Les anges et les démons

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Les anges et les démons
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METHODOLOGIE
Notre méthode d’investigation a été relativement complexe, étant donné l’ampleur de
notre sujet, assez difficile à délimiter. Notre choix a finalement été de présenter une étude
comparative des anges et démons, préalable nécessaire à toute étude plus approfondie visant à
nuancer la dichotomie entre les anges et les démons.
Pour ce faire, nous avons eu recours à bon nombre de dictionnaires bibliques, inspirés
de diverses traditions, qui nous ont permis d'obtenir des informations précises pour une réelle
entrée en matière. Nous avons trouvé ces ouvrages dans la salle de recherche réservée au
troisième cycle de la Bibliothèque Universitaire Centrale sur les quais. En effet, il est
dommage de constater qu’aucun ouvrage relatif à la Bible ne peut s’obtenir facilement dans les
bibliothèques universitaires ouvertes à tous, que ce soit sur les quais ou à Bron.
En ce qui concerne l’élaboration même du dossier, nous avons déterminé différentes
parties fondées sur la présentation des anges et des démons et leur rôle dans diverses traditions
religieuses, car il nous a paru nécessaire de confronter les différents points de vue sur la
dichotomie anges/démons. Nous avons orienté chacune nos recherches de façon personnelle,
selon nos goûts, nos aspirations, et les sources dont nous disposions, ouvrages écrits ou
connaissances préalablement établies. Enfin nous avons regroupé nos recherches dans le but
d’organiser le plan du dossier.
PLAN
INTRODUCTION
I. LES ANGES DANS LA BIBLE
DEFINITIONS : A. LES SERAPHINS
B. LES CHERUBINS
C. LES ARCHANGES : MICHEL, RAPHAEL, GABRIEL
II. LES DEMONS DANS LA BIBLE : SATAN ET SES MANIFESTATIONS
A. ORIGINE DE SATAN
B. ROLE DE SATAN
C. ORIGINE ET ROLE DES DEMONS
III. ANGES ET DEMONS DANS LES RELIGIONS DU LIVRE.
A. DANS LE JUDAISME
B. DANS LE CHRISTIANISME
C. OUVERTURE SUR L’ISLAM
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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INTRODUCTION
La confrontation du Bien et du Mal apparaît dans la Bible dès
les premiers chapitres de la Genèse : en effet, dès le chapitre III apparaît
le serpent tentateur, dont l’intervention est à l’origine de la chute et de
l’expulsion d’Adam et Eve hors du Paradis terrestre. Bien et Mal
revêtent des formes multiples ; mais dès la Genèse apparaissent des
créatures spirituelles, les anges, et plus tard leurs antagonistes les
démons, que l’on retrouve ensuite dans toute la Bible. Créatures
innombrables, leur origine demeure obscure. Les uns forment la cour
céleste de Dieu et servent de messagers entre celui-ci et les hommes : ce
sont les anges. Les autres sont des esprits impurs, malfaisants et
tentateurs : les démons.
Cependant, considérer que les anges symbolisent le Bien ou que
les démons représentent le Mal serait donner une définition trop
réductrice de ces deux groupes. En effet, les démons ne sont devenus
mauvais que par leur faute, mais ont été créés bons. Ainsi, ils restent
soumis à la toute-puissance de Dieu qui décide donc de leur survie : le
Dieu créateur et bon, empli de désir de justice, permet à des êtres
mauvais de subsister aux côtés des anges qui l'entourent. Comment
expliquer ce paradoxe ? Pourquoi les anges et les démons, engendrés
par le même créateur, sont-ils si différents ? S'opposent-ils, s'affrontentils seulement dans la Bible ou ont-ils en réalité besoin les uns des
autres ?
Nous tenterons de comprendre leur nature et leurs fonctions
dans la Bible, puis nous étudierons leurs représentations dans les
traditions issues de ce Livre, traditions juive, chrétienne et islamique.
L’opposition fondamentale entre Bien et Mal est-elle la seule façon de
rendre compte de leur existence ?
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I.LES ANGES DANS LA BIBLE
DEFINITION
Lorsque le peuple d'Israël reconnut Yahvé comme Dieu unique,
il fallut nécessairement évincer les autres divinités célébrées par des
cultes polythéistes. Mais le changement de religion n'est jamais radical
et c'est pour cela que les dieux dérivés des cultes polythéistes ont
souvent été transposés dans la religion du peuple d’Israël avec le statut
d'anges de Yahvé. La tradition rabbinique est consciente des influences
étrangères sur les croyances d'Israël et indique que les noms des anges
furent rapportés par les juifs exilés à Babylone.
L'existence des anges, créatures intermédiaires entre le divin et
l’humain, est nécessaire pour les juifs, car elle atténue le caractère
choquant de la rencontre entre Dieu et l'homme. Le mot ange vient, via
le latin angelus, du grec ajvggelo", c'est-à-dire messager, envoyé. Le
terme biblique hébreu, maleâk (ûalm) désigne la même réalité : tout
être messager de Dieu — il a la même racine, ûlm, que mèlèk, terme
qui désigne le roi mais aussi Dieu, Dieu éternel, souverain ou maître du
monde. Sa signification et ses emplois sont assez larges : tout maleâk
n'est pas forcément un ange proprement dit, c'est-à-dire un être
supranaturel ; tout messager de Dieu n'est pas forcément un ange si l'on
prend pour exemple les prophètes, désignés eux aussi dans la Bible
hébraïque par le substantif maleâk ( Ag 1,13 ; Is 42,19). Mais les anges
sont désignés par ce terme générique.
On peut distinguer deux sortes d’anges : les anges qui
constituent les membres de la cour céleste et entourent Dieu, tels les
séraphins et les chérubins, et ceux qui accomplissent une mission
divine, tels les archanges ou anges de la face.
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A.LES SERAPHINS
Le terme vient de l’hébreu seraphim, pluriel de saraph (¹rc),
c’est-à-dire brûlant. Ce sont des êtres célestes, décrits par Isaïe dans
l'une de ses visions ( Is 6,2-6), passage dit de la vocation d’Isaïe.
1
L'année de la mort du roi Ozias, je vis le seigneur Yahvé assis sur un
trône élevé. Sa traîne remplissait le sanctuaire ; 2des Séraphins se
tenaient au-dessus de lui, ayant chacun six ailes, deux pour se couvrir
la face, deux pour se couvrir les pieds, deux pour voler. 3 Et ils se
criaient l’un à l’autre ces paroles :
« Saint, saint, saint est Yahvé Sabaot. Sa gloire remplit toute la
terre. »
4
Les gonds du seuil vibraient à la voix de celui qui criait et le Temple se
remplissait de fumée.
5
Je dis :
« Malheur à moi, je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres
impures, j'habite au sein d'un peuple aux lèvres impures, et mes
yeux ont vu le Roi, Yahvé Sabaot. »
6
L’un des séraphins vola vers moi, tenant en main une braise qu’il avait
prise avec des pinces sur l’autel. 7Il m’en toucha la bouche et dit : «
Vois donc, ceci a touché tes lèvres, ta faute est effacée, ton péché est
effacé, ton iniquité est expiée. »
(Traduction P. Auvray)
Nous pouvons étudier à partir de ce texte la place qu’occupent
les séraphins : ils se situent au-dessus du trône de Yahvé, duquel ils
semblent destinés à prononcer les louanges. Le rythme ternaire « saint,
saint, saint » montre bien que les séraphins exaltent la gloire divine.
L’évocation de la fumée fait référence à l’aspect flamboyant et brûlant
des séraphins. Nous pourrions également observer la symbolique des
ailes : deux qui recouvrent la face, par peur de voir Yahvé, le puissant
qui rayonne ; le substantif « pieds » semble être un euphémisme pour
désigner le sexe, par respect pour la gloire divine. Quant au verbe
« voler », il fait référence au moyen de déplacement des séraphins et au
fait que ces anges sont voués à entourer Yahvé. Leur autre fonction est
la purification par le feu, c’est-à-dire qu’ici la braise est sainte car
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l’autel a été sanctifié par Yahvé. Le feu, évoqué par l'emploi du
substantif "braise", confère aux rapports existant entre les séraphins et
le prophète une certaine violence. En effet, elle s'exprime
symboliquement par la douleur physique, la brûlure. Le séraphin purifie
le prophète : cette purification est une étape vers la délivrance du péché.
La relation entre les séraphins et le prophète est donc bénéfique et
positive. Les séraphins ainsi nommés ne sont pas mentionnés autre part
dans la Bible. La racine de seraphim permet de former d'autres mots qui
leur servent également de nomination. Mais ils ne sont pas cités
directement avec l'appellation qui leur est propre. On ne peut donc que
supposer leur existence à travers certaines évocations. Prenons pour
exemple ce verset extrait des Nombres ( Nb 21,6 ), de tradition
yahviste : 6Les serpents brûlants, dont la morsure fit périr beaucoup de
monde en Israël (trad. H. Cazelles).
Ces êtres sont envoyés par Dieu pour punir le peuple d'Israël au
désert parce qu’il doute de l'existence d'un Dieu unique. De même que
dans la relation entre le prophète Isaïe et le séraphin, ces serpents
brûlants ont une fonction purificatrice mais violente, puisqu'ils donnent
la mort aux infidèles. Ils permettent également à ceux qui doutent de
prendre conscience de l'existence d'un Dieu unique. Leur fonction est
donc relativement ambiguë, d’autant plus que c’est l’image de bronze
d’un serpent qui est source de guérison (Nb, 21, 8) : pourquoi Dieu
engendre-t-il des créatures aussi monstrueuses qui donnent la mort,
pour faire ensuite de leur image une source de vie? Cet épisode nous
montre bien que la mort, le Mal peuvent être engendrés par le Bien, luimême incarné par des créatures diaboliques de par leur forme, des
serpents, qui ne sont pas sans rappeler le serpent tentateur de l'Eden.
Finalement, la justice de Dieu semble parfois cruelle, puisqu'elle peut
entraîner la mort.
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B.LES CHERUBINS
Ce sont des êtres célestes portant des ailes. Leur nom correspond
à celui des kâribu babyloniens, génies à forme mi-humaine, mianimale, qui veillaient à la porte des temples et des palais. En hébreu,
chérubin se dit kerouvim, terme suggérant l’idée de nombre ( ?).
L’appellation grecque est la transcription littérale de l’hébreu :
ceroubim. Une seconde étymologie nous paraît intéressante : elle
provient de l’accadien karoubou ou kouribou, signifiant « intercesseur
», celui qui apporte la lumière devant les dieux. Ils sont nommés pour la
première fois dans la Genèse (Gn 3,24) : après qu’Adam et Eve avaient
été chassés du paradis, Yahvé plaça des chérubins à l’Est du jardin
d’Eden, « pour garder la route de l’arbre de vie ».Ils ont donc ici des
fonctions de gardiens et de protecteurs.
Ils apparaissent pour la seconde fois dans le livre de l’Exode où
ils sont représentés comme des figures ornementales : ce passage de
l’Ancien Testament est une description d’origine sacerdotale du temple,
extraite du Premier Livre Des Rois. Nous nous intéresserons au chapitre
6, 23-28, où nous est livrée une description des chérubins.
23
Dans le Debir, il fit deux chérubins en bois d’olivier sauvage
(…) Il avait dix coudées1 de haut.
24
Une aile du chérubin avait cinq
coudées et la seconde du chérubin avait cinq coudées, soit dix coudées
d’une extrémité à l’autre de ses ailes. 25Le second chérubin avait aussi
dix coudées : même dimension et même facture pour les deux
chérubins. 26La hauteur d’un chérubin était de dix coudées, et de même
l’autre. 27Il plaça les chérubins au milieu de la chambre intérieure ; ils
déployaient leurs ailes, en sorte que l’aile de l’un touchait au mur, que
l’aile de l’autre touchait à l’autre mur et que leurs ailes se touchaient
au milieu de la chambre, aile contre aile.
28
Et il revêtit d’or les
chérubins. (trad. R De Vaux)
Deux chérubins en bois recouverts d’or, les ailes déployées, sont
1
environ 5 mètres.
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donc placés à chaque extrémité du propitiatoire pour monter la garde
au-dessus de l’arche, dans le Saint des Saints. Cette configuration du
sanctuaire au désert représente le trône divin, au centre duquel Yahvé
s’exprime. Le phénomène de répétition rendu par le substantif
« coudée » semble conférer un rôle sacré aux chérubins auprès de
Yahvé, rôle symbolisé par leur place même et leur fonction, mais aussi
par l’évocation de l’or, métal précieux et brillant.
Par la suite, Dieu lui-même est représenté à plusieurs reprises
dans la Bible comme « le Seigneur des armées qui siège sur les
chérubins » (Psaumes 80,2 ; 99,3 etc…)
Pour en revenir à leur origine mythologique, on peut aussi
constater que la vision des chérubins du char d’Ezéchiel (Ez 1,10) est
différente de celle que nous avons observée précédemment : 10Quant à
leur aspect, ils avaient une face d'homme, et tous les quatre avaient une
face de lion à droite, et tous les quatre avaient une face de taureau à
gauche, et tous les quatre avaient une face d'aigle (traduction P.
Auvray).
Les chérubins ont deux paires d'ailes et quatre faces : le visage
d'un homme pour signifier l'intelligence, l'entendement ; la face d'un
lion symbolisant la royauté, la souveraineté ; celle d'un aigle
représentant la légèreté, la subtilité ; et celle d'un taureau, incarnant la
force, la puissance. On retrouve la même symbolique dans l'Apocalypse
(Ap 4,6) : 6Au milieu, du trône, autour de lui, se tiennent quatre
Vivants, constellés d'yeux par devant et par derrière. 7Le premier
Vivant est comme un lion ; le deuxième Vivant est comme un jeune
taureau ; le troisième Vivant est comme un visage d'homme ; le
quatrième Vivant est comme un aigle en plein vol.
Les quatre "Vivants" cités dans ce texte sont identiques aux
quatre animaux décrits par Ezéchiel, (Ez 1,10) : le lion incarne la
noblesse et la supériorité ; le taureau, la force ; l'homme la sagesse ;
l'aigle, l'agilité. Ces quatre figures divines et cosmiques incarnent la
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perfection de la création de par leur symbolique, qui représente en fait
les quatre qualités principales qui font du monde divin un monde
vertueux, bon et juste. Les chérubins, à la forme mi-humaine mianimale, ont bien une origine mythologique qui transparaît à travers
leur apparence. Même si l'on peut les considérer comme des symboles
païens, d'origine babylonienne, ils sont dans le contexte biblique au
service de Yahvé. Adapter en quelque sorte une figure emblématique de
la tradition religieuse babylonienne à la tradition chrétienne facilite le
passage d'une religion monothéiste à une religion polythéiste, ce qui
explique l'usage de ces figures mythologiques dans la tradition biblique.
C. LES ARCHANGES
Les archanges, au même titre que les anges, sont des créatures
spirituelles qui ont un rôle de messagers entre Dieu et les hommes. Ils
sont au nombre de sept et occupent la plus haute place dans la
hiérarchie des anges : ils dominent les chérubins et les séraphins et sont
"les sept anges qui se tiennent devant la face de Dieu" (Ap, 8, 2), c'est
pourquoi ils sont également appelés "anges de la face" et accomplissent
les missions les plus importantes confiées par Yahvé. Dans la Bible,
seulement trois des sept archanges sont nommés : Mikaël (ou Michel),
Raphaël et Gabriel, mais il y a aussi Uriel, Jehudiel, Barachiel et
Seatiel, nommés seulement dans l'apocryphe d'Hénoch.
1.MIKAEL OU MICHEL
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En hébreu, mika’el signifie : « qui est comme Dieu ». Mikael
est le chef de la milice céleste et le prince des armées du
ciel. Dans la tradition judéo-chrétienne, il est l’ange qui
marche devant le peuple hébreu pendant l’exode : « L’ange
de Dieu qui marchait en avant du camp d’Israël » (Ex 14,
19, trad. B. Couroyer) ; et il apparaît à Josué près de Jéricho
: « Je suis le chef de l’armée de Yahvé et maintenant je suis
venu » (Jos 5, 14 ; trad. Abel) .Il est aussi psychopompe,
c’est-à-dire qu’il conduit les morts et pèse les âmes le jour
du Jugement dernier. Il a aussi un rôle de protecteur du
peuple israëlite :