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• 1,70 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO10380 MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 WWW.LIBERATION.FR AUJOURD’HUI AVEC «LIBÉ», LE SUPPLÉMENT HAUT ET COURT CINÉMA L’ÎLE ENCHANTÉE DE NAOMI KAWAZE «STILL THE WATER» ET LES FILMS DE LA SEMAINE, CAHIER CENTRAL Impôts et la gauche LA RÉFORME MANQUÉE Le gouvernement aura préféré les bricolages plutôt que de remettre à plat le système fiscal, perçu comme injuste. PAGES 25 A Kobané, les Kurdes assiégés L’Etat islamique se prépare à l’offensive finale contre la ville du Kurdistan syrien, toute proche de la frontière turque. REPORTAGE, PAGES 67 Familles: les coupes passent mal Tollé après l’annonce de 700 millions d’euros à rogner sur les congés parentaux et autres aides. PAGES 1011 IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,40 €, Andorre 1,90 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,80 €, Canada 4,99 $, Danemark 28 Kr, DOM 2,50 €, Espagne 2,40 €, EtatsUnis 4,99 $, Finlande 2,80 €, GrandeBretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Irlande 2,50 €, Israël 22 ILS, Italie 2,40 €, Luxembourg 1,80 €, Maroc 19 Dh, Norvège 29 Kr, PaysBas 2,40 €, Portugal(cont.) 2,60 €, Slovénie 2,80 €, Suède 26 Kr, Suisse 3,30 FS, TOM 440 CFP, Tunisie 2,90 DT, Zone CFA 2 200CFA. • EVENEMENT ÉDITORIAL La suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu sera présentée ce mercredi. Un rattrapage bien éloigné de la grande ambition de justice fiscale. Par FRANÇOIS SERGENT Bravache C’est un ministre de l’Economie socialiste qui, en l’été 2013, popularisa et justifia le «ras-le-bol fiscal des Français», auquel il se dit soudain «sensible». Bel effort de pédagogie pour un membre d’un gouvernement de gauche que l’on eût préféré être sensible à la justice fiscale. S’il est vrai que la part des prélèvements obligatoires est, en France, plus forte que la moyenne des pays de l’OCDE, elle demeure dans la fourchette de tête d’autres pays comparables. De nombreux ministres après Pierre Moscovici, le Président lui-même ont parlé de «haut-lecœur fiscal». Paradoxe de ces déclarations bravaches, les gouvernements successifs de François Hollande ont effectivement augmenté les impôts, mettant notamment à contribution retraités, veuves ou petits salariés qui jusqu’alors y échappaient. Face à ces injonctions contradictoires, le peuple de gauche ne pouvait que s’y perdre et la popularité présidentielle s’écrouler. Pour réparer ce qui était perçu comme une injustice, le Premier ministre a finalement décidé de supprimer la première tranche de l’impôt sur le revenu et d’en sortir les plus pauvres. Mesure sociale s’il en est. Si ce n’est que la population assujettie à l’impôt sur le revenu se réduit encore et que le gouvernement maintient les hausses de TVA, taxe injuste par essence. Autant de bricolages aux antipodes de la promesse solennelle du candidat Hollande de réformer le système fiscal français, de le rendre plus juste, plus lisible, plus transparent. «Citoyen» en un mot aujourd’hui délaissé. LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 Réformer les impôts: la gauche en est revenue Par GRÉGOIRE BISEAU et LUC PEILLON C e sera la seule bonne nouvelle de ce budget 2015: la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu, afin de faire passer la pilule des 21 milliards d’économies. Le projet de loi de Finances pour 2015 (lire page 4), présenté ce mercredi en Conseil des ministres, est en effet si contraint qu’il ne laissera aucune marge de manœuvre au gouvernement. Entre la L’ESSENTIEL pression de la Commission européenne LE CONTEXTE pour réduire les déficits, et donc accenLe gouvernement tuer les économies, présente son budget le ralentissement des mercredi. rentrées fiscales liées L’ENJEU à la quasi-stagnation de l’activité, et les Sa mesure phare, engagements à baisla suppression ser massivement les de la première tranche prélèvements des de l’impôt sur entreprises, l’exécule revenu, estelle tif n’aura rien à disvraiment sociale ? tribuer. Enfin presque. Car dans cet étau budgétaire des plus serrés, Matignon et l’Elysée, soucieux de répondre au «haut-le-cœur fiscal» qu’ils ont eux-mêmes contribué, en partie, à provoquer, ont choisi d’alléger – un peu – la fiscalité 65 % 1982 60 % 1981 prévue initialement par le gouvernement, mais censurée cet été par le Conseil constitutionnel. Elle sera même concentrée sur la tranche des 50 à 75% des Français les «plus aisés». Et pour un coût pour les finances publiques d’un peu plus de 3 milliards d’euros. COUP PAR COUP. Après avoir Choix surprenant, donc, pour instauré, pour cette année, une un exécutif socialiste, que de réduction forfaitaire d’IR pour s’en prendre à l’IR. Certes, avec les contribuables gagnant jus- 70 milliards d’euros engrangés qu’à 1,1 smic (plus de 4 millions cette année, le rendement de de foyers concernés), le gou- cet impôt a augmenté de près vernement devrait ainsi récidi- de 60% par rapport au début de ver dans le budget 2015… en la crise, essentiellement en raisupprimant carrément son du rabotage de plula première tranche. RÉCIT sieurs niches fiscales. Autrement dit, l’entrée Mais par rapport à 2007, dans l’impôt débutera à partir il ne progresse que de 20%. Et de 10 000 euros par an (seuil encore, en y intégrant, depuis réaménagé), contre 6000 euros 2013, les revenus du capital. La jusqu’à maintenant. La réforme part de l’IR rapporté au PIB, devrait concerner près de surtout, ne représente que 3%, 9 millions de foyers fiscaux en baisse continue depuis la fin (dont 3 millions seront totale- des années 80. Et reste deux à ment exonérés d’IR), et jus- trois fois inférieure à de nomqu’aux ménages gagnant jus- breux pays développés. A l’inqu’à 2 250 euros par mois par verse, la TVA, impôt injuste car part fiscale, selon les Echos. Sa- touchant tout le monde de la chant que le revenu fiscal mé- même façon, quel que soit son dian est de 1 600 euros en revenu, rapporte près du double France, la mesure concernera aux finances publiques. donc un public plus vaste (et en Symboliquement aussi, la part partie différent) que la simple des Français s’acquittant de l’IR baisse de cotisations sociales, est passée cette année sous la TAUXMARGINALMAXIMUM 58 % 1982 56,8 % 1988 impôt sur le revenu, en France 48,1 % 2004 40 % 2007 PARTDANSLEPIB recees de l’impôt sur le revenu, en % du PIB 3,7 % 1998 3,8 45 % 2013 3,6 3,4 3,7 % 1989 3,4 % 2003 3,2 3% 2011 3,0 40 % 2007 4,2 4,3 % 1991 4,2 % 1986 4,0 54 % 1996 Gouvernement de gauche pesant sur les ménages. Mais pas via n’importe quel outil. Choix étonnant pour un gouvernement de gauche, c’est en effet l’impôt sur le revenu (IR), seul impôt progressif en France, que l’exécutif a –de nouveau– choisi de baisser. 2,8 2,6 Sources : Thomas Pikey, Sénat, Lois de finances, Comptes publics.fr 2 barre des 50%. Autrement dit, moins d’un Français sur deux est désormais soumis à cet impôt centenaire et synonyme de justice sociale, entamant ainsi un peu plus une des bases du «pacte républicain», qui prévoit que chacun contribue – même symboliquement– aux dépenses de la nation, en fonction de ses moyens. Renforcer cet impôt, en le fusionnant avec une CSG devenue progressive, était d’ailleurs l’engagement du candidat François Hollande… La gauche espérait une grande réforme fiscale: elle hérite d’une politique au coup par coup. MALENTENDU. Tout part d’un malentendu: le candidat socialiste François Hollande n’a jamais été un grand défenseur d’une ambitieuse réforme fiscale. Elle était dans le programme du PS, donc il en hérite. Pour lui, cette réforme devait se limiter à trois mesures, dont une à très forte valeur symbolique : la création d’une taxe à 75% pour les revenus supérieurs à un million d’euros, le rétablissement d’une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu à 45%, et le retour de l’ISF. Point. En octobre 2013, confronté au mouvement des bonnets • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 3 François Hollande et Manuel Valls sur les ChampsElysées, le 14 juillet. PHOTO MARC CHAUMEIL REPÈRES «Je suis très sensible à ce ras-le-bol fiscal que je ressens de la part de nos concitoyens, qu’ils soient des ménages, des consommateurs ou qu’ils soient des entreprises.» Pierre Moscovici alors ministre de l’Economie, le 20 août 2013 sur France Inter «C’est beaucoup, donc ça devient trop!» François Hollande le 15 septembre 2013, lors d’un entretien télévisé sur TF1, évoquant les 30 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires votés depuis le début de son quinquennat «Depuis quatre ans, les Français subissent les impôts, une espèce de haut-le-cœur fiscal.» Manuel Valls le 17 septembre 2014 sur France Inter rouges, Jean-Marc Ayrault a bien tenté de relancer ce grand chantier. Soutenu par toute sa majorité, il reprend à son compte l’analyse de l’économiste Thomas Piketty : le système fiscal français est tellement illisible qu’il en est devenu antidémocratique. Le Premier ministre déclare alors que tout est sur la table : la fin des niches, le prélèvement à la source, la fusion entre la CSG et l’impôt sur le revenu… Mais Ayrault va commettre deux erreurs: il se met à dos Bercy, notamment Pierre Moscovici, et surtout, pense pouvoir prendre de vitesse l’Elysée. Obsédé par l’idée de ne pas ouvrir la boîte à baffes des impôts, Hollande n’aura de cesse de tuer l’élan réformateur de son Premier ministre. In fine, il n’en restera rien. «Ce n’était pas faute de volonté politique, mais lié au contexte, défend le député socialiste, porte-parole de la commission des finances, Dominique Lefebvre. Pour mener une telle réforme fiscale, il aurait fallu à la fois de l’argent et un climat politique apaisé. Or on avait ni l’un ni l’autre.» D’autant que dès la fin de l’été 2013, Pierre Moscovici avait déjà installé l’idée du «ras-le- bol fiscal». François Hollande contestera la formule mais pas le diagnostic. Quelques semaines plus tard, il dira la même chose, différemment. Evoquant les 30 milliards de prélèvement supplémentaire votés depuis le début de son quinquennat, il déclare: «C’est beaucoup, donc c’est trop.» SYMBOLE. A partir de là, difficile de faire autre chose que de baisser les impôts, et donc le premier d’entre eux, dans sa dimension symbolique, celui sur le revenu. «Notre erreur, reconnaît Lefebvre, est de ne pas avoir bien évalué les conséquences des mesures votées sous Fillon [gel du barème, suppression de la demi-part des veuves, ndlr], et que l’on a prolongées au début de l’été 2012.» Sans compter celles rajoutées par l’actuelle majorité. A cause d’elles, près de 3 millions de Français entrent dans l’IR pour la première fois. Avec des conséquences politiques dévastatrices. Hollande profite du changement de Premier ministre, pour entamer un rétropédalage : faire sortir du barème ceux qui venaient d’y rentrer. Maigre consolation, en échange de l’enterrement d’une vraie réforme fiscale. • Défiance envers l’Etat-providence et la redistribution: la solidarité des plus aisés envers les plus démunis via l’impôt n’est plus évidente. Le règne du chacun pour soi L’ Etat-providence traverse une ils n’étaient que 31% à penser la double crise existentielle. Il vit même chose. En 2014, pour la preau-dessus de ses moyens. Ce mière fois depuis vingt ans, la proqui n’est pas neuf. Mais surtout, sa portion de personnes considérant légitimité est de plus en plus contes- que l’Etat n’en fait pas assez pour les tée par l’opinion publique française plus démunis est passée sous la barre – ce qui est totalement inédit. Une des 50%. En 1993, ils étaient 73% à étude du Credoc (1) vient jeter une penser qu’il devait en faire plus. lumière crue sur cette rupture histo- L’idée que les plus aisés doivent donrique. Jusqu’à présent, en période de ner aux plus modestes pour établir chômage élevé, le Credoc de la justice sociale perd avait toujours mesuré une ANALYSE aussi du terrain depuis deux plus forte empathie des ans : en 2012, les Français Français vis-à-vis des plus démunis. étaient 71% à la partager, contre 55% Donc une adhésion aux politiques aujourd’hui. Dans une autre étude redistributives et, partant, une ac- (2), cette fois réalisée par le ministère ception de l’impôt. Ce lien semble des Affaires sociales, le même glissedésormais cassé. ment apparaît. Le soutien des FranGlissement. Depuis 2009, plusieurs çais aux allocations de solidarité uniindicateurs enregistrent la même se- verselle (familiales et chômage) cousse: les Français, de plus en plus diminue depuis 2008, passant pour individualistes, acceptent de moins la première fois sous les 50%. «Tous en moins le principe de solidarité na- ces indicateurs convergent pour dire tionale. Entre jeunes et vieux, sala- que la société française devient de plus riés et sans emplois, pauvres et ri- en plus individualiste», souligne Sanches. En 2014, 63% des Français dra Hoibian, directeur adjoint au considèrent que «les prestations so- Credoc. Les Français placent toujours ciales aux familles avec enfants» sont la maladie et le chômage au sommet «globalement suffisantes». En 2008, de leurs préoccupations principales. Mais comptent de plus en plus sur eux-mêmes pour s’en sortir. Ressentiment. Dans un climat de défiance généralisée, les politiques sont jugés inefficaces. Et sans le sou. Donc fatalement l’impôt est décrié. «Les classes moyennes vivent avec un réel sentiment d’injustice fiscale, poursuit Sandra Hoibian. Elles pensent que les plus pauvres en profitent et que les plus riches réussissent à échapper à l’effort.» Et comme 80% des Français considèrent appartenir à la classe moyenne… A droite comme à gauche, on a choisi d’accompagner ce ressentiment plutôt que de le combattre. Après le «ras-le-bol» de Moscovici, Valls invente le «haut-le-cœur fiscal». Et Nicolas Sarkozy, lors de son premier meeting, a pris soin de rendre hommage à Laurent Wauquiez, qui avait dénoncé le «cancer de l’assistanat». G.Bs. (1) Credoc, note de synthèse numéro 11, septembre 2014. (2) Enquête BVA réalisée en février 2014 pour la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques. 4 • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 EVENEMENT Limiter l’impact récessif des économies, baisser les impôts, limiter le déficit… L’équation paraît insoluble. 2015, la quadrature budgétaire près celui de la Sécurité sociale lundi, le projet de budget de l’Etat pour l’année prochaine est présenté ce mercredi en Conseil des ministres. Confronté au ralentissement de la croissance en Europe et à une inflation qui n’en finit pas de baisser, l’exercice s’avère plus délicat que jamais. Bref, ce budget est sans aucun doute le plus compliqué depuis le début du quinquennat. «En attendant le prochain», pronostiquent déjà les mauvaises langues. Dos au mur, le gouvernement va devoir se sortir d’une équation budgétaire à première vue insoluble. Et tenir plusieurs objectifs a priori peu conciliables: limiter l’impact récessif de ses nouvelles mesures d’économies tout en réaffirmant 4,3% du PIB à la fin 2015. Des hypothèses «très prudentes», affirme-t-on à Bercy, en phase avec les principaux instituts de conjoncture, et qui devraient être réaffirmées aujourd’hui. Crédibilité. S’il paraît impossible de générer un peu de croissance à court terme sans assouplir le calendrier de désendettement, le gouvernement n’entend pas pour autant renoncer à ses mesures d’ajustement structurel des comptes publics, c’est-à-dire corrigé des effets de la conjoncture. Le peu de crédibilité que conserve la France à Bruxelles et en Allemagne –qui présentera cette année un budget à l’équilibre– est à ce prix, même s’il s’avère que sur ce point également, la France pourrait manquer sa cible d’un retour à l’équilibre structurel des comptes en 2017, comme le prévoit la «règle La conjonction mortifère d’une d’or» européenne. croissance revue à 1% en 2015 –contre Les 21 milliards d’euros d’économies 1,7% précédemment– et d’une inflation prévus en 2015 seront donc bien maintedurablement très faible (0,9%), ne nus, après que Bercy a, dans un premier temps, laissé entendre que cet objectif permettra guère que de stabiliser le pourrait être revu à la baisse. Entre la rédéficit à 4,3% du PIB à la fin 2015. duction du congé parental, de la prime un «sérieux budgétaire» de plus en plus mis à de naissance – «il n’y a pas de plan d’économies mal au vu de ses résultats, tenir les promesses de qui soit indolore» a souligné mardi François Holbaisse d’impôts pour les ménages (4 milliards) lande– et les nouvelles baisses de prix de médiet de prélèvements des entreprises (20 milliards), caments à la charge des laboratoires, le gouvertout en évitant de trop laisser filer les déficits. nement a commencé à détailler lundi le volet Une gageure, alors que la France doit convaincre social de ces économies. Soit 10 milliards sur les ses partenaires de passer une nouvelle fois 21 prévus. Les 11 milliards restant doivent se rél’éponge après avoir reporté pour la troisième partir entre l’Etat et les collectivités locales : 7 à fois, à 2017, son objectif d’un déficit public res- 8 milliards réalisés sur la vingtaine de missions pectant la limite européenne de 3% du PIB. ministérielles et les centaines d’opérateurs de Convalescente. Les deux ministres en charge l’Etat dont la douloureuse cure d’amaigrissement des comptes publics, Michel Sapin aux Finances est déjà entamée; 3,7 milliards de baisse des doet son secrétaire d’Etat au Budget, Christian Ec- tations aux collectivités locales. kert, ont déjà préparé les esprits à l’opération Mais pour convaincre Bruxelles de sa détermina«vérité» que constitue selon eux cette loi de fi- tion, l’exécutif va devoir descendre très loin dans nances 2015. La mine grave, ils avaient officialisé les détails d’un plan qui prévoit au total 50 mildès le 10 septembre le dérapage de grande am- liards d’économies d’ici 2017. En annonçant pleur qui s’annonce. Le déficit public, en baisse mardi que la France avait franchi le cap symboliconstante depuis 2011, va remonter à 4,4% du que des 2000 milliards d’euros de dette publique PIB cette année, contre 4,1% l’an dernier. Et avec (95,1% du PIB) au deuxième trimestre, l’Insee une économie qui restera convalescente en 2015, a elle aussi fait mentir la prévision du gouvernela France ne fera guère mieux l’an prochain : la ment dans ce domaine. La dette, qui aura doublé conjonction mortifère d’une croissance revue à depuis 2003, pourrait flirter avec les 98% du PIB 1% en 2015 – contre 1,7% précédemment – et en 2015, au-delà du pic de 96% qu’avait prévu d’une inflation durablement très faible (0,9%), le gouvernement l’an prochain. Encore raté. ne permettra guère que de stabiliser le déficit à CHRISTOPHE ALIX A L’aile gauche du PS entend amender le budget de l’Etat et celui de la Sécu pour faire valoir ses positions. A l’Assemblée, les frondeurs prêts à fronder est désormais un rituel. Le retour des textes budgétaires à l’Assemblée nationale signifie aussi celui de la contestation des orientations économiques du gouvernement au sein de la majorité. Après un printemps agité et un vote de confiance de rentrée compliqué, une bonne trentaine de députés socialistes sont de nouveau prêts à «amender» les textes budgétaires, en dépit des consignes de «solidarité». «Il n’y a pas de raison majeure de ne pas défendre à nouveau nos positions», fait valoir Christian Paul, député de la Nièvre et coanimateur de «Vive la gau- C’ che!», ce collectif qui rassemble ces parlemementaires «frondeurs». Lesquels vont continuer à réclamer une «vraie réforme fiscale» plutôt qu’une «politique au fil de l’eau» et se battre contre la baisse importante des dotations de l’Etat aux collectivités territoriales. «Déséquilibré». La suppression de la première tranche d’impôt sur le revenu ou la demande, par leur président de groupe, Bruno Le Roux, de «50000 emplois aidés supplémentaires» ne les satisfait pas. «Les emplois aidés, ça fait quatre mois qu’on les demande ! C’est très bien mais on aurait pu le faire plus tôt ! dit Paul. On est incapable d’avoir une démarche d’ensemble. C’est une politique de petits gestes, pas de grandes réformes.» Ces élus continueront aussi de dénoncer le «caractère déséquilibré» du pacte de responsabilité. «On ne peut pas financer sans contrepartie les baisses d’impôts et de cotisation pour les entreprises», insiste Paul. Ménage. Mais cet activisme finit par valoir sanction. Mardi, en les prévenant la veille par SMS, Le Roux a fait le ménage dans la commission des Affaires sociales, celle où les «frondeurs» étaient actifs et proches de faire adopter leurs amendements. Paul, ex-rapporteur du budget de la Sécu, a été exfiltré aux Affaires culturelles. Barbara Romagnan (Doubs) a été transférée au Développement durable, Jean-Marc Germain (Hauts-deSeine), Gérard Sebaoun (Val-d’Oise) et Linda Gourjade (Tarn) siégeront désormais en commission des Affaires étrangères. Et Fanélie Carrey-Conte (Paris), spécialiste de l’économie sociale et solidaire, devra s’occuper de… Défense. De quoi éviter un accident en commission. Pas dans l’hémicycle. LILIAN ALEMAGNA LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 EVENEMENT • 5 Un rapport dresse un bilan de l’utilisation du dispositif phare de Hollande pour les entreprises. Le CICE, un démarrage plutôt frileux C’ Le CICE, comment ça marche ? L’objet du dispositif est d’augmenter la marge de manœuvre financière des entreprises, afin de leur permettre d’investir, d’embaucher ou tout simplement de regonfler leur trésorerie. Il est calculé à partir de leur masse salariale – et plus précisément celle des salariés dont la rémunération est inférieure à 2,5 fois le Smic. DÉCRYPTAGE Le montant du CICE équivaut à 4% du total de ces salaires. Cette somme est alors déduite de l’impôt sur les sociétés – éventuellement sur plusieurs années. Pour certaines boîtes, par exemple les PME, elle peut aussi être restituée immédiatement. Le CICE doit progressivement monter en puissance: l’an prochain, il représentera 6% des salaires inférieurs à 2,5 Smic. Son coût devrait alors dépasser les 20 milliards d’euros, avant d’approcher les 24 milliards vers 2018. de 25 000 euros ; pour les grandes entreprises, il est proche de 12,5 millions d’euros. Un pactole qui interroge sur le ciblage du CICE, censé bénéficier avant Quels secteurs profitent le mieux du dispositif? mères et leurs filiales, même lorsqu’elles exercent des activités différentes. L’industrie manufacturière et le commerce sont les principaux bénéficiaires, avec 19,4% des gains chacun. «C’est une année d’apprentissage. Suivent les «activités de services administratifs et de souCertaines entreprises peuvent tien» (location, intérim, netdouter de la stabilité du dispositif.» toyage…) et les transports, avec 10,5% et 9,6%. Les actiJeanPisani Ferry, patron de France Stratégie vités financières et l’assutout aux PME exportatrices. Les micro- rance, où les salaires sont plus élevés entreprises (moins de 10 personnes) et que la moyenne, sont sous-représenles établissements de taille intermé- tées, avec 4,1% des gains. Des données diaire (entre 250 et 5 000 personnes) plus récentes leur en attribuent près du perçoivent respectivement 11% et double, mais selon un mode de comp22,5% des gains du CICE. tage différent, qui agrège les maisons A quoi sera consacré le CICE ? A en croire les entreprises, les sommes dégagées par le crédit d’impôt devraient être reconverties en investissements. Selon les résultats d’une enquête de l’Insee, telle était en juillet la résolution de 52% des entreprises de services, et de 58% de celles de l’industrie. Elles sont également 48% et 34% à juger que le CICE entraînera des créations d’emplois, 41% et 26% à anticiper une hausse des salaires, 32% et 30% à s’attendre à une baisse des prix. DOMINIQUE ALBERTINI NOUVEAU est une bonne nouvelle pour les finances publiques, mais une mauvaise surprise pour le gouvernement. Lancé l’an dernier, le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), destiné aux entreprises pour alléger leur masse salariale, a moins séduit que prévu, selon un rapport présenté mardi par France Stratégie (un commissariat rattaché à Matignon). Autre enseignement: les grandes entreprises sont les principales bénéficiaires de ce dispositif, devant les PME. Quel bilan pour la première année? Michel Sapin, le ministre des Finances et des Comptes publics, le 23 juin à Paris. PHOTO LAURENT TROUDE Ignorance de la part des entreprises, méfiance, ou manque d’intérêt ? Le CICE n’a pas suscité chez elles autant d’enthousiasme qu’espéré. La somme totale exigible de leur part devait se monter à 12,3 milliards d’euros. Mais, en septembre, seuls 8,7 milliards d’euros de créance avaient été déclarés par les entreprises –chiffre qui devrait atteindre 10,8 milliards à la fin de l’année. Restera donc un écart conséquent avec les prévisions, que France Stratégie s’explique mal. «C’est encore une année d’apprentissage, estime Jean PisaniFerry, son patron. Certaines entreprises peuvent avoir des doutes sur la stabilité du dispositif, ou redouter qu’il soit suivi d’un contrôle fiscal. Chez d’autres, le bénéfice du CICE a pu être jugé marginal au regard des démarches à accomplir.» L’écart est plus important encore si l’on regarde les sommes qui ont effectivement été «consommées» dès cette année – et non reportées sur les exercices suivants. Attendues à 9,9 milliards d’euros, elles se montent pour l’instant à 5,2 milliards et ne devraient pas dépasser les 6,5 milliards à la fin de l’année – soit environ un tiers de moins que prévu. Qui a utilisé le CICE ? Les PME (de 10 à 250 salariés) et les grandes entreprises (plus de 5000 salariés) sont les principales bénéficiaires du dispositif : en août 2014, elles concentraient respectivement 31% et 35% du total des créances. Pour les PME, le montant moyen du crédit d’impôt est Tous les événements culturels sélectionnés par la rédaction de Télérama sont sur billetterie.telerama.fr Dès aujourd’hui, des offres promotionnelles réservées aux abonnés -60% de réduction Richard Strauss, Opéra de Lyon Jusqu’à -16% de réduction Miossec, Paris, Lyon, Angers -30% de réduction Antoine Duléry fait son cinéma, Paris -45% de réduction François Truffaut, l’exposition, La Cinémathèque française, Paris 6 • MONDE LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 LesKurdesaffluent pourlabatailledeKobané Alors que les combattants de l’Etat islamique resserrent leur étau sur la ville à la frontière turco-syrienne, la résistance s’organise. Par LUC MATHIEU Envoyé spécial à Suruç (Turquie) battants kurdes savent que les jihadistes tant du Parti kurde pour la paix et la dése préparent à l’assaut final. mocratie (BDP), à Suruç, une ville du Ils savent aussi qu’ils sont perdants, sur sud de la Turquie. obané est là, juste après le le strict plan militaire. Leur armement Les Kurdes ne comptent donc que sur grillage de la frontière turco- est obsolète, inefficace face aux roquet- eux-mêmes. Depuis plus de dix jours, syrienne et une voie ferrée. tes et aux blindés de leurs ennemis. les volontaires affluent vers la frontière. Ses maisons aux murs ocre et «Nous n’avons pratiquement que des ar- Hommes et femmes, ils viennent de aux toits plats se détachent mes légères et très peu d’ar- Turquie, d’Europe, d’Asie centrale et sur une colline terreuse, à REPORTAGE tillerie, eux sont équipés des Etats-Unis. Certains ont répondu à moins de 500 mètres. Il n’y a comme une armée régulière», l’appel à la mobilisation générale lancé personne, aucune voiture, aucun mou- soupire un enseignant, qui observe Ko- la semaine dernière par Abdullah Ocavement dans les ruelles. Pas d’explosion bané depuis la frontière. Défiants par lan, le leader du Parti des travailleurs du et de tir non plus. Kobané (Aïn al-Arab rapport à la Turquie, qu’ils accusent Kurdistan (PKK), depuis sa prison de la en arabe), troisième ville du Kurdistan d’avoir armé et financé l’Etat islamique mer de Marmara. D’autres arrivent de syrien, assaillie de toutes parts par les (lire ci-contre), les Kurdes ne comptent leur propre chef. jihadistes de l’Etat islamique depuis pas davantage sur la coalition interna- Barron (1), 28 ans, chemise et pantalon plus de dix jours, paraissait, mardi tionale et ses bombardements aériens. noirs, est un fidèle d’Ocalan. Membre midi, endormie. «Pour une fois, l’armée «Les frappes américaines ne servent qua- du PKK à Diyarbakir (est de la Turquie), américaine a été efficace. Elle a bombardé siment à rien. La plupart du temps, les il est depuis vendredi à Suruç pour, lundi soir une de leurs positions dans le avions bombardent des bâtiments vides. dit-il, «conseiller et organiser la défense village de Dalé, à une dizaine de kilomè- C’est incompréhensible, ce n’est quand face à l’Etat islamique». «J’aide à établir tres à l’ouest. Ils ont eu de grosses pertes, les plans de bataille et à coorils doivent probablement récupérer et se «Nous n’avons pratiquement donner les différentes unités. réorganiser», affirme un jeune Kurde, Même si l’on manque d’arque des armes légères et très peu soutien du Parti de l’union démocratimes, on combat depuis des d’artillerie, eux [l’EI] sont équipés que (PYD) et de ses combattants. dizaines d’années, on sait Le calme a toutes les chances de ne pas comme une armée régulière.» faire. Si l’on perd Kobané, on durer. Les jihadistes ne sont qu’à quel- Un enseignant kurde repartira à l’attaque. L’Etat ques kilomètres. Depuis leur assaut islamique ne pourra pas tous fulgurant du 19 septembre, ils occupent même pas compliqué de viser des blindés nous tuer. Ceux d’entre nous qui resteront des dizaines de villages qui entourent et des combattants qui se déplacent au continueront à combattre, jusqu’à la fin. Kobané, forçant plus de 140000 Kurdes milieu des champs ou qui se sont installés Nous n’abandonnerons jamais», affirmeà se réfugier en Turquie. Dans la nuit de dans des villages vides. Selon moi, la coa- t-il avant de repartir à une nouvelle lundi à mardi, ils ont légèrement re- lition procède à quelques frappes de temps réunion. culé, repositionnant combattants et à autre pour pouvoir dire qu’elle aura tenté Au poste frontière de Murcupinar, Ferat, blindés à 10 kilomètres à l’ouest et à quelque chose. C’est une posture, rien 26 ans, baskets aux lacets fluo et teel’est. Mais le front Sud est à moins de d’autre», s’énerve Dogon, un représen- shirt vert pomme, ne tient pas le dis5 kilomètres. Lundi, pour la première fois, des roquettes ont frappé le centre de la ville kurde. Ras Al-Ain TURQUIE Kobané K ASSAUT FINAL. Bombardé à Raqqa et Deir el-Zor, dans le nord et l’est de la Syrie, attaqué dans l’Irak voisin par les peshmergas, l’Etat islamique semble désormais vouloir consolider ses positions aux alentours de Kobané, comme s’il tentait de regagner au Kurdistan syrien les territoires menacés ailleurs. Des activistes syriens ont signalé, lundi soir, que des convois de tanks et de pick-up armés de mitrailleuses lourdes remontaient vers le nord depuis Raqqa. Retranchés à Kobané et dans les villages turcs qui bordent la frontière, les com- Idlib Tell Abiad Alep Kamichli Hasaka Sinjar Tal Euph rate Raqqa Laaquié Hama Tartous SY R I E Damas Deraa JORDANIE Erbil Afar 50 km Kirkouk Deir el-Zor Al Mayadin Homs LIB Dohouk Mossoul Amerli Tikrit Boukamal Samarra Haditha Ramadi IRAK IRAN Bakouba Bagdad Fallouja Tig re Zones occupées par l’Etat islamique cours martial des membres du PKK. Accoudé à la barrière métallique qui le sépare des soldats turcs, il semble simplement ravi d’être là, au milieu d’une cinquantaine de Kurdes qui attendent de franchir la frontière pour rejoindre Kobané. Originaire de la région, il arrive de Beyrouth, au Liban, où il travaille comme ouvrier depuis dix ans. «Quand j’ai vu à la télé que les jihadistes avaient lancé l’assaut, je suis parti immédiatement. Je me suis exilé pour faire vivre ma famille, qui vit ici. A quoi cela sert-il si elle est chassée par des jihadistes?» Le jeune Kurde sourit toujours quand il affirme qu’il n’a pas peur de combattre, même s’il n’a jamais tenu une arme de sa vie: «Je ne serai pas seul là-bas, les combattants expérimentés me formeront.» «TERRORISÉS». «Pourquoi aurais-je peur? Nous sommes nombreux, ici, nous nous protégeons mutuellement», dit aussi Awaz (1), une aide-soignante suisse de 46 ans, en désignant les groupes d’hommes qui discutent devant les maisons de Behté, un village à moins d’un kilomètre de la frontière. Depuis son arrivée, il y a dix jours, elle passe de bourgade en bourgade. Le jour, elle aide les réfugiés, leur prépare à manger, distribue des vêtements, tente de les rassurer. «La plupart sont terrorisés, ils se terrent dans les maisons où on les installe», explique-t-elle. La nuit, elle se joint aux hommes qui installent des check-point sur les routes de terre qui courent entre les champs. Ce mardi, peu avant une heure du matin, elle s’est postée à la sortie de Behté. Personne n’est armé, seul un jeune tend un long bâton pour arrêter les voitures et les minibus qui passent. «Il y a des jihadistes qui tentent de rejoindre les villages autour de Kobané. Depuis hier [lundi], on en a arrêté quatre», affirme l’aide-soignante. Dans la nuit sans étoile, une explosion retentit, suivie du grondement lointain d’un avion de chasse. Les volontaires kurdes se taisent un instant, s’éloignent de quelques pas pour tenter de comprendre quel village a été visé, et retournent au bord de la route. • (1) Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés. Des Kurdes, inquiets du sort de la ville de Kobané, manifestent au postefrontière de Suruç, entre la Turquie et la Syrie. PHOTO EMIN OZMEN. LEJOURNAL.SIPA LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 MONDE • 7 REPÈRES Les Kurdes dénoncent les ambiguïtés d’Erdogan sur ses relations avec les jihadistes. Ankara rejoint la coalition à reculons L e parlement turc doit discuter aujourd’hui d’une motion autorisant une intervention en Syrie contre l’Etat islamique. Après de longues hésitations, Ankara rejoint la coalition alors même que l’offensive jihadiste contre la ville kurde de Kobané (Aïn al-Arab) à la frontière turco-syrienne, souligne les ambiguïtés dans cette crise de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis novembre 2002 Les autorités turques s’engagent elles réellement contre l’EI ? Pilier du flanc sud-est de l’Otan, la Turquie justifiait sa prudence face à l’EI et son refus d’ouvrir sa grande base d’Incirlik (sud) aux avions de la coalition par la nécessité de préserver la vie des 46 otages pris en juin au consulat turc de Mossoul par les jihadistes. Après leur libération négociée, le 20 septembre dernier, Ankara a amorcé un revirement de sa position. «Nous serons là où nous devons être ; nous ne pouvons rester en dehors de cela», a ainsi déclaré le président, Recep Tayyip Erdogan, l’homme fort de l’AKP, de retour des Etats-Unis. «C’est avant tout un pragmatique qui peut changer d’attitude très vite mais sur l’EI, il reste am- bigu d’autant qu’une partie la base la plus islamiste de l’AKP voit malgré tout les jihadistes comme de vrais musulmans sunnites, des enfants certes terribles, mais qui font quand même partie de la famille», analyse Ahmet Insel, universitaire et directeur de la prestigieuse revue Birikin. Soutenant d’abord Assad en espérant qu’il «écoute son peuple», Recep Tayyip Erdogan avait rapidement pris fait en cause pour la rébellion, hébergeant l’Armée syrienne libre et la coalition de l’opposition mais laissant aussi passer les volontaires et les armes pour les groupes les plus radicaux, arguant de l’efficacité de leur engagement sur le terrain. Mais ceux-ci combattent aussi les Kurdes syriens du PYD, proches des rebelles turcs kurdes du PKK, ce qui arrange Ankara. «Le dossier syrien est d’autant plus complexe pour le pouvoir qu’il recoupe des questions sensibles internes, celle de 15 millions de Kurdes et de 15 millions d’alévis [fidèles d’une secte moderniste issue du chiisme ndlr]», souligne Salam Kawakibi de l’Arab Reform Initiative. Qu’estce qui se joue à Kobané? «Cette bataille est à la fois un symbole et un enjeu stratégique crucial pour les Kurdes syriens mais aussi turcs», analyse Ahmet Insel. Troisième ville du Kurdistan syrien, région comptant 1,5 million d’habitants, elle est au centre de ce territoire qui s’étend le long de la frontière turque. Si Kobané tombe, les Kurdes syriens ne pourront pas avoir un territoire homogène comme celui dont disposent les Kurdes irakiens, de fait indépendants de Bagdad depuis 1991. Cela explique la mobilisation dans l’opinion kurde. «En intervenant, la Turquie peut réduire la déception qu’elle a causée dans sa population», clamait, de retour de Kobané, Selahattin Demirtas, le leader du principal parti prokurde de Turquie. Mais cette entité kurde syrienne, adossée aux 800 kilomètres de frontière avec la Turquie, inquiète Ankara. Conscient de l’importance croissante de la question kurde et entretenant de très bonnes relations avec les Kurdes irakiens de Massoud Barzani, Recep Tayyip Erdogan se méfie en revanche des Kurdes syriens idéologiquement et organisationnellement proches du PKK. Un processus de paix a certes été lancé depuis le printemps 2013 et des négociations directes avec Abdullah Ocalan, le leader du PKK condamné à la prison à vie. Mais il est enlisé et, des deux côtés, la méfiance reste réelle. Le PKK reste classé comme une organisation terroriste par les Etats-Unis et l’Union européenne. Ankara s’oppose donc à ce que les combattants du PYD bénéficient de livraisons d’armes occidentales comme les Kurdes irakiens. Que veut faire Ankara ? Les autorités turques parlent à nouveau d’une éventuelle «zone tampon» en territoire syrien le long de la frontière. L’hypothèse avait déjà été évoquée il y a deux ans afin d’accueillir les réfugiés syriens. Aujourd’hui, ils sont 1,5 million en Turquie. Il n’est pas clair si ce projet, encore à l’état d’ébauche, s’étendrait tout le long de la frontière ou seulement dans certains points. Tout aussi flou est sa profondeur. Il est en outre hors de question pour Ankara d’agir sans un mandat onusien alors même que l’opinion publique est massivement hostile à un engagement. Le but serait de protéger le territoire aussi bien des jihadistes que d’un retour des troupes du régime d’Al-Assad. Mais aussi d’avoir ainsi un moyen de contrôle sur la zone kurde. MARC SEMO Kobané (en kurde, et Aïn alArab en arabe), située à quelques kilomètres de la frontière turque, est la troisième ville kurde de Syrie. C’est aussi le ber ceau de la révolution kurde en Syrie. Longtemps ambigu visàvis du régime d’AlAssad, le Parti de l’union démocratique (PYD) de Salih Muslim a imposé, y compris par la force, son hégémonie sur le Kurdistan syrien. Après le retrait de la région des forces du régime en juillet 2012, il a mis en place une «autonomie démocra tique». Des assemblées populaires assurent dans les villes des services jusquelà de la responsabi lité de l’Etat. Affirmant vouloir protéger les minori tés et accordant une place centrale à la lutte des femmes, le PYD se pose en modèle de démocratie progressiste. «La Turquie peut réduire la déception qu’elle a causée dans sa population en intervenant.» Selahattin Demirtas coprésident du Parti démocratique populaire (HDP) de Turquie, exhortant le gouvernement à prendre des mesures contre les jihadistes, mardi 160000 Kurdes de Syrie sont actuellement réfugiés en Turquie, selon les estimations de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Au total, plus de 3 millions de Syriens ont fui leur pays. 8 • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 MONDE Brésil:«Ilvafalloirréinvestirlarue» Un an après les grandes manifestations sociales qui ont frappé le pays, l’élection présidentielle qui se tiendra dimanche peine à mobiliser des jeunes résignés. Dilma Rousseff reste favorite. du peuple», ajoute ce jeune homme de 22 ans. La Présidente? «Elle s’est contentée de maintenir les programmes sociaux de Lula [son prédécesseur, ndlr], sans rien faire de plus, observe-t-il. Quant à Aécio Neves, son parti gouverne pour les riches.» Mollets tatoués et casquette, Henrique est encore grisé par la principale victoire de la rue, la révocation de la hausse du tarif du ticket de bus, à l’origine des premières manifs, convoquées par le Mouvement dit du libre passage (MPL). «Après, le MPL s’est replié et la mobilisation est partie dans tous les sens, mais elle a eu le mérite de déclencher une prise de conscience politique chez les jeunes», se félicite-t-il. «Quel que soit le gagnant du scrutin, il va falloir réinvestir la rue, martèle de son côté Mayara Vivian, activiste du MPL. Une démocratie ne se construit pas uniquement en votant tous les quatre ans.» Un pari risqué. «Les gens sont démobilisés parce que la classe politique n’a pas entendu le message de la rue, explique David Fleischer. Et rien n’a été fait pour améliorer les services publics ou lutter contre la corruption.» La présidente sortante et candidate à la réélection, Dilma Rousseff, en meeting à Rio le 19 septembre. PHOTO RICARDO MORAES. REUTERS Par CHANTAL RAYES Correspondante à São Paulo Leonardo, 26 ans, attend le bus. Tignasse afro et barbiche, cet employé de bureau est l’un des indivec son enfilade de grat- gnés de juin. Aujourd’hui, il ne se te-ciel, l’avenue Paulista sent représenté par aucun des trois est la vitrine de São principaux candidats à la présidenPaulo. C’est tielle, la présidente sorde là, entre sièges de REPORTAGE tante, Dilma Rousseff banques et autres sym(Parti des travailleurs), boles de prospérité de la capitale l’écologiste Marina Silva (Parti soéconomique du Brésil, qu’était cialiste brésilien) et le sénateur partie la grande fronde populaire Aécio Neves (Parti de la social-déde 2013. Dans tout le pays, des cen- mocratie brésilienne, centre droit). taines de milliers de jeunes avaient «Ils se valent tous», lâche-t-il, dépris les rues pour protester contre sabusé. la corruption et le délabrement des services publics. ÉVANGÉLIQUE. Même Marina A la veille des élections générales Silva, en deuxième place dans les du 5 octobre, l’agitation sociale sondages derrière Dilma Rousseff, n’est plus qu’un lointain souvenir. ne trouve pas grâce à ses yeux. La Les manifestants ont fait place à des candidate socialiste, qui promet de «militants» payés par les partis gouverner «autrement», incarne pour agiter des drapeaux et distri- pourtant le changement. Mais c’est buer les badges de leurs candidats. aussi une évangélique orthodoxe et A VEN REPÈRES 1000 km Océan Atlantique COL Manaus BRÉSIL BOL CHILI Océan Pacifique Recife Brasília PÉROU ARG Salvador Rio de Janeiro São Paulo cela ne rassure pas Leonardo. «Religion et politique ne font pas bon ménage», dit le jeune homme, qui s’apprête à voter blanc, faute de pouvoir s’abstenir. Obligatoire Cette année, le taux d’électeurs âgés de 16 et 17 ans, tranche d’âge pour laquelle le vote est encore facultatif, a même reculé d’un tiers, alors qu’il se maintenait depuis 2002. Les délais Dilma Roussef «s’est contentée de pour s’inscrire sur les électorales maintenir les programmes sociaux listes étaient certes antéde Lula, sans rien faire de plus.» rieurs à l’annonce, à la mi-août, de la candiHenrique jeune soutien de Marina Silva dature de Marina Silva, à partir de 18 ans, «le vote devrait qui a d’abord suscité l’engouement être un droit, pas un devoir», des jeunes, son électorat traditionsoupire-t-il. nel. Son entrée en lice avait suffi à La contestation avait mis à nu un réduire les taux d’indécis et du vote malaise insoupçonné dans un pays blanc. Mais, au fil de la campagne, présenté ces dernières années la vague Marina est quelque peu recomme un modèle de succès éco- tombée. nomique et social. «La corruption Henrique, lui, reste fidèle à celle a pris une telle ampleur que la jeu- qu’il présente comme «l’une des ranesse en vient à être dégoûtée par la res figures politiques honnêtes de politique», observe le politologue notre pays». «Et puis Marina vient David Fleischer. d’en bas, elle a vécu les souffrances Anonymous Brasil, fer de lance des radicaux antisystème qui avaient participé à la fronde sociale de 2013, appelle les élec teurs à boycotter le scrutin de dimanche. «Ne vote pas!» exhorte régulièrement le mouve ment «hacktiviste» sur sa page Facebook. 66% des électeurs brésiliens ne se reconnaissent dans aucun parti politique, selon un sondage du quotidien O Globo. CACIQUES. Dilma Rousseff a bien proposé un référendum sur la refonte du système électoral, cruciale pour assainir la vie politique. Mais le Congrès a refusé de convoquer la consultation. «Les parlementaires de tous bords ont craint de ne pas se faire réélire si les règles du jeu étaient changées», reprend Fleischer. Les caciques de la politique brésilienne ont donc de beaux jours devant eux. «Les indignés n’ont pas réussi à se faire représenter dans ce scrutin», observe pour sa part le sociologue Wagner Iglecias. Il en veut pour preuve les candidats au poste de gouverneur des Etats, «le plus souvent issus de la politique traditionnelle». Pour la présidentielle, c’est Dilma Rousseff qui est en tête, parvenant même à doubler Marina Silva parmi les jeunes. Pour Iglecias, le score de la candidate socialiste est gonflé par les voix des évangéliques, public très différent de celui des manifestants. «On a surestimé la fronde de juin 2013, estime ce spécialiste. Ce mouvement horizontal a pâti de l’absence d’un leadership qui aurait pu canaliser ses aspirations.» • «La société sent que les institutions politiques ne la représentent pas.» Marina Silva candidate du Parti socialiste brésilien à la présidence LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 10% des électeurs bulgares sont prêts à donner leur voix à un parti qui les rémunérerait de 50 à 500 leva (25 à 250 euros) aux législatives de dimanche, selon le Centre d’analyses et de marketing. «Depuis le début du cessez-le-feu, il y a eu un retrait significatif des forces conventionnelles russes d’Ukraine. Cependant, des centaines de combattants russes, y compris des forces spéciales, sont toujours en Ukraine.» Jay Janzen porteparole de l’Otan, mardi VU DE BERLIN Par NATHALIE VERSIEUX En Allemagne, l’armée en panne, la diplomatie dans la panade a ministre de la Défense, Ursula von der Leyen, misait sur quelques belles photos. Son voyage éclair à Erbil, dans le Kurdistan irakien, ne lui a valu que critiques, relançant un lancinant débat sur la vétusté des équipements lourds de l’armée allemande, la Bundeswehr, et la capacité du pays à tenir ses engagements envers l’Otan. A Erbil, la ministre n’a finalement pas pu assister à la remise aux peshmergas des armes promises par l’Allemagne: le matériel offert était cloué au sol à Leipzig suite à un problème technique. Quant au personnel allemand censé en montrer le maniement, il est resté cinq jours en rade en Bulgarie, après une avarie. Le week-end dernier, des soldats engagés dans la lutte contre Ebola ont dû faire escale aux îles Canaries, en raison d’une panne… L Outre-Rhin, inspecteurs des armées et députés ne décolèrent pas : sur un parc de 180 blindés Boxer, seuls 70 sont disponibles. Les autres sont en réparation. 24 seulement des 56 Transal de l’armée allemande sont en cours de réparation. 21 des 31 hélicoptères de combat Tigre sont cloués au sol pour la même raison, de même que quantité d’hélicoptères de transport NH90. Faute de pièces détachées, les techniciens du Tigre sont contraints de désosser de plus vieux modèles. «L’Allemagne ne peut pour l’instant pas assumer tous ses engagements visà-vis de l’Otan en raison de problèmes d’équipements», affirmait dimanche la ministre. Ursula von der Leyen, en poste depuis moins d’un an, n’est pas responsable de toutes ces pannes, fruit d’années d’économies sur le budget de la Bundeswehr. Mais elles risquent d’avoir des conséquences sur sa politique. La ministre souhaite engager davantage l’Allemagne à l’étranger. «Impossible dans l’état actuel du matériel», rétorque Hellmut Königshaus, chargé des questions militaires au sein du Bundestag. Matériels et personnels sont à la limite de leurs capacités. Impossible d’intervenir militairement en Irak «puisque nos si coûteux avions sont cloués au sol. Allez, salutation chaleureuse à nos alliés! Nous vous regarderons agir, pendant que nous discuterons des plus grandes responsabilités que nous souhaitons assumer dans le monde», ironise le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Si elle veut rester crédible sur la scène internationale, Ursula von der Leyen devra demander une rallonge budgétaire au ministre des Finances. Rien de tel de prévu pour 2015: Wolfgang Schäuble, qui présente pour la première fois un budget à l’équilibre depuis 1969, n’a pas l’intention d’allonger le budget de la Défense, limité à 1,3% du total, contre 1,9% en France. L’Otan recommande à ses membres un ratio de 2%. Le débat renaissant va dans le sens des intérêts des industriels de l’armement, alors que la Bundeswehr n’a cessé de diminuer le montant de ses commandes au cours des dernières années. • MONDEXPRESSO AHongkong,larue pleined’ardeur LA THAÏLANDE SÉCURISE LES TOURISTES AVEC DES BRACELETS pourrait hausser le ton à l’occasion de la fête du régime. D tier central sur le bord de la mer. A la Fédération des étudiants de Hongkong (HKFS), autre pilier de la protestation, on assure que les manifestants ne sont pas contre la Chine, teront là où ils sont, dans les principales artères de Hongkong. Parapluie. Dorothy Hung, étudiante en médecine, prendra, elle, comme chaque jour son tour de garde dans un des dizaines de points d’assisDans le quartier de Mong tance médicale Kong, une scène était à mis en place par disposition de tous ceux qui les organisateurs voulaient parler, même s’ils des manifestations. La jeune n’étaient pas d’accord. femme de 23 ans mais contre «le système poli- s’est protégée en s’affublant tique qui la dirige», dit Ethan d’un masque à gaz, d’un Chung, son secrétaire géné- imperméable et de l’indisral. Il est devenu très difficile pensable parapluie devenu de prévoir le comportement le signe de ralliement de la police : «On ne sait pas d’un mouvement que l’on s’ils passeront à l’action.» Se- n’appelle plus que sous le lon les militants de la HKFS, nom de «révolution des parades manifestations pour- pluies». raient parcourir la ville merCorrespondance à Hongkong credi, alors que les sit-in resFILIPPO ORTONA Suite au récent meurtre de deux jeunes Britanni ques et en réponse aux craintes concernant la sécurité des touristes, la Thaïlande a décidé de distribuer des bracelets d’identification aux visiteurs étrangers. Nom, nationalité, hôtel: ces informations devraient permettre aux autorités d’être en mesure de rame ner à leur résidence les touristes ivres endor mis sur la plage. Distribués par les hôtels, les bracelets ne contiendront pas plus d’informations personnel les que les fiches d’arrivée remises à l’immigration, a assuré Arnuparp Gaesornsuwan, directeur général du Département du tourisme. Le 15 sep tembre, les corps sans vie de David Miller, 24 ans, et Hannah Witheridge, 23 ans, ont été retrouvés sur une plage de l’île de Koh Tao. PAS DE LIQUIDATION DE LA POLITIQUE CULTURELLE EN FRANCE ! Acteurs des politiques publiques de la décentralisation et de la démocratisation, nous alertons le gouvernement sur les conséquences irréversibles des réformes en cours dans notre secteur. Nous appelons à la journée nationale de mobilisation du 1er octobre. NON À LA DÉMOLITION DE L’INTERMITTENCE ! Nous dénonçons le nouvel accord Unédic qui concerne tous les permanents de notre profession au-delà des intermittents, condamne les plus précaires, favorise les plus riches et contredit le principe mutualiste de l’assurance chômage. Nous exigeons les moyens d’une véritable expertise contradictoire et l’aboutissement de la concertation à des négociations. NON À L’AUSTÉRITÉ BUDGÉTAIRE ! Bien que la culture contribue 7 fois plus au PIB que l’industrie automobile, son budget est aujourd’hui inférieur à celui de 1981. La baisse des dotations de l’Etat aux collectivités territoriales est sur le point d’entraîner une forte récession du secteur : les compagnies sont exsangues, les festivals et les lieux n’ont plus de marge de manœuvre. Nous exigeons un véritable plan de relance pour la culture, au-delà d’une « sanctuarisation » du budget toujours menacé par des gels à répétitions. NON AU DÉSENGAGEMENT TERRITORIAL ! Nous refusons que les réformes en cours affaiblissent les politiques publiques de la culture par une baisse drastique des moyens 9 L’HISTOIRE CHINE La mobilisation se poursuit, alors que Pékin es marées de manifestants se déversent chaque soir sur les rues de Hongkong, ralentissant le trafic et se jouant de l’organisation de la police. Les organisateurs d’Occupy Central demandent les démissions du chef de l’exécutif, Leung Chun-ying, ainsi que le retrait par le Congrès national du peuple chinois de la loi qui doit régir les élections à Hongkong dans les prochaines années. Et ils se félicitent du «courage et de la détermination montrés par le mouvement démocratique et spontané de Occupy». «Spontané» est d’ailleurs le mot-clé des protestataires qui tenaient mardi soir Central, le quartier de la finance. A Hongkong, dans tous les quartiers de l’ancienne colonie britannique, la démocratie se réinvente au quotidien. Comme dans le quartier de Mong Kong, sur la terre ferme, au-delà de la baie où une scène et un microphone avaient été mis à disposition de tous ceux qui voulaient parler, même s’ils n’étaient pas d’accord avec le mouvement. Les rassemblements sont multiformes : à Causeway Bay, mardi, on protestait assis, à Wan Chai, on encerclait le QG de la police. Les participants se partagent les tâchent, les uns apportent des vivres, d’autres relaient les communications, tandis que les derniers s’efforcent de convaincre les mainlanders – soit les Chinois de Chine de passage à Hongkong – de les soutenir. Tempête. Ce calme festif pourrait bien précéder une tempête. Mercredi, la Chine fête le 65e anniversaire de la fondation de la République populaire, un grand jour dans tout l’empire du Milieu –Hongkong compris. Il n’est pas exclu que la police se décide à réprimer dans la nuit, même si la présence massive des manifestants rend ce scénario improbable. Le mouvement ne semble guère préoccupé. Les militants de Scholarism, la fédération des lycéens qui a eu un rôle fondamental dans la mobilisation, ont déclaré hier dans l’après midi qu’ils avaient l’intention de se rendre à l’une des cérémonies officielles à Wan Chai, quar- • et leur concentration sur quelques compagnies et établissements à rayonnement national et international. Redistribution optionnelle des compétences, disparition possible des DRAC, hypothèse du guichet unique : c’est l’équité républicaine des territoires qui est en jeu. Nous exigeons une compétence culturelle obligatoire et partagée pour chaque collectivité territoriale. POUR UNE POLITIQUE CULTURELLE AMBITIEUSE ! Nous demandons aux pouvoirs publics de garantir : ◗ la liberté de création et de programmation ; ◗ l’égalité d’accès pour tous à une vie culturelle fondée sur la diversité ; ◗ un service public de la culture, irréductible aux seules règles du marché. Acteurs d’un modèle français d’exception, héritiers de l’élan humaniste d’après-guerre, nous voulons rester les artisans d’une démocratie qui offre à chaque citoyen les outils de son émancipation et de sa liberté de penser. Aujourd’hui, tout cela est en danger. Les adhérents du SYNDEAC Assemblée générale du 22 septembre 2014 S Syndicat National des Entreprises Artistiques et Culturelles 10 • FRANCE LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 Les associations s’indignent au sujet de la diminution de la prime à la naissance à partir du deuxième enfant ou encore de la majoration des allocations familiales retardée à l’âge de 16 ans. Par LILIAN ALEMAGNA et CATHERINE MALLAVAL Adroitecomme I àgauche, oncriefamille njuste, trop rude, contre-productif dans un pays qui pète le feu en termes de natalité? Depuis l’annonce officielle lundi soir d’un coup de rabot sur la branche famille pour aider à combler le trou de la Sécu, les réactions s’enchaînent et surtout se déchaînent. Mais concrètement quelle est l’ampleur de la coupe ? 700 millions d’euros (sur une enveloppe de 60 milliards). A titre de comparaison, l’assurance maladie doit, elle, se serrer la ceinture de… 3,2 milliards d’euros. Comparaison n’est pas raison ? Les coupes annoncées dans la branche familiale de la Sécu provoquent les critiques d’associations, de l’opposition, mais aussi de la majorité. «ATTAQUES». Dès que l’on touche à la famille, ou plutôt aux familles, la levée de boucliers est féroce. De quoi donner des ailes aux adeptes de la Manif pour tous qui s’apprêtent une nouvelle fois à manifester dimanche ? Dès mardi, sa présidente, Ludovine de la Rochère, sortait les fanions, invitant à une rébellion contre une «déconstruction de la politique familiale», qui s’en prend de surcroît «aux familles les plus modestes». En attendant, chacun est bien dans son rôle, sauf peut-être certains membres du PS. En première ligne, ça va de soi, les associations de défense des familles, ont du mal à digérer le «paquet berceau» qui, rappelons-le, prévoit une diminution par trois de la prime à la naissance (actuellement de 923 euros) à partir du deuxième enfant, des aides à la garde d’enfants en baisse pour les plus aisés, une majoration des allocations familiales retardées à l’âge de 16 ans (au lieu de 14) et une réforme du congé parental dont on ne connaît pas encore la teneur (lire ci-dessus). Ainsi, et entre autres, l’Union des familles en Europe dénonce-t-elle, depuis le weekend dernier et avant même les annonces officielles, «de nouvelles attaques du gouvernement contre les familles de jeunes enfants». Egalement en verve, la droite. Pour le Front national, pas de doute, les familles sont «une nouvelle fois, les vaches LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 FRANCE Pour l’instant, le gouvernement reste flou sur l’avenir du dispositif, jusqu’alors surtout utilisé par les femmes. Faut-il le réformer? A qui profite aujourd’hui ce congé ? PHOTO PICTURETANK Complément du libre choix d’activité (CLCA), tel est en vrai le nom du congé parental. L’an passé, 496700 parents ont bé- 11 CARNET DéCèS Le congé parental attend la relève de la garde L e gouvernement va-t-il flanquer un méchant coup au congé parental des femmes ? S’achemine-t-on vers un peu reluisant tour de passe-passe incitant les pères à prendre ce congé tout en espérant qu’ils n’en feront rien, comme le clament déjà certains? Difficile de répondre, tant il y a du flou sur la toilette que le gouvernement compte imposer à ce vieil acquis créé en 1977 pour les femmes travaillant dans des entreprises de plus de 200 salariés, ouvert aux hommes en 1984. Seules annonces concrètes, lundi soir : le congé parental sera porté à un an (contre six mois aujourd’hui) pour un premier enfant. Pour les suivants, l’enveloppe globale restera de trois années. A partager dans une stricte égalité entre le père et la mère, ce qui réduirait de fait le congé de la mère à dix-huit mois? La nouvelle donne sera-telle moins tranchée et s’en tiendra-t-elle au dispositif prévu dans la loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes votée début août ? Selon ce texte (dont les décrets ne sont pas encore publiés), l’enveloppe de trois ans (à compter du deuxième enfant) était maintenue, mais à condition que le père appuie sur pause durant six mois. Ce qui, de fait, réduit la durée maximale pour les mères à deux ans et demi. «Il y aura un équilibre à trouver entre le temps de congé parental pouvant être pris par chacun des deux parents», s’est contentée d’expliquer la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, précisant avoir prévu des discussions avec le Parlement avant de trancher. Mais, avant tout, n’est-il pas plus que temps de réformer cette disposition ? • néficié de ce congé rémunéré à hauteur de tions familiales à des conditions de res566 euros maximum par mois. Et qui donc sources», affirme Jérôme Ballarin, présien a profité ? Sans surprise les femmes, dent de l’Observatoire de la parentalité en à 97%. Oui mais, dans le détail, quelles entreprise. femmes? Sans grande surprise non plus, les De fait, si le congé parental a coûté l’an moins diplômées. Celles dont la perte de passé 2,026 milliards d’euros à l’Etat, les salaire, explique l’Insee, est moins forte et allocations familiales (versées au deuxième relativement mieux compensée par le fa- enfant) représentent, elles, 12,965 milmeux CLCA et par les éconoliards. Mais revenons-en à la mies sur les frais de garde et de DÉCRYPTAGE motivation des pères. En Suède, transport. Selon une étude de pays cité comme pionnier de l’Insee publiée en 2013, 47% des mères titu- l’égalité, les pères ne prennent en moyenne laires d’un diplôme de type CAP-BEP ou in- que 25% des quatre cent quatre-vingts férieur interrompent leur travail suite à une jours (un peu plus de quinze mois) octroyés. naissance, contre 29% seulement des mères qui ont un niveau supérieur à bac +2. Ce Trois ans, n’estce pas trop long ? sont donc les moins nanties qui devraient Depuis 2010, le Laboratoire de l’égalité pâtir d’un raccourcissement de leur part de alerte régulièrement sur un congé parental congé. Oui, mais ce congé n’est-il pas un trop long et pris quasi exclusivement par terrible piège? Toutes les études montrent les femmes. Pour le think tank, un vrai bon que le fait de s’éloigner durablement du congé parental ne devrait pas excéder marché du travail incite les femmes à se re- un an : six mois pour la mère, six pour le plier sur la cellule familiale, voire à complè- père. Saugrenu ? Pas à l’échelle de l’Eutement décrocher du monde du travail. rope. En Italie, le congé parental est de onze mois, sachant qu’aucun des deux paPeuton jouer la carte rents ne peut prendre plus de six mois ; il du «au nom du père» ? est de treize semaines par parent et par enAutrement formulé: peut-on envisager de fant au Royaume-Uni, etc. Il n’y a guère réduire la part de congé réservée aux fem- que l’Espagne à nous battre sur la longueur mes en mettant en avant que les pères du congé, avec ses trois ans et par parent, doivent aussi s’y coller si l’on veut un jour et par enfant… mais sans aucune indemespérer de la parité dans les foyers? S’agi- nité, du moins nationale ! rait-il d’un vrai levier pour l’égalité? Ou de Il est vrai que la rémunération de ce congé la pure vénalité, quand on sait que l’homme est une vraie question, elle aussi soulevée traîne la patte, et que l’on pourra ainsi faire par le Laboratoire de l’égalité qui prône, en des économies? Le débat est lancé. «L’idée accompagnement du raccourcissement, de partager le congé parental à égalité entre une indemnité équivalente à 80% du sales femmes et les hommes est une bonne idée. laire, plafonnée à 1 800 euros par mois. C’est un “plus” sociétal, mais à condition que Troisième étage de la fusée conçue par le cela ne soit pas entaché par un souci de faire think tank : un vrai développement des des économies. D’autant que, pour faire des modes d’accueil des jeunes enfants qui ne économies, on peut sérieusement se demander savent toujours où crécher… s’il ne faudrait pas plutôt soumettre les allocaC.Ma. Clio KARAGEORGHIS, son épouse, Alexandre et Gabrielle WIET, ses enfants, ont la douleur de vous faire part du décès de Thierry WIET Architecte D.P.L.G. survenu le 28 septembre 2014 à PARIS. 2, square de Port-Royal 75013 PARIS. SouvenirS Laurent C. 20 ans, déjà On t'aime, frère très chéri ConférenCeS FORUM FRANCE CULTURE L'année vue par le numérique Samedi 4 octobre 10h-17h Sciences Po, 27 rue Saint-Guillaume 75007 Paris 4 tables rondes animées par Hervé Gardette (Du grain à moudre) pour comprendre le monde d'aujourd'hui : Google est-il un projet politique ? Les djihadistes peuvent-ils se passer du Net ? Le Web : avenir radieux du prolétariat ? La vie en ligne est-elle plus excitante ? «MARCHÉS». Et, même au sein du gouvernement, ça couine. Prenons Ségolène Royal… Mardi sur France Inter, elle s’est «félicitée» des réactions vives. «Je me réjouis de la sensibilité à la remise en cause d’un certain nombre de mesures dans la politique familiale, a expliqué l’ex-ministre déléguée à la Famille (période Jospin), aujourd’hui à l’Environnement. sur inscription REPÈRES auditeurfranceculture@radio MATERNITÉ ET CONGÉ PARENTAL dépenses par naissance en Europe, en % du PIB/habitant 88,4 62,9 france.com ou 01 56 40 10 57 Avec Sciences Po et en partenariat avec Le Nouvel Observateur et Rue 89 Be lgi q ue Pa ys -B as 28,7 28,3 24,9 18,7 16,5 16,3 12,9 Ita lie ric he 31 Source : OCDE Programme : franceculture.fr Au t Nous sommes en démocratie, c’est bien qu’il y ait de la réactivité. Chaque fois que l’on touche à la politique familiale, il y a une grande sensibilité dans l’opinion française, et c’est une bonne chose.» On a vu soutien plus massif… Cette position coïncide avec une certaine incompréhension des troupes socialistes. «D’accord, on échappe au gel, mais ce qui a été annoncé, c’est rude. On attend des explications du gouvernement, souffle Olivier Dussopt, député de l’Ardèche. On risque de donner l’impression qu’on demande toujours aux mêmes : les classes moyennes et ceux qui galèrent le plus. Sur les marchés, ça ne va pas nous aider.» Le «frondeur» Christian Paul (Nièvre), ex-rapporteur du budget de la Sécurité sociale, va jusqu’à dénoncer des mesures «inacceptables». Quant à Sébastien Denaja (Hérault) rapporteur combatif de la loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, il se dit «Très dubitatif sur une réforme du congé parental moins de deux mois après la promulgation d’une loi qui le réforme.» Et il n’est pas le seul… • tc R hè é qu p. e Su èd Al e le m ag ne Es pa gn e Ro y.Un i Fr an ce à lait du gouvernement». L’UMP n’est pas en reste et, formulé par la députée UMP Michèle Tabarot, cela donne : «Depuis 2012, le gouvernement n’a eu de cesse de diminuer les moyens de la politique familiale, avec les baisses du quotient familial, la remise en cause des aides à la création de places de crèches et maintenant l’annonce d’un nouveau rabotage.» Et de demander «la convocation urgente d’états généraux de la famille». A l’autre bout de l’hémicycle, le Parti communiste français s’insurge : «Au nom de la réduction des déficits publics, le gouvernement fait des choix austéritaires qui vont frapper de plein fouet les familles et singulièrement les femmes.» Entrée gratuite Le gouvernement compte économiser 700 millions d’euros sur la branche famille (dont le budget est de 60 milliards) afin d’aider à combler le trou de la Sécurité sociale. Parmi l’éventail de mesures, la prime à la naissance (actuellement de 923 euros) sera divisée par trois. Ce «cadeau» sera ramené à 308 euros pour les deuxièmes naissances et les suivantes, pour les enfants nés à compter du 1er janvier 2015. A elle seule, cette mesure doit permettre d’économiser 250 millions d’euros. Tarifs : 16,30 e TTC la ligne Forfait 10 lignes 153 e TTC pour une parution 15,30 € TTC la ligne supplémentaire La reproduction de nos petites annonces est interdite Le Carnet Emilie Rigaudias 0140105245 [email protected] 12 • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 FRANCEXPRESSO AU RAPPORT Par VÉRONIQUE SOULÉ Les manuels numériques s’installent à pas comptés dans les écoles usage du numérique progresse à l’école, où désormais plus du quart des enseignants (29%) utilisent des manuels numériques en complément des manuels papier, contre seulement 16% il y a trois ans. Mais malgré tous les plans eeducation annoncés par les gouvernements successifs, l’équipement des établissements reste très inégal et encore insuffisant, et les enseignants se plaignent de ne pas être assez formés. C’est ce qui ressort d’une enquête réalisée par TNS Sofres et publiée ce mardi par l’association Savoir livre, qui regroupe six éditeurs scolaires (Belin, Bordas, Hachette, Hatier, Magnard et Nathan). L’ Le secondaire reste en avance sur le primaire, avec 35% des professeurs utilisant des ressources numériques, contre 20% des instituteurs, essentiellement en raison d’un meilleur équipement des collèges et des lycées, de raccordements internet et d’accès aux ENT (les espaces numériques de travail) facilités. Dans le secondaire, les disciplines les plus connectées sont les maths et les sciences physiques (46%), l’histoire-géo (38%), les sciences économiques et sociales (SES) et l’anglais (34%). Les enseignants de lettres, traditionnellement derrière, ont doublé en trois ans leur recours aux manuels numériques (24%). Les usages restent toutefois essentiellement collectifs, seuls 7% des élèves étant équipés individuellement en manuels numériques. Les principaux freins au développement du numérique sont donc le manque d’équipements et de crédits pour acheter des ressources. Immédiatement après, les enseignants évoquent leur manque de formation (51% des instits), ainsi que les problèmes techniques et de maintenance. Parmi les principaux avantages du numérique, 83% des profs soulignent qu’il «capte l’attention de toute la classe», et 74%qu’il «stimule la curiosité des élèves et les motive». Seuls 15% des enseignants pensent qu’à moyen terme, le manuel numérique remplacera le papier. Souvent fournis gratuitement, ces ouvrages numériques ne représentent que 1 à 2% du chiffre d’affaires des éditeurs scolaires, a précisé à l’AFP Pascale Gélébart, directrice de Savoir livre. Pour passer à la vitesse supérieure, les éditeurs espèrent qu’après la récente annonce de François Hollande, un plan de grande envergure sera lancé sur la durée et que les élèves auront droit à des équipements individuels. «Ce qui manque, c’est de passer à l’échelle de la personnalisation. Cela ne peut se faire que si chaque enfant dispose d’un support», a souligné Isabelle Macé, la responsable éducation au Syndicat national de l’édition. • 300 litres de pluie par mètre carré se sont déversés lundi sur Montpellier. «Il est tombé en quelques heures l’équivalent de la moitié de ce qui tombe en une année», a commenté MétéoFrance. L’HISTOIRE À LYON, UN LIEU CULTUREL MUSULMAN Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a fait part du soutien de l’Etat au projet d’un grand centre culturel musulman porté par la Grande Mosquée de Lyon, qui a célébré mardi son 20e anniversaire. «Il serait fort heureux que Lyon dispose à son tour d’un lieu voué à la connais sance et au rayonnement de cette immense culture», a dit le ministre. La cons truction d’un bâtiment pour l’Institut français de civilisation musulmane, adossé à l’édifice religieux créé il y a vingt ans dans le sudest de Lyon, est portée de longue date par le rec teur de la mosquée, Kamel Kabtane. Les collectivités locales ont déjà promis une aide financière dont le montant est estimé à 8 millions d’euros, mais elles attendent un engage ment chiffré de la part de l’Etat. En préambule d’un «repas de la fraternité» réu nissant les autorités civiles et religieuses, Cazeneuve a dénoncé la montée du sentiment antimusulman: «S’attaquer aux musulmans de France, c’est s’attaquer à la France et s’attaquer à la République.» La crèche, en septembre 2010, alors à ChantelouplesVignes (Yvelines) PHOTO LOUISE OLIGNY Baby-Loup,pasenodeur desaintetéàConflans GARDE La subvention accordée à la crèche installée depuis peu dans la ville a été divisée par quatre. arement un conseil municipal aura suscité autant d’intérêt extérieur à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Lundi soir, les élus étaient appelés à voter la convention liant la ville à la crèche Baby-Loup, implantée sur son territoire depuis le printemps. La structure privée, érigée en symbole de la laïcité avec l’affaire de la salariée voilée licenciée –une décision validée en cassation en juin –, avait dû quitter Chantelouples-Vignes à cause des tensions engendrées par la polémique. Mais, après quelques mois de répit, on apprenait la semaine dernière qu’elle risquait à présent de fermer ses portes pour raison financière. «Parcmètre». A l’arrivée de Baby-Loup à Conflans-Sainte-Honorine, le maire (PRG) de l’époque, Philippe Esnol, s’était engagé à lui accorder 400 000 euros de subvention. Mais son successeur, Laurent Brosse (UMP), a récemment indiqué que ce montant serait revu à la baisse. Lundi soir, ce sont donc des subventions de 90 400 euros pour 2014 (déjà entamée) et 125 000 pour 2015 que la municipalité a votées, soit 2,34 euros par heure et par enfant pour l’accueil de jour, et 3,03 pour les nuits et les week-ends. Crèche engagée pour l’intégration sociale, Baby-Loup reste ouverte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Les fa- R milles monoparentales ou les parents travaillant en horaires décalés ont ainsi une solution de garde. Mathieu Frappier, du Comité des parents Baby-Loup, redoute que certains soient contraints de changer de travail en cas de fermeture. De fait, la décision de Laurent Brosse de raboter crûment la subvention promise par son prédécesseur est interprétée par certains comme un choix idéologique. Pour Julien Taffoureau, chargé de développement privée (qui fonctionne à 90% grâce aux subventions publiques), son modèle est différent de celui des structures municipales. Elle emploie 25 salariés et loue ses locaux. Les parents, la crèche et les élus de l’opposition réclament un montant horaire de 3,78 euros. «Fermé». Au-delà des chiffres, c’est la façon de procéder qui dérange. Mathieu Frappier regrette que le maire ait été «complètement fermé au dialogue», et qu’il n’ait proposé de rencontrer les familles qu’après le Lundi soir, ce sont donc des vote, malgré subventions de 90400 euros plusieurs pour 2014 et 125000 pour 2015, dema nde s . au lieu des 400000 prévus. Mais Laurent Brosse assure chez Baby-Loup, le maire n’a que «le dialogue n’est pas «peut-être pas envie que sa rompu», et que la ville a bien commune soit associée à nous, «pris en compte le rôle social qui avons un passif et sommes de la crèche». La preuve : liés à l’image de la cité de «Nous versons une subvention Chanteloup-les-Vignes». pour l’accueil de jour alors que L’argument de la rigueur la ville propose d’autres strucbudgétaire, évoqué par la tures.» mairie, ne le convainc pas : En l’état, la crèche pourrait «Tout ce qui a trait aux ques- tenir quelques semaines ou tions de sécurité, comme la vi- quelques mois. Elle a pludéosurveillance, ou ce qui con- sieurs options, résumées par cerne la réforme du parcmètre, Taffoureau : «Refuser d’acne pose aucun souci.» cueillir les enfants de Conflans, Autre justification : l’«équi- qui deviendraient les seules té» avec les crèches de la pour lesquels on ne recevrait ville. «Argument ridicule», aucune participation viable estime Philippe Esnol, l’an- [les villes alentours versent cien maire, qui reconnaissait une subvention de 3,78 euros cependant il y a peu que par heure et par enfant, 400000 euros, «c’était peut- ndlr], chercher de l’argent être un peu surestimé». Baby- ailleurs, ou fermer.» Loup étant une structure ÉLISE GODEAU LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 FRANCE • 13 ChristopheMorat,unpasseurdesida devantlacourd’assises Les jurés d’Aix-en-Provence se penchent depuis lundi sur le cas de ce séducteur qui aurait sciemment transmis le VIH à certaines de ses partenaires. Sa mère a évoqué un enfant difficile. Par ONDINE MILLOT Envoyée spéciale à AixenProvence A 14 ans, le garçon est envoyé en internat, ne retourne plus chez lui que le week-end et les vacances. A 16 ans, ses parents adoptifs demandent son placement à plein temps dans un foyer de l’Aide sociale à l’enfance. Comme avant ses 5 ans. «Un deuxième abandon», dit-il. Si l’on écoute sa mère, Christophe Morat n’a pas réussi grand-chose dans la vie. «A 18 ans, il n’avait pas de projet professionnel, pas de formation, on n’a pas accepté qu’il revienne chez nous à ne rien faire.» Le jeune homme part alors au service militaire, sans plus de brio selon sa mère. «Il disait que son rêve était de devenir Casque bleu. Des déclarations d’héroïsme, mais il n’y avait rien derrière.» A gauche des juges et des jurés sont assises cinq femmes. Elles ne se ressemblent pas, âgées de 20 à 50 ans, grandes ou petites, blondes, brunes, châtain. On se surprend pourtant à chercher sur leurs visages, dans leurs postures, un signe commun. Alors oui, peutêtre ça: du maquillage, une coiffure travaillée, de jolis habits. Des femmes qui soignent leur apparence. Toutes la tête haute. Toutes le regard flou. En face d’elles, derrière les vitres du box de la cour d’assises, est recroquevillé un homme. Les témoins en parlent comme d’un séducteur, un «charmeur». Il RÉCIT n’en est plus que le spectre. Hâve, pour ne pas dire squelettique, les traits tirés. Même sa voix, mince filet rauque, semble en train de disparaître. Stéphanie, Marianne, Raphaëlle, Séverine, Virginie (1) ont toutes eu, entre 2008 et 2012, une relation amoureuse avec lui. Certaines savaient qu’il avait d’autres amantes, d’autres pas. Toutes ignoraient qu’il avait le sida. Christophe Morat, 40 ans, chauffeur de car, est jugé depuis lundi devant la cour d’assises d’Aix-enProvence pour avoir eu des relations sexuelles non protégées avec six femmes alors qu’il se savait porteur du VIH. L’une d’elles a été contaminée. En 2005, il avait déjà été condamné à six ans de prison pour avoir transmis sciemment le virus à deux de ses partenaires –une s’est suicidée. CHÂTIMENTS. C’est le principe même de la cour d’assises de mettre face à face deux réalités irréconciliables. D’un côté, la souffrance de ces femmes qui, mardi, ont raconté leurs angoisses, leurs cauchemars, les tests de dépistage qu’elles continuent à enchaîner en dehors de toute raison, «par peur que ce soit toujours là, caché». De l’autre, l’énigme de cet homme qui «savait» le péril qu’il leur faisait REPÈRES Christophe Morat après confirmation de sa première condamnation en appel, à Colmar, en 2005. F. FLORIN. AFP courir, mais continuait de dire qu’il était «clean». «Pourquoi, pourquoi?» répètent ses anciennes partenaires. Christophe «dérègle les choses», dit-elle. «Il a toujours tout cassé.» A la fin des années 70, les Morat vivent dans un petit village de la Drôme. Il est kinésithérapeute, elle est sa se«Il disait que son rêve était crétaire médicale. Sans de devenir Casque bleu. progéniture, venant Des déclarations d’héroïsme, chacun de familles mais il n’y avait rien derrière.» nombreuses («j’ai huit La mère adoptive de Christophe Morat lundi frères et sœur, mon mari sept»), ils décident Lundi, la cour a demandé à la mère «d’adopter plusieurs enfants à la fois, de l’accusé si elle avait une explica- c’était un choix». Christophe arrive tion. Elégante et belle femme, la à 4 ans et demi avec sa demi-sœur voix suave, elle a raconté une en- Lisa, un an à peine après un grand fance «marquée par les éclats». frère. Rapidement, l’ambiance à la En 2005, Christophe Morat avait été condamné à six années de prison pour avoir contaminé deux partenaires. Aujourd’hui, il est poursuivi, en récidive, pour avoir eu des rapports non proté gés avec six femmes. Une d’elles a été contaminée. Cinq sont par ties civiles. 30ans C’est la peine maximale encou rue par Christophe Morat, pour «administration volontaire de substances nuisibles ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente en récidive». maison devient tendue. «Christophe était un enfant qui avait une souffrance personnelle déjà inscrite», dit la mère. A l’enquêtrice de personnalité, l’accusé a raconté une enfance «stricte, sans affection». Parlé de punitions enfermé dans la cave, de châtiments corporels, de raclées «à coup de rondin de bois» à n’en plus pouvoir s’asseoir. La mère, elle, reconnaît en murmurant «des fessées» : «Christophe était violent. Il fallait intervenir pour le mettre dans sa chambre, pour préserver la famille. Mais cela ne correspond pas à ce qu’il décrit. Il a toujours eu une perception de la réalité différente de la nôtre.» «Ces femmes avaient toutes une relation amoureuse avec lui. Et lui avaient posé la question du préservatif. C’est un abus de confiance.» L’avocat Eric Morain VIE DE FÊTE. Finalement, la seule chose dans laquelle Christophe Morat semble briller, c’est la séduction. Là-dessus, tous ses proches s’entendent. «Il collectionnait les maîtresses», dit un ancien collègue. «Il plaisait énormément, se souvient son patron. Elles étaient toutes autour de lui.» Un peu après ses 18 ans, il a rencontré la première femme de sa vie, qui porte le même prénom que sa sœur, Lisa. Elle est tombée enceinte, et Christophe Morat se raconte fou de bonheur de cette paternité et de ce premier amour. Quand les choses se gâtent et que le couple se sépare, il se rattrape en menant une vie de fête et de drague, toujours «heureux». Et puis, en 1998, il apprend qu’il est séropositif. «La psychologue m’a dit de m’asseoir, raconte-t-il. Elle a dit : “C’est la mauvaise nouvelle.” A partir de là, je n’ai plus entendu ses paroles. J’étais déconnecté.» Christophe Morat a-t-il voulu se «venger» de sa contamination, dont il ne semble pas connaître l’origine, comme l’a supposé un psychiatre sans toutefois étayer l’hypothèse? Ou bien a-t-il continué à faire comme dans le bureau de la psychologue: ne rien voir, ne rien entendre et poursuivre dans son domaine d’excellence, les conquêtes? Le verdict est attendu jeudi soir. • (1) Les prénoms ont été modifiés. • SUR LIBÉRATION.FR A la barre «Il y avait des cho ses dans sa tête qui bouillon naient»: suivez au jour le jour les temps forts du procès, avec notre envoyée spéciale. 14 • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 FRANCEXPRESSO «[Je serai] garant de la bonne organisation d’une primaire ouverte [en 2016, contre ceux qui souhaitent] faire des compressions à la César de toutes les élections.» QUESTIONS À JEANPHILIPPE MAGNEN VICEPRÉSIDENT EELV DE LA RÉGION PAYSDELALOIRE AFP «La politique devrait être un passage de vie, pas une carrière» Et un écolo de plus qui arrête la politique. Après Dominique Voynet cet hiver, JeanPhilippe Magnen, vice-président de la région Pays-dela-Loire et ex-porte-parole d’Europe Ecologie-les Verts, a envoyé une missive aux 750 adhérents de la région. Il y explique ne plus croire «à la politique traditionnelle régie uniquement par les partis», jugeant le sien «trop soumis aux règles de la communication et du marketing, aux effets pervers des ego débordants». w Pourquoi jetez-vous l’éponge? La principale raison, c’est que j’ai envie de reprendre mon activité professionnelle. Je suis convaincu que le changement de la société passe par le changement personnel. Je vais donc me consacrer à l’évolution des personnes comme thérapeute. w Vous dites ne plus croire aux partis traditionnels… Je ne jette pas la pierre. Je me suis pris au jeu et au piège. J’ai bien conscience, pour avoir été complètement «dedans», que dans les partis politiques on passe les trois quarts de notre temps à gérer les appareils et l’accès au pouvoir plutôt que de nous occuper du fond et des actions de terrain. Or, il y a un malaise. Les gens ne croient plus dans les partis pour améliorer leur vie quotidienne. A EE-LV, on se voulait un peu à part. Le cadre institutionnel et notre fonctionnement ont fait que les écolos sont devenus une écurie, malgré eux. Le lien avec les associations et les acteurs de terrain est devenu très conflictuel. w Etes-vous surpris des réactions suscitées par votre décision? Revenir à 47 ans à mon métier de psychothérapeute après avoir fait de la politique pendant quinze ans, cela devrait être considéré comme normal. Or cela apparaît comme une exception. Cela en dit long sur la conception de la politique dans notre pays: on s’y accroche jusqu’à 70 ans et on ne la quitte que battu. La politique devrait être un passage de vie, pas une carrière. J’espère que ma décision pourra amener à une réflexion, notamment sur un statut de l’élu plus protecteur. Il n’y a aucun plan de carrière dans ma lettre. C’est la plus sincère depuis que je fais de la politique. Elle résonne chez beaucoup de copains qui sont des acteurs magnifiques sur le territoire, ceux qui font de l’écologie concrète, élus ou militants. Comme je n’ai aucun compte à régler, je peux me permettre de dire ce qui ne va pas. Mon constat n’est pas amer, mais réaliste. Recueilli par MATTHIEU ÉCOIFFIER L’HISTOIRE DEUX VILLES FRONTISTES ENVOIENT VALSER LA DANSE ORIENTALE Cogolin (Var) et Hayange (Moselle) sont deux communes remportées en mars par le Front national. Dans la pre mière, le maire MarcEtienne Lansade est accusé par l’opposant Michel Dallari, cité mardi par le Huffington Post, d’avoir passer la «consigne» lors du gala des associa tions, début septembre, afin «qu’il n’y ait pas de spectacle de danse orientale» dans sa ville. Assurant ne pas être au courant, le maire d’extrême droite précise sans fard: «Si on a proposé comme seul spectacle des danses orienta les, je signe et resigne mon opposition parce qu’ici on est en Provence, pas en Orient, et s’ils veulent vivre comme en Orient, les frontières sont ouvertes.» Même tonalité à Hayange, où le maire frontiste Fabien Engelmann a récemment refusé à Julie Milosevic, professeur de danse dans une association, d’organiser un atelier de danse orientale. Citée par FranceTV info, Julie Milosevic assure que le maire a justifié sa décision en assurant que «la danse orientale [est] incompatible avec le Front national». Bruno Le Maire député et candidat à la présidence de l’UMP, cité par le Monde • Gérard Larcher, dimanche, au Sénat. PHOTO SÉBASTIEN CALVET AuSénat,lefauve estLarcher PLATEAU En gagnant la primaire UMP, le sénateur des Yvelines retrouve la présidence de la Haute Chambre. ercredi soir, le sénateur des Yvelines Gérard Larcher va réintégrer le «Petit Luxembourg», la résidence qui abrite cette présidence du Sénat qu’il avait dû abandonner en 2011 au socialiste Jean-Pierre Bel. Le vote de l’assemblée sénatoriale prévue mercredi après-midi n’est de fait que de pure forme, les autres candidats en lice pour le «plateau» l’étant au nom de leur groupe politique : Didier Guillaume pour le PS, Jean-Vincent Placé pour les écolos, François Zochetto pour les centristes et Eliane Assassi pour les communistes. Groupe désormais le plus fourni avec 143 sénateurs affiliés, l’UMP sait que la place lui est acquise. La primaire qui s’est déroulée mardi entre ses trois aspirants déclarés – Gérard Larcher (Yvelines), JeanPierre Raffarin (Vienne) et Philippe Marini (Oise) – a mis fin au suspense. Ecart. Entre Larcher et Raffarin, le scrutin s’annonçait serré. Surprise, la victoire de Larcher est sans bavure. Avec 80 suffrages exprimés en sa faveur, le sénateur des Yvelines l’emporte de 24 voix sur son rival de la Vienne, Philippe Marini n’engrangeant pour sa part que 7 voix. Un écart plus net encore qu’en 2008, quand les même déjà s’étaient affrontés pour le plateau. Un avertissement voilé à Nicolas Sarkozy, dont les pro- M ches appuyaient ouvertement la candidature de Raffarin? Sans doute, même si ce dernier a pris soin, hier, de nier toute inféodation. Mais tout autant, l’expression de ce qui constitue encore l’ADN du Sénat : une Chambre du «seigle et de la châtaigne», jalouse de son indépendance vis-à-vis des formations partisanes, ancrée dans les terroirs et décidée à en préserver les prérogatives. Un langage que le Karoutchi et le Vendéen Bruno Retailleau, l’homme qui monte dans l’entourage de Fillon. Si ce dernier venait à l’emporter, ce qui de l’avis de nombreux élus est très possible, la faiblesse du dispositif sarkozyste au Sénat serait confirmée. Place forte. Pour l’exécutif, le choix de Larcher est à double tranchant. Filloniste de cœur et ne s’en cachant pas, le sénateur des Yvelines n’aura sans doute pas comme objectif de «Larcher est méga-réseauté au transformer la Haute ChamSénat: bien avec les francsbre en cette macs, bien avec les cathos, bien place forte de avec les professions libérales.» reconquête du pouvoir dont Un partisan de Raffarin rêvaient les gaulliste social Larcher, vé- sarkozystes. Mardi, à l’issue térinaire de formation et de la primaire, il en convechasseur impénitent, parle nait à demi-mot. En revancouramment. «Larcher est che, l’opposition du Sénat à méga-réseauté au Sénat: bien la réforme territoriale en avec les francs-macs, bien cours menace d’être armée. avec les cathos, bien avec les Qu’il s’agisse de la sauveprofessions libérales, résume, garde des départements ou dépité, un partisan de l’an- de l’obligation prévue pour cien Premier ministre. Alors les communes de se regrouque Raffarin a fait une campa- per dans des intercommunagne globale et politique, Lar- lités de plus de 20 000 habicher a travaillé par segment et tants – mesure dont tous les par relations». sénateurs en campagne ont Dès jeudi, la droite sénato- pu mesurer l’impopularité. riale aura d’ailleurs une nou- Quand bien même l’Assemvelle occasion de se déchirer. blée conserve le dernier mot Toujours sur fond de divi- sur l’issue de cette réforme, sions entre pro et anti- une opposition ouverte du Sarkozy, trois candidats se Sénat, alors que se profilent disputent la tête du groupe cantonales et régionales, UMP : Gérard Longuet, ex- pourrait être dévastatrice. président du groupe, le NATHALIE RAULIN sarkozyste historique Roger et ALAIN AUFFRAY SUR LIBÉ.FR Métropole Le (vrai) jour où le Grand Paris est passé à droite: l’élection du comité de pilotage a vu la victoire de la liste de Patrick Devedjian. Portrait zappé «Juppé, du tacle au tacle»: criti qué dans la compétition interne à l’UMP, le maire de Bordeaux sait aussi répliquer. LES GENS BARTOLONE CONTRE LA FONCTION DE 1ER MINISTRE Avant la nomination de Manuel Valls à Matignon, Claude Bartolone fut un temps considéré comme un possible premier minis trable. Mais voilà que le président de l’Assemblée, dans un livre à paraître le 8 octobre (Je ne me tairais plus. Plaidoyer pour un socialisme populaire, Flam marion), préconise la sup pression de cette fonction. Et le passage à un régime présidentiel. Une nécessité qui a saisi «Barto», raconte til, lorsque Valls a défendu devant l’Assemblée le pacte de responsabilité de François Hollande. Situa tion qu’il dit avoir trouvée «absurde», alors que selon lui il faut «rendre le Prési dent responsable devant le Parlement»– devant lequel le chef de l’Etat ne peut s’exprimer que réuni en Congrès. Cette suppres sion du Premier ministre a déjà été évoquée à droite (Sarkozy ou Fillon), et plus récemment par le collectif de députés PS Cohérence socialiste. PHOTO REUTERS LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 VOUS • 15 SEXE & GENRE [SsexBbox],lesexe sortdesaboîte Lancé par l’artiste brésilienne Priscilla Bertucci, le projet web, qui compile les témoignages vidéo, bouscule le schéma du couple monogame. Par QUENTIN GIRARD Envoyé spécial à São Paulo et de leur manière d’aborder le tions avec sa mère, sa transformonde et les relations avec mation progressive. «J’aime les l’autre. Projet à dimension mon- femmes trans qui ont toujours leur tes-vous en relation diale, «la mission de [SSex Bbox] pénis, mais des seins parfaits. ouverte? Etes-vous polya- est d’élargir les consciences, de J’aime les hommes trans qui ont moureux? Est-ce que vous réduire l’isolement et de faciliter des seins ou qui n’en ont pas, faites ce que vous voulez, sans l’éducation et la sensibilisation en s’amuse-t-il. J’aime les hommes en parler à votre partenaire ? remettant en question la compré- et les femmes. Je me fous d’un Vendez-vous votre corps? Etes- hension ancienne et souvent obso- genre particulier, je veux juste vous polygame pour des raisons lète de la sexualité, du sexe et des qu’ils me rendent heureux.» Luireligieuses ? Si oui, et dans bien relations intimes», explique-t- même ressemble en apparence d’autres cas, alors elle. Si, pour le mo- à un homme, mais, quand il se vous évoluez dans ce REPORTAGE ment, Priscilla Ber- déshabille, on voit qu’il a gardé que l’artiste Priscilla tucci réalise toutes ses seins et sa vulve, un peu à Bertucci appelle «la charte de la les vidéos, elle aimerait que ce l’image de Buck Angel, célèbre non-monogamie». Cette série programme s’étende à d’autres activiste et acteur porno. Le d’exemples montre à quel point langues ou villes, comme Paris projet [SSex Bbox] permet de il est facile, sans forcément s’en ou ailleurs. montrer les ressemblances entre rendre compte, de ne pas entrer A 36 ans, avec ses cheveux les pays, mais aussi les points dans le schéma préétabli du cou- courts légèrement teints en gris d’achoppements. ple monogame, hétéro ou non. et son sourire franc, Priscilla Bertucci a l’apparence d’une LANGAGE. En Californie, où OBSOLÈTE. A la terrasse d’un femme mais elle préfère qu’on Priscilla Bertucci réside, les discafé-boulangerie d’une rue bobo ne la définisse pas. «Je suis cours sur la question queer et du du quartier de Pinheiros, à São “queer”», assène-t-elle, du nom sexe positif sont plus formés, Paulo, au Brésil, on retrouve de ce mouvement qui remet en structurés, acceptés. Mais lorsPriscilla Bertucci autour d’un cause l’hétéronormativité : «Je qu’elle rentre à São Paulo, Pristhé. Depuis trois ans, cette Bré- suis donc gender fluide ou gender cilla Bertucci remarque que le silienne qui vit désormais à San langage compliFrancisco a lancé le projet [Ssex «Je me fous d’un genre que tout. En anBbox], «le sexe en dehors des ca- particulier, je veux juste qu’ils glais, pour la déses» (1). A San Francisco, Berlin signer comme et São Paulo, des artistes, des me rendent heureux.» elle le désire, il trans, des activistes de la cause Matthew Clarke trans FtM (femme à homme) suffit d’utiliser le sexuelle viennent témoigner, pronom «they». face caméra, sur un site dédié, neutre», explique-t-elle (comme En portugais ou en français être de leurs expériences corporelles il n’existe pas de pronom officiel «gender neutre» est presque neutre en français, nous restons impossible. «Je trouve qu’il y a ici avec l’utilisation du «elle» pour beaucoup plus de résistance à parREPÈRES désigner Priscilla Bertucci). La ler de genre, d’aller contre l’hétéréalisatrice souhaite aller à la ronormativité. Mais en même A l’approche de la prési rencontre de gens qui, selon elle, temps, si vous n’avez pas les mots dentielle au Brésil, sont «sortis de leur case» et peu- pour en parler, pour le définir, le mariage homosexuel vent, potentiellement, être des comment l’expliquer ?» se deou la libéralisation de exemples. Priscilla Bertucci mande-t-elle. l’avortement permettront s’appuie notamment sur les tra- A cela s’ajoute la situation de son peutêtre de départager vaux de la féministe et cher- pays d’origine qu’elle juge bien les candidats favoris, cheuse de San Francisco Carol loin des clichés. «Tout le monde la présidente de gauche, Queen sur le «mouvement de sexe pense que le Brésil est un endroit Dilma Rousseff, l’écologiste positif». «C’est une philosophie complètement ouvert aux gays, et Marina Silva et le socialdé culturelle qui comprend la sexualité que l’on se balade tous tout nus mocrate Aécio Neves. comme une force potentiellement quand il fait beau. Mais, en réalité, positive de notre vie qui s’oppose, c’est très sexiste, homo-lesbo et bien sûr, à la négativité sexuelle, transophobe, et malheureusement qui voit le sexe comme problémati- les crimes haineux de ce genre QUEER que, disruptif et dangereux», dé- augmentent chaque année.» A En anglais, ce terme, qui crit l’activiste américaine. son échelle, ses vidéos sont aussi signifie «étrange», était au Matthew Clarke, petites lunet- un moyen d’attirer l’attention départ péjoratif et servait tes, cheveux courts et piercings, sur la manière dont les gens vià désigner les personnes est trans FtM (female to male, de vent et survivent face à ces dishomosexuelles. Récupéré femme à homme) et l’une des criminations. Et de montrer, à par les militants LGBT, personnes interviewées par ceux qui se sentent différents et il est désormais utilisé [SsexBbox]. Sur son canapé, à qui ont peur, qu’ils ne sont pas par ceux qui considèrent, San Francisco, il raconte ses seuls. • avec fierté, qu’ils sont en souvenirs d’enfance, comment (1) Vous pouvez retrouver dehors de l’hétéronormati il a rencontré sa femme, à 12 ans, tous les textes et vidéos vité de la société. à un match de football, les rela- sur vimeo.com/ssexbbox E Captures écran des vidéos [Ssex Bbox]. Debout, Matthew Clarke. PHOTOS VIMEO ECONOMIE Transition énergétique: unedernière toucheverte 16 • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 Les députés examinent ce mercredi le projet de loi, qui rassure en partie EE-LV et les associations écolos. Par CORALIE SCHAUB leurs yeux? Le bâtiment. Présenté par la ministre de l’Ecologie et de es écologistes, ONG ou po- l’Energie, Ségolène Royal, comme litiques, ont (enfin) de quoi «le principal chantier» de la loi –il y se réjouir. Le projet de loi a là un gisement immense d’écono«relatif à la transition mies d’énergie –, il a été pas mal énergétique pour la croissance étoffé. La performance énergétique verte», qu’ils attendaient sera désormais prise en tant et qui arrive ce mercompte dans les critères de RÉCIT credi à l’Assemblée natiodécence des logements. nale, vient d’être «verdi» par une «Mine de rien, c’est essentiel», sousérie d’amendements adoptés à ligne la corapporteure PS, Sabine marche forcée en commission spé- Buis. L’objectif d’un parc immobiciale après un marathon de quatre lier rénové aux normes «Bâtiment jours et trois nuits achevé samedi basse consommation (BBC)» Pour Ségolène Royal, le bâtiment est «le principal chantier» de la loi. PHOTO EMMANUEL PIERROT. VU soir. «Il y a réellement eu des avan- d’ici 2050 a aussi été ajouté au cées importantes», se félicite le dé- texte. De même que l’obligation de bles. Duflot note aussi «une vraie Bringault. Qui réclame aussi avec donner de la voix sur le nucléaire, puté EE-LV Denis Baupin, corap- rénover tous les logements de classe avancée» –de son fait–: l’obsoles- insistance l’ajout d’un objectif de ne serait-ce que pour la forme. Et porteur de la loi et auteur de F et G à l’horizon 2030. Ou encore cence programmée d’un produit réduction de la consommation Duflot de souffler : «On voit bien nombreux amendements. «Il man- la création d’un «carnet de santé» pourra être punie comme une d’énergie en 2030, à l’instar de la l’objectif du rapport parlementaire sur que toujours au projet de loi des du bâtiment mentionnant les infor- tromperie «sur [sa] durée de vie in- Fondation Nicolas Hulot et le coût de la fermeture de Fessenmoyens et une vraie volonté politique, mations utiles à l’amélioration de sa tentionnellement raccourcie lors de d’EE-LV. Ou plaide aussi pour un heim…» Présenté mardi, il l’estime relativise sa consœur Cécile Duflot, performance énergétique et celle [sa] conception». «Ce sera compli- renforcement du dispositif de tiers à 5 milliards d’euros, ce que Royal elle aussi jointe par Libération. Mais d’un fonds de garantie pour faciliter qué à prouver, c’est vrai, mais, au financement (qui permet à un or- a démenti. EE-LV «se battra» aussi il a le mérite de fixer deux bons objec- le financement des travaux. moins, on a un arsenal juridique», ganisme non bancaire d’avancer pour «des objectifs renforcés en matifs: la baisse de 50% de la consom- Côté nucléaire, la plupart des éco- estime-t-elle. l’argent de la rénovation thermique tière de renouvelables» ou «une mation d’énergie finale d’ici 2050 et los se satisfont de l’adoption d’une Rassurés, les écologistes jugent d’un bâtiment et de se rembourser meilleure protection des travailleurs le passage de 75 à 50% de la part du nouvelle procédure d’autorisation toutefois le texte largement perfec- grâce aux économies réalisées). sous-traitants du nucléaire». nucléaire dans la production d’élec- lorsque l’opérateur voudra dépas- tible. «Sur les transports, les avanRestera une question, centrale : et tricité d’ici 2025. Ceux-ci marquent ser les 40 ans de vie d’une centrale. cées très minces (10% de véhicules VOIX. «Nous veillerons à ce que le la fiscalité écologique? «Le vrai suune rupture dans la politique énergé- «C’est désormais très clairement en- propres pour les taxis et loueurs à texte ne soit pas détricoté, assure jet est là, admet Buis. Il s’agit moins tique de la France basée sur le nu- cadré», estime Baupin, qui salue compter de 2020) sont annulées par Baupin. Sur ces sujets, on n’a pas que de trouver de nouveaux financements cléaire et le gaspillage». aussi des améliorations en matière un point négatif, l’inclusion des bio- des amis dans l’hémicycle.» Les dé- que de faire payer ceux qui doivent de financement participatif pour carburants dans la définition des vé- bats risquent d’être nourris, l’op- payer.» Elle déplore que l’amende«CHANTIER». Résultat: le «Transi- les projets d’énergies renouvela- hicules propres», déplore Anne position comptant notamment ment de son collègue PS Jean-Paul tiomètre» a grimpé. Avant l’exaChanteguet suggérant d’inscrire men en commission, cet outil lancé dans le texte une hausse progresREPÈRES par des ONG pour mesurer l’ambisive de la Contribution climat énertion réelle du projet de loi estimait gie (sorte de taxe carbone revisitée) que celui-ci «a une capacité de 20% Le projet de loi sur la transi pour atteindre 100 euros la tonne Les objectifs de la loi de transition énergétique à atteindre les engagements de la tion énergétique, attendu de CO2 en 2030 ait été tronquée par Part de l’électricité d’origine nucléaire Consommation d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) France» (voir Libération du 10 sepdepuis deux ans et présenté Royal, hostile à toute fiscalité écoPart en Objectif Objectif Consommation tembre). Voilà qu’il a «progressé de comme un enjeu majeur du logique. «Il manque une jambe à ce 100 2014 2025 2030 2012 en Mtep 10 points, passant de 20% à 30%, quinquennat, doit esquisser texte : la fiscalité, qui devrait se faire (Million de tonnes 75% 50% 70 estime Anne Bringault, coordinaun nouveau modèle (moins de à prélèvements constants pour inciter équivalent pétrole) trice de la transition énergétique fossiles et de nucléaire, plus au changement de comportements, Consommation énergétique finale Part d’énergies renouvelables pour les associations. C’est un résulde sobriété et de renouve estime l’avocat Arnaud Gossement. Part en Objectif Consommation 154 Objectif tat très positif qui montre le travail lable). Les députés en discu Le énième report de l’écotaxe ou la 2012 en Mtep 2012 2030 2050 constructif des parlementaires, mais tent ce mercredi en plénière, possible suppression de la taxe géné(Million de tonnes 14% 32% 77 équivalent pétrole) le chemin reste encore long». Le volet avant un débat sur les 64 arti rale sur les activités polluantes sont Source : ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie qui a connu le plus d’avancées à cles du 6 au 10 octobre. de très mauvais signaux…» • L CINÉMA • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 ÎLOT TRÉSOR Tourné dans l’archipel japonais d’Amami, «Still the Water» de Naomi Kawase est une splendide méditation entre premier amour et derniers instants. Des amoureux qui se bécotent sur un banc public, banc public, banc public. HAUT ET COURT ÉDEN II • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 CINÉMA À L'AFFICHE Les deux jeunes amants Kyoto et Kaito, comme des poissons dans l’eau (qui atteignent le Nirvana). PHOTO HAUT ET COURT comprend pas», proteste-t-elle. Le film est né d’un deuil (la disparition de la mère adoptive de la cinéaste) et d’une révélation (son ancrage familial lointain STILL THE WATER dans une île subtropicale nommée de NAOMI KAWASE Amami). La remontée aux origines avec Nijiro Murakami, Jun Yoshinaga, Tetta guide toujours les pas de la cinéaste Sugimoto, Miyuki Matsuda… 1h59. pour, en définitive, à nouveau la mener au seuil tremblant d’une question sans Il n’est pas de cinéma plus simplement réponse. Présenté en compétition au obsessionnel que celui de Naomi Festival de Cannes, Still the Water est reKawase. Telle une enfant têtue revenant parti bredouille. Une assez surprenante à la charge et bousculant la tenace igno- mise à l’écart si l’on veut bien considérance d’adultes hébétés, elle s’en va rer qu’il s’agit sans nul doute d’un des partout répétant toujours la même plus beaux films de l’année. question: pourquoi? En 1992, elle par- Entrelacs. Kawase semble éprouver tait armée de sa caméra à la recherche une joie décuplée à arpenter ce terride ce père qu’elle n’avait pas connue, toire azuréen qu’elle découvre comme car il l’avait délaissée à la naissance la pièce manquante de son puzzle auto(Dans ses bras). Dix ans biographique. L’île, haCHINE plus tard, dans un autre bitée mais sauvage, CORÉE documentaire, elle acgarde la trace lointaine DU NORD JAPON cepte à la demande de de nombreux cultes CORÉE son ami photographe et animistes. Les dieux et Tokyo Océan DU SUD mentor, Nishii Kazuo, les hommes coexistent Pacifique 500 km d’enregistrer les derdans l’entrelacs luxuÎles niers jours de sa lutte riant du visible et de Amami contre un cancer dévol’invisible. De vastes Îles Okinawa rant. pulsations de couleurs, Dans Still the Water, des nappes d’écumes, cette fois dans le registre fictionnel, la des colonnades de lumières émeraude jeune fille Kyoko, radieuse, regarde im- et bleue, et des courants de vent chaud puissante sa mère malade rendre son composent la matière toujours chandernier souffle. «Pourquoi faut-il que les geante, mobile, de cet éden où se dégens naissent et qu’ils meurent ? On ne roulent simultanément le flirt des ado- ÎLOT TRÉSOR lescents Kaito et Kyoko et l’agonie évanouissante d’une chamane. L’émotion des commencements et l’adieu au monde forment la double polarité du récit que la cinéaste diffracte, rassemble, module afin que s’échangent en s’indifférenciant les valeurs qui s’y attachent. La femme qui va disparaître aborde les marges des ténèbres dans l’atmosphère de liesse d’une fête villageoise où se mêlent les chants et la danse des voisins bienveillants. En revanche, la très désirable union des deux Les personnages sont constamment pris dans un dilemme d’appartenance, entre le bonheur simple d’être là et la furieuse envie d’aller voir ailleurs. La topographie de l’île absorbe peu à peu toute idée de frontière entre la terre, le ciel et l’eau. Un passage à Tokyo, où Kaito rend visite à son père tatoueur, accentue encore le sentiment, par ce brusque retour aux réalités urbaines et clignotantes de la modernité, que l’île est aussi comme un au-delà mental aux contours évasifs de rêverie inquiète. La saignée –par deux fois – d’une chèvre blanaux râles convulsifs L’île, habitée mais sauvage, garde la che sur le sol la coulée trace lointaine de nombreux cultes projette rouge de la mort concrète, animistes. Les dieux et les hommes bien réelle, qu’un typhon vient bientôt rincer à coexistent dans l’entrelacs eaux dans un luxuriant du visible et de l’invisible. grandes déluge nocturne. L’île paraît alors un esquif à la jeunes gens se trouve constamment dérive qu’une lame de fond pourrait empêchée par un désordre d’affects in- faire disparaître. décis. En chaque scène, la comptine Naomi Kawase aime les vagues, les cod’écolier et l’élégie grandiose, ou en- tillons métaphysiques tournoyant dans core le bredouillis boudeur et l’affirma- une lumière limpide, les mantras, elle tion symphonique trouvent à accorder parvient à plier, l’un sur l’autre, conleurs voix asymétriques, dissonantes, templation et intériorisation. Le film pour quelques mesures d’une parfaite nous semble si précieux qu’on voudrait harmonie. l’avoir dans la poche comme un objet Tatoueur. L’immersion sensorielle que porte-bonheur pour affronter sans peur propose le film est d’autant plus pertur- les nombreux «pourquoi?» qui attenbante qu’elle s’accompagne d’effets de dent encore aux détours des chemins. palier et de désorientations successifs. DIDIER PÉRON LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 À L'AFFICHE CINÉMA • III Coupés du monde, les territoires insulaires ont toujours été fertiles en récit. TROIS POSSIBILITÉS D’UNE ÎLE À L’ORIGINE À L’AVENTURE L’ île, comme son nom l’indique, est le lieu de l’isolation, pas forcément thermique. On n’est donc pas obligé d’être une île pour fonctionner comme une île. N’importe quoi de clos mais ouvert sur le reste du monde –qu’on ignore ou qui vous ignore – suffit. Par exemple, un radeau. Même un banc ou un lit peuvent être une île. Pour les héros de l’Antiquité, l’île est enchantée, peuplée de monstres. C’est un lieu de métamorphoses. Il en reste quelque chose dans la Tempête (1611) de Shakespeare avec le magicien Prospero. Mais comme on y tourne en rond, qu’on s’y ennuie face à soi-même ou entre soi, c’est aussi un lieu d’épreuve d’où peut jaillir la vérité sur la saleté humaine. C’est vrai dans la Tempête ; ça l’était déjà en 409 av. J.-C. dans le Philoctète de Sophocle, où le héros, abandonné par Ulysse sur une île, se rend compte que l’amitié des garçons n’est plus ce qu’elle était : on lui a menti pour lui soutirer des armes magiques. Cette veine de l’île comme jeu de la vérité où «faux × faux = vrai» va nourrir toute une partie du cinéma moderne. C’est le thème de la rédemption : d’Ingrid Bergman se découvrant ellemême et Dieu dans Stromboli (1950) de Rossellini, jusqu’à la purification du Sacrifice (1986) de Tarkovski. Pas très loin de l’idée de vérité, il y a l’origine. Au XVIIIe siècle, étant passée par la phase utopique, l’île est plutôt un refuge loin des vilains humains. Rousseau se retire sur l’île Saint-Pierre du lac de Bienne, en Suisse. Son élève Bernardin de Saint-Pierre améliore l’idée dans Paul et Virginie (1789), deux ados amoureux sur l’île Maurice. On y trouve le mythe du retour aux origines et, puisqu’on parle de naissance, la découverte de l’érotisme tropical et de la fécondité afférente, qui fera des petits jusque dans le Lagon bleu, un nanard de 1980 sur les amours soft-porn de deux teenagers lacustres. ÉRIC LORET S 1932 par Irving Pichel et Ernest B. Schoedsack, auquel on doit aussi l’île de King Kong, la même année et dans les mêmes décors. Il y a aussi des îles de terreur qu’on veut quitter, comme celle de Bedevilled (2010), drame horrifique sudcoréen de Jang Chul-soo où une femme est violée, mariée de force quand sa cousine, sur le «continent», s’énerve des tracas d’une vie moderne. Sans oublier les îles de la contention, celles des prisonniers d’Alcatraz, de Shutter Island (2010), de Papillon (1973)… Iles il y a, et quand elles sont désertes, c’est que la fin est proche. Nous savons tous que le livre ou le film que nous y apporterons ne sera pas forcément le préféré mais le dernier que nous consommerons. i, pour tous les Robinson Crusoé, l’île résume l’introspection, la dépression ou l’exclusion, il n’en va pas de même pour un groupe. Le territoire oublié devient alors l’idéale parabole d’un monde fermé sur lui-même, microcosme sommé de réinventer la société dont il est désormais banni, le tout au prix de mille aventures périlleuses. Et, en général, ça se passe mal. Paragon du genre: le roman de William Golding, Sa majesté des mouches, publié en 1954 en Grande-Bretagne et qui a fait l’objet d’une belle adaptation par Peter Brook en 1963. Le monde miniature est ici composé de jeunes mâles britanniques, rescapés d’un crash aérien sur une île du Pacifique dans lequel tous les adultes ont laissé leur peau. La survie collective est dans un premier temps l’unique enjeu de cette soudaine liberté juvénile. Rapidement, elle cède la place à une logique d’affrontement tribal qui ensauvage le groupe. Jalousie, lâcheté et soif de pouvoir finissent par tout emporter dans un torrent de cruauté et de mort. Point de départ d’innombrables déclinaisons dans la production artistique contemporaine (Battle Royale de Kinji Fukasaku, entre autres), Sa majesté des mouches a aussi inspiré les sadiques inventeurs de télé-réalités, de Survivor et Koh Lanta, de même que, dans un registre boulevardier, la désopilante Ile de la tentation, où des couples s’aiment et se déchirent en paréo à fleur et sous des litres d’huile bronzante. Aux Etats-Unis, le show Naked and Afraid jette des couples entièrement nus sur une île où il n’y a rien à faire ni à manger. Exception notable, la série Lost, créée en 2004 par J.J. Abrams et Damon Lindelof, a entretenu six saisons durant un récit labyrinthique, mixant péripéties à la limite du fantastique aux questions métaphysiques de chacun. L’île, enfer aux allures de paradis, devenait alors le tombeau de toutes leurs illusions. GUILLAUME TION BRUNO ICHER «Shutter Island», de Martin Scorsese, avec Leonardo Di Caprio. PHOTO PARAMOUNT PICTURES.2008 La série à succès «Lost». PHOTO REUTERS «Stromboli», avec Ingrid Bergman. PHOTO DR À LA FIN T u as éveillé ma mort dans cette île», inscrit sous une sculpture de feuilles le narrateur de l’Invention de Morel. Ce court roman de l’Argentin Adolfo Bioy Casares promène le lecteur dans une île désertée, jalonnée de constructions vides et peuplée de revenants, d’hologrammes. Un monde vide plein d’illusions rappelant celui du jeu vidéo d’exploration Myst. Un cimetière symbolique où l’on vient achever quelque chose, existence, œuvre, sentiment, dans un dernier lieu éloigné de la géographie des vivants. Il y a des îlots de putréfaction. La bien-nommée Ile des morts (1909) de Sergueï Rachmaninov: on y entasse directement les cadavres, après un trajet en barque dans une ambiance de houle musicale bru- meuse ouverte au fantastique, comme le laisse deviner le rocher transformé en tête de mort dans le tableau de Bröcklin qui a inspiré ce poème symphonique. Ou encore l’île San Michele, à Venise, où l’on vient officiellement enterrer les défunts, Stravinsky par exemple. Il y a des îles à l’agonie. Celle de Robinson Crusoé, pris dans le dilemme de la lutte: faut-il survivre? Devant la caméra de Luis Buñuel en 1954, et malgré le caractère flambant d’un Pathécolor saturé dans les jaunes, Robinson a de sévères moments de noirceur, rescapé dépressif hésitant entre un monde à refaire ou une déchéance à accepter. C’est aussi l’île du comte Zaroff, qui fait du rescapé heureux saluant la vie une bête traquée proche de la mort dans le roman de Richard Connell adapté en IV • CINÉMA À L'AFFICHE LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 ÎLOT TRÉSOR A ncienne basketteuse émérite qui a envisagé de faire de ce sport une pratique professionnelle avant de s’orienter vers une formation de photographe, Naomi Kawase, abandonnée enfant à un grandoncle et une grand-tante par ses parents divorcés, a grandi dans la béance de cette origine traumatique. Quand en 1997 à Cannes, elle présente son premier long métrage, Suzaku, à la Quinzaine des réalisateurs, elle a 27 ans et vit encore à Nara chez sa mère adoptive. Celle-ci est morte l’an dernier, et Still the Water a été écrit et réalisé à partir de ce deuil: «Plus la solitude est profonde, plus la tendresse est grande», écrit la cinéaste dans une note d’intention. On ne se rend pas à une interview de Naomi Kawase en se préparant à un flot de paroles et d’autoanalyse de son œuvre, riche aussi bien de fictions (Shara, la Forêt de Mogari…) que de documentaires. La cinéaste est réputée pour son laconisme, sa réserve, une certaine distance que l’exquise politesse nippone permet de ne pas assimiler à de la simple froideur. Dans l’hôtel parisien ce jeudi, il y a d’un côté Catherine Cadou, la traductrice, et de l’autre un jeune homme, Shinji Kitagawa, assistant personnel de la cinéaste, qui lui masse vigoureusement une main pendant que l’on pose des questions. On est prévenu, c’est pour «qu’elle ne s’endorme pas»! En guise d’excitant complémentaire, Kawase sirote une tasse d’eau chaude. Quelles ont été vos sensations quand, pour la première fois, vous êtes allée sur l’île d’Amami? C’était en 2008. Cinq ans auparavant, j’avais appris par la voix de ma grand-mère que mes ancêtres étaient originaires de cet endroit. Le premier jour, je me souviens qu’il pleuvait à torrent, on n’y voyait rien et, avec mes proches, nous nous sommes contentés de poser les bagages et de nous coucher. Mais je me suis réveillée en pleine nuit, et je suis sortie seule, marchant à l’aube dans la lumière incroyable qui baigne le rivage. J’ai croisé un vieil homme qui m’a demandé ce que je faisais là. Peu à peu, j’ai compris qu’il était de ma famille, qu’il avait connu mes arrières-grands-parents et qu’il me trouvait même une ressemblance physique avec eux. Sans ce lien personnel, ancestral, vous n’auriez pas filmé ces lieux? Je n’aurai même pas eu l’idée d’aller à Amami. Pour les vacances, les Japonais vont dans l’archipel d’Okinawa, en particulier à Naha, où il y a toutes les infrastructures modernes. C’est d’ailleurs assez abîmé par l’excès de bétonnage balnéaire. Mais ils ne vont pas sur Amami, dans l’archipel Satsunan où il n’y pas de resorts, pas de magasin ouvert 24 heures sur 24. Le Japonais Naomi Kawase, à Cannes en mai. «J’AI DES PRÉDISPOSITIONS À DEVENIR CHAMANE» Naomi Kawase, auteure de «Still the Water», a découvert qu’elle avait des ancêtres sur les îles d’Amami, où le folklore et les croyances sont encore très prégnants. moyen est vite paumé dans un ritablement le plan de travail à la endroit pareil… fois pour y faire des repérages et Comment travaillez-vous? pour m’imprégner de l’ambiance Je m’isole et je ne parle à per- quotidienne. Les acteurs m’ont sonne le temps nécessaire à la rejoint trois semaines avant la rédaction complète du première prise, et je scénario. Je me mets INTERVIEW leur ai demandé de se «en conserve», comfondre dans la commume on dit au Japon. Pour Still the nauté villageoise, de préparer à Water, j’ai écrit le script en trois manger avec eux, etc. jours. Et, pour la première fois, Vous faites beaucoup de prises? les financements sont venus vrai- Une seule, la plupart du temps. ment intégralement à partir de ce En principe, je prépare bien le document qui était assez détaillé. plateau et puis après je ne donne Après, pour préparer le tournage, pas beaucoup d’indications, les je me suis installée sur l’île deux choses doivent se dérouler le plus mois avant que ne commence vé- naturellement possible. Avec les jeunes acteurs, qui d’un jour sur l’autre perdaient la tension nécessaire à leurs rôles, il m’a fallu parfois faire et refaire parce qu’ils pouvaient arriver le matin avec la fraîcheur d’une page blanche quand je voulais qu’ils soient barbouillés par toutes les émotions de la veille. C’est un film que j’ai tourné dans un état de grâce, je me sentais bien, sûre d’avoir les éléments les plus beaux, les plus justes comme quand on fait la cuisine et que l’on sait que l’on a les meilleurs ingrédients. Au moment du montage, j’avais quatre-vingts heures de rushs de très bonne qualité, et il m’a été difficile de sacrifier des prises ou des séquences que j’aimais beaucoup. Y a-t-il des zones de l’île que vous ne vouliez pas que l’on voie? Non, pas vraiment… en revanche, j’aimais beaucoup une pointe de l’île qu’une chamane m’a déconseillé d’approcher et de filmer : l’endroit était habité par les dieux, et était maléfique, car on y entreposait autrefois les cadavres des défunts pour qu’ils soient dévorés par les oiseaux. Je me suis promenée dans les environs et mon portable est tombé d’une falaise. Qui sont ces chamanes? Et comment le devient-on? Il y en a des dizaines sur l’île, hommes et femmes. On le devient d’un seul coup, on voit des choses qu’on ne voyait pas jusqu’alors. Ils font le lien entre les dieux et les hommes, l’invisible et le visible. Ils ne sont pas méchants, ils ne vous prédisent pas des événements néfastes ou terribles, mais vont vous conseiller d’éviter de faire telle ou telle chose dans les jours à venir s’ils sentent que vous pouvez avoir un accident. Quand on est malade, on va d’abord voir le chamane et, après, on file à l’hôpital si les symptômes ne disparaissent pas. J’ai, moi aussi, des prédispositions à devenir chamane et le cinéma que je fais est, à mon sens, relié à cette aptitude particulière de visions divinatoires. Votre cinéma respire un air qui ne semble jamais vicié par les préoccupations à la mode ou l’injonction à aller toujours plus vite… Je vis toujours à Nara où je suis née et qui est comme une bulle traditionnelle en dehors du temps. Je ne regarde jamais la télévision, je n’utilise quasiment pas Internet, à part pour envoyer des mails de temps en temps. Je lis les journaux papier. Ce qui me rassure, c’est de lire quelque chose d’écrit, d’imprimé, car je trouve que ce que l’on voit passer dans les réseaux n’accroche pas et ne descend pas très profond en vous. Ça passe. Or, moi qui entends créer, il faut que les informations soient assimilées, intégrées, qu’elles pèsent d’un poids sensible pour qu’elles suscitent une émotion durable, fertile. Recueilli par DIDIER PÉRON Photo YANN RABANIER LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 À L'AFFICHE CINÉMA • V «The Tribe» est le fruit d’un long travail de répétition et de préparation pendant six mois avec des acteurs castés au terme de plus d’un an de recherche. PHOTO UFO DISTRIBUTION POUR LA BEAUTÉ DU GESTE UPPERCUT «The Tribe» met en scène un gang de sourdsmuets dans un pensionnat délabré de la banlieue de Kiev. Un premier long métrage perturbant. THE TRIBE de MIROSLAV SLABOSHPYTSKIY avec Grigoriy Fesenko, Yana Novikova, Rosa Babiy… 2h12. «Voilà, c’est fait. On a vu LE film choc de Cannes» (Première), «attention, film choc» (Lui), «Shocking Sign Language Drama» (IndieWire)… On l’aura compris, The Tribe, film ukrainien en langage des signes, a été largement perçu, lors de sa présentation à Cannes dans la section Semaine de la critique, comme le coup de gourdin que le festivalier déjà sonné par des nuits de vodkaRed Bull attendait, ou redou- tait. On peut épiloguer à l’infini sur le choix du cinéaste de ne pas sous-titrer son film alors même qu’il dit qu’il y avait un texte très écrit au scénario et qu’il a été traduit pour être signé à la virgule près par ses acteurs sourds-muets. C’est une décision contestable et qui le reste, mais le film repose aussi en grande partie sur ce postulat de départ. En effet, l’expressivité explosive des acteurs est l’un des motifs fascinants du film, car le récit semble au moins pendant la première heure vraiment jaillir du cœur de l’image. L’analogie avec le cinéma muet ne tient pas vraiment, en fait, car le langage des signes engage le corps dans une incessante formulation presque expressionniste, s’obtient et se détermine dans des joutes viriles et des bastons organisées. Mais Sergueï s’impose et devient caïd à la place du La peinture d’un monde caïd, qui s’est sordide, qui ne s’accomplit fait rouler dessus par un camion que dans une emprise en marche arviolente sur les corps rière (il ne l’a pas jusqu’au viol et au meurtre. entendu venir!). Sergueï fait le celle-là même qui avait mac pour deux filles délurées donné à Pina Bausch l’idée du pensionnat qui écument d’un passage de sa chorégra- un parking routier. Mais Serphie Nelken. gueï tombe amoureux de Joutes viriles. On suit l’ar- l’une d’elles, Anna, et veut la rivée d’un nouvel élève, Ser- sauver. Il paye pour lui faire gueï, dans un pensionnat de l’amour, puis veut l’empêla banlieue de Kiev. Très vite, cher de continuer la prostiil est mis à l’épreuve, tout tution. Mais Anna ne l’en- tend pas ainsi, elle doit continuer pour se payer un passeport et se barrer en Italie. Alcool. Usant régulièrement de la «steadicam» pour accompagner les mouvements incessants des personnages dans les couloirs du pensionnat, les zones où ils s’assemblent pour baiser et écluser de l’alcool, le cinéaste déploie une indéniable maestria dans la conduite de son film. Un long travail de répétition et de préparation pendant six mois avec une escouade d’une vingtaine d’acteurs castés au terme de plus d’un an de recherche, aussi bien en Ukraine qu’en Russie, Bulgarie et Azerbaïdjan. La peinture d’un monde sordide, qui ne peut s’accomplir que dans une emprise violente sur les corps jusqu’au viol et au meurtre, entame la seconde partie du film où la complaisance finit par pointer dans la recherche même du réalisme nihiliste (pénible scène d’avortement dans une cuisine crasseuse). Myroslav Slaboshpytskiy avait déjà réalisé un court métrage, Deafness, avec des sourds-muets, dont ce premier long est en quelque sorte la version étendue. Il a reçu le grand prix de la Semaine de la critique. DIDIER PÉRON JORGE DANS LA JUNGLE CHILI Le combat d’un père et de sa modeste famille harcelés par un ancien petit chef de quartier. TUER UN HOMME d’ALEJANDRO FERNÁNDEZ ALMENDRAS avec Daniel Candia, Alejandra Yáñez, Daniel Antivilo… 1h24. Tremblez, vibrez, c’est inspiré de faits réels : au Chili, Jorge, travailleur forestier à la quarantaine pusillanime, mène avec sa famille une vie d’atonie aux modestes réconforts dans un pavillon banlieusard. Souvent rudoyé par les moqueries d’un voisinage butor et brutal, il finit un soir par faire l’objet d’une agression, racketté par un vague caïd, tel un ado à la sortie du lycée. Des suites juridiques de cet incident – qui enverront le petit despote de pâté de maison passer quelques mois vite purgés en prison– va découler un climat de harcèlement tourné contre sa famille, au bord de l’implosion, guère secourue par l’apathie de l’appareil judiciaro-policier, et ainsi contrainte de vivre sous un régime de constante crainte. Quoiqu’aguerri à une vaste palette de registres d’humiliation, Jorge va alors peu à peu se désengoncer, tant de sa poltronnerie que de son ornière de Jorge (Daniel Candia). ARIZONA DISTR. probité, pour se faire à l’idée d’affronter son tourmenteur. De cette trajectoire sur le fil d’une usure morale et d’une désagrégation des fondements d’un quotidien déjà plombé, le troisième long métrage d’Alejandro Fernández Almendras, grand prix étranger à Sundance et représentant du Chili aux oscars, tisse une intrigue de thriller sans suspense, sinon psychologique –le titre de ce Tuer un homme pointe bien vers quelle extrémité courre l’agitation inquiète de ce petit monde aux teintes nocturnes safranées d’enfer périurbain. A la fois délicate tragédie et étude de caractère un peu raide, le film illustre avec un bonheur inégal la dérive du pauvre Jorge, acculé à se dévider du peu qui le constituait pour accéder à sa dérisoire délivrance. Malgré les sensibles joliesses plastiques qui ornementent la relative monotonie de ses cadres, Tuer un homme s’essouffle alors un brin à scruter le surgissement de la sauvagerie dans le cœur d’un personnage chez qui il peine par ailleurs à enluminer ce qui pouvait bien y faire rempart. JULIEN GESTER VI • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 CINÉMA À L'AFFICHE HAUTDE«CASSE» Dans la casse d’AthisMons (Essonne), pneu qui roule n’amasse pas mousse. PHOTO DR Un documentaire étonnant sur des hommes occupés à trifouiller dans un cimetière de voitures. CHÂSSIS CASSE docu de NADÈGE TREBAL 1h27. Dès le long travelling d’ouverture, il émane de Casse une forme de grâce mâtinée de tendre pudeur que, pour être franc, on n’imaginait guère transparaître dans un tel contexte : énoncé sans article, Casse investit en effet un univers généralement assez masculin, qui s’accorde pourtant ici au féminin à travers le regard de la jeune cinéaste Nadège Trebal. Un cimetière de voitures en libre service où, dans la morne froidure d’un no man’s land de banlieue – AthisMons, un autre monde à tant d’égards socio-économiques à 20 kilomètres de Paris par la route–, des quidams s’en viennent dépecer des carcasses, qui pour récupérer un rétroviseur ou un hayon, qui pour changer une poignée de portière, destinés, devine-t-on, à d’autres véhicules qu’on tentera de rafistoler, faute de mieux. «Une sorte de dédale découvert par hasard, précise la cinéaste, qui m’est apparu dès les premiers instants comme un précipité de beauté et de laideur, très pictural, avec ses découpes et ses transparences. Un univers propice à la rencontre également, mais plutôt dans le registre du flirt, à la fois intense et léger, sachant que celui-ci ne se consommerait, voire consumerait, qu’à travers le film.» Commando. Travaillant sans effraction –inutile par conséquent d’extrapoler une lecture homonymique du titre–, bien qu’en mode commando avec juste un régisseur, deux opérateurs à l’image et un au son, en plus d’elle, Nadège Trebal a ainsi ostensiblement déballé son matériel (caméra sur pied, perche, micro HF) pour recueillir les tranches de vie de cette France d’en bas, occupée à chercher la bonne clé pour démonter un châssis. Des outils et des hommes, en somme, mais parsemés de confiden- sent les voitures et moi qui les répare»–, raconte son bonheur d’être grand-père; mais aussi se remémore le lointain départ de Tunisie, «tellement content de venir en France pour faire une autre vie», avant de découvrir l’injustice sociale, décrite, là encore, avec bien plus de malice que d’acrimonie. «Lors de ces rencontres, précise la cinéaste, la première question venait souvent d’eux: “Qu’est-ce que vous voulez?” Je leur répondais que je ne savais pas. Et le dialogue s’instaurait, ou pas, car j’ai également essuyé beaucoup de refus, notamment auprès des jeunes, qui se montraient plus méfiants, sur la défensive. A l’inverse, ce sont chez les personnes d’origine immigrée que j’ai trouvé le plus de confiance, de fantaisie, peut-être car ils estiment n’avoir rien à perdre.» Fourmis. Voyant une métaphore de la condition humaine dans cette observation d’«acteurs du réel» aux parcours eux-mêmes souvent accidentés, accaparés à démonter des pièces pour les remonter ailleurs, Nadège Trebal confère ainsi à son microcosme lucide de fourmis accroupies, pliées en deux ou encastrées, une assez poignante dignité. Casse ces, comme de silences, pour dire la est le deuxième long métrage docunostalgie, le doute, la fierté ou l’es- mentaire (après Bleu pétrole, sur le poir. monde syndical, en 2012) de cette D’une allée à l’autre, on s’attache de diplômée du pôle scénario de la Féla sorte à Oumar ou Ali – mais aussi mis, admiratrice de Chaplin, Pasoà ce groupe mutique et farouche de lini, Fassbinder et Godard, qui a nojeunes filmés en plan fixe tel un mini tamment déjà collaboré avec Claire Simon (Ça brûle et les Bureaux de «J’ai essuyé beaucoup de refus, Dieu). Sa prochaine notamment auprès des jeunes […]. étape, en cours A l’inverse, ce sont chez les d’écriture : la fiction, qui racontera personnes d’origine immigrée que «l’histoire d’un j’ai trouvé le plus de confiance.» homme contraint de quitter son foyer Nadège Trebal pour chercher du screen test warholien. Le premier, qui travail, entre la France, la Belgique et évoque sans misérabilisme aucun «le l’Allemagne, avec, en suspens, la froid, la pluie et la peur» liés aux con- question suivante : comment peut-on ditions dans lesquelles il est arrivé continuer de s’accomplir quand on ne clandestinement en Europe par la bosse, ni ne baise plus ? Une sorte mer (une véritable Odyssée de Pi, d’épopée que j’aimerais avec ce côté avec requins et dauphins). Le second, à la fois jouissif et inconfortable du yeux plissés, bonnet vissé sur la tête, rodéo». qui blague – «J’ai deux filles qui casGILLES RENAULT VITE VU LES ÂMES NOIRES de FRANCESCO MUNZI (1 h 43) La ’Ndrangheta, mafia des villes, mais surtout mafia des champs. Dans cette adaptation du livre éponyme de Gioacchino Criaco, il y a en miroir le nord urbain de l’Italie, avec sa plaque tournante, Milan. Et il y a, tout au sud, la montagne calabraise, ses chèvres et son patois. Luigi et Rocco sont deux frères qui ont pignon sur rue dans la capitale lombarde, où ils font leurs choux gras de pains de cocaïne planqués parmi les cargaisons d’ananas. Leur troi sième frère, Luciano, campe un berger taiseux dans les ruines d’un village haut perché, qui tente de rester à l’écart de la tentacu laire ’Ndrangheta. Leur doulou À VOUS DE VOIR Leo (Giuseppe Fumo) et son père Luciano (Fabrizio Ferracane). F. CASCIARRI.CALIAS reux héritage commun : un père assassiné par une famille rivale. La fratrie doit se réunir en urgence dans le berceau régional après l’éclosion d’un élément per turbateur : le fils de Luciano, la petite vingtaine. Leo, qui aspire à rejoindre ses oncles plutôt qu’à rester auprès de son vieux père, s’est fait l’auteur d’un règlement de comptes puéril qui n’aura de cesse de bouleverser la concorde toujours précaire entre les gran des familles du milieu. Code d’honneur, mariage arrangé, ven geances… Non sans écumer quel ques clichés du grand banditisme, la campagne profonde du sud de l’Italie se révèle comme le nid de la ’Ndrangheta, emprunt de folk lore, d’amitiés fauxjetons et de regards noirs. Dénué de manié risme et globalement bien joué, le troisième long métrage de Fran cesco Munzi s’en remet au fatum de la tragédie antique, racontant l’inexorable tourbillon de la ven geance qui ne dit jamais par où et comment elle va surgir. Q.D. BODYBUILDER de ROSCHDY ZEM (1 h 44) Un homme retrouve son fils qu’il n’a plus vu depuis une éternité. Et la communication passe très mal entre le premier, adepte renfrogné du bodybuilding aux valeurs rigoureuses, et le second, bon à rien menteur et voleur en manque, entre autres, de repè res affectifs. Pour sa troisième réalisation, Roschdy Zem signe une étude de caractères solide qui fléchit juste au moment du dénouement. Bien soutenu par Vincent Rottiers, Marina Foïs et Nicolas Duvauchelle, le culturiste Yolin François Gauvin (Libéra tion de lundi) tire son épingle du jeu. G.R. L’APÔTRE de CHEYENNE CARRON Akim, jeune musulman appelé à devenir imam, voit son identité boule versée par l’amour du Christ… Au sein de tensions familiales, Akim tente de se faire accepter par les siens. HORNS d’ALEXAN DRE AJA (1 h 59) Soupçonné d’avoir assassiné sa fiancée, Ignatius (Daniel Rad cliff) se réveille un matin avec une paire de cornes magiques sur la tête. Parce qu’en plus, il l’a faite cocu ? LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 L’HISTOIRE ZOOM CINÉMA • VII VU D’AILLEURS HOLLYWOOD : LANCER DE DRONES Les pilotes d’hélicoptère payés par les studios hollywoodiens pour les prises de vue aériennes peuvent commencer à s’inquiéter. En effet, la semaine dernière, la Federal Aviation Administration a délivré une autorisation d’usage des drones à six boîtes de production d’images. Le secrétaire au Transport, Anthony Foxx, a donné une conférence de presse pour dire qu’il ne voyait pas de risques particuliers dans l’utilisation de ces robots volant dans le ciel américain par les studios de cinéma et de télévision. Le site Deadline.com souligne que les drones sont moins dangereux que les hélicoptères (et plus écologiques). Les pontes d’Hollywood voient d’un très bon œil cette possibilité technique d’envoyer le spectateur en l’air. D.P. ÇA COM «Dans cet univers magique, les enfants peuvent également s’adonner à de nombreuses activités et jeux comme la tour de chute libre de 10 mètres de haut Tourlicot, le carrousel la Ronde des MülsMüls et ses drôles d’animaux aux allures de gros pompons blancs qu’ils peuvent chevaucher dans leur cage géante […]. Après toutes ces émotions, les visiteurs peuvent se restaurer au snack Jack’s DELI et se faire plaisir dans la boutique Arthur.» EUROPA PARK Un communiqué de presse envoyé par EuropaCorp, la société de Luc Besson, qui propose de fêter dans la joie et la bonne humeur le passage du cap du million de visiteurs pour l’attraction «Arthur, au royaume des Minimoys» à EuropaPark (à Rust, dans le BadeWurtemberg, en Allemagne). Pour «The Golden Era», 2,2 millions d’euros ont été apportés via le financement participatif. JUPITER WONG.EDKOFILMS LE GOOGLE CHINOIS SE MET AU «CROWDFUNDING» L a Chine populaire s’intéresse au générique ou un poster signé du de plus en plus au financement réalisateur, mais ne s’attendent pas participatif dans le cinéma. Le forcément à un retour financier. En moteur de recherche Baidu est la Chine en revanche, c’est considéré dernière plateforme à offrir aux comme un investissement classique, 618 millions d’internautes du pays très financier, où on se voit garantir un la formule du crowdfunding. Sur le retour proportionnel à la performance modèle de Kickstarter, l’un des du film au box-office», explique Isapremiers sites américains de finan- belle Glachant, une productrice bacement de projets, la plasée à Pékin. Naturelleteforme baptisée Baifa ment donc, ces DE PÉKIN Youxi propose d’investir «investisseurs» se tourdans la promotion de The Golden nent vers les films grand public qui Era, dernier long métrage de la réa- sont à peu près sûrs de rapporter, lisatrice taïwanaise Ann Hui. Les «et non pas vers les films d’auteur», mises commencent à 10 yuans déplore Isabelle Glachant, qui est (1,25 euro), et peuvent rapporter entre autres la productrice du jusqu’à 16% d’intérêts. On pourrait réalisateur d’A l’ouest des rails, se demander a priori pourquoi ces Wang Bing. producteurs ont recours au Le fait que les Bourses chinoises crowdfunding vu que, d’une part, soient en berne et l’immobilier en c’est un film à gros budget et, baisse serait donc tout bénéfice d’autre part, parce qu’il ressemble pour cette industrie qui a démarré fort à un film de propagande com- voilà trois ans. «Dans le cinéma en muniste. Sa sortie est d’ailleurs Chine, il y a déjà beaucoup d’argent, programmée en Chine le 1er octobre, et de l’argent qui n’est pas de la projour de la fête nationale. On touche fession», souligne encore Isabelle ici du doigt l’une des particularités Glachant. Du coup, les sommes ledu système chinois. vées par ce procédé sont importanProcédé. «En Europe ou aux Etats- tes. Dans le cas de The Golden Era, Unis, le crowdfunding est souvent une Baifa Youxi a dépassé les 18 millions forme de mécénat. Les gens qui inves- de yuans, soit environ 2,2 miltissent sont contents d’avoir leur nom lions d’euros, misés par 3 300 in- ternautes. Le financement participatif a pour objectif ici de ne fournir qu’une partie du budget total des productions. C’était le cas pour Tiny Times, premier gros film à succès chinois, à y avoir eu recours en 2013, et c’est aussi le cas pour The Golden Era. L’appel au financement du film d’Ann Hui lancé par Baidu n’est d’ailleurs intervenu qu’une fois le film achevé. Les autres géants de l’Internet chinois viennent aussi de lancer leur plateforme de crowdfunding axée sur le cinéma : le site de vente en ligne Alibaba, avec Yulebao, et Tencent, avec Tencent Movies. Les perspectives de croissance de cette nouvelle forme de production sont prometteuses. «Les montants qui sont levés sont considérables, note Isabelle Glanchant. Cela montre que les gens y croient, et que ça a de l’avenir.» Stratégie. Baidu contrôle par ailleurs deux portails vidéo importants, PPS et iQiyi, et ce lancement de crowdfunding s’inscrit dans une stratégie de production de ses propres contenus et de fidélisation du public. De notre correspondant en Chine PHILIPPE GRANGEREAU CINEMA Quel spectateur êtesvous? Un invité nous répond du tac au tac. SÉANCE TENANTE RICHIE HAWTIN Producteur electro et DJ canadien, il est devenu au milieu des années 80 l’une des figures pionnières de la techno de Detroit. Via son alias Plastikman, son style, dialoguant beaucoup avec l’art contemporain, il a pris désormais une tournure minimaloexpérimentale. PHOTO DR Je ne crois pas que l’on puisse parler de flirt, mais je me rappelle avoir vu les Dents de la mer avec mon père. Nous passions un très bon moment. Lorsqu’un corps sanguinolent à la dérive a traversé l’écran, j’ai poussé un cri et me suis retourné. Et cela a mis un terme à la belle expérience de cinéma et au bon moment partagé avec mon père. w Dans la salle, une place favorite? Un rituel? Au beau milieu de la salle. Le pouvoir des images correctement cadrées, le meilleur son et pas trop de gens entre vous et l’écran. Je vais au cinéma pour être envoûté par l’expérience audiovisuelle. w Avec quel personnage aimeriezvous coucher? La danseuse incarnée par Natalie Portman dans Black Swan. w La séquence qui vous a empêché de dormir (ou de manger)? Le crash d’avion dans les Survivants, de Frank Marshall. Pour des raisons professionnelles évidentes, je prends vraiment très souvent l’avion. Je ne suis pas sûr d’avoir pu regarder la scène jusqu’au bout, et cela m’a hanté longtemps. w Le gag ultime? Dans Monty Python : sacré graal !, quand deux chevaliers s’affrontent et que celui d’entre eux qui perd peu à peu tous ses membres ne cesse de revenir au combat, sans jambes ni bras. La sécheresse de l’humour anglais dans toute sa splendeur. w Le cinéaste dont vous n’oserez jamais dire du mal? David Lynch. Peu importe ce qu’il fait, il vous prendra toujours par surprise. w Le cinéma disparaît à tout jamais. Une épitaphe? «A la prochaine». w La dernière image? Noir profond. Recueilli par JULIEN GESTER aujourd’hui. Mais ce coudage est véniel lorsqu’on lit Barbara Loden (photo) expliquer en 1970 qu’après son fulgurant Wanda, elle a d’autres projets qui sont comme de se marier avec un inconnu. La réalisatrice mourut d’un cancer dix ans plus tard. Et Wanda, seule, demeure. G.L. PHOTO 12. ARCHIVES DU 7E ART FOUNDATION «Une renaissance américaine», de Michel Ciment, Nouveau Monde éditions, 512 pp., 25 euros. TOUJOURS EN SALLES DR Je suis enfant sur une plage du sud de l’Angleterre, et soudain la tête d’un homme, un plongeur, émerge de l’eau. J’avais 6 ans, et je n’avais jamais rien vu de tel auparavant, je ne pouvais donc pas concevoir qu’un homme puisse surgir ainsi de la mer et en sortir en marchant. C’était une image si frappante que je ne l’oublierai jamais. w Dernier film vu ? Avec qui ? C’était comment? Il y a deux jours, j’ai commencé à regarder Under the Skin, de Jonathan Glazer. Malheureusement je ne suis pas allé au bout, car j’étais en vacances avec ma copine et le film ne présentait pas tout à fait l’atmosphère que nous recherchions. w Le film que vos parents vous ont empêché de voir? Porky’s. Je me rappelle avoir dû m’inviter en douce chez un ami pour le regarder car mes parents m’avaient assené que «jamais dans cette maison» ne passerait ce genre de comédie dénudée pour adolescents. w Un rêve qui pourrait être un début de scénario? Tomber du ciel et y survivre. w La bande-son qui vous trotte dans la tête? Je pense très souvent à la partition de Cliff Martinez pour le remake de Solaris par Steven Soderbergh. w Le monstre ou le psychopathe de cinéma dont vous vous sentez le plus proche? Jason, de Vendredi 13. Comme nous tous, en société, il porte un masque. Le fait d’être à la fois Plastikman et Richie Hawtin, et d’exister à travers ces deux personnages différents, sur scène et hors scène, m’y rend d’autant plus sensible. w Le film ou la scène qui a interrompu un flirt avec votre voisin(e)? En rassemblant des entretiens avec 30 cinéas tes américains, Michel Ciment démontre à l’écrit (comme il prouve à l’oral sur France Culture dans Projection privée) que le dialogue n’est pas un sousgenre critique. Son propos est d’instruire le dossier d’une renaissance du cinéma américain lorsque s’effondre le sys tème des studios dans les années 70. Michel Ciment tape un peu fort sur le clou quand il prétend que le phénomène perdure jusqu’à ANNA_MATVEEVA w La première image? ENTRETIENS 30 RÉALISATEURS AMÉRICAINS SE LIVRENT MANDARIN CINÉMA «JASON, DE “VENDREDI 13”, PORTE UN MASQUE COMME NOUS TOUS» YVES SAINT LAURENT de Bertrand Bonello (2 h 30) LEVIATHAN de Andrei Zviaguintsev (2 h 21) MANGE TES MORTS de JeanCharles Hue (1 h 34) … ou la vie d’un homme riche et célèbre à l’instant où son nom propre devient une marque, des initiales. Mais comme aux ateliers de la haute couture, ce prêtàfil mer du biopic n’est qu’une toile prétexte pour bâtir un vêtement nettement plus inédit et s’obsé der de questions secouantes. No tamment celles resurgies d’une Atlantide mentale, sentimentale et artistique, dont le cinéaste (né trop jeune ? Né trop vieux ? En 1968) fut à peine contemporain. Dans un port au bord de la mer de Barents, Kolia et sa famille lut tent contre le maire, Vadim Che leviat, qui a décidé de les expro prier. La procédure judiciaire ne lui donne pas raison, et ce verdict engendre une série d’événements qui vont propulser le plaignant dans une spirale infernale. Le ci néaste russe dépeint une société gangrenée par l’affairisme, l’ini quité et l’alcool dans cette relec ture moderne du sort de Job, le dépossédé biblique. «Malgré des codes sociaux un peu écrasants, les gitans ont réussi à préserver une colonne vertébrale qui leur vient des an ciens et qui les fait se tenir mora lement ou savoir à quoi s’identi fier. Ça, c’est fort. Ils ne doutent pas. Ils ne doutent pas non plus de leur connerie, car il y en a là dedans. Et ça, c’est une force.» Après la BM du seigneur, Jean Charles Hue retrouve le monde viril des Yéniches et leur art si particulier du dérapage contrôlé. TICKET D’ENTRÉES (SOURCE «ÉCRAN TOTAL») Film SAINT LAURENT ELLE L’ADORE AVANT D’ALLER DORMIR LEVIATHAN BRÈVES DE COMPTOIR Semaine 1 1 1 1 1 On ne peut manquer un petit exercice comparatif des perfor mances boxoffice des deux (Yves) Saint Laurent. Celui de Jalil Lespert pointait à l’issue du pre mier weekend d’exploitation à 438100 entrées pour 326 écrans Ecrans 214 308 216 87 248 Entrées 107 225 152 218 85 432 32 761 70 136 (soit une grosse moyenne de 1 344 spectateurs par écran). N’ayant plus que le privilège d’ar river en second, le biopic arty de Bonello fait tout de même un bon démarrage avec rien moins que la meilleure moyenne de la semaine. Entrées/écran 501 494 396 377 283 Cumul 107 225 152 218 85 432 32 761 70 136 L’activisme promo de Mick Jagger, producteur du biopic sur James Brown avec des interviews «exclu sives» à plusieurs journaux, Get On Up n’aura pas réussi à empor ter le morceau. Le film n’a rassem blé que 62 953 sur 350 copies. LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 ECONOMIEXPRESSO LES GENS • 17 +1,33 % / 4 416,24 PTS 3 969 604 730€ +49,73% Les 3 plus fortes ORANGE VEOLIA ENVIRON. AIRBUS GROUP LA PREMIÈRE MINISTRE DU GROENLAND LÂCHE LES RÊNES La Première ministre du Groenland, Aleqa Hammond, a demandé au Parlement d’être suspendue de ses fonctions le temps d’une enquête sur l’utilisation privée de fonds publics. Un rapport d’une commission d’audit parlementaire a révélé vendredi que Hammond avait bénéficié de plus de 14000 euros pour des voyages privés qu’elle a effectués et des hébergements pour sa famille. La sociale démocrate a remboursé la somme en septembre. Ses déboires rappellent ceux de son prédécesseur Kuupik Kleist, qui a annoncé lundi qu’il allait quitter son parti (Ataqatigiit, séparatiste) après avoir admis qu’un permis d’exploration minière avait été accordé à une entreprise ayant des liens avec des membres de la famille de ministres. Hammond était dans l’opposition et avait bro cardé Kleist. Le Groenland, 57000 habitants, a un budget sous perfusion, ali menté par Copenhague. PHOTO KARL PETERSSON. AFP 44,2% C’est le taux de chômage des actifs de 1524 ans en Italie au mois d’août. Un nouveau record depuis 1977. La part des demandeurs d’emploi sur l’ensemble de la population active est en revanche en baisse de 0,3 point par rapport à juillet, soit 12,3%. Sur un an, le taux de chômage affiche une baisse de 0,1 point. Les 3 plus basses RENAULT VALEO ALCATEL-LUCENT 17 114,57 4 513,09 6 622,72 16 173,52 +0,25 % +0,16 % -0,36 % -0,84 % AU RAPPORT Par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL Le chef de mission du FMI pour la Grèce, Rishi Goyal, à Athènes, mardi. PHOTO ARIS MESSINIS. AFP Déflation:leFMIveut desinvestissements AUSTÉRITÉ L’inflation dans les pays de la zone euro est tombée à son plus bas niveau en cinq ans. es plus optimistes diront que, dans l’immédiat, une inflation très basse n’est pas forcément un problème. Ils pourraient même ajouter, comme ils le font depuis des mois, que cela contribue à redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs. Minoritaires hier, ils le seront encore plus demain. L’inflation en zone euro est tombée à son plus bas niveau en cinq ans, alimentant la crainte (ou la certitude) qui tétanise les plus lucides: la zone euro n’a pas dévié du chemin de la déflation. En septembre, les prix n’ont augmenté que de 0,3% sur l’ensemble des 18 pays de la zone euro, après 0,4% le mois précédent, a confirmé mardi Eurostat. Voilà qui devrait relancer les débats sur la nécessité pour la Banque centrale européenne, qui se réunit exceptionnellement à Naples jeudi, de prendre (ou non) des nouvelles mesures pour tenter de ranimer l’activité économique d’une Europe à l’arrêt. Voilà qui devrait aussi remet- L tre en évidence à quel point les politiques d’austérité budgétaires excessives, tout comme les politiques de baisse du coût du travail, n’en finissent pas de plomber la demande intérieure de la zone euro. Au point où, pour certains pays, la déflation n’est pas une simple menace théorique, mais une réalité. C’est le cas de l’Espagne, de l’Italie, de l’Estonie, taux d’intérêt sont bas. Dans un tel contexte, un cercle vicieux s’enclenche aussi pour les entreprises, qui préfèrent baisser leurs prix pour défendre leurs parts de marché. Une dynamique qui conduit les consommateurs à ne pas dépenser aujourd’hui si c’est moins cher demain. D’ordinaire allergique au gonflement de la dépense publique, le Fonds monétaire international (FMI), cons«C’est le bon moment pour du piège donner un coup d’accélérateur cient de la déflasur les infrastructures.» tion, n’a pas hésité à écorLe Fonds monétaire international mardi ner sont de la Slovaquie, du Portugal dogme de l’orthodoxie budou encore de la Grèce. Ces gétaire. «C’est le bon moment pays sont désormais en dé- pour donner un coup d’accéléflation. rateur sur les infrastructures», Avec le minimum vital, de écrivent donc les experts du plus en plus de ménages con- Fonds dans un rapport publié somment toujours moins. mardi. Le FMI va même jusCraignant pour leur avenir, qu’à préciser que ces dépenceux qui ont encore un em- ses seraient plus efficaces si ploi préfèrent mettre de côté. elles étaient financées par de Au cas où… Résultat: les en- la dette publique… A mille treprises, qui tournent déjà lieux de ce qui se fait en zone au ralenti, ont peu de raisons euro. d’investir, même lorsque les VITTORIO DE FILIPPIS L’Insee pointe le rôle des femmes et des seniors sur le marché du travail n instantané de la physionomie du marché du travail sur une année: l’Insee a publié mardi sa «Photographie du marché du travail en 2013» (1). Un rapport qui souligne des reliefs liés à l’évolution de la société et à la progression du chômage. U De plus en plus de personnes actives En 2013, 25,8 millions de Français avaient un travail. Sur 10 personnes en emploi, il y avait un non salarié, deux ouvriers, trois employés, et quatre personnes occupant une profession intermédiaire ou un emploi de cadre. Par rapport à 2012, il y a 110 000 actifs de plus, en majorité des femmes. Depuis 2005 en effet, la progression du nombre d’actives est deux fois plus importante que le nombre d’actifs (+107 000 par année contre +52 000). Et parmi les 22,9 millions de salariés, il y a presque autant de femmes que d’hommes. Le nombre d’actifs de 50 à 64 ans a aussi fortement augmenté depuis 2005, de 1,4 million. Avec le recul de l’âge légal de départ à la retraite, le taux d’activité des plus âgés a progressé de plus de 5 points en quatre ans, passant de 56,5% en 2009 à 61,7% en 2013. Plus d’hommes au chômage Le chômage s’élève à 9,8% de la population active en 2013, en hausse de 0,4 point sur un an. Ainsi, 2,8 millions de Français étaient chômeurs en 2013. Cette dégradation affecte surtout les hommes depuis 2011, leur chômage augmentant de 1,5 point à 10% en 2013. Un taux désormais supérieur à celui observé chez les femmes (9,7%). Les hommes sont aussi plus touchés que les femmes par le chômage de longue durée : 4,1% des actifs sont chômeurs depuis un an ou plus, contre 3,9% des actives. Plus de femmes sousemployées Près de 80% des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Elles sont également surreprésentées (71,7%) parmi les 1,68 million d’actifs «en sous-emploi», autrement dit à temps partiel, mais souhaitant travailler plus et disponibles pour le faire, ou traversant une période de chômage partiel. Au total, en 2013, 18,4% de la population active est à temps partiel et 6,5% en sous-emploi, deux statistiques en hausse de 0,4 point sur un an. • (1) «Insee première», no1516, septembre 2014. DU LUNDI AU VENDREDI À 13.40 EN DIRECT © Nathalie Guyon / FTV LE MAGAZINE DE LA SANTÉ En partenariat avec les jeudis santé de Libération francetélévisions Marina Carrère d’Encausse, Michel Cymes et Benoît Thevenet allodocteurs.fr 18 • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 ECONOMIE Cela montre bien que nous sommes des professionnels de santé responsables. Cette réforme est d’autant plus injuste et incompréhensible.» Les pharmaciens manifestent, mardi à Paris. Environ 10% des officines étaient réquisitionnées pour assurer la garde. Métiersréglementés:«Onsefait massacrerdepuisdeuxans» Les pharmaciens se sont massivement mobilisés mardi aux côtés d’autres professions médicales libérales, contre le projet du gouvernement. Par PHILIPPE BROCHEN Photo VINCENT NGUYEN. RIVA PRESS nade des Invalides. Mais un peu plus tard, une marée blanche déferle sur le Sénat. Sur les pancartes, des sloo u ra i n e - M a - gans : «Ma pharmacie ne cron=la santé po- fermera pas.com», «Déréglegnon.» C’est peu mentation des prix=augmendire que la pilule tation des prix» ou engouvernementale ne passe core:«L’aspirine, c’est pas de pas chez les pharmaciens. Ce la farine, c’est pour l’offimardi, certains manifestent cine». Célia, étudiante en leur colère en région (Lille, quatrième année de pharBordeaux, Lyon, Valence, macie, et sa copine Solène, Nancy, Metz, Besançon, Di- en cinquième année, sont là jon…). D’autres pour «défendre ont rallié Paris REPORTAGE les patients» qui pour réclamer, «ne sont pas des aux côtés des dentistes, des clients». Elles scandent que opticiens, des kinés, méde- «Doliprane, Efferalgan et cins…, l’abandon du projet autre aspirine ne sont pas des qui vise à réformer les pro- produits sans danger». Célia fessions réglementées, prend un exemple: «Dans la quinze jours après les huis- pharmacie où je suis en stage, siers et douze jours après les je connais les gens. Si quelnotaires. Résultat, près qu’un qui fait de l’hypertension de 90% des officines ont leur me demande du paracétamol, rideau baissé. Les autres ? je ne lui donnerai pas la forme Réquisitionnées pour assurer effervescente, car cela peutle service de garde. être dangereux pour ce genre de malade.» PARIS, 10 HEURES. Quelques centaines de blou- 14 H 30. Pharmacien(ne)s et ses s’affichent sur l’espla- préparateur(trice)s ont re- «T joint Bercy et stationnent devant le ministère de l’Economie. Vincent, 30 ans, déboule à vélo. «Je vous promets qu’au quotidien les questions des gens par rapport à ces médicaments que beaucoup estiment sans danger vous feraient changer d’avis», dit ce pharmacien parisien salarié. Qui avance aussi un argument économique pour s’opposer à la déréglementation de certains médicaments : «Le prix de vente des médocs vignettés n’est pas libre, il est fixé par l’Etat et les laboratoires, avance Vincent. Nos marges sont très faibles. Une pharmacie ne peut pas être viable, ou alors très peu rentable si elle ne vend que ça.» Et de pronostiquer: «Si ces médicaments sans ordonnance sont vendus en grande et moyenne surface, des officines vont disparaître, surtout dans les zones rurales. Après les déserts médicaux, il y aura des déserts pharmaceutiques.» Au micro, un orateur: «A la demande de la Sécu, nous avons joué le jeu avec les génériques. REPÈRES PROFESSIONSRÉGLEMENTÉES CELLESQUIGAGNENTLEPLUS Revenu mensuel net médian constaté Greffier de tribunal de commerce Mandataire judiciaire Administrateur judiciaire Notaire 29 177 € 25 723 € 25 719 € 13 284 € Pharmacien biologiste Pharmacien 10 591 € 7 671 € Médecin spécialiste 7 186 € Chirurgien‐dentiste 6 912 € Huissier de justice 6 272 € Médecin généraliste 5 666 € Dirigeant d’une société d'ambulances 4 170 € Vétérinaire 3 899 € Commissaire‐priseur 3 561 € Infirmier libéral 3 536 € Évaluateur des risques et dommages 3 524 € 37 professions Chiffre d’affaires 2010 235,7 Mds d’euros Valeur ajoutée 123,8 Mds d’euros (6,8 % du PIB) Bénéfices 42,7 Mds d’euros (13,2 % du CA*) 3 524 € Emplois 1,1 million de salariés 3 307 € *Chiffres d’affaires Contrôleur technique automobile Masseur kinésithérapeute Avocat 3 271 € Source : IGF 15 HEURES. D’autres professions ont rejoint les pharmaciens. Comme Guy, 49 ans, et Marion, 35 ans, qui possèdent plusieurs magasins d’optique en banlieue parisienne. Leur leitmotiv: «On se fait massacrer depuis deux ans.» Dans leur viseur, les lois Hamon sur la consommation et Le Roux sur la protection sociale. «La première impose aux ophtalmologues d’indiquer l’écart pupillaire sur leurs ordonnances afin de faciliter l’achat de lunettes sur Internet», avance Guy. Quant à Marion, elle peste contre la seconde loi qui «va limiter le remboursement des verres et des montures à 150 euros. Les gens ne les achèteront plus en France et la production sera délocalisée». A quelques mètres, Matthias porte une blouse bleue et un masque chirurgical. Ce dentiste de 38 ans a accouru d’Angers pour dénoncer trois choses suspendues, selon lui, à la réforme des professions réglementées. La première: «Que des capitaux privés pourront entrer dans les cabinets. Ainsi, un dentiste pourra être salarié d’un fonds de pension.» Deuxième grief: «la fin du numerus clausus», soit le nombre plafonné de professionnels autorisés à suivre le cursus universitaire et, partant, à exercer. «Avec l’ouverture de facs privées, les gens vont pouvoir acheter leur diplôme.» Enfin, Matthias dénonce «l’autorisation faite au patient d’aller voir directement un prothésiste au lieu que ce soit le dentiste qui commande la prothèse après l’oscultation et la pose d’un diagnostic». Pour lui, c’est simple: «Le gouvernement va déclencher la guerre entre les deux professions et le patient va pâtir de la qualité des soins tout en payant cette logique commerciale.» 18 HEURES. Le ministère de l’Economie fait savoir que «la concertation est toujours en cours». Si, selon Bercy, «l’objectif» ne change pas –«moderniser ces professions réglementées» –, le cabinet du ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, promet que la volonté n’est pas de «financiariser, déréglementer et américaniser» ces professions. Et juge ces mouvements «à contretemps», car «ils réagissent aux propos tenus en juillet». Et ceux-ci «ne sont plus les mêmes». De quoi tenter de désamorcer le bras de fer ? • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 ANNONCES • 19 EMPLOI - FORMATION ABONNEZ-VOUS [email protected] Contact: Tél: 01 41 04 97 68 à l’offre INTÉGRALE Presse Chaque jour le quotidien, livré chez vous avant 7h30 par porteur spécial* du lundi au vendredi Parcours qualifiants Une formation qualifiante pour maîtriser l'édition des contenus numériques. Chaque samedi Responsable des publications numériques le «quotidien magazine» 64 pages d’information, de réflexion, de découverte et de plaisir. 27 novembre 2014 au 22 mai 2015 7, rue des Petites Écuries Paris 10e Cours du soir Découvrir un métier, des techniques, des pratiques. Du 19 novembre 2014 au 18 février 2015 • Techniques de bases du journalisme • Les outils de la PAO • Correction-relecture • Les outils du graphisme web • Bases de la communication associative 7, rue des Petites Écuries Paris 10e CULtUre Formation scénariste Retrouvez Du 27 oct. au 12 déc. Conventionnée AFDAS Tél : 06.15.36.36.86 www.lespacescenario.com http://emploi.liberation.fr Vidéo pour le web 27 octobre 2014 au 21 novembre 2014 01 53 24 68 68 - www.emi-cfd.com Next, le mensuel Cinéma, musique, mode, arts, design & archi… COUrs D' ArABe Ts niv. Petits groupes Journée, soir, samedi INSC : 06.65.07.75.69 01.42.72.20.88 REPERTOIRE [email protected] Contact: Tél: 01 40 10 51 66 SANS ENT ENGAGEM ÉE DE DUR par mois* au lieu de 48€ À découper et renvoyer sous enveloppe affranchie à Libération, service abonnement, 11 rue Béranger, 75003 Paris Offre réservée aux particuliers, si vous souhaitez vous abonner en tant qu’entreprise merci de nous contacter. Oui, je m’abonne à l’offre intégrale Libération. Mon abonnement intégral comprend la livraison de Libération chaque jour par portage** + tous les suppléments + l’accès permanent aux services numériques payants de Libération.fr + le journal complet sur Iphone et Ipad (formule « web première » incluse). Prénom Adresse Ville @ Je ne m’engage sur aucune durée, je peux stopper mon service à tout moment. Signature obligatoire : Carte bancaire N° Expire le mois année Cryptogramme Date AP0035 les 3 derniers chiffres au dos de votre carte bancaire Règlement par chèque. Je paye en une seule fois par chèque de 276€ pour un an d’abonnement (au lieu de 586,20€, prix au numéro). Vous pouvez aussi vous abonner très simplement sur : http://abo.liberation.fr * Tarif garanti la première année d’abonnement. **Cette offre est valable jusqu’au 31/12/2014 exclusivement pour un nouvel abonnement en France métropolitaine. La livraison du quotidien est assurée par porteur avant 7h30 dans plus de 500 villes, les autres communes sont livrées par voie postale. Les informations recueillies sont destinées au service de votre abonnement et, le cas échéant, à certaines publications partenaires. Si vous ne souhaitez pas recevoir de propositions de ces publications cochez cette case . en partenariat avec IMMO [email protected] Contact: Tél: 01 40 10 51 66 CArnet De DéCOrAtIOn A VOtre serVICe Vente mAIsOn ANTIQUITÉS/BROCANTES EDITION PROVINCE Achète Abonnez-vous Règlement par carte bancaire. 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Jamais une guerre n’a été gagnée par la force aérienne seule, et ceci pour la simple raison que l’aviation, tout en étant porteuse d’un immense potentiel de destruction, est incapable d’occuper un territoire et ainsi de le pacifier. Pour gagner le conflit dans lequel la France est engagée, et donc pour détruire l’EI, ce qui serait le seul objectif cohérent, il faudrait d’engager des troupes au sol, et en nombre considérable: on estime que dix soldats sont nécessaires pour contrer un seul insurgé. Or, la France, tout simplement, ne dispose pas de ces moyens militaires. Faute de pouvoir faire mieux, est-on, alors, obligé de larguer des bombes afin d’«affaiblir» au moins un peu les islamistes ? Pour le savoir, il faut se demander quelles sont les forces et les faiblesses de l’EI, quels sont ses objectifs et sa stratégie, et comment il faudrait par conséquent le combattre. Sans réponse satisfaisante à ces questions, les frappes aériennes ne sont que de la politique spectacle, destinée aux écrans de nos télés. Pire: sans objectif clairement assigné, sans les moyens de l’atteindre, sans avoir défini le prix, matériel et humain, que l’on est prêt à payer et sans stratégie pour terminer le conflit, les résultats de l’intervention ont toutes les chances d’être désastreux. L’EI est dans une situation paradoxale, étant à la base un groupe d’insurgés mais en train de bâtir des structures quasi étatiques que la force aérienne peut certes endommager, voire détruire. Mais il est tout sauf certain que cela affaiblira effectivement l’organisation, et le résultat le plus probable est que les attaques aériennes la contraindront à se réfugier plus encore dans la guérilla et la guerre asymétrique. C’est précisément ce qu’on a vu se passer en Irak après l’invasion américaine de 2003 : une fois l’Etat détruit et le conflit transformé en insurrection, les actions militaires deviennent de plus en plus difficiles. Pour parvenir à ses fins, l’EI a recours aux décapitations spectaculaires. Diffusées en films chocs, l’EI cherche avant tout à se distinguer d’autres groupes islamistes rivaux auprès d’un certain public en quête de radicalité. Mais il y a une deuxième raison pour laquelle l’EI décapite des otages devant des caméras. Il s’agit d’une des stratégies les plus anciennes de la guérilla, bien connue au moins depuis Mao. Le but recherché est de provoquer une réaction, et idéalement une surréaction. Les Viêt-cong ouvraient ainsi le feu depuis des zones habitées afin que les B52 américains bombardent des villages et tuent des civils. Or, les militaires ont appris la leçon depuis la guerre du Vietnam. Il faut alors avoir recours à des actions considérées comme particulièrement infâmes. Par exemple, les insurgés tchétchènes tuent 186 enfants lors d’une prise d’otages dans une école en 2004. Plus l’action est abjecte, plus elle a des chances de provoquer la surréaction recherchée, en l’occurrence aujourd’hui, une intervention militaire occidentale contre l’EI. Outre le fait de causer inévitablement des victimes civiles, cette intervention aura, aux yeux de l’EI, l’inestimable mérite d’appuyer le message que les islamistes veulent envoyer au monde: celle d’une guerre sainte menée par les Occidentaux contre un monde musulman, représenté précisément par l’EI. Le gouvernement français est-il alors tombé dans le piège stratégique tendu par l’EI ? Pourquoi s’est-il lancé dans une guerre que, faute d’y mettre les moyens nécessaires, il ne peut non seulement pas gagner, mais qui aura toutes les chances d’avoir des résultats diamétralement opposés aux buts affichés? C’est la presse internationale qui a avancé l’interprétation la plus classique et la plus évidente: affaibli par des affaires qui n’en finissent plus et au plus bas dans les sondages, l’exécutif français voit là une possibilité de regagner en crédibilité et d’affirmer sa capacité prêter le flanc à la moindre critique. Nous demeurerons derrière le gouvernement et nos troupes», martèle-t-on du côté de l’opposition. Mais il y a pire encore. On semble l’avoir oublié, mais une guerre est une relation entre deux adversaires au moins. Dit autrement, le fait même d’entrer en guerre implique que l’on accepte que l’adversaire ripostera. Un ennemi contre lequel on se bat parce qu’il décapite des otages, comment ripostera-t-il? Précisément en décapitant des otages, comme il vient de le faire. Aussi atroce et répugnant que cela soit, ce n’est pas pour autant une surprise mais la suite néPlutôt que de se battre avec des «sans-dents», cessaire et prévisible d’une décision politique, tout comme les actes terroristes le président de la République peut désormais susceptibles d’être commis désormais. se consacrer, avec l’intervention contre Pour faire face à la terreur et la panique l’Etat islamique, à une tâche bien plus noble: qui s’ensuivra, il faudra alors plus de soldats, plus de police, plus de surveillance. celle de défendre «la dignité humaine contre Sommes-nous d’accord pour que notre la barbarie». Rien que ça. gouvernement nous envoie dans une d’action, son volontarisme, sa détermination. Plutôt guerre qu’il n’a pas la moindre chance de gagner ? que de se battre avec des «sans-dents», le président Une guerre qui a d’autant plus de chances de causer de la République peut désormais se consacrer à une des victimes civiles qu’une des parties est bien détertâche bien plus noble et surtout bien plus rémuné- minée à en faire un enjeu de propagande? Une guerre ratrice : celle de défendre «la dignité humaine contre qui provoquera probablement des attentats sur le sol la barbarie». Rien que ça. français ? Une guerre qui sert déjà de prétexte à renA tous ceux qui, il y a quinze jours encore, reven- forcer les dispositifs sécuritaires et à limiter ainsi diquaient une dissolution de l’Assemblée nationale davantage nos libertés politiques et nos droits démopour faire face à la «crise de régime» actuel, l’exé- cratiques ? cutif peut maintenant clouer le bec en invoquant Dernier ouvrage paru: «le Gouvernement du ciel. Histoire l’«unité nationale». Le langage ne peut que laisser globale des bombardements aériens», éditions les Prairies songeur. «Il faut être résolument solidaire et ne pas ordinaires, 2014. L'ŒIL DE WILLEM LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 Il n’est pas facile d’être arabe Leurs arguments colonne, qu’elle finisse par les traiter semblent, a priori, comme les Etats-Unis avaient traité i r r é c u s a b l e s . leurs Japonais après Pearl Harbor, que Croyants ou in- cela nourrisse, bien sûr, tensions et rescroyants, lorsque sentiments et que se réalise par là des musulmans l’éternel rêve des jihadistes – cette d’Europe rétor- guerre entre l’islam et la chrétienté quent à ceux qui dont Oussama ben Laden, déjà, ne doules pressent de se tait pas que la vraie foi en sortirait gadémarquer des gnante car l’Europe serait trop riche et jihadistes que trop dépravée pour encore savoir comPar BERNARD non, ils n’ont pas battre. GUETTA plus à le faire que Le 11 Septembre n’avait pas d’autre obn’importe quel jectif et que se passerait-il, demain, si autre citoyen, que la République ne peut d’aussi terribles attentats se produipas leur demander à la fois d’être des saient en Europe ? individus, français et uniquement fran- On ne pourrait alors pas exclure que çais sur la scène publique, et de se com- l’Europe devienne aussi folle que les porter en garants moraux d’une sup- Etats-Unis l’étaient devenus après posée communauté à avoir été frappés sur laquelle ils ne sentent leur sol. Il serait presDIPLOMATIQUES pas d’appartenance, que inévitable qu’elle lorsqu’ils s’indignent qu’on les appelle tombe à son tour dans ce piège et c’est à condamner une violence qu’on les là qu’on touche aux limites de ce si soupçonne ainsi d’approuver, on ne compréhensible refus de ces musulpeut que comprendre et respecter cette mans d’Europe, intellectuels de renoms position et le refus qui en découle. ou citoyens anonymes, qui ne veulent On devrait même s’en féliciter car il y a, pas être regardés comme avant tout là, la meilleure des réponses non seule- musulmans. ment au pur et simple racisme mais à On n’aime pas le dire tant c’est injuste également à sa forme tempérée et telle- et même aberrant, tant c’est totalement ment plus répandue qui fait voir un contraire à tous les principes à défenautre dans tout Arabe, différent, insai- dre, mais ils n’ont en réalité pas le sissable et «pas comme nous». choix. Ils ne l’ont plus guère parce que Nous sommes comme vous, disent au les jihadistes s’emploient à les instrucontraire ces musulmans d’Europe qui mentaliser en recrutant des bombes à ne veulent plus être regardés comme retardement dans l’islam d’Europe, une catégorie à part mais, avant tout, parce que des braises couvent, qu’il y a comme français, allemands ou autres. urgence et que c’est un désaveu massif Nous ne voulons pas, protestent-ils, de l’Etat islamique par les musulmans être réduits ou même renvoyés à une d’Europe qui porterait le plus de tort identité religieuse qui n’est, de surcroît, politique à ces illuminés et à leurs pas forcément la nôtre car un musul- recruteurs. man peut tout aussi bien s’éloigner de Il ne s’agit pas d’avoir à se dire démola foi de ses ancêtres qu’un chrétien ou crate alors qu’on l’est. Il ne s’agit pas de un juif. Quand finira-t-on par voir, protester de son innocence alors que demandent-ils en un mot à la commu- l’on n’est coupable de rien. Il s’agit, nauté nationale, que l’intégration mar- plus logiquement, de s’engager dans che malgré ses ratés ; que le bureau de une indispensable bataille politique en poste, l’entreprise, l’hôpital, l’école, disant que ni le colonialisme, ni George l’armée, cette armée française déployée Bush, ni le malheur palestinien, ni contre les jihadistes, en sont depuis la passivité des Etats-Unis devant l’emlongtemps la preuve; que nous sommes ploi d’armes chimiques par le régime d’abord français et que nous le prou- syrien – que rien, absolument rien, ne vons à nouveau en refusant de prendre saurait justifier le massacre des yazidis, quelque position que ce soit en tant les égorgements d’otages, la persécuqu’Arabes ? tion des chrétiens, des chiites et des Ils ont raison. On ne pourrait pas être Kurdes et moins que tout, cette volonté républicain sans les applaudir mais le perverse de provoquer une guerre de problème est que les têtes pensantes de religion que les jihadistes sont seuls à cet Etat islamique, qui n’est pas plus souhaiter. Etat qu’islamique, se sont arrogé le Il demeure difficile, ce débat ne le mondroit de parler au nom de l’islam et de tre que trop, d’être arabe en Europe semer la terreur et la mort en son nom, mais le fait est que ce n’est, que c’est en tant que musulmans qu’ils aujourd’hui, nulle part facile. Ça ne menacent l’Europe des pires flots de l’est pas plus au Maghreb qu’au Prochesang et que leurs mises en scène de Orient car, après des siècles de déclin l’horreur, surtout, n’ont d’autre but et de colonisation ottomane puis euroque d’isoler les musulmans d’Europe. péenne, les mondes arabes s’éveillent Ce que voudrait l’Etat islamique, c’est et se cherchent dans des déchirements que l’Europe commence à voir ses mu- bien trop profonds pour épargner leurs sulmans comme une cinquième pourtant si lointains enfants d’Europe. REBONDS • 21 Afghanistan: entre ingérence étrangère et culture locale Par CLÉMENT THERME Chercheur associé du Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (Cetobac) de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) E n 2001, l’Afghanistan est devenu le premier laboratoire pour le projet d’«exportation de la démocratie» des néoconservateurs américains. Treize ans plus tard, l’incapacité du système politique afghan à organiser, sur le plan administratif, un scrutin à l’échelle nationale, s’est traduite par la désignation d’un nouveau président, Ashraf Ghani, sans publication des résultats. Son concurrent, Abdullah Abdullah, a négocié un poste de numéro deux de l’exécutif sans existence juridique puisque cette fonction n’est pas prévue par la Constitution afghane. Ce choix d’un gouvernement d’union nationale est une condition nécessaire mais pas suffisante pour une amélioration de la situation sécuritaire. Mais l’absence de publication des résultats affaiblit la légitimité de Ghani alors que cette fonction est décisive pour l’avenir du pays en raison du système politique présidentiel centralisé mis en place sous l’influence des Américains après 2001. Il existe deux ensembles de facteurs –internes et externes– qui expliquent les difficultés de la construction d’un Etat afghan dont l’autorité reste affaiblie et le fonctionnement non démocratique. Sur le plan intérieur, l’Afghanistan demeure un Etat failli, incapable de contrôler son territoire et d’organiser efficacement des élections. En outre, la mobilisation des blocs ethniques semble être le principal facteur de succès électoral de Ghani au second tour de l’élection présidentielle. Certains experts ont interprété le résultat du premier tour comme la fin de l’ère des seigneurs de la guerre et de la prégnance du facteur ethnique dans la politique afghane. Cependant, ce facteur joue encore un rôle essentiel dans la mobilisation politique. Les partisans de Ghani considèrent que son succès électoral signifie la «victoire de la majorité» de la population, les Pachtounes, sur la minorité. Il est clair que l’ethnicisation de la politique afghane reste le principal défi pour la stabilité du pays au cours des prochains mois. Abdullah Abdullah a accusé Hamid Karzaï d’avoir orchestré le succès électoral de Ashraf Ghani en raison de leur identité pachtoune. Il y aurait eu, en même temps, un complot britannique pour déstabiliser l’Afghanistan à travers la Commission électorale indépendante; une perspective conspirationniste enracinée dans la longue histoire des interventions étrangères au sein des affaires intérieures de ce pays. Ainsi, elle est l’un des facteurs essentiels qui renforce la popularité de groupes antigouvernementaux, comme les talibans et le réseau Haqqani, basé au Pakistan. Le mécontentement généralisé, avec l’élection présidentielle de 2014, est de nature à affaiblir politiquement le prochain président, qui, tout en restant sur le plan constitutionnel l’homme le plus puissant d’Afghanistan, pourrait souffrir d’un manque de légitimité populaire. Aussi, une partie de la population considère que ce choix résulte de l’intervention diplomatique américaine combinée à un accord à l’intérieur des élites politiques afghanes. Il ne procède donc pas de l’expression de la volonté du peuple. Ainsi, la méfiance entre les citoyens et leurs représentants politiques ne cesse de se creuser. Au-delà de la croyance répandue dans les théories du complot, il convient de mentionner les facteurs externes qui affectent cette élection controversée. Alors qu’une partie de la population juge l’intervention étrangère indispensable pour la stabilisation du pays, d’autres mettent en évidence les coûts élevés que l’Afghanistan paie pour sa dépendance à l’égard des aides étrangères et de la présence des forces armées étrangères sur son territoire. Le point de vue positif sur l’influence étrangère se fonde sur la conviction selon laquelle les acteurs nationaux sont incapables de résoudre de manière pacifique les querelles politiques internes incessantes depuis le second tour de l’élection. Lorsque John Kerry s’est rendu en Afghanistan en août, sa médiation a été perçue comme un moyen d’éviter une «explosion» (monfajer) politique et ethnique à l’intérieur du pays. Au contraire, ceux qui ont une opinion négative concernant l’influence étrangère insistent sur ses conséquences tragiques, parmi lesquelles on peut mentionner le manque de légitimité des institutions afghanes et les victimes collatérales des opérations militaires conduites par l’Otan. Dans l’histoire du pays, le soutien de l’étranger a coûté la vie à un certain nombre de dirigeants afghans, comme le roi Shah Shuja Durrani, qui a été assassiné, en 1842, parce qu’il a été placé sur le trône par les Britanniques. Le président sortant Karzaï a opéré un revirement politique, dans la dernière année de sa présidence, pour éviter un destin similaire. Les élites politiques afghanes dénoncent aussi les interférences des principales puissances régionales, le Pakistan et l’Iran. Les deux candidats à la présidentielle s’accusent mutuellement d’être liés avec un puissant voisin: Ghani (un Pachtoune) est censé être proche du Pakistan alors que Abdullah (un Tadjik) de l’Iran. Malgré l’influence des deux puissances régionales en Afghanistan, leurs intérêts respectifs demeurent articulés autour de la dimension sécuritaire et non sur des projets politiques hégémoniques. Après l’élection d’un nouveau président, l’Afghanistan doit faire face à de nombreux défis qui vont bien au-delà des maux bien connus que sont la corruption et le népotisme. Outre un processus de décentralisation indispensable à l’amélioration de la vie quotidienne du peuple afghan, Ghani devra rapidement asseoir sa légitimité politique face à la menace d’un creusement des fractures sociales et ethniques qui pourrait compromettre la stabilité du pays. 22 • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 REBONDS Chrétiens d’Orient, les nouveaux hérétiques Par MARIE DE VARNEY Ecrivaine L es représentants de l’islam de France se sont unis à la Grande Mosquée de Paris, la semaine dernière, lors de nombreux appels rendus publics, pour dénoncer les exactions commises en Irak par les jihadistes de l’Etat islamique (EI) à l’encontre notamment des chrétiens, chassés par les «combattants» d’Abou Bakr al-Baghdadi. «Des barbares sont en train de perpétrer les pires crimes contre l’humanité… en instrumentalisant l’islam comme étendard.» Les musulmans ont beau ne trouver aucune excuse à l’Etat islamique autoproclamé, s’en désolidariser avec la plus grande vigueur, reconnaître les souffrances infligées aux chrétiens d’Orient, et surtout dénoncer l’utilisation politique, criminelle de l’islam, leurs propos sans ambiguïté restent un murmure dans le désert. Nul n’ignore plus que le berceau du christianisme est devenu son propre linceul mais qui Ainsi, survint non pas «le choc des civilisations» voulu par les conservateurs américains, mais le choc des fondamentalismes. n’enferme pas les chrétiens d’Orient dans un gigantesque malentendu? Ils se défendent de figurer comme des reliques exotiques ou les complices de l’Occident. Non, ils ne sont pas les reliquats des missionnaires occidentaux mais les chrétiens originels. Pris entre le marteau jihadiste et l’enclume occidentale, ils nous rappellent, en toute discrétion, nos fondamentaux. Mais ils savent aussi qu’ils sont les victimes directes, puis collatérales, des guerres américaines contre l’Irak dont ils ont pourtant connu, côte à côte avec les musulmans, toutes les douleurs. Ils ne cessent de rappeler –en pure perte– qu’ils n’ont pas été épargnés par les bombes que Bush père et fils faisaient pleuvoir au nom d’une mission chrétienne et démocratique, civilisatrice, mais surtout au profit d’une société d’armes (1) qui a rendu George Walker Bush milliardaire. Symboles et révélateurs de la grille de lecture manichéenne, binaire, que les intégrismes nous imposent, ils refusent d’être jugés soit comme les gentils représentants d’un Occident ensommeillé persécutés par les barbares orientaux, soit comme les descendants et acolytes de l’Occident qui tue les musulmans du haut du ciel. A l’époque où toutes les confessions souffraient ensemble de Saddam Hussein, où les chiites épousaient des sunnites sans s’en enquérir et vice versa, où les Irakiens, las de la dictature, se réfugiaient dans les valeurs occidentales au point d’espérer un Irak «européen», à l’époque où le «vivre ensemble» n’était pas un combat, où l’Orient et l’Occident tissaient des passerelles plus ou moins visibles, où la porosité entre les deux cultures (y compris culinaires) était patente, où l’Orient nous était si proche que nous l’intitulions comme tel, probablement trop proche au gré du gouvernement américain d’alors, Bush junior soutenu par ses conseillers fondamentalistes bouchèrent l’horizon et remirent en vigueur la théorie calamiteuse, ignorante, erronée du «choc des civilisations» pour justifier son désir de toute puissance dans la région. Pour sans doute aussi supplanter la Grande-Bretagne, ancien colon de l’Irak, objet de toutes les convoitises, pays riche non seulement de pétrole mais d’eau et d’histoire. Pour évincer l’Europe (et surtout la France) avec laquelle l’Irak «échangeait». Tout en riant de la «Vieille Europe» impérialiste, ils brûlèrent d’étendre leur empire en prenant l’Irak pour leur fief. Ils affichèrent les thèses de Samuel Phillips Huntington (2) et de Bernard Lewis (3) ; ils répandirent ce complexe de supériorité déguisé, cette norme raciste qui consiste à simuler de faire le bien des autres pour mieux les dépouiller. Ils imposèrent l’image d’un Occident chrétien homogène, démocrate, civilisé, aux prises avec un Orient musulman, déconstruit, arriéré. Ils pensèrent diviser pour mieux régner. Ils divisèrent sans régner. Officiellement, l’Irak n’était plus laïque mais éclaté entre sunnites «fervents» de Saddam Hussein et chiites qui le combattaient. Ne demeurèrent que le chaos et la confusion des valeurs, les promesses trahies, les rancœurs et l’intolérance. Les islamistes reprirent à leur compte ces assertions ridicules pour les retourner contre l’Occident et entreprirent de faire de l’Orient une entité sous la bannière exclusive d’un islam que les musulmans ne reconnaissent pas, fanatique, équivalent de l’Inquisition catholique. Ainsi, les chrétiens devinrent les catalyseurs et les victimes (4) de cette stratégie du pire où la religion sort de l’espace privé pour être dévoyée. Et devient un instrument de scission et de conquête au service d’intérêts géopolitiques. Ainsi, survint non pas «le choc des civilisations» voulu par les conservateurs américains, mais le choc des fondamentalismes. Ainsi, s’esquisse une étape décisive dans le grand schisme à venir entre un Occident chrétien mais qui l’a en partie oublié, belliqueux, et un Orient écorché, révolté, devenu offensif, qui massacre au nom d’un islam défiguré. Cette minorité confidentielle, survivante, déjà virtuelle dans certains pays comme la Turquie où elle ne représente que 0,1% de la population contre 30% au siècle dernier, d’aucuns voudraient la voir dissoute. Ou plutôt rayée de la carte puisque les jihadistes interdisent même le droit de partir en brûlant les papiers d’identité tamponnés par l’Eglise (5). Et que cet effacement s’assortisse d’une réécriture de l’histoire. Les intégristes voudraient faire des chrétiens des proscrits sur leurs terres, des exilés intérieurs, alors qu’ils ne cessent de clamer qu’ils font partie intégrante du tissu social. Ils sont nés en Orient comme leurs ancêtres, ils sont sûrs d’avoir toujours été là, et même d’être les premiers. Ils n’entendent pas être les derniers. Que nous les laissions disparaître signifierait que Bush et ses fondamentalistes ont obtenu gain de cause (et non pas qu’ils ont eu raison). Les islamistes s’appuient sur les exactions et mensonges américains difficilement justifiables (et c’est un euphémisme) pour enchérir sur les crimes décriés. Et pour légitimer leurs forfaits, ils les diffament, les traitent en responsables du chaos à force de cahots, et/ou en descendants des Croisés «sanguinaires». Ils les désignent à la vindicte publique. Les condamnent à demeurer d’éternels errants, à choisir entre la conversion et le cercueil après les avoir volés. Les assassinent. Le dictateur syrien s’est, d’ailleurs, essayé à une tactique similaire avec un succès mitigé. Il leur a distribué des fusils pour les «protéger» et qu’ils se «protègent» de leurs voisins musulmans. Les chrétiens ont préféré fuir plutôt que d’accepter ce chantage. Accusés d’avoir bénéficié de «privilèges» au temps de Saddam Hussein entre autres, alors qu’il semait la terreur même parmi les sunnites, (surtout juste avant sa capture), ils ont tout subi : le statut de bouc émissaire et la maltraitance sociale qui s’ensuit, les discriminations au présent perpétuel, le rôle de victime expiatoire pour les fautes de l’Occident, d’agneau sacrificiel assez discourtois pour vouloir se dérober à cet emploi de traître et de défouloir. Les chrétiens ont rappelé que plusieurs archevêques avaient tenté de dissuader l’Amérique de lancer ses missiles contre l’Irak. Qu’ils avaient longuement expliqué que Saddam Hussein dont ils désapprouvaient la dictature, ne serait pas seul à en pâtir mais une population tout entière. Que les gouvernants américains ne pouvaient condamner des êtres à naître dans la guerre. Ils n’avaient pas été entendus. Pas plus que ces chrétiens de bonne foi et de bonne mémoire ne le sont à présent. D’érémitiques ils sont devenus des hérétiques. Les uns magnifient leur cassure, embellissent une existence en marge transformée en calvaire, prennent leur «martyre» comme un épisode méconnu de la chanson de geste chrétienne. D’autres, plus nombreux, sont las de courir d’un provisoire à l’autre, d’un leurre à un autre. Car Mossoul ou Al-Quosh étaient vantés aussi par les autorités kurdes comme le dernier asile, l’ancre de tous les espoirs lorsqu’ils fuyaient Bagdad. Pour ces égarés dans un monde de fous, il est impossible de garder une «énergie calme» à l’ivresse de la vengeance armée. Ils ne peuvent plus croire en une nouvelle épreuve voulue par Dieu. (1) En 1997, le fonds d’investissement Carlyle, dont Bush est l’un des «investisseurs et conseillers», acquiert la société United Defense, gros fournisseur de l’armée américaine. (2) «The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order» (1996). (3) «Que s’estil passé? L’Islam, l’Occident et la Modernité» (2002). (4) Mais pas les seuls, les yézidis dont la croyance emprunte autant à l’islam qu’au christianisme connaissent le même sort. (5) Sésames qui permettent aux chrétiens de se présenter dans un bureau de l’ONU d’un pays voisin pour lancer une procédure d’asile. FORUM LIBERATION LES 24 ET 25 OCTOBRE MULHOUSE C’EST VOUS! 2 JOURS DE DÉBATS POUR CONSTRUIRE LA VILLE DE DEMAIN A la Filature Entrée gratuite Inscriptions sur www.liberation.fr/evenements et www.mulhouse.fr Démocratie Ouverte Scène nationale - Mulhouse jeu 01:LIBE09 30/09/14 15:16 Page1 LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 Libération est une publication du Groupe PMP Directeur général Pierre Fraidenraich Directrice Marketing et Développement Valérie bruschini Cogérants Laurent Joffrin François Moulias Directeur opérationnel Pierre Fraidenraich Directeur de la publication et de la rédaction Laurent Joffrin Directeur en charge des Editions Johan Hufnagel Directeurs adjoints de la rédaction Stéphanie aubert Eric Decouty François Sergent alexandra Schwartzbrod Directrice adjointe de la rédaction, chargée des n° spéciaux béatrice Vallaeys rédacteurs en chef Christophe boulard (tech.) olivier Costemalle (éditions électroniques) Gérard Lefort Fabrice rousselot Directeurs artistiques alain blaise Martin Le Chevallier rédacteurs en chef adjoints Libération www.liberation.fr 11, rue béranger 75154 Paris cedex 03 tél. : 01 42 76 17 89 Edité par la SarL Libération SarL au capital de 15 560 250 €. 11, rue béranger, 75003 Paris rCS Paris : 382.028.199 Durée : 50 ans à compter du 3 juin 1991. associés: Sa investissements Presse au capital de 18 098 355 € et Presse Media Participations SaS au capital de 2 532 €. bayon (culture) Michelbecquembois(édition) Jacky Durand (société) Matthieu Ecoiffier (pol.) 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Ciel variable ailleurs avec nuages bas ou brouillards matinaux tandis qu'en Manche une perturbation apporte de la pluie. 4 9 3 7 6 7 4 6 8 5 4 9 7 Lille 0,3 m/17º Caen Paris 8 7 6 5 3 7 3 1 2 P P S A T T Orléans 8 4 3 U P B Limoges 0,3 m/21º B Lyon Bordeaux B S E T 6 Dijon Nantes P O 5 5 SUDOKU E O 3 T Strasbourg Brest U 8 8 6 MOT CARRÉ S E Q B 2 L’APRÈS-MIDI Maintien d'un temps instable et orageux dans le sud-est. Faible risque d'averses sur les autres régions de France. Plus sec vers les côtes de la Manche. 0,3 m/18º 0,6 m/17º SUDOKU FACILE B O Q S 0,6 m/22º Toulouse Nice Montpellier Marseille A 9 A 0,6 m/24° 2 5 3 4 8 9 7 1 O B S A E L P N R 1 3 4 9 6 7 5 8 2 R E N B P S L O A 8 9 7 1 5 2 6 3 4 A N O R B E S 4 7 1 8 3 5 2 6 9 B S E R L P O A N 3 5 6 2 7 9 1 4 8 A P O S N E R B L 2 8 9 6 1 4 7 5 3 N R L O B A E S P 5 1 8 4 2 6 3 9 7 E N R P A B S L O 9 6 2 7 8 3 4 1 5 L O P E S N A R B 7 4 3 5 9 1 8 2 6 S A B L R O N P E L Ajaccio 0,3 m/21º MOT CARRÉ 6 P • JEUXMETEO FRANCE La France, le Titanic ou Queen Mary 2. N’attendez pas pour défendre la liberté de la presse Achetez l’album MIN/MAX 11/21 12/21 15/20 13/19 13/23 18/23 13/20 Lille Caen Brest Nantes Paris Nice Strasbourg FRANCE MIN/MAX SÉLECTION MIN/MAX 13/20 15/23 13/26 19/25 15/26 17/27 17/27 Dijon Lyon Bordeaux Ajaccio Toulouse Montpellier Marseille JEUDI VENDREDI Une perturbation longe les côtes de la Manche avec beaucoup de nuages et de rares goues de pluie. Risque d'averses entre la Côte d'Azur et la Corse. L'anticyclone se renforce et garantit un temps sec et ensoleillé sur la majeure partie du pays. Des orages éclatent en fin de journée vers la Côte d'Azur et la Corse. 0,3 m/18º 0,3 m/18º Lille 0,1 m/17º Lille 0,1 m/17º Caen Caen Paris Paris Strasbourg Brest Orléans Dijon Nantes Dijon Nantes 0,6 m/21º 0,6 m/21º Lyon Lyon Bordeaux IP 04 91 27 01 16 Bordeaux 9,90€ Strasbourg Brest Orléans Sortie le 11 septembre En kiosques et librairies 23/30 11/22 16/29 15/22 13/21 14/27 14/22 Alger Bruxelles Jérusalem Londres Berlin Madrid New York 0,6 m/22º Toulouse Nice Montpellier 0,3 m/22º Toulouse Marseille Marseille 0,3 m/21º 0,3 m/21º Soleil Éclaircies Nuageux Couvert Averses Pluie Orage Neige -10°/0° 1°/5° 6°/10° Nice Montpellier 11°/15° 16°/20° 21°/25° Faible Modéré Fort 26°/30° 31°/35° Calme Peu agitée Agitée 36°/40° 23 24 • CULTURE Lisa Simone le 26 septembre à Paris. VOIX Lisa, la fille de Nina, sort un premier album personnel et soul, «All Is Well». Envergure Simone Par DOMINIQUE QUEILLÉ Photo JÉRÔME BONNET L a fille de Nina Simone s’ignorait. Jusqu’à réaliser enfin son premier album personnel. Après bien des méandres, All Is Well («Tout est bien») résonne non seulement de ce timbre puissant et soul mais révèle aussi la personnalité épanouie et généreuse de Lisa Simone, fille unique de l’icône jazz écorchée, en lutte contre les préjugés raciaux aux Etats-Unis dans les années 60, et dont l’empreinte musicale est indélébile. Tout comme celle d’une vie tourmentée dont Lisa soustrait enfin le poids, en paix, sa quête aboutie. La chanteuse, qui s’était concentrée dans un premier temps sur le répertoire de sa mère après avoir occupé les scènes des comédies musicales de Broadway, a terminé en cinq jours de studio (lire ci-contre) le premier disque sous son nom. «Ce disque est le fruit d’une longue maturation. Il a mis des années pour naître. Je me rends compte aujourd’hui, LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 alors que l’objet s’est enfin matérialisé avec mes chansons personnelles, que je n’étais pas prête auparavant pour partager mes histoires, mes sentiments, ma vie», confie Lisa Simone. Née Lisa Stroud en 1962 (quatre ans après My Baby Just Cares for Me), la chanteuse n’a pas suivi d’emblée ce chemin vocal qui aurait pu sembler tout tracé. Elle se destinait plutôt à une carrière d’avocate, mais c’est dans l’US Air Force qu’elle passera (sans conviction) onze années de sa vie avant de céder enfin à l’appel du chant. «J’ai décidé de faire de ma voix un métier à l’âge de 28 ans, quand j’étais encore militaire en Allemagne, dit-elle, avec un seul souhait : exprimer sur scène une énergie positive en osmose avec ma propre vie. Car si vous n’avez jamais connu la détresse, vous ne pouvez pas savoir ce que c’est, vous ne pouvez pas non plus aider les autres à en sortir. Aujourd’hui, ces stigmates sont derrière moi, ma relation avec le passé ne me fait plus souffrir.» En témoigne la chanson-titre de l’album, All Is Well: «Je l’ai écrite il y a des années à une époque difficile, en ayant l’intime conviction que ce ne serait que temporaire. C’est devenu pour moi un principe de vie. J’ai appris à ne plus subir.» Child in Me, que Lisa a écrit pour sa mère il y a plus de vingt ans, exprime la douleur de l’absence, les moments comme les mots manqués: «Aujourd’hui, je n’ai plus de colère, j’ai réussi à dépasser cette amertume pour la changer en quelque chose de positif.» All Is Well est un album jazz, blues, gospel, folk, r’n’b, avec une seule reprise de Nina Simone (Ain’t Got No I Got Life) : «Ce sont toutes mes influences, mes racines, ce que j’ai toujours écouté. De cela, je fais ma propre recette pour atteindre ce que j’appelle la soul music.» A ses côtés, originaire du Sénégal et présent sur tous les fronts de la musique noire depuis son arrivée à Paris en 1998, le guitariste Hervé Samb (il est aussi directeur musical), dont le jeu de cordes a déjà fort séduit (David Murray, Me’shell Ndegeocello, Jacques SchwarzBart…). Autre soutien à l’héritage africain, Sonny Troupé, batteur originaire de la Guadeloupe, fait la paire rythmique idoine avec le bassiste newyorkais Reggie Washington. TATOUAGE. Lisa Simone pratique la méditation et c’est inscrit sur son dos. Pour la séance photo de la couverture de l’album, chez le photographe Frank Loriou, elle débarque à Paris en train (de Marseille) avec «une valise énorme». Au moment de l’essayage, l’attachée de presse, Muriel Vandenbossche, aperçoit l’amorce d’un dessin sur sa peau et cherche à en (sa)voir davantage. Lisa dévoile alors un tatouage qui serpente du creux de ses reins jusqu’à la pointe de la nuque, un symbole de ses croyances et de sa spiritualité. L’illustration pour la pochette de l’album s’impose d’elle-même : «C’est tout simplement moi», consent Lisa. «Chacun des signes a sa propre couleur, cinq au total, et correspond à un mantra sonore qui se traduit par une vibration vocale. La méditation, que je pratique depuis 2011, a changé mon approche de la vie.» Bringuebalée toute son enfance et son adolescence, Lisa grandit à l’ombre des dépressions successives de sa mère. A sa naissance, Nina Simone a 29 ans et s’absente souvent pour partir en tournée avec son mari, Andrew Stroud, qui est aussi son manager. C’est sa tante, Betty Shabbazz, veuve de Malcolm X, qui s’en occupe. Plus d’une douzaine de filles au pair se succéderont rien que pendant les sept premières années de sa vie. Ses parents se séparent lorsqu’elle a 8 ans. Lisa est alors envoyée chez la sœur de Nina en Caroline du Nord. Sa mère la récupérera un an plus tard. Après un court épisode new-yorkais, elle est de nouveau confiée à des amis de la famille dans le Massachusetts. Puis Nina décide de partir pour la Barbade avec sa fille. Une longue période d’une vie erratique s’ouvre. Instabilités et déménagements successifs entrecoupés de quelques brefs répits paisibles s’enchaînent. Le Japon en tournée avec une mère déprimée, mauvais souvenir. Le Liberia durant deux ans, où Nina décide de s’installer avec son amie Miriam Makeba, dont elle a fait la connaissance lors d’une tournée à Conakry, en Guinée. LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 CULTURE Lisa n’a que 12 ans quand elle conduit seule la Pontiac familiale pour aller faire des courses. Puis ce sera la Suisse. Sans, puis avec sa mère. Et retour aux Etats-Unis. BASE MILITAIRE. A 18 ans, pour être enfin autonome, elle décide d’intégrer l’US Air Force. Nina Simone désapprouve ce choix, comme elle réprouvera, dans un premier temps, la volonté de sa fille à vivre de la musique. Affectée dans l’ingénierie, elle restera cinq ans sur la base militaire de Francfort, en Allemagne. Premier déclic dans un club où elle rejoint le pianiste qui joue «terrible». La rumeur va bon train. Et elle finit par décrocher son premier contrat de choriste. En alternance. Mais son choix est fait. Elle rend son uniforme en 1993 pour partir en tournée avec le chanteur espagnol Raphaël Martos. La suite passe par les clubs de Los Angeles sous le pseudo L’Simone, puis par le music-hall à Broadway. Et le show à succès Rent, sous l’œil enfin approbateur de sa mère. Le 24 juillet 1999, à Dublin, Lisa monte pour la première fois sur scène à ses côtés. Elles interprètent ensemble Compensation. Nina Simone s’éteint en 2003 dans sa maison du Sud de la France. Lisa lui rendra hommage avec l’album Simone on Simone, dont la tournée mondiale, Sing the Truth, débute en mai 2009 avec Dianne Reeves, Lizz Wright et Angélique Kidjo. Epoque et contexte ont changé. Cette profonde blessure de celle qui voulait être la première pianiste classique noire, et que l’on refusa au Curtis Institute de Philadelphie à cause de sa couleur de peau, Lisa, sa fille, l’a commuée en espoir. Pour devenir Lisa et Simone à la fois. • LISA SIMONE CD: ALL IS WELL (Laborie/Abeille Musique). En concert, ce mercredi à l’Arsenal, Metz (57) puis en tournée (Paris, le 19 novembre). • 25 Lisa Simone a choisi d’enregistrer son album dans le Limousin, dans un site idyllique complètement dévolu à la musique. Laborie Jazz, label à faire L isa Simone a récemment choisi de s’installer en France pour y travailler. Et sa rencontre avec le label Laborie Jazz n’y est pas étrangère. Séduite par les qualités d’accueil et la beauté du lieu qu’elle appelle «le château», elle décide donc de changer d’air, après ses échanges avec Jean-Michel Leygonie, directeur artistique de Laborie Jazz, et l’équipe du site culturel situé à Solignac, dans le Limousin, dédié à la musique et aux arts du son, pour y enregistrer son album. C’est grâce à son manager français Boris Jourdain, qui connaît la démarche du label ainsi que sa capacité d’écoute et d’accompagnement réservé à ses artistes, que Lisa Simone découvre avec son mari ce havre propice à la création. «Nature». «La notion de temps, même si elle est toujours contrainte, explique Jean-Michel Leygonie, prend une dimension nouvelle pour l’artiste qui travaille dans ce cadre environnemental exceptionnel. C’est un lieu d’inspiration.» Mais qu’abrite ce château et son jardin des sons en pleine nature ? Ce site dévolu à la musique bénéficie de toute l’infrastructure nécessaire à l’accueil des artistes – soit un studio d’enregistrement (ouvert en 2008), des gîtes pour les musiciens ainsi que des salles de répétition. Si tités: classique et jazz. Dans un premier temps, Jean-Michel Leygonie s’axe sur la jeune scène française. La signature et le développement de carrière d’artistes tels que le pianiste Yaron Herman, la batteuse Anne Paceo et le saxophoniste Emile Parisien (Victoires du jazz 2014) apportent en quelques années au label un positionnement au niveau «La notion de temps, même national. «Le si elle est toujours contrainte, travail d’équipe prend une dimension nouvelle mené avec les agences de boodans ce cadre exceptionnel.» king pour les JeanMichel Leygonie directeur artistique tournées a aussi le site acquis en 1996 n’avait permis au label une plus large repas pour vocation première de connaissance, grâce à une prédevenir un tel lieu de produc- sence accrue sur les scènes frantion, il a pris de l’ampleur au çaises et européennes, à travers fur et à mesure de ses investis- d’importants festivals», précise sements, jusqu’à devenir cet Jean-Michel Leygonie. outil autonome avec des espa- D’autres facteurs encore lui ces dédiés. ont fait pousser les ailes, En 2006, le Centre culturel de comme le fait de s’associer rencontres Laborie en Limou- avec des sociétés de distribusin décide de créer un label tion à rayonnement internadiscographique avec deux en- tional : Naïve dans un premier temps (2006-2010) puis Abeille Musique. Rythme. Si la démarche semble plutôt atypique, dans la conjoncture délicate actuelle, Laborie Jazz, qui compte une trentaine de références (Shai Maestro, Daniel Humair, Ray Lema…), ne faiblit pas et s’impose un rythme de 5 à 7 productions annuelles. «Nous souhaitons maintenir ce degré d’activité, explique Jean-Michel Leygonie, avec des artistes déjà présents tels Murat Öztürk, Paul Lay ou Perrine Mansuy, mais aussi accentuer le levier en région, notamment avec Sébastien Frage et l’Occidentale de fanfare. Nous voulons afficher une nouvelle position à l’international, comme c’est le cas avec la signature de Lisa Simone, mais aussi avec le pianiste Carlos Maza, qui fait son grand retour avec une œuvre autour de 24 préludes, ou encore Pascal Schumacher, le meilleur vibraphoniste européen qui quitte le label allemand Enja.» D.Q. & Alias présentent DU 11 AU 18 NOVEMBRE 2014 Licence 2 : 2-1039198 / Licence 3 : 3-1063811 PARIS ◊ LONDRES ◊ NANTES ◊ STRASBOURG LYON ◊ TOURCOING ◊ TOULOUSE ◊ LILLE visuel Emmanuel Romeuf DAMON ALBARN LYKKE LI THE SHOES BRODINSKI THE JESUS AND MARY CHAIN ÁSGEIR CASSIUS PALMA VIOLETS BAXTER DURY MOODOÏD ROYAL BLOOD PARQUET COURTS CLAPTONE CHET FAKER FRÀNÇOIS AND THE ATLAS MOUNTAINS BAD BREEDING BENJAMIN BOOKER EAGULLS BIPOLAR SUNSHINE TORB ISAAC DELUSION NICK MULVEY VAULTS THE BOHICAS PETIT FANTÔME OCEAÁN WOLF ALICE CIRCA WAVES MPA SHITRO MYD CLOUD BOAT THE ORWELLS ROSIE LOWE THE ACID SEINABO SEY TELEGRAM WOMAN’S HOUR GLASS ANIMALS NIMMO AND THE GAUNTLETTS DJ SLOW IBEYI SYNAPSON dOP THE MEKANISM RICHY AHMED Infos, billetterie et programmation sur lesinrocks.com. Locations sur lesinrocks.com, Fnac, Fnac.com, Carrefour et sur l’appli Tick&Live festival_Inrocks_LIBERATION_248x163.indd 1 18/09/2014 11:29 26 • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 CULTURE -30% C’est la baisse de fréquentation enregistrée cette année par rapport à 2013 par le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) à Marseille. Son président, JeanFrançois Chougnet, se console en soulignant que «la baisse est moins forte que celles con nues par le musée du Quai Branly à Paris ou le centre Pompidou de Metz». Le Mucem s’est ouvert en juin 2013, année où Marseille était capitale européenne de la culture. Diana Krall patraque Suite à des problèmes de santé, Diana Krall a dû reporter la sortie de son album Wallflower (initialement prévu le 13 octobre) au mois de février. Ni promo, ni concerts, la chanteuse canadienne doit observer le repos jusqu’à la fin de l’année. Impatience pour Pink Floyd Le nouveau Pink Floyd est-il le disque le plus attendu de l’année ? On peut le penser en voyant le classement affiché par le site français du géant de la vente en ligne Amazon. Alors que The Endless River ne paraîtra que le 10 novembre, le disque était trois fois présent, ces derniers jours, dans les dix meilleures ventes d’Amazon.fr : dans ses versions CD simple, CD+DVD et CD+Blu-ray. Il s’agit de précommandes qui seront expédiées dès parution du disque. Le dernier album studio de Pink Floyd, The Division Bells, remonte à 1994. Théâtres en grève mercredi A l’appel des coordinations d’intermittents et précaires et de la CGT spectacle, un appel à la grève est lancé ce mercredi, pour protester contre le nouveau régime des intermittents. A Paris et en région parisienne, plusieurs salles (Colline, Gennevilliers…) n’ouvriront pas leurs portes. LES GENS IMELDA MARCOS, UNE EXPREMIÈRE DAME PRIVÉE DE SES TABLEAUX Les autorités philippines ont saisi mardi des tableaux signés Picasso, Gauguin, Miró, Pissaro ou Goya au domi cile de l’ancienne première dame Imelda Marcos. Un tri bunal spécial estime en effet que ces œuvres ont été acquises grâce à des détournements de fonds publics et reviennent à l’Etat. L’ordonnance du tribunal autorise en outre les enquêteurs à perquisitionner d’autres proprié tés et bureaux appartenant à Imelda Marcos, 85 ans, élue à la Chambre des représentants. L’époux de cette der nière, Ferdinand Marcos, avait été renversé par la rue en 1986, après vingt ans de dictature marqués par une corruption à grande échelle et un culte de la personna lité. Les dépenses somptuaires d’Imelda Marcos et sa célèbre collection de chaussures, riche de milliers de pai res, symbolisaient les excès et les turpitudes du couple dirigeant, soupçonné d’avoir détourné 10 milliards de dollars dans un des pays les plus pauvres d’Asie. Renver sés, les Marcos s’étaient réfugiés à Hawaï (EtatsUnis), où Ferdinand est mort en 1989. PHOTO AFP leplan.com 01 69 02 09 19 1av. Louis Aragon 91130 Ris-Orangis RER D Orangis Bois de l’Épine Locations au Plan ou Fnac, Carrefour, Magasins U, Virgin, Auchan, Leclerc, fnac.com, tickenet.fr, digitick.com MUSIQUES Entre soul, jazz et éthio-funk, le plus sud- américain des Anglais fait sa tournée française. Quantic met la Colombie en fusion feu, mais ceux qui survivaient étaient toujours dans la musique. Ils m’ont accueilli avec chaleur et m’ont fait partager leur savoir avec beaucoup de générosité.» Cet altruisme se retrouve dans la démarche de Quantic : «J’ai proposé des compilations au label londonien Soundway pour mettre à la portée des amateurs des pépites introuvables, tirées de vinyles pressés parfois à 500 exemplaires.» Son anthologie The Original Sound of Colombia, en 50 titres, fait aujourd’hui autorité. Et a contribué à la recherche éperdue des vinyles d’époque, dont la cote a flambé. Quantic s’est aussi mis à jouer avec son Combo Barbaro les sons tropicaux, invitant quelques-unes de ses idoles. «Ça ne s’est pas fait immédiatement, raconte-t-il. J’ai d’abord écouté et observé tous ces vieux musiciens. Dans leur musique, il y a des structures en apparence très simples, mais très difficiles à restituer.» Audaces. Son travail de fuQuantic vit désormais en Colombie. PHOTO CHRISTINA JORRO sion avec la soul, le jazz, atteint son apogée avec MaQUANTIC scène soul-funk de Londres gnetica, paru en juin. Il se CD MAGNETICA il y a quinze ans. Sa passion permet toutes les audaces : (TruThoughts /DifferAnt) pour les rythmes latinos et par exemple la voix soul En concert ce mercredi africains le mène là où ces d’Alice Russell, son égérie, à Combrit (29), jeudi au festival héritages se sont mêlés, en sur You Will Return, une balle Grand Soufflet à Rennes (35), lade country au vendredi au festival la Bohème, rythme de forró «Mettre à la portée à Muret (31), samedi du Nordeste brédes amateurs des pépites à la Centrifugeuse de Pau (64). silien. Ou un suintrouvables.» perbe titre éthioi on ne trouve presque Will Holland alias Quantic funk, Arada, avec plus de vinyles intéresle chanteur éthiosants à acheter à Bo- particulier en Colombie, où pien Dereb the Ambassador. gotá, à Carthagène ou à Cali, il s’installe. Son vieux complice Aníbal c’est en grande partie à cause «J’ai eu la chance, explique- Velásquez apporte la Calledu géant aux yeux bleus qui t-il, de rencontrer de vieux jera, où il est question de nous fait face. Que faire? Lui artistes dont je collectionnais femmes portées sur la fête et casser la figure ? Faisons-le les disques. Le saxophoniste l’alcool. Refrain machiste ? plutôt parler de sa passion Michi Sarmiento, le pianiste «En apparence seulement, pour ce pays et la variété de Alfredito Linares, l’accordéo- s’amuse l’Anglais. Velásquez ses musiques. niste Aníbal Velásquez… a une façon unique de manier «Chaleur». Né en Angle- Beaucoup des musiciens des la truculence et le double terre, Will Holland a animé, années 60 et 70 étaient morts sens.» sous le pseudo de Quantic, la par la drogue ou les armes à FRANÇOIS-XAVIER GOMEZ S L’HISTOIRE DU CUL DANS «QU’ESTCE QU’ON A FAIT AU BON DIEU» Un couple de Feignies (Nord) a eu une désagréa ble surprise en visionnant le DVD de Qu’estce qu’on a fait au bon dieu, acheté au Lidl. En lieu et place de la comédie à succès (plus de 12 millions d’entrées en salles) de Philippe de Chauveron, ils ont eu droit à ce qu’ils ont qualifié de «film porno», selon la Voix du Nord. Fabriquant du DVD, la société QOL a fourni son explication: suite à une erreur de mani pulation, «75 exemplaires» du documentaire l’Amour après 40 ans se sont retrouvés pressés sous l’étiquette du film comique. Un numéro vert (0800736950) a été mis en place pour remplacer les objets défectueux. MÉMENTO Renan Luce Chansons organiques pour la première fois sur scène avec son frère Damien Luce Mairie du IVe, 2, place Baudoyer, 75004. Ce soir, 21 heures Yules Popfolk franccomtois sur le répertoire de Leonard Cohen Café de la danse, 5, passage LouisPhilippe, 75011. Ce soir, 19h30 Duke Ellington Sacred Concert Pour le 40e anniversaire de sa disparition, Laurent Mignard et son Duke Orchestra présente la première étape de la tournée des musiques sacrées de Duke Ellington dans les cathédrales de France Eglise de la Madeleine, 75008. Ce soir, 21 heures Les Doigts de l’homme Jazz manouche et cinquième album au sigle de Mumbo Jumbo Studio de l’Ermitage, rue de l’Ermitage, 75020. Ce soir, 21 heures Joan Baez Retour de l’icône folk protest song seventies Olympia, 28, bd. des Capucines, 75008. Ce soir, 20 heures, puis les 3, 4, 7&8 octobre LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 PRÊTÀPORTER PRINTEMPSÉTÉ 2015 Les défilés parisiens vus par le photographe Julien Mignot. Tweed et retweed SONIA RYKIEL UN COURT CIRCUIT La griffe Rykiel avait besoin de changement. Julie de Libran, la nouvelle directrice artistique, a passé son grand oral mode avec succès. Cette première collection, très largement inspirée des classiques de la marque (les rayures, le tricot), ne se contente pas de ressasser le passé. Elle apporte une bonne dose de fraîcheur et met le corps en valeur. On retrouve ici encore le goût pour les années 70 à travers des pantalons évasés, des vestes en tweed effilochées ou des salopettes portées à même la peau. La fille Rykiel 2014 aime être sexy, montrer ses jambes ou son ventre, mais sait calmer le jeu avec des couleurs sobres (marine, kaki, noir, blanc). Un bel exercice d’équilibre. ELVIRE VON BARDELEBEN CHANEL SUR LE PAVÉ, LE SAGE Chaque défilé Chanel est l’occasion de monter un décor extraordinaire –dont finalement on parlera plus que des vêtements. Cette fois, Karl Lagerfeld s’est attaqué à la rue, recréant des façades d’immeubles haussmanniens grandeur nature. Au milieu, sur le pavé, on voit d’abord passer une explosion de couleurs bien maîtrisée sur le thème du tweed, puis une déclinaison élégante du tailleur en bleu marine, blanc et or. Une mode plutôt sage, mais séduisante. Pour le finale, les mannequins ont mimé une manifestation, brandissant des pancartes ineptes («Make fashion not war», «La liberté n’oblige pas la femme à être libertine»…). Etre enfermée dans «la rue» avec la caravane fashion à observer un tel spectacle crée une drôle d’impression. La révolte estelle devenue une posture de mode? ELVIRE VON BARDELEBEN PHOTOS JULIEN MIGNOT MODE • 27 28 • ECRANS&MEDIAS LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 Nicolas Marié en président de gauche et Carole Bouquet en Première dame dépressive. PHOTO ETIENNE CHOGNARD. CCSP SÉRIE Un président de gauche aux prises avec sa femme, un ministre corrompu, des otages… La saison 2 de la fiction politique colle à l’actualité sans jamais décoller. «Les Hommes de l’ombre»: une Bastille dure à avaler Par RAPHAËL GARRIGOS et ISABELLE ROBERTS P eut-être pas le grand soir, non, mais un soir de fête : la Bastille célèbre l’élection d’un président de gauche. Il monte sur scène, sa femme est là, grande beauté glaciale; les conseillers aussi, leur cerveau froid s’autorisant pour l’occasion quelques regards émus. Dans le camp d’en face, défait, un type aux valises jusque-là scrute les images: «Il manque de hauteur, lâche-t-il comme pour lui-même, mais il va apprendre, c’est un honnête homme.» Et puis «un an plus tard» s’inscrit sur l’écran, et puis plus rien ne va. Ainsi s’entame, sursignifiante, la deuxième saison des Hommes de l’ombre, série politique française dont la première salve, en 2012, avait connu un honnête succès sur France 2 – quasi 5 millions de téléspectateurs en moyenne pour chacun des six épisodes. Du côté des télescopages, incessants, de la série avec l’actualité, on ne sera pas déçu; du côté de la fiction, en revanche… BALEINE SOUS GRAVILLON. Il faut dire que Dan Franck, le scénariste et l’un des créateurs de la série, s’est retrouvé avec une présidente de la République sur les bras. Après six mois d’écriture de la seconde saison, Nathalie Baye, dont on ne savait pas, au terme de la première, si elle allait ravir l’Elysée, renonce au rôle d’Anne Visage (parce qu’elle trouvait le nom de son personnage trop ridi- cule –non, on rigole). Branle-bas de combat scénaristique: la plutôt centriste Anne Visage est destituée et remplacée par Alain Marjorie, le candidat de gauche (Nicolas Marié). Et finalement, l’escamotage passe plutôt bien, ancrant la série dans le réel. Voire la surjouant légèrement : Marjorie est flanqué d’une Première dame impossible, amatrice de vitesse, de jeunes hommes, carrément bipolaire et totalement maniaco-dépressive : une vraie bombe à retardement. C’est Carole doctor de Marjorie: Gabrielle Tackichieff, secrétaire générale de l’Elysée. Laquelle Gabrielle, jouée par Aure Atika, en rajoute dans le genre tronche d’énarque froid. Enfin, froid… Dès les premiers instants de leur rencontre, on le sait: entre Kapita et Tackichieff, il y a anguille sous roche, voire baleine sous gravillon. Ces deux-là défendent la même cause, celle du président Marjorie embringué dans diverses panades tombant plus dru encore qu’une averse sur François Hollande et masquant d’ailleurs à peine leur A force de clins d’œil au réel, on a parenté avec celui-ci. Le scandale même cru voir dans les sourcils de la du ministre mouillé dans une afjournaliste de Médiamag une allégorie faire de détournement de fonds des moustaches d’Edwy Plenel. publics est révélé non par Médiapart mais par… Médiamag ! La Bouquet qui s’y colle, autant dire qu’elle dé- fonderie en faillite lorgnée par un richissime pote sérieusement, dominant de loin le cas- industriel indien s’appelle… Dorange! Toute ting de sa voix éraillée-déraillée, aussi per- la série se nourrit ainsi de l’actualité des derchée que son personnage. nières années: prise d’otages par un groupe Conseillers com toujours à mi-chemin entre islamique sur un site gazier français en Algéfumisterie et barbouzerie, les hommes de rie, intermédiaire chelou évoquant, y coml’ombre du titre restent les héros de la série: pris physiquement, Ziad Takieddine. trampoline à candidats dans la première saison, ils sont désormais au pouvoir, du moins ŒIL POCHÉ. A force de clins d’œil au réel, on dans sa coulisse. Simon Kapita (Bruno Wol- a même cru voir dans les sourcils d’Apolline kowitch, toujours égal à lui-même en man- Vremler, la journaliste de Médiamag campée nequin Azzaro à la voix de basse faisant gou- par Emmanuelle Bach, une allégorie des zi-gouzi dans la culotte des filles – ceci est moustaches d’Edwy Plenel. Tout ça n’est pas une blague recyclée de l’article sur la sai- désagréable, on fait «Oh! Cahuzac!» et «Ah! son 1, lire Libération du 25 janvier 2012) se re- Trierweiler!», on aime bien la relation quasi trouve désormais opposé à l’officiel spin- amoureuse entre le Président et son ministre de l’Intérieur corrompu, mais ça ne fait pas une série qui tienne la route non plus. Les Hommes de l’ombre ont réussi à prouver que, contrairement à une légende remontant environ à l’Homme du Picardie, une fiction française peut s’inspirer de l’histoire immédiate, que, finalement, ce n’était pas si tabou que ça. La belle affaire. Déjà, pour ce qui est de se colleter à la réalité politique contemporaine, la série évacue étrangement crise, FN et fracture sociale. Ensuite à force de cligner, les hommes de l’ombre se retrouvent avec l’œil poché usant et abusant de sentences post-finales définitives, telle celle-ci de Gabrielle tentant de consoler le Président effrayé de ses propres compromissions: «C’est l’exercice du pouvoir, Monsieur.» Ou l’indignation, chevillée à la plume elle-même trempée dans la plaie-des-puissants, de l’investigatrice de Médiamag : «Je suis pas une idiote revancharde, Simon, je suis journaliste.» Trop souvent manichéens dans la première partie, le scénario et les personnages virent parfois au ridicule dans la seconde. Le tout desservi par une réalisation platoune et une lumière, caractéristique des fictions de France 2, sans nuance, comme sortie de l’intérieur d’un réfrigérateur. • LES HOMMES DE L’OMBRE série de DAN FRANCK, FRÉDÉRIC TELLIER, CHARLINE DE LÉPINE et EMMANUEL DAUCÉ saison 2, épisodes 1 et 2/6, France 2, ce mercredi à 20h50. LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 9 C’est la version du prochain Windows que Microsoft a présentée ce mardi. Il aura pour mission de corriger les bourdes de Windows 8 qui ont dérouté tant d’utilisateurs depuis 2012… En commen çant (youpi!) par faire revenir le menu «démar rer». Plus souple, Win dows 9 saura différencier les tablettes des PC pour afficher sur les premières son interface «Metro» aux tuiles colorées, et sur les seconds le bon vieux «bureau» et ses fenêtres qui ont donné leur nom au système d’exploitation. DISPARITION DANIÈLE BREEM QUITTE LES QUATRE COLONNES C’est à elle qu’on doit l’ouverture aux caméras de la salle des Quatre Colon nes, où députés et journa listes taillent le bout de gras. La journaliste Danièle Breem est décédée à l’âge vénérable de 93 ans, aton appris lundi soir. D’abord institutrice, Danièle Breem a rejoint en 1955 l’ORTF et, d’Antenne 2 en France 2, n’a plus quitté le service public. Même après sa retraite, elle continuait de se rendre régulièrement à l’Assemblée et distillait ses conseils. «Par la télévision, elle a permis de populari ser les débats parlementai res et de faire connaître à nos concitoyens leurs représentants, a salué le président de l’Assemblée, Claude Bartolone. La salle des Quatre Colonnes a été, grâce à sa détermina tion, ouverte aux caméras.» C’est sous la présidence de Jacques ChabanDelmas, entre 1959 et 1969, qu’elle avait réussi à le convaincre de l’utilité de faire entrer les caméras à l’Assemblée. Libération est habilité aux annonces légales et judiciaires pour le département 75 en vertu de l’arrêté du 20 décembre 2013 1125458 Rectificatif à l’annonce parue le 26 Septembre 2014 concernant la société WTF/A - Architectes Associés il fallait lire : «par acte SSP en date du 25/09/2014» au lieu de «en date du 22/09/2014». L’HISTOIRE FRANCE TÉLÉVISIONS ET LE RETOUR DE LA PUB APRÈS 20 HEURES EN RÉGIONS C’est en loucedé dans un comité central d’entreprise que le président de France Télévisions, Rémy Pflimlin, a balancé la bombinette: la pub après 20 heures revient sur le service public. Pas la peine de rameuter celui qui l’en bannit, Nicolas Sarkozy, non plus, ce comeback ne concerne que les antennes régionales, mais il s’agit tout de même de quatre minutes de pub –maximum– qui devraient rapporter 10 millions d’euros par an. Pas une manne, mais déjà pas si mal en ces périodes de vaches maigres pour France Télévisions. La loi prévoit l’interdic tion de la réclame après 20 heures mais sur les antennes nationales, pas régionales. Du coup, France 3 va devoir créer un décrochage entre 20 heures et 20h15 pour y glisser de la pub. Mais pas question de passer les mêmes spots au même moment sur toutes les antennes régiona les, ce qui reviendrait à de la pub nationale déguisée. Depuis des lustres, Pflimlin demande un retour partiel de la réclame après 20 heures, par exemple à l’occasion de manifestations sportives, mais en vain. R.G. et I.R. «Tigre et Dragon 2» : Netflix cinéaste Déjà producteur de ses propres séries (House of Cards, Orange Is the New Black…) et documentaires (Mitt, sur le politicien américain Mitt Romney), Netflix se lance désormais dans le cinéma. Le service de vidéos en ligne sur abonnement a conclu un accord avec The Weinstein Company qui produira la suite de Tigre et Dragon. Le film sera disponible à partir du 28 août 2015 chez les 50 millions d’abonnés que compte Netflix de par le monde, ainsi que dans le réseau de salles Imax… Mais pas dans une salle française: s’il devait sortir au cinéma, le film devrait, chronologie des médias oblige, attendre des lustres avant d’être diffusé sur Netflix en France, qui zappera donc la sortie classique pour servir ses abonnés. ECRANS&MEDIAS • 29 A LA TELE CE SOIR TF1 FRANCE 2 FRANCE 3 CANAL + 20h55. Blacklist. Série américaine : Mako Tanida (N°83), Ivan (N°88), Milton Bobbit (N°135). Avec James Spader, Parminder Nagra. 23h25. Les experts. Radioguidé , La fureur de vivre, Dernier acte, Un sommeil éternel. Série. 2h55. Cassandra. Spectacle. 20h50. Les hommes de l’ombre. Série française : L’accident, La guerre des nerfs. Avec Carole Bouquet, Bruno Wolkowitch. 22h40. Un soir à la tour Eiffel. Magazine présenté par Alessandra Sublet. 0h35. Grand public. Magazine. 1h20. Toute une histoire. 20h45. Des racines & des ailes. Sur les chemins de l’Aveyron. Magazine présenté par Carole Gaessler. 22h45. Grand Soir 3. 23h35. Appassionata. Don Giovanni par Ruggero Raimondi : une leçon d’opéra. Spectacle. 3h25. Midi en France. Magazine. 4h20. Plus belle la vie. 20h55. Avant l’hiver. Drame français de Philippe Claudel, 102mn, 2012. Avec Daniel Auteuil, Kristin Scott Thomas. 22h35. Landes. Drame français de François-Xavier Vives, 95mn, 2013. Avec Marie Gillain, Jalil Lespert. 0h05. Borgia l’ultime saison. Série. ARTE M6 FRANCE 4 FRANCE 5 20h50. Je suis venu vous dire... Gainsbourg par Ginzburg. Documentaire. 22h30. Le passé est futur. L’Allemagne vue par ses artistes. Documentaire. 23h25. La mouche. Film. 1h10. Mosquito coast. Film. 3h05. La ligne Balmain. 20h50. Recherche appartement ou maison. Chloé / Adrien et Cyril / Julie et Emmanuel. Magazine présenté par Stéphane Plaza. 22h40. Recherche appartement ou maison. Magazine 0h05. Recherche appartement ou maison : que sont-ils devenus ? 20h45. Young adult. Comédie américaine de Jason Reitman, 94mn, 2011. Avec Charlize Theron, Patton Oswalt. 22h30. Just a kiss. Comédie dramatique de Ken Loach, 104mn, 2004. Avec Atta Yaqub, Eva Birthistle. 0h10. Teen wolf. 2 épisodes. Série. 20h40. La maison France 5. Magazine présenté par Stéphane Thebaut. 21h40. Silence, ça pousse ! Magazine. 22h35. C dans l’air. Magazine présenté par Yves Calvi. 23h45. Entrée libre. Magazine. 0h05. Les rois de l’escargot. Documentaire. LES CHOIX Benoît XVI et sodomie: Plantu relaxé Le dessinateur du Monde Plantu, poursuivi par une association proche des catholiques traditionalistes pour un dessin représentant le pape Benoît XVI sodomisant un enfant, a été relaxé mardi par le tribunal correctionnel de Paris. Pour le tribunal, le but du dessin était «de dénoncer, certes avec une violence qui, selon l’auteur, répond à celle qu’a constitué le silence institutionnel à l’égard des victimes, la réaction inappropriée de l’Eglise face à ces tragédies». VU SUR LE WWW SOUS LE CLAVIER, L’ÉTOILE Il n’y a rien de meilleur pour la gymnastique des neurones qu’un petit Hoshi Saga. Et pour notre plus grand bonheur, le développeur japonais Yoshio Ishii n’a rien perdu de sa créativité après les multiples épisodes de son jeu de réflexion dont il nous a gratifiés jusqu’ici: il faut toujours dénicher l’étoile cachée dans chaque niveau, il n’y a toujours aucune instruction sur la manière de s’y prendre et c’est toujours joli comme tout. Dans cet opuslà, Hoshi Saga Reishiki, on ne joue pas à la souris mais aux touches fléchées du clavier. Haut, bas, gauche, droite, les interactions sont limitées. Mais ce n’est pas plus facile pour autant… C.Gé. http://hoshisaga.s3websiteapnortheast1.amazonaws.com/ hoshi11/index.html La famille royale La redif royale La barbe royale D8, 20h50 MCM, 20 heures et 22h20 France 2, 22h40 La famille royale des Etats Unis d’Amérique en virée française, c’était il y a deux semaines: Beyoncé et JayZ au Stade de France. Une semaine déjà que MCM retransmet, au len demain de sa diff améri caine, le Tonight Show de Jimmy Fallon et on s’y fait. Alessandra Sublet inau gure Un soir à la tour Eiffel, talkshow avec, en invités, Kad Merad et Carla Bruni Sarkozy (soupirs). PARIS 1ERE TMC W9 GULLI 20h40. Ils ont filmé la guerre en couleur. La libération. Documentaire. 22h30. 8 mai 1945 : la capitulation. Documentaire. 23h35. Ces inconnus qui ont libéré Paris. Documentaire. 1h05. Paris dernière. Magazine. 2h00. Programmes de nuit. 20h50. Les Enfoirés 2013 : la boîte à musique des Enfoirés. Spectacle, 165mn. 23h30. Les Enfoirés 2012 : le bal des Enfoirés. Spectacle, 159mn. 2h10. Étranges exhibitions : dangereuses exhibitions. Téléfilm. 3h45. Fan des années 70. 20h50. Enquêtes criminelles : Le magazine des faits divers. Magazine présenté par Sidonie Bonnec et Paul Lefèvre. 22h50. Enquêtes criminelles : Le magazine des faits divers. 2 reportages. Magazine. 2h50. Météo. 20h45. L’instit. Téléfilm français : Le mot de passe. Avec Gérard Klein. 22h20. L’instit. Téléfilm français : Tu m’avais promis. Avec Gérard Klein. 23h50. L’instit. Carnet de voyage en Guyane. Téléfilm. 1h15. G ciné. Magazine. 1h20. Ratz. NRJ12 D8 NT1 D17 20h50. Scandales. Chanteurs et controverses. Magazine présenté par Jean-Marc Morandini. 22h35. Scandales. En hautes sphères Artistes et polémiques Magazine présenté par Jean-Marc Morandini. 2h00. Poker. Jeu. 2h55. Programmes de nuit. 20h50. "On The Run Tour". Le concert de Beyoncé et Jay-Z. Spectacle, 100mn. 20h50. "On The Run Tour". Le concert de Beyoncé et Jay-Z. Spectacle, 90mn. 0h00. Programmes de nuit. 20h50. 24 heures aux urgences. La loi des séries Documentaire. 22h05. 24 heures aux urgences. Notre vie, c’est vous, Une journée particulière. Documentaire. 0h35. Obèses : perte de poids extrême. 3h10. Manuela ou l’impossible plaisir. 20h50. Hard luck Middleman. Téléfilm de Mario Van Peebles. Avec Wesley Snipes, Cybill Shepherd. 22h45. Lumière noire. Téléfilm de Bill Platt. Avec Shiri Appleby, Richard Burgi. 0h20. Programmes de nuit. 30 • GRAND ANGLE LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 Trente ans après son arrêt, l’immense centrale électrique célébrée par les Pink Floyd va enfin être réhabilitée pour être au cœur, d’ici à 2020, d’un nouvel ensemble d’habitations, de bureaux et de commerces. Battersea la centrale qui branche Londres Par SONIA DELESALLESTOLPER Correspondante à Londres Photo DOMINICK TYLER O n entend distinctement les pépiements de Giles, Gilbert et Scott. Au milieu du ballet incessant des grues, tracteurs et ouvriers, le bruit est un peu incongru. Les petits piaillements émergent d’une grosse boîte en bois, perchée tout en haut d’une tour en acier de 50 mètres, plantée au beau milieu du chantier. Nous sommes au cœur de Londres, sur la rive sud de la Tamise et dans l’un des bâtiments les plus reconnaissables du paysage londonien: la Battersea Power Station, centrale électrique au charbon. A l’arrêt depuis 1983, elle est l’objet de l’un des plus grands chantiers de régénération urbaine d’Europe. Giles, Gilbert et Scott, nommés d’après l’architecte de l’usine construite au début du XXe siècle, sont trois jeunes faucons pèlerins nés en haut de la tour en acier, construite spécialement pour eux. Le plus grand bâtiment en briques d’Europe «Nous avons eu un problème lorsque nous avons voulu lancer le chantier, explique la guide qui nous fait visiter les lieux. Un couple de faucons pèlerins avait élu domicile dans une des cheminées de la centrale et avait à plusieurs reprises pondu des œufs d’où sont nés des petits. Or c’est le seul couple de faucons pèlerins à Londres à s’être reproduit.» Le chantier gigantesque, supposé durer au moins six ou sept ans, risquait de perturber les volatiles, espèce protégée, et donc l’agenda des travaux, en déchaînant la colère des écologistes. «On a consulté les experts et on leur a construit une tour individuelle où on les a déménagés. Apparemment, ils s’y plaisent puisque c’est là que Giles, Gilbert et Scott sont nés.» Même Elton John a dû plier devant les impératifs de survie des faucons. Alors qu’il avait prévu en juin une immense fête sous une tente montée au pied de la Battersea Power Station, les spécialistes ont prévenu que le niveau sonore destruction soit sérieusement envisagée. La centrale est née d’une décision du Parlement britannique, au milieu des années 20, de regrouper les lieux de production d’électricité pour le Royaume-Uni. La Battersea Power Station sera ainsi l’une des premières «super-centrales» construites le long de la Tamise, permettant l’approvisionnement par bateaux du charbon. Le bâtiment rectangulaire de briques rouges, orné de quatre hautes cheminées blanches, sera construit en deux temps et en deux morceaux. La Battersea A Station a été terminée au début des années 30, et ce L’architecture du bâtiment va être n’est qu’en 1955 que la parpréservée, les éléments art déco restaurés, tie B est achevée, ajoutant les immenses baies vitrées refaites deux cheminées à l’ensemà l’ancienne, les cheminées reconstruites ble. L’architecte responsable de l’ensemble du design du à l’identique, et les mosaïques nettoyées. bâtiment est Giles Gilbert Même certains graffitis seront conservés. Scott, l’auteur du design de la fameuse boîte aux lettres risquait de gêner les féconds faucons. Qu’à rouge de la Royal Mail, née en 1922 et devecela ne tienne, la fête a été déplacée au der- nue dans le monde entier un emblème du nier moment à l’intérieur de la centrale, pour Royaume-Uni. C’est également lui qui conun modeste surcoût de 385 000 euros, et le cevra, quelques années plus tard, la Bankside son a été sensiblement baissé. Power Station, transformée depuis en un Cette péripétie n’est que la dernière d’une magnifique musée d’art contemporain, la saga longue de trente ans, entamée depuis Tate Modern. l’arrêt de l’activité de la Battersea Power StaPatrimoine mondial en péril tion, le plus grand bâtiment en briques d’Europe, 27200 m2 d’emprise sur un terrain La Battersea Power Station, avec son intéde 17 hectares. Alors que les promoteurs rieur art déco, ses portes en bronze doré, eséchouaient, les uns après les autres, à lancer caliers en marbre ou en fer forgé, mosaïques le projet titanesque de réhabiliter ce aux murs et colonnades, ses salles de contrôgigantesque no man’s land situé en plein Lon- les avec parquets cirés et murs en marbre, est dres, juste en face du quartier de Chelsea et vite devenue une icône du paysage londode la célèbre King’s Road, le bâtiment s’est nien. Toutefois, en 1975, la première moitié lentement dégradé jusqu’à ce que sa de la centrale est arrêtée, l’énergie produite Chantier de Battersea Power Station, le 24 septembre. LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 Le coût du programme, divisé en huit phases, est estimé à 10,2 milliards d’euros. • 31 par le gaz, le pétrole ou le nucléaire prenant timent, mais aussi mettre en avant la Tamise, peu à peu le pas sur le charbon. Le 31 octobre qui coule juste devant», raconte Rob Tinc1983, le silence tombe sur l’ensemble du site, knell. Un parc va donc naître le long du si grand qu’il pourrait abriter la cathédrale fleuve, au pied de la centrale, elle-même Saint-Paul. transformée en un ensemble d’habitations La Battersea Power Station a pourtant conti- privées, de bureaux, de magasins et de resnué à vivre autrement, devenant un symbole taurants. Un quai sera même construit, avec culturel. Les lieux ont inspiré d’innombra- une desserte de bateaux-taxis. Autour, en bles photographes. Des défilés de mode, des plusieurs phases (huit au total), des immeuconcerts y ont été organisés. En 1965, les bles vont voir le jour. Le projet prévoit Beatles y ont tourné quelques scènes de leur 43% de commerces et 57% de bâtiments film Help !, et en 1973, le groupe de rock résidentiels. The Who s’est emparé de son image pour son Pour la première fois, toute la rive sud de la album Quadrophenia en 1973. Quatre ans plus Tamise, de la Battersea Power Station au tard, en 1977, les Pink Floyd consacrent la Tower Bridge, dans l’est de la capitale, sera Battersea Power Station icône du pop art en accessible grâce à une promenade piétonne l’affichant sur la pochette de leur album Ani- de 4,5 kilomètres de long. «Au nord de la Tamals : au milieu des quatre cheminées flotte mise, les gens sont séparés du fleuve par une leur emblème, un énorme ballon rose en grande route le long du quai, il n’y a aucun acforme de cochon, lequel a inopinément lar- cès direct au fleuve», explique Rob Tincknell. gué les amarres durant la prise de vues pour Le problème de la réhabilitation du site au aller fureter au beau milieu des couloirs aé- cours des années avait longtemps buté sur la riens de l’aéroport de Heathrow… Depuis, mauvaise desserte en termes de transports Muse a orné son album The Resistance (2009) publics. Mais la décision de l’ambassade d’une image de la centrale, Rihanna y a américaine de construire son nouveau bâtichanté, Batman y a volé dans The Dark Knight ment, un immense cube en verre, à quelques (2008), et plusieurs scènes du Discours d’un centaines de mètres de là, à Nine Elms, a toroi y ont aussi été filmées. Sans parler d’une talement changé la donne. La Northern Line entrée en fanfare dans le monde des jeux vi- va être prolongée et deux stations de métro déo, avec GTA London 1969 (1999) ou Colin seront créées, reliant l’ambassade et la BatMcRae : Dirt 2 (2009). tersea Power Station au cœur de Londres, en La centrale a parfois été transformée en cir- quelques minutes. que, en piste de ski ou en gigantesque skatePenthouse et appartements park. Mais elle a aussi continué à se dégrader. à loyer modéré En 2004, alors que plusieurs promoteurs se présentent, armés de projets impliquant Pour la première phase du projet –la mise en souvent sa démolition, elle est classée sur vente d’appartements sur plans – qui conla liste du Patrimoine mondial en péril. cernait un immeuble d’habitations construit En 2006, le site est racheté par un promoteur à l’ouest de la centrale, 565 appartements immobilier irlandais, Real Estate Opportuni- ont été vendus en trois semaines. Pour la ties (REO) et les premiers projets sur la cons- phase 2, dans la centrale elle-même, les truction d’un parc d’habitations autour de la 250 appartements sont partis en un temps centrale sont lancés. Mais la crise financière record. Il en reste à peine une vingtaine à passe par là. REO, vendre, dont un 1 km criblé de dettes, penthouse doté Tower Bridge jette l’éponge. d’une verrière couMARYLEBONE En 2008, l’oligarque rant entre deux des SOHO russe Roman Abracheminées pour qui CITY movitch propose de aurait 13 millions Tamise transformer la cend’euros à investir. SOUTHWARK trale en gigantesque Mais tous les logestade pour son club ments ne sont pas BELGRAVIA de football de Cheldestinés à une cliensea. Le projet ne tèle richissime. Lansera pas retenu. cée fin octobre, la LONDRES NINE Baersea En juillet 2012 enfin, troisième phase ELMS Park un consortium concerne trois bâtimené par le groupe ments construits par Baersea Power Station malaisien SP Setia les célèbres archirachète le site pour tectes Norman Fosla somme de 512 millions d’euros. Et un pro- ter et Frank Gerhy, auteurs, entre autres, des gramme titanesque, dessiné par l’architecte courbes de verre de la fondation Louis-Vuituruguayen Rafael Viñoly, d’un coût estimé ton pour la création, qui ouvrira ses portes fin à 10,2 milliards d’euros, voit le jour. «Tout le octobre au cœur du bois de Boulogne, à Paris. projet s’articule autour du bâtiment de la cen- Dans l’immeuble dessiné par Foster, 564 aptrale, qui sera le point d’ancrage de tout ce nou- partements seront proposés à loyers ou prix veau quartier», explique Rob Tincknell, di- modérés. Il sera surmonté par un jardin insrecteur général de la Battersea Power Station piré de la High Line de New York, ce jardin Development Company, la société chargée né au milieu d’une ligne de métro suspendue de superviser tout le programme qui devrait et désaffectée. être achevé en 2020. «Notre projet n’a jamais été de faire un quartier L’architecture du bâtiment va être préser- exclusif, ni même un immense centre commervée, les éléments art déco restaurés, les im- cial encadré par des appartements, se défend menses baies vitrées refaites à l’ancienne, Rob Tinckell. Nous voulons créer un esprit de les cheminées démontées et reconstruites village, parce c’est ce qui fait l’essence de Lonà l’identique, et les mosaïques nettoyées. dres, une multitude de villages.» D’où l’objecMême certains graffitis, apparus au cours tif, côté commerces, d’attirer des marques des années, seront conservés. Les deux sal- un peu «différentes», dénichées dans le les de contrôle seront, elles aussi, mainte- monde entier, «pas les grandes chaînes qu’on nues en l’état et ouvertes, d’une manière ou voit partout, mais plutôt des designers un peu d’une autre, au public. Le seul élément neuf plus confidentiels, avec une identité forte». sera une fine ligne de verre qui courra Quant au couple de faucons pèlerins, «nous autour du bâtiment, formant les baies vi- travaillons avec les experts, explique la guide, trées de nouveaux appartements. «Nous pour leur trouver un logement agréable sur le avons voulu conserver le côté unique de ce bâ- site, une fois le chantier terminé». • LIBÉRATION MERCREDI 1ER OCTOBRE 2014 PORTRAIT NORA HAMZAWI L’humoriste-auteure-chroniqueuse-comédienne de 29 ans, fonctionne à l’auto-observation. Sans manquer d’imagination. Histoires d’une meuf Par ISABELLE HANNE Photo AUDOIN DESFORGES E lle est le genre de meuf à danser sur une chanson de la honte, devant son miroir de salle de bains, brosse à cheveux en mode micro. Elle est le genre de meuf qui, habituée des divans de psys, parle d’elle-même comme de quelqu’un d’autre. Elle est le genre de meuf qui a la flemme de sortir, et préfère rester sur son canapé à caresser son chat, un persan aux yeux jaunes qui s’appelle Petuls. «C’était le nom de mon chat imaginaire quand j’étais petite, dit Nora Hamzawi sans ciller. Pour moi, ça veut dire “petite crotte de nez”, mais je ne suis pas sûre que le mot existe.» Oui, parce que c’est le genre de meuf à avoir eu un chat imaginaire. Et à inventer des mots. Elle est le genre de meuf à réfléchir à l’ordre de ses casquettes: «Comédienne, humoriste, et auteur… plutôt humoriste, auteur, et comédienne.» Elle est du genre à foncer sur Google pour taper «Nora Hamzawi conne», histoire de savoir si les gens la détestent, «même si j’essaye de ne plus le faire». Alors, voilà notre portrait en requêtes Google. Nora Hamzawi sodomie. C’est un truc qui l’embête un peu : à cause d’un sketch sur l’impossibilité de la sodomie –elle y compare son anus à son œil– Google suggère «sodo- mie» à côté de son nom. Dans son show, elle parle de ces filles en collants gainant qui bouffent et picolent un peu trop, qui finissent les soirées «la frange collée au front», de ces trentenaires névrosées, hypocondriaques, qui «chialent à s’en filer des cystites». Et en creux, de ces hommes négligés qui se coupent les ongles en plein milieu du salon et qui soupirent comme des ados quand on leur demande de ranger ces chaussettes qui traînent. «J’ai pas l’impression que mon métier c’est de faire des blagues, mais de raconter des histoires. Mon premier objectif, c’est que ça fasse écho à la vie des gens, qu’ils se disent “ah ! mais oui, c’est trop vrai !”» Nora Hamzawi nue. Son personnage lui ressemble. En plus extrême: «Elle fait moins de compromis, elle rapporte tout à elle, comme un enfant. J’ai ces côtés-là aussi, sauf que je les soigne.» Son alter ego est obsédé par son physique, et par les apéros charcuterie-fromage. Dans la vraie vie, Nora Hamzawi fait venir chez elle, trois fois par semaine, un coach sportif «pour pouvoir continuer à avoir une mauvaise hygiène de vie : j’aime beaucoup manger, boire, fumer…» Dans son appartement en mezzanine de l’Est parisien, il y a un tapis de yoga roulé sous le canapé, et des élastiques et des poids planqués un peu partout. Pantalon noir et chemise en jean vaguement repassée, la jeune femme cache ses yeux en amande derrière ses grosses lunettes fétiches, et porte une frange longue et un genre de queue-de-cheval négligée. On dirait une coiffure de douche, mais sans doute qu’elle s’y est reprise à dix fois pour la réaliser. «Je me trouve moche dans tout», avoue-t-elle, voix traînante, à l’opposé de son débit hyperspeed sur scène. «Un jour, je me baladais en survêt rue des Pyrénées, et un mec m’a dit : “Ah ! mais en vrai, t’es moche !” J’ai même pas levé la tête.» Nora Hamzawi arabe. Quand elle commence à rencontrer des producteurs, il y a deux ans, certains lui conseillent de «plus exploiter [s]on côté syrien». «Ils me disaient : “T’as vu l’actu?” Moi, je leur répondais qu’il n’y avait rien de drôle, tranche la jeune femme. Et je vais pas commencer à faire des trucs racoleurs juste pour que le producteur ait des choses à dire dans le pitch du spectacle.» Elle n’a pas connu son père, un armateur syrien mort d’un cancer quand elle avait 2 ans. Sa mère, syrienne également, a été élevée dans un pensionnat catholique de Beyrouth. Elle, elle est née à Cannes. Après la disparition de son père, la famille s’est installée à Paris, dans EN 7 DATES le XVIe arrondissement, «dans un appart tellement 29 avril 1985 Naissance chelou, avec une moquette bleu à Cannes. 2009 Nora One roi, beaucoup de dorures, et Woman Show. Mars 2012 une cuisine toute verte, ça Jean Benguigui lui dit n’avait aucun sens». Son père de changer de métier. Janvier 2013 Chroniqueuse a tout réglé pour que son sur France Inter. Mai 2013 épouse et leurs quatre en- Prix de la SACD au festival fants soient à l’abri du be- Humour en capitales. soin. Les premiers souvenirs Septembre 2014 de cette benjamine de la fa- Chroniqueuse au mille sont ceux d’une «am- Grand Journal. Jusqu’au biance très chargée, lourde et 10 janvier 2015 Joue Nora triste. Et en même temps, si Hamzawi au République. [elle] devai[t] faire une comédie, ce serait à cet endroit-là, à ce moment-là. Beaucoup de [son] inspiration vient de là : il y avait des côtés très drôles». Nora parle d’une mère excentrique et «hyper-aimante» que son veuvage a clouée au lit. «Avec mes sœurs et mon frère, on la couchait, avec sa petite bouillotte.» Nora Hamzawi drôle. C’est Amro, le seul garçon de la fratrie, de près de dix ans son aîné et aujourd’hui scénariste (20 ans d’écart), qui s’occupe d’elle. Petite, elle est la muse de ses courts métrages en Super-8. Il évoque une enfant «toujours drôle, observatrice: Nora remarquait souvent ce qu’il y avait d’absurde dans le comportement des adultes». Ces temps-ci, frère et sœur coécrivent un film. Nora commence le théâtre au lycée. Elève moyenne, elle décroche son bac et tente le droit à Assas. Elle tient trois semaines. Elle s’inscrit au Cours Florent, bosse dans une boutique de lingerie. Puis IUT d’info com. Elle s’ennuie. Rêve d’autonomie. Fait des études de marketing. Rencontre son compagnon d’aujourd’hui, qui bosse dans le Web. Passe des castings, joue dans des courts métrages. Se décide enfin à envoyer ses textes. Et finalement, teste des scènes ouvertes, écrit et joue son spectacle: «C’est comme si d’un coup tout s’emboîtait!» Elle devient auteure pour Scènes de ménages (M6), est embauchée à Glamour pour des billets en ligne. En septembre 2011, elle participe à l’émission de Ruquier, On n’demande qu’à en rire, où de jeunes humoristes sont évalués par un jury. Si le sketch plaît, ils peuvent revenir en proposer un autre. Nora Hamzawi se prend au jeu jusqu’en mars 2012, où elle se fait éliminer. «Elle ne sait pas bouger, elle ne sait pas jouer, elle ne sait même pas porter une robe !» lance le connaisseur Jean Benguigui. Qu’elle remercierait presque aujourd’hui. «C’était une grosse humiliation, j’ai beaucoup pleuré. Et puis, je me suis dit que c’était pas lui qui allait décider!» Elle quitte Glamour, écrit un nouveau spectacle, le bouche à oreille fonctionne, elle trouve un producteur, France Inter lui propose une chronique, puis Canal +. Nora Hamzawi burnout. Elle a terminé l’année sur les rotules. «C’est une bête de travail, confirme Jean-Philippe Bouchard, son producteur. Pour elle, l’écriture, c’est presque une thérapie.» Depuis toujours, Nora Hamzawi doit faire face à ses angoisses. «J’étais ni une enfant ni une ado légère et épanouie.» Elle peut regarder une fois par mois la Boum ou les Beaux Gosses, avec une immense nostalgie pour cette adolescence futile qu’elle n’a pas eue. Aujourd’hui, elle essaye d’apprendre à se poser, en cuisinant, en lisant, en étant dans l’instant. Parce que sinon, elle est le genre de meuf qui s’observe avec un sourire en coin. Qui contemple sa vie à distance, comme elle regarderait un film un peu kitsch dont elle est l’héroïne, et dont elle choisit la BO. •