule-
ler du roi au présidial de Nîmes, le 4 octobre
en la meilleure forme quil se pourra plus sera fait
tures.
ment de l’extrême fin du siècle, qui réalisèrent
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en blanc et couleur de cire. Gommeau recevra
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Détails des peintures sur
le plafond à la française
du château de Caveirac.
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Plafond en impériale,
l’un des rares exemples
conservés est visible
à l’église de l’Hôtel-Dieu.
Les menuiseries sont peintes
en gris, rouge ou couleur bois.
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tous ces meubles. D’autre part, il semble que
nets peints en sapin.34 Le confort des planchers,
cette activité ne fut pas non plus très courante
moins froids que les sols en pierre, les tentures
dans la cité romaine au XVIII siècle, puisque
et les tapis qui ont aussi un rôle isothermique
le 16 mars 1740, l’article 13 du règlement de
sont des signes évidents de la recherche de plus
la communauté des tourneurs, faiseurs de
de confort. La décoration s’adapte également à
chaises, vitriers et ébénistes de la ville, pré-
celle-ci. Elle doit être plus «aérée» et colorée.
cise que les menuisiers ne pourront travailler
Les fenêtres sont larges, les décors plus «gais»,
aux mêmes ouvrages sauf pour leurs propres
avec la profusion de jeux d’enfants ou de fleurs
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boutiques. Il est important toutefois de no-
ou la présence de plus en plus fréquente de mi-
ter que les ébénistes se sont regroupés avec
roirs aux murs. Dès la seconde moitié du siècle,
ces artisans plutôt qu’avec les menuisiers et
le lit de repos est de plus en plus présent dans
les charpentiers. Faut-il y voir une volonté évi-
le cabinet, bientôt remplacé au XVIIIe siècle par
dente de se détacher de l’artisanat mécanique
le sofa ou le canapé, déjà présents dès la fin
(les vitriers à Nîmes sont surtout des peintres)
du XVIIe siècle.35 Les tables, recouvertes d’un
ou s’agit-il d’éviter un rapport de force qui leur
tapis pendant une assez longue période, se
aurait été trop défavorable ?
parent à la fin du siècle d’ouvrages marquetés.
Le XVII siècle se caractérise par une quête d’un
Les tables de jeux font également leur appari-
confort de plus en plus raffiné pour qui en a
tion, tout comme la commode, mais quelques
les moyens. L’influence italienne importée par
années plus tôt qu’on ne le pense habituelle-
les artistes allait désormais se ressentir dans
ment, puisque nous trouvons mention de ce
les travaux des architectes français. Les distri-
meuble à Nîmes, dès 1664.36
(1) Langeois, D., «Évolution du décor intérieur entre
1600 et 1660 », in Un temps d’exubérance, Paris, 2002,
p. 119.
butions intérieures, de plus en plus complexes
Survivance d’habitudes itinérantes, le luxe
dans les riches demeures, vont permettre le
concerne, au début du siècle, les textiles.
(2) Coquery, E., «La tapisserie et ses bordures», p. 149.
développement de nouvelles pièces, dont le
Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du
cabinet semble le meilleur exemple à Nîmes.
XVIIe siècle, que les plus beaux meubles sculp-
L’art de vivre semble être une caractéristique
tés se développent37 et que les menuiseries se
présente dans tout le royaume. Le raffinement
parent de couleurs, voire de scènes historiées.
(5) Richelet, P., Dictionnaire françois contenant les mots
et les choses..., Genève, 1680, p. 426.
des manières s’accompagne, en effet, d’une at-
Les literies sont tendues de brocart, de velours
(6) Inventaire du 28 avril 1672, viguerie de Nîmes, 2 B 95.
tention particulière accordée au cadre de vie.
ou de cadis. L’association de coloris parfois
Les modes sont diffusées rapidement par
violents (violet et jaune par exemple), permet
(7) Inventaire après décès du 7 janvier 1673, viguerie
de Nîmes, 2 B 96.
les livres, les gazettes, illustrées par des es-
également au propriétaire d’affirmer sa réus-
(8) G 1349.
tampes, à l’image des scènes de vie intérieure
site sociale, Nîmes étant surtout peuplée de
d’Abraham Bosse que nous avons vu tout à
bourgeois.
(9) 2 E 42/25, fol. 418 v°.
l’heure. A partir des années 1620, les ornema-
On note donc quelques caractéristiques dé-
nistes vont publier des recueils plus techniques
coratives à Nîmes : les plafonds à voussure,
qui s’adressent aux maîtres d’œuvre.
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(3) E 36/764, fol. 205.
(4) Coquery, E. «La tapisserie et ses bordures», op. cit.,
p. 122, note 27.
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(26) 2 E 39/96, fol. 57 v°
(27) 2 E 36/1079, acte n° 1.
(10) Mentionné par J. Vittet, «Les manufactures de tapis», in op. cit., p. 178.
(28) E dépôt Nîmes, KK 22, acte n° 234 v°. Ce plafond a
malheureusement disparu aujourd’hui.
(29) 6 MI 458, fol. 445.
(12) 2 E 39/87, fol. 388.
prolifère. La décoration est orientée selon trois
celui qui permet, à un moindre coût, une riche
(31) Ebène et pierres dures, 260 x 137 x 93 cm, atelier
d’Aubsbourg, 1628, inv. O.D.A, 1911, n° 1541.
(13) 2 E 36/713, fol. 249 v°.
principes : le souci d’harmonisation ornemen-
ornementation. Ces plafonds d’une grande
tale, la recherche d’un confort et surtout, sous-
symétrie, dégagent une impression de force.38
jacente, la volonté d’afficher sa richesse et sa
Les décorations intérieures des demeures nî-
réussite. L’harmonie impose de concevoir les
moises sont finalement assez proches de celles
différents éléments du décor comme un tout.
présentes dans tout le royaume. Le système
(14) Fleury, M-A., Document du minutier central concernant les peintres, les sculpteurs..., Paris, 1969, p. 92-93.
Voir aussi Potay, C., «Des artistes nîmois méconnus
du XVIIe siècle : François et Jean Gommeau», in Lien
des chercheurs cévenols, 1995, n° 100, p. 119- 123, 2 E
36/723, fol. 97 v° et E dépôt Nîmes, 2e cahier, acte n° 86.
On cherche alors à donner une harmonie colo-
décoratif des plafonds à la française est fondé
(15) 2 E 36/754, fol.395.
rée dans chaque pièce, les textiles des lits, des
sur une grande unité d’ensemble, obtenue par
chaises et des tentures sont donc de teintes as-
une répétition des motifs peints et l’harmonie
(16) Watin, L’art du peintre, doreur, vernisseur..., Liège
1776 (fac-similé, Paris, 1976), pp. 86, 95 et 97.
sez proches. Les meubles peints sont aussi très
des couleurs.39 Les érudits locaux et les archi-
nombreux à Nîmes, et pas seulement chez les
tectes nîmois possédaient la plupart des trai-
catholiques : lors de son mariage, le marchand
tés d’architecture de référence et il n’est donc
(18) Viguerie de Nîmes, 2 B 112.
«forbisseur» protestant Pierre Guillot reçoit
guère étonnant qu’ils aient tenté d’appliquer
(19) 2 E 37/213, fol. 176.
80 livres en meubles de maison, dont deux cabi-
certaines formules à Nîmes ■
(20) 2 E 39/407, fol. 598.
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(17) 2 E 36/754, fol. 16 v°, 541 v° et 808 et 2 E 36/757,
fol. 693.
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(25) 2 E 36/759, fol. 608. En 1624, Antoine de Mautalieu
est qualifié de co-seigneur de Caveirac. Peut-être que
la cité est co-dirigée en quelque sorte encore quelques
années plus tard ? Voir Y. Chassain, Inventaires des
actes filiatifs, tome 1.
sents encore ; le plafond à la française, est
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(24) 2 E 37/225, fol.532 v°.
Dans les années suivantes, ce genre d’ouvrage
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(23) 2 E 36/747, fol. 568 v°.
(30) 2 E 39/383, fol. 13.
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(22) Jean-Louis Vayssettes et Bernard Sournia ont rédigé un panneau d’information pour les visiteurs de ce
cabinet.
par exemple, ne semblent pas être très pré-
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(21) Nous remercions M. Gérard Trauchessec de nous
avoir donné accès à ce cabinet peint.
(11) Corrozet, G., Les blasons domestiques, Paris, 1539
(réédition, Paris 1865), p. 15 v°
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(32) E dépôt Nîmes, FF 25, cité in C. Potay, L’architecture..., op. cit., tome 2, p. 131.
(33) 4 E 304.
(34) 2 E 37/214, fol. 408 v°.
(35) Ces mots sont définis dans les dictionnaires de
l’époque.
(36) Saule, B., «Décoration et ameublement», in Dictionnaire du Grand Siècle, Paris, 1990, p.452. L’auteur précise que ce meuble apparaît vers 1695, alors que nous
en avons découvert mention dès 1664.
(37) La première mention d’armoire sculptée date de
1649, dans l’inventaire du baron d’Aubais.
(38) Gady, A., «Poutres et solives...», op., cit., p. 13.
(39) Ibid, p.15.
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Une maison nîmoise au XVIe siècle :
Architecture et décor
Pascal Trarieux
11 janvier 2006
La découverte d’un décor peint à l’intérieur d’un immeuble civil à Nîmes présente
aujourd’hui un intérêt capital pour l’étude et la connaissance du Patrimoine.
En effet, une découverte de ce genre est rarement signalée, et peu d’exemples
de décors intérieurs sont connus dans le Secteur Sauvegardé. Plusieurs facteurs
en sont la cause : les rénovations privées ne peuvent pas être suivies par les
puisqu’il lègue en 1556 trois librairies à ses fils
[…] c’est celui qui trace les plans, le «pourtraict»
(Nîmes, Uzès et Montpellier). La création de
ou élévation, et fournit les devis.»5.
l’Université des Arts attire les étudiants autour
La force de la gravure représentant les taureaux
de la chaire de Pierre Baduel et les libraires
de l’Amphithéâtre consiste à les montrer de
entrent rapidement en concurrence.
profil et non de face (comme les bucranes) afin
Revenons aux entablements : le parti décoratif
de cerner l’aspect très graphique de ces figures.
de chacun diffère radicalement : celui du pre-
Cependant le manuscrit daté 1627 de Anne
professionnels de la conservation du patrimoine, les artisans ne sont ni formés,
mier traditionnellement dorique présente l’al-
Rulman, conservé à la Bibliothèque nationale
ni sensibilisés aux découvertes fortuites auxquelles on peut s’attendre dans
ternance de triglyphes et de métopes, tandis
de France, montre deux dessins de portes avec
que celui du second présente une frise conti-
cette représentation frontale de têtes de tau-
nue de guirlandes et de mascarons ; éléments
reaux. «C’est la façade d’un ancien temple des
(décroûtage des enduits, démolition des cloisons) ne laissent pas place aux
remarquables de cette façade puisque le raffi-
païens qui a servi de demeure à l’Eglise Nostre
techniques lentes et délicates des sondages et dégagements superficiels.
nement et la multiplicité des motifs en font un
Dame. Les deux testes de taureaux de marbre
exemple unique en son genre à Nîmes.
qui estaient à costé de la porte furent brisées
le bâti ancien ; enfin les techniques de rénovation agressives et irrémédiables
Seule l’application des mesures et méthodes établies pour l’archéologie,
en 1611 lorsque le chapitre fit rebastir l’Eglise et
adaptée au bâti moderne (c’est-à-dire autre qu’antique), permettrait de recenser
des éléments qui après examen, puis étude scientifique, peuvent ne pas être
gardés.
Nous avons eu la chance dans le cas présent, que les propriétaires contactent
spontanément les services concernés, et permettent le libre accès aux pièces
en travaux. Cette situation encore trop exceptionnelle est à encourager.
faire une belle entrée à la moderne. Et ceste exal-
La particularité du décor de la frise dorique ré-
tation de quleque paîen et le sacrifice par leurs
side dans son alternance des triglyphes avec
faicts en l’honneur des dieux a esté destruit tota-
des rosaces et, soit des bucranes, soit des
lement en ce monument de 1627», «Ceste porte
protomés taurins2. Des entablements sur le
est romaine et septentrionale, toute entière en-
modèle d’Ecouen (portique de la chapelle par
semble les deux testes de taureaux qui sont en
Jean Bullant, sculptures sans doute par Jean
pierre dure commune».
Goujon) avec triglyphes, roses et bucranes sont
On ne peut établir de lien direct entre ces re-
plus courants, puisque diffusé en particulier
présentations et certaines des métopes d’enta-
par le Livre IV de Serlio, bien que peu repré-
blement et l’on pourrait tenter une proposition
sentés à Nîmes (un seul autre exemple sur une
de datation d’après les représentations figu-
Une architecture noble : la façade
traduit en français dès 1545. Dans les provinces,
porte rue de la Trésorerie). Le motif de proto-
rées de Poldo l’année 1559 comme date post
Nous sommes en présence d’un immeuble en
des compositions savantes à base d’éléments
mé taurin constitue une rareté qui a fait l’objet
quem, et l’année mentionnée par Rulman 1611
mauvais état et dont les mutations de proprié-
antiquisants attestent un souci de répondre au
d’études, après que M. Lassalle dès 1971 ait mis
comme date ante quem.
té conduisent à un projet de restauration de
nouvel état d’esprit. La présence de lucarnes
en comparaison cette caractéristique propre
Cependant plusieurs autres édifices de la ré-
la façade, qui s’accompagne d’un chantier de
à meneaux traitées à l’antique avec encadre-
du théâtre antique d’Arles .
gion présentent cette caractéristique.
rénovation intérieure de la part des nouveaux
ment dorique et frise à triglyphes et métopes
Ce motif fait référence à Nîmes aux deux avant-
On cite en référence le Duché d’Uzès datable
propriétaires.
à rosaces et bucranes alternés, servent de mo-
corps de taureaux hissants sculptés en ronde
de 1545-1550, par son attribution à Philibert
Le premier examen en façade conduit notre
dèles.1
bosse, ornant la travée de la porte principale
Delorme, le beffroi de l’Hôtel de Ville d’Arles
analyse sur les niveaux 1 et 2, d’une grande
La façade de Nîmes se compose de deux baies
de l’Amphithéâtre romain, mais aussi la Porte
datant de 1547-1553 et la façade du 73 rue de
qualité architecturale et décorative, le reste
par étage, dont les probables meneaux et tra-
Auguste (très érodés). L’esthétique de ce motif
la République à Beaucaire. Bien sûr les spécia-
ayant été trop endommagé (rez-de-chaussée
verses manquent. L’ornementation correspond
a été remarqué assez tôt et fixé par le dessin
listes6 avancent comme modèle une reproduc-
et niveau 3).
au vocabulaire décoratif de l’architecture de
qu’en a publié Jean Poldo d’Albenas dans son
tion des motifs directement inspirés de l’enta-
Ces niveaux sont conçus suivant les principes
la Renaissance française : pilastres cannelés à
ouvrage dont la première édition datée 1559
blement du Théâtre antique d’Arles, puisque
de la travée rythmique établis à la Renaissance
chapiteaux toscans au premier étage et ionique
est immédiatement suivie d’une réimpression
les modèles plus complets qu’aujourd’hui de
pour la construction des châteaux, puis des
en corne de bélier au second, ce qui prouve la
en 1560, ce qui témoigne de son succès. Abon-
décor sculptés d’époque romaine étaient en-
hôtels particuliers, à l’imitation du vocabulaire
culture de l’auteur de cet édifice, autant que
damment illustré de planches en bois gravé,
core visibles et transposables dans le nouveau
architectural de l’Antiquité hérité du traité de
la circulation en France des modèles, via les
cet ouvrage montre l’art de bâtir des romains
style architectural «renaissant».
Vitruve «De Architectura» (Fontainebleau dès
ouvrages abondamment illustrés de gravures
en décortiquant les motifs des monuments de
On notera l’habileté du sculpteur qui ne se
1527, Ancy-le-Franc vers 1546). La présence de
(Serlio 1545, Vitruve 1547, Vignole 1562, Phili-
Nîmes. Ce genre d’ouvrage illustré constitue un
borne pas à copier le modèle mais l’intègre
Benvenuto Cellini à la Cour avait révolutionné
bert de L’Orme 1562, Du Cerceau 1576). Il est
véritable répertoire de modèles, dont un habile
dans sa composition, le faisant alterner plu-
les arts vers 1540, mais l’arrivée de Sebastiano
à noter que les débuts du développement de
maître-maçon - même illettré - peut s’inspirer
sieurs fois soit à l’identique, soit en contrepar-
est conservateur
Serlio marqua son influence : son Livre III, dé-
librairies à Nîmes remonterait à 1532/1535 avec
(et reproduire) : «le maître-maçon est à la fois
tie puisqu’il ne s’agit pas d’un motif symétrique.
du Patrimoine.
dié à François Ier, sur les antiquités de Rome est
un certain François Bernard ; débuts florissants
architecte, entrepreneur, ouvrier et sculpteur
L’animation qui résulte de ce jeu plastique
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La frise dorique
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confère à la façade son originalité et son unicité.
Seconde Renaissance : baguettes (avec roses, ru-
Le Baroque, pas plus que le Gothique ou l’Art
Les peintures
L’alternance des dix-neuf métopes se décom-
bans, perles ?), entrelacs (roses et rubans ?), oves
Nouveau n’ont laissé de traces marquantes
Dans cette zone privilégiée de l’entrée dans
pose de gauche à droite ainsi : rose-bucrane 1
(avec nervure, fleuronnée, avec dard ?), plas-
dans la ville : trop éloignés des modèles «sacré»
la salle noble de la maison, nous ne sommes
(à bandeau) / rose-protomé 1 (modèle antique
trons, chapelets (à grains, olives ou pastenotes ?),
que représentent les monuments romains, ils
plus surpris de trouver un décor peint, de textes
à gauche) / rose-bucrane 1 / rose–protomé
postes (fleuronnées ?), guillochis.
ne semblent avoir inspiré ni architectes, ni dé-
seuls du côté du palier, de texte accompagnant
1 à droite / rose+rose-protomé 2 à gauche /
Il semblerait par ailleurs que la facture légère-
corateurs, sculpteurs ou peintres.
des cartouches ornés dans la pièce.
rose–bucrane 2(classique) / rose-protomé 2 /
ment différente dans le traitement des travées
à droite / rose–bucrane 2 / rose-protomé 2 à
gauche et droite ne se marque qu’au niveau des
gauche. Les dix roses sont d’un dessin différent.
Les deux types de bucranes et de protomés se
restauratrice spécialisée, nous révélant que
détails d’exécution mais de façon nette. La travée
le décor intérieur
ces peintures ont été réalisées à la détrempe
gauche présente un décor de métopes peut-
L’ensemble de la maison de la rue des Marchand
sur un badigeon de chaux posé à même la
répartissent à gauche pour les types 1 quelque
être plus archaïque (bucranes 1 et protomés 1),
a été beaucoup trop remanié au cours des
pierre. Elles ont été trouvées sous des couches
peu archaïques, et à droite pour les types 2,
les oves des chapiteaux sont plus petites et les
siècles pour que nous puissions avoir u

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