« Malraux et l`architecture sacrée : de l`Inde à Le Corbusier »
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« Malraux et l`architecture sacrée : de l`Inde à Le Corbusier »
« Malraux et l’architecture sacrée : de l’Inde à Le Corbusier » par Michaël de Saint-Cheron * De tous les arts, de toutes les constructions humaines, l’architecture est l’œuvre éthique par excellence, car elle est faite pour accueillir, pour abriter, pour protéger les humains et, quand bien même cette architecture serait destinée aux dieux ou au Dieu unique des religions dites “révélées”, elle est d’abord la maison des humains. Au cœur de l’architecture est l’homme et au cœur de la forme sacrée qu’elle prit au cours des siècles, est encore l’Homme dans son rapport éternel au transcendant. Qu’un agnostique ait été à ce degré, et tout au long d’une œuvre et d’une vie mues par une transcendance non religieuse certes, mais incontestable, ait donc été fasciné par les architectures et les arts sacrés, n’est pas une donnée parmi d’autres, mais une donnée en-soi, une donnée cardinale. De Sumer à l’Inde, de l’Egypte à l’Europe médiévale, romane et gothique, des Incas à Niemeyer et Le Corbusier, c’est toute l’histoire de l’architecture que l’on peut écrire à travers les temples. * Président des Amitiés Internationales André Malraux et chercheur à l'université de Paris 3-Sorbonne Nouvelle-C.N.R.S. Allocution du 23 novembre 2006 au Colloque « Malraux, l’écrivain, le ministre et l’architecture ». 1 Inaugurant en 1968, la Maison de la culture de Grenoble, l’écrivain ministre pouvait stigmatiser “ notre civilisation des machines et des sciences la plus puissante que le monde ait connu, [qui] n’a su créer ni un temple ni un tombeau ”. Ce n’était pas une chose contingente ni aléatoire, mais une chose de l’ordre du devoir moral d’une culture, d’une époque, que d’être capable d’élever des temples, peut-être parce qu’élever un temple, une cathédrale, une synagogue, une mosquée, est bâtir dans un acte de gratuité essentielle, même si d’autres enjeux bien sûr entrent en scène également. Mais ni les palais, ni les châteaux ne sont conçus, ni construits dans le même esprit vers une transcendance. C’est peut-être à partir de ce que les hommes peuvent élever à la gloire de l’invisible, du Transcendant, que l’on peut se faire une idée de la grandeur d’un peuple, d’une civilisation, mais aussi de sa mesure à accueillir ou à exclure, à propager l’amour ou la haine. Dans son oraison funèbre à Le Corbusier, le connétable de l’art et de la culture de Charles de Gaulle, s’autorisa à proclamer que l’architecte avait “ créé l’église et le couvent les plus émouvants du siècle ”. Parmi d’autres, a-t-on envie d’ajouter. Mais pour le ministre d’Etat, les musées et les Maisons de la culture, étaient également appelés à devenir des lieux paradigmatiques, les lieux d’une nouvelle communion humaine. Je voudrais remonter le temps avec vous, depuis la découverte exaltante que le fondateur du tout nouveau ministère de la rue de Valois, fit de Brasilia en août 1959, la ville bâtie par Niemeyer sur l’audacieux plan d’urbanisme dû à Costa, en compagnie du président de la République, Juscelino Kubitschek, jusqu’à ses pages sur l’Inde et Sumer et la Grèce. Brasilia, qu’il appelait “ la première des capitales de la nouvelle civilisation ”, fut pour l’amoureux des caves sacrées un réel choc. Le choc créé par les symboles autant que par les perspectives, par le rapport et la symbiose entre les monuments et les éléments, entre la création de l’architecte et la mise en perspective de l’espace, qui est d’un ordre autre. Cette révélation ressentie par l’écrivain est la confrontation entre la lumière et l’ombre, le monde des dieux et des morts d’une part et l’architecture pour les vivants, d’autre part. Tout espace, tout lieu terrestre est mû par une architecture visible ou invisible, qu’elle soit celle des géomanciens de l’Antiquité ou celle des architectes qui ont érigé hier les gratte-ciel de New York, Tokyo, Paris ou Brasilia, aujourd’hui 2 ceux de la Chine et de l’Inde. Arrêtons-nous ici à un passage majeur du discours de Brasilia : « L’architecture moderne était, jusqu’ici, une architecture d’édifices. Elle a créé des maisons, même si ces maisons dressent à la proue de New York leur hérissement de tours. Qu’elle dût dépasser quelque jour cet individualisme épique – car la cité n’est pas seulement une agglomération de maisons – aucun de ses historiens n’en doutait. […] Ici, vont paraître les premières grandes perspectives de l’architecture moderne, que notre siècle ne connaissait pas encore. Ce qui veut dire que cette “ architecture debout ” va subir une métamorphose fondamentale, annoncée confusément par celle de l’Europe et de l’Afrique du Nord, par la vôtre. C’est la reconquête du gratte-ciel par le soleil ; c’est avant tout la résurrection du lyrisme architectural né avec le monde hellénistique, qui faisait rêver César à Alexandrie. Et devant la décision par laquelle le génie brésilien continue à la fois les perspectives de la Grèce, de la Rome pontificale, de Versailles et du Paris napoléonien, nous pensons que le mot si confus de latinité a peut-être au moins un sens précis : celui de fraternité. » Dans ce discours, le créateur du Musée imaginaire parle de l’architecture d’une manière totalement neuve. C’est la première fois, à ce qui me semble, qu’il ne parle plus seulement ou plus essentiellement de l’architecture sacrée mais de l’architecture civile. Il ne s’agit ici ni de temples ni de tombeaux mais de maisons, de la place de l’homme dans la cité. Mais lisons encore ces lignes déterminantes : « […] Il s’agit, en mettant, l’architecture au service de la nation, de lui rendre une part de son âme, qu’elle avait perdue. Elle y aspirait ? Peut-être. […] La limite de l’architecture moderne est d’être au service de la puissance économique ou de l’individu ; le seul admirable ensemble architectural des Etats-Unis, le Centre Rockefeller, n’est pas élevé à la gloire d’une puissance du pétrole, mais à la gloire de la solidarité humaine, de la science et de l’esprit. » Il y a une corrélation entre l’aspiration humaniste ou transcendante de l’architecte et la grandeur de l’œuvre accomplie. C’est le message qui nous est livré ici avec ce souffle épique que l’on connaît. 3 Quittons le 20e siècle, pour atteindre le 17e indien, celui qui vit naître Maduraï et aussi le Tāj Mahal, tombeau impérial par excellence, alors que Maduraï est le temple hindou dans toute sa luxuriance. Contrairement au Tāj, ce temple est l’objet dans les Antimémoires, de quatre pages denses de la fascinante mystique hindoue. Maduraï apparaît comme une allégorie. Imaginons cette immensité : « Galeries sans fin d’une cathédrale sans nef, dont les neuf tours surgissaient inopinément, criblées d’hirondelles sous le vol solennel des aigles. Cette architecture gouvernée avec tant de rigueur et dont les plans avaient été fixés par les géomanciens, semblaient un chaos épique. » Faisons à cet instant un bond dans l’espace et aussi dans le temps, pour arriver au Japon,, au temple d’Isé, construit sur un promontoire face à la mer, et entouré de sylves de cèdres et surtout de cryptomères. Sanctuaire consacré à la divinité solaire Amaterasu. C’est en 1974 que l’écrivain y retourna pour la dernière fois, à l’occasion du prêt de la Joconde. L’ancien ministre y fut en même temps que l’hôte de la Japan Foundation, l’ambassadeur extraordinaire du gouvernement français auprès de l’empereur et du gouvernement japonais. Le passage des Antimémoires sur ce temple shinto d’Isé en décrit l’architecture dans son opposition avec le puissant art gothique d’Europe. « Les photos n’en donnent aucune idée. Prises de près, le temple d’Isé les emplit. Or, malgré son dessin dépouillé de lame, malgré les poutres barbares de son toit, il n’est pas un temple, il perd sa vie lorsqu’on le sépare des arbres : il est le sanctuaire et l’autel de sa cathédrale de pins géants. Mais nos colonnes se perdent dans leur voûte d’ombre, les pins glorifient l’autel de leurs verticales immenses perdues dans leurs branches de lumière : offrandes au soleil, ancêtre du Japon. » Là encore, l’écrivain oppose l’ombre et la lumière. Les architectures sacrées majeures se réfèrent davantage à l’ombre qu’à la lumière, en tout cas en Inde et en Europe, avec les églises et les abbayes romanes d’une part, les cathédrales gothiques d’autre part. Le temple d’Isé, comme d’ailleurs le Tāj Mahal, s’opposent l’un et l’autre à l’obscurité sacrée de Maduraï comme celle qui préside naturellement dans les cavernes védiques d’Eléphanta ou d’Ellora. Poursuivons encore la lecture des Antimémoires : 4 « Nos architectes ont rêvé leurs cathédrales comme des pierres d'éternité, ceux d'Isé ont rêvé la leur comme le plus grandiose des nuages. Et cet éphémère parle d'éternité plus puissamment que les cathédrales, que les Pyramides. [...] Comme les Esprits des forêts, de la cascade de Nachi qui tombe de cent mètres et semble jaillir [...] ; piliers tendus, cascade tendue, lame de sabre perdue dans la lumière. Le Japon1. » Etonnante opposition que celle de Maduraï et d’Isé, du génie des architectes et des sculpteurs de l’Inde avec celui des architectes et des géomanciens shintoïstes, qui est l’opposition entre l’exubérance du sanctuaire hindou, aux gopuram élevés vers le ciel qui se réverbère dans les bassins rituels, et le dépouillement des bâtiments du temple d’Isé rebâtis tous les vingt ans depuis environ quinze siècles et qui s’unissent aux arbres séculaires auxquels ils sont aussi indissociablement liés qu’une abbatiale l’est au chant des moines qui l’emplit. Voici déjà le Tāj Mahal, qui dresse devant nous son dôme de marbre blanc. Il est des paroles quasi inconnues que le visionnaire de La Métamorphose des dieux prononça un jour d’avril 1973, devant les caméras de la télévision française, au moment du voyage de la reconnaissance au Bangladesh. Sans ces deux films, je ne serais pas parmi vous, aujourd’hui. J’ajoute que ce sont les deux uniques documentaires jamais réalisés de l’écrivain hors de France. Voici donc ses propos à marquer d’une pierre blanche sur l’architecture du mausolée d’Agra « à nul autre second ». « Je crois que la première chose, ce serait de prendre la porte. L’importance poétique du Tāj repose entièrement sur ceci : que l’emploi du marbre blanc s’oppose à ce que nous venons de voir sur la porte, et qu’on a essayé ici de retrouver la pureté des mosquées d’Ispahan, avec un système complètement différent. Premièrement, différence absolue avec toutes les mosquées persanes : les clochetons que vous voyez des deux côtés du dôme n’existent jamais en Perse. Deuxièmement, les minarets qui, normalement, symbolisent et en somme, expriment les bras dressés d’une imploration, ici ne sont pas des bras dressés, c’est-à-dire deux minarets devant ; ce sont quatre minarets comme des pièces d’échec, sur tous les coins du soubassement, aux quatre coins du soubassement, ce qui est complètement différent. 5 Ensuite, toutes ces architectures mogholes reposent entièrement sur le principe du soubassement. Or, je pense que ce que vous prenez va montrer tout à fait clairement que le Tāj est posé sur un socle, et ce socle est absolument indispensable à l’ensemble de ses proportions. Et maintenant, sur un plan moins technique, de l’ordre de la poésie, vous savez que Shāh Jahān est mort ici, regardant le Tāj. Il était prisonnier de son fils Aurengzeb et il espérait que quand il serait libéré, il ferait construire de l’autre côté de la rivière un tombeau exactement semblable au Tāj et que ce tombeau, qui serait le sien, serait en marbre noir. Et on peut dire que l’un des plus beaux monuments du monde, c’est le tombeau de Shāh Jahān, qui était un rêve et que personne n’a jamais fait.» Ces paroles attestent la très haute conception que notre écrivain portait à l’architecture, le moment où l’architecture rejoint la poésie, l’ineffable, le rêve. Entre la grande architecture romane et gothique et celle des spectaculaires temples de l’Inde, le dénominateur commun est l’ombre tutélaire. La façade gothique elle-même n’est pas la négation de l’ombre à la manière dont la lumière s’oppose à l’ombre, car au Moyen Âge, la façade des cathédrales était rarement au centre d’un vaste parvis mais le plus souvent au fond de ruelles, surgissant soudain dans toute sa majesté térébrante, dont la seule perspective tendait vers le ciel. Dans l’une des versions intermédiaires de l’Introduction générale à La Métamorphose des dieux, on peut lire ces lignes qui ne furent pas reprises dans l’édition définitive : « La sculpture de la cathédrale est-elle née de sa façade, qu’on ne voyait généralement pas, ou de son espace intérieur ? Serait-il paradoxal de dire que le grand architecte médiéval est avant tout un architecte du vide, un architecte de l’ombre ? Comme, de façon plus évidente, l’architecte égyptien, l’architecte hindou. Leurs formes naissent du sanctuaire, de l’ombre sacrée : les grands temples de l’Inde sont des grottes. Et le grand art sacré semble bien avoir tiré de la même vénération tâtonnante les styles de son architecture et ceux de sa sculpture. » 6 Venons-en, pour terminer ce rapide voyage à travers quelques hauts lieux de l’architecture universelle, aux grottes sacrées. J’ai retrouvé une page totalement inconnue, qui appartient au rush du film réalisé en Inde par Philippe Halphen « Cinq mille ans de civilisation indienne ». Ce passage arraché à l’oubli, au silence, est saisissant, car en quelques images, il permet de comprendre ce que de longs discours ne rendent pas plus lumineux. Les lignes qui suivent n’ont attendu que ce jour pour sortir de l’oubli : « Les sculptures des grottes sont en définitive l’une des architectures les plus symboliques de l’Inde, c’est à dire [elles] ne sont pas des architectures du tout. A Maduraï , on a sculpté des sculptures dans la caverne mais les temples sont petits et la caverne est immense… On a sculpté des sculptures dans la caverne à Eléphanta et à Ajanta. Presque toutes les cavernes sont des sculptures intérieures, donc nous ne sommes pas du tout sur un art qui est l’émanation d’une architecture, et nous sommes même en face du contraire… ce qui est extrêmement intéressant. Alors que pour nous, presque toute la sculpture a été l’émanation d’une architecture, ici c’est à l’inverse. Nous ne pouvons pas concevoir l’architecture grecque indépendamment du fait que la procession grecque n’entrait pas dans le temple… Je m’explique. Qu’est-ce que c’est qu’un temple égyptien ? C’est un temple dans lequel la procession arrive et va […] déposer des fleurs devant un autel… Qu’est-ce que c’est que le Parthénon ? C’est une façade devant laquelle les Parthénoï arrivaient et ne pénétraient pas dans le temple. Donc, la réalité du temple dit de l’Orient - la coupole commence à Sumer – cette réalité là était sans façade et, vous savez comme moi qu’aujourd’hui encore, Sainte-Sophie n’a pas de façade. L’essentiel, c’était l’équivalent de la grotte sacrée – restituée par la coupole -, c’est le grand mystère de l’ombre. La Grèce, c’est le contraire, c’est le non mystère dans le soleil. » Et nous pourrions encore continuer car la page ne s’arrête pas là… Quelque chose est sans doute passé de vous à moi, à travers ces lignes que je crois pouvoir qualifier de flamboyantes. Je terminerai en abordant enfin quelques instants l’architecture des Caves d’Ellora. Les grottes d’Ellora, trente-quatre temples ou sanctuaires, édifiés, rappelons-le, de la 7 fin du VIe siècle à la fin du Xe siècle, sont l'œuvre de trois religions : hindouisme, bouddhisme, jaïnisme. Le Kaïlāśa rupestre, qui fut commencé vers le milieu du VIIIe, pour la création duquel des millions de mètres cubes de pierre ont dû être déplacés, symbolise cette montagne de l'Himalaya qui est tout à la fois résidence et sanctuaire de Śiva et Parvati. L’ensemble de ce sanctuaire géant qu'est le Kaïlāśa, est creusé à même la falaise et excavé à ciel ouvert, « une sorte de cathédrale au centre d’une immense grotte éventrée». Chef-d’œuvre confondant où l'architecture devient elle-même sculpture. L'imposant Śikhara pyramidal - la tour du sanctuaire - se dresse, évoquant la montagne cosmique, surmonté d'un dôme orthogonal, rappelant les ratha de Mahabalipuram. Et notre pèlerin de dire, en quittant le Kaïlāśa : « À l’encontre des cathédrales qui cherchent à être aériennes et à s’élever ainsi vers la divinité, ce gouffre où nous nous trouvons donne l’impression d’être dans le sein même de la Terre. Le fait que nulle pierre ne fût apportée et que l’on ait creusé le rocher, augmente la sensation d’union avec la nature, c’est-à-dire en l’occurrence avec le divin. » Nous n’avons certes pas assez parlé des cathédrales, elles n’en demeurent pas moins l’une des deux figures archétypales de l’architecture sacrée, la seconde étant la caverne. Dans les pages que nous avons lues, la référence à la nef est omniprésente, même pour signifier son absence. C’est à Le Corbusier que je voudrais revenir pour conclure. L’architecte révéla comme peu d’autres cette connivence souvent ignorée entre la Grèce et l’Inde, entre le Parthénon et Eléphanta. Si le rapprochement d’une sculpture gréco-bouddhique et de l’Ange au sourire de Reims nous est devenu si familier, celui du Parthénon et des grottes sacrées de l’Inde l’est beaucoup moins. Ce lieu de rencontre entre Le Corbusier et la Grèce s’appelle Chandigarh. Les grottes sacrées appartiennent à l’histoire. Mais c’est l’Homme qui est au centre de la création artistique et architecturale contemporaines. La tache des artistes comme des architectes est de construire un englobant à sa mesure, qui prenne en compte la dimension transcendante de l’espace. Elle est aussi de témoigner que « Le Vrai existe, au-delà de l’apparence » comme le dit La Métamorphose des dieux. Cela signifie aussi fortement que l’architecture elle-même doit tendre à un « au-delà du visible ». Le Corbusier a-t-il retrouvé en Inde, dans cette capitale du Penjab, le mystère du génie 8 solaire qui nous vient de l’Acropole ? Chandigarh, la cité élevée aux marches de l’Himalaya, devait voir son Parlement surmonter d’une Main de la Paix. Le 1er septembre 1965, le ministre d’Etat chargé des affaires culturelles rendait un suprême hommage à son « vieux maître » et à son « vieil ami » devant la colonnade du Louvre. Quel architecte contemporain en reçut de plus vibrant, qui fasse en même temps appel aux éléments ? L’écrivain ministre y chantait « le cortège des femmes de l’Inde portant la terre vers le piédestal vide de la Main de la Paix, avec le geste des porteuses d’amphores […] ». Et, il scandait aussi ces lignes à l’accent si profondément poétique : « L’aube point dans l’Inde où les passereaux de Chandigarh secouent leurs ailes sur vos monuments, pendant que nos moineaux s’endorment sur l’église de Ronchamp. » Entre la rationalité de l’architecture grecque et l’irrationalité de celle de l’Inde « perdu [e] dans le cosmos, perdu [e] dans les astres, [sœur] du Gange », comme le connétable de la France fraternelle l’aurait dit, Le Corbusier apporta quelque chose du génie de l’Europe, de cette Europe qui fit s’élever les cathédrales. Depuis Paul Valéry, nul autre génie français ne pouvait susciter une telle rencontre entre la création littéraire et l’architecture – qui devait orienter bien sûr la politique des secteurs sauvegardés et de la création architecturale en France, de 1959 à 1969 – que celui auquel le ministère de la culture rend l’hommage d’aujourd’hui. 9