Impôtsetlagauche

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Impôtsetlagauche
• 1,70 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO10380
MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
WWW.LIBERATION.FR
AUJOURD’HUI AVEC «LIBÉ», LE SUPPLÉMENT
HAUT ET COURT
CINÉMA
L’ÎLE ENCHANTÉE
DE NAOMI KAWAZE
«STILL THE WATER» ET LES FILMS DE LA SEMAINE, CAHIER CENTRAL
Impôts et la gauche
LA RÉFORME
MANQUÉE
Le gouvernement aura préféré les bricolages plutôt que de
remettre à plat le système fiscal, perçu comme injuste. PAGES 2­5
A Kobané,
les Kurdes
assiégés
L’Etat islamique se prépare à
l’offensive finale contre la ville
du Kurdistan syrien, toute
proche de la frontière turque.
REPORTAGE, PAGES 6­7
Familles:
les coupes
passent mal
Tollé après l’annonce de
700 millions d’euros à rogner
sur les congés parentaux et
autres aides.
PAGES 10­11
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,40 €, Andorre 1,90 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,80 €, Canada 4,99 $, Danemark 28 Kr, DOM 2,50 €, Espagne 2,40 €, Etats­Unis 4,99 $, Finlande 2,80 €, Grande­Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €,
Irlande 2,50 €, Israël 22 ILS, Italie 2,40 €, Luxembourg 1,80 €, Maroc 19 Dh, Norvège 29 Kr, Pays­Bas 2,40 €, Portugal(cont.) 2,60 €, Slovénie 2,80 €, Suède 26 Kr, Suisse 3,30 FS, TOM 440 CFP, Tunisie 2,90 DT, Zone CFA 2 200CFA.
•
EVENEMENT
ÉDITORIAL
La suppression de la première tranche de l’impôt sur
le revenu sera présentée ce mercredi. Un rattrapage
bien éloigné de la grande ambition de justice fiscale.
Par FRANÇOIS
SERGENT
Bravache
C’est un ministre
de l’Economie socialiste
qui, en l’été 2013,
popularisa et justifia
le «ras-le-bol fiscal des
Français», auquel il se
dit soudain «sensible».
Bel effort de pédagogie
pour un membre
d’un gouvernement
de gauche que l’on eût
préféré être sensible
à la justice fiscale.
S’il est vrai que la part
des prélèvements
obligatoires est, en
France, plus forte
que la moyenne des pays
de l’OCDE, elle demeure
dans la fourchette
de tête d’autres pays
comparables.
De nombreux ministres
après Pierre Moscovici,
le Président lui-même
ont parlé de «haut-lecœur fiscal».
Paradoxe de ces
déclarations bravaches,
les gouvernements
successifs de François
Hollande ont
effectivement augmenté
les impôts, mettant
notamment à
contribution retraités,
veuves ou petits salariés
qui jusqu’alors
y échappaient.
Face à ces injonctions
contradictoires,
le peuple de gauche
ne pouvait que s’y
perdre et la popularité
présidentielle s’écrouler.
Pour réparer ce qui était
perçu comme une
injustice, le Premier
ministre a finalement
décidé de supprimer
la première tranche
de l’impôt sur le revenu
et d’en sortir les plus
pauvres. Mesure sociale
s’il en est. Si ce n’est que
la population assujettie
à l’impôt sur le revenu
se réduit encore et
que le gouvernement
maintient les hausses
de TVA, taxe injuste
par essence. Autant de
bricolages aux antipodes
de la promesse
solennelle du candidat
Hollande de réformer le
système fiscal français,
de le rendre plus juste,
plus lisible, plus
transparent. «Citoyen»
en un mot aujourd’hui
délaissé.
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
Réformer les
impôts: la gauche
en est revenue
Par GRÉGOIRE
BISEAU
et LUC
PEILLON
C
e sera la seule bonne
nouvelle de ce budget
2015: la suppression de
la première tranche de
l’impôt sur le revenu, afin de
faire passer la pilule des 21 milliards d’économies. Le projet de
loi de Finances pour 2015 (lire
page 4), présenté ce mercredi
en Conseil des ministres, est
en effet si contraint qu’il ne
laissera aucune marge de
manœuvre au gouvernement. Entre la
L’ESSENTIEL
pression de la Commission européenne
LE CONTEXTE
pour réduire les déficits, et donc accenLe gouvernement
tuer les économies,
présente son budget
le ralentissement des
mercredi.
rentrées fiscales liées
L’ENJEU
à la quasi-stagnation
de l’activité, et les
Sa mesure phare,
engagements à baisla suppression
ser massivement les
de la première tranche
prélèvements des
de l’impôt sur
entreprises, l’exécule revenu, est­elle
tif n’aura rien à disvraiment sociale ?
tribuer.
Enfin presque. Car
dans cet étau budgétaire des
plus serrés, Matignon et l’Elysée, soucieux de répondre au
«haut-le-cœur fiscal» qu’ils
ont eux-mêmes contribué, en
partie, à provoquer, ont choisi
d’alléger – un peu – la fiscalité
65 %
1982
60 %
1981
prévue initialement par le gouvernement, mais censurée cet
été par le Conseil constitutionnel. Elle sera même concentrée
sur la tranche des 50 à 75% des
Français les «plus aisés». Et
pour un coût pour les finances
publiques d’un peu plus de
3 milliards d’euros.
COUP PAR COUP. Après avoir Choix surprenant, donc, pour
instauré, pour cette année, une un exécutif socialiste, que de
réduction forfaitaire d’IR pour s’en prendre à l’IR. Certes, avec
les contribuables gagnant jus- 70 milliards d’euros engrangés
qu’à 1,1 smic (plus de 4 millions cette année, le rendement de
de foyers concernés), le gou- cet impôt a augmenté de près
vernement devrait ainsi récidi- de 60% par rapport au début de
ver dans le budget 2015… en la crise, essentiellement en raisupprimant carrément
son du rabotage de plula première tranche.
RÉCIT sieurs niches fiscales.
Autrement dit, l’entrée
Mais par rapport à 2007,
dans l’impôt débutera à partir il ne progresse que de 20%. Et
de 10 000 euros par an (seuil encore, en y intégrant, depuis
réaménagé), contre 6000 euros 2013, les revenus du capital. La
jusqu’à maintenant. La réforme part de l’IR rapporté au PIB,
devrait concerner près de surtout, ne représente que 3%,
9 millions de foyers fiscaux en baisse continue depuis la fin
(dont 3 millions seront totale- des années 80. Et reste deux à
ment exonérés d’IR), et jus- trois fois inférieure à de nomqu’aux ménages gagnant jus- breux pays développés. A l’inqu’à 2 250 euros par mois par verse, la TVA, impôt injuste car
part fiscale, selon les Echos. Sa- touchant tout le monde de la
chant que le revenu fiscal mé- même façon, quel que soit son
dian est de 1 600 euros en revenu, rapporte près du double
France, la mesure concernera aux finances publiques.
donc un public plus vaste (et en Symboliquement aussi, la part
partie différent) que la simple des Français s’acquittant de l’IR
baisse de cotisations sociales, est passée cette année sous la
TAUXMARGINALMAXIMUM
58 %
1982
56,8 %
1988
impôt sur le revenu, en France
48,1 %
2004
40 %
2007
PARTDANSLEPIB
recees de l’impôt sur le revenu,
en % du PIB
3,7 %
1998
3,8
45 %
2013
3,6
3,4
3,7 %
1989
3,4 %
2003
3,2
3%
2011
3,0
40 %
2007
4,2
4,3 %
1991
4,2 %
1986
4,0
54 %
1996
Gouvernement
de gauche
pesant sur les ménages. Mais
pas via n’importe quel outil.
Choix étonnant pour un gouvernement de gauche, c’est en
effet l’impôt sur le revenu (IR),
seul impôt progressif en France,
que l’exécutif a –de nouveau–
choisi de baisser.
2,8
2,6
Sources : Thomas Pikey, Sénat,
Lois de finances, Comptes publics.fr
2
barre des 50%. Autrement dit,
moins d’un Français sur deux
est désormais soumis à cet impôt centenaire et synonyme de
justice sociale, entamant ainsi
un peu plus une des bases du
«pacte républicain», qui prévoit
que chacun contribue – même
symboliquement– aux dépenses de la nation, en fonction de
ses moyens. Renforcer cet impôt, en le fusionnant avec une
CSG devenue progressive, était
d’ailleurs l’engagement du candidat François Hollande… La
gauche espérait une grande réforme fiscale: elle hérite d’une
politique au coup par coup.
MALENTENDU. Tout part d’un
malentendu: le candidat socialiste François Hollande n’a jamais été un grand défenseur
d’une ambitieuse réforme fiscale. Elle était dans le programme du PS, donc il en hérite. Pour lui, cette réforme
devait se limiter à trois mesures, dont une à très forte valeur
symbolique : la création d’une
taxe à 75% pour les revenus supérieurs à un million d’euros, le
rétablissement d’une nouvelle
tranche d’impôt sur le revenu à
45%, et le retour de l’ISF. Point.
En octobre 2013, confronté au
mouvement des bonnets
•
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
3
François Hollande et Manuel
Valls sur les Champs­Elysées,
le 14 juillet. PHOTO MARC
CHAUMEIL
REPÈRES
«Je suis très sensible à
ce ras-le-bol fiscal que
je ressens de la part de
nos concitoyens, qu’ils
soient des ménages,
des consommateurs
ou qu’ils soient
des entreprises.»
Pierre Moscovici
alors ministre de l’Economie,
le 20 août 2013 sur France Inter
«C’est beaucoup,
donc ça devient trop!»
François Hollande
le 15 septembre 2013, lors
d’un entretien télévisé sur TF1,
évoquant les 30 milliards
d’euros de prélèvements
supplémentaires votés depuis
le début de son quinquennat
«Depuis quatre ans,
les Français subissent
les impôts, une espèce
de haut-le-cœur
fiscal.»
Manuel Valls le 17 septembre
2014 sur France Inter
rouges, Jean-Marc Ayrault
a bien tenté de relancer ce
grand chantier. Soutenu par
toute sa majorité, il reprend à
son compte l’analyse de l’économiste Thomas Piketty : le
système fiscal français est tellement illisible qu’il en est devenu antidémocratique. Le Premier ministre déclare alors que
tout est sur la table : la fin des
niches, le prélèvement à la
source, la fusion entre la CSG et
l’impôt sur le revenu… Mais Ayrault va commettre deux erreurs: il se met à dos Bercy, notamment Pierre Moscovici, et
surtout, pense pouvoir prendre
de vitesse l’Elysée. Obsédé par
l’idée de ne pas ouvrir la boîte
à baffes des impôts, Hollande
n’aura de cesse de tuer l’élan
réformateur de son Premier ministre. In fine, il n’en restera
rien. «Ce n’était pas faute de volonté politique, mais lié au contexte, défend le député socialiste, porte-parole de la
commission des finances, Dominique Lefebvre. Pour mener
une telle réforme fiscale, il aurait
fallu à la fois de l’argent et un climat politique apaisé. Or on avait
ni l’un ni l’autre.»
D’autant que dès la fin de l’été
2013, Pierre Moscovici avait
déjà installé l’idée du «ras-le-
bol fiscal». François Hollande
contestera la formule mais pas
le diagnostic. Quelques semaines plus tard, il dira la même
chose, différemment. Evoquant
les 30 milliards de prélèvement
supplémentaire votés depuis le
début de son quinquennat, il
déclare: «C’est beaucoup, donc
c’est trop.»
SYMBOLE. A partir de là, difficile de faire autre chose que de
baisser les impôts, et donc le
premier d’entre eux, dans sa
dimension symbolique, celui
sur le revenu. «Notre erreur, reconnaît Lefebvre, est de ne pas
avoir bien évalué les conséquences des mesures votées sous Fillon
[gel du barème, suppression de
la demi-part des veuves, ndlr],
et que l’on a prolongées au début
de l’été 2012.» Sans compter
celles rajoutées par l’actuelle
majorité. A cause d’elles, près
de 3 millions de Français entrent dans l’IR pour la première
fois. Avec des conséquences
politiques dévastatrices. Hollande profite du changement de
Premier ministre, pour entamer
un rétropédalage : faire sortir
du barème ceux qui venaient
d’y rentrer. Maigre consolation,
en échange de l’enterrement
d’une vraie réforme fiscale. •
Défiance envers l’Etat-providence et la redistribution: la solidarité
des plus aisés envers les plus démunis via l’impôt n’est plus évidente.
Le règne du chacun pour soi
L’
Etat-providence traverse une ils n’étaient que 31% à penser la
double crise existentielle. Il vit même chose. En 2014, pour la preau-dessus de ses moyens. Ce mière fois depuis vingt ans, la proqui n’est pas neuf. Mais surtout, sa portion de personnes considérant
légitimité est de plus en plus contes- que l’Etat n’en fait pas assez pour les
tée par l’opinion publique française plus démunis est passée sous la barre
– ce qui est totalement inédit. Une des 50%. En 1993, ils étaient 73% à
étude du Credoc (1) vient jeter une penser qu’il devait en faire plus.
lumière crue sur cette rupture histo- L’idée que les plus aisés doivent donrique. Jusqu’à présent, en période de ner aux plus modestes pour établir
chômage élevé, le Credoc
de la justice sociale perd
avait toujours mesuré une
ANALYSE aussi du terrain depuis deux
plus forte empathie des
ans : en 2012, les Français
Français vis-à-vis des plus démunis. étaient 71% à la partager, contre 55%
Donc une adhésion aux politiques aujourd’hui. Dans une autre étude
redistributives et, partant, une ac- (2), cette fois réalisée par le ministère
ception de l’impôt. Ce lien semble des Affaires sociales, le même glissedésormais cassé.
ment apparaît. Le soutien des FranGlissement. Depuis 2009, plusieurs çais aux allocations de solidarité uniindicateurs enregistrent la même se- verselle (familiales et chômage)
cousse: les Français, de plus en plus diminue depuis 2008, passant pour
individualistes, acceptent de moins la première fois sous les 50%. «Tous
en moins le principe de solidarité na- ces indicateurs convergent pour dire
tionale. Entre jeunes et vieux, sala- que la société française devient de plus
riés et sans emplois, pauvres et ri- en plus individualiste», souligne Sanches. En 2014, 63% des Français dra Hoibian, directeur adjoint au
considèrent que «les prestations so- Credoc. Les Français placent toujours
ciales aux familles avec enfants» sont la maladie et le chômage au sommet
«globalement suffisantes». En 2008, de leurs préoccupations principales.
Mais comptent de plus en plus sur
eux-mêmes pour s’en sortir.
Ressentiment. Dans un climat de
défiance généralisée, les politiques
sont jugés inefficaces. Et sans le sou.
Donc fatalement l’impôt est décrié.
«Les classes moyennes vivent avec un
réel sentiment d’injustice fiscale,
poursuit Sandra Hoibian. Elles pensent que les plus pauvres en profitent et
que les plus riches réussissent à échapper à l’effort.» Et comme 80% des
Français considèrent appartenir à la
classe moyenne…
A droite comme à gauche, on a choisi
d’accompagner ce ressentiment plutôt que de le combattre. Après le
«ras-le-bol» de Moscovici, Valls invente le «haut-le-cœur fiscal». Et Nicolas Sarkozy, lors de son premier
meeting, a pris soin de rendre hommage à Laurent Wauquiez, qui avait
dénoncé le «cancer de l’assistanat».
G.Bs.
(1) Credoc, note de synthèse numéro 11,
septembre 2014.
(2) Enquête BVA réalisée en février 2014
pour la Direction de la recherche des
études de l’évaluation et des statistiques.
4
•
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
EVENEMENT
Limiter l’impact récessif des économies, baisser les
impôts, limiter le déficit… L’équation paraît insoluble.
2015, la quadrature
budgétaire
près celui de la Sécurité sociale lundi, le
projet de budget de l’Etat pour l’année
prochaine est présenté ce mercredi en
Conseil des ministres. Confronté au ralentissement de la croissance en Europe et à une inflation
qui n’en finit pas de baisser, l’exercice s’avère
plus délicat que jamais. Bref, ce budget est sans
aucun doute le plus compliqué depuis le début
du quinquennat. «En attendant le prochain», pronostiquent déjà les mauvaises langues.
Dos au mur, le gouvernement va devoir se sortir
d’une équation budgétaire à première vue insoluble. Et tenir plusieurs objectifs a priori peu
conciliables: limiter l’impact récessif de ses nouvelles mesures d’économies tout en réaffirmant
4,3% du PIB à la fin 2015. Des hypothèses «très
prudentes», affirme-t-on à Bercy, en phase avec
les principaux instituts de conjoncture, et qui
devraient être réaffirmées aujourd’hui.
Crédibilité. S’il paraît impossible de générer un
peu de croissance à court terme sans assouplir
le calendrier de désendettement, le gouvernement n’entend pas pour autant renoncer à ses
mesures d’ajustement structurel des comptes
publics, c’est-à-dire corrigé des effets de la conjoncture. Le peu de crédibilité que conserve la
France à Bruxelles et en Allemagne –qui présentera cette année un budget à l’équilibre– est à ce
prix, même s’il s’avère que sur ce point également, la France pourrait manquer sa cible d’un
retour à l’équilibre structurel des comptes en 2017, comme le prévoit la «règle
La conjonction mortifère d’une
d’or» européenne.
croissance revue à 1% en 2015 –contre
Les 21 milliards d’euros d’économies
1,7% précédemment– et d’une inflation prévus en 2015 seront donc bien maintedurablement très faible (0,9%), ne
nus, après que Bercy a, dans un premier
temps, laissé entendre que cet objectif
permettra guère que de stabiliser le
pourrait être revu à la baisse. Entre la rédéficit à 4,3% du PIB à la fin 2015.
duction du congé parental, de la prime
un «sérieux budgétaire» de plus en plus mis à de naissance – «il n’y a pas de plan d’économies
mal au vu de ses résultats, tenir les promesses de qui soit indolore» a souligné mardi François Holbaisse d’impôts pour les ménages (4 milliards) lande– et les nouvelles baisses de prix de médiet de prélèvements des entreprises (20 milliards), caments à la charge des laboratoires, le gouvertout en évitant de trop laisser filer les déficits. nement a commencé à détailler lundi le volet
Une gageure, alors que la France doit convaincre social de ces économies. Soit 10 milliards sur les
ses partenaires de passer une nouvelle fois 21 prévus. Les 11 milliards restant doivent se rél’éponge après avoir reporté pour la troisième partir entre l’Etat et les collectivités locales : 7 à
fois, à 2017, son objectif d’un déficit public res- 8 milliards réalisés sur la vingtaine de missions
pectant la limite européenne de 3% du PIB.
ministérielles et les centaines d’opérateurs de
Convalescente. Les deux ministres en charge l’Etat dont la douloureuse cure d’amaigrissement
des comptes publics, Michel Sapin aux Finances est déjà entamée; 3,7 milliards de baisse des doet son secrétaire d’Etat au Budget, Christian Ec- tations aux collectivités locales.
kert, ont déjà préparé les esprits à l’opération Mais pour convaincre Bruxelles de sa détermina«vérité» que constitue selon eux cette loi de fi- tion, l’exécutif va devoir descendre très loin dans
nances 2015. La mine grave, ils avaient officialisé les détails d’un plan qui prévoit au total 50 mildès le 10 septembre le dérapage de grande am- liards d’économies d’ici 2017. En annonçant
pleur qui s’annonce. Le déficit public, en baisse mardi que la France avait franchi le cap symboliconstante depuis 2011, va remonter à 4,4% du que des 2000 milliards d’euros de dette publique
PIB cette année, contre 4,1% l’an dernier. Et avec (95,1% du PIB) au deuxième trimestre, l’Insee
une économie qui restera convalescente en 2015, a elle aussi fait mentir la prévision du gouvernela France ne fera guère mieux l’an prochain : la ment dans ce domaine. La dette, qui aura doublé
conjonction mortifère d’une croissance revue à depuis 2003, pourrait flirter avec les 98% du PIB
1% en 2015 – contre 1,7% précédemment – et en 2015, au-delà du pic de 96% qu’avait prévu
d’une inflation durablement très faible (0,9%), le gouvernement l’an prochain. Encore raté.
ne permettra guère que de stabiliser le déficit à
CHRISTOPHE ALIX
A
L’aile gauche du PS entend amender le budget de l’Etat et celui de la Sécu pour faire valoir ses positions.
A l’Assemblée, les frondeurs prêts à fronder
est désormais un rituel. Le retour des
textes budgétaires à l’Assemblée nationale signifie aussi celui de la contestation des orientations économiques du
gouvernement au sein de la majorité. Après
un printemps agité et un vote de confiance de
rentrée compliqué, une bonne trentaine de
députés socialistes sont de nouveau prêts à
«amender» les textes budgétaires, en dépit
des consignes de «solidarité». «Il n’y a pas de
raison majeure de ne pas défendre à nouveau nos
positions», fait valoir Christian Paul, député
de la Nièvre et coanimateur de «Vive la gau-
C’
che!», ce collectif qui rassemble ces parlemementaires «frondeurs». Lesquels vont continuer à réclamer une «vraie réforme fiscale»
plutôt qu’une «politique au fil de l’eau» et se
battre contre la baisse importante des dotations de l’Etat aux collectivités territoriales.
«Déséquilibré». La suppression de la première tranche d’impôt sur le revenu ou la demande, par leur président de groupe, Bruno
Le Roux, de «50000 emplois aidés supplémentaires» ne les satisfait pas. «Les emplois aidés,
ça fait quatre mois qu’on les demande ! C’est
très bien mais on aurait pu le faire plus tôt ! dit
Paul. On est incapable d’avoir une démarche
d’ensemble. C’est une politique de petits gestes,
pas de grandes réformes.» Ces élus continueront aussi de dénoncer le «caractère déséquilibré» du pacte de responsabilité. «On ne peut
pas financer sans contrepartie les baisses d’impôts et de cotisation pour les entreprises», insiste Paul.
Ménage. Mais cet activisme finit par valoir
sanction. Mardi, en les prévenant la veille par
SMS, Le Roux a fait le ménage dans la commission des Affaires sociales, celle où les
«frondeurs» étaient actifs et proches de faire
adopter leurs amendements. Paul, ex-rapporteur du budget de la Sécu, a été exfiltré
aux Affaires culturelles. Barbara Romagnan
(Doubs) a été transférée au Développement
durable, Jean-Marc Germain (Hauts-deSeine), Gérard Sebaoun (Val-d’Oise) et Linda
Gourjade (Tarn) siégeront désormais en commission des Affaires étrangères. Et Fanélie
Carrey-Conte (Paris), spécialiste de l’économie sociale et solidaire, devra s’occuper de…
Défense. De quoi éviter un accident en commission. Pas dans l’hémicycle.
LILIAN ALEMAGNA
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
EVENEMENT
•
5
Un rapport dresse un bilan de l’utilisation du dispositif phare de Hollande pour les entreprises.
Le CICE, un démarrage plutôt frileux
C’
Le CICE, comment ça marche ?
L’objet du dispositif est d’augmenter la
marge de manœuvre financière des
entreprises, afin de leur permettre d’investir, d’embaucher ou tout simplement de regonfler leur trésorerie. Il est
calculé à partir de leur masse salariale
– et plus précisément celle des salariés
dont la rémunération est inférieure à
2,5 fois le Smic.
DÉCRYPTAGE Le montant du
CICE équivaut à
4% du total de ces salaires. Cette
somme est alors déduite de l’impôt sur
les sociétés – éventuellement sur plusieurs années. Pour certaines boîtes,
par exemple les PME, elle peut aussi
être restituée immédiatement. Le CICE
doit progressivement monter en puissance: l’an prochain, il représentera 6%
des salaires inférieurs à 2,5 Smic. Son
coût devrait alors dépasser les 20 milliards d’euros, avant d’approcher les
24 milliards vers 2018.
de 25 000 euros ; pour les grandes entreprises, il est proche de 12,5 millions
d’euros. Un pactole qui interroge sur le
ciblage du CICE, censé bénéficier avant
Quels secteurs profitent
le mieux du dispositif?
mères et leurs filiales, même lorsqu’elles exercent des activités différentes.
L’industrie manufacturière et le commerce sont les principaux bénéficiaires,
avec 19,4% des gains chacun.
«C’est une année d’apprentissage. Suivent les «activités de services administratifs et de souCertaines entreprises peuvent
tien» (location, intérim, netdouter de la stabilité du dispositif.» toyage…) et les transports,
avec 10,5% et 9,6%. Les actiJean­Pisani Ferry, patron de France Stratégie
vités financières et l’assutout aux PME exportatrices. Les micro- rance, où les salaires sont plus élevés
entreprises (moins de 10 personnes) et que la moyenne, sont sous-représenles établissements de taille intermé- tées, avec 4,1% des gains. Des données
diaire (entre 250 et 5 000 personnes) plus récentes leur en attribuent près du
perçoivent respectivement 11% et double, mais selon un mode de comp22,5% des gains du CICE.
tage différent, qui agrège les maisons
A quoi sera consacré le CICE ?
A en croire les entreprises, les sommes
dégagées par le crédit d’impôt devraient être reconverties en investissements. Selon les résultats d’une enquête
de l’Insee, telle était en juillet la résolution de 52% des entreprises de services,
et de 58% de celles de l’industrie. Elles
sont également 48% et 34% à juger
que le CICE entraînera des créations
d’emplois, 41% et 26% à anticiper une
hausse des salaires, 32% et 30% à s’attendre à une baisse des prix.
DOMINIQUE ALBERTINI
NOUVEAU
est une bonne nouvelle pour les
finances publiques, mais une
mauvaise surprise pour le gouvernement. Lancé l’an dernier, le CICE
(crédit d’impôt pour la compétitivité et
l’emploi), destiné aux entreprises pour
alléger leur masse salariale, a moins séduit que prévu, selon un rapport présenté mardi par France Stratégie (un
commissariat rattaché à Matignon).
Autre enseignement: les grandes entreprises sont les principales bénéficiaires
de ce dispositif, devant les PME.
Quel bilan pour la première année?
Michel Sapin,
le ministre
des Finances
et des Comptes
publics, le 23 juin
à Paris. PHOTO
LAURENT TROUDE
Ignorance de la part des entreprises,
méfiance, ou manque d’intérêt ? Le
CICE n’a pas suscité chez elles autant
d’enthousiasme qu’espéré. La somme
totale exigible de leur part devait se
monter à 12,3 milliards d’euros. Mais,
en septembre, seuls 8,7 milliards
d’euros de créance avaient été déclarés
par les entreprises –chiffre qui devrait
atteindre 10,8 milliards à la fin de l’année. Restera donc un écart conséquent
avec les prévisions, que France Stratégie
s’explique mal. «C’est encore une année
d’apprentissage, estime Jean PisaniFerry, son patron. Certaines entreprises
peuvent avoir des doutes sur la stabilité du
dispositif, ou redouter qu’il soit suivi d’un
contrôle fiscal. Chez d’autres, le bénéfice
du CICE a pu être jugé marginal au regard
des démarches à accomplir.» L’écart est
plus important encore si l’on regarde les
sommes qui ont effectivement été
«consommées» dès cette année – et
non reportées sur les exercices suivants.
Attendues à 9,9 milliards d’euros, elles
se montent pour l’instant à 5,2 milliards
et ne devraient pas dépasser les
6,5 milliards à la fin de l’année – soit
environ un tiers de moins que prévu.
Qui a utilisé le CICE ?
Les PME (de 10 à 250 salariés) et les
grandes entreprises (plus de 5000 salariés) sont les principales bénéficiaires
du dispositif : en août 2014, elles concentraient respectivement 31% et 35%
du total des créances. Pour les PME, le
montant moyen du crédit d’impôt est
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6
•
MONDE
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
LesKurdesaffluent
pourlabatailledeKobané
Alors que les combattants de l’Etat islamique resserrent leur étau
sur la ville à la frontière turco-syrienne, la résistance s’organise.
Par LUC MATHIEU
Envoyé spécial à Suruç (Turquie)
battants kurdes savent que les jihadistes tant du Parti kurde pour la paix et la dése préparent à l’assaut final.
mocratie (BDP), à Suruç, une ville du
Ils savent aussi qu’ils sont perdants, sur sud de la Turquie.
obané est là, juste après le le strict plan militaire. Leur armement Les Kurdes ne comptent donc que sur
grillage de la frontière turco- est obsolète, inefficace face aux roquet- eux-mêmes. Depuis plus de dix jours,
syrienne et une voie ferrée. tes et aux blindés de leurs ennemis. les volontaires affluent vers la frontière.
Ses maisons aux murs ocre et «Nous n’avons pratiquement que des ar- Hommes et femmes, ils viennent de
aux toits plats se détachent
mes légères et très peu d’ar- Turquie, d’Europe, d’Asie centrale et
sur une colline terreuse, à
REPORTAGE tillerie, eux sont équipés des Etats-Unis. Certains ont répondu à
moins de 500 mètres. Il n’y a
comme une armée régulière», l’appel à la mobilisation générale lancé
personne, aucune voiture, aucun mou- soupire un enseignant, qui observe Ko- la semaine dernière par Abdullah Ocavement dans les ruelles. Pas d’explosion bané depuis la frontière. Défiants par lan, le leader du Parti des travailleurs du
et de tir non plus. Kobané (Aïn al-Arab rapport à la Turquie, qu’ils accusent Kurdistan (PKK), depuis sa prison de la
en arabe), troisième ville du Kurdistan d’avoir armé et financé l’Etat islamique mer de Marmara. D’autres arrivent de
syrien, assaillie de toutes parts par les (lire ci-contre), les Kurdes ne comptent leur propre chef.
jihadistes de l’Etat islamique depuis pas davantage sur la coalition interna- Barron (1), 28 ans, chemise et pantalon
plus de dix jours, paraissait, mardi tionale et ses bombardements aériens. noirs, est un fidèle d’Ocalan. Membre
midi, endormie. «Pour une fois, l’armée «Les frappes américaines ne servent qua- du PKK à Diyarbakir (est de la Turquie),
américaine a été efficace. Elle a bombardé siment à rien. La plupart du temps, les il est depuis vendredi à Suruç pour,
lundi soir une de leurs positions dans le avions bombardent des bâtiments vides. dit-il, «conseiller et organiser la défense
village de Dalé, à une dizaine de kilomè- C’est incompréhensible, ce n’est quand face à l’Etat islamique». «J’aide à établir
tres à l’ouest. Ils ont eu de grosses pertes,
les plans de bataille et à coorils doivent probablement récupérer et se «Nous n’avons pratiquement
donner les différentes unités.
réorganiser», affirme un jeune Kurde,
Même si l’on manque d’arque
des
armes
légères
et
très
peu
soutien du Parti de l’union démocratimes, on combat depuis des
d’artillerie, eux [l’EI] sont équipés
que (PYD) et de ses combattants.
dizaines d’années, on sait
Le calme a toutes les chances de ne pas comme une armée régulière.»
faire. Si l’on perd Kobané, on
durer. Les jihadistes ne sont qu’à quel- Un enseignant kurde
repartira à l’attaque. L’Etat
ques kilomètres. Depuis leur assaut
islamique ne pourra pas tous
fulgurant du 19 septembre, ils occupent même pas compliqué de viser des blindés nous tuer. Ceux d’entre nous qui resteront
des dizaines de villages qui entourent et des combattants qui se déplacent au continueront à combattre, jusqu’à la fin.
Kobané, forçant plus de 140000 Kurdes milieu des champs ou qui se sont installés Nous n’abandonnerons jamais», affirmeà se réfugier en Turquie. Dans la nuit de dans des villages vides. Selon moi, la coa- t-il avant de repartir à une nouvelle
lundi à mardi, ils ont légèrement re- lition procède à quelques frappes de temps réunion.
culé, repositionnant combattants et à autre pour pouvoir dire qu’elle aura tenté Au poste frontière de Murcupinar, Ferat,
blindés à 10 kilomètres à l’ouest et à quelque chose. C’est une posture, rien 26 ans, baskets aux lacets fluo et teel’est. Mais le front Sud est à moins de d’autre», s’énerve Dogon, un représen- shirt vert pomme, ne tient pas le dis5 kilomètres. Lundi, pour la première
fois, des roquettes ont frappé le centre
de la ville kurde.
Ras Al-Ain
TURQUIE
Kobané
K
ASSAUT FINAL. Bombardé à Raqqa et
Deir el-Zor, dans le nord et l’est de la
Syrie, attaqué dans l’Irak voisin par les
peshmergas, l’Etat islamique semble
désormais vouloir consolider ses positions aux alentours de Kobané, comme
s’il tentait de regagner au Kurdistan syrien les territoires menacés ailleurs. Des
activistes syriens ont signalé, lundi soir,
que des convois de tanks et de pick-up
armés de mitrailleuses lourdes remontaient vers le nord depuis Raqqa. Retranchés à Kobané et dans les villages
turcs qui bordent la frontière, les com-
Idlib
Tell Abiad
Alep
Kamichli
Hasaka
Sinjar Tal
Euph
rate
Raqqa
Laaquié
Hama
Tartous
SY R I E
Damas
Deraa
JORDANIE
Erbil
Afar
50 km
Kirkouk
Deir el-Zor
Al Mayadin
Homs
LIB
Dohouk
Mossoul
Amerli
Tikrit
Boukamal
Samarra
Haditha
Ramadi
IRAK
IRAN
Bakouba
Bagdad
Fallouja
Tig
re
Zones occupées
par l’Etat islamique
cours martial des membres du PKK.
Accoudé à la barrière métallique qui le
sépare des soldats turcs, il semble simplement ravi d’être là, au milieu d’une
cinquantaine de Kurdes qui attendent
de franchir la frontière pour rejoindre
Kobané. Originaire de la région, il arrive
de Beyrouth, au Liban, où il travaille
comme ouvrier depuis dix ans. «Quand
j’ai vu à la télé que les jihadistes avaient
lancé l’assaut, je suis parti immédiatement. Je me suis exilé pour faire vivre ma
famille, qui vit ici. A quoi cela sert-il si elle
est chassée par des jihadistes?» Le jeune
Kurde sourit toujours quand il affirme
qu’il n’a pas peur de combattre, même
s’il n’a jamais tenu une arme de sa vie:
«Je ne serai pas seul là-bas, les combattants expérimentés me formeront.»
«TERRORISÉS». «Pourquoi aurais-je
peur? Nous sommes nombreux, ici, nous
nous protégeons mutuellement», dit aussi
Awaz (1), une aide-soignante suisse de
46 ans, en désignant les groupes
d’hommes qui discutent devant les
maisons de Behté, un village à moins
d’un kilomètre de la frontière. Depuis
son arrivée, il y a dix jours, elle passe de
bourgade en bourgade. Le jour, elle aide
les réfugiés, leur prépare à manger, distribue des vêtements, tente de les rassurer. «La plupart sont terrorisés, ils se
terrent dans les maisons où on les installe», explique-t-elle. La nuit, elle se
joint aux hommes qui installent des
check-point sur les routes de terre qui
courent entre les champs. Ce mardi,
peu avant une heure du matin, elle s’est
postée à la sortie de Behté. Personne
n’est armé, seul un jeune tend un long
bâton pour arrêter les voitures et les
minibus qui passent. «Il y a des jihadistes qui tentent de rejoindre les villages
autour de Kobané. Depuis hier [lundi], on
en a arrêté quatre», affirme l’aide-soignante. Dans la nuit sans étoile, une explosion retentit, suivie du grondement
lointain d’un avion de chasse. Les volontaires kurdes se taisent un instant,
s’éloignent de quelques pas pour tenter
de comprendre quel village a été visé,
et retournent au bord de la route. •
(1) Les prénoms ont été modifiés
à la demande des intéressés.
Des Kurdes,
inquiets du sort
de la ville de
Kobané,
manifestent au
poste­frontière
de Suruç, entre
la Turquie
et la Syrie.
PHOTO EMIN OZMEN.
LEJOURNAL.SIPA
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
MONDE
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7
REPÈRES
Les Kurdes dénoncent les ambiguïtés d’Erdogan sur ses relations avec les jihadistes.
Ankara rejoint la coalition à reculons
L
e parlement turc doit discuter
aujourd’hui d’une motion
autorisant une intervention en
Syrie contre l’Etat islamique. Après
de longues hésitations, Ankara rejoint la coalition alors même que
l’offensive jihadiste contre la ville
kurde de Kobané (Aïn al-Arab) à la
frontière turco-syrienne, souligne les
ambiguïtés dans cette crise de l’AKP,
le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis novembre 2002
Les autorités turques s’engagent­
elles réellement contre l’EI ?
Pilier du flanc sud-est de l’Otan, la
Turquie justifiait sa prudence face à
l’EI et son refus d’ouvrir sa grande
base d’Incirlik (sud) aux avions de la
coalition par la nécessité de préserver la vie des 46 otages pris en juin au
consulat turc de Mossoul par les jihadistes. Après leur libération négociée, le 20 septembre dernier, Ankara a amorcé un revirement de sa
position. «Nous serons là où nous
devons être ; nous ne pouvons rester
en dehors de cela», a ainsi déclaré le
président, Recep Tayyip Erdogan,
l’homme fort de l’AKP, de retour des
Etats-Unis. «C’est avant tout un
pragmatique qui peut changer d’attitude très vite mais sur l’EI, il reste am-
bigu d’autant qu’une partie la base la
plus islamiste de l’AKP voit malgré tout
les jihadistes comme de vrais musulmans sunnites, des enfants certes terribles, mais qui font quand même partie
de la famille», analyse Ahmet Insel,
universitaire et directeur de la prestigieuse revue Birikin. Soutenant
d’abord Assad en espérant qu’il
«écoute son peuple», Recep Tayyip
Erdogan avait rapidement pris fait en
cause pour la rébellion, hébergeant
l’Armée syrienne libre et la coalition
de l’opposition mais laissant aussi
passer les volontaires et les armes
pour les groupes les plus radicaux,
arguant de l’efficacité de leur engagement sur le terrain. Mais ceux-ci
combattent aussi les Kurdes syriens
du PYD, proches des rebelles turcs
kurdes du PKK, ce qui arrange Ankara. «Le dossier syrien est d’autant
plus complexe pour le pouvoir qu’il recoupe des questions sensibles internes,
celle de 15 millions de Kurdes et de
15 millions d’alévis [fidèles d’une
secte moderniste issue du chiisme
ndlr]», souligne Salam Kawakibi de
l’Arab Reform Initiative.
Qu’est­ce qui se joue à Kobané?
«Cette bataille est à la fois un symbole
et un enjeu stratégique crucial pour les
Kurdes syriens mais aussi turcs»,
analyse Ahmet Insel. Troisième ville
du Kurdistan syrien, région comptant 1,5 million d’habitants, elle est
au centre de ce territoire qui s’étend
le long de la frontière turque. Si
Kobané tombe, les Kurdes syriens ne
pourront pas avoir un territoire homogène comme celui dont disposent
les Kurdes irakiens, de fait indépendants de Bagdad depuis 1991. Cela
explique la mobilisation dans l’opinion kurde. «En intervenant, la Turquie peut réduire la déception qu’elle
a causée dans sa population», clamait, de retour de Kobané, Selahattin Demirtas, le leader du principal
parti prokurde de Turquie. Mais
cette entité kurde syrienne, adossée
aux 800 kilomètres de frontière avec
la Turquie, inquiète Ankara. Conscient de l’importance croissante de
la question kurde et entretenant de
très bonnes relations avec les Kurdes
irakiens de Massoud Barzani, Recep
Tayyip Erdogan se méfie en revanche des Kurdes syriens idéologiquement et organisationnellement proches du PKK. Un processus de paix
a certes été lancé depuis le printemps 2013 et des négociations directes avec Abdullah Ocalan, le leader du PKK condamné à la prison à
vie. Mais il est enlisé et, des deux
côtés, la méfiance reste réelle. Le
PKK reste classé comme une organisation terroriste par les Etats-Unis
et l’Union européenne. Ankara
s’oppose donc à ce que les combattants du PYD bénéficient de livraisons d’armes occidentales comme
les Kurdes irakiens.
Que veut faire Ankara ?
Les autorités turques parlent à nouveau d’une éventuelle «zone tampon» en territoire syrien le long de la
frontière. L’hypothèse avait déjà
été évoquée il y a deux ans afin d’accueillir les réfugiés syriens. Aujourd’hui, ils sont 1,5 million en Turquie.
Il n’est pas clair si ce projet, encore
à l’état d’ébauche, s’étendrait tout le
long de la frontière ou seulement
dans certains points. Tout aussi flou
est sa profondeur. Il est en outre hors
de question pour Ankara d’agir sans
un mandat onusien alors même que
l’opinion publique est massivement
hostile à un engagement. Le but serait de protéger le territoire aussi
bien des jihadistes que d’un retour
des troupes du régime d’Al-Assad.
Mais aussi d’avoir ainsi un moyen de
contrôle sur la zone kurde.
MARC SEMO
Kobané (en kurde, et Aïn
al­Arab en arabe), située à
quelques kilomètres de la
frontière turque, est la
troisième ville kurde de
Syrie. C’est aussi le ber­
ceau de la révolution kurde
en Syrie. Longtemps
ambigu vis­à­vis du régime
d’Al­Assad, le Parti de
l’union démocratique
(PYD) de Salih Muslim a
imposé, y compris par la
force, son hégémonie sur
le Kurdistan syrien. Après
le retrait de la région des
forces du régime en juillet
2012, il a mis en place une
«autonomie démocra­
tique». Des assemblées
populaires assurent dans
les villes des services
jusque­là de la responsabi­
lité de l’Etat. Affirmant
vouloir protéger les minori­
tés et accordant une place
centrale à la lutte des
femmes, le PYD se pose en
modèle de démocratie
progressiste.
«La Turquie peut
réduire la déception
qu’elle a causée
dans sa population
en intervenant.»
Selahattin Demirtas
coprésident du Parti
démocratique populaire
(HDP) de Turquie, exhortant
le gouvernement à prendre
des mesures contre
les jihadistes, mardi
160000
Kurdes de Syrie sont
actuellement réfugiés
en Turquie, selon les
estimations de l’Agence
des Nations unies pour
les réfugiés (UNHCR).
Au total, plus de 3 millions
de Syriens ont fui leur pays.
8
•
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
MONDE
Brésil:«Ilvafalloirréinvestirlarue»
Un an après les grandes manifestations sociales qui ont frappé le pays, l’élection présidentielle
qui se tiendra dimanche peine à mobiliser des jeunes résignés. Dilma Rousseff reste favorite.
du peuple», ajoute ce jeune homme
de 22 ans. La Présidente? «Elle s’est
contentée de maintenir les programmes sociaux de Lula [son prédécesseur, ndlr], sans rien faire de plus,
observe-t-il. Quant à Aécio Neves,
son parti gouverne pour les riches.»
Mollets tatoués et casquette, Henrique est encore grisé par la principale victoire de la rue, la révocation
de la hausse du tarif du ticket de
bus, à l’origine des premières manifs, convoquées par le Mouvement
dit du libre passage (MPL). «Après,
le MPL s’est replié et la mobilisation
est partie dans tous les sens, mais elle
a eu le mérite de déclencher une prise
de conscience politique chez les jeunes», se félicite-t-il. «Quel que soit
le gagnant du scrutin, il va falloir
réinvestir la rue, martèle de son côté
Mayara Vivian, activiste du MPL.
Une démocratie ne se construit pas
uniquement en votant tous les quatre ans.» Un pari risqué. «Les gens
sont démobilisés parce que la classe
politique n’a pas entendu le message
de la rue, explique David Fleischer.
Et rien n’a été fait pour améliorer les
services publics ou lutter contre la
corruption.»
La présidente sortante et candidate à la réélection, Dilma Rousseff, en meeting à Rio le 19 septembre. PHOTO RICARDO MORAES. REUTERS
Par CHANTAL RAYES
Correspondante à São Paulo
Leonardo, 26 ans, attend le bus. Tignasse afro et barbiche, cet employé de bureau est l’un des indivec son enfilade de grat- gnés de juin. Aujourd’hui, il ne se
te-ciel, l’avenue Paulista sent représenté par aucun des trois
est la vitrine de São principaux candidats à la présidenPaulo. C’est
tielle, la présidente sorde là, entre sièges de
REPORTAGE tante, Dilma Rousseff
banques et autres sym(Parti des travailleurs),
boles de prospérité de la capitale l’écologiste Marina Silva (Parti soéconomique du Brésil, qu’était cialiste brésilien) et le sénateur
partie la grande fronde populaire Aécio Neves (Parti de la social-déde 2013. Dans tout le pays, des cen- mocratie brésilienne, centre droit).
taines de milliers de jeunes avaient «Ils se valent tous», lâche-t-il, dépris les rues pour protester contre sabusé.
la corruption et le délabrement des
services publics.
ÉVANGÉLIQUE. Même Marina
A la veille des élections générales Silva, en deuxième place dans les
du 5 octobre, l’agitation sociale sondages derrière Dilma Rousseff,
n’est plus qu’un lointain souvenir. ne trouve pas grâce à ses yeux. La
Les manifestants ont fait place à des candidate socialiste, qui promet de
«militants» payés par les partis gouverner «autrement», incarne
pour agiter des drapeaux et distri- pourtant le changement. Mais c’est
buer les badges de leurs candidats. aussi une évangélique orthodoxe et
A
VEN
REPÈRES
1000 km
Océan
Atlantique
COL
Manaus
BRÉSIL
BOL
CHILI
Océan
Pacifique
Recife
Brasília
PÉROU
ARG
Salvador
Rio de
Janeiro
São Paulo
cela ne rassure pas Leonardo.
«Religion et politique ne font pas bon
ménage», dit le jeune homme, qui
s’apprête à voter blanc, faute
de pouvoir s’abstenir. Obligatoire
Cette année, le taux d’électeurs
âgés de 16 et 17 ans, tranche d’âge
pour laquelle le vote est encore facultatif, a même reculé d’un tiers,
alors qu’il se maintenait depuis 2002. Les délais
Dilma Roussef «s’est contentée de pour s’inscrire sur les
électorales
maintenir les programmes sociaux listes
étaient certes antéde Lula, sans rien faire de plus.»
rieurs à l’annonce, à la
mi-août, de la candiHenrique jeune soutien de Marina Silva
dature de Marina Silva,
à partir de 18 ans, «le vote devrait qui a d’abord suscité l’engouement
être un droit, pas un devoir», des jeunes, son électorat traditionsoupire-t-il.
nel. Son entrée en lice avait suffi à
La contestation avait mis à nu un réduire les taux d’indécis et du vote
malaise insoupçonné dans un pays blanc. Mais, au fil de la campagne,
présenté ces dernières années la vague Marina est quelque peu recomme un modèle de succès éco- tombée.
nomique et social. «La corruption Henrique, lui, reste fidèle à celle
a pris une telle ampleur que la jeu- qu’il présente comme «l’une des ranesse en vient à être dégoûtée par la res figures politiques honnêtes de
politique», observe le politologue notre pays». «Et puis Marina vient
David Fleischer.
d’en bas, elle a vécu les souffrances
Anonymous Brasil, fer de lance
des radicaux antisystème qui
avaient participé à la fronde
sociale de 2013, appelle les élec­
teurs à boycotter le scrutin de
dimanche. «Ne vote pas!»
exhorte régulièrement le mouve­
ment «hacktiviste» sur sa page
Facebook.
66%
des électeurs brésiliens ne se
reconnaissent dans aucun parti
politique, selon un sondage du
quotidien O Globo.
CACIQUES. Dilma Rousseff a bien
proposé un référendum sur la refonte du système électoral, cruciale
pour assainir la vie politique. Mais
le Congrès a refusé de convoquer la
consultation. «Les parlementaires
de tous bords ont craint de ne pas se
faire réélire si les règles du jeu étaient
changées», reprend Fleischer. Les
caciques de la politique brésilienne
ont donc de beaux jours devant
eux. «Les indignés n’ont pas réussi
à se faire représenter dans ce scrutin», observe pour sa part le sociologue Wagner Iglecias.
Il en veut pour preuve les candidats
au poste de gouverneur des Etats,
«le plus souvent issus de la politique
traditionnelle». Pour la présidentielle, c’est Dilma Rousseff qui est
en tête, parvenant même à doubler
Marina Silva parmi les jeunes. Pour
Iglecias, le score de la candidate socialiste est gonflé par les voix des
évangéliques, public très différent
de celui des manifestants. «On a
surestimé la fronde de juin 2013, estime ce spécialiste. Ce mouvement
horizontal a pâti de l’absence d’un
leadership qui aurait pu canaliser ses
aspirations.» •
«La société sent
que les institutions
politiques ne la
représentent pas.»
Marina Silva
candidate du Parti socialiste
brésilien à la présidence
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
10%
des électeurs bulgares sont prêts à donner leur voix à
un parti qui les rémunérerait de 50 à 500 leva (25 à
250 euros) aux législatives de dimanche, selon le Centre
d’analyses et de marketing.
«Depuis le début du cessez-le-feu,
il y a eu un retrait significatif des forces
conventionnelles russes d’Ukraine.
Cependant, des centaines de combattants
russes, y compris des forces spéciales,
sont toujours en Ukraine.»
Jay Janzen porte­parole de l’Otan, mardi
VU DE BERLIN
Par NATHALIE VERSIEUX
En Allemagne, l’armée
en panne, la diplomatie
dans la panade
a ministre de la Défense, Ursula von der
Leyen, misait sur quelques belles photos. Son
voyage éclair à Erbil, dans le
Kurdistan irakien, ne lui a
valu que critiques, relançant
un lancinant débat sur la
vétusté des équipements
lourds de l’armée allemande,
la Bundeswehr, et la capacité
du pays à tenir ses engagements envers l’Otan. A Erbil,
la ministre n’a finalement
pas pu assister à la remise
aux peshmergas des armes
promises par l’Allemagne: le
matériel offert était cloué au
sol à Leipzig suite à un problème technique. Quant au
personnel allemand censé en
montrer le maniement, il est
resté cinq jours en rade en
Bulgarie, après une avarie. Le
week-end dernier, des soldats engagés dans la lutte
contre Ebola ont dû faire
escale aux îles Canaries, en
raison d’une panne…
L
Outre-Rhin, inspecteurs des
armées et députés ne décolèrent pas : sur un parc de
180 blindés Boxer, seuls 70
sont disponibles. Les autres
sont en réparation. 24 seulement des 56 Transal de l’armée allemande sont en cours
de réparation. 21 des 31 hélicoptères de combat Tigre
sont cloués au sol pour la
même raison, de même que
quantité d’hélicoptères de
transport NH90. Faute de
pièces détachées, les techniciens du Tigre sont contraints
de désosser de plus vieux
modèles. «L’Allemagne ne
peut pour l’instant pas assumer tous ses engagements visà-vis de l’Otan en raison de
problèmes d’équipements»,
affirmait dimanche la ministre. Ursula von der Leyen, en
poste depuis moins d’un an,
n’est pas responsable de toutes ces pannes, fruit d’années d’économies sur le budget de la Bundeswehr. Mais
elles risquent d’avoir des
conséquences sur sa politique. La ministre souhaite engager davantage l’Allemagne
à l’étranger. «Impossible dans
l’état actuel du matériel», rétorque Hellmut Königshaus,
chargé des questions militaires au sein du Bundestag.
Matériels et personnels sont
à la limite de leurs capacités.
Impossible d’intervenir militairement en Irak «puisque
nos si coûteux avions sont
cloués au sol. Allez, salutation
chaleureuse à nos alliés! Nous
vous regarderons agir, pendant
que nous discuterons des plus
grandes responsabilités que
nous souhaitons assumer dans
le monde», ironise le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Si
elle veut rester crédible sur la
scène internationale, Ursula
von der Leyen devra demander une rallonge budgétaire
au ministre des Finances.
Rien de tel de prévu pour
2015: Wolfgang Schäuble, qui
présente pour la première
fois un budget à l’équilibre
depuis 1969, n’a pas l’intention d’allonger le budget de
la Défense, limité à 1,3% du
total, contre 1,9% en France.
L’Otan recommande à ses
membres un ratio de 2%. Le
débat renaissant va dans le
sens des intérêts des industriels de l’armement, alors
que la Bundeswehr n’a cessé
de diminuer le montant de
ses commandes au cours des
dernières années. •
MONDEXPRESSO
AHongkong,larue
pleined’ardeur
LA THAÏLANDE
SÉCURISE LES
TOURISTES AVEC
DES BRACELETS
pourrait hausser le ton à l’occasion de la fête du régime.
D
tier central sur le bord de
la mer.
A la Fédération des étudiants
de Hongkong (HKFS), autre
pilier de la protestation, on
assure que les manifestants
ne sont pas contre la Chine,
teront là où ils sont, dans les
principales artères de Hongkong.
Parapluie. Dorothy Hung,
étudiante en médecine,
prendra, elle, comme chaque
jour son tour de garde dans
un des dizaines de
points d’assisDans le quartier de Mong
tance médicale
Kong, une scène était à
mis en place par
disposition de tous ceux qui les organisateurs
voulaient parler, même s’ils des manifestations. La jeune
n’étaient pas d’accord.
femme de 23 ans
mais contre «le système poli- s’est protégée en s’affublant
tique qui la dirige», dit Ethan d’un masque à gaz, d’un
Chung, son secrétaire géné- imperméable et de l’indisral. Il est devenu très difficile pensable parapluie devenu
de prévoir le comportement le signe de ralliement
de la police : «On ne sait pas d’un mouvement que l’on
s’ils passeront à l’action.» Se- n’appelle plus que sous le
lon les militants de la HKFS, nom de «révolution des parades manifestations pour- pluies».
raient parcourir la ville merCorrespondance à Hongkong
credi, alors que les sit-in resFILIPPO ORTONA
Suite au récent meurtre
de deux jeunes Britanni­
ques et en réponse aux
craintes concernant la
sécurité des touristes,
la Thaïlande a décidé de
distribuer des bracelets
d’identification aux
visiteurs étrangers. Nom,
nationalité, hôtel: ces
informations devraient
permettre aux autorités
d’être en mesure de rame­
ner à leur résidence
les touristes ivres endor­
mis sur la plage. Distribués
par les hôtels, les bracelets
ne contiendront pas plus
d’informations personnel­
les que les fiches d’arrivée
remises à l’immigration,
a assuré Arnuparp
Gaesornsuwan, directeur
général du Département
du tourisme. Le 15 sep­
tembre, les corps sans vie
de David Miller, 24 ans, et
Hannah Witheridge,
23 ans, ont été retrouvés
sur une plage de l’île de
Koh Tao.
PAS DE LIQUIDATION DE LA POLITIQUE
CULTURELLE EN FRANCE !
Acteurs des politiques publiques de la décentralisation et de la démocratisation, nous
alertons le gouvernement sur les conséquences irréversibles des réformes en cours dans
notre secteur. Nous appelons à la journée nationale de mobilisation du 1er octobre.
NON À LA DÉMOLITION
DE L’INTERMITTENCE !
Nous dénonçons le nouvel accord Unédic
qui concerne tous les permanents de
notre profession au-delà des intermittents,
condamne les plus précaires, favorise les plus
riches et contredit le principe mutualiste de
l’assurance chômage.
Nous exigeons les moyens d’une véritable
expertise contradictoire et l’aboutissement de
la concertation à des négociations.
NON À L’AUSTÉRITÉ BUDGÉTAIRE !
Bien que la culture contribue 7 fois plus au
PIB que l’industrie automobile, son budget
est aujourd’hui inférieur à celui de 1981. La
baisse des dotations de l’Etat aux collectivités
territoriales est sur le point d’entraîner une
forte récession du secteur : les compagnies
sont exsangues, les festivals et les lieux n’ont
plus de marge de manœuvre.
Nous exigeons un véritable plan de relance pour
la culture, au-delà d’une « sanctuarisation »
du budget toujours menacé par des gels à
répétitions.
NON AU DÉSENGAGEMENT
TERRITORIAL !
Nous refusons que les réformes en cours
affaiblissent les politiques publiques de la
culture par une baisse drastique des moyens
9
L’HISTOIRE
CHINE La mobilisation se poursuit, alors que Pékin
es marées de manifestants se déversent
chaque soir sur les
rues de Hongkong, ralentissant le trafic et se jouant de
l’organisation de la police.
Les organisateurs d’Occupy
Central demandent les démissions du chef de l’exécutif, Leung Chun-ying, ainsi
que le retrait par le Congrès
national du peuple chinois de
la loi qui doit régir les élections à Hongkong dans les
prochaines années. Et ils se
félicitent du «courage et de la
détermination montrés par le
mouvement démocratique et
spontané de Occupy».
«Spontané» est d’ailleurs le
mot-clé des protestataires
qui tenaient mardi soir Central, le quartier de la finance.
A Hongkong, dans tous les
quartiers de l’ancienne colonie britannique, la démocratie se réinvente au quotidien.
Comme dans le quartier de
Mong Kong, sur la terre
ferme, au-delà de la baie où
une scène et un microphone
avaient été mis à disposition
de tous ceux qui voulaient
parler, même s’ils n’étaient
pas d’accord avec le mouvement. Les rassemblements
sont multiformes : à Causeway Bay, mardi, on protestait assis, à Wan Chai, on
encerclait le QG de la police.
Les participants se partagent
les tâchent, les uns apportent
des vivres, d’autres relaient
les communications, tandis
que les derniers s’efforcent
de convaincre les mainlanders – soit les Chinois de
Chine de passage à Hongkong – de les soutenir.
Tempête. Ce calme festif
pourrait bien précéder une
tempête. Mercredi, la Chine
fête le 65e anniversaire de la
fondation de la République
populaire, un grand jour
dans tout l’empire du Milieu
–Hongkong compris. Il n’est
pas exclu que la police se décide à réprimer dans la nuit,
même si la présence massive
des manifestants rend ce
scénario improbable.
Le mouvement ne semble
guère préoccupé. Les militants de Scholarism, la fédération des lycéens qui a eu un
rôle fondamental dans la
mobilisation, ont déclaré
hier dans l’après midi qu’ils
avaient l’intention de se rendre à l’une des cérémonies
officielles à Wan Chai, quar-
•
et leur concentration sur quelques compagnies
et établissements à rayonnement national et
international.
Redistribution optionnelle des compétences,
disparition possible des DRAC, hypothèse du
guichet unique : c’est l’équité républicaine
des territoires qui est en jeu.
Nous exigeons une compétence culturelle
obligatoire et partagée pour chaque collectivité
territoriale.
POUR UNE POLITIQUE
CULTURELLE AMBITIEUSE !
Nous demandons aux pouvoirs publics
de garantir :
◗ la liberté de création et de programmation ;
◗ l’égalité d’accès pour tous à une vie culturelle
fondée sur la diversité ;
◗ un service public de la culture, irréductible
aux seules règles du marché.
Acteurs d’un modèle français d’exception,
héritiers de l’élan humaniste d’après-guerre,
nous voulons rester les artisans d’une
démocratie qui offre à chaque citoyen les outils
de son émancipation et de sa liberté de penser.
Aujourd’hui, tout cela est en danger.
Les adhérents du SYNDEAC
Assemblée générale du 22 septembre 2014
S
Syndicat National
des Entreprises
Artistiques et Culturelles
10
•
FRANCE
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
Les associations s’indignent au sujet de la diminution de la prime à la naissance à partir du deuxième enfant ou encore de la majoration des allocations familiales retardée à l’âge de 16 ans.
Par LILIAN ALEMAGNA
et CATHERINE MALLAVAL
Adroitecomme I
àgauche,
oncriefamille
njuste, trop rude, contre-productif
dans un pays qui pète le feu en termes de natalité? Depuis l’annonce
officielle lundi soir d’un coup de
rabot sur la branche famille pour aider
à combler le trou de la Sécu, les réactions s’enchaînent et surtout se déchaînent. Mais concrètement quelle est
l’ampleur de la coupe ? 700 millions
d’euros (sur une enveloppe de 60 milliards). A titre de comparaison, l’assurance maladie doit, elle, se serrer la
ceinture de… 3,2 milliards d’euros.
Comparaison n’est pas raison ?
Les coupes annoncées dans la branche familiale
de la Sécu provoquent les critiques d’associations,
de l’opposition, mais aussi de la majorité.
«ATTAQUES». Dès que l’on touche à la
famille, ou plutôt aux familles, la levée
de boucliers est féroce. De quoi donner
des ailes aux adeptes de la Manif pour
tous qui s’apprêtent une nouvelle fois
à manifester dimanche ? Dès mardi,
sa présidente, Ludovine de la Rochère,
sortait les fanions, invitant à une
rébellion contre une «déconstruction
de la politique familiale», qui s’en
prend de surcroît «aux familles les plus
modestes».
En attendant, chacun est bien dans son
rôle, sauf peut-être certains membres
du PS. En première ligne, ça va de soi,
les associations de défense des familles,
ont du mal à digérer le «paquet berceau» qui, rappelons-le, prévoit une diminution par trois de la prime à la naissance (actuellement de 923 euros) à
partir du deuxième enfant, des aides à
la garde d’enfants en baisse pour les
plus aisés, une majoration des allocations familiales retardées à l’âge de
16 ans (au lieu de 14) et une réforme du
congé parental dont on ne connaît pas
encore la teneur (lire ci-dessus). Ainsi,
et entre autres, l’Union des familles en
Europe dénonce-t-elle, depuis le weekend dernier et avant même les annonces officielles, «de nouvelles attaques du
gouvernement contre les familles de jeunes
enfants».
Egalement en verve, la droite. Pour le
Front national, pas de doute, les familles sont «une nouvelle fois, les vaches
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
FRANCE
Pour l’instant, le gouvernement reste flou sur l’avenir du dispositif,
jusqu’alors surtout utilisé par les femmes. Faut-il le réformer?
A qui profite aujourd’hui ce congé ?
PHOTO PICTURETANK
Complément du libre choix d’activité
(CLCA), tel est en vrai le nom du congé parental. L’an passé, 496700 parents ont bé-
11
CARNET
DéCèS
Le congé parental
attend la relève de la garde
L
e gouvernement va-t-il flanquer un
méchant coup au congé parental des
femmes ? S’achemine-t-on vers un
peu reluisant tour de passe-passe incitant
les pères à prendre ce congé tout en espérant qu’ils n’en feront rien, comme le clament déjà certains? Difficile de répondre,
tant il y a du flou sur la toilette que le gouvernement compte imposer à ce vieil acquis
créé en 1977 pour les femmes travaillant
dans des entreprises de plus de 200 salariés,
ouvert aux hommes en 1984.
Seules annonces concrètes, lundi soir : le
congé parental sera porté à un an (contre
six mois aujourd’hui) pour un premier enfant. Pour les suivants, l’enveloppe globale
restera de trois années. A partager dans une
stricte égalité entre le père et la mère, ce
qui réduirait de fait le congé de la mère à
dix-huit mois? La nouvelle donne sera-telle moins tranchée et s’en tiendra-t-elle
au dispositif prévu dans la loi pour l’égalité
entre les femmes et les hommes votée début août ? Selon ce texte (dont les décrets
ne sont pas encore publiés), l’enveloppe de
trois ans (à compter du deuxième enfant)
était maintenue, mais à condition que le
père appuie sur pause durant six mois. Ce
qui, de fait, réduit la durée maximale pour
les mères à deux ans et demi.
«Il y aura un équilibre à trouver entre le temps
de congé parental pouvant être pris par chacun des deux parents», s’est contentée d’expliquer la ministre des Affaires sociales,
Marisol Touraine, précisant avoir prévu des
discussions avec le Parlement avant de
trancher. Mais, avant tout, n’est-il pas plus
que temps de réformer cette disposition ?
•
néficié de ce congé rémunéré à hauteur de tions familiales à des conditions de res566 euros maximum par mois. Et qui donc sources», affirme Jérôme Ballarin, présien a profité ? Sans surprise les femmes, dent de l’Observatoire de la parentalité en
à 97%. Oui mais, dans le détail, quelles entreprise.
femmes? Sans grande surprise non plus, les De fait, si le congé parental a coûté l’an
moins diplômées. Celles dont la perte de passé 2,026 milliards d’euros à l’Etat, les
salaire, explique l’Insee, est moins forte et allocations familiales (versées au deuxième
relativement mieux compensée par le fa- enfant) représentent, elles, 12,965 milmeux CLCA et par les éconoliards. Mais revenons-en à la
mies sur les frais de garde et de
DÉCRYPTAGE motivation des pères. En Suède,
transport. Selon une étude de
pays cité comme pionnier de
l’Insee publiée en 2013, 47% des mères titu- l’égalité, les pères ne prennent en moyenne
laires d’un diplôme de type CAP-BEP ou in- que 25% des quatre cent quatre-vingts
férieur interrompent leur travail suite à une jours (un peu plus de quinze mois) octroyés.
naissance, contre 29% seulement des mères
qui ont un niveau supérieur à bac +2. Ce Trois ans, n’est­ce pas trop long ?
sont donc les moins nanties qui devraient Depuis 2010, le Laboratoire de l’égalité
pâtir d’un raccourcissement de leur part de alerte régulièrement sur un congé parental
congé. Oui, mais ce congé n’est-il pas un trop long et pris quasi exclusivement par
terrible piège? Toutes les études montrent les femmes. Pour le think tank, un vrai bon
que le fait de s’éloigner durablement du congé parental ne devrait pas excéder
marché du travail incite les femmes à se re- un an : six mois pour la mère, six pour le
plier sur la cellule familiale, voire à complè- père. Saugrenu ? Pas à l’échelle de l’Eutement décrocher du monde du travail.
rope. En Italie, le congé parental est de
onze mois, sachant qu’aucun des deux paPeut­on jouer la carte
rents ne peut prendre plus de six mois ; il
du «au nom du père» ?
est de treize semaines par parent et par enAutrement formulé: peut-on envisager de fant au Royaume-Uni, etc. Il n’y a guère
réduire la part de congé réservée aux fem- que l’Espagne à nous battre sur la longueur
mes en mettant en avant que les pères du congé, avec ses trois ans et par parent,
doivent aussi s’y coller si l’on veut un jour et par enfant… mais sans aucune indemespérer de la parité dans les foyers? S’agi- nité, du moins nationale !
rait-il d’un vrai levier pour l’égalité? Ou de Il est vrai que la rémunération de ce congé
la pure vénalité, quand on sait que l’homme est une vraie question, elle aussi soulevée
traîne la patte, et que l’on pourra ainsi faire par le Laboratoire de l’égalité qui prône, en
des économies? Le débat est lancé. «L’idée accompagnement du raccourcissement,
de partager le congé parental à égalité entre une indemnité équivalente à 80% du sales femmes et les hommes est une bonne idée. laire, plafonnée à 1 800 euros par mois.
C’est un “plus” sociétal, mais à condition que Troisième étage de la fusée conçue par le
cela ne soit pas entaché par un souci de faire think tank : un vrai développement des
des économies. D’autant que, pour faire des modes d’accueil des jeunes enfants qui ne
économies, on peut sérieusement se demander savent toujours où crécher…
s’il ne faudrait pas plutôt soumettre les allocaC.Ma.
Clio KARAGEORGHIS,
son épouse,
Alexandre et Gabrielle WIET,
ses enfants,
ont la douleur de vous
faire part du décès de
Thierry WIET
Architecte D.P.L.G.
survenu le 28 septembre 2014
à PARIS.
2, square de Port-Royal
75013 PARIS.
SouvenirS
Laurent C.
20 ans, déjà
On t'aime, frère très chéri
ConférenCeS
FORUM FRANCE CULTURE
L'année vue par le
numérique
Samedi 4 octobre 10h-17h
Sciences Po, 27 rue
Saint-Guillaume 75007 Paris
4 tables rondes animées
par Hervé Gardette
(Du grain à moudre) pour
comprendre le monde
d'aujourd'hui :
Google est-il un
projet politique ?
Les djihadistes peuvent-ils
se passer du Net ?
Le Web :
avenir radieux du prolétariat ?
La vie en ligne est-elle
plus excitante ?
«MARCHÉS». Et, même au sein du gouvernement, ça couine. Prenons Ségolène
Royal… Mardi sur France Inter, elle s’est
«félicitée» des réactions vives. «Je me réjouis de la sensibilité à la remise en cause
d’un certain nombre de mesures dans la
politique familiale, a expliqué l’ex-ministre déléguée à la Famille (période Jospin), aujourd’hui à l’Environnement.
sur inscription
REPÈRES
auditeurfranceculture@radio
MATERNITÉ ET CONGÉ PARENTAL
dépenses par naissance en Europe, en % du PIB/habitant
88,4
62,9
france.com ou 01 56 40 10 57
Avec Sciences Po et en
partenariat avec Le Nouvel
Observateur et Rue 89
Be
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28,7 28,3 24,9
18,7 16,5 16,3 12,9
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31
Source : OCDE
Programme : franceculture.fr
Au
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Nous sommes en démocratie, c’est bien
qu’il y ait de la réactivité. Chaque fois que
l’on touche à la politique familiale, il y a
une grande sensibilité dans l’opinion française, et c’est une bonne chose.» On a vu
soutien plus massif…
Cette position coïncide avec une certaine incompréhension des troupes socialistes. «D’accord, on échappe au gel,
mais ce qui a été annoncé, c’est rude. On
attend des explications du gouvernement,
souffle Olivier Dussopt, député de l’Ardèche. On risque de donner l’impression
qu’on demande toujours aux mêmes : les
classes moyennes et ceux qui galèrent le
plus. Sur les marchés, ça ne va pas nous
aider.» Le «frondeur» Christian Paul
(Nièvre), ex-rapporteur du budget de la
Sécurité sociale, va jusqu’à dénoncer
des mesures «inacceptables». Quant à
Sébastien Denaja (Hérault) rapporteur
combatif de la loi pour l’égalité entre les
femmes et les hommes, il se dit «Très
dubitatif sur une réforme du congé parental moins de deux mois après la promulgation d’une loi qui le réforme.» Et il n’est
pas le seul… •
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à lait du gouvernement». L’UMP n’est
pas en reste et, formulé par la députée
UMP Michèle Tabarot, cela donne :
«Depuis 2012, le gouvernement n’a eu de
cesse de diminuer les moyens de la politique familiale, avec les baisses du quotient
familial, la remise en cause des aides à la
création de places de crèches et maintenant l’annonce d’un nouveau rabotage.»
Et de demander «la convocation urgente
d’états généraux de la famille». A l’autre
bout de l’hémicycle, le Parti communiste français s’insurge : «Au nom de la
réduction des déficits publics, le gouvernement fait des choix austéritaires qui
vont frapper de plein fouet les familles et
singulièrement les femmes.»
Entrée gratuite
Le gouvernement compte économiser 700 millions
d’euros sur la branche famille (dont le budget est de
60 milliards) afin d’aider à combler le trou de la Sécurité
sociale. Parmi l’éventail de mesures, la prime à la naissance
(actuellement de 923 euros) sera divisée par trois. Ce
«cadeau» sera ramené à 308 euros pour les deuxièmes
naissances et les suivantes, pour les enfants nés à compter
du 1er janvier 2015. A elle seule, cette mesure doit permettre
d’économiser 250 millions d’euros.
Tarifs : 16,30 e TTC
la ligne
Forfait 10 lignes
153 e TTC
pour une parution
15,30 € TTC la ligne supplémentaire
La reproduction
de nos petites annonces
est interdite
Le Carnet
Emilie Rigaudias
0140105245
[email protected]
12
•
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
FRANCEXPRESSO
AU RAPPORT
Par VÉRONIQUE SOULÉ
Les manuels numériques
s’installent à pas
comptés dans les écoles
usage du numérique
progresse à l’école, où
désormais plus du
quart des enseignants (29%)
utilisent des manuels numériques en complément des
manuels papier, contre seulement 16% il y a trois ans.
Mais malgré tous les plans eeducation annoncés par les
gouvernements successifs,
l’équipement des établissements reste très inégal et encore insuffisant, et les enseignants se plaignent de ne pas
être assez formés. C’est ce
qui ressort d’une enquête
réalisée par TNS Sofres et
publiée ce mardi par l’association Savoir livre, qui regroupe six éditeurs scolaires
(Belin, Bordas, Hachette,
Hatier, Magnard et Nathan).
L’
Le secondaire reste en
avance sur le primaire, avec
35% des professeurs utilisant
des ressources numériques,
contre 20% des instituteurs,
essentiellement en raison
d’un meilleur équipement
des collèges et des lycées, de
raccordements internet et
d’accès aux ENT (les espaces
numériques de travail) facilités. Dans le secondaire, les
disciplines les plus connectées sont les maths et les
sciences physiques (46%),
l’histoire-géo (38%), les
sciences économiques et sociales (SES) et l’anglais
(34%). Les enseignants de
lettres, traditionnellement
derrière, ont doublé en trois
ans leur recours aux manuels
numériques (24%). Les usages restent toutefois essentiellement collectifs, seuls
7% des élèves étant équipés
individuellement en manuels
numériques.
Les principaux freins au développement du numérique
sont donc le manque d’équipements et de crédits pour
acheter des ressources. Immédiatement après, les enseignants évoquent leur
manque de formation (51%
des instits), ainsi que les problèmes techniques et de
maintenance. Parmi les
principaux avantages du numérique, 83% des profs soulignent qu’il «capte l’attention de toute la classe»,
et 74%qu’il «stimule la curiosité des élèves et les motive».
Seuls 15% des enseignants
pensent qu’à moyen terme,
le manuel numérique remplacera le papier.
Souvent fournis gratuitement, ces ouvrages numériques ne représentent que 1
à 2% du chiffre d’affaires des
éditeurs scolaires, a précisé
à l’AFP Pascale Gélébart, directrice de Savoir livre. Pour
passer à la vitesse supérieure, les éditeurs espèrent
qu’après la récente annonce
de François Hollande, un
plan de grande envergure
sera lancé sur la durée et que
les élèves auront droit à des
équipements individuels.
«Ce qui manque, c’est de passer à l’échelle de la personnalisation. Cela ne peut se faire
que si chaque enfant dispose
d’un support», a souligné
Isabelle Macé, la responsable
éducation au Syndicat national de l’édition. •
300
litres de pluie par mètre
carré se sont déversés
lundi sur Montpellier. «Il
est tombé en quelques
heures l’équivalent de la
moitié de ce qui tombe en
une année», a commenté
Météo­France.
L’HISTOIRE
À LYON, UN LIEU
CULTUREL
MUSULMAN
Le ministre de l’Intérieur,
Bernard Cazeneuve, a fait
part du soutien de l’Etat au
projet d’un grand centre
culturel musulman porté
par la Grande Mosquée de
Lyon, qui a célébré mardi
son 20e anniversaire.
«Il serait fort heureux que
Lyon dispose à son tour
d’un lieu voué à la connais­
sance et au rayonnement
de cette immense culture»,
a dit le ministre. La cons­
truction d’un bâtiment
pour l’Institut français de
civilisation musulmane,
adossé à l’édifice religieux
créé il y a vingt ans dans le
sud­est de Lyon, est portée
de longue date par le rec­
teur de la mosquée, Kamel
Kabtane. Les collectivités
locales ont déjà promis une
aide financière dont
le montant est estimé
à 8 millions d’euros, mais
elles attendent un engage­
ment chiffré de la part de
l’Etat. En préambule d’un
«repas de la fraternité» réu­
nissant les autorités civiles
et religieuses, Cazeneuve a
dénoncé la montée du
sentiment antimusulman:
«S’attaquer aux musulmans
de France, c’est s’attaquer à
la France et s’attaquer à la
République.»
La crèche, en septembre 2010, alors à Chanteloup­les­Vignes (Yvelines) PHOTO LOUISE OLIGNY
Baby-Loup,pasenodeur
desaintetéàConflans
GARDE La subvention accordée à la crèche installée
depuis peu dans la ville a été divisée par quatre.
arement un conseil
municipal aura suscité
autant d’intérêt extérieur à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Lundi soir,
les élus étaient appelés à voter la convention liant la ville
à la crèche Baby-Loup, implantée sur son territoire depuis le printemps. La structure privée, érigée en
symbole de la laïcité avec
l’affaire de la salariée voilée
licenciée –une décision validée en cassation en juin –,
avait dû quitter Chantelouples-Vignes à cause des tensions engendrées par la polémique. Mais, après quelques
mois de répit, on apprenait la
semaine dernière qu’elle risquait à présent de fermer ses
portes pour raison financière.
«Parcmètre». A l’arrivée de
Baby-Loup à Conflans-Sainte-Honorine, le maire (PRG)
de l’époque, Philippe Esnol,
s’était engagé à lui accorder
400 000 euros de subvention. Mais son successeur,
Laurent Brosse (UMP), a récemment indiqué que ce
montant serait revu à la
baisse. Lundi soir, ce sont
donc des subventions de
90 400 euros pour 2014
(déjà entamée) et 125 000
pour 2015 que la municipalité a votées, soit 2,34 euros
par heure et par enfant pour
l’accueil de jour, et 3,03 pour
les nuits et les week-ends.
Crèche engagée pour l’intégration sociale, Baby-Loup
reste ouverte 24 heures
sur 24 et 7 jours sur 7. Les fa-
R
milles monoparentales ou les
parents travaillant en horaires décalés ont ainsi une solution de garde. Mathieu
Frappier, du Comité des parents Baby-Loup, redoute
que certains soient contraints de changer de travail
en cas de fermeture.
De fait, la décision de Laurent Brosse de raboter crûment la subvention promise
par son prédécesseur est interprétée par certains
comme un choix idéologique. Pour Julien Taffoureau,
chargé de développement
privée (qui fonctionne à 90%
grâce aux subventions publiques), son modèle est différent de celui des structures
municipales. Elle emploie
25 salariés et loue ses locaux.
Les parents, la crèche et les
élus de l’opposition réclament un montant horaire de
3,78 euros.
«Fermé». Au-delà des chiffres, c’est la façon de procéder qui dérange. Mathieu
Frappier regrette que le
maire ait été «complètement
fermé au dialogue», et qu’il
n’ait proposé de rencontrer
les familles
qu’après le
Lundi soir, ce sont donc des
vote, malgré
subventions de 90400 euros
plusieurs
pour 2014 et 125000 pour 2015, dema nde s .
au lieu des 400000 prévus.
Mais Laurent
Brosse assure
chez Baby-Loup, le maire n’a que «le dialogue n’est pas
«peut-être pas envie que sa rompu», et que la ville a bien
commune soit associée à nous, «pris en compte le rôle social
qui avons un passif et sommes de la crèche». La preuve :
liés à l’image de la cité de «Nous versons une subvention
Chanteloup-les-Vignes». pour l’accueil de jour alors que
L’argument de la rigueur la ville propose d’autres strucbudgétaire, évoqué par la tures.»
mairie, ne le convainc pas : En l’état, la crèche pourrait
«Tout ce qui a trait aux ques- tenir quelques semaines ou
tions de sécurité, comme la vi- quelques mois. Elle a pludéosurveillance, ou ce qui con- sieurs options, résumées par
cerne la réforme du parcmètre, Taffoureau : «Refuser d’acne pose aucun souci.»
cueillir les enfants de Conflans,
Autre justification : l’«équi- qui deviendraient les seules
té» avec les crèches de la pour lesquels on ne recevrait
ville. «Argument ridicule», aucune participation viable
estime Philippe Esnol, l’an- [les villes alentours versent
cien maire, qui reconnaissait une subvention de 3,78 euros
cependant il y a peu que par heure et par enfant,
400000 euros, «c’était peut- ndlr], chercher de l’argent
être un peu surestimé». Baby- ailleurs, ou fermer.»
Loup étant une structure
ÉLISE GODEAU
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
FRANCE
•
13
ChristopheMorat,unpasseurdesida
devantlacourd’assises
Les jurés d’Aix-en-Provence se penchent depuis lundi sur le cas de ce séducteur qui aurait
sciemment transmis le VIH à certaines de ses partenaires. Sa mère a évoqué un enfant difficile.
Par ONDINE MILLOT
Envoyée spéciale à Aix­en­Provence
A 14 ans, le garçon est envoyé en
internat, ne retourne plus chez lui
que le week-end et les vacances.
A 16 ans, ses parents adoptifs
demandent son placement à plein
temps dans un foyer de l’Aide sociale à l’enfance. Comme avant ses
5 ans. «Un deuxième abandon»,
dit-il. Si l’on écoute sa mère,
Christophe Morat n’a pas réussi
grand-chose dans la vie. «A 18 ans,
il n’avait pas de projet professionnel,
pas de formation, on n’a pas accepté
qu’il revienne chez nous à ne rien
faire.» Le jeune homme part alors
au service militaire, sans plus de
brio selon sa mère. «Il disait que son
rêve était de devenir Casque bleu. Des
déclarations d’héroïsme, mais il n’y
avait rien derrière.»
A
gauche des juges et des
jurés sont assises cinq
femmes. Elles ne se ressemblent pas, âgées
de 20 à 50 ans, grandes ou petites,
blondes, brunes, châtain. On se
surprend pourtant à chercher sur
leurs visages, dans leurs postures,
un signe commun. Alors oui, peutêtre ça: du maquillage, une coiffure
travaillée, de jolis habits. Des femmes qui soignent leur apparence.
Toutes la tête haute. Toutes le regard flou.
En face d’elles, derrière les vitres
du box de la cour d’assises, est recroquevillé un homme. Les témoins
en parlent comme d’un séducteur,
un «charmeur». Il
RÉCIT n’en est plus que le
spectre. Hâve, pour ne
pas dire squelettique, les traits tirés. Même sa voix, mince filet rauque, semble en train de disparaître.
Stéphanie, Marianne, Raphaëlle,
Séverine, Virginie (1) ont toutes eu,
entre 2008 et 2012, une relation
amoureuse avec lui. Certaines savaient qu’il avait d’autres amantes,
d’autres pas. Toutes ignoraient qu’il
avait le sida.
Christophe Morat, 40 ans, chauffeur de car, est jugé depuis lundi
devant la cour d’assises d’Aix-enProvence pour avoir eu des relations
sexuelles non protégées avec six
femmes alors qu’il se savait porteur
du VIH. L’une d’elles a été contaminée. En 2005, il avait déjà été condamné à six ans de prison pour
avoir transmis sciemment le virus
à deux de ses partenaires –une s’est
suicidée.
CHÂTIMENTS. C’est le principe
même de la cour d’assises de mettre face à face deux réalités irréconciliables. D’un côté, la souffrance de ces femmes qui, mardi,
ont raconté leurs angoisses, leurs
cauchemars, les tests de dépistage
qu’elles continuent à enchaîner en
dehors de toute raison, «par peur
que ce soit toujours là, caché». De
l’autre, l’énigme de cet homme qui
«savait» le péril qu’il leur faisait
REPÈRES
Christophe Morat après confirmation de sa première condamnation en appel, à Colmar, en 2005. F. FLORIN. AFP
courir, mais continuait de dire
qu’il était «clean». «Pourquoi,
pourquoi?» répètent ses anciennes
partenaires.
Christophe «dérègle les choses»,
dit-elle. «Il a toujours tout cassé.»
A la fin des années 70, les Morat vivent dans un petit village de la
Drôme. Il est kinésithérapeute, elle est sa se«Il disait que son rêve était
crétaire médicale. Sans
de devenir Casque bleu.
progéniture, venant
Des déclarations d’héroïsme,
chacun de familles
mais il n’y avait rien derrière.»
nombreuses («j’ai huit
La mère adoptive de Christophe Morat lundi frères et sœur, mon mari
sept»), ils décident
Lundi, la cour a demandé à la mère «d’adopter plusieurs enfants à la fois,
de l’accusé si elle avait une explica- c’était un choix». Christophe arrive
tion. Elégante et belle femme, la à 4 ans et demi avec sa demi-sœur
voix suave, elle a raconté une en- Lisa, un an à peine après un grand
fance «marquée par les éclats». frère. Rapidement, l’ambiance à la
En 2005, Christophe Morat
avait été condamné à six années
de prison pour avoir contaminé
deux partenaires. Aujourd’hui, il
est poursuivi, en récidive, pour
avoir eu des rapports non proté­
gés avec six femmes. Une d’elles
a été contaminée. Cinq sont par­
ties civiles.
30ans
C’est la peine maximale encou­
rue par Christophe Morat,
pour «administration volontaire
de substances nuisibles ayant
entraîné une mutilation ou une
infirmité permanente en récidive».
maison devient tendue. «Christophe
était un enfant qui avait une souffrance personnelle déjà inscrite», dit
la mère. A l’enquêtrice de personnalité, l’accusé a raconté une enfance «stricte, sans affection». Parlé
de punitions enfermé dans la cave,
de châtiments corporels, de raclées
«à coup de rondin de bois» à n’en
plus pouvoir s’asseoir. La mère,
elle, reconnaît en murmurant «des
fessées» : «Christophe était violent.
Il fallait intervenir pour le mettre dans
sa chambre, pour préserver la famille.
Mais cela ne correspond pas à ce qu’il
décrit. Il a toujours eu une perception
de la réalité différente de la nôtre.»
«Ces femmes avaient
toutes une relation
amoureuse avec lui. Et lui
avaient posé la question
du préservatif. C’est un
abus de confiance.»
L’avocat Eric Morain
VIE DE FÊTE. Finalement, la seule
chose dans laquelle Christophe Morat semble briller, c’est la séduction. Là-dessus, tous ses proches
s’entendent. «Il collectionnait les
maîtresses», dit un ancien collègue.
«Il plaisait énormément, se souvient
son patron. Elles étaient toutes
autour de lui.»
Un peu après ses 18 ans, il a rencontré la première femme de sa vie,
qui porte le même prénom que sa
sœur, Lisa. Elle est tombée enceinte, et Christophe Morat se raconte fou de bonheur de cette paternité et de ce premier amour.
Quand les choses se gâtent et que le
couple se sépare, il se rattrape en
menant une vie de fête et de drague, toujours «heureux». Et puis,
en 1998, il apprend qu’il est séropositif. «La psychologue m’a dit de
m’asseoir, raconte-t-il. Elle a dit :
“C’est la mauvaise nouvelle.” A partir de là, je n’ai plus entendu ses paroles. J’étais déconnecté.»
Christophe Morat a-t-il voulu se
«venger» de sa contamination, dont
il ne semble pas connaître l’origine,
comme l’a supposé un psychiatre
sans toutefois étayer l’hypothèse?
Ou bien a-t-il continué à faire
comme dans le bureau de la psychologue: ne rien voir, ne rien entendre et poursuivre dans son domaine d’excellence, les conquêtes?
Le verdict est attendu jeudi soir. •
(1) Les prénoms ont été modifiés.
•
SUR LIBÉRATION.FR
A la barre «Il y avait des cho­
ses dans sa tête qui bouillon­
naient»: suivez au jour le jour
les temps forts du procès,
avec notre envoyée spéciale.
14
•
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
FRANCEXPRESSO
«[Je serai] garant
de la bonne
organisation d’une
primaire ouverte
[en 2016,
contre ceux qui
souhaitent] faire
des compressions
à la César de toutes
les élections.»
QUESTIONS À JEAN­PHILIPPE MAGNEN
VICE­PRÉSIDENT EE­LV DE LA RÉGION PAYS­DE­LA­LOIRE
AFP
«La politique devrait
être un passage de vie,
pas une carrière»
Et un écolo de plus qui arrête
la politique. Après Dominique Voynet cet hiver, JeanPhilippe Magnen, vice-président de la région Pays-dela-Loire et ex-porte-parole
d’Europe Ecologie-les Verts,
a envoyé une missive aux
750 adhérents de la région. Il
y explique ne plus croire «à
la politique traditionnelle régie
uniquement par les partis», jugeant le sien «trop soumis aux
règles de la communication et du marketing, aux effets pervers
des ego débordants».
w Pourquoi jetez-vous l’éponge?
La principale raison, c’est que j’ai envie de reprendre mon
activité professionnelle. Je suis convaincu que le changement
de la société passe par le changement personnel. Je vais donc
me consacrer à l’évolution des personnes comme thérapeute.
w Vous dites ne plus croire aux partis traditionnels…
Je ne jette pas la pierre. Je me suis pris au jeu et au piège. J’ai
bien conscience, pour avoir été complètement «dedans»,
que dans les partis politiques on passe les trois quarts de notre
temps à gérer les appareils et l’accès au pouvoir plutôt que
de nous occuper du fond et des actions de terrain. Or, il y a
un malaise. Les gens ne croient plus dans les partis pour améliorer leur vie quotidienne. A EE-LV, on se voulait un peu à
part. Le cadre institutionnel et notre fonctionnement ont fait
que les écolos sont devenus une écurie, malgré eux. Le lien
avec les associations et les acteurs de terrain est devenu très
conflictuel.
w Etes-vous surpris des réactions suscitées par votre décision?
Revenir à 47 ans à mon métier de psychothérapeute après
avoir fait de la politique pendant quinze ans, cela devrait être
considéré comme normal. Or cela apparaît comme une exception. Cela en dit long sur la conception de la politique dans
notre pays: on s’y accroche jusqu’à 70 ans et on ne la quitte
que battu. La politique devrait être un passage de vie, pas une
carrière. J’espère que ma décision pourra amener à une réflexion, notamment sur un statut de l’élu plus protecteur.
Il n’y a aucun plan de carrière dans ma lettre. C’est la plus
sincère depuis que je fais de la politique. Elle résonne chez
beaucoup de copains qui sont des acteurs magnifiques sur
le territoire, ceux qui font de l’écologie concrète, élus ou militants. Comme je n’ai aucun compte à régler, je peux me
permettre de dire ce qui ne va pas. Mon constat n’est pas
amer, mais réaliste.
Recueilli par MATTHIEU ÉCOIFFIER
L’HISTOIRE
DEUX VILLES FRONTISTES ENVOIENT
VALSER LA DANSE ORIENTALE
Cogolin (Var) et Hayange (Moselle) sont deux communes
remportées en mars par le Front national. Dans la pre­
mière, le maire Marc­Etienne Lansade est accusé par
l’opposant Michel Dallari, cité mardi par le Huffington
Post, d’avoir passer la «consigne» lors du gala des associa­
tions, début septembre, afin «qu’il n’y ait pas de spectacle
de danse orientale» dans sa ville. Assurant ne pas être au
courant, le maire d’extrême droite précise sans fard: «Si
on a proposé comme seul spectacle des danses orienta­
les, je signe et resigne mon opposition parce qu’ici on est
en Provence, pas en Orient, et s’ils veulent vivre comme
en Orient, les frontières sont ouvertes.» Même tonalité
à Hayange, où le maire frontiste Fabien Engelmann a
récemment refusé à Julie Milosevic, professeur de danse
dans une association, d’organiser un atelier de danse
orientale. Citée par FranceTV info, Julie Milosevic assure
que le maire a justifié sa décision en assurant que «la
danse orientale [est] incompatible avec le Front national».
Bruno Le Maire député
et candidat à la présidence
de l’UMP, cité par le Monde
•
Gérard Larcher, dimanche, au Sénat. PHOTO SÉBASTIEN CALVET
AuSénat,lefauve
estLarcher
PLATEAU En gagnant la primaire UMP, le sénateur des
Yvelines retrouve la présidence de la Haute Chambre.
ercredi soir, le sénateur des Yvelines
Gérard Larcher va
réintégrer le «Petit Luxembourg», la résidence qui
abrite cette présidence du
Sénat qu’il avait dû abandonner en 2011 au socialiste
Jean-Pierre Bel. Le vote de
l’assemblée sénatoriale prévue mercredi après-midi
n’est de fait que de pure
forme, les autres candidats
en lice pour le «plateau»
l’étant au nom de leur groupe
politique : Didier Guillaume
pour le PS, Jean-Vincent
Placé pour les écolos, François Zochetto pour les centristes et Eliane Assassi pour
les communistes. Groupe désormais le plus fourni avec
143 sénateurs affiliés, l’UMP
sait que la place lui est acquise. La primaire qui s’est
déroulée mardi entre ses trois
aspirants déclarés – Gérard
Larcher (Yvelines), JeanPierre Raffarin (Vienne) et
Philippe Marini (Oise) – a
mis fin au suspense.
Ecart. Entre Larcher et Raffarin, le scrutin s’annonçait
serré. Surprise, la victoire de
Larcher est sans bavure.
Avec 80 suffrages exprimés
en sa faveur, le sénateur des
Yvelines l’emporte de
24 voix sur son rival de la
Vienne, Philippe Marini
n’engrangeant pour sa part
que 7 voix. Un écart plus net
encore qu’en 2008, quand
les même déjà s’étaient affrontés pour le plateau.
Un avertissement voilé à Nicolas Sarkozy, dont les pro-
M
ches appuyaient ouvertement la candidature de
Raffarin? Sans doute, même
si ce dernier a pris soin, hier,
de nier toute inféodation.
Mais tout autant, l’expression de ce qui constitue encore l’ADN du Sénat : une
Chambre du «seigle et de la
châtaigne», jalouse de son
indépendance vis-à-vis des
formations partisanes, ancrée dans les terroirs et décidée à en préserver les prérogatives. Un langage que le
Karoutchi et le Vendéen
Bruno Retailleau, l’homme
qui monte dans l’entourage
de Fillon. Si ce dernier venait
à l’emporter, ce qui de l’avis
de nombreux élus est très
possible, la faiblesse du dispositif sarkozyste au Sénat
serait confirmée.
Place forte. Pour l’exécutif,
le choix de Larcher est à double tranchant. Filloniste de
cœur et ne s’en cachant pas,
le sénateur des Yvelines
n’aura sans doute pas comme
objectif de
«Larcher est méga-réseauté au transformer la
Haute ChamSénat: bien avec les francsbre en cette
macs, bien avec les cathos, bien place forte de
avec les professions libérales.» reconquête du
pouvoir dont
Un partisan de Raffarin
rêvaient les
gaulliste social Larcher, vé- sarkozystes. Mardi, à l’issue
térinaire de formation et de la primaire, il en convechasseur impénitent, parle nait à demi-mot. En revancouramment. «Larcher est che, l’opposition du Sénat à
méga-réseauté au Sénat: bien la réforme territoriale en
avec les francs-macs, bien cours menace d’être armée.
avec les cathos, bien avec les Qu’il s’agisse de la sauveprofessions libérales, résume, garde des départements ou
dépité, un partisan de l’an- de l’obligation prévue pour
cien Premier ministre. Alors les communes de se regrouque Raffarin a fait une campa- per dans des intercommunagne globale et politique, Lar- lités de plus de 20 000 habicher a travaillé par segment et tants – mesure dont tous les
par relations».
sénateurs en campagne ont
Dès jeudi, la droite sénato- pu mesurer l’impopularité.
riale aura d’ailleurs une nou- Quand bien même l’Assemvelle occasion de se déchirer. blée conserve le dernier mot
Toujours sur fond de divi- sur l’issue de cette réforme,
sions entre pro et anti- une opposition ouverte du
Sarkozy, trois candidats se Sénat, alors que se profilent
disputent la tête du groupe cantonales et régionales,
UMP : Gérard Longuet, ex- pourrait être dévastatrice.
président du groupe, le
NATHALIE RAULIN
sarkozyste historique Roger
et ALAIN AUFFRAY
SUR LIBÉ.FR
Métropole Le (vrai) jour
où le Grand Paris est
passé à droite: l’élection
du comité de pilotage
a vu la victoire de la liste
de Patrick Devedjian.
Portrait zappé «Juppé,
du tacle au tacle»: criti­
qué dans la compétition
interne à l’UMP, le maire
de Bordeaux sait aussi
répliquer.
LES GENS
BARTOLONE
CONTRE
LA FONCTION
DE 1ER MINISTRE
Avant la nomination de
Manuel Valls à Matignon,
Claude Bartolone fut un
temps considéré comme
un possible premier minis­
trable. Mais voilà que le
président de l’Assemblée,
dans un livre à paraître le
8 octobre (Je ne me tairais
plus. Plaidoyer pour un
socialisme populaire, Flam­
marion), préconise la sup­
pression de cette fonction.
Et le passage à un régime
présidentiel. Une nécessité
qui a saisi «Barto», raconte­
t­il, lorsque Valls a défendu
devant l’Assemblée le
pacte de responsabilité de
François Hollande. Situa­
tion qu’il dit avoir trouvée
«absurde», alors que selon
lui il faut «rendre le Prési­
dent responsable devant le
Parlement»– devant lequel
le chef de l’Etat ne peut
s’exprimer que réuni en
Congrès. Cette suppres­
sion du Premier ministre a
déjà été évoquée à droite
(Sarkozy ou Fillon), et plus
récemment par le collectif
de députés PS Cohérence
socialiste. PHOTO REUTERS
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
VOUS
•
15
SEXE & GENRE
[SsexBbox],lesexe
sortdesaboîte
Lancé par l’artiste brésilienne Priscilla Bertucci,
le projet web, qui compile les témoignages vidéo,
bouscule le schéma du couple monogame.
Par QUENTIN GIRARD
Envoyé spécial à São Paulo
et de leur manière d’aborder le tions avec sa mère, sa transformonde et les relations avec mation progressive. «J’aime les
l’autre. Projet à dimension mon- femmes trans qui ont toujours leur
tes-vous en relation diale, «la mission de [SSex Bbox] pénis, mais des seins parfaits.
ouverte? Etes-vous polya- est d’élargir les consciences, de J’aime les hommes trans qui ont
moureux? Est-ce que vous réduire l’isolement et de faciliter des seins ou qui n’en ont pas,
faites ce que vous voulez, sans l’éducation et la sensibilisation en s’amuse-t-il. J’aime les hommes
en parler à votre partenaire ? remettant en question la compré- et les femmes. Je me fous d’un
Vendez-vous votre corps? Etes- hension ancienne et souvent obso- genre particulier, je veux juste
vous polygame pour des raisons lète de la sexualité, du sexe et des qu’ils me rendent heureux.» Luireligieuses ? Si oui, et dans bien relations intimes», explique-t- même ressemble en apparence
d’autres cas, alors
elle. Si, pour le mo- à un homme, mais, quand il se
vous évoluez dans ce
REPORTAGE ment, Priscilla Ber- déshabille, on voit qu’il a gardé
que l’artiste Priscilla
tucci réalise toutes ses seins et sa vulve, un peu à
Bertucci appelle «la charte de la les vidéos, elle aimerait que ce l’image de Buck Angel, célèbre
non-monogamie». Cette série programme s’étende à d’autres activiste et acteur porno. Le
d’exemples montre à quel point langues ou villes, comme Paris projet [SSex Bbox] permet de
il est facile, sans forcément s’en ou ailleurs.
montrer les ressemblances entre
rendre compte, de ne pas entrer A 36 ans, avec ses cheveux les pays, mais aussi les points
dans le schéma préétabli du cou- courts légèrement teints en gris d’achoppements.
ple monogame, hétéro ou non. et son sourire franc, Priscilla
Bertucci a l’apparence d’une LANGAGE. En Californie, où
OBSOLÈTE. A la terrasse d’un femme mais elle préfère qu’on Priscilla Bertucci réside, les discafé-boulangerie d’une rue bobo ne la définisse pas. «Je suis cours sur la question queer et du
du quartier de Pinheiros, à São “queer”», assène-t-elle, du nom sexe positif sont plus formés,
Paulo, au Brésil, on retrouve de ce mouvement qui remet en structurés, acceptés. Mais lorsPriscilla Bertucci autour d’un cause l’hétéronormativité : «Je qu’elle rentre à São Paulo, Pristhé. Depuis trois ans, cette Bré- suis donc gender fluide ou gender cilla Bertucci remarque que le
silienne qui vit désormais à San
langage compliFrancisco a lancé le projet [Ssex «Je me fous d’un genre
que tout. En anBbox], «le sexe en dehors des ca- particulier, je veux juste qu’ils
glais, pour la déses» (1). A San Francisco, Berlin
signer comme
et São Paulo, des artistes, des me rendent heureux.»
elle le désire, il
trans, des activistes de la cause Matthew Clarke trans FtM (femme à homme)
suffit d’utiliser le
sexuelle viennent témoigner,
pronom «they».
face caméra, sur un site dédié, neutre», explique-t-elle (comme En portugais ou en français être
de leurs expériences corporelles il n’existe pas de pronom officiel «gender neutre» est presque
neutre en français, nous restons impossible. «Je trouve qu’il y a ici
avec l’utilisation du «elle» pour beaucoup plus de résistance à parREPÈRES
désigner Priscilla Bertucci). La ler de genre, d’aller contre l’hétéréalisatrice souhaite aller à la ronormativité. Mais en même
A l’approche de la prési­
rencontre de gens qui, selon elle, temps, si vous n’avez pas les mots
dentielle au Brésil,
sont «sortis de leur case» et peu- pour en parler, pour le définir,
le mariage homosexuel
vent, potentiellement, être des comment l’expliquer ?» se deou la libéralisation de
exemples. Priscilla Bertucci mande-t-elle.
l’avortement permettront
s’appuie notamment sur les tra- A cela s’ajoute la situation de son
peut­être de départager
vaux de la féministe et cher- pays d’origine qu’elle juge bien
les candidats favoris,
cheuse de San Francisco Carol loin des clichés. «Tout le monde
la présidente de gauche,
Queen sur le «mouvement de sexe pense que le Brésil est un endroit
Dilma Rousseff, l’écologiste
positif». «C’est une philosophie complètement ouvert aux gays, et
Marina Silva et le social­dé­
culturelle qui comprend la sexualité que l’on se balade tous tout nus
mocrate Aécio Neves.
comme une force potentiellement quand il fait beau. Mais, en réalité,
positive de notre vie qui s’oppose, c’est très sexiste, homo-lesbo et
bien sûr, à la négativité sexuelle, transophobe, et malheureusement
qui voit le sexe comme problémati- les crimes haineux de ce genre
QUEER
que, disruptif et dangereux», dé- augmentent chaque année.» A
En anglais, ce terme, qui
crit l’activiste américaine.
son échelle, ses vidéos sont aussi
signifie «étrange», était au
Matthew Clarke, petites lunet- un moyen d’attirer l’attention
départ péjoratif et servait
tes, cheveux courts et piercings, sur la manière dont les gens vià désigner les personnes
est trans FtM (female to male, de vent et survivent face à ces dishomosexuelles. Récupéré
femme à homme) et l’une des criminations. Et de montrer, à
par les militants LGBT,
personnes interviewées par ceux qui se sentent différents et
il est désormais utilisé
[SsexBbox]. Sur son canapé, à qui ont peur, qu’ils ne sont pas
par ceux qui considèrent,
San Francisco, il raconte ses seuls. •
avec fierté, qu’ils sont en
souvenirs d’enfance, comment (1) Vous pouvez retrouver
dehors de l’hétéronormati­
il a rencontré sa femme, à 12 ans, tous les textes et vidéos
vité de la société.
à un match de football, les rela- sur vimeo.com/ssexbbox
E
Captures écran des vidéos [Ssex Bbox]. Debout, Matthew Clarke. PHOTOS VIMEO
ECONOMIE
Transition
énergétique:
unedernière
toucheverte
16
•
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
Les députés examinent ce mercredi
le projet de loi, qui rassure en partie
EE-LV et les associations écolos.
Par CORALIE SCHAUB
leurs yeux? Le bâtiment. Présenté
par la ministre de l’Ecologie et de
es écologistes, ONG ou po- l’Energie, Ségolène Royal, comme
litiques, ont (enfin) de quoi «le principal chantier» de la loi –il y
se réjouir. Le projet de loi a là un gisement immense d’écono«relatif à la transition mies d’énergie –, il a été pas mal
énergétique pour la croissance étoffé. La performance énergétique
verte», qu’ils attendaient
sera désormais prise en
tant et qui arrive ce mercompte dans les critères de
RÉCIT
credi à l’Assemblée natiodécence des logements.
nale, vient d’être «verdi» par une «Mine de rien, c’est essentiel», sousérie d’amendements adoptés à ligne la corapporteure PS, Sabine
marche forcée en commission spé- Buis. L’objectif d’un parc immobiciale après un marathon de quatre lier rénové aux normes «Bâtiment
jours et trois nuits achevé samedi basse consommation (BBC)» Pour Ségolène Royal, le bâtiment est «le principal chantier» de la loi. PHOTO EMMANUEL PIERROT. VU
soir. «Il y a réellement eu des avan- d’ici 2050 a aussi été ajouté au
cées importantes», se félicite le dé- texte. De même que l’obligation de bles. Duflot note aussi «une vraie Bringault. Qui réclame aussi avec donner de la voix sur le nucléaire,
puté EE-LV Denis Baupin, corap- rénover tous les logements de classe avancée» –de son fait–: l’obsoles- insistance l’ajout d’un objectif de ne serait-ce que pour la forme. Et
porteur de la loi et auteur de F et G à l’horizon 2030. Ou encore cence programmée d’un produit réduction de la consommation Duflot de souffler : «On voit bien
nombreux amendements. «Il man- la création d’un «carnet de santé» pourra être punie comme une d’énergie en 2030, à l’instar de la l’objectif du rapport parlementaire sur
que toujours au projet de loi des du bâtiment mentionnant les infor- tromperie «sur [sa] durée de vie in- Fondation Nicolas Hulot et le coût de la fermeture de Fessenmoyens et une vraie volonté politique, mations utiles à l’amélioration de sa tentionnellement raccourcie lors de d’EE-LV. Ou plaide aussi pour un heim…» Présenté mardi, il l’estime
relativise sa consœur Cécile Duflot, performance énergétique et celle [sa] conception». «Ce sera compli- renforcement du dispositif de tiers à 5 milliards d’euros, ce que Royal
elle aussi jointe par Libération. Mais d’un fonds de garantie pour faciliter qué à prouver, c’est vrai, mais, au financement (qui permet à un or- a démenti. EE-LV «se battra» aussi
il a le mérite de fixer deux bons objec- le financement des travaux.
moins, on a un arsenal juridique», ganisme non bancaire d’avancer pour «des objectifs renforcés en matifs: la baisse de 50% de la consom- Côté nucléaire, la plupart des éco- estime-t-elle.
l’argent de la rénovation thermique tière de renouvelables» ou «une
mation d’énergie finale d’ici 2050 et los se satisfont de l’adoption d’une Rassurés, les écologistes jugent d’un bâtiment et de se rembourser meilleure protection des travailleurs
le passage de 75 à 50% de la part du nouvelle procédure d’autorisation toutefois le texte largement perfec- grâce aux économies réalisées).
sous-traitants du nucléaire».
nucléaire dans la production d’élec- lorsque l’opérateur voudra dépas- tible. «Sur les transports, les avanRestera une question, centrale : et
tricité d’ici 2025. Ceux-ci marquent ser les 40 ans de vie d’une centrale. cées très minces (10% de véhicules VOIX. «Nous veillerons à ce que le la fiscalité écologique? «Le vrai suune rupture dans la politique énergé- «C’est désormais très clairement en- propres pour les taxis et loueurs à texte ne soit pas détricoté, assure jet est là, admet Buis. Il s’agit moins
tique de la France basée sur le nu- cadré», estime Baupin, qui salue compter de 2020) sont annulées par Baupin. Sur ces sujets, on n’a pas que de trouver de nouveaux financements
cléaire et le gaspillage».
aussi des améliorations en matière un point négatif, l’inclusion des bio- des amis dans l’hémicycle.» Les dé- que de faire payer ceux qui doivent
de financement participatif pour carburants dans la définition des vé- bats risquent d’être nourris, l’op- payer.» Elle déplore que l’amende«CHANTIER». Résultat: le «Transi- les projets d’énergies renouvela- hicules propres», déplore Anne position comptant notamment ment de son collègue PS Jean-Paul
tiomètre» a grimpé. Avant l’exaChanteguet suggérant d’inscrire
men en commission, cet outil lancé
dans le texte une hausse progresREPÈRES
par des ONG pour mesurer l’ambisive de la Contribution climat énertion réelle du projet de loi estimait
gie (sorte de taxe carbone revisitée)
que celui-ci «a une capacité de 20%
Le projet de loi sur la transi­
pour atteindre 100 euros la tonne
Les objectifs de la loi de transition énergétique
à atteindre les engagements de la
tion énergétique, attendu
de CO2 en 2030 ait été tronquée par
Part de l’électricité d’origine nucléaire
Consommation d’énergies fossiles
(pétrole,
gaz,
charbon)
France» (voir Libération du 10 sepdepuis deux ans et présenté
Royal, hostile à toute fiscalité écoPart
en
Objectif
Objectif
Consommation
tembre). Voilà qu’il a «progressé de
comme un enjeu majeur du
logique. «Il manque une jambe à ce
100
2014
2025
2030
2012 en Mtep
10 points, passant de 20% à 30%,
quinquennat,
doit
esquisser
texte : la fiscalité, qui devrait se faire
(Million de tonnes
75%
50%
70
estime Anne Bringault, coordinaun
nouveau
modèle
(moins
de
à prélèvements constants pour inciter
équivalent pétrole)
trice de la transition énergétique
fossiles et de nucléaire, plus
au changement de comportements,
Consommation énergétique finale
Part d’énergies renouvelables
pour les associations. C’est un résulde sobriété et de renouve­
estime l’avocat Arnaud Gossement.
Part en
Objectif Consommation 154
Objectif
tat très positif qui montre le travail
lable). Les députés en discu­
Le énième report de l’écotaxe ou la
2012 en Mtep
2012
2030
2050
constructif des parlementaires, mais
tent ce mercredi en plénière,
possible suppression de la taxe géné(Million de tonnes
14%
32%
77
équivalent pétrole)
le chemin reste encore long». Le volet
avant un débat sur les 64 arti­
rale sur les activités polluantes sont
Source : ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie
qui a connu le plus d’avancées à
cles du 6 au 10 octobre.
de très mauvais signaux…» •
L
CINÉMA
•
LIBÉRATION
MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
ÎLOT
TRÉSOR
Tourné dans
l’archipel japonais
d’Amami, «Still the
Water» de Naomi
Kawase est une
splendide méditation
entre premier amour
et derniers instants.
Des amoureux qui se bécotent sur un banc public, banc public, banc public. HAUT ET COURT
ÉDEN
II
•
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
CINÉMA À L'AFFICHE
Les deux jeunes amants Kyoto et Kaito, comme des poissons dans l’eau (qui atteignent le Nirvana). PHOTO HAUT ET COURT
comprend pas», proteste-t-elle. Le film
est né d’un deuil (la disparition de la
mère adoptive de la cinéaste) et d’une
révélation (son ancrage familial lointain
STILL THE WATER
dans une île subtropicale nommée
de NAOMI KAWASE
Amami). La remontée aux origines
avec Nijiro Murakami, Jun Yoshinaga, Tetta
guide toujours les pas de la cinéaste
Sugimoto, Miyuki Matsuda… 1h59.
pour, en définitive, à nouveau la mener
au seuil tremblant d’une question sans
Il n’est pas de cinéma plus simplement réponse. Présenté en compétition au
obsessionnel que celui de Naomi Festival de Cannes, Still the Water est reKawase. Telle une enfant têtue revenant parti bredouille. Une assez surprenante
à la charge et bousculant la tenace igno- mise à l’écart si l’on veut bien considérance d’adultes hébétés, elle s’en va rer qu’il s’agit sans nul doute d’un des
partout répétant toujours la même plus beaux films de l’année.
question: pourquoi? En 1992, elle par- Entrelacs. Kawase semble éprouver
tait armée de sa caméra à la recherche une joie décuplée à arpenter ce terride ce père qu’elle n’avait pas connue, toire azuréen qu’elle découvre comme
car il l’avait délaissée à la naissance la pièce manquante de son puzzle auto(Dans ses bras). Dix ans
biographique. L’île, haCHINE
plus tard, dans un autre
bitée mais sauvage,
CORÉE
documentaire, elle acgarde la trace lointaine
DU NORD
JAPON
cepte à la demande de
de nombreux cultes
CORÉE
son ami photographe et
animistes. Les dieux et
Tokyo Océan
DU SUD
mentor, Nishii Kazuo,
les hommes coexistent
Pacifique
500 km
d’enregistrer les derdans l’entrelacs luxuÎles
niers jours de sa lutte
riant du visible et de
Amami
contre un cancer dévol’invisible. De vastes
Îles Okinawa
rant.
pulsations de couleurs,
Dans Still the Water,
des nappes d’écumes,
cette fois dans le registre fictionnel, la des colonnades de lumières émeraude
jeune fille Kyoko, radieuse, regarde im- et bleue, et des courants de vent chaud
puissante sa mère malade rendre son composent la matière toujours chandernier souffle. «Pourquoi faut-il que les geante, mobile, de cet éden où se dégens naissent et qu’ils meurent ? On ne roulent simultanément le flirt des ado-
ÎLOT TRÉSOR
lescents Kaito et Kyoko et l’agonie
évanouissante d’une chamane.
L’émotion des commencements et
l’adieu au monde forment la double polarité du récit que la cinéaste diffracte,
rassemble, module afin que s’échangent
en s’indifférenciant les valeurs qui s’y
attachent. La femme qui va disparaître
aborde les marges des ténèbres dans
l’atmosphère de liesse d’une fête villageoise où se mêlent les chants et la
danse des voisins bienveillants. En revanche, la très désirable union des deux
Les personnages sont constamment pris
dans un dilemme d’appartenance, entre
le bonheur simple d’être là et la furieuse
envie d’aller voir ailleurs. La topographie de l’île absorbe peu à peu toute idée
de frontière entre la terre, le ciel et l’eau.
Un passage à Tokyo, où Kaito rend visite
à son père tatoueur, accentue encore le
sentiment, par ce brusque retour aux
réalités urbaines et clignotantes de la
modernité, que l’île est aussi comme un
au-delà mental aux contours évasifs de
rêverie inquiète. La saignée –par deux
fois – d’une chèvre blanaux râles convulsifs
L’île, habitée mais sauvage, garde la che
sur le sol la coulée
trace lointaine de nombreux cultes projette
rouge de la mort concrète,
animistes. Les dieux et les hommes bien réelle, qu’un typhon
vient bientôt rincer à
coexistent dans l’entrelacs
eaux dans un
luxuriant du visible et de l’invisible. grandes
déluge nocturne. L’île paraît alors un esquif à la
jeunes gens se trouve constamment dérive qu’une lame de fond pourrait
empêchée par un désordre d’affects in- faire disparaître.
décis. En chaque scène, la comptine Naomi Kawase aime les vagues, les cod’écolier et l’élégie grandiose, ou en- tillons métaphysiques tournoyant dans
core le bredouillis boudeur et l’affirma- une lumière limpide, les mantras, elle
tion symphonique trouvent à accorder parvient à plier, l’un sur l’autre, conleurs voix asymétriques, dissonantes, templation et intériorisation. Le film
pour quelques mesures d’une parfaite nous semble si précieux qu’on voudrait
harmonie.
l’avoir dans la poche comme un objet
Tatoueur. L’immersion sensorielle que porte-bonheur pour affronter sans peur
propose le film est d’autant plus pertur- les nombreux «pourquoi?» qui attenbante qu’elle s’accompagne d’effets de dent encore aux détours des chemins.
palier et de désorientations successifs.
DIDIER PÉRON
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
À L'AFFICHE CINÉMA
•
III
Coupés du monde, les territoires insulaires ont toujours été fertiles en récit.
TROIS POSSIBILITÉS D’UNE ÎLE
À L’ORIGINE
À L’AVENTURE
L’
île, comme son nom l’indique, est le lieu de l’isolation, pas forcément thermique. On n’est donc pas obligé
d’être une île pour fonctionner
comme une île. N’importe quoi
de clos mais ouvert sur le reste
du monde –qu’on ignore ou qui
vous ignore – suffit. Par exemple, un radeau. Même un banc
ou un lit peuvent être une île.
Pour les héros de l’Antiquité,
l’île est enchantée, peuplée de
monstres. C’est un lieu de métamorphoses. Il en reste quelque
chose dans la Tempête (1611) de
Shakespeare avec le magicien
Prospero. Mais comme on y
tourne en rond, qu’on s’y ennuie face à soi-même ou entre
soi, c’est aussi un lieu d’épreuve
d’où peut jaillir la vérité sur la
saleté humaine. C’est vrai dans
la Tempête ; ça l’était déjà en
409 av. J.-C. dans le Philoctète
de Sophocle, où le héros, abandonné par Ulysse sur une île, se
rend compte que l’amitié des
garçons n’est plus ce qu’elle
était : on lui a menti pour lui
soutirer des armes magiques.
Cette veine de l’île comme jeu de
la vérité où «faux × faux = vrai»
va nourrir toute une partie du
cinéma moderne. C’est le thème
de la rédemption : d’Ingrid
Bergman se découvrant ellemême et Dieu dans Stromboli (1950) de Rossellini, jusqu’à
la purification du Sacrifice (1986)
de Tarkovski. Pas très loin de
l’idée de vérité, il y a l’origine.
Au XVIIIe siècle, étant passée par
la phase utopique, l’île est plutôt
un refuge loin des vilains humains. Rousseau se retire sur
l’île Saint-Pierre du lac de
Bienne, en Suisse. Son élève
Bernardin de Saint-Pierre améliore l’idée dans Paul et Virginie (1789), deux ados amoureux
sur l’île Maurice. On y trouve le
mythe du retour aux origines et,
puisqu’on parle de naissance, la
découverte de l’érotisme tropical et de la fécondité afférente,
qui fera des petits jusque dans
le Lagon bleu, un nanard de 1980
sur les amours soft-porn de
deux teenagers lacustres.
ÉRIC LORET
S
1932 par Irving Pichel et Ernest B.
Schoedsack, auquel on doit aussi
l’île de King Kong, la même année
et dans les mêmes décors.
Il y a aussi des îles de terreur qu’on
veut quitter, comme celle de Bedevilled (2010), drame horrifique sudcoréen de Jang Chul-soo où une
femme est violée, mariée de force
quand sa cousine, sur le «continent», s’énerve des tracas d’une
vie moderne. Sans oublier les îles
de la contention, celles des prisonniers d’Alcatraz, de Shutter Island
(2010), de Papillon (1973)…
Iles il y a, et quand elles sont désertes, c’est que la fin est proche. Nous
savons tous que le livre ou le film
que nous y apporterons ne sera pas
forcément le préféré mais le dernier
que nous consommerons.
i, pour tous les Robinson
Crusoé, l’île résume l’introspection, la dépression
ou l’exclusion, il n’en va pas de
même pour un groupe. Le territoire oublié devient alors l’idéale
parabole d’un monde fermé sur
lui-même, microcosme sommé
de réinventer la société dont il
est désormais banni, le tout au
prix de mille aventures périlleuses. Et, en général, ça se passe
mal. Paragon du genre: le roman
de William Golding, Sa majesté
des mouches, publié en 1954 en
Grande-Bretagne et qui a fait
l’objet d’une belle adaptation
par Peter Brook en 1963. Le
monde miniature est ici composé de jeunes mâles britanniques, rescapés d’un crash aérien
sur une île du Pacifique dans lequel tous les adultes ont laissé
leur peau. La survie collective
est dans un premier temps l’unique enjeu de cette soudaine liberté juvénile. Rapidement, elle
cède la place à une logique d’affrontement tribal qui ensauvage
le groupe. Jalousie, lâcheté et
soif de pouvoir finissent par tout
emporter dans un torrent de
cruauté et de mort. Point de départ d’innombrables déclinaisons dans la production artistique contemporaine (Battle
Royale de Kinji Fukasaku, entre
autres), Sa majesté des mouches
a aussi inspiré les sadiques inventeurs de télé-réalités, de Survivor et Koh Lanta, de même que,
dans un registre boulevardier, la
désopilante Ile de la tentation, où
des couples s’aiment et se déchirent en paréo à fleur et sous
des litres d’huile bronzante. Aux
Etats-Unis, le show Naked and
Afraid jette des couples entièrement nus sur une île où il n’y a
rien à faire ni à manger.
Exception notable, la série Lost,
créée en 2004 par J.J. Abrams et
Damon Lindelof, a entretenu six
saisons durant un récit labyrinthique, mixant péripéties à la limite du fantastique aux questions métaphysiques de chacun.
L’île, enfer aux allures de paradis, devenait alors le tombeau
de toutes leurs illusions.
GUILLAUME TION
BRUNO ICHER
«Shutter Island», de Martin Scorsese, avec Leonardo Di Caprio. PHOTO PARAMOUNT PICTURES.2008
La série à succès «Lost». PHOTO REUTERS
«Stromboli», avec Ingrid Bergman. PHOTO DR
À LA FIN
T
u as éveillé ma mort dans cette
île», inscrit sous une sculpture de feuilles le narrateur de
l’Invention de Morel. Ce court roman
de l’Argentin Adolfo Bioy Casares
promène le lecteur dans une île désertée, jalonnée de constructions
vides et peuplée de revenants,
d’hologrammes. Un monde vide
plein d’illusions rappelant celui du
jeu vidéo d’exploration Myst. Un cimetière symbolique où l’on vient
achever quelque chose, existence,
œuvre, sentiment, dans un dernier
lieu éloigné de la géographie des
vivants.
Il y a des îlots de putréfaction. La
bien-nommée Ile des morts (1909)
de Sergueï Rachmaninov: on y entasse directement les cadavres,
après un trajet en barque dans une
ambiance de houle musicale bru-
meuse ouverte au fantastique,
comme le laisse deviner le rocher
transformé en tête de mort dans le
tableau de Bröcklin qui a inspiré ce
poème symphonique. Ou encore
l’île San Michele, à Venise, où l’on
vient officiellement enterrer les défunts, Stravinsky par exemple.
Il y a des îles à l’agonie. Celle de Robinson Crusoé, pris dans le dilemme
de la lutte: faut-il survivre? Devant
la caméra de Luis Buñuel en 1954, et
malgré le caractère flambant d’un
Pathécolor saturé dans les jaunes,
Robinson a de sévères moments de
noirceur, rescapé dépressif hésitant
entre un monde à refaire ou une déchéance à accepter. C’est aussi l’île
du comte Zaroff, qui fait du rescapé
heureux saluant la vie une bête traquée proche de la mort dans le roman de Richard Connell adapté en
IV
•
CINÉMA À L'AFFICHE
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
ÎLOT TRÉSOR
A
ncienne basketteuse
émérite qui a envisagé de faire de ce
sport une pratique
professionnelle avant
de s’orienter vers une formation
de photographe, Naomi Kawase,
abandonnée enfant à un grandoncle et une grand-tante par ses
parents divorcés, a grandi dans la
béance de cette origine traumatique. Quand en 1997 à Cannes, elle
présente son premier long métrage, Suzaku, à la Quinzaine des
réalisateurs, elle a 27 ans et vit
encore à Nara chez sa mère adoptive. Celle-ci est morte l’an dernier, et Still the Water a été écrit et
réalisé à partir de ce deuil: «Plus
la solitude est profonde, plus la tendresse est grande», écrit la cinéaste dans une note d’intention.
On ne se rend pas à une interview
de Naomi Kawase en se préparant
à un flot de paroles et d’autoanalyse de son œuvre, riche aussi
bien de fictions (Shara, la Forêt de
Mogari…) que de documentaires.
La cinéaste est réputée pour son
laconisme, sa réserve, une certaine distance que l’exquise politesse nippone permet de ne pas
assimiler à de la simple froideur.
Dans l’hôtel parisien ce jeudi, il y
a d’un côté Catherine Cadou, la
traductrice, et de l’autre un jeune
homme, Shinji Kitagawa, assistant personnel de la cinéaste, qui
lui masse vigoureusement une
main pendant que l’on pose des
questions. On est prévenu, c’est
pour «qu’elle ne s’endorme pas»!
En guise d’excitant complémentaire, Kawase sirote une tasse
d’eau chaude.
Quelles ont été vos sensations
quand, pour la première fois, vous
êtes allée sur l’île d’Amami?
C’était en 2008. Cinq ans auparavant, j’avais appris par la voix de
ma grand-mère que mes ancêtres
étaient originaires de cet endroit.
Le premier jour, je me souviens
qu’il pleuvait à torrent, on n’y
voyait rien et, avec mes proches,
nous nous sommes contentés de
poser les bagages et de nous coucher. Mais je me suis réveillée en
pleine nuit, et je suis sortie seule,
marchant à l’aube dans la lumière
incroyable qui baigne le rivage.
J’ai croisé un vieil homme qui m’a
demandé ce que je faisais là. Peu
à peu, j’ai compris qu’il était de
ma famille, qu’il avait connu mes
arrières-grands-parents et qu’il
me trouvait même une ressemblance physique avec eux.
Sans ce lien personnel, ancestral,
vous n’auriez pas filmé ces lieux?
Je n’aurai même pas eu l’idée
d’aller à Amami. Pour les vacances, les Japonais vont dans l’archipel d’Okinawa, en particulier
à Naha, où il y a toutes les infrastructures modernes. C’est
d’ailleurs assez abîmé par l’excès
de bétonnage balnéaire. Mais ils
ne vont pas sur Amami, dans
l’archipel Satsunan où il n’y pas
de resorts, pas de magasin ouvert
24 heures sur 24. Le Japonais
Naomi
Kawase,
à Cannes
en mai.
«J’AI DES
PRÉDISPOSITIONS À
DEVENIR CHAMANE»
Naomi Kawase,
auteure de «Still the
Water», a découvert
qu’elle avait des
ancêtres sur les îles
d’Amami, où le
folklore et les
croyances sont
encore très prégnants.
moyen est vite paumé dans un ritablement le plan de travail à la
endroit pareil…
fois pour y faire des repérages et
Comment travaillez-vous?
pour m’imprégner de l’ambiance
Je m’isole et je ne parle à per- quotidienne. Les acteurs m’ont
sonne le temps nécessaire à la rejoint trois semaines avant la
rédaction complète du
première prise, et je
scénario. Je me mets
INTERVIEW leur ai demandé de se
«en conserve», comfondre dans la commume on dit au Japon. Pour Still the nauté villageoise, de préparer à
Water, j’ai écrit le script en trois manger avec eux, etc.
jours. Et, pour la première fois, Vous faites beaucoup de prises?
les financements sont venus vrai- Une seule, la plupart du temps.
ment intégralement à partir de ce En principe, je prépare bien le
document qui était assez détaillé. plateau et puis après je ne donne
Après, pour préparer le tournage, pas beaucoup d’indications, les
je me suis installée sur l’île deux choses doivent se dérouler le plus
mois avant que ne commence vé- naturellement possible. Avec les
jeunes acteurs, qui d’un jour sur
l’autre perdaient la tension nécessaire à leurs rôles, il m’a fallu
parfois faire et refaire parce qu’ils
pouvaient arriver le matin avec la
fraîcheur d’une page blanche
quand je voulais qu’ils soient
barbouillés par toutes les émotions de la veille. C’est un film
que j’ai tourné dans un état de
grâce, je me sentais bien, sûre
d’avoir les éléments les plus
beaux, les plus justes comme
quand on fait la cuisine et que
l’on sait que l’on a les meilleurs
ingrédients. Au moment du
montage, j’avais quatre-vingts
heures de rushs de très bonne
qualité, et il m’a été difficile de
sacrifier des prises ou des séquences que j’aimais beaucoup.
Y a-t-il des zones de l’île que vous
ne vouliez pas que l’on voie?
Non, pas vraiment… en revanche,
j’aimais beaucoup une pointe de
l’île qu’une chamane m’a déconseillé d’approcher et de filmer :
l’endroit était habité par les
dieux, et était maléfique, car on
y entreposait autrefois les cadavres des défunts pour qu’ils
soient dévorés par les oiseaux. Je
me suis promenée dans les environs et mon portable est tombé
d’une falaise.
Qui sont ces chamanes? Et comment le devient-on?
Il y en a des dizaines sur l’île,
hommes et femmes. On le devient d’un seul coup, on voit des
choses qu’on ne voyait pas jusqu’alors. Ils font le lien entre les
dieux et les hommes, l’invisible
et le visible. Ils ne sont pas méchants, ils ne vous prédisent pas
des événements néfastes ou terribles, mais vont vous conseiller
d’éviter de faire telle ou telle
chose dans les jours à venir s’ils
sentent que vous pouvez avoir un
accident. Quand on est malade,
on va d’abord voir le chamane
et, après, on file à l’hôpital si les
symptômes ne disparaissent pas.
J’ai, moi aussi, des prédispositions à devenir chamane et le cinéma que je fais est, à mon sens,
relié à cette aptitude particulière
de visions divinatoires.
Votre cinéma respire un air qui ne
semble jamais vicié par les préoccupations à la mode ou l’injonction à aller toujours plus vite…
Je vis toujours à Nara où je suis
née et qui est comme une bulle
traditionnelle en dehors du
temps. Je ne regarde jamais la télévision, je n’utilise quasiment
pas Internet, à part pour envoyer
des mails de temps en temps. Je
lis les journaux papier.
Ce qui me rassure, c’est de lire
quelque chose d’écrit, d’imprimé, car je trouve que ce que
l’on voit passer dans les réseaux
n’accroche pas et ne descend pas
très profond en vous. Ça passe.
Or, moi qui entends créer, il faut
que les informations soient assimilées, intégrées, qu’elles pèsent
d’un poids sensible pour qu’elles
suscitent une émotion durable,
fertile.
Recueilli par DIDIER PÉRON
Photo YANN RABANIER
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
À L'AFFICHE CINÉMA
•
V
«The Tribe» est le fruit d’un long travail de répétition et de préparation pendant six mois avec des acteurs castés au terme de plus d’un an de recherche. PHOTO UFO DISTRIBUTION
POUR LA BEAUTÉ DU GESTE
UPPERCUT «The
Tribe» met en scène un gang de sourds­muets dans un pensionnat
délabré de la banlieue de Kiev. Un premier long métrage perturbant.
THE TRIBE de MIROSLAV
SLABOSHPYTSKIY
avec Grigoriy Fesenko, Yana
Novikova, Rosa Babiy… 2h12.
«Voilà, c’est fait. On a vu LE
film choc de Cannes» (Première), «attention, film choc»
(Lui), «Shocking Sign Language Drama» (IndieWire)…
On l’aura compris, The Tribe,
film ukrainien en langage
des signes, a été largement
perçu, lors de sa présentation à Cannes dans la section
Semaine de la critique,
comme le coup de gourdin
que le festivalier déjà sonné
par des nuits de vodkaRed Bull attendait, ou redou-
tait. On peut épiloguer à
l’infini sur le choix du cinéaste de ne pas sous-titrer
son film alors même qu’il dit
qu’il y avait un texte très
écrit au scénario et qu’il a été
traduit pour être signé à la
virgule près par ses acteurs
sourds-muets. C’est une décision contestable et qui le
reste, mais le film repose
aussi en grande partie sur ce
postulat de départ. En effet,
l’expressivité explosive des
acteurs est l’un des motifs
fascinants du film, car le récit semble au moins pendant
la première heure vraiment
jaillir du cœur de l’image.
L’analogie avec le cinéma
muet ne tient pas vraiment,
en fait, car le langage des signes engage le corps dans
une incessante formulation
presque expressionniste,
s’obtient et se détermine
dans des joutes viriles et des
bastons organisées. Mais
Sergueï s’impose et devient
caïd à la place du
La peinture d’un monde
caïd, qui s’est
sordide, qui ne s’accomplit fait rouler dessus
par un camion
que dans une emprise
en marche arviolente sur les corps
rière (il ne l’a pas
jusqu’au viol et au meurtre. entendu venir!).
Sergueï fait le
celle-là même qui avait mac pour deux filles délurées
donné à Pina Bausch l’idée du pensionnat qui écument
d’un passage de sa chorégra- un parking routier. Mais Serphie Nelken.
gueï tombe amoureux de
Joutes viriles. On suit l’ar- l’une d’elles, Anna, et veut la
rivée d’un nouvel élève, Ser- sauver. Il paye pour lui faire
gueï, dans un pensionnat de l’amour, puis veut l’empêla banlieue de Kiev. Très vite, cher de continuer la prostiil est mis à l’épreuve, tout tution. Mais Anna ne l’en-
tend pas ainsi, elle doit
continuer pour se payer un
passeport et se barrer en
Italie.
Alcool. Usant régulièrement
de la «steadicam» pour accompagner les mouvements
incessants des personnages
dans les couloirs du pensionnat, les zones où ils s’assemblent pour baiser et écluser
de l’alcool, le cinéaste déploie une indéniable maestria
dans la conduite de son film.
Un long travail de répétition
et de préparation pendant
six mois avec une escouade
d’une vingtaine d’acteurs
castés au terme de plus d’un
an de recherche, aussi bien
en Ukraine qu’en Russie,
Bulgarie et Azerbaïdjan. La
peinture d’un monde sordide, qui ne peut s’accomplir
que dans une emprise violente sur les corps jusqu’au
viol et au meurtre, entame la
seconde partie du film où la
complaisance finit par pointer dans la recherche même
du réalisme nihiliste (pénible
scène d’avortement dans une
cuisine crasseuse).
Myroslav Slaboshpytskiy
avait déjà réalisé un court
métrage, Deafness, avec des
sourds-muets, dont ce premier long est en quelque
sorte la version étendue. Il a
reçu le grand prix de la Semaine de la critique.
DIDIER PÉRON
JORGE DANS LA JUNGLE
CHILI
Le combat d’un père et de sa modeste famille harcelés par un ancien petit chef de quartier.
TUER UN HOMME
d’ALEJANDRO FERNÁNDEZ
ALMENDRAS avec Daniel Candia,
Alejandra Yáñez, Daniel Antivilo… 1h24.
Tremblez, vibrez, c’est inspiré de
faits réels : au Chili, Jorge, travailleur forestier à la quarantaine
pusillanime, mène avec sa famille
une vie d’atonie aux modestes réconforts dans un pavillon banlieusard. Souvent rudoyé par les moqueries d’un voisinage butor et
brutal, il finit un soir par faire l’objet d’une agression, racketté par un
vague caïd, tel un ado à la sortie du
lycée. Des suites juridiques de cet
incident – qui enverront le petit
despote de pâté de maison passer
quelques mois vite purgés en prison– va découler un climat de harcèlement tourné contre sa famille,
au bord de l’implosion, guère secourue par l’apathie de l’appareil
judiciaro-policier, et ainsi contrainte de vivre sous un régime de
constante crainte. Quoiqu’aguerri
à une vaste palette de registres
d’humiliation, Jorge va alors peu à
peu se désengoncer, tant de sa poltronnerie que de son ornière de
Jorge (Daniel Candia). ARIZONA DISTR.
probité, pour se faire à l’idée d’affronter son tourmenteur. De cette
trajectoire sur le fil d’une usure
morale et d’une désagrégation des
fondements d’un quotidien déjà
plombé, le troisième long métrage
d’Alejandro Fernández Almendras,
grand prix étranger à Sundance et
représentant du Chili aux oscars,
tisse une intrigue de thriller sans
suspense, sinon psychologique –le
titre de ce Tuer un homme pointe
bien vers quelle extrémité courre
l’agitation inquiète de ce petit
monde aux teintes nocturnes safranées d’enfer périurbain.
A la fois délicate tragédie et étude
de caractère un peu raide, le film illustre avec un bonheur inégal la
dérive du pauvre Jorge, acculé à se
dévider du peu qui le constituait
pour accéder à sa dérisoire délivrance. Malgré les sensibles joliesses plastiques qui ornementent la
relative monotonie de ses cadres,
Tuer un homme s’essouffle alors un
brin à scruter le surgissement de la
sauvagerie dans le cœur d’un personnage chez qui il peine par
ailleurs à enluminer ce qui pouvait
bien y faire rempart.
JULIEN GESTER
VI
•
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
CINÉMA À L'AFFICHE
HAUT­DE­«CASSE»
Dans la casse d’Athis­Mons (Essonne), pneu qui roule n’amasse pas mousse. PHOTO DR
Un
documentaire
étonnant sur
des hommes
occupés
à trifouiller
dans un
cimetière
de voitures.
CHÂSSIS
CASSE
docu de NADÈGE TREBAL 1h27.
Dès le long travelling d’ouverture, il
émane de Casse une forme de grâce
mâtinée de tendre pudeur que, pour
être franc, on n’imaginait guère
transparaître dans un tel contexte :
énoncé sans article, Casse investit en
effet un univers généralement assez
masculin, qui s’accorde pourtant ici
au féminin à travers le regard de la
jeune cinéaste Nadège Trebal. Un cimetière de voitures en libre service
où, dans la morne froidure d’un no
man’s land de banlieue – AthisMons, un autre monde à tant
d’égards socio-économiques à
20 kilomètres de Paris par la route–,
des quidams s’en viennent dépecer
des carcasses, qui pour récupérer
un rétroviseur ou un hayon, qui
pour changer une poignée de portière, destinés, devine-t-on, à
d’autres véhicules qu’on tentera de
rafistoler, faute de mieux. «Une sorte
de dédale découvert par hasard, précise la cinéaste, qui m’est apparu dès
les premiers instants comme un précipité de beauté et de laideur, très pictural, avec ses découpes et ses transparences. Un univers propice à la
rencontre également, mais plutôt dans
le registre du flirt, à la fois intense et
léger, sachant que celui-ci ne se consommerait, voire consumerait, qu’à
travers le film.»
Commando. Travaillant sans effraction –inutile par conséquent d’extrapoler une lecture homonymique du
titre–, bien qu’en mode commando
avec juste un régisseur, deux opérateurs à l’image et un au son, en plus
d’elle, Nadège Trebal a ainsi ostensiblement déballé son matériel (caméra
sur pied, perche, micro HF) pour recueillir les tranches de vie de cette
France d’en bas, occupée à chercher
la bonne clé pour démonter un châssis. Des outils et des hommes, en
somme, mais parsemés de confiden-
sent les voitures et moi qui les répare»–, raconte son bonheur d’être
grand-père; mais aussi se remémore
le lointain départ de Tunisie, «tellement content de venir en France pour
faire une autre vie», avant de découvrir l’injustice sociale, décrite, là encore, avec bien plus de malice que
d’acrimonie. «Lors de ces rencontres,
précise la cinéaste, la première question venait souvent d’eux: “Qu’est-ce
que vous voulez?” Je leur répondais que
je ne savais pas. Et le dialogue s’instaurait, ou pas, car j’ai également essuyé beaucoup de refus, notamment
auprès des jeunes, qui se montraient
plus méfiants, sur la défensive. A l’inverse, ce sont chez les personnes d’origine immigrée que j’ai trouvé le plus de
confiance, de fantaisie, peut-être car
ils estiment n’avoir rien à perdre.»
Fourmis. Voyant une métaphore de
la condition humaine dans cette observation d’«acteurs du réel» aux
parcours eux-mêmes souvent accidentés, accaparés à démonter des
pièces pour les remonter ailleurs,
Nadège Trebal confère ainsi à son microcosme lucide de fourmis accroupies, pliées en deux ou encastrées,
une assez poignante dignité. Casse
ces, comme de silences, pour dire la est le deuxième long métrage docunostalgie, le doute, la fierté ou l’es- mentaire (après Bleu pétrole, sur le
poir.
monde syndical, en 2012) de cette
D’une allée à l’autre, on s’attache de diplômée du pôle scénario de la Féla sorte à Oumar ou Ali – mais aussi mis, admiratrice de Chaplin, Pasoà ce groupe mutique et farouche de lini, Fassbinder et Godard, qui a nojeunes filmés en plan fixe tel un mini tamment déjà collaboré avec Claire
Simon (Ça brûle et
les Bureaux de
«J’ai essuyé beaucoup de refus,
Dieu). Sa prochaine
notamment auprès des jeunes […].
étape, en cours
A l’inverse, ce sont chez les
d’écriture : la fiction, qui racontera
personnes d’origine immigrée que
«l’histoire d’un
j’ai trouvé le plus de confiance.»
homme contraint de
quitter son foyer
Nadège Trebal
pour chercher du
screen test warholien. Le premier, qui travail, entre la France, la Belgique et
évoque sans misérabilisme aucun «le l’Allemagne, avec, en suspens, la
froid, la pluie et la peur» liés aux con- question suivante : comment peut-on
ditions dans lesquelles il est arrivé continuer de s’accomplir quand on ne
clandestinement en Europe par la bosse, ni ne baise plus ? Une sorte
mer (une véritable Odyssée de Pi, d’épopée que j’aimerais avec ce côté
avec requins et dauphins). Le second, à la fois jouissif et inconfortable du
yeux plissés, bonnet vissé sur la tête, rodéo».
qui blague – «J’ai deux filles qui casGILLES RENAULT
VITE
VU
LES ÂMES NOIRES
de FRANCESCO MUNZI (1 h 43)
La ’Ndrangheta, mafia des villes,
mais surtout mafia des champs.
Dans cette adaptation du livre
éponyme de Gioacchino Criaco, il
y a en miroir le nord urbain de
l’Italie, avec sa plaque tournante,
Milan. Et il y a, tout au sud, la
montagne calabraise, ses chèvres
et son patois. Luigi et Rocco sont
deux frères qui ont pignon sur
rue dans la capitale lombarde, où
ils font leurs choux gras de pains
de cocaïne planqués parmi les
cargaisons d’ananas. Leur troi­
sième frère, Luciano, campe un
berger taiseux dans les ruines
d’un village haut perché, qui tente
de rester à l’écart de la tentacu­
laire ’Ndrangheta. Leur doulou­
À VOUS
DE VOIR
Leo (Giuseppe Fumo) et son père
Luciano (Fabrizio Ferracane).
F. CASCIARRI.CALIAS
reux héritage commun : un père
assassiné par une famille rivale.
La fratrie doit se réunir en
urgence dans le berceau régional
après l’éclosion d’un élément per­
turbateur : le fils de Luciano, la
petite vingtaine. Leo, qui aspire à
rejoindre ses oncles plutôt qu’à
rester auprès de son vieux père,
s’est fait l’auteur d’un règlement
de comptes puéril qui n’aura de
cesse de bouleverser la concorde
toujours précaire entre les gran­
des familles du milieu. Code
d’honneur, mariage arrangé, ven­
geances… Non sans écumer quel­
ques clichés du grand banditisme,
la campagne profonde du sud de
l’Italie se révèle comme le nid de
la ’Ndrangheta, emprunt de folk­
lore, d’amitiés faux­jetons et de
regards noirs. Dénué de manié­
risme et globalement bien joué, le
troisième long métrage de Fran­
cesco Munzi s’en remet au fatum
de la tragédie antique, racontant
l’inexorable tourbillon de la ven­
geance qui ne dit jamais par où et
comment elle va surgir. Q.D.
BODYBUILDER
de ROSCHDY ZEM (1 h 44)
Un homme retrouve son fils qu’il
n’a plus vu depuis une éternité.
Et la communication passe très
mal entre le premier, adepte
renfrogné du bodybuilding aux
valeurs rigoureuses, et le second,
bon à rien menteur et voleur en
manque, entre autres, de repè­
res affectifs. Pour sa troisième
réalisation, Roschdy Zem signe
une étude de caractères solide
qui fléchit juste au moment
du dénouement. Bien soutenu
par Vincent Rottiers,
Marina Foïs et Nicolas
Duvauchelle, le culturiste
Yolin François Gauvin (Libéra­
tion de lundi) tire son épingle
du jeu. G.R.
L’APÔTRE de
CHEYENNE CARRON
Akim, jeune musulman
appelé à devenir imam,
voit son identité boule­
versée par l’amour
du Christ… Au sein
de tensions familiales,
Akim tente de se faire
accepter par les siens.
HORNS d’ALEXAN­
DRE AJA (1 h 59)
Soupçonné d’avoir
assassiné sa fiancée,
Ignatius (Daniel Rad­
cliff) se réveille un
matin avec une paire
de cornes magiques
sur la tête. Parce qu’en
plus, il l’a faite cocu ?
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
L’HISTOIRE
ZOOM CINÉMA
•
VII
VU D’AILLEURS
HOLLYWOOD : LANCER DE DRONES
Les pilotes d’hélicoptère payés par les studios
hollywoodiens pour les prises de vue aériennes peuvent
commencer à s’inquiéter. En effet, la semaine dernière,
la Federal Aviation Administration a délivré une
autorisation d’usage des drones à six boîtes de
production d’images. Le secrétaire au Transport,
Anthony Foxx, a donné une conférence de presse
pour dire qu’il ne voyait pas de risques particuliers
dans l’utilisation de ces robots volant dans le ciel
américain par les studios de cinéma et de télévision. Le
site Deadline.com souligne que les drones sont moins
dangereux que les hélicoptères (et plus écologiques).
Les pontes d’Hollywood voient d’un très bon œil cette
possibilité technique d’envoyer le spectateur en l’air. D.P.
ÇA COM
«Dans cet univers magique,
les enfants peuvent également
s’adonner à de nombreuses
activités et jeux comme la tour
de chute libre de 10 mètres de
haut Tourlicot, le carrousel la
Ronde des Müls­Müls et ses
drôles d’animaux aux allures de
gros pompons blancs qu’ils
peuvent chevaucher dans leur
cage géante […]. Après toutes
ces émotions, les visiteurs
peuvent se restaurer au snack
Jack’s DELI et se faire plaisir
dans la boutique Arthur.»
EUROPA PARK
Un communiqué de presse envoyé par
EuropaCorp, la société de Luc Besson, qui
propose de fêter dans la joie et la bonne humeur
le passage du cap du million de visiteurs pour
l’attraction «Arthur, au royaume des Minimoys»
à Europa­Park (à Rust, dans le Bade­Wurtemberg,
en Allemagne).
Pour «The Golden Era», 2,2 millions d’euros ont été apportés via le financement participatif. JUPITER WONG.EDKOFILMS
LE GOOGLE CHINOIS
SE MET AU «CROWDFUNDING»
L
a Chine populaire s’intéresse au générique ou un poster signé du
de plus en plus au financement réalisateur, mais ne s’attendent pas
participatif dans le cinéma. Le forcément à un retour financier. En
moteur de recherche Baidu est la Chine en revanche, c’est considéré
dernière plateforme à offrir aux comme un investissement classique,
618 millions d’internautes du pays très financier, où on se voit garantir un
la formule du crowdfunding. Sur le retour proportionnel à la performance
modèle de Kickstarter, l’un des du film au box-office», explique Isapremiers sites américains de finan- belle Glachant, une productrice bacement de projets, la plasée à Pékin. Naturelleteforme baptisée Baifa
ment
donc,
ces
DE PÉKIN
Youxi propose d’investir
«investisseurs» se tourdans la promotion de The Golden nent vers les films grand public qui
Era, dernier long métrage de la réa- sont à peu près sûrs de rapporter,
lisatrice taïwanaise Ann Hui. Les «et non pas vers les films d’auteur»,
mises commencent à 10 yuans déplore Isabelle Glachant, qui est
(1,25 euro), et peuvent rapporter entre autres la productrice du
jusqu’à 16% d’intérêts. On pourrait réalisateur d’A l’ouest des rails,
se demander a priori pourquoi ces Wang Bing.
producteurs ont recours au Le fait que les Bourses chinoises
crowdfunding vu que, d’une part, soient en berne et l’immobilier en
c’est un film à gros budget et, baisse serait donc tout bénéfice
d’autre part, parce qu’il ressemble pour cette industrie qui a démarré
fort à un film de propagande com- voilà trois ans. «Dans le cinéma en
muniste. Sa sortie est d’ailleurs Chine, il y a déjà beaucoup d’argent,
programmée en Chine le 1er octobre, et de l’argent qui n’est pas de la projour de la fête nationale. On touche fession», souligne encore Isabelle
ici du doigt l’une des particularités Glachant. Du coup, les sommes ledu système chinois.
vées par ce procédé sont importanProcédé. «En Europe ou aux Etats- tes. Dans le cas de The Golden Era,
Unis, le crowdfunding est souvent une Baifa Youxi a dépassé les 18 millions
forme de mécénat. Les gens qui inves- de yuans, soit environ 2,2 miltissent sont contents d’avoir leur nom lions d’euros, misés par 3 300 in-
ternautes. Le financement participatif a pour objectif ici de ne fournir
qu’une partie du budget total des
productions. C’était le cas pour
Tiny Times, premier gros film à succès chinois, à y avoir eu recours
en 2013, et c’est aussi le cas pour
The Golden Era. L’appel au financement du film d’Ann Hui lancé par
Baidu n’est d’ailleurs intervenu
qu’une fois le film achevé. Les
autres géants de l’Internet chinois
viennent aussi de lancer leur plateforme de crowdfunding axée sur
le cinéma : le site de vente en ligne Alibaba, avec Yulebao, et Tencent, avec Tencent Movies. Les
perspectives de croissance de cette
nouvelle forme de production sont
prometteuses. «Les montants qui
sont levés sont considérables, note
Isabelle Glanchant. Cela montre
que les gens y croient, et que ça a de
l’avenir.»
Stratégie. Baidu contrôle par
ailleurs deux portails vidéo importants, PPS et iQiyi, et ce lancement
de crowdfunding s’inscrit dans une
stratégie de production de ses
propres contenus et de fidélisation
du public.
De notre correspondant en Chine
PHILIPPE GRANGEREAU
CINEMA
Quel spectateur êtes­vous? Un invité nous répond du tac au tac.
SÉANCE TENANTE
RICHIE HAWTIN
Producteur electro et DJ canadien,
il est devenu au milieu des années 80
l’une des figures pionnières de la
techno de Detroit. Via son alias
Plastikman, son style, dialoguant
beaucoup avec l’art contemporain,
il a pris désormais une tournure
minimalo­expérimentale. PHOTO DR
Je ne crois pas que l’on puisse
parler de flirt, mais je me rappelle
avoir vu les Dents de la mer avec
mon père. Nous passions un très
bon moment. Lorsqu’un corps
sanguinolent à la dérive a traversé
l’écran, j’ai poussé un cri et me
suis retourné. Et cela a mis un
terme à la belle expérience de cinéma et au bon moment partagé
avec mon père.
w Dans la salle, une place favorite?
Un rituel?
Au beau milieu de la salle. Le pouvoir des images correctement cadrées, le meilleur son et pas trop
de gens entre vous et l’écran. Je
vais au cinéma pour être envoûté
par l’expérience audiovisuelle.
w Avec quel personnage aimeriezvous coucher?
La danseuse incarnée par Natalie
Portman dans Black Swan.
w La séquence qui vous a empêché
de dormir (ou de manger)?
Le crash d’avion dans les Survivants, de Frank Marshall. Pour des
raisons professionnelles évidentes,
je prends vraiment très souvent
l’avion. Je ne suis pas sûr d’avoir
pu regarder la scène jusqu’au
bout, et cela m’a hanté longtemps.
w Le gag ultime?
Dans Monty Python : sacré graal !,
quand deux chevaliers s’affrontent et que celui d’entre eux qui
perd peu à peu tous ses membres
ne cesse de revenir au combat,
sans jambes ni bras. La sécheresse
de l’humour anglais dans toute sa
splendeur.
w Le cinéaste dont vous n’oserez
jamais dire du mal?
David Lynch. Peu importe ce qu’il
fait, il vous prendra toujours par
surprise.
w Le cinéma disparaît à tout jamais.
Une épitaphe?
«A la prochaine».
w La dernière image?
Noir profond.
Recueilli par JULIEN GESTER
aujourd’hui. Mais ce coudage est véniel
lorsqu’on lit Barbara Loden (photo) expliquer
en 1970 qu’après son fulgurant Wanda, elle a
d’autres projets qui sont comme de se marier
avec un inconnu. La réalisatrice mourut
d’un cancer dix ans plus tard. Et Wanda,
seule, demeure. G.L. PHOTO 12. ARCHIVES
DU 7E ART FOUNDATION
«Une renaissance américaine», de Michel Ciment,
Nouveau Monde éditions, 512 pp., 25 euros.
TOUJOURS EN SALLES
DR
Je suis enfant sur une plage du sud
de l’Angleterre, et soudain la tête
d’un homme, un plongeur,
émerge de l’eau. J’avais 6 ans, et
je n’avais jamais rien vu de tel
auparavant, je ne pouvais donc pas
concevoir qu’un homme puisse
surgir ainsi de la mer et en sortir
en marchant. C’était une image
si frappante que je ne l’oublierai
jamais.
w Dernier film vu ? Avec qui ?
C’était comment?
Il y a deux jours, j’ai commencé à
regarder Under the Skin, de Jonathan Glazer. Malheureusement
je ne suis pas allé au bout, car
j’étais en vacances avec ma copine
et le film ne présentait pas tout
à fait l’atmosphère que nous
recherchions.
w Le film que vos parents vous ont
empêché de voir?
Porky’s. Je me rappelle avoir dû
m’inviter en douce chez un ami
pour le regarder car mes parents
m’avaient assené que «jamais
dans cette maison» ne passerait ce
genre de comédie dénudée pour
adolescents.
w Un rêve qui pourrait être un début
de scénario?
Tomber du ciel et y survivre.
w La bande-son qui vous trotte dans
la tête?
Je pense très souvent à la partition
de Cliff Martinez pour le remake
de Solaris par Steven Soderbergh.
w Le monstre ou le psychopathe
de cinéma dont vous vous sentez
le plus proche?
Jason, de Vendredi 13. Comme
nous tous, en société, il porte un
masque. Le fait d’être à la fois
Plastikman et Richie Hawtin, et
d’exister à travers ces deux personnages différents, sur scène et
hors scène, m’y rend d’autant plus
sensible.
w Le film ou la scène qui a interrompu un flirt avec votre voisin(e)?
En rassemblant des entretiens avec 30 cinéas­
tes américains, Michel Ciment démontre à
l’écrit (comme il prouve à l’oral sur France
Culture dans Projection privée) que le dialogue
n’est pas un sous­genre critique. Son propos
est d’instruire le dossier d’une renaissance
du cinéma américain lorsque s’effondre le sys­
tème des studios dans les années 70. Michel
Ciment tape un peu fort sur le clou quand il
prétend que le phénomène perdure jusqu’à
ANNA_MATVEEVA
w La première image?
ENTRETIENS 30 RÉALISATEURS AMÉRICAINS SE LIVRENT
MANDARIN CINÉMA
«JASON, DE
“VENDREDI 13”,
PORTE UN MASQUE
COMME NOUS TOUS»
YVES SAINT LAURENT
de Bertrand Bonello (2 h 30)
LEVIATHAN
de Andrei Zviaguintsev (2 h 21)
MANGE TES MORTS
de Jean­Charles Hue (1 h 34)
… ou la vie d’un homme riche et
célèbre à l’instant où son nom
propre devient une marque, des
initiales. Mais comme aux ateliers
de la haute couture, ce prêt­à­fil­
mer du biopic n’est qu’une toile
prétexte pour bâtir un vêtement
nettement plus inédit et s’obsé­
der de questions secouantes. No­
tamment celles resurgies d’une
Atlantide mentale, sentimentale
et artistique, dont le cinéaste (né
trop jeune ? Né trop vieux ? En
1968) fut à peine contemporain.
Dans un port au bord de la mer
de Barents, Kolia et sa famille lut­
tent contre le maire, Vadim Che­
leviat, qui a décidé de les expro­
prier. La procédure judiciaire ne
lui donne pas raison, et ce verdict
engendre une série d’événements
qui vont propulser le plaignant
dans une spirale infernale. Le ci­
néaste russe dépeint une société
gangrenée par l’affairisme, l’ini­
quité et l’alcool dans cette relec­
ture moderne du sort de Job, le
dépossédé biblique.
«Malgré des codes sociaux un
peu écrasants, les gitans ont
réussi à préserver une colonne
vertébrale qui leur vient des an­
ciens et qui les fait se tenir mora­
lement ou savoir à quoi s’identi­
fier. Ça, c’est fort. Ils ne doutent
pas. Ils ne doutent pas non plus
de leur connerie, car il y en a là­
dedans. Et ça, c’est une force.»
Après la BM du seigneur, Jean­
Charles Hue retrouve le monde
viril des Yéniches et leur art si
particulier du dérapage contrôlé.
TICKET D’ENTRÉES (SOURCE «ÉCRAN TOTAL»)
Film
SAINT LAURENT
ELLE L’ADORE
AVANT D’ALLER DORMIR
LEVIATHAN
BRÈVES DE COMPTOIR
Semaine
1
1
1
1
1
On ne peut manquer un petit
exercice comparatif des perfor­
mances box­office des deux
(Yves) Saint Laurent. Celui de Jalil
Lespert pointait à l’issue du pre­
mier week­end d’exploitation à
438100 entrées pour 326 écrans
Ecrans
214
308
216
87
248
Entrées
107 225
152 218
85 432
32 761
70 136
(soit une grosse moyenne de
1 344 spectateurs par écran).
N’ayant plus que le privilège d’ar­
river en second, le biopic arty de
Bonello fait tout de même un bon
démarrage avec rien moins que la
meilleure moyenne de la semaine.
Entrées/écran
501
494
396
377
283
Cumul
107 225
152 218
85 432
32 761
70 136
L’activisme promo de Mick Jagger,
producteur du biopic sur James
Brown avec des interviews «exclu­
sives» à plusieurs journaux, Get
On Up n’aura pas réussi à empor­
ter le morceau. Le film n’a rassem­
blé que 62 953 sur 350 copies.
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
ECONOMIEXPRESSO
LES GENS
•
17
+1,33 % / 4 416,24 PTS
3 969 604 730€ +49,73%
Les 3 plus fortes
ORANGE
VEOLIA ENVIRON.
AIRBUS GROUP
LA PREMIÈRE
MINISTRE
DU GROENLAND
LÂCHE LES RÊNES
La Première ministre
du Groenland, Aleqa
Hammond, a demandé
au Parlement d’être
suspendue de ses
fonctions le temps d’une
enquête sur l’utilisation
privée de fonds publics. Un
rapport d’une commission
d’audit parlementaire a
révélé vendredi que
Hammond avait bénéficié
de plus de 14000 euros
pour des voyages privés
qu’elle a effectués
et des hébergements
pour sa famille. La sociale­
démocrate a remboursé
la somme en septembre.
Ses déboires rappellent
ceux de son prédécesseur
Kuupik Kleist, qui a
annoncé lundi qu’il allait
quitter son parti
(Ataqatigiit, séparatiste)
après avoir admis qu’un
permis d’exploration
minière avait été accordé
à une entreprise ayant des
liens avec des membres
de la famille de ministres.
Hammond était dans
l’opposition et avait bro­
cardé Kleist. Le Groenland,
57000 habitants, a un
budget sous perfusion, ali­
menté par Copenhague.
PHOTO KARL PETERSSON. AFP
44,2%
C’est le taux de chômage
des actifs de 15­24 ans
en Italie au mois d’août.
Un nouveau record
depuis 1977. La part des
demandeurs d’emploi
sur l’ensemble de
la population active est
en revanche en baisse
de 0,3 point par rapport à
juillet, soit 12,3%. Sur un an,
le taux de chômage affiche
une baisse de 0,1 point.
Les 3 plus basses
RENAULT
VALEO
ALCATEL-LUCENT
17 114,57
4 513,09
6 622,72
16 173,52
+0,25 %
+0,16 %
-0,36 %
-0,84 %
AU RAPPORT
Par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL
Le chef de mission du FMI pour la Grèce, Rishi Goyal, à Athènes, mardi. PHOTO ARIS MESSINIS. AFP
Déflation:leFMIveut
desinvestissements
AUSTÉRITÉ L’inflation dans les pays de la zone euro
est tombée à son plus bas niveau en cinq ans.
es plus optimistes diront que, dans l’immédiat, une inflation très
basse n’est pas forcément un
problème. Ils pourraient
même ajouter, comme ils le
font depuis des mois, que
cela contribue à redonner du
pouvoir d’achat aux consommateurs. Minoritaires
hier, ils le seront encore plus
demain. L’inflation en zone
euro est tombée à son plus
bas niveau en cinq ans, alimentant la crainte (ou la certitude) qui tétanise les plus
lucides: la zone euro n’a pas
dévié du chemin de la déflation. En septembre, les prix
n’ont augmenté que de 0,3%
sur l’ensemble des 18 pays de
la zone euro, après 0,4% le
mois précédent, a confirmé
mardi Eurostat.
Voilà qui devrait relancer les
débats sur la nécessité pour
la Banque centrale européenne, qui se réunit exceptionnellement à Naples jeudi,
de prendre (ou non) des nouvelles mesures pour tenter de
ranimer l’activité économique d’une Europe à l’arrêt.
Voilà qui devrait aussi remet-
L
tre en évidence à quel point
les politiques d’austérité
budgétaires excessives, tout
comme les politiques de
baisse du coût du travail,
n’en finissent pas de plomber la demande intérieure de
la zone euro. Au point où,
pour certains pays, la déflation n’est pas une simple
menace théorique, mais une
réalité. C’est le cas de l’Espagne, de l’Italie, de l’Estonie,
taux d’intérêt sont bas. Dans
un tel contexte, un cercle vicieux s’enclenche aussi pour
les entreprises, qui préfèrent
baisser leurs prix pour défendre leurs parts de marché.
Une dynamique qui conduit
les consommateurs à ne pas
dépenser aujourd’hui si c’est
moins cher demain.
D’ordinaire allergique au
gonflement de la dépense
publique, le Fonds monétaire
international
(FMI), cons«C’est le bon moment pour
du piège
donner un coup d’accélérateur cient
de la déflasur les infrastructures.»
tion, n’a pas
hésité à écorLe Fonds monétaire international mardi
ner
sont
de la Slovaquie, du Portugal dogme de l’orthodoxie budou encore de la Grèce. Ces gétaire. «C’est le bon moment
pays sont désormais en dé- pour donner un coup d’accéléflation.
rateur sur les infrastructures»,
Avec le minimum vital, de écrivent donc les experts du
plus en plus de ménages con- Fonds dans un rapport publié
somment toujours moins. mardi. Le FMI va même jusCraignant pour leur avenir, qu’à préciser que ces dépenceux qui ont encore un em- ses seraient plus efficaces si
ploi préfèrent mettre de côté. elles étaient financées par de
Au cas où… Résultat: les en- la dette publique… A mille
treprises, qui tournent déjà lieux de ce qui se fait en zone
au ralenti, ont peu de raisons euro.
d’investir, même lorsque les
VITTORIO DE FILIPPIS
L’Insee pointe le rôle des
femmes et des seniors
sur le marché du travail
n instantané de la
physionomie du marché du travail sur une
année: l’Insee a publié mardi
sa «Photographie du marché
du travail en 2013» (1). Un
rapport qui souligne des reliefs liés à l’évolution de la
société et à la progression du
chômage.
U
De plus en plus
de personnes actives
En 2013, 25,8 millions de
Français avaient un travail.
Sur 10 personnes en emploi,
il y avait un non salarié, deux
ouvriers, trois employés, et
quatre personnes occupant
une profession intermédiaire
ou un emploi de cadre. Par
rapport à 2012, il y a
110 000 actifs de plus, en
majorité des femmes. Depuis 2005 en effet, la progression du nombre d’actives
est deux fois plus importante
que le nombre d’actifs
(+107 000 par année contre
+52 000). Et parmi les
22,9 millions de salariés, il y
a presque autant de femmes
que d’hommes.
Le nombre d’actifs de 50 à
64 ans a aussi fortement
augmenté depuis 2005, de
1,4 million. Avec le recul de
l’âge légal de départ à la retraite, le taux d’activité des
plus âgés a progressé de plus
de 5 points en quatre ans,
passant de 56,5% en 2009
à 61,7% en 2013.
Plus d’hommes
au chômage
Le chômage s’élève à 9,8%
de la population active
en 2013, en hausse de
0,4 point sur un an. Ainsi,
2,8 millions de Français
étaient chômeurs en 2013.
Cette dégradation affecte
surtout les hommes depuis 2011, leur chômage augmentant de 1,5 point à 10%
en 2013. Un taux désormais
supérieur à celui observé
chez les femmes (9,7%). Les
hommes sont aussi plus touchés que les femmes par le
chômage de longue durée :
4,1% des actifs sont chômeurs depuis un an ou plus,
contre 3,9% des actives.
Plus de femmes
sous­employées
Près de 80% des emplois à
temps partiel sont occupés
par des femmes. Elles sont
également surreprésentées
(71,7%) parmi les 1,68 million d’actifs «en sous-emploi», autrement dit à temps
partiel, mais souhaitant travailler plus et disponibles
pour le faire, ou traversant
une période de chômage
partiel. Au total, en 2013,
18,4% de la population active
est à temps partiel et 6,5% en
sous-emploi, deux statistiques en hausse de 0,4 point
sur un an. •
(1) «Insee première», no1516,
septembre 2014.
DU LUNDI AU VENDREDI À 13.40 EN DIRECT
© Nathalie Guyon / FTV
LE MAGAZINE
DE LA SANTÉ
En partenariat avec les jeudis santé de Libération
francetélévisions
Marina Carrère d’Encausse, Michel Cymes
et Benoît Thevenet
allodocteurs.fr
18
•
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
ECONOMIE
Cela montre bien que nous
sommes des professionnels de
santé responsables. Cette réforme est d’autant plus injuste
et incompréhensible.»
Les pharmaciens manifestent, mardi à Paris. Environ 10% des officines étaient réquisitionnées pour assurer la garde.
Métiersréglementés:«Onsefait
massacrerdepuisdeuxans»
Les pharmaciens se sont massivement mobilisés mardi aux côtés d’autres
professions médicales libérales, contre le projet du gouvernement.
Par PHILIPPE BROCHEN
Photo VINCENT NGUYEN.
RIVA PRESS
nade des Invalides. Mais un
peu plus tard, une marée
blanche déferle sur le Sénat.
Sur les pancartes, des sloo u ra i n e - M a - gans : «Ma pharmacie ne
cron=la santé po- fermera pas.com», «Déréglegnon.» C’est peu mentation des prix=augmendire que la pilule tation des prix» ou engouvernementale ne passe core:«L’aspirine, c’est pas de
pas chez les pharmaciens. Ce la farine, c’est pour l’offimardi, certains manifestent cine». Célia, étudiante en
leur colère en région (Lille, quatrième année de pharBordeaux, Lyon, Valence, macie, et sa copine Solène,
Nancy, Metz, Besançon, Di- en cinquième année, sont là
jon…). D’autres
pour «défendre
ont rallié Paris
REPORTAGE les patients» qui
pour réclamer,
«ne sont pas des
aux côtés des dentistes, des clients». Elles scandent que
opticiens, des kinés, méde- «Doliprane, Efferalgan et
cins…, l’abandon du projet autre aspirine ne sont pas des
qui vise à réformer les pro- produits sans danger». Célia
fessions
réglementées, prend un exemple: «Dans la
quinze jours après les huis- pharmacie où je suis en stage,
siers et douze jours après les je connais les gens. Si quelnotaires. Résultat, près qu’un qui fait de l’hypertension
de 90% des officines ont leur me demande du paracétamol,
rideau baissé. Les autres ? je ne lui donnerai pas la forme
Réquisitionnées pour assurer effervescente, car cela peutle service de garde.
être dangereux pour ce genre
de malade.»
PARIS, 10 HEURES.
Quelques centaines de blou- 14 H 30. Pharmacien(ne)s et
ses s’affichent sur l’espla- préparateur(trice)s ont re-
«T
joint Bercy et stationnent
devant le ministère de l’Economie. Vincent, 30 ans, déboule à vélo. «Je vous promets
qu’au quotidien les questions
des gens par rapport à ces médicaments que beaucoup estiment sans danger vous feraient
changer d’avis», dit ce pharmacien parisien salarié. Qui
avance aussi un argument
économique pour s’opposer
à la déréglementation de
certains médicaments : «Le
prix de vente des médocs vignettés n’est pas libre, il est
fixé par l’Etat et les laboratoires, avance Vincent. Nos
marges sont très faibles. Une
pharmacie ne peut pas être
viable, ou alors très peu rentable si elle ne vend que ça.» Et
de pronostiquer: «Si ces médicaments sans ordonnance
sont vendus en grande et
moyenne surface, des officines
vont disparaître, surtout dans
les zones rurales. Après les déserts médicaux, il y aura des
déserts pharmaceutiques.» Au
micro, un orateur: «A la demande de la Sécu, nous avons
joué le jeu avec les génériques.
REPÈRES
PROFESSIONSRÉGLEMENTÉES
CELLESQUIGAGNENTLEPLUS
Revenu mensuel net médian constaté
Greffier de tribunal de commerce
Mandataire judiciaire
Administrateur judiciaire
Notaire
29 177 €
25 723 €
25 719 €
13 284 €
Pharmacien biologiste
Pharmacien
10 591 €
7 671 €
Médecin spécialiste
7 186 €
Chirurgien‐dentiste
6 912 €
Huissier de justice
6 272 €
Médecin généraliste
5 666 €
Dirigeant d’une société d'ambulances
4 170 €
Vétérinaire
3 899 €
Commissaire‐priseur
3 561 €
Infirmier libéral
3 536 €
Évaluateur des risques et dommages
3 524 €
37 professions
Chiffre d’affaires 2010
235,7 Mds d’euros
Valeur ajoutée
123,8 Mds d’euros
(6,8 % du PIB)
Bénéfices
42,7 Mds d’euros
(13,2 % du CA*)
3 524 €
Emplois
1,1 million
de salariés
3 307 €
*Chiffres d’affaires
Contrôleur technique automobile
Masseur kinésithérapeute
Avocat
3 271 €
Source : IGF
15 HEURES. D’autres professions ont rejoint les pharmaciens. Comme Guy, 49 ans,
et Marion, 35 ans, qui possèdent plusieurs magasins
d’optique en banlieue parisienne. Leur leitmotiv: «On
se fait massacrer depuis deux
ans.» Dans leur viseur, les
lois Hamon sur la consommation et Le Roux sur la
protection sociale. «La première impose aux ophtalmologues d’indiquer l’écart pupillaire sur leurs ordonnances
afin de faciliter l’achat de lunettes sur Internet», avance
Guy. Quant à Marion, elle
peste contre la seconde loi
qui «va limiter le remboursement des verres et des montures à 150 euros. Les gens
ne les achèteront plus en
France et la production sera
délocalisée».
A quelques mètres, Matthias
porte une blouse bleue et un
masque chirurgical. Ce dentiste de 38 ans a accouru
d’Angers pour dénoncer
trois choses suspendues, selon lui, à la réforme des professions réglementées. La
première: «Que des capitaux
privés pourront entrer dans les
cabinets. Ainsi, un dentiste
pourra être salarié d’un fonds
de pension.» Deuxième grief:
«la fin du numerus clausus»,
soit le nombre plafonné de
professionnels autorisés à
suivre le cursus universitaire
et, partant, à exercer. «Avec
l’ouverture de facs privées, les
gens vont pouvoir acheter leur
diplôme.» Enfin, Matthias
dénonce «l’autorisation faite
au patient d’aller voir directement un prothésiste au lieu que
ce soit le dentiste qui commande la prothèse après l’oscultation et la pose d’un diagnostic». Pour lui, c’est
simple: «Le gouvernement va
déclencher la guerre entre les
deux professions et le patient
va pâtir de la qualité des soins
tout en payant cette logique
commerciale.»
18 HEURES. Le ministère de
l’Economie fait savoir que
«la concertation est toujours
en cours». Si, selon Bercy,
«l’objectif» ne change pas
–«moderniser ces professions
réglementées» –, le cabinet
du ministre de l’Economie,
Emmanuel Macron, promet
que la volonté n’est pas de
«financiariser, déréglementer
et américaniser» ces professions. Et juge ces mouvements «à contretemps», car
«ils réagissent aux propos tenus en juillet». Et ceux-ci «ne
sont plus les mêmes». De quoi
tenter de désamorcer le bras
de fer ? •
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
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20
•
REBONDS
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
Comme on choisit ses ennemis…
Par THOMAS
HIPPLER
Maître de
conférences
à Sciences­Po
Lyon
Q
uels sont les objectifs de l’intervention des forces aériennes
françaises contre l’«Etat islamique» (EI) en Irak ? S’agit-il de
vaincre le mouvement afin de
rétablir l’intégrité territoriale de
l’Irak, comme l’affirme le ministre de la Défense ou bien simplement de l’«affaiblir» comme le soutient le président
de la République? Si le but était de détruire l’EI, force
est de constater que le dispositif militaire déployé est
plus qu’insuffisant. Jamais une guerre n’a été gagnée
par la force aérienne seule, et ceci pour la simple raison que l’aviation, tout en étant porteuse d’un immense potentiel de destruction, est incapable d’occuper un territoire et ainsi de le pacifier. Pour gagner
le conflit dans lequel la France est engagée, et donc
pour détruire l’EI, ce qui serait le seul objectif cohérent, il faudrait d’engager des troupes au sol, et en
nombre considérable: on estime que dix soldats sont
nécessaires pour contrer un seul insurgé. Or, la
France, tout simplement, ne dispose pas de ces
moyens militaires.
Faute de pouvoir faire mieux, est-on, alors, obligé de
larguer des bombes afin d’«affaiblir» au moins un peu
les islamistes ? Pour le savoir, il faut se demander
quelles sont les forces et les faiblesses de l’EI, quels
sont ses objectifs et sa stratégie, et comment il faudrait
par conséquent le combattre. Sans réponse satisfaisante à ces questions, les frappes aériennes ne sont
que de la politique spectacle, destinée aux écrans de
nos télés. Pire: sans objectif clairement assigné, sans
les moyens de l’atteindre, sans avoir défini le prix,
matériel et humain, que l’on est prêt à payer et sans
stratégie pour terminer le conflit, les résultats de l’intervention ont toutes les chances d’être désastreux.
L’EI est dans une situation paradoxale, étant à la base
un groupe d’insurgés mais en train de bâtir des structures quasi étatiques que la force aérienne peut certes
endommager, voire détruire. Mais il est tout sauf certain que cela affaiblira effectivement l’organisation,
et le résultat le plus probable est que les attaques
aériennes la contraindront à se réfugier plus encore
dans la guérilla et la guerre asymétrique. C’est précisément ce qu’on a vu se passer en Irak après l’invasion américaine de 2003 : une fois l’Etat détruit et
le conflit transformé en insurrection, les actions
militaires deviennent de plus en plus difficiles. Pour
parvenir à ses fins, l’EI a recours aux décapitations
spectaculaires. Diffusées en films chocs, l’EI cherche
avant tout à se distinguer d’autres groupes islamistes
rivaux auprès d’un certain public en quête de radicalité.
Mais il y a une deuxième raison pour laquelle l’EI
décapite des otages devant des caméras. Il s’agit
d’une des stratégies les plus anciennes de la guérilla,
bien connue au moins depuis Mao. Le but recherché
est de provoquer une réaction, et idéalement une
surréaction. Les Viêt-cong ouvraient ainsi le feu
depuis des zones habitées afin que les B52 américains
bombardent des villages et tuent des civils. Or, les
militaires ont appris la leçon depuis la guerre du Vietnam. Il faut alors avoir recours à des actions considérées comme particulièrement infâmes. Par exemple,
les insurgés tchétchènes tuent 186 enfants lors d’une
prise d’otages dans une école en 2004.
Plus l’action est abjecte, plus elle a des chances de
provoquer la surréaction recherchée, en l’occurrence
aujourd’hui, une intervention militaire occidentale
contre l’EI. Outre le fait de causer inévitablement des
victimes civiles, cette intervention aura, aux yeux de
l’EI, l’inestimable mérite d’appuyer le message que
les islamistes veulent envoyer au monde: celle d’une
guerre sainte menée par les Occidentaux contre un
monde musulman, représenté précisément par l’EI.
Le gouvernement français est-il alors tombé dans le
piège stratégique tendu par l’EI ? Pourquoi s’est-il
lancé dans une guerre que, faute d’y mettre les
moyens nécessaires, il ne peut non seulement pas
gagner, mais qui aura toutes les chances d’avoir des
résultats diamétralement opposés aux buts affichés?
C’est la presse internationale qui a avancé l’interprétation la plus classique et la plus évidente: affaibli par
des affaires qui n’en finissent plus et au plus bas dans
les sondages, l’exécutif français voit là une possibilité
de regagner en crédibilité et d’affirmer sa capacité
prêter le flanc à la moindre critique. Nous demeurerons
derrière le gouvernement et nos troupes», martèle-t-on
du côté de l’opposition.
Mais il y a pire encore. On semble l’avoir oublié, mais
une guerre est une relation entre deux adversaires au
moins. Dit autrement, le fait même d’entrer en guerre
implique que l’on accepte que l’adversaire ripostera.
Un ennemi contre lequel on se bat parce qu’il décapite des otages, comment ripostera-t-il? Précisément
en décapitant des otages, comme il vient de le faire.
Aussi atroce et répugnant que cela soit, ce n’est pas
pour autant une surprise mais la suite néPlutôt que de se battre avec des «sans-dents», cessaire et prévisible d’une décision politique, tout comme les actes terroristes
le président de la République peut désormais
susceptibles d’être commis désormais.
se consacrer, avec l’intervention contre
Pour faire face à la terreur et la panique
l’Etat islamique, à une tâche bien plus noble:
qui s’ensuivra, il faudra alors plus de soldats, plus de police, plus de surveillance.
celle de défendre «la dignité humaine contre
Sommes-nous d’accord pour que notre
la barbarie». Rien que ça.
gouvernement nous envoie dans une
d’action, son volontarisme, sa détermination. Plutôt guerre qu’il n’a pas la moindre chance de gagner ?
que de se battre avec des «sans-dents», le président Une guerre qui a d’autant plus de chances de causer
de la République peut désormais se consacrer à une des victimes civiles qu’une des parties est bien détertâche bien plus noble et surtout bien plus rémuné- minée à en faire un enjeu de propagande? Une guerre
ratrice : celle de défendre «la dignité humaine contre qui provoquera probablement des attentats sur le sol
la barbarie». Rien que ça.
français ? Une guerre qui sert déjà de prétexte à renA tous ceux qui, il y a quinze jours encore, reven- forcer les dispositifs sécuritaires et à limiter ainsi
diquaient une dissolution de l’Assemblée nationale davantage nos libertés politiques et nos droits démopour faire face à la «crise de régime» actuel, l’exé- cratiques ?
cutif peut maintenant clouer le bec en invoquant Dernier ouvrage paru: «le Gouvernement du ciel. Histoire
l’«unité nationale». Le langage ne peut que laisser globale des bombardements aériens», éditions les Prairies
songeur. «Il faut être résolument solidaire et ne pas ordinaires, 2014.
L'ŒIL DE WILLEM
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
Il n’est pas facile
d’être arabe
Leurs arguments colonne, qu’elle finisse par les traiter
semblent, a priori, comme les Etats-Unis avaient traité
i r r é c u s a b l e s . leurs Japonais après Pearl Harbor, que
Croyants ou in- cela nourrisse, bien sûr, tensions et rescroyants, lorsque sentiments et que se réalise par là
des musulmans l’éternel rêve des jihadistes – cette
d’Europe rétor- guerre entre l’islam et la chrétienté
quent à ceux qui dont Oussama ben Laden, déjà, ne doules pressent de se tait pas que la vraie foi en sortirait gadémarquer des gnante car l’Europe serait trop riche et
jihadistes que trop dépravée pour encore savoir comPar BERNARD
non, ils n’ont pas battre.
GUETTA
plus à le faire que Le 11 Septembre n’avait pas d’autre obn’importe quel jectif et que se passerait-il, demain, si
autre citoyen, que la République ne peut d’aussi terribles attentats se produipas leur demander à la fois d’être des saient en Europe ?
individus, français et uniquement fran- On ne pourrait alors pas exclure que
çais sur la scène publique, et de se com- l’Europe devienne aussi folle que les
porter en garants moraux d’une sup- Etats-Unis l’étaient devenus après
posée communauté à
avoir été frappés sur
laquelle ils ne sentent
leur sol. Il serait presDIPLOMATIQUES
pas d’appartenance,
que inévitable qu’elle
lorsqu’ils s’indignent qu’on les appelle tombe à son tour dans ce piège et c’est
à condamner une violence qu’on les là qu’on touche aux limites de ce si
soupçonne ainsi d’approuver, on ne compréhensible refus de ces musulpeut que comprendre et respecter cette mans d’Europe, intellectuels de renoms
position et le refus qui en découle.
ou citoyens anonymes, qui ne veulent
On devrait même s’en féliciter car il y a, pas être regardés comme avant tout
là, la meilleure des réponses non seule- musulmans.
ment au pur et simple racisme mais à On n’aime pas le dire tant c’est injuste
également à sa forme tempérée et telle- et même aberrant, tant c’est totalement
ment plus répandue qui fait voir un contraire à tous les principes à défenautre dans tout Arabe, différent, insai- dre, mais ils n’ont en réalité pas le
sissable et «pas comme nous».
choix. Ils ne l’ont plus guère parce que
Nous sommes comme vous, disent au les jihadistes s’emploient à les instrucontraire ces musulmans d’Europe qui mentaliser en recrutant des bombes à
ne veulent plus être regardés comme retardement dans l’islam d’Europe,
une catégorie à part mais, avant tout, parce que des braises couvent, qu’il y a
comme français, allemands ou autres. urgence et que c’est un désaveu massif
Nous ne voulons pas, protestent-ils, de l’Etat islamique par les musulmans
être réduits ou même renvoyés à une d’Europe qui porterait le plus de tort
identité religieuse qui n’est, de surcroît, politique à ces illuminés et à leurs
pas forcément la nôtre car un musul- recruteurs.
man peut tout aussi bien s’éloigner de Il ne s’agit pas d’avoir à se dire démola foi de ses ancêtres qu’un chrétien ou crate alors qu’on l’est. Il ne s’agit pas de
un juif. Quand finira-t-on par voir, protester de son innocence alors que
demandent-ils en un mot à la commu- l’on n’est coupable de rien. Il s’agit,
nauté nationale, que l’intégration mar- plus logiquement, de s’engager dans
che malgré ses ratés ; que le bureau de une indispensable bataille politique en
poste, l’entreprise, l’hôpital, l’école, disant que ni le colonialisme, ni George
l’armée, cette armée française déployée Bush, ni le malheur palestinien, ni
contre les jihadistes, en sont depuis la passivité des Etats-Unis devant l’emlongtemps la preuve; que nous sommes ploi d’armes chimiques par le régime
d’abord français et que nous le prou- syrien – que rien, absolument rien, ne
vons à nouveau en refusant de prendre saurait justifier le massacre des yazidis,
quelque position que ce soit en tant les égorgements d’otages, la persécuqu’Arabes ?
tion des chrétiens, des chiites et des
Ils ont raison. On ne pourrait pas être Kurdes et moins que tout, cette volonté
républicain sans les applaudir mais le perverse de provoquer une guerre de
problème est que les têtes pensantes de religion que les jihadistes sont seuls à
cet Etat islamique, qui n’est pas plus souhaiter.
Etat qu’islamique, se sont arrogé le Il demeure difficile, ce débat ne le mondroit de parler au nom de l’islam et de tre que trop, d’être arabe en Europe
semer la terreur et la mort en son nom, mais le fait est que ce n’est,
que c’est en tant que musulmans qu’ils aujourd’hui, nulle part facile. Ça ne
menacent l’Europe des pires flots de l’est pas plus au Maghreb qu’au Prochesang et que leurs mises en scène de Orient car, après des siècles de déclin
l’horreur, surtout, n’ont d’autre but et de colonisation ottomane puis euroque d’isoler les musulmans d’Europe. péenne, les mondes arabes s’éveillent
Ce que voudrait l’Etat islamique, c’est et se cherchent dans des déchirements
que l’Europe commence à voir ses mu- bien trop profonds pour épargner leurs
sulmans comme une cinquième pourtant si lointains enfants d’Europe.
REBONDS
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21
Afghanistan: entre
ingérence étrangère
et culture locale
Par CLÉMENT THERME Chercheur
associé du Centre d’études turques,
ottomanes, balkaniques et centrasiatiques
(Cetobac) de l’Ecole des hautes études en
sciences sociales (EHESS)
E
n 2001, l’Afghanistan est devenu le
premier laboratoire pour le projet
d’«exportation de la démocratie»
des néoconservateurs américains.
Treize ans plus tard, l’incapacité du système
politique afghan à organiser, sur le plan
administratif, un scrutin à l’échelle nationale,
s’est traduite par la désignation d’un nouveau
président, Ashraf Ghani, sans publication des
résultats. Son concurrent, Abdullah Abdullah, a négocié un poste de numéro deux de
l’exécutif sans existence juridique puisque
cette fonction n’est pas prévue par la Constitution afghane. Ce choix d’un gouvernement
d’union nationale est une condition nécessaire mais pas suffisante pour une amélioration de la situation sécuritaire. Mais l’absence
de publication des résultats affaiblit la légitimité de Ghani alors que cette fonction est
décisive pour l’avenir du pays en raison du
système politique présidentiel centralisé mis
en place sous l’influence des Américains
après 2001.
Il existe deux ensembles de facteurs –internes et externes– qui expliquent les difficultés
de la construction d’un Etat afghan dont
l’autorité reste affaiblie et le fonctionnement
non démocratique. Sur le plan intérieur,
l’Afghanistan demeure un Etat failli, incapable de contrôler son territoire et d’organiser
efficacement des élections. En outre, la mobilisation des blocs ethniques semble être le
principal facteur de succès électoral de Ghani
au second tour de l’élection présidentielle.
Certains experts ont interprété le résultat du
premier tour comme la fin de l’ère des seigneurs de la guerre et de la prégnance du facteur ethnique dans la politique afghane. Cependant, ce facteur joue encore un rôle
essentiel dans la mobilisation politique. Les
partisans de Ghani considèrent que son succès électoral signifie la «victoire de la majorité» de la population, les Pachtounes, sur la
minorité. Il est clair que l’ethnicisation de la
politique afghane reste le principal défi pour
la stabilité du pays au cours des prochains
mois. Abdullah Abdullah a accusé Hamid
Karzaï d’avoir orchestré le succès électoral de
Ashraf Ghani en raison de leur identité pachtoune. Il y aurait eu, en même temps, un
complot britannique pour déstabiliser
l’Afghanistan à travers la Commission électorale indépendante; une perspective conspirationniste enracinée dans la longue histoire
des interventions étrangères au sein des affaires intérieures de ce pays. Ainsi, elle est l’un
des facteurs essentiels qui renforce la popularité de groupes antigouvernementaux,
comme les talibans et le réseau Haqqani, basé
au Pakistan.
Le mécontentement généralisé, avec l’élection présidentielle de 2014, est de nature à affaiblir politiquement le prochain président,
qui, tout en restant sur le plan constitutionnel
l’homme le plus puissant d’Afghanistan,
pourrait souffrir d’un manque de légitimité
populaire. Aussi, une partie de la population
considère que ce choix résulte de l’intervention diplomatique américaine combinée à un
accord à l’intérieur des élites politiques
afghanes. Il ne procède donc pas de l’expression de la volonté du peuple. Ainsi, la méfiance entre les citoyens et leurs représentants politiques ne cesse de se creuser.
Au-delà de la croyance répandue dans les
théories du complot, il convient de mentionner les facteurs externes qui affectent cette
élection controversée. Alors qu’une partie de
la population juge l’intervention étrangère
indispensable pour la stabilisation du pays,
d’autres mettent en évidence les coûts élevés
que l’Afghanistan paie pour sa dépendance
à l’égard des aides étrangères et de la présence des forces armées étrangères sur son
territoire. Le point de vue positif sur l’influence étrangère se fonde sur la conviction
selon laquelle les acteurs nationaux sont incapables de résoudre de manière pacifique les
querelles politiques internes incessantes
depuis le second tour de l’élection. Lorsque
John Kerry s’est rendu en Afghanistan
en août, sa médiation a été perçue comme un
moyen d’éviter une «explosion» (monfajer)
politique et ethnique à l’intérieur du pays.
Au contraire, ceux qui ont une opinion négative concernant l’influence étrangère insistent sur ses conséquences tragiques, parmi
lesquelles on peut mentionner le manque de
légitimité des institutions afghanes et les victimes collatérales des opérations militaires
conduites par l’Otan. Dans l’histoire du pays,
le soutien de l’étranger a coûté la vie à un
certain nombre de dirigeants afghans,
comme le roi Shah Shuja Durrani, qui a été
assassiné, en 1842, parce qu’il a été placé sur
le trône par les Britanniques. Le président
sortant Karzaï a opéré un revirement politique, dans la dernière année de sa présidence, pour éviter un destin similaire.
Les élites politiques afghanes dénoncent
aussi les interférences des principales puissances régionales, le Pakistan et l’Iran. Les
deux candidats à la présidentielle s’accusent
mutuellement d’être liés avec un puissant
voisin: Ghani (un Pachtoune) est censé être
proche du Pakistan alors que Abdullah
(un Tadjik) de l’Iran. Malgré l’influence des
deux puissances régionales en Afghanistan,
leurs intérêts respectifs demeurent articulés
autour de la dimension sécuritaire et non sur
des projets politiques hégémoniques.
Après l’élection d’un nouveau président,
l’Afghanistan doit faire face à de nombreux
défis qui vont bien au-delà des maux bien
connus que sont la corruption et le népotisme. Outre un processus de décentralisation indispensable à l’amélioration de la
vie quotidienne du peuple afghan, Ghani
devra rapidement asseoir sa légitimité politique face à la menace d’un creusement des
fractures sociales et ethniques qui pourrait
compromettre la stabilité du pays.
22
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LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
REBONDS
Chrétiens d’Orient, les nouveaux hérétiques
Par MARIE DE VARNEY Ecrivaine
L
es représentants de l’islam de France
se sont unis à la Grande Mosquée de
Paris, la semaine dernière, lors de
nombreux appels rendus publics, pour
dénoncer les exactions commises en Irak par
les jihadistes de l’Etat islamique (EI) à l’encontre notamment des chrétiens, chassés par
les «combattants» d’Abou Bakr al-Baghdadi.
«Des barbares sont en train de perpétrer les pires crimes contre l’humanité… en instrumentalisant l’islam comme étendard.»
Les musulmans ont beau ne trouver aucune
excuse à l’Etat islamique autoproclamé, s’en
désolidariser avec la plus grande vigueur,
reconnaître les souffrances infligées aux
chrétiens d’Orient, et surtout dénoncer l’utilisation politique, criminelle de l’islam, leurs
propos sans ambiguïté restent un murmure
dans le désert.
Nul n’ignore plus que le berceau du christianisme est devenu son propre linceul mais qui
Ainsi, survint non pas «le choc
des civilisations» voulu par les
conservateurs américains, mais
le choc des fondamentalismes.
n’enferme pas les chrétiens d’Orient dans un
gigantesque malentendu? Ils se défendent de
figurer comme des reliques exotiques ou les
complices de l’Occident. Non, ils ne sont pas
les reliquats des missionnaires occidentaux
mais les chrétiens originels. Pris entre le
marteau jihadiste et l’enclume occidentale,
ils nous rappellent, en toute discrétion, nos
fondamentaux. Mais ils savent aussi qu’ils
sont les victimes directes, puis collatérales,
des guerres américaines contre l’Irak dont ils
ont pourtant connu, côte à côte avec les musulmans, toutes les douleurs. Ils ne cessent
de rappeler –en pure perte– qu’ils n’ont pas
été épargnés par les bombes que Bush père
et fils faisaient pleuvoir au nom d’une mission chrétienne et démocratique, civilisatrice, mais surtout au profit d’une société
d’armes (1) qui a rendu George Walker Bush
milliardaire. Symboles et révélateurs de la
grille de lecture manichéenne, binaire, que
les intégrismes nous imposent, ils refusent
d’être jugés soit comme les gentils représentants d’un Occident ensommeillé persécutés
par les barbares orientaux, soit comme les
descendants et acolytes de l’Occident qui tue
les musulmans du haut du ciel.
A l’époque où toutes les confessions souffraient ensemble de Saddam Hussein, où les
chiites épousaient des sunnites sans s’en enquérir et vice versa, où les Irakiens, las de la
dictature, se réfugiaient dans les valeurs
occidentales au point d’espérer un Irak
«européen», à l’époque où le «vivre ensemble» n’était pas un combat, où l’Orient et
l’Occident tissaient des passerelles plus ou
moins visibles, où la porosité entre les deux
cultures (y compris culinaires) était patente,
où l’Orient nous était si proche que nous l’intitulions comme tel, probablement trop proche au gré du gouvernement américain
d’alors, Bush junior soutenu par ses conseillers fondamentalistes bouchèrent l’horizon et remirent en vigueur la théorie calamiteuse, ignorante, erronée du «choc des
civilisations» pour justifier son désir de toute
puissance dans la région. Pour sans doute
aussi supplanter la Grande-Bretagne, ancien
colon de l’Irak, objet de toutes les convoitises, pays riche non seulement de pétrole
mais d’eau et d’histoire. Pour évincer l’Europe (et surtout la France) avec laquelle l’Irak
«échangeait». Tout en riant de la «Vieille Europe» impérialiste, ils brûlèrent d’étendre
leur empire en prenant l’Irak pour leur fief.
Ils affichèrent les thèses de Samuel Phillips
Huntington (2) et de Bernard Lewis (3) ;
ils répandirent ce complexe de supériorité
déguisé, cette norme raciste qui consiste à
simuler de faire le bien des autres pour mieux
les dépouiller. Ils imposèrent l’image d’un
Occident chrétien homogène, démocrate,
civilisé, aux prises avec un Orient musulman,
déconstruit, arriéré.
Ils pensèrent diviser pour mieux régner. Ils
divisèrent sans régner. Officiellement, l’Irak
n’était plus laïque mais éclaté entre sunnites
«fervents» de Saddam Hussein et chiites qui
le combattaient. Ne demeurèrent que le
chaos et la confusion des valeurs, les
promesses trahies, les rancœurs et
l’intolérance. Les islamistes reprirent
à leur compte ces assertions ridicules
pour les retourner contre l’Occident
et entreprirent de faire de l’Orient
une entité sous la bannière exclusive
d’un islam que les musulmans ne reconnaissent pas, fanatique, équivalent de l’Inquisition catholique.
Ainsi, les chrétiens devinrent les catalyseurs
et les victimes (4) de cette stratégie du pire
où la religion sort de l’espace privé pour être
dévoyée. Et devient un instrument de scission et de conquête au service d’intérêts géopolitiques.
Ainsi, survint non pas «le choc des civilisations» voulu par les conservateurs américains, mais le choc des fondamentalismes.
Ainsi, s’esquisse une étape décisive dans le
grand schisme à venir entre un Occident
chrétien mais qui l’a en partie oublié, belliqueux, et un Orient écorché, révolté,
devenu offensif, qui massacre au nom d’un
islam défiguré. Cette minorité confidentielle,
survivante, déjà virtuelle dans certains pays
comme la Turquie où elle ne représente que
0,1% de la population contre 30% au siècle
dernier, d’aucuns voudraient la voir dissoute.
Ou plutôt rayée de la carte puisque les jihadistes interdisent même le droit de partir
en brûlant les papiers d’identité tamponnés
par l’Eglise (5). Et que cet effacement s’assortisse d’une réécriture de l’histoire. Les intégristes voudraient faire des chrétiens des
proscrits sur leurs terres, des exilés intérieurs, alors qu’ils ne cessent de clamer qu’ils
font partie intégrante du tissu social. Ils sont
nés en Orient comme leurs ancêtres, ils sont
sûrs d’avoir toujours été là, et même d’être
les premiers. Ils n’entendent pas être les derniers. Que nous les laissions disparaître
signifierait que Bush et ses fondamentalistes
ont obtenu gain de cause (et non pas qu’ils
ont eu raison).
Les islamistes s’appuient sur les exactions et
mensonges américains difficilement justifiables (et c’est un euphémisme) pour enchérir
sur les crimes décriés. Et pour légitimer leurs
forfaits, ils les diffament, les traitent en responsables du chaos à force de cahots, et/ou
en descendants des Croisés «sanguinaires».
Ils les désignent à la vindicte publique. Les
condamnent à demeurer d’éternels errants,
à choisir entre la conversion et le cercueil
après les avoir volés. Les assassinent. Le dictateur syrien s’est, d’ailleurs, essayé à une
tactique similaire avec un succès mitigé. Il
leur a distribué des fusils pour les «protéger»
et qu’ils se «protègent» de leurs voisins musulmans. Les chrétiens ont préféré fuir plutôt
que d’accepter ce chantage.
Accusés d’avoir bénéficié de «privilèges» au
temps de Saddam Hussein entre autres, alors
qu’il semait la terreur même parmi les sunnites, (surtout juste avant sa capture), ils ont
tout subi : le statut de bouc émissaire et la
maltraitance sociale qui s’ensuit, les discriminations au présent perpétuel, le rôle de
victime expiatoire pour les fautes de l’Occident, d’agneau sacrificiel assez discourtois
pour vouloir se dérober à cet emploi de traître
et de défouloir. Les chrétiens ont rappelé que
plusieurs archevêques avaient tenté de dissuader l’Amérique de lancer ses missiles
contre l’Irak. Qu’ils avaient longuement
expliqué que Saddam Hussein dont ils désapprouvaient la dictature, ne serait pas seul à
en pâtir mais une population tout entière.
Que les gouvernants américains ne pouvaient
condamner des êtres à naître dans la guerre.
Ils n’avaient pas été entendus. Pas plus que
ces chrétiens de bonne foi et de bonne
mémoire ne le sont à présent.
D’érémitiques ils sont devenus des hérétiques. Les uns magnifient leur cassure,
embellissent une existence en marge transformée en calvaire, prennent leur «martyre»
comme un épisode méconnu de la chanson
de geste chrétienne. D’autres, plus nombreux, sont las de courir d’un provisoire à
l’autre, d’un leurre à un autre. Car Mossoul
ou Al-Quosh étaient vantés aussi par les
autorités kurdes comme le dernier asile,
l’ancre de tous les espoirs lorsqu’ils fuyaient
Bagdad. Pour ces égarés dans un monde de
fous, il est impossible de garder une «énergie
calme» à l’ivresse de la vengeance armée.
Ils ne peuvent plus croire en une nouvelle
épreuve voulue par Dieu.
(1) En 1997, le fonds d’investissement Carlyle,
dont Bush est l’un des «investisseurs et
conseillers», acquiert la société United Defense,
gros fournisseur de l’armée américaine.
(2) «The Clash of Civilizations and the Remaking
of World Order» (1996).
(3) «Que s’est­il passé? L’Islam, l’Occident et
la Modernité» (2002).
(4) Mais pas les seuls, les yézidis dont la
croyance emprunte autant à l’islam qu’au
christianisme connaissent le même sort.
(5) Sésames qui permettent aux chrétiens de se
présenter dans un bureau de l’ONU d’un pays
voisin pour lancer une procédure d’asile.
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LE MATIN Le temps reste instable en
Corse et localement sur les reliefs. Ciel
variable ailleurs avec nuages bas ou
brouillards matinaux tandis qu'en Manche
une perturbation apporte de la pluie.
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de la Manche.
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La France, le Titanic ou Queen
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N’attendez pas pour défendre
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JEUDI VENDREDI Une perturbation longe les côtes de la
Manche avec beaucoup de nuages et de
rares goues de pluie. Risque d'averses
entre la Côte d'Azur et la Corse.
L'anticyclone se renforce et garantit un
temps sec et ensoleillé sur la majeure
partie du pays. Des orages éclatent en fin
de journée vers la Côte d'Azur et la Corse.
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CULTURE
Lisa Simone le 26 septembre à Paris.
VOIX Lisa, la fille de Nina,
sort un premier album personnel
et soul, «All Is Well».
Envergure
Simone
Par DOMINIQUE QUEILLÉ
Photo JÉRÔME BONNET
L
a fille de Nina Simone s’ignorait. Jusqu’à
réaliser enfin son premier album personnel. Après bien des méandres, All Is Well
(«Tout est bien») résonne non seulement
de ce timbre puissant et soul mais révèle aussi la
personnalité épanouie et généreuse de Lisa Simone, fille unique de l’icône jazz écorchée, en
lutte contre les préjugés raciaux aux Etats-Unis
dans les années 60, et dont l’empreinte musicale
est indélébile. Tout comme celle d’une vie tourmentée dont Lisa soustrait enfin le poids, en paix,
sa quête aboutie.
La chanteuse, qui s’était concentrée dans un premier temps sur le répertoire de sa mère après avoir
occupé les scènes des comédies musicales de
Broadway, a terminé en cinq jours de studio (lire
ci-contre) le premier disque sous son nom. «Ce disque est le fruit d’une longue maturation. Il a mis des
années pour naître. Je me rends compte aujourd’hui,
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
alors que l’objet s’est enfin matérialisé avec mes
chansons personnelles, que je n’étais pas prête auparavant pour partager mes histoires, mes sentiments,
ma vie», confie Lisa Simone.
Née Lisa Stroud en 1962 (quatre ans après My Baby
Just Cares for Me), la chanteuse n’a pas suivi d’emblée ce chemin vocal qui aurait pu sembler tout
tracé. Elle se destinait plutôt à une carrière d’avocate, mais c’est dans l’US Air Force qu’elle passera
(sans conviction) onze années de sa vie avant de
céder enfin à l’appel du chant. «J’ai décidé de faire
de ma voix un métier à l’âge de 28 ans, quand j’étais
encore militaire en Allemagne, dit-elle, avec un seul
souhait : exprimer sur scène une énergie positive en
osmose avec ma propre vie. Car si vous n’avez jamais
connu la détresse, vous ne pouvez pas savoir ce que
c’est, vous ne pouvez pas non plus aider les autres à
en sortir. Aujourd’hui, ces stigmates sont derrière
moi, ma relation avec le passé ne me fait plus souffrir.» En témoigne la chanson-titre de l’album,
All Is Well: «Je l’ai écrite il y a des années à une époque difficile, en ayant l’intime conviction que ce ne
serait que temporaire. C’est devenu pour moi un principe de vie. J’ai appris à ne plus subir.»
Child in Me, que Lisa a écrit pour sa mère il y a plus
de vingt ans, exprime la douleur de l’absence, les
moments comme les mots manqués: «Aujourd’hui,
je n’ai plus de colère, j’ai réussi à dépasser cette
amertume pour la changer en quelque chose de positif.» All Is Well est un album jazz, blues, gospel,
folk, r’n’b, avec une seule reprise de Nina Simone
(Ain’t Got No I Got Life) : «Ce sont toutes mes influences, mes racines, ce que j’ai toujours écouté. De
cela, je fais ma propre recette pour atteindre ce que
j’appelle la soul music.» A ses côtés, originaire du
Sénégal et présent sur tous les fronts de la musique
noire depuis son arrivée à Paris en 1998, le guitariste Hervé Samb (il est aussi directeur musical),
dont le jeu de cordes a déjà fort séduit (David Murray, Me’shell Ndegeocello, Jacques SchwarzBart…). Autre soutien à l’héritage africain, Sonny
Troupé, batteur originaire de la Guadeloupe, fait
la paire rythmique idoine avec le bassiste newyorkais Reggie Washington.
TATOUAGE. Lisa Simone pratique la méditation et
c’est inscrit sur son dos. Pour la séance photo de
la couverture de l’album, chez le photographe
Frank Loriou, elle débarque à Paris en train (de
Marseille) avec «une valise énorme». Au moment
de l’essayage, l’attachée de presse, Muriel Vandenbossche, aperçoit l’amorce d’un dessin sur sa peau
et cherche à en (sa)voir davantage. Lisa dévoile
alors un tatouage qui serpente du creux de ses reins
jusqu’à la pointe de la nuque, un symbole de ses
croyances et de sa spiritualité. L’illustration pour
la pochette de l’album s’impose d’elle-même :
«C’est tout simplement moi», consent Lisa. «Chacun
des signes a sa propre couleur, cinq au total, et correspond à un mantra sonore qui se traduit par une vibration vocale. La méditation, que je pratique depuis 2011,
a changé mon approche de la vie.»
Bringuebalée toute son enfance et son adolescence,
Lisa grandit à l’ombre des dépressions successives
de sa mère. A sa naissance, Nina Simone a 29 ans
et s’absente souvent pour partir en tournée avec
son mari, Andrew Stroud, qui est aussi son manager. C’est sa tante, Betty Shabbazz, veuve de Malcolm X, qui s’en occupe. Plus d’une douzaine de
filles au pair se succéderont rien que pendant les
sept premières années de sa vie. Ses parents se séparent lorsqu’elle a 8 ans. Lisa est alors envoyée
chez la sœur de Nina en Caroline du Nord. Sa mère
la récupérera un an plus tard. Après un court épisode new-yorkais, elle est de nouveau confiée à
des amis de la famille dans le Massachusetts. Puis
Nina décide de partir pour la Barbade avec sa fille.
Une longue période d’une vie erratique s’ouvre.
Instabilités et déménagements successifs entrecoupés de quelques brefs répits paisibles s’enchaînent. Le Japon en tournée avec une mère déprimée, mauvais souvenir. Le Liberia durant
deux ans, où Nina décide de s’installer avec son
amie Miriam Makeba, dont elle a fait la connaissance lors d’une tournée à Conakry, en Guinée.
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
CULTURE
Lisa n’a que 12 ans quand elle conduit seule la Pontiac familiale pour aller faire des courses. Puis ce
sera la Suisse. Sans, puis avec sa mère. Et retour
aux Etats-Unis.
BASE MILITAIRE. A 18 ans, pour être enfin autonome, elle décide d’intégrer l’US Air Force. Nina
Simone désapprouve ce choix, comme elle réprouvera, dans un premier temps, la volonté de sa fille
à vivre de la musique. Affectée dans l’ingénierie,
elle restera cinq ans sur la base militaire de Francfort, en Allemagne. Premier déclic dans un club
où elle rejoint le pianiste qui joue «terrible». La rumeur va bon train. Et elle finit par décrocher son
premier contrat de choriste. En alternance. Mais
son choix est fait. Elle rend son uniforme en 1993
pour partir en tournée avec le chanteur espagnol
Raphaël Martos. La suite passe par les clubs de
Los Angeles sous le pseudo L’Simone, puis par le
music-hall à Broadway. Et le show à succès Rent,
sous l’œil enfin approbateur de sa mère.
Le 24 juillet 1999, à Dublin, Lisa monte pour la
première fois sur scène à ses côtés. Elles interprètent ensemble Compensation. Nina Simone s’éteint
en 2003 dans sa maison du Sud de la France. Lisa
lui rendra hommage avec l’album Simone on Simone, dont la tournée mondiale, Sing the Truth,
débute en mai 2009 avec Dianne Reeves, Lizz Wright et Angélique Kidjo.
Epoque et contexte ont changé. Cette profonde
blessure de celle qui voulait être la première pianiste classique noire, et que l’on refusa au Curtis
Institute de Philadelphie à cause de sa couleur de
peau, Lisa, sa fille, l’a commuée en espoir. Pour
devenir Lisa et Simone à la fois. •
LISA SIMONE CD: ALL IS WELL (Laborie/Abeille
Musique). En concert, ce mercredi à l’Arsenal, Metz (57)
puis en tournée (Paris, le 19 novembre).
•
25
Lisa Simone a choisi d’enregistrer son album dans le Limousin,
dans un site idyllique complètement dévolu à la musique.
Laborie Jazz, label à faire
L
isa Simone a récemment
choisi de s’installer en
France pour y travailler.
Et sa rencontre avec le label
Laborie Jazz n’y est pas étrangère. Séduite par les qualités
d’accueil et la beauté du lieu
qu’elle appelle «le château»,
elle décide donc de changer
d’air, après ses échanges avec
Jean-Michel Leygonie, directeur artistique de Laborie Jazz,
et l’équipe du site culturel situé
à Solignac, dans le Limousin,
dédié à la musique et aux arts
du son, pour y enregistrer son
album. C’est grâce à son manager français Boris Jourdain, qui
connaît la démarche du label
ainsi que sa capacité d’écoute
et d’accompagnement réservé
à ses artistes, que Lisa Simone
découvre avec son mari ce havre propice à la création.
«Nature». «La notion de
temps, même si elle est toujours
contrainte, explique Jean-Michel Leygonie, prend une dimension nouvelle pour l’artiste
qui travaille dans ce cadre environnemental exceptionnel.
C’est un lieu d’inspiration.»
Mais qu’abrite ce château et
son jardin des sons en pleine
nature ?
Ce site dévolu à la musique bénéficie de toute l’infrastructure
nécessaire à l’accueil des artistes – soit un studio d’enregistrement (ouvert en 2008), des
gîtes pour les musiciens ainsi
que des salles de répétition. Si
tités: classique et jazz. Dans un
premier temps, Jean-Michel
Leygonie s’axe sur la jeune
scène française. La signature et
le développement de carrière
d’artistes tels que le pianiste
Yaron Herman, la batteuse
Anne Paceo et le saxophoniste
Emile Parisien (Victoires
du jazz 2014) apportent en
quelques années au label un
positionnement au niveau
«La notion de temps, même
national. «Le
si elle est toujours contrainte,
travail d’équipe
prend une dimension nouvelle
mené avec les
agences de boodans ce cadre exceptionnel.»
king pour les
Jean­Michel Leygonie directeur artistique
tournées a aussi
le site acquis en 1996 n’avait permis au label une plus large repas pour vocation première de connaissance, grâce à une prédevenir un tel lieu de produc- sence accrue sur les scènes frantion, il a pris de l’ampleur au çaises et européennes, à travers
fur et à mesure de ses investis- d’importants festivals», précise
sements, jusqu’à devenir cet Jean-Michel Leygonie.
outil autonome avec des espa- D’autres facteurs encore lui
ces dédiés.
ont fait pousser les ailes,
En 2006, le Centre culturel de comme le fait de s’associer
rencontres Laborie en Limou- avec des sociétés de distribusin décide de créer un label tion à rayonnement internadiscographique avec deux en- tional : Naïve dans un premier
temps (2006-2010) puis
Abeille Musique.
Rythme. Si la démarche semble plutôt atypique, dans la
conjoncture délicate actuelle,
Laborie Jazz, qui compte une
trentaine de références (Shai
Maestro, Daniel Humair, Ray
Lema…), ne faiblit pas et s’impose un rythme de 5 à 7 productions annuelles. «Nous
souhaitons maintenir ce degré
d’activité, explique Jean-Michel Leygonie, avec des artistes
déjà présents tels Murat Öztürk,
Paul Lay ou Perrine Mansuy,
mais aussi accentuer le levier en
région, notamment avec Sébastien Frage et l’Occidentale de
fanfare. Nous voulons afficher
une nouvelle position à l’international, comme c’est le cas avec
la signature de Lisa Simone,
mais aussi avec le pianiste Carlos Maza, qui fait son grand retour avec une œuvre autour de
24 préludes, ou encore Pascal
Schumacher, le meilleur vibraphoniste européen qui quitte le
label allemand Enja.»
D.Q.
& Alias présentent
DU 11 AU 18 NOVEMBRE 2014
Licence 2 : 2-1039198 / Licence 3 : 3-1063811
PARIS ◊ LONDRES ◊ NANTES ◊ STRASBOURG
LYON ◊ TOURCOING ◊ TOULOUSE ◊ LILLE
visuel Emmanuel Romeuf
DAMON ALBARN LYKKE LI THE SHOES BRODINSKI
THE JESUS AND MARY CHAIN ÁSGEIR CASSIUS PALMA VIOLETS
BAXTER DURY MOODOÏD ROYAL BLOOD PARQUET COURTS CLAPTONE
CHET FAKER FRÀNÇOIS AND THE ATLAS MOUNTAINS
BAD BREEDING BENJAMIN BOOKER EAGULLS BIPOLAR SUNSHINE TORB
ISAAC DELUSION NICK MULVEY VAULTS THE BOHICAS PETIT FANTÔME OCEAÁN WOLF ALICE
CIRCA WAVES MPA SHITRO MYD CLOUD BOAT THE ORWELLS ROSIE LOWE THE ACID
SEINABO SEY TELEGRAM WOMAN’S HOUR GLASS ANIMALS NIMMO AND THE GAUNTLETTS
DJ SLOW IBEYI SYNAPSON dOP THE MEKANISM RICHY AHMED
Infos, billetterie et programmation sur lesinrocks.com. Locations sur lesinrocks.com, Fnac, Fnac.com, Carrefour et sur l’appli Tick&Live
festival_Inrocks_LIBERATION_248x163.indd 1
18/09/2014 11:29
26
•
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
CULTURE
-30%
C’est la baisse de fréquentation enregistrée cette année
par rapport à 2013 par le Musée des civilisations de
l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) à Marseille.
Son président, Jean­François Chougnet, se console en
soulignant que «la baisse est moins forte que celles con­
nues par le musée du Quai Branly à Paris ou le centre
Pompidou de Metz». Le Mucem s’est ouvert en juin 2013,
année où Marseille était capitale européenne de la culture.
Diana Krall patraque
Suite à des problèmes de santé, Diana Krall a dû reporter la
sortie de son album Wallflower (initialement prévu le 13 octobre) au mois de février. Ni promo, ni concerts, la chanteuse
canadienne doit observer le repos jusqu’à la fin de l’année.
Impatience pour Pink Floyd
Le nouveau Pink Floyd est-il le disque le plus attendu de l’année ? On peut le penser en voyant le classement affiché par
le site français du géant de la vente en ligne Amazon. Alors
que The Endless River ne paraîtra que le 10 novembre, le disque était trois fois présent, ces derniers jours, dans les
dix meilleures ventes d’Amazon.fr : dans ses versions CD
simple, CD+DVD et CD+Blu-ray. Il s’agit de précommandes
qui seront expédiées dès parution du disque. Le dernier album studio de Pink Floyd, The Division Bells, remonte à 1994.
Théâtres en grève mercredi
A l’appel des coordinations d’intermittents et précaires et
de la CGT spectacle, un appel à la grève est lancé ce mercredi,
pour protester contre le nouveau régime des intermittents.
A Paris et en région parisienne, plusieurs salles (Colline, Gennevilliers…) n’ouvriront pas leurs portes.
LES GENS
IMELDA MARCOS,
UNE EX­PREMIÈRE DAME
PRIVÉE DE SES
TABLEAUX
Les autorités philippines ont saisi mardi des tableaux
signés Picasso, Gauguin, Miró, Pissaro ou Goya au domi­
cile de l’ancienne première dame Imelda Marcos. Un tri­
bunal spécial estime en effet que ces œuvres ont été
acquises grâce à des détournements de fonds publics et
reviennent à l’Etat. L’ordonnance du tribunal autorise en
outre les enquêteurs à perquisitionner d’autres proprié­
tés et bureaux appartenant à Imelda Marcos, 85 ans, élue
à la Chambre des représentants. L’époux de cette der­
nière, Ferdinand Marcos, avait été renversé par la rue
en 1986, après vingt ans de dictature marqués par une
corruption à grande échelle et un culte de la personna­
lité. Les dépenses somptuaires d’Imelda Marcos et sa
célèbre collection de chaussures, riche de milliers de pai­
res, symbolisaient les excès et les turpitudes du couple
dirigeant, soupçonné d’avoir détourné 10 milliards de
dollars dans un des pays les plus pauvres d’Asie. Renver­
sés, les Marcos s’étaient réfugiés à Hawaï (Etats­Unis), où
Ferdinand est mort en 1989. PHOTO AFP
leplan.com
01
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1av. Louis Aragon 91130 Ris-Orangis
RER D Orangis Bois de l’Épine
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Auchan, Leclerc, fnac.com, tickenet.fr,
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MUSIQUES Entre soul, jazz et éthio-funk, le plus sud-
américain des Anglais fait sa tournée française.
Quantic met
la Colombie en fusion
feu, mais ceux qui survivaient
étaient toujours dans la musique. Ils m’ont accueilli avec
chaleur et m’ont fait partager
leur savoir avec beaucoup de
générosité.»
Cet altruisme se retrouve
dans la démarche de Quantic : «J’ai proposé des compilations au label londonien
Soundway pour mettre à la
portée des amateurs des pépites introuvables, tirées de vinyles pressés parfois à
500 exemplaires.» Son anthologie The Original Sound
of Colombia, en 50 titres, fait
aujourd’hui autorité. Et a
contribué à la recherche
éperdue des vinyles d’époque, dont la cote a flambé.
Quantic s’est aussi mis à
jouer avec son Combo Barbaro les sons tropicaux, invitant quelques-unes de ses
idoles. «Ça ne s’est pas fait
immédiatement, raconte-t-il.
J’ai d’abord écouté et observé
tous ces vieux musiciens. Dans
leur musique, il y a des structures en apparence très simples, mais très difficiles à restituer.»
Audaces. Son travail de fuQuantic vit désormais en Colombie. PHOTO CHRISTINA JORRO
sion avec la soul, le jazz, atteint son apogée avec MaQUANTIC
scène soul-funk de Londres gnetica, paru en juin. Il se
CD MAGNETICA
il y a quinze ans. Sa passion permet toutes les audaces :
(TruThoughts /Differ­Ant)
pour les rythmes latinos et par exemple la voix soul
En concert ce mercredi
africains le mène là où ces d’Alice Russell, son égérie,
à Combrit (29), jeudi au festival
héritages se sont mêlés, en sur You Will Return, une balle Grand Soufflet à Rennes (35),
lade country au
vendredi au festival la Bohème,
rythme de forró
«Mettre à la portée
à Muret (31), samedi
du Nordeste brédes
amateurs
des
pépites
à la Centrifugeuse de Pau (64).
silien. Ou un suintrouvables.»
perbe titre éthioi on ne trouve presque Will Holland alias Quantic
funk, Arada, avec
plus de vinyles intéresle chanteur éthiosants à acheter à Bo- particulier en Colombie, où pien Dereb the Ambassador.
gotá, à Carthagène ou à Cali, il s’installe.
Son vieux complice Aníbal
c’est en grande partie à cause «J’ai eu la chance, explique- Velásquez apporte la Calledu géant aux yeux bleus qui t-il, de rencontrer de vieux jera, où il est question de
nous fait face. Que faire? Lui artistes dont je collectionnais femmes portées sur la fête et
casser la figure ? Faisons-le les disques. Le saxophoniste l’alcool. Refrain machiste ?
plutôt parler de sa passion Michi Sarmiento, le pianiste «En apparence seulement,
pour ce pays et la variété de Alfredito Linares, l’accordéo- s’amuse l’Anglais. Velásquez
ses musiques.
niste Aníbal Velásquez… a une façon unique de manier
«Chaleur». Né en Angle- Beaucoup des musiciens des la truculence et le double
terre, Will Holland a animé, années 60 et 70 étaient morts sens.»
sous le pseudo de Quantic, la par la drogue ou les armes à
FRANÇOIS-XAVIER GOMEZ
S
L’HISTOIRE
DU CUL DANS
«QU’EST­CE
QU’ON A FAIT AU
BON DIEU»
Un couple de Feignies
(Nord) a eu une désagréa­
ble surprise en visionnant
le DVD de Qu’est­ce qu’on
a fait au bon dieu, acheté
au Lidl. En lieu et place de
la comédie à succès (plus
de 12 millions d’entrées en
salles) de Philippe de
Chauveron, ils ont eu droit
à ce qu’ils ont qualifié de
«film porno», selon la Voix
du Nord. Fabriquant du
DVD, la société QOL a
fourni son explication:
suite à une erreur de mani­
pulation, «75 exemplaires»
du documentaire l’Amour
après 40 ans se sont
retrouvés pressés sous
l’étiquette du film comique.
Un numéro vert
(0800736950) a été mis
en place pour remplacer
les objets défectueux.
MÉMENTO
Renan Luce Chansons
organiques pour la première fois
sur scène avec son frère
Damien Luce Mairie du IVe,
2, place Baudoyer, 75004.
Ce soir, 21 heures
Yules Pop­folk franc­comtois sur
le répertoire de Leonard Cohen
Café de la danse, 5, passage
Louis­Philippe, 75011.
Ce soir, 19h30
Duke Ellington Sacred Concert
Pour le 40e anniversaire de sa
disparition, Laurent Mignard et
son Duke Orchestra présente la
première étape de la tournée
des musiques sacrées de Duke
Ellington dans les cathédrales de
France Eglise de la Madeleine,
75008. Ce soir, 21 heures
Les Doigts de l’homme Jazz
manouche et cinquième album
au sigle de Mumbo Jumbo
Studio de l’Ermitage, rue de
l’Ermitage, 75020. Ce soir,
21 heures
Joan Baez Retour de l’icône
folk­ protest song seventies
Olympia, 28, bd. des Capucines,
75008. Ce soir, 20 heures, puis
les 3, 4, 7&8 octobre
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
PRÊT­À­PORTER PRINTEMPS­ÉTÉ 2015
Les défilés parisiens vus par
le photographe Julien Mignot.
Tweed et
retweed
SONIA RYKIEL UN COURT CIRCUIT
La griffe Rykiel avait besoin de changement. Julie de Libran,
la nouvelle directrice artistique, a passé son grand oral mode
avec succès. Cette première collection, très largement
inspirée des classiques de la marque (les rayures, le tricot),
ne se contente pas de ressasser le passé. Elle apporte une
bonne dose de fraîcheur et met le corps en valeur. On
retrouve ici encore le goût pour les années 70 à travers des
pantalons évasés, des vestes en tweed effilochées ou des
salopettes portées à même la peau. La fille Rykiel 2014 aime
être sexy, montrer ses jambes ou son ventre, mais sait calmer
le jeu avec des couleurs sobres (marine, kaki, noir, blanc). Un
bel exercice d’équilibre. ELVIRE VON BARDELEBEN
CHANEL SUR LE PAVÉ, LE SAGE
Chaque défilé Chanel est l’occasion de monter un décor
extraordinaire –dont finalement on parlera plus que des
vêtements. Cette fois, Karl Lagerfeld s’est attaqué à la rue,
recréant des façades d’immeubles haussmanniens grandeur
nature. Au milieu, sur le pavé, on voit d’abord passer une
explosion de couleurs bien maîtrisée sur le thème du tweed,
puis une déclinaison élégante du tailleur en bleu marine,
blanc et or. Une mode plutôt sage, mais séduisante.
Pour le finale, les mannequins ont mimé une manifestation,
brandissant des pancartes ineptes («Make fashion not war»,
«La liberté n’oblige pas la femme à être libertine»…).
Etre enfermée dans «la rue» avec la caravane fashion à
observer un tel spectacle crée une drôle d’impression.
La révolte est­elle devenue une posture de mode?
ELVIRE VON BARDELEBEN PHOTOS JULIEN MIGNOT
MODE
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ECRANS&MEDIAS
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
Nicolas Marié
en président
de gauche et
Carole Bouquet
en Première
dame dépressive.
PHOTO ETIENNE
CHOGNARD. CCSP
SÉRIE Un président de gauche aux prises avec sa femme, un ministre corrompu,
des otages… La saison 2 de la fiction politique colle à l’actualité sans jamais décoller.
«Les Hommes de l’ombre»:
une Bastille dure à avaler
Par RAPHAËL GARRIGOS
et ISABELLE ROBERTS
P
eut-être pas le grand soir, non, mais
un soir de fête : la Bastille célèbre
l’élection d’un président de gauche.
Il monte sur scène, sa femme est là,
grande beauté glaciale; les conseillers aussi,
leur cerveau froid s’autorisant pour l’occasion quelques regards émus. Dans le camp
d’en face, défait, un type aux valises jusque-là scrute les images: «Il manque de hauteur, lâche-t-il comme pour lui-même, mais
il va apprendre, c’est un honnête homme.» Et
puis «un an plus tard» s’inscrit sur l’écran,
et puis plus rien ne va. Ainsi s’entame, sursignifiante, la deuxième saison des Hommes de
l’ombre, série politique française dont la première salve, en 2012, avait connu un honnête
succès sur France 2 – quasi 5 millions de téléspectateurs en moyenne pour chacun des
six épisodes. Du côté des télescopages, incessants, de la série avec l’actualité, on ne sera
pas déçu; du côté de la fiction, en revanche…
BALEINE SOUS GRAVILLON. Il faut dire que
Dan Franck, le scénariste et l’un des créateurs de la série, s’est retrouvé avec une présidente de la République sur les bras. Après
six mois d’écriture de la seconde saison, Nathalie Baye, dont on ne savait pas, au terme
de la première, si elle allait ravir l’Elysée, renonce au rôle d’Anne Visage (parce qu’elle
trouvait le nom de son personnage trop ridi-
cule –non, on rigole). Branle-bas de combat
scénaristique: la plutôt centriste Anne Visage
est destituée et remplacée par Alain Marjorie,
le candidat de gauche (Nicolas Marié). Et finalement, l’escamotage passe plutôt bien,
ancrant la série dans le réel. Voire la surjouant légèrement : Marjorie est flanqué
d’une Première dame impossible, amatrice
de vitesse, de jeunes hommes, carrément bipolaire et totalement maniaco-dépressive :
une vraie bombe à retardement. C’est Carole
doctor de Marjorie: Gabrielle Tackichieff, secrétaire générale de l’Elysée. Laquelle Gabrielle, jouée par Aure Atika, en rajoute dans
le genre tronche d’énarque froid. Enfin,
froid… Dès les premiers instants de leur rencontre, on le sait: entre Kapita et Tackichieff,
il y a anguille sous roche, voire baleine sous
gravillon.
Ces deux-là défendent la même cause, celle
du président Marjorie embringué dans diverses panades tombant plus dru encore qu’une
averse sur François Hollande et
masquant d’ailleurs à peine leur
A force de clins d’œil au réel, on a
parenté avec celui-ci. Le scandale
même cru voir dans les sourcils de la
du ministre mouillé dans une afjournaliste de Médiamag une allégorie
faire de détournement de fonds
des moustaches d’Edwy Plenel.
publics est révélé non par Médiapart mais par… Médiamag ! La
Bouquet qui s’y colle, autant dire qu’elle dé- fonderie en faillite lorgnée par un richissime
pote sérieusement, dominant de loin le cas- industriel indien s’appelle… Dorange! Toute
ting de sa voix éraillée-déraillée, aussi per- la série se nourrit ainsi de l’actualité des derchée que son personnage.
nières années: prise d’otages par un groupe
Conseillers com toujours à mi-chemin entre islamique sur un site gazier français en Algéfumisterie et barbouzerie, les hommes de rie, intermédiaire chelou évoquant, y coml’ombre du titre restent les héros de la série: pris physiquement, Ziad Takieddine.
trampoline à candidats dans la première saison, ils sont désormais au pouvoir, du moins ŒIL POCHÉ. A force de clins d’œil au réel, on
dans sa coulisse. Simon Kapita (Bruno Wol- a même cru voir dans les sourcils d’Apolline
kowitch, toujours égal à lui-même en man- Vremler, la journaliste de Médiamag campée
nequin Azzaro à la voix de basse faisant gou- par Emmanuelle Bach, une allégorie des
zi-gouzi dans la culotte des filles – ceci est moustaches d’Edwy Plenel. Tout ça n’est pas
une blague recyclée de l’article sur la sai- désagréable, on fait «Oh! Cahuzac!» et «Ah!
son 1, lire Libération du 25 janvier 2012) se re- Trierweiler!», on aime bien la relation quasi
trouve désormais opposé à l’officiel spin- amoureuse entre le Président et son ministre
de l’Intérieur corrompu, mais ça ne fait pas
une série qui tienne la route non plus.
Les Hommes de l’ombre ont réussi à prouver
que, contrairement à une légende remontant
environ à l’Homme du Picardie, une fiction
française peut s’inspirer de l’histoire immédiate, que, finalement, ce n’était pas si tabou
que ça. La belle affaire. Déjà, pour ce qui est
de se colleter à la réalité politique contemporaine, la série évacue étrangement crise, FN
et fracture sociale. Ensuite à force de cligner,
les hommes de l’ombre se retrouvent avec
l’œil poché usant et abusant de sentences
post-finales définitives, telle celle-ci de Gabrielle tentant de consoler le Président effrayé de ses propres compromissions: «C’est
l’exercice du pouvoir, Monsieur.» Ou l’indignation, chevillée à la plume elle-même
trempée dans la plaie-des-puissants, de l’investigatrice de Médiamag : «Je suis pas une
idiote revancharde, Simon, je suis journaliste.»
Trop souvent manichéens dans la première
partie, le scénario et les personnages virent
parfois au ridicule dans la seconde. Le tout
desservi par une réalisation platoune et une
lumière, caractéristique des fictions de
France 2, sans nuance, comme sortie de l’intérieur d’un réfrigérateur. •
LES HOMMES DE L’OMBRE
série de DAN FRANCK, FRÉDÉRIC
TELLIER, CHARLINE DE LÉPINE
et EMMANUEL DAUCÉ saison 2,
épisodes 1 et 2/6, France 2, ce mercredi à 20h50.
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
9
C’est la version du
prochain Windows que
Microsoft a présentée ce
mardi. Il aura pour mission
de corriger les bourdes de
Windows 8 qui ont
dérouté tant d’utilisateurs
depuis 2012… En commen­
çant (youpi!) par faire
revenir le menu «démar­
rer». Plus souple, Win­
dows 9 saura différencier
les tablettes des PC pour
afficher sur les premières
son interface «Metro» aux
tuiles colorées, et sur les
seconds le bon vieux
«bureau» et ses fenêtres
qui ont donné leur nom au
système d’exploitation.
DISPARITION
DANIÈLE BREEM
QUITTE
LES QUATRE
COLONNES
C’est à elle qu’on doit
l’ouverture aux caméras de
la salle des Quatre Colon­
nes, où députés et journa­
listes taillent le bout de
gras. La journaliste Danièle
Breem est décédée à l’âge
vénérable de 93 ans, a­t­on
appris lundi soir. D’abord
institutrice, Danièle Breem
a rejoint en 1955 l’ORTF et,
d’Antenne 2 en France 2,
n’a plus quitté le service
public. Même après sa
retraite, elle continuait de
se rendre régulièrement à
l’Assemblée et distillait ses
conseils. «Par la télévision,
elle a permis de populari­
ser les débats parlementai­
res et de faire connaître à
nos concitoyens leurs
représentants, a salué le
président de l’Assemblée,
Claude Bartolone. La salle
des Quatre Colonnes a
été, grâce à sa détermina­
tion, ouverte aux caméras.»
C’est sous la présidence de
Jacques Chaban­Delmas,
entre 1959 et 1969, qu’elle
avait réussi à le convaincre
de l’utilité de faire entrer
les caméras à l’Assemblée.
Libération est habilité aux annonces légales
et judiciaires pour le département 75
en vertu de l’arrêté du 20 décembre 2013
1125458
Rectificatif à l’annonce parue le 26 Septembre 2014 concernant la société WTF/A
- Architectes Associés il fallait lire : «par
acte SSP en date du 25/09/2014» au lieu
de «en date du 22/09/2014».
L’HISTOIRE
FRANCE TÉLÉVISIONS ET LE RETOUR
DE LA PUB APRÈS 20 HEURES
EN RÉGIONS
C’est en loucedé dans un comité central d’entreprise que
le président de France Télévisions, Rémy Pflimlin,
a balancé la bombinette: la pub après 20 heures revient
sur le service public. Pas la peine de rameuter celui qui
l’en bannit, Nicolas Sarkozy, non plus, ce come­back ne
concerne que les antennes régionales, mais il s’agit tout
de même de quatre minutes de pub –maximum– qui
devraient rapporter 10 millions d’euros par an. Pas une
manne, mais déjà pas si mal en ces périodes de vaches
maigres pour France Télévisions. La loi prévoit l’interdic­
tion de la réclame après 20 heures mais sur les antennes
nationales, pas régionales. Du coup, France 3 va devoir
créer un décrochage entre 20 heures et 20h15 pour y
glisser de la pub. Mais pas question de passer les mêmes
spots au même moment sur toutes les antennes régiona­
les, ce qui reviendrait à de la pub nationale déguisée.
Depuis des lustres, Pflimlin demande un retour partiel de
la réclame après 20 heures, par exemple à l’occasion de
manifestations sportives, mais en vain. R.G. et I.R.
«Tigre et Dragon 2» : Netflix cinéaste
Déjà producteur de ses propres séries (House of Cards, Orange
Is the New Black…) et documentaires (Mitt, sur le politicien
américain Mitt Romney), Netflix se lance désormais dans le
cinéma. Le service de vidéos en ligne sur abonnement a conclu un accord avec The Weinstein Company qui produira la
suite de Tigre et Dragon. Le film sera disponible à partir du
28 août 2015 chez les 50 millions d’abonnés que compte
Netflix de par le monde, ainsi que dans le réseau de salles
Imax… Mais pas dans une salle française: s’il devait sortir au
cinéma, le film devrait, chronologie des médias oblige, attendre des lustres avant d’être diffusé sur Netflix en France, qui
zappera donc la sortie classique pour servir ses abonnés.
ECRANS&MEDIAS
•
29
A LA TELE CE SOIR
TF1
FRANCE 2
FRANCE 3
CANAL +
20h55. Blacklist.
Série américaine :
Mako Tanida (N°83),
Ivan (N°88),
Milton Bobbit (N°135).
Avec James Spader,
Parminder Nagra.
23h25. Les experts.
Radioguidé ,
La fureur de vivre,
Dernier acte,
Un sommeil éternel.
Série.
2h55. Cassandra.
Spectacle.
20h50. Les hommes
de l’ombre.
Série française :
L’accident,
La guerre des nerfs.
Avec Carole Bouquet,
Bruno Wolkowitch.
22h40. Un soir à la tour
Eiffel.
Magazine présenté par
Alessandra Sublet.
0h35. Grand public.
Magazine.
1h20. Toute une
histoire.
20h45. Des racines
& des ailes.
Sur les chemins
de l’Aveyron.
Magazine présenté par
Carole Gaessler.
22h45. Grand Soir 3.
23h35. Appassionata.
Don Giovanni par
Ruggero Raimondi : une
leçon d’opéra.
Spectacle.
3h25. Midi en France.
Magazine.
4h20. Plus belle la vie.
20h55. Avant l’hiver.
Drame français de
Philippe Claudel,
102mn, 2012.
Avec Daniel Auteuil,
Kristin Scott Thomas.
22h35. Landes.
Drame français de
François-Xavier Vives,
95mn, 2013.
Avec Marie Gillain,
Jalil Lespert.
0h05. Borgia l’ultime saison.
Série.
ARTE
M6
FRANCE 4
FRANCE 5
20h50. Je suis venu
vous dire...
Gainsbourg par
Ginzburg.
Documentaire.
22h30. Le passé
est futur.
L’Allemagne vue par ses
artistes.
Documentaire.
23h25. La mouche.
Film.
1h10. Mosquito coast.
Film.
3h05. La ligne Balmain.
20h50. Recherche
appartement ou
maison.
Chloé / Adrien et Cyril
/ Julie et Emmanuel.
Magazine présenté par
Stéphane Plaza.
22h40. Recherche
appartement ou
maison.
Magazine
0h05. Recherche
appartement ou
maison : que sont-ils
devenus ?
20h45. Young adult.
Comédie américaine
de Jason Reitman,
94mn, 2011.
Avec Charlize Theron,
Patton Oswalt.
22h30. Just a kiss.
Comédie dramatique
de Ken Loach, 104mn,
2004.
Avec Atta Yaqub, Eva
Birthistle.
0h10. Teen wolf.
2 épisodes.
Série.
20h40. La maison
France 5.
Magazine présenté par
Stéphane Thebaut.
21h40. Silence,
ça pousse !
Magazine.
22h35. C dans l’air.
Magazine présenté par
Yves Calvi.
23h45. Entrée libre.
Magazine.
0h05. Les rois de
l’escargot.
Documentaire.
LES CHOIX
Benoît XVI et sodomie: Plantu relaxé
Le dessinateur du Monde Plantu, poursuivi par une association proche des catholiques traditionalistes pour un dessin
représentant le pape Benoît XVI sodomisant un enfant, a été
relaxé mardi par le tribunal correctionnel de Paris. Pour le
tribunal, le but du dessin était «de dénoncer, certes avec une
violence qui, selon l’auteur, répond à celle qu’a constitué le silence institutionnel à l’égard des victimes, la réaction inappropriée de l’Eglise face à ces tragédies».
VU SUR LE WWW
SOUS LE CLAVIER, L’ÉTOILE
Il n’y a rien de meilleur pour la gymnastique des neurones
qu’un petit Hoshi Saga. Et pour notre plus grand
bonheur, le développeur japonais Yoshio Ishii n’a rien
perdu de sa créativité après les multiples épisodes de
son jeu de réflexion dont il nous a gratifiés jusqu’ici: il faut
toujours dénicher l’étoile cachée dans chaque niveau, il
n’y a toujours aucune instruction sur la manière de s’y
prendre et c’est toujours joli comme tout. Dans cet
opus­là, Hoshi Saga Reishiki, on ne joue pas à la souris
mais aux touches fléchées du clavier. Haut, bas, gauche,
droite, les interactions sont limitées. Mais ce n’est pas
plus facile pour autant… C.Gé.
http://hoshisaga.s3­website­ap­northeast­1.amazonaws.com/
hoshi11/index.html
La famille royale
La redif royale
La barbe royale
D8, 20h50
MCM, 20 heures et 22h20
France 2, 22h40
La famille royale des Etats­
Unis d’Amérique en virée
française, c’était il y a deux
semaines: Beyoncé et
Jay­Z au Stade de France.
Une semaine déjà que
MCM retransmet, au len­
demain de sa diff améri­
caine, le Tonight Show de
Jimmy Fallon et on s’y fait.
Alessandra Sublet inau­
gure Un soir à la tour Eiffel,
talk­show avec, en invités,
Kad Merad et Carla Bruni­
Sarkozy (soupirs).
PARIS 1ERE
TMC
W9
GULLI
20h40. Ils ont filmé
la guerre en couleur.
La libération.
Documentaire.
22h30. 8 mai 1945 :
la capitulation.
Documentaire.
23h35.
Ces inconnus
qui ont libéré Paris.
Documentaire.
1h05. Paris dernière.
Magazine.
2h00. Programmes de
nuit.
20h50. Les Enfoirés
2013 : la boîte à
musique des Enfoirés.
Spectacle, 165mn.
23h30. Les Enfoirés
2012 : le bal des
Enfoirés.
Spectacle, 159mn.
2h10. Étranges
exhibitions :
dangereuses
exhibitions.
Téléfilm.
3h45. Fan
des années 70.
20h50.
Enquêtes criminelles :
Le magazine des faits
divers.
Magazine présenté
par Sidonie Bonnec et
Paul Lefèvre.
22h50.
Enquêtes criminelles :
Le magazine
des faits divers.
2 reportages.
Magazine.
2h50.
Météo.
20h45. L’instit.
Téléfilm français :
Le mot de passe.
Avec Gérard Klein.
22h20. L’instit.
Téléfilm français :
Tu m’avais promis.
Avec Gérard Klein.
23h50. L’instit.
Carnet de voyage
en Guyane.
Téléfilm.
1h15. G ciné.
Magazine.
1h20. Ratz.
NRJ12
D8
NT1
D17
20h50. Scandales.
Chanteurs et
controverses.
Magazine présenté par
Jean-Marc Morandini.
22h35. Scandales.
En hautes sphères
Artistes et polémiques
Magazine présenté par
Jean-Marc Morandini.
2h00. Poker.
Jeu.
2h55. Programmes de
nuit.
20h50. "On The Run
Tour".
Le concert
de Beyoncé et Jay-Z.
Spectacle, 100mn.
20h50.
"On The Run Tour".
Le concert
de Beyoncé et Jay-Z.
Spectacle, 90mn.
0h00.
Programmes
de nuit.
20h50. 24 heures
aux urgences.
La loi des séries
Documentaire.
22h05. 24 heures
aux urgences.
Notre vie, c’est vous,
Une journée
particulière.
Documentaire.
0h35. Obèses : perte
de poids extrême.
3h10. Manuela ou
l’impossible plaisir.
20h50. Hard luck Middleman.
Téléfilm de Mario Van
Peebles.
Avec Wesley Snipes,
Cybill Shepherd.
22h45.
Lumière noire.
Téléfilm de Bill Platt.
Avec Shiri Appleby,
Richard Burgi.
0h20.
Programmes
de nuit.
30
•
GRAND ANGLE
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
Trente ans après son arrêt, l’immense centrale
électrique célébrée par les Pink Floyd va enfin
être réhabilitée pour être au cœur, d’ici
à 2020, d’un nouvel ensemble d’habitations,
de bureaux et de commerces.
Battersea
la centrale qui
branche Londres
Par SONIA DELESALLE­STOLPER
Correspondante à Londres
Photo DOMINICK TYLER
O
n entend distinctement les pépiements
de Giles, Gilbert et
Scott. Au milieu du
ballet incessant des
grues, tracteurs et
ouvriers, le bruit est
un peu incongru. Les
petits piaillements émergent d’une grosse
boîte en bois, perchée tout en haut d’une tour
en acier de 50 mètres, plantée au beau milieu
du chantier. Nous sommes au cœur de Londres, sur la rive sud de la Tamise et dans l’un
des bâtiments les plus reconnaissables du
paysage londonien: la Battersea Power Station, centrale électrique au charbon. A l’arrêt
depuis 1983, elle est l’objet de l’un des plus
grands chantiers de régénération urbaine
d’Europe. Giles, Gilbert et Scott, nommés
d’après l’architecte de l’usine construite au
début du XXe siècle, sont trois jeunes faucons
pèlerins nés en haut de la tour en acier, construite spécialement pour eux.
Le plus grand bâtiment
en briques d’Europe
«Nous avons eu un problème lorsque nous avons
voulu lancer le chantier, explique la guide qui
nous fait visiter les lieux. Un couple de faucons
pèlerins avait élu domicile dans une des cheminées de la centrale et avait à plusieurs reprises
pondu des œufs d’où sont nés des petits. Or
c’est le seul couple de faucons pèlerins à Londres à s’être reproduit.» Le chantier gigantesque, supposé durer au moins six ou sept ans,
risquait de perturber les volatiles, espèce
protégée, et donc l’agenda des travaux, en
déchaînant la colère des écologistes.
«On a consulté les experts et on leur a construit
une tour individuelle où on les a déménagés.
Apparemment, ils s’y plaisent puisque c’est là
que Giles, Gilbert et Scott sont nés.» Même Elton John a dû plier devant les impératifs de
survie des faucons. Alors qu’il avait prévu en
juin une immense fête sous une tente montée
au pied de la Battersea Power Station, les
spécialistes ont prévenu que le niveau sonore
destruction soit sérieusement envisagée.
La centrale est née d’une décision du Parlement britannique, au milieu des années 20,
de regrouper les lieux de production d’électricité pour le Royaume-Uni. La Battersea
Power Station sera ainsi l’une des premières
«super-centrales» construites le long de la
Tamise, permettant l’approvisionnement par
bateaux du charbon. Le bâtiment rectangulaire de briques rouges, orné de quatre hautes
cheminées blanches, sera construit en deux
temps et en deux morceaux. La Battersea A Station a été terminée
au début des années 30, et ce
L’architecture du bâtiment va être
n’est qu’en 1955 que la parpréservée, les éléments art déco restaurés,
tie B est achevée, ajoutant
les immenses baies vitrées refaites
deux cheminées à l’ensemà l’ancienne, les cheminées reconstruites
ble. L’architecte responsable
de l’ensemble du design du
à l’identique, et les mosaïques nettoyées.
bâtiment est Giles Gilbert
Même certains graffitis seront conservés.
Scott, l’auteur du design de
la fameuse boîte aux lettres
risquait de gêner les féconds faucons. Qu’à rouge de la Royal Mail, née en 1922 et devecela ne tienne, la fête a été déplacée au der- nue dans le monde entier un emblème du
nier moment à l’intérieur de la centrale, pour Royaume-Uni. C’est également lui qui conun modeste surcoût de 385 000 euros, et le cevra, quelques années plus tard, la Bankside
son a été sensiblement baissé.
Power Station, transformée depuis en un
Cette péripétie n’est que la dernière d’une magnifique musée d’art contemporain, la
saga longue de trente ans, entamée depuis Tate Modern.
l’arrêt de l’activité de la Battersea Power StaPatrimoine mondial en péril
tion, le plus grand bâtiment en briques
d’Europe, 27200 m2 d’emprise sur un terrain La Battersea Power Station, avec son intéde 17 hectares. Alors que les promoteurs rieur art déco, ses portes en bronze doré, eséchouaient, les uns après les autres, à lancer caliers en marbre ou en fer forgé, mosaïques
le projet titanesque de réhabiliter ce aux murs et colonnades, ses salles de contrôgigantesque no man’s land situé en plein Lon- les avec parquets cirés et murs en marbre, est
dres, juste en face du quartier de Chelsea et vite devenue une icône du paysage londode la célèbre King’s Road, le bâtiment s’est nien. Toutefois, en 1975, la première moitié
lentement dégradé jusqu’à ce que sa de la centrale est arrêtée, l’énergie produite
Chantier de Battersea Power Station, le 24 septembre.
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
Le coût du programme, divisé en huit phases, est estimé à 10,2 milliards d’euros.
•
31
par le gaz, le pétrole ou le nucléaire prenant timent, mais aussi mettre en avant la Tamise,
peu à peu le pas sur le charbon. Le 31 octobre qui coule juste devant», raconte Rob Tinc1983, le silence tombe sur l’ensemble du site, knell. Un parc va donc naître le long du
si grand qu’il pourrait abriter la cathédrale fleuve, au pied de la centrale, elle-même
Saint-Paul.
transformée en un ensemble d’habitations
La Battersea Power Station a pourtant conti- privées, de bureaux, de magasins et de resnué à vivre autrement, devenant un symbole taurants. Un quai sera même construit, avec
culturel. Les lieux ont inspiré d’innombra- une desserte de bateaux-taxis. Autour, en
bles photographes. Des défilés de mode, des plusieurs phases (huit au total), des immeuconcerts y ont été organisés. En 1965, les bles vont voir le jour. Le projet prévoit
Beatles y ont tourné quelques scènes de leur 43% de commerces et 57% de bâtiments
film Help !, et en 1973, le groupe de rock résidentiels.
The Who s’est emparé de son image pour son Pour la première fois, toute la rive sud de la
album Quadrophenia en 1973. Quatre ans plus Tamise, de la Battersea Power Station au
tard, en 1977, les Pink Floyd consacrent la Tower Bridge, dans l’est de la capitale, sera
Battersea Power Station icône du pop art en accessible grâce à une promenade piétonne
l’affichant sur la pochette de leur album Ani- de 4,5 kilomètres de long. «Au nord de la Tamals : au milieu des quatre cheminées flotte mise, les gens sont séparés du fleuve par une
leur emblème, un énorme ballon rose en grande route le long du quai, il n’y a aucun acforme de cochon, lequel a inopinément lar- cès direct au fleuve», explique Rob Tincknell.
gué les amarres durant la prise de vues pour Le problème de la réhabilitation du site au
aller fureter au beau milieu des couloirs aé- cours des années avait longtemps buté sur la
riens de l’aéroport de Heathrow… Depuis, mauvaise desserte en termes de transports
Muse a orné son album The Resistance (2009) publics. Mais la décision de l’ambassade
d’une image de la centrale, Rihanna y a américaine de construire son nouveau bâtichanté, Batman y a volé dans The Dark Knight ment, un immense cube en verre, à quelques
(2008), et plusieurs scènes du Discours d’un centaines de mètres de là, à Nine Elms, a toroi y ont aussi été filmées. Sans parler d’une talement changé la donne. La Northern Line
entrée en fanfare dans le monde des jeux vi- va être prolongée et deux stations de métro
déo, avec GTA London 1969 (1999) ou Colin seront créées, reliant l’ambassade et la BatMcRae : Dirt 2 (2009).
tersea Power Station au cœur de Londres, en
La centrale a parfois été transformée en cir- quelques minutes.
que, en piste de ski ou en gigantesque skatePenthouse et appartements
park. Mais elle a aussi continué à se dégrader.
à loyer modéré
En 2004, alors que plusieurs promoteurs
se présentent, armés de projets impliquant Pour la première phase du projet –la mise en
souvent sa démolition, elle est classée sur vente d’appartements sur plans – qui conla liste du Patrimoine mondial en péril. cernait un immeuble d’habitations construit
En 2006, le site est racheté par un promoteur à l’ouest de la centrale, 565 appartements
immobilier irlandais, Real Estate Opportuni- ont été vendus en trois semaines. Pour la
ties (REO) et les premiers projets sur la cons- phase 2, dans la centrale elle-même, les
truction d’un parc d’habitations autour de la 250 appartements sont partis en un temps
centrale sont lancés. Mais la crise financière record. Il en reste à peine une vingtaine à
passe par là. REO,
vendre, dont un
1 km
criblé de dettes,
penthouse doté
Tower Bridge
jette
l’éponge.
d’une verrière couMARYLEBONE
En 2008, l’oligarque
rant entre deux des
SOHO
russe Roman Abracheminées pour qui
CITY
movitch propose de
aurait 13 millions
Tamise
transformer la cend’euros à investir.
SOUTHWARK
trale en gigantesque
Mais tous les logestade pour son club
ments ne sont pas
BELGRAVIA
de football de Cheldestinés à une cliensea. Le projet ne
tèle richissime. Lansera pas retenu.
cée fin octobre, la
LONDRES
NINE
Baersea
En juillet 2012 enfin,
troisième phase
ELMS
Park
un consortium
concerne trois bâtimené par le groupe
ments construits par
Baersea
Power
Station
malaisien SP Setia
les célèbres archirachète le site pour
tectes Norman Fosla somme de 512 millions d’euros. Et un pro- ter et Frank Gerhy, auteurs, entre autres, des
gramme titanesque, dessiné par l’architecte courbes de verre de la fondation Louis-Vuituruguayen Rafael Viñoly, d’un coût estimé ton pour la création, qui ouvrira ses portes fin
à 10,2 milliards d’euros, voit le jour. «Tout le octobre au cœur du bois de Boulogne, à Paris.
projet s’articule autour du bâtiment de la cen- Dans l’immeuble dessiné par Foster, 564 aptrale, qui sera le point d’ancrage de tout ce nou- partements seront proposés à loyers ou prix
veau quartier», explique Rob Tincknell, di- modérés. Il sera surmonté par un jardin insrecteur général de la Battersea Power Station piré de la High Line de New York, ce jardin
Development Company, la société chargée né au milieu d’une ligne de métro suspendue
de superviser tout le programme qui devrait et désaffectée.
être achevé en 2020.
«Notre projet n’a jamais été de faire un quartier
L’architecture du bâtiment va être préser- exclusif, ni même un immense centre commervée, les éléments art déco restaurés, les im- cial encadré par des appartements, se défend
menses baies vitrées refaites à l’ancienne, Rob Tinckell. Nous voulons créer un esprit de
les cheminées démontées et reconstruites village, parce c’est ce qui fait l’essence de Lonà l’identique, et les mosaïques nettoyées. dres, une multitude de villages.» D’où l’objecMême certains graffitis, apparus au cours tif, côté commerces, d’attirer des marques
des années, seront conservés. Les deux sal- un peu «différentes», dénichées dans le
les de contrôle seront, elles aussi, mainte- monde entier, «pas les grandes chaînes qu’on
nues en l’état et ouvertes, d’une manière ou voit partout, mais plutôt des designers un peu
d’une autre, au public. Le seul élément neuf plus confidentiels, avec une identité forte».
sera une fine ligne de verre qui courra Quant au couple de faucons pèlerins, «nous
autour du bâtiment, formant les baies vi- travaillons avec les experts, explique la guide,
trées de nouveaux appartements. «Nous pour leur trouver un logement agréable sur le
avons voulu conserver le côté unique de ce bâ- site, une fois le chantier terminé». •
LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014
PORTRAIT NORA HAMZAWI
L’humoriste-auteure-chroniqueuse-comédienne de 29 ans,
fonctionne à l’auto-observation. Sans manquer d’imagination.
Histoires d’une meuf
Par ISABELLE HANNE
Photo AUDOIN DESFORGES
E
lle est le genre de meuf à danser sur une chanson de
la honte, devant son miroir de salle de bains, brosse
à cheveux en mode micro. Elle est le genre de meuf
qui, habituée des divans de psys, parle d’elle-même
comme de quelqu’un d’autre. Elle est le genre de meuf qui a la
flemme de sortir, et préfère rester sur son canapé à caresser
son chat, un persan aux yeux jaunes qui s’appelle Petuls.
«C’était le nom de mon chat imaginaire quand j’étais petite, dit
Nora Hamzawi sans ciller. Pour moi, ça veut dire “petite crotte
de nez”, mais je ne suis pas sûre que le mot existe.» Oui, parce
que c’est le genre de meuf à avoir eu un chat imaginaire. Et
à inventer des mots. Elle est le genre de meuf à réfléchir à l’ordre de ses casquettes: «Comédienne, humoriste, et auteur… plutôt humoriste, auteur, et comédienne.» Elle est du genre à foncer
sur Google pour taper «Nora Hamzawi conne», histoire de
savoir si les gens la détestent, «même si j’essaye de ne plus le
faire». Alors, voilà notre portrait en requêtes Google.
Nora Hamzawi sodomie. C’est un truc qui l’embête un
peu : à cause d’un sketch sur l’impossibilité de la sodomie
–elle y compare son anus à son œil– Google suggère «sodo-
mie» à côté de son nom. Dans son show, elle parle de ces
filles en collants gainant qui bouffent et picolent un peu trop,
qui finissent les soirées «la frange collée au front», de ces trentenaires névrosées, hypocondriaques, qui «chialent à s’en filer
des cystites». Et en creux, de ces hommes négligés qui se coupent les ongles en plein milieu du salon et qui soupirent
comme des ados quand on leur demande de ranger ces
chaussettes qui traînent. «J’ai pas l’impression que mon métier
c’est de faire des blagues, mais de raconter des histoires. Mon
premier objectif, c’est que ça fasse écho à la vie des gens, qu’ils
se disent “ah ! mais oui, c’est trop vrai !”»
Nora Hamzawi nue. Son personnage lui ressemble. En plus
extrême: «Elle fait moins de compromis, elle rapporte tout à elle,
comme un enfant. J’ai ces côtés-là aussi, sauf que je les soigne.»
Son alter ego est obsédé par son physique, et par les apéros
charcuterie-fromage. Dans la vraie vie, Nora Hamzawi fait
venir chez elle, trois fois par semaine, un coach sportif «pour
pouvoir continuer à avoir une mauvaise hygiène de vie : j’aime
beaucoup manger, boire, fumer…» Dans son appartement en
mezzanine de l’Est parisien, il y a un tapis de yoga roulé sous
le canapé, et des élastiques et des poids planqués un peu partout. Pantalon noir et chemise en jean vaguement repassée,
la jeune femme cache ses yeux en amande derrière ses grosses
lunettes fétiches, et porte une frange longue et un genre de
queue-de-cheval négligée. On dirait une coiffure de douche,
mais sans doute qu’elle s’y est reprise à dix fois pour la réaliser. «Je me trouve moche dans tout», avoue-t-elle, voix traînante, à l’opposé de son débit hyperspeed sur scène. «Un jour,
je me baladais en survêt rue des Pyrénées, et un mec m’a dit :
“Ah ! mais en vrai, t’es moche !” J’ai même pas levé la tête.»
Nora Hamzawi arabe. Quand elle commence à rencontrer
des producteurs, il y a deux ans, certains lui conseillent de
«plus exploiter [s]on côté syrien». «Ils me disaient : “T’as vu
l’actu?” Moi, je leur répondais qu’il n’y avait rien de drôle, tranche la jeune femme. Et je vais pas commencer à faire des trucs
racoleurs juste pour que le producteur ait des choses à dire dans
le pitch du spectacle.» Elle n’a pas connu son père, un armateur syrien mort d’un cancer quand elle avait 2 ans. Sa mère,
syrienne également, a été élevée dans un pensionnat catholique de Beyrouth. Elle, elle est née à Cannes. Après la disparition de son père, la famille
s’est installée à Paris, dans EN 7 DATES
le XVIe arrondissement,
«dans un appart tellement 29 avril 1985 Naissance
chelou, avec une moquette bleu à Cannes. 2009 Nora One
roi, beaucoup de dorures, et Woman Show. Mars 2012
une cuisine toute verte, ça Jean Benguigui lui dit
n’avait aucun sens». Son père de changer de métier.
Janvier 2013 Chroniqueuse
a tout réglé pour que son
sur France Inter. Mai 2013
épouse et leurs quatre en- Prix de la SACD au festival
fants soient à l’abri du be- Humour en capitales.
soin. Les premiers souvenirs Septembre 2014
de cette benjamine de la fa- Chroniqueuse au
mille sont ceux d’une «am- Grand Journal. Jusqu’au
biance très chargée, lourde et 10 janvier 2015 Joue Nora
triste. Et en même temps, si Hamzawi au République.
[elle] devai[t] faire une comédie, ce serait à cet endroit-là, à ce moment-là. Beaucoup de [son]
inspiration vient de là : il y avait des côtés très drôles». Nora
parle d’une mère excentrique et «hyper-aimante» que son
veuvage a clouée au lit. «Avec mes sœurs et mon frère, on la
couchait, avec sa petite bouillotte.»
Nora Hamzawi drôle. C’est Amro, le seul garçon de la fratrie, de près de dix ans son aîné et aujourd’hui scénariste
(20 ans d’écart), qui s’occupe d’elle. Petite, elle est la muse
de ses courts métrages en Super-8. Il évoque une enfant «toujours drôle, observatrice: Nora remarquait souvent ce qu’il y avait
d’absurde dans le comportement des adultes». Ces temps-ci,
frère et sœur coécrivent un film. Nora commence le théâtre
au lycée. Elève moyenne, elle décroche son bac et tente le
droit à Assas. Elle tient trois semaines. Elle s’inscrit au Cours
Florent, bosse dans une boutique de lingerie. Puis IUT d’info
com. Elle s’ennuie. Rêve d’autonomie. Fait des études de marketing. Rencontre son compagnon d’aujourd’hui, qui bosse
dans le Web. Passe des castings, joue dans des courts métrages. Se décide enfin à envoyer ses textes. Et finalement, teste
des scènes ouvertes, écrit et joue son spectacle: «C’est comme
si d’un coup tout s’emboîtait!» Elle devient auteure pour Scènes
de ménages (M6), est embauchée à Glamour pour des billets
en ligne. En septembre 2011, elle participe à l’émission de
Ruquier, On n’demande qu’à en rire, où de jeunes humoristes
sont évalués par un jury. Si le sketch plaît, ils peuvent revenir
en proposer un autre. Nora Hamzawi se prend au jeu jusqu’en
mars 2012, où elle se fait éliminer. «Elle ne sait pas bouger,
elle ne sait pas jouer, elle ne sait même pas porter une robe !»
lance le connaisseur Jean Benguigui. Qu’elle remercierait
presque aujourd’hui. «C’était une grosse humiliation, j’ai beaucoup pleuré. Et puis, je me suis dit que c’était pas lui qui allait
décider!» Elle quitte Glamour, écrit un nouveau spectacle, le
bouche à oreille fonctionne, elle trouve un producteur, France
Inter lui propose une chronique, puis Canal +.
Nora Hamzawi burn­out. Elle a terminé l’année sur les rotules. «C’est une bête de travail, confirme Jean-Philippe Bouchard, son producteur. Pour elle, l’écriture, c’est presque une
thérapie.» Depuis toujours, Nora Hamzawi doit faire face à
ses angoisses. «J’étais ni une enfant ni une ado légère et épanouie.» Elle peut regarder une fois par mois la Boum ou
les Beaux Gosses, avec une immense nostalgie pour cette adolescence futile qu’elle n’a pas eue. Aujourd’hui, elle essaye
d’apprendre à se poser, en cuisinant, en lisant, en étant dans
l’instant. Parce que sinon, elle est le genre de meuf qui s’observe avec un sourire en coin. Qui contemple sa vie à distance, comme elle regarderait un film un peu kitsch dont elle
est l’héroïne, et dont elle choisit la BO. •