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Projet 2012 - Contribution n°31
L’axe UMPFN :
Vers le parti patriote ?
Antoine LEGOUEST*
Rapporteur
Julien BERNARD*, Jean-Yves CAMUS, Olivier FERRAND,
Grégoire KAUFFMANN, Barthélémy LAFFEMAS*, Erwan LECOEUR,
Antoine LEGOUEST*, Ismail TSOURIA*
Contributeurs
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L’axe UMP/FN : vers le parti patriote ?
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Sommaire
Remerciements ...................................................................................................................... 5
Synthèse politique ................................................................................................................. 7
Introduction ......................................................................................................................... 16
PARTIE I
LE RAPPROCHEMENT ENTRE L'UMP ET LE FN RESULTE PLUS DE LA DROITISATION DE
L'UMP QUE D'UN RECENTRAGE DU FN : RETOUR SUR LA CAMPAGNE DE 2012
1. NICOLAS SARKOZY FAIT DERIVER L'UMP VERS LA DROITE : L’ALTEROPHOBIE COMME
DISCOURS PERFORMATIF...................................................................................................... 19
1. Nicolas Sarkozy met la barre à droite, et l’assume ......................................................... 19
2. Quand l’alterophobie devient le pivot des discours ........................................................ 20
3. Repeter pour imposer comme évidence une matrice ideologique ................................... 21
4. Une strategie de premier tour : imposer la « france forte » ........................................... 22
5. Le grand écart du deuxième tour : ne pas trop rebuter les centristes, mais ne leur laisser
aucune place ....................................................................................................................... 23
2. LA « DEDIABOLISATION » DU FN : QUAND LA STRATEGIE DU MOUVEMENT MASQUE
L'IMMOBILITE IDEOLOGIQUE ............................................................................................... 25
1. Marine le Pen, meilleure élève de Bruno Mégret............................................................ 25
2. L’application de la stratégie mégretiste a impliqué la rénovation du discours .............. 28
PARTIE II
LE RAPPROCHEMENT FN / UMP :
UN AVANT-GOUT DU « PARTI PATRIOTE »?
1. APPROCHE HISTORIQUE : DES INTELLECTUELS ISOLES A LA VOLONTE D’UN MOUVEMENT
DE MASSE............................................................................................................................. 38
1. Un jour, la digue cedera .................................................................................................. 38
2. Grignoter la digue ........................................................................................................... 39
3. La construction au quotidien d’un espace politique et d’un langage commun............... 39
4. Un processus de type néo-nationaliste par impressions et convictions .......................... 40
2. LITTERATURES, LANGAGES ET PERSONNAGES : DE L’AMBIANCE DU RAPPROCHEMENT A
SES PREMICES, LA VOLONTE DE PATRICK BUISSON DU « PARTI PATRIOTE » ........................ 43
1. Les provocations de bon aloi contre le politiquement correct ........................................ 43
2. Patrick Buisson : la volonté d'un parti patriote .............................................................. 46
3. Portraits de personnages aux frontières : les acteurs d'une union en préfiguration ...... 47
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PARTIE III
LES CONVERGENCES EN CONSTRUCTION : D'UN VOCABULAIRE COMMUN A LA NAISSANCE
D'ESPACES POLITIQUES
1. UNE APPROCHE COMMUNE DES METALANGAGES ............................................................ 60
1. Un logiciel pour une « nouvelle droite » ......................................................................... 60
2. Parler aux électeurs de l’entre-deux ............................................................................... 61
3. Une « sarkozysation » des esprits ................................................................................... 62
2. LA CONSTRUCTION D'UN VOCABULAIRE COMMUN : CITER LE PEN ................................. 64
1. Utiliser les mots du lepenisme......................................................................................... 64
2. Un président « en guerre » .............................................................................................. 65
3. Retour au « candidat du peuple » ................................................................................... 66
3. LES ESPACES DE LA CONVERGENCE ................................................................................. 68
1. L’uni et le mil : au service d’une droite d’ordre et de combat depuis 1969.................... 68
2. Planète internet, l’espace de la droite décomplexée ...................................................... 69
3. Riposte laïque, le groupuscule plus utile qu'idiot ........................................................... 73
4. UNE MISE EN PRATIQUE : LA DROITE POPULAIRE, « GARDE DE FER » ELECTORALE DE
L’UMP ................................................................................................................................. 76
1. Aux origines : la double matrice des « réformateurs » et de la « droite libre » ............. 76
2. Une naissance tardive ..................................................................................................... 77
3. Un discours faussement rebelle au service du sarkozysme ............................................. 77
PARTIE IV
SEULE LA FAIBLESSE DE LA BASE MILITANTE DU FN INTERDIT POUR L'INSTANT UNE
CONCRETISATION TROP FORTE DES CONVERGENCES HUMAINES
1. CONVERGENCE HUMAINE AU SUD : L'ENJEU DES PIEDS NOIRS ET DE LA NOSTALGERIE.
L’ALGERIE 50 ANS APRES, UN MARQUEUR IDENTITAIRE POUR LA DROITE.......................... 80
2. DES CONVERGENCES ELECTORALES DU PASSE AUX LEGISLATIVES DE 2012 ................... 82
1. 1983 : la guerre de dreux a bien eu lieu ......................................................................... 82
2. 1988 : l’appel de beauvau ............................................................................................... 83
3. 1997-98 : le passage en force du terrain conduit au vendredi noir ................................ 83
4. 2012 : au bonheur de buisson ? ...................................................................................... 84
Conclusions : le deuxième tour sera un enjeu de civilisation.............................................. 87
Présentation de Terra Nova ................................................................................................. 92
Terra Nova - Déjà parus ...................................................................................................... 93
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Remerciements
Ce rapport est le fruit d’un long travail d’élaboration. Il a bénéficié des réflexions et des
débats d’un groupe de personnalités qui ont accepté de se réunir régulièrement, ainsi que
d’auditions individuelles. Certains membres du groupe de travail ou personnalités
auditionnées ont contribué à la rédaction.
Que tous soient ici chaleureusement remerciés.
Membres du groupe de travail
- Julien BERNARD*, spécialiste de la sociologie électorale
- Ismail TSOURIA*, enseignant et chercheur
- Barthélémy LAFFEMAS*
- Etienne SCHWEISGUTH, Centre d'Etudes Européennes de Sciences Po Paris
Rapporteur
- Antoine LEGOUEST*, agrégé d’histoire, administrateur civil
Personnalités auditionnées
- Jean-Yves CAMUS, chercheur associé à l’IRIS, Paris
- Caroline FOUREST, journaliste
- Grégoire KAUFFMANN, historien, enseignant à Sciences Po Paris
- Nicolas LEBOURG, historien
- Erwan LECOEUR, sociologue consultant
Contributeurs
- Julien BERNARD*
- Jean-Yves CAMUS
- Ismail TSOURIA*
- Olivier FERRAND, président de Terra Nova
- Grégoire KAUFFMANN
- Barthélémy LAFFEMAS*
- Erwan LECOEUR
- Antoine LEGOUEST*
Merci également à Arnaud Castaignet pour ses éclairages sur la blogosphère d’extrême
droite.
* Pseudonyme
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Synthèse politique
Après le score historique de Marine Le Pen le 22 avril dernier (18,3 % et plus de 6 millions
de voix), Nicolas Sarkozy a choisi de radicaliser toujours plus son discours, au point de le
superposer à celui du Front national. Cette convergence entre le sarkozysme et le FN ne
relève pas de la tactique conjoncturelle de campagne. Elle est structurelle : elle vient de
loin, elle marque la victoire idéologique de la droite radicale, et elle ne peut que trouver – à
court ou moyen terme – une traduction institutionnelle dans un « parti patriote » réalisant
l’union des droites. Face à cette recomposition de l’espace politique, la gauche doit s’allier
à toutes les forces humanistes, républicaines et démocrates pour former un large arc
progressiste.
1. LA CONVERGENCE IDEOLOGIQUE UMP-FN EST ACHEVEE : ELLE DOIT PLUS A LA
RADICALISATION DE L’UMP QU’A LA NORMALISATION DU FN
Une convergence qui vient de loin
C’est le GRECE1 et le Club de l’Horloge qui, dès les années 1970, théorisent les éléments
idéologiques d’une « nouvelle droite » décomplexée, visant à lutter contre ce qu’ils
estimaient être la domination culturelle de la gauche.
Ce travail idéologique est ensuite relayé dans l’espace public. D’abord par des auteurs à
plus large audience – ceux que Daniel Lindenberg a dénoncés comme « les nouveaux
réactionnaires ». On y trouve notamment des personnalités comme Xavier Raufer, Jean
Raspail, Maurice G. Dantec ou encore, dans des registres différents, Michel Houellebecq et
Alain Finkielkraut.
Ensuite, par un travail militant sur internet. Les sites comme Polémia (fondé par Jean-Yves
Le Gallou) mais surtout François de Souche (80 000 visiteurs uniques par jour) servent de
lieux de formation idéologique pour militants virtuels. Ces milliers d’activistes de la
« fachosphère » essaiment ensuite sur le net, chassant en meute pour faire masse et faire
croire qu’ils sont la majorité silencieuse du pays réel censurée par les élites et la
désinformation des médias traditionnels. Ils sont sur les forums de jeux vidéos à la pêche
aux jeunes, pourchassent sur doctissimo.fr les femmes au foyer et, surtout, investissent les
commentaires des grands médias traditionnels, Figaro.fr en tête.
1
GRECE : Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (créé en 1968)
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Grignotée par ce travail de sape, la digue a désormais rompu dans l’espace public. La
droite radicale a accès libre aux médias, à travers nombre de journalistes et éditorialistes
comme Ivan Rioufol, Eric Zemmour, Elisabeth Levy ou Robert Ménard.
Avec l’élection présidentielle de 2012, la digue rompt également dans l’espace politique.
Le rapprochement idéologique s’opère, par le double mouvement d’un FN déghettoisé et
d’une UMP radicalisée.
Front national : de vraies ruptures mais un invariant idéologique xénophobe
Sous l’impulsion de son nouveau leader, Marine Le Pen, le néo-FN a mis en œuvre deux
ruptures fondamentales.
La première rupture, sur la forme, est bien identifiée : la stratégie de dédiabolisation. Le
FN de Jean-Marie Le Pen était un parti infréquentable, à relents néo-nazis et nostalgie
vichyste. Le FN de Marine Le Pen cherche à se banaliser. La façade s’est mise aux normes
républicaines : finis les dérapages racistes, les allusions nauséabondes à la Seconde Guerre
mondiale. Et pour continuer à exister dans la société du spectacle qui a fait le succès de son
père, la fille invente la « provocation politiquement correcte ». Conséquence : ceux qui
n’osaient pas voter pour le FN sulfureux du père ont moins de complexes à voter pour le
FN new look de la fille.
Mais la rupture n’est pas que formelle. Il y en a aussi une seconde, sur le fond : la volonté
de construire une offre idéologique cohérente. Le FN est toujours un parti populiste, fondé
sur le rejet du système – la mondialisation – et de ceux qui le pilotent – les élites. Mais
c’est désormais un parti qui prétend vouloir gouverner, avec l’affichage d’un programme
de gouvernement alternatif. Conséquence : il agrège, au-delà du vote protestataire, un vote
d’adhésion.
Cette rupture se cristallise sur les questions économiques et sociales. Le FN de Jean-Marie
Le Pen, qui se présentait comme le « Reagan français », défendait un ultra-libéralisme
poujadiste : il glorifiait la petite entreprise artisanale et commerçante contre l’Etat, les
fonctionnaires, les impôts, les règles. Le néo-FN de Marine Le Pen opère un renversement
à 180 degrés sur sa gauche et promeut un programme de protection économique et social.
Protectionnisme économique : interdiction des délocalisations, sortie de l’OMC et de
l’euro, restauration des barrières aux frontières nationales. Et protectionnisme social : un
impôt sur le revenu redistributif, une sécurité sociale étendue – réservée uniquement aux
« vrais Français », bien sûr.
C’est que, à l’inverse, la ligne idéologique sur les valeurs demeure un invariant. Le fond de
sauce xénophobe s’est modernisé en passant de l’antisémitisme au rejet de l’islam, mais
ses ressorts n’ont pas changé : défense de l’identité nationale, rejet de l’étranger, de
l’immigration mais aussi de la « cinquième colonne », hier les Juifs aujourd’hui les
Français musulmans, qui diluent l’identité nationale dans un mondialisme délétère.
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L’islamophobie a trouvé un nouveau point d’appui dans la doctrine du néo-FN : la laïcité,
valeur cardinale de la République française. Une laïcité dévoyée, une « laïcité de guerre »
qui vise, à travers la bataille contre la menace islamiste, à stigmatiser la minorité
musulmane du pays et à montrer que l’islam est incompatible avec la République.
Au total, le néo-FN tente de crédibiliser une réponse globale à la crise que nous traversons.
La France se perd parce qu’elle est entrée dans la mondialisation. Le crédo est donc
simple : sortir de la mondialisation. Comment ? Par le protectionnisme – culturel (défendre
les valeurs nationales), économique (défendre les emplois) et social (défendre la sécurité
sociale). Un programme réactionnaire nostalgique de la « France éternelle » : « c’était
mieux avant »… Mais aussi un programme de protection globale particulièrement attractif
pour tous les Français qui sont travaillés par la crise et qui ont peur – peur de perdre leur
identité, peur du déclassement, peur de perdre leur mode de vie.
Ironie de l’histoire : c’est l’exacte stratégie de Bruno Mégret, « le félon » rejeté par JeanMarie Le Pen, que Marine Le Pen met en œuvre2.
Le sarkozysme ou la radicalisation de l’UMP
Si le néo-FN se respectabilise en acceptant, sur la forme, les codes républicains, c’est
l’UMP qui fait, sur le fond, l’essentiel du chemin de la convergence.
La radicalisation de la droite de gouvernement, si elle a des prémices anciennes3, est impulsée par Nicolas Sarkozy. Loin d’être une simple tactique politique conjoncturelle, il
s’agit d’une entreprise systématique, mise en œuvre dans les deux campagnes présidentielles de 2007 et 2012, mais surtout au pouvoir, comme ministre puis à la présidence de la
République.
Le sarkozysme a déplacé le centre de gravité de la droite, qui était au centre-droit avec le
gaullisme social du RPR et le christianisme social de l’UDF, vers une droite radicale, aux
portes de l’extrême droite. Cette radicalisation s’est faite notamment sur les valeurs, à travers une véritable rupture anti-humaniste. C’est une victoire idéologique pour le Front
national : que ce soit avec l’original lepéniste ou la copie sarkozyste, la xénophobie et le
rejet de l’autre – l’altérophobie - triomphent désormais à droite.
Cette altérophobie se caractérise par la recherche systématique de coupables, de boucsémissaires à désigner à la vindicte collective. Il y a toujours les bons citoyens à protéger et
les mauvais à bannir hors de la communauté nationale. Il y a les jeunes « fainéants », la
2
Pas étonnant, dans ces conditions, de retrouver dans la garde rapprochée de Marine Le Pen une bonne partie
de ceux qui avaient suivi Bruno Mégret dans la brève aventure du MNR : Bruno Bilde, Steeve Briois, Nicolas
Bay, Philippe Olivier, Jean-Yves Le Gallou…
3
Cf. les dérives de Charles Pasqua dans les années 1980 et 1990 notamment, mais aussi la création des « réformateurs » en 2002 (ils réunissent les parlementaires de la droite « décomplexée » sous la houlette de Gérard
Longuet et Hervé Novelli) et surtout de la « Droite libre », en 2002 également. Fondé par Rachid Kaci et
Alexandre del Valle, ce mouvement, initié en réaction aux attentats terroristes du 11 septembre, vise à « déculpabiliser la droite » sur les valeurs : il défend un « libéralisme populaire » contre les élites et l’assistanat et
défend une laïcité explicitement tournée vers « la lutte contre l’islamisme radical ».
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« racaille » de banlieue, les « monstres » délinquants, les Roms qui sont des voleurs, les
« assistés » qui abusent du système au détriment de « la France qui se lève tôt », les
fonctionnaires privilégiés…
Mais la figure de l’autre est avant tout, comme pour le Front national, l’immigré.
L’étranger, qu’il faut maintenir ou bouter hors de France. Et, plus encore, le Français
d’origine musulmane. C’est la « cinquième colonne » qui menace notre mode de vie.
Quick halal, burqa, piscines réservées aux femmes voilées, prières de rue, minarets qui
agressent les paysages « français » : tout y passe, jusqu’au marqueur ultime du FN, le
« racisme anti-français » des musulmans, une nouvelle fois avancé dans les discours de
l’entre-deux tours, à Strasbourg et Toulouse, par Nicolas Sarkozy.
Les dérapages sont désormais l’apanage du gouvernement et de l’UMP, et non plus du FN.
Il y a Brice Hortefeux, de sa saillie contre « les Auvergnats » (« Quand il y en a un ça va,
c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ») jusqu’à « la France n’est plus la
France ». Chantal Brunel et son « remettons-les dans les bateaux ». Nadine Morano, pour
qui les musulmans doivent se montrer « discrets » ou qui suspecte la porte-parole de
campagne de François Hollande, Najat Vallaud-Belkacem, de faire prévaloir ses origines
marocaines sur son identité française – la cinquième colonne au cœur du pouvoir, le même
fantasme que pour l’affaire Dreyfus… Claude Guéant, intronisé « adhérent d’honneur du
FN » par Marine Le Pen, pour l’ensemble de son œuvre : « le nombre de musulmans pose
problème », « immigration incontrôlée », « toutes les civilisations ne se valent pas », « les
deux tiers des élèves en situation d’échec scolaire sont des fils d’immigrés »…
Mais le principal moteur de cette dérive radicale, c’est bien Nicolas Sarkozy lui-même.
C’est lui qui prononce « Si certains n’aiment pas la France, qu’ils la quittent »,
paraphrasant Jean-Marie Le Pen. Lui qui lance les débats nauséabonds sur l’identité
nationale, la laïcité et l’islam, la binationalité… Lui qui dérape avec les « musulmans
d’apparence ». Lui qui multiplie les transgressions dans la campagne du second tour. Au
point que l’hebdomadaire Newsweek, en octobre dernier, avait choisi Nicolas Sarkozy pour
illustrer sa « une » sur la montée de l’extrême droite en Europe.
L’idéologie radicale UMPFN
La convergence idéologique est achevée. Les idées de l’UMP s’arriment à celles du FN.
Un axe « UMPFN » est né.
C’est Nicolas Sarkozy qui en fait la synthèse dans son discours de Toulouse, le 29 avril,
centré sur la frontière. Il y fait l’apologie de la Nation et de la frontière, face à la menace
de la mondialisation et aux élites qui ont trahi, rejoignant ainsi la mythologie populiste du
FN. La frontière est envisagée comme une protection globale de ceux qui sont à l’intérieur
contre ceux qui sont à l’extérieur : frontière culturelle pour protéger l’identité nationale,
frontière économique pour protéger les emplois, frontière sociale pour sauver la sécurité
sociale. Le même triptyque que le FN de Marine Le Pen. L’imaginaire est désormais
commun.
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Au plan programmatique, il reste des différences importantes sur les questions
économiques, notamment sur la sortie de l’euro que n’envisage pas Nicolas Sarkozy. Mais
la jonction se fait sur les questions sociales (la lutte contre l’assistanat) et culturelles (la
défense des valeurs nationales). L’altérophobie est le ciment idéologique de l’axe UMPFN.
C’est que, pour Nicolas Sarkozy, la frontière ne passe pas à l’extérieur de l’Hexagone mais
bien à l’intérieur – entre les « bons Français » et l’ivraie. Une frontière altérophobe, qui
érige des barrières au sein de la Nation, cassant le monde du travail entre les « vrais
travailleurs » et les profiteurs, et rétrécissant l’identité nationale à une vision néoconservatrice figée sur l’identité fantasmée du passé, à tentation ethnique (blanche), à coup
sûr culturaliste (religieuse, les racines chrétiennes). Une identité fermée, immuable, que
« ceux qui arrivent », selon l’expression de Nicolas Sarkozy4, sont sommés d’assimiler,
sous peine d’exclusion. Une crispation identitaire qui tend à exclure de l’identité nationale
l’islam et la culture musulmane. L’altérophobie est, avant tout, une islamophobie.
Cette convergence idéologique, le Wall Street Journal la synthétise en une formule choc,
dans un éditorial de décryptage de la campagne intitulé : « Nicolas Le Pen ».
2. LA CONVERGENCE INSTITUTIONNELLE EST EN COURS : VERS LE PARTI PATRIOTE
Les lieux d’échanges historiques
Une fois la convergence idéologique réalisée, la convergence institutionnelle devient irrésistible. Elle l’est d’autant plus qu’elle a été préparée de longue date par des échanges humains – des personnalités qui franchissent la digue et qui peuvent ainsi servir de vecteurs
de rapprochement.
Les premiers échanges entre l’extrême droite et la droite de gouvernement sont réalisés
dans les années 1970. L’Institut supérieur du travail (IST), créé par Georges Albertini,
ancien collabo, aura été le pont principal entre Occident et la droite parlementaire. Alain
Madelin, Patrick Devedjian ou Gérard Longuet ont été blanchis par ce canal.
Le journal Minute a aussi servi de lieu de passage. Patrick Buisson, le conseiller politique
de Nicolas Sarkozy, en a été le rédacteur en chef. Un de ses successeurs, Bruno Larebière,
vient d’appeler à voter pour Nicolas Sarkozy.
L’UNI (Union nationale interuniversitaire) et le MIL (Mouvement initiative et liberté),
fondés par Jacques Rougeot, un ancien de l’OAS, forment des activistes de la droite radicale depuis les années 1970.
D’autres liens humains se tissent, dans le sud-est de la France, autour de la « Nostalgérie ».
Les électeurs FN d’origine pied-noire y sont « fixés » politiquement par des maires de
4
Dans sa fameuse tribune du Monde du 8 décembre 2009.
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droite qui ont entretenu le souvenir de l’Algérie française : Jacques Médecin à Nice, Paul
Alduy à Perpignan, Maurice Arreckx à Toulon… Cette réalité politique explique d’ailleurs
l’insistance de la droite sur les politiques mémorielles, autour du passé colonial français et,
singulièrement, de l’histoire des rapatriés.
Les creusets contemporains
Les rapprochements se sont accélérés depuis dix ans. Ils passent d’abord par le « sommet ». Le Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Villiers a constitué un sas et un
trait d’union entre les deux familles politiques. Ainsi Guillaume Peltier, directeur national
adjoint du Front national de la jeunesse (avec Nicolas Bay, aujourd’hui porte-parole de
Marine Le Pen) puis fondateur de « Jeunesse action chrétienté » au sein de la nébuleuse
mégrétiste, se recycle comme secrétaire général du MPF avant d’intégrer l’UMP et de devenir porte-parole de Nicolas Sarkozy pour la campagne présidentielle. En sens inverse,
Paul-Marie Couteaux, ex-député européen MPF, est devenu porte-parole de Marine Le
Pen.
La politique de décoration de l’Elysée permet aussi d’envoyer des signes et de créer des
liens. Ainsi, Nicolas Sarkozy a multiplié les appels du pied aux plus radicaux des partisans
de l’Algérie française afin de récupérer l’électorat pied-noir frontiste. Il remet, en novembre 2011, la Grand Croix de la légion d’honneur à Hélie Denoix de Saint-Marc, officier putschiste de 1961. Exemple encore plus frappant : Jean-François Collin a été décoré
de la légion d’honneur par le président de la République par décret du 5 mai 2011. Membre
de l’OAS et condamné à cinq ans de prison, il déclare lors de sa remise de décoration :
« C’est une croix dédiée à tous les combattants de l’OAS fusillés par le plus grand traître
de l’Histoire de France ».
Mais les rapprochements humains passent surtout, désormais, par la base. La blogosphère
en est le vecteur clé. Le blog de Christian Vanneste (député de la Droite populaire), les
sites de la mouvance traditionaliste catholique5, les sites islamophobes comme gaullisme.biz ou insolent.fr servent d’agora virtuelle pour les échanges entre militants et sympathisants UMP et FN. L’agence de presse d’extrême droite Novopress valorise abondamment les prises de position des députés UMP radicaux. En sens inverse, le site
24heuresactu, animé par un militant UMP, affiche sa sympathie récurrente pour Marine Le
Pen. Quant au site www.dumait.fr, il prône le rapprochement institutionnel UMP-FN.
De cette blogosphère émerge un site : Riposte laïque. C’est le principal creuset de l’axe
UMPFN. Fondée en 2007 par Christine Tassin et Pierre Cassen, deux militants politiques
proches de l’Union des familles laïques (UFAL), la revue en ligne vise à mobiliser la laïcité contre la menace islamiste. Riposte laïque surgit dans l’espace public par ses évènements médiatiques où se mêlent les droites. Avec le groupuscule d’extrême droite du Bloc
identitaire, elle annonce l’organisation le 18 juin 2010 d’un « apéro saucisson géant » à la
Goutte d’Or, pour protester contre les prières de rue des musulmans de la rue Myrha, « ad5
Notamment : lesalonbeige.blogs.com, e-deo.info et bernard-antony.blogspot.com.
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versaires résolus de nos vins de terroir et de nos produits charcutiers ». Riposte laïque,
toujours en partenariat avec le Bloc identitaire, réussit ensuite un tour de force : réunir un
millier de personnalités issues de la droite et de l’extrême droite aux Assises de
l’islamisation le 18 décembre 2010. En somme : le premier meeting commun UMPFN.
Les ponts institutionnels vers le parti patriote
La convergence idéologique est faite, les rapprochements humains se sont multipliés à la
base et au sommet : l’espace UMPFN est prêt pour la convergence institutionnelle.
Du côté FN, si Marine Le Pen réfute officiellement toute idée d’alliance, Wallerand de
Saint-Just, le trésorier du FN, est plus explicite : « La volonté d’ouverture de Marine Le
Pen peut se concrétiser aux législatives. Elle a proposé un grand pôle de rassemblement
patriote avec ceux qui sont sincères. Elle a évoqué la possibilité d’investir des candidats
qui ne sortent pas du FN ». Un micro-parti a été créé en ce sens : le SIEL (Souveraineté,
Indépendance et Libertés). Le SIEL se propose de « former avec le Front national et les
partis qui le voudront un pôle de rassemblement à vocation majoritaire ».
Du côté UMP, deux courants servent de pointe avancée pour permettre la convergence
institutionnelle avec le FN. Il y a d’abord la « Droite populaire ». Fondée en 2010 par
Thierry Mariani et Lionnel Luca, elle regroupe 35 députés, pour l’essentiel du sud-est. Son
crédo : incarner l’aile droitière de l’UMP sur les valeurs. C’est la Droite populaire qui
pousse l’UMP vers l’islamophobie. Il y a aussi la mal nommée « Droite sociale » de Laurent Wauquiez. Elle s’attaque aux questions sociales sous l’angle de l’assistanat dépeint
comme le « cancer de la société française ».
A l’UMP aussi, certaines personnalités sortent du bois, comme Christian Vanneste : « Marine Le Pen est dans une logique de concurrence. Si elle était dans une logique d’alliance,
ce serait à nous de réfléchir ».
Le moment du dénouement est encore incertain – dès les législatives de 2012 ou pour les
échéances de 2017. Mais, incontestablement, la convergence institutionnelle est en route.
3. FACE A LA NOUVELLE DROITE UMPFN : QUELLE STRATEGIE POUR LA GAUCHE ?
Défendre les valeurs humanistes : un choix moral, une stratégie politique majoritaire
La droite de gouvernement s’est radicalisée pour rejoindre les idées du Front national. La
gauche doit-elle suivre le même mouvement, afin de répondre aux aspirations de son électorat qui souffre face à la crise ?
La gauche ne doit naturellement pas s’engager dans cette voie délétère. Le danger existe :
d’autres gauches en Europe, aux Pays-Bas par exemple, ont basculé dans le « social-
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populisme », dénonçant l’immigration, l’islam, les assistés, l’Europe... Prendre en compte
les peurs des Français qui se sentent abandonnés ne signifie pas y apporter les mêmes réponses populistes que le Front national. La gauche y perdrait son âme. Et le virus lepéniste
aurait définitivement métastasé dans tout le corps démocratique.
Faut-il, dès lors, ne pas parler des valeurs, mettre ces sujets sous le tapis puisqu’ils font le
jeu de la droite ? Non. La radicalisation anti-humaniste de la droite lui a fait perdre, définitivement, l’électorat centriste, de culture chrétienne-démocrate, et qui place justement
l’humanisme au cœur de ses valeurs politiques. Elle a ébranlé l’électorat républicain de
droite, comme en témoigne la prise de position de Dominique de Villepin. Le rapport de
force à l’issue de l’élection est nouveau : il oppose les progressistes (gauche et centre) à un
bloc populiste-conservateur (UMP radicalisée et FN dédiabolisé).
Les marqueurs humanistes sont clivants, mais ils sont nettement majoritaires : ils fédèrent
une large part de la société française – des classes populaires des quartiers aux classes
moyennes et aux professions intellectuelles, jusqu’à l’électorat de culture chrétiennedémocrate. Pour la gauche, affirmer ses valeurs, c’est faire de la politique dignement, c’est
aussi élargir son assise électorale à tous les progressistes. Dans cette logique, François
Hollande a raison de défendre, même en pleine bourrasque populiste, le droit de vote des
étrangers aux élections locales.
Les voies progressistes pour faire reculer le populisme
Pour parler à l’électorat qui a fui vers le FN, la gauche doit mettre les questions économiques et sociales en avant.
La question sociale : elle doit répondre - c’est dans son ADN - au besoin de protection
sociale. Et défendre les acquis de la protection sociale contre le travail de sape antiassistanat. La sémantique montre la victoire idéologique de la droite radicale dans l’espace
public : le mot « solidarité » s’est effacé pour laisser la place à « assistanat ». Pour surmonter le clivage entre « assistés » et « France qui se lève tôt », classes populaires déclassées
(chômeurs et précaires) et classes populaires qui ont peur du déclassement (ouvriers et
employés en emploi stable), il faut redonner le sens d’un destin commun à l’ensemble des
classes populaires. Le mouvement des Indignés y est parvenu. Avec l’intensification de la
crise, ce destin commun est une réalité. Il n’y a plus d’imperméabilité entre ceux qui sont
dedans et ceux qui sont dehors. Plusieurs millions de salariés précarisés ont déjà connu une
rupture professionnelle qui les a expulsés de leur emploi stable pour rejoindre les précaires.
Les salariés menacés, encore en emploi stable, savent qu’ils sont les prochains sur la liste
en cas de nouveau recul économique. Précaires, précarisés, menacés : ce sont des trajectoires professionnelles convergentes qui unifient une majorité du monde du travail6.
La gauche doit aussi assumer, pleinement, la sécurité des biens et des personnes. La sécurité n’est pas une valeur de droite, c’est une valeur républicaine : tout citoyen a droit à la
6
Cf. note Terra Nova de Philippe Askenazy – à venir.
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sécurité. Si elle était positionnée politiquement, il s’agirait d’une valeur de gauche : ce sont
les classes moyennes et populaires du pays qui souffrent le plus de l’insécurité. La sécurité
est, aussi, une question sociale.
La gauche doit surtout trouver une réponse à la crise économique. C’est la crise qui nourrit
le populisme. Une sortie de crise l’assèchera. Les ouvriers et employés qui votaient à
gauche et ont basculé au FN l’ont fait avant tout par déception économique. La gauche n’a
pas su répondre à leurs attentes en termes de pouvoir d’achat, de perspectives de carrière,
d’avenir des enfants. La crise n’est pas une fatalité. Il n’y a pas une fatalité occidentale
dans la mondialisation face à l’essor de la Chine et des pays émergents. La France peut
réussir dans la mondialisation. Des pays européens proches de nous, les pays nordiques
notamment, affichent des taux de croissance dignes des Trente Glorieuses. Réindustrialisation et investissement dans le capital économique du pays, investissement dans l’éducation
et la formation professionnelle, investissement dans la recherche et l’innovation : telles
sont les solutions pour retrouver la prospérité – et faire reculer le lepénisme.
Dernier point : la République doit être exemplaire. « Si la classe politique est incapable de
trouver des solutions pour le pays, au moins qu’elle se comporte bien », exigent à juste
titre les Français. De ce point de vue, le climat des affaires qui pèse sur le gouvernement
fait le jeu du « tous pourris ». Au-delà du respect du code pénal, on attend aussi des élus un
comportement moral irréprochable. François Hollande a proposé une charte éthique pour
les élus, une baisse des rémunérations des ministres et du président, l’instauration du mandat parlementaire unique. C’est faire œuvre de salubrité publique. Comment justifier le
cumul des mandats, comment expliquer que l’on cumule trois voire quatre rémunérations
lorsque tant de Français peinent à en conserver une seule ?
Sortir de la crise économique ; garantir la pérennité de la sécurité sociale, en y incluant la
sécurité des biens et des personnes ; promouvoir la République exemplaire : telles sont les
voies progressistes pour repousser la nouvelle droite UMPFN. Et éviter la gangrène de la
République par des valeurs de haine.
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Introduction
« Si Jean-Marie Le Pen dit "le soleil est jaune", devrais-je dire qu’il est bleu ? »
Nicolas Sarkozy, Le Monde, 26 Avril 2006.
« Si on m'avait dit, il y a cinq ans, que je voterais un jour pour Nicolas Sarkozy, je ne
l'aurais pas cru ». C'est ainsi que commence l'article publié le 18 Avril 2012 dans Minute
par Bruno Larebière, ancien pilier du Bloc Identitaire et lointain successeur de Patrick
Buisson comme rédacteur en chef de ce journal7. La suite est à l'avenant. Bruno Larebière
explique qu'il « voyait (Nicolas Sarkozy) comme un pur opportuniste qui allait, non
seulement amplifier la désagrégation de la France mais aussi, à force de se dire « de
droite », discréditer pour des décennies le fait même que l’on puisse se revendiquer « de
droite » (...) un quinquennat plus tard, (ajoute-t-il) je souhaite ardemment sa réélection et
je m’apprête à lui apporter mon suffrage dès le premier tour. (...). Je voterai pour Sarkozy
car ce que je finissais par croire impossible est enfin arrivé : le centre de gravité de la vie
politique française s’est déplacé vers la droite (…) ».
Bref, la logique gramscienne du combat culturel le convainc de voter pour le candidat
sortant: « Sarkozy s’est révélé un adversaire comme la gauche n’en avait pas imaginé dans
ses pires cauchemars, sapant ou reléguant carrément au magasin des antiquités les plus
ringardes une bonne partie de ce que l’on nous présentait comme tabou. (...) Il a sapé,
ébranlé ou carrément détruit toute une mythologie dite progressiste (...). En cinq ans, la
parole s’est libérée comme jamais depuis au moins les années Pompidou (1969-1974) et la
parole de droite a fait son retour dans l’espace public. A tel point que, des éditorialistes les
plus en vue aux commentateurs au zinc du bistrot, innombrables sont désormais ceux qui
tiennent des propos que, il y a encore cinq ans, nul ou presque n’osait exprimer à voix
haute. Cette liberté m’est trop précieuse pour que je prenne le moindre risque de la perdre
au soir du 6 mai ».
Si l'on en croit Bruno Larebière, le quinquennat écoulé est celui du retour de la domination
culturelle de la droite. Dorénavant, des thèmes qui – pensait-on - avaient été durablement
exclus de l'espace politique sont revenus au centre des débats ; ainsi de l'obsession
identitaire, de la légitimité du colonialisme, du retour d'une vision biologique et ethnodifférentialiste de la société. Un autre angle appellerait cela la « droitisation », non de la
France, car cela aura été un des enjeux de l'élection, mais du Politique, c'est-à-dire
7
Entre les deux tours, Minute appelé à voter pour Nicolas Sarkozy.
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justement, comme l'écrit Bruno Larebière, l'exclusion des thématiques souvent de gauche
et toujours humanistes telles que l'égalité, la liberté, la solidarité, de fait l'individu héritier
des Lumières. Le temps serait donc à la réhabilitation des « patriotes », si l'on prend ce
terme dans l'acception que lui donne par exemple Patrick Buisson, c'est-à-dire ceux qui ont
préféré l'Algérie française au général de Gaulle et qu'un régime autoritaire n'aurait pas
dérangé dans les années 1960.
Cette période aura donc offert la sensation bizarre d'un déjà vu : celui du combat entre des
valeurs que l'on pensait définitivement dominantes en France au point d'être inscrites dans
le droit, notamment par la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, et des valeurs que l'on
croyait renvoyées aux livres d'histoire, aux chapitres sur Charles Maurras ou TixierVignancour. Mais patiemment, ces « patriotes » ont préféré la guérilla des idées face à des
humanistes qui se reposaient. Ils ont défini des stratégies, construit des groupes, se sont
attaqués à des vecteurs, ont pris d'assaut l'UMP à la suite de Nicolas Sarkozy trop content
de se faire adjoindre une armature idéologique. En parallèle, Marine Le Pen a engagé un
travail de « dédiabolisation » dont l'objectif est clairement affiché : dès que possible,
gouverner. Les deux navires convergent, lentement mais sûrement : « Il y a des points
communs entre nous, c'est une évidence. Nous partageons le même enthousiasme national
(...) Une fois que la dédiabolisation du FN sera achevée, la digue nous séparant sera
naturellement levée », confie ainsi Christian Vanneste, adhérent notoire du Club de
l'Horloge. Thierry Mariani, ministre du gouvernement Fillon, est plus clair encore: « De
plus en plus de sympathisants me font remarquer qu'elle n'est ni raciste ni antisémite,
qu'elle n'a jamais été condamnée, qu'elle exprime tout haut ce que les deux tiers de nos
adhérents pensent tout bas et, surtout qu'elle dit ce que disait le RPR, il y a quinze ans »8.
Ces convergences, Terra Nova a souhaité les décrire selon une approche différente. Plutôt
que de constater, que de s'insurger, nous avons voulu tenter de faire œuvre d'histoire du
temps présent, et essayé de prendre de la distance face au sujet. C'est donc l'histoire d'une
certaine France que raconte ce rapport, celle d'abord d'un président sortant qui choisit de
mettre la barre à droite au risque du récif, et d'une responsable de parti qui change plus la
peinture du paquebot que son cap. C'est aussi, et peut-être surtout, l'histoire de nébuleuses
qui sont les entrepreneurs de la convergence, lesquels, forts d'une posture revendiquée de
contestataires, imaginent les vocabulaires, les thèmes, les idées, travaillent les rhétoriques
pour les imposer, construisent le projet d'un « parti patriote » qui liquiderait tant le
gaullisme que la gauche. C'est aussi l'histoire d'une nation qui doit choisir : là où les
désabusés du Politique expliquent qu'il n'y a pas de différences, nous répondons qu'il y en
a, et que le choix de 2012 sera bien plus décisif que celui de 2007 ; ce sera un choix de
civilisation.
8
http://www.lexpress.fr/actualite/politique/ump-fn-la-digue-tiendra-t-elle-apres-2012_994186.html.
A noter que Christian Vanneste n'a toujours pas été exclu de l'UMP, contrairement à ce que J.-F. Copé et
Nicolas Sarkozy ont affirmé.
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PARTIE I
Le rapprochement entre l'UMP et le FN résulte
plus de la droitisation de l'UMP que d'un
recentrage du FN :
retour sur la campagne de 2012
La présence heureuse et revendiquée de Marine Le Pen au bal viennois d’une
Burschenschaft nettement marquée à l’extrême droite a été largement commentée comme
la révélation du caractère hypocrite de sa démarche politique. Elle a obligé les médias à se
pencher de plus près sur le nouveau discours de la candidate du FN et à constater que la
« dédiabolisation » revendiquée manquait de mise en pratique. Effectivement, si Marine
Le Pen proclame une intention de changement et que celui-ci existe, il s’agit avant tout
d’une recomposition dans une palette déjà utilisée. Le FN change la vitrine, mais pas
l’arrière boutique.
Nicolas Sarkozy a préféré agir de manière inverse. Il travaille depuis bientôt dix ans, et sa
campagne l’a amplement démontré, à une rénovation profonde de la droite parlementaire
française, mais ne peut l’afficher complètement dans la vitrine. Pourtant, de Grenoble au
Figaro Magazine, persuadé d’une dérive vers la droite de la société française, Nicolas
Sarkozy joue de manière ambigüe avec sa conviction, attaché autant à maîtriser un
processus auquel il croit, qu’à le développer pour l’exploiter. Pour lui, l’altérophobie est
devenue l’élément structurant des comportements politiques : il entend en faire un pivot
des débats et des votes, et c’est en s’appuyant sur cette approche qu’il fait dériver l’UMP
vers une droite de plus en plus antihumaniste.
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1.
Nicolas Sarkozy fait dériver l'UMP vers la Droite :
l’altérophobie comme discours performatif
1. NICOLAS SARKOZY MET LA BARRE A DROITE, ET L’ASSUME
A Nantes, le 27 mars, alors que tout le monde annonce un recentrage de Nicolas Sarkozy,
celui-ci en plein cœur des terres catholiques se livre à une plaidoirie à droite toute. Le
thème du discours : l’immigration, sur un ton des plus agressifs, accompagné d’une attaque
de la CGT. Cela commence par le drame de Toulouse, évoqué dans la nécessité d’un
« débat », puis le propos s’engage sur les immigrés, présentés comme le mal de la société.
Sans que soit exprimé le besoin de démontrer, c’est le thème du Camp des saints9 qui est
mis en discours : « il faut plus de gravité, plus de profondeur, plus de vérité. Nous n'avons
pas le droit d'esquiver le débat. Les événements récents nous obligent à aller au bout des
débats, à ne laisser aucune question de côté (…) Comment intégrer, comment assimiler, si
une vague migratoire incontrôlée vient indéfiniment réduire à néant les efforts de la
République ? » s'interroge le candidat, qui poursuit : « Comment notre société pourrait-elle
retrouver ses repères, ses marques, s'il y a encore d'autres personnes à intégrer, alors que
ceux qui sont là, nous ne parvenons pas à les intégrer ? ».
Puis viennent les thèmes désormais habituels de la fraude – un must des électeurs du FN -,
de l’Europe qui serait une passoire, de la nécessité de réduire l’accès au minimum
vieillesse, au RSA, etc.10 Ce soir à Nantes, ne manquaient que le bruit et l’odeur, car le
« travailleur français sur le palier » était lui le destinataire de ce discours : « On va me
dire que je chasse sur les terres de l'extrême droite. Mais je veux simplement parler au
peuple de France, à la France qui souffre, quel qu'ait été son vote par le passé »11.
A cette France qui souffre du chômage ou de l’insécurité, rien n’aura été proposé pour
améliorer sa situation, si ce n’est une stratégie de valeurs très à droite fondée sur
l’altérophobie. Nombre d’observateurs, souvent de droite, expliquent – comme Yves Jégo
9
Voir le paragraphe II/ B/ 3/ 2 sur Jean Raspail et Le camp des saints.
On ne discutera pas ici de la vérité des propos avancés ; Nicolas Sarkozy ne s’intéresse pas à ce que ses
propos soient vrais. Son sujet n’est pas la vérité, mais le ressenti ; il ne travaille pas à convaincre mais à
construire un imaginaire. Cf. http://www.tnova.fr/note/nicolas-sarkozy-ou-la-mise-en-spectacle-de-letat
11
Cf. l’article de Vanessa Schneider qui rend compte de ce meeting : http://www.lemonde.fr/electionpresidentielle-2012/article/2012/03/28/a-nantes-nicolas-sarkozy-redonne-un-coup-de-barre-a
droite_1676637_1471069.html
10
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ce soir là - que le deuxième tour sera différent. C’est une erreur. Nicolas Sarkozy assume
totalement sa « droitisation de l’UMP », même si le virage à droite ne suffit pas pour
caractériser sa ligne. C’est une certaine droite, issue du maurrassisme, celle de la stratégie
du peuple contre les élites de Patrick Buisson. Anti-riches, anti-élites, anti-Europe. A la fois
défenseur de l’ordre établi et candidat proclamé du peuple contre les élites, Nicolas
Sarkozy est le roi de l’oxymore. Il agit comme un transformiste capable d’apparaître
comme un comptable en costume trois pièces, et la seconde d’après comme un agitateur
populaire en houppelande.
2. QUAND L’ALTEROPHOBIE DEVIENT LE PIVOT DES DISCOURS
On parle moins souvent de racisme aujourd’hui que jadis, car la référence à la race a
souvent été remplacée par la référence à la religion ou à l’origine géographique. La notion
de xénophobie, l’hostilité à l’égard des étrangers, a ainsi tendu à remplacer celle de
racisme. Elle désigne un mixte d’attitudes fait d’hostilité, de crainte, de mépris et de
sentiment de supériorité. La grande constante de la xénophobie est de voir dans l’étranger
un être à la fois dangereux et inférieur. Ces dernières années est apparu le besoin d’un
nouveau terme, car les attitudes négatives à l’égard des « autres » ont souvent eu pour objet
des immigrés de nationalité française. Le néologisme d’altérophobie répond à ce besoin de
disposer d’un terme pour désigner la xénophobie quand elle s’adresse à des membres de la
société française qui sont considérés comme des étrangers de l’intérieur. Il y a sans doute
autant de vrai que de faux dans la formule de Sartre : « L’enfer c’est les autres », quand les
autres dont il s’agit sont des individus. En revanche on peut parler d’une tendance à
l’« altérophobie » quand « les autres » désignent un collectif caractérisé par sa religion,
son origine géographique ou autre.
Pour la campagne électorale de 2007, Patrick Buisson, le conseiller de Nicolas Sarkozy, lui
avait conseillé d’aller chercher les voix des électeurs non pas à droite ni à gauche, mais
d’aller « au peuple », c’est-à-dire de chercher à atteindre dans le peuple quelques-uns des
sentiments dont l’humanité a le moins de raisons d’être fière : le sentiment de supériorité à
l’égard des « autres » et la crainte des dangers que représentent les « autres ». D’où la
campagne de 2007 jouant sur l’assimilation entre insécurité et immigration, et sur le
sentiment de supériorité des braves gens qui ont la chance d’avoir un emploi et sont censés
se lever tôt sur les paresseux qui se complaisent dans le chômage.
Le communautarisme constitue, à côté de l’immigration, une autre cible favorite de
Sarkozy. Il joue ici sur du velours puisque la société française est dans sa grande majorité
acquise au refus du communautarisme12. Mais son insistance sur ce thème, où il monte en
épingle quelques cas d’horaires réservés aux femmes dans les piscines, trahit une intention
d’instrumentalisation politique. Tel qu’il le présente, le communautarisme constituerait une
menace aussi dangereuse que l’ont été jadis les diverses menaces d’épidémie de grippe. En
fait, de même que quand Marine Le Pen parle de laïcité elle a en fait les musulmans dans
son collimateur, quand Sarkozy parle de communautarisme, c’est la fibre altérophobe qu’il
12
Notons simplement que personne n’a jamais défini le « communautarisme ».
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cherche à faire vibrer chez les électeurs qui pourraient hésiter entre lui et sa concurrente du
Front national. Mais pour éviter qu’on puisse lui faire un tel procès et pour tenter de
conserver le vote centriste des électeurs humanistes, il couvre cet appel aux électeurs des
confins de la droite et de l’extrême droite d’un hymne aux valeurs d’ouverture et de
solidarité : « Je veux être celui qui refusera en France toute dérive communautariste. Je
veux être le Président qui dira aux Français que la République n’appartient pas au passé,
qu’elle est notre avenir parce qu’elle est le nom que nous donnons à notre volonté de vivre
ensemble. J’ai appris à quel point les Français sont généreux, sont accueillants, prêts à
partager, à être solidaires. En allant à votre rencontre depuis cinq ans, au milieu des pires
épreuves, jamais je ne vous ai vus tentés par l’égoïsme, par le repliement sur soi, par le
rejet de l’autre»13. A tous ceux chez qui la référence au communautarisme est un moyen
« politiquement correct » d’exprimer leur hostilité à l’égard des immigrés, il accorde ainsi
un certificat de bonne conduite et de conformité aux valeurs d’humanisme !
3. REPETER POUR IMPOSER COMME EVIDENCE UNE MATRICE IDEOLOGIQUE
Depuis sa campagne de 2007 jusqu’à aujourd’hui, Sarkozy a toujours fait usage du même
procédé consistant à viser les sentiments altérophobes d’une partie de l’électorat en tenant
des propos qui, au sens strictement littéral, ne désignent pas nécessairement les immigrés,
mais qui les désignent à l’évidence dans l’esprit des électeurs auxquels ils sont destinés. Il
en a été ainsi du karcher et de la racaille. Il a ainsi utilisé de nombreux thèmes qui
reçoivent un large assentiment dans la population mais qui ont eu pour lui un objectif
essentiellement politique. L’objectif était non pas de promouvoir telle ou telle mesure
importante mais plutôt de faire vivre les électeurs-cibles (ceux qui sont susceptibles d’être
sensibles aux thèmes altérophobes) dans un bain idéologique qui les amène à penser que le
Président en place défend leur point de vue. Les exemples foisonnent.
On a eu ainsi le débat sur l’identité nationale, thème éminemment piégeux sur lequel on
peut dire tout et le reste, et qui avait surtout pour objectif de souligner que pour être un vrai
Français il fallait surtout se comporter comme un « bon » Français, et notamment, comme
l’avait indiqué Nadine Morano dans une envolée de haute portée intellectuelle, qu’il ne
fallait pas être à la fois musulman et « porter sa casquette à l’envers ».
En avril 2010, Eric Ciotti, l’un des exécuteurs de la ligne sécuritaire-altérophobe de
Sarkozy, relance un énième projet de suppression des allocations familiales à l’encontre
des mineurs déviants. Le même mois éclate l’affaire du « polygame de Nantes »,
successeur du « plombier polonais » dans la série des Pères Fouettard nationaux. Un
polygame avec une femme qui conduit en niqab, ne voilà-t-il pas de quoi ébranler la
République dans ses fondements ? Le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, adresse un
courrier à son collègue Eric Besson, ministre de l’immigration et de l’intégration, pour lui
demander d’examiner les conditions dans lesquelles ce personnage pourrait être déchu de
la nationalité française. La chose n’aboutit pas, mais l’idée de la déchéance de la
nationalité germe. En août 2010, Nicolas Sarkozy, comme s’il se repentait d’avoir aboli le
13
Discours prononcé à Villepinte le 11 Mars 2012.
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principe de la double peine, la reprend dans son discours de Grenoble où il propose que la
nationalité française puisse être retirée à « toute personne d'origine étrangère qui aurait
volontairement porté atteinte à la vie » d'un policier, d'un gendarme ou « de toute autre
personne dépositaire de l’autorité publique ». A cette occasion, Rama Yade avouera avoir
regardé si elle pouvait subir cette loi, rajoutant que si elle, qui n’avait nulle intention de
tuer un policier ou un gendarme, se sentait concernée, ils pouvaient être nombreux à se
sentir visés14.
A partir d’août 2010, le relais est pris par le débat sur les Roms et les gens du voyage, entre
lesquels un flou artistique est entretenu. A cette occasion on apprend avec effarement
qu’une circulaire du ministère de l’intérieur, dont le titulaire est Brice Hortefeux, demande
aux préfets d’engager « une démarche systématique de démantèlement des camps illicites,
en priorité ceux de Roms ». Cette circulaire, datée du 5 août 2010 et signée du directeur de
cabinet du ministre, fixe un objectif de 300 campements ou implantations illicites à faire
évacuer dans un délai de trois mois, et exige des préfets « d’assurer la réalisation
minimale d'une opération importante par semaine (évacuation / démantèlement /
reconduite), concernant prioritairement les Roms ». Cette fois-ci Sarkozy comprend qu’il
est allé trop loin et la circulaire est retirée. Le directeur de cabinet portera le chapeau15.
4. UNE STRATEGIE DE PREMIER TOUR : IMPOSER LA « FRANCE FORTE »
La droitisation sarkozyste a fort peu à voir avec les convictions et idéologies. Seule
importe à Nicolas Sarkozy la victoire et plus encore - influence de Carl Schmitt ? - la
destruction symbolique de l’adversaire. Il lui faut donc être en tête du premier tour pour
créer une « dynamique » lui permettant de l’emporter au second. Alors que la tradition
française voulait que le second tour soit l’occasion de construire une majorité ou
d’éliminer l’adversaire dont on ne voulait pas, Nicolas Sarkozy pense la stratégie des deux
tours en un : s’affirmer le leader au premier, et donc l’être au deuxième. Force est de
constater que cette première condition, remplie en 2007, ne l’a pas été en 2012.
Elle explique néanmoins la volonté de s’attaquer dès avant le premier tour aux électorats
concurrents. Nicolas Sarkozy faisant le pari d’une droitisation de la société française, il
commence donc par les électeurs du Front national. Mais ceux-ci ne peuvent être
convaincus par de vagues promesses ou des thématiques rapidement envoyées, d’autant
plus que contrairement à ce qui était observé il y a une dizaine d’années, le vote FN en est
aujourd’hui à sa deuxième génération, ce qui le rend plus hermétique à un autre discours
politique. Nicolas Sarkozy leur a expliqué en 2007 qu’ils devaient voter pour lui si considérant le rejet dont le FN a fait l’objet en 2002 - ils voulaient qu’une partie de leur
programme favori, à défaut de l’intégralité, soit appliqué. Ce qu’ils ont fait, mais c'est à la
14
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/10/14/97001-20101014FILWWW00481-decheance-l-incertitude-deyade.php
15
Celui qui a eu l’idée de lier évacuation des camps de Roms et reconduite à la frontière sur le fondement des
dispositifs de retours volontaires est un ancien militant du GUD aujourd’hui préfet, qui avait agi sous l’autorité
du Secrétaire général du ministère de l’Immigration, lui-même ancien élu local protégé d’Alain Juppé. Quant à
celui considéré habituellement comme le rédacteur de la circulaire, il a bénéficié à quelques semaines de
l’alternance d’une promotion de carrière conséquente.
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source de leur déception : Nicolas Sarkozy a très certainement mis en œuvre plus de 30 %
du programme de Jean Marie Le Pen. Mais ces électeurs FN n’ont vu que les 70 %
restants, d’où leur retour massif vers les rives lepénistes.
Cela n’empêche. En 2012, Nicolas Sarkozy, toujours soucieux de dévitaliser Marine Le
Pen, explique désormais à ses électeurs qu’il appliquera cette fois plus de 30 % de son
programme. Il possède sur elle la supériorité de l’efficacité ; elle promet dans le vague. Lui
promet moins, mais assure que cela sera fait. Les électeurs du FN, sensibles avant tout au
verbe, lui seront gré du discours de Grenoble, du débat sur l’identité nationale, de la
création de la droite populaire. Bref, Nicolas Sarkozy entend leur offrir mieux et intègre
cela dans un slogan d’apparence giscardienne, « La France forte ». Si le slogan a attiré les
parodies, il a évité la critique du sens, qui privilégie les électeurs du FN sur ceux de
François Bayrou, volaille que Patrick Buisson pense trop dénuée de convictions pour ne
pas être plumée facilement au deuxième tour. La « France forte », c’est d’abord l’apologie
de la Force au sens politique, c'est-à-dire de la force sur le droit. C’est une France qui
s’articule merveilleusement avec la proposition de référendums multiples dans un rejet de
ce qui fait l’essence de la concorde nationale et de la construction du consensus politique.
C’est la certitude qu’il existe une vérité politique, sujet sur lequel les frontistes n’ont
aucune hésitation, et que cette vérité doit être imposée au reste du corps social, malgré
toutes les oppositions et divergences qui sont vues comme autant de contestations d’un
ordre social naturel. La France forte, c’est celle qui préfère imposer son approche dans un
ordre politique où elle a raison, c’est la concrétisation d’une domination culturelle
revendiquée ; c’est la volonté de détruire le vaincu ; c’est l’appel à la violence plutôt qu’au
dialogue pour résoudre le conflit, plutôt que la divergence ; c’est l’appel mystique à une
relation directe entre le sujet et le chef. La « France forte », c’est le positionnement le plus
à droite qu’un politique ait imaginé depuis plus de quarante ans, celui qui valide l’ordre
social issu de l’histoire comme autorité au détriment du droit et de l’humanisme si besoin
est16.
5. LE GRAND ECART DU DEUXIEME TOUR : NE PAS TROP REBUTER LES
CENTRISTES, MAIS NE LEUR LAISSER AUCUNE PLACE
La focalisation revendiquée sur le premier tour et la volonté affichée de ne pas ouvrir de
discussions entre les deux tours ne doit pas cacher la réelle préoccupation du candidat
président pour cette étape. La stratégie de droitisation recherche également une
amélioration des reports de voix des électeurs FN au deuxième tour, mais elle se heurte à la
volonté de ne pas écarter les électeurs centristes. Si Nicolas Sarkozy considère qu’ils se
rallieront naturellement, contraints et forcés par la vieille peur des collectivistes et des
chars soviétiques, il tente cependant de leur faire passer des signaux afin d’abaisser la
barrière qui les sépare. C’est dans le rapport aux électeurs humanistes que se trouve la
limite de sa stratégie de droitisation.
16
Interrogé sur la démocratie, François Brigneau déclarait : « Moi, je ne suis pas démocrate, je ne suis pas
pour l'élection, je ne crois pas que c'est la majorité qui a raison ». Citation rapportée dans L'Express.
http://www.lexpress.fr/actualite/politique/francois-brigneau-l-un-des-co-fondateurs-du-fn-estdecede_1103407.html
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S’il est difficile de déterminer avec précision quel est le niveau relatif des valeurs
humanistes et des valeurs d’altérophobie, il est en revanche certain qu’il existe un électorat
humaniste, c’est-à-dire une partie de l’électorat qui se détermine en fonction des valeurs
humanistes et qui ne peut en aucun cas voter pour un candidat qui transgresserait
frontalement ces valeurs. Aussi bien, tant dans sa campagne de 2007 que dans sa campagne
actuelle, Nicolas Sarkozy a-t-il toujours pris soin de tempérer ses prises de position
altérophobes par des références aux valeurs humanistes. Avant 2007, il se déclarait par
exemple favorable au droit de vote des étrangers aux élections locales et partisan de la
discrimination positive. Sans prendre des positions aussi audacieuses, il utilise la même
technique en 2012. Ses propos anti-immigration sont toujours balancés par une référence
aux valeurs humanistes et républicaines.
Ainsi, alors qu’il menace de se retirer des accords de Schengen si l’Europe ne gère pas
mieux les flux migratoires, il explique que la protection des citoyens au moyen du contrôle
des frontières est nécessaire pour que l’Europe reste fidèle à « son idéal
d’humanisme ». Dans son discours de Marseille, il justifie l’objectif de réduire
l’immigration, non pas par les éventuelles nuisances qu’elle amènerait, mais par l’intérêt
même et le nécessaire respect de la dignité des immigrés : « Les premiers à en souffrir sont
ceux que l’on n’est pas capable d’accueillir dignement et qui se sont souvent fait
dépouiller de toutes leurs économies par des passeurs sans scrupules qui n’ont pas hésité
à mettre leur vie en danger ».
Ces circonlocutions rhétoriques ne doivent pas masquer le fait qu’il s’agit de rideaux de
fumée. Nicolas Sarkozy a entendu tirer parti de sa plasticité pour rallier différents
électorats de l’ensemble de ce qu’il voyait comme la droite, car c’était la seule approche
qui pouvait lui laisser imaginer la possibilité d’une réélection. Toutefois, il a adressé
prioritairement son discours aux électeurs du Front national, les plus nombreux dans son
esprit : d’abord convaincre la droite, le centre suivra, pensait-il. La droitisation, qu’elle
passe par les propositions ou le ton, est l’incarnation du sarkozysme 2012. Les électeurs
humanistes ne font par définition pas partie de la « France forte ».
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2.
La « dédiabolisation » du FN : quand la stratégie du
mouvement masque l'immobilité idéologique
Alors que François Mitterrand avait vidé le PC de sa substance sans reprendre les thèmes
de Georges Marchais, Nicolas Sarkozy s'est imaginé assassiner le Front national en
validant ses préoccupations. Persuadée – à juste titre semblerait-il - que cela ne faisait que
lui apporter des électeurs, Marine Le Pen a engagé une stratégie de recentrage, dite de
« dédiabolisation » pour faciliter les ralliements. Elle serait contrairement à son père
devenue fréquentable, banale, dans la perspective d'une convergence que les électeurs du
FN appellent de leurs vœux. Mais cela relève d'une erreur d'interprétation. Si Nicolas
Sarkozy a poussé vers la droite, Marine Le Pen n’a évolué que sur la forme, reprenant
pleinement à son compte la stratégie inaugurée par Bruno Mégret, son mentor politique
qu'elle contribua pourtant à assassiner.
De cette articulation entre évolutions stratégiques et faux-semblants, ressort le sentiment
d’un mélange indigeste. Qui aujourd’hui est le plus conforme à une nouvelle droite
éloignée de l’humanisme? S’agit-il de celle qui a renoncé à l’antisémitisme pour une
approche anti-islam assez similaire, mais plus politiquement correcte ? S’agit-il de celui
qui ne parle de la France qu’en termes de communautés ? De celui qui, dans un lapsus,
laisse entendre que l’on peut être « musulman d’apparence » ? La campagne de 2012 laisse
le goût amer de la confusion.
Cette confusion est d’autant plus difficile à avaler que – au moins jusqu’au premier tour les militants du Front national, même conscients d’avoir affaire à une PME familiale peu
portée sur les convictions, préféraient le verbe et le style virilisant du « menhir » à Marine
Le Pen, qui les décevait par son absence de culture et sa méconnaissance du style verbal
d’extrême droite qu’elle ne maîtrise pas en dehors des postures physiques d’expression de
la force.
1. MARINE LE PEN, MEILLEURE ELEVE DE BRUNO MEGRET
Plutôt que de chercher à repérer, dans chacune des interventions de Marine Le Pen, ce qui
la rapprocherait ou la distinguerait de son père, il s’avère beaucoup plus éclairant de mettre
en exergue un autre héritage, habituellement passé sous silence : celui de Bruno Mégret.
Marine Le Pen ne le dit jamais, mais c’est à Bruno Mégret, l’homme qui inventa la
« dédiabolisation », qu’elle emprunte aujourd’hui l’essentiel de sa stratégie politique.
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Celle-ci tient en une formule : « casser la droite », pour reprendre le titre d’un chapitre de
La France blafarde, le livre publié en 1998 par Jean-François Cambadélis et Eric Osmond,
analyse lucide et solidement documentée de la galaxie frontiste. Marine Le Pen, meilleure
élève de Bruno Mégret ? C’est en tout cas ce que semble démontrer sa campagne
présidentielle. Marine Le Pen semble avoir plus de chance de réussite que Bruno Mégret.
1. 1. Ravaler la façade pour accéder au pouvoir
Revenons une vingtaine d’années en arrière. Bruno Mégret, alors délégué général du Front
national, conduit l’aggiornamento visant à transformer le vieux parti d’extrême droite en
force orientée vers la conquête du pouvoir. Une stratégie que ne peut tout à fait désavouer
Jean-Marie Le Pen, compte tenu des positions acquises par Mégret au sein de l’appareil et
de sa popularité grandissante parmi les cadres du mouvement. Mais au fond, ce
changement de cap n’a rien qui puisse l’enthousiasmer. Depuis ses premiers succès
électoraux à l’orée des années 1980, Jean-Marie Le Pen considère en effet que la force
d’attraction du FN repose sur sa capacité à prendre le contre-pied des positions
majoritaires, à choquer et à provoquer, bref, à créer un effet repoussoir visant à éloigner de
lui les autres forces politiques. « Le pouvoir ? Dieu nous en préserve ! », laisse-t-il un jour
échapper devant ses lieutenants médusés. Jean-Marie Le Pen se cantonne dans l’invective
et cultive avec délices sa propre diabolisation.
Mais la vocation d’un parti n’est-elle pas d’accéder un jour aux responsabilités ? Et, pour
atteindre ce but, est-il d’autres solutions, pour le FN, qu’une stratégie d’alliance avec la
droite classique ? « Il n’est pas un seul exemple, dans l’histoire, d’un mouvement politique
qui soit arrivé seul au pouvoir », répète Bruno Mégret. Cette alliance, le délégué général
ne la conçoit qu’à une seule condition : que le FN, au moment de négocier, soit en position
de force. Pas question de servir de béquille à une majorité UDF-RPR, comme ce fut le cas
à Dreux en 1983, ou dans la région PACA en 1986.
La méthode Mégret consiste à attirer la droite sur le terrain idéologique du FN, à gagner la
bataille des idées au sein des franges les plus droitières de la coalition RPR-UDF, de
manière à créer des tensions insurmontables au sein de ces formations, à les fissurer et à
précipiter leur éclatement, préalable indispensable à la construction d’une grande force
d’opposition réorganisée autour du FN. Depuis le début des années 1990, dans sa course
désespérée à la poursuite des électeurs frontistes, une partie de la droite (Pasqua,
Poniatowski, Millon, Griotteray, Gaudin) se montre de plus en plus décomplexée à l’égard
du FN, n’hésitant pas à reprendre certains mots d’ordre lepénistes. Mégret ne peut
qu’applaudir à ce phénomène de mimétisme. A force de surenchérir dans le discours
sécuritaire et anti-immigrés, ces concurrents pourraient un jour devenir des alliés, des
partenaires au sein d’une coalition idéologiquement dominée par le FN.
Voilà qui exige au minimum, de la part du FN, un large ravalement de façade, voire, en
poussant jusqu’au bout la logique mégrétiste, une franche rupture avec la ligne suivie par
Le Pen depuis le début des années 1980. Car pour séduire cette droite qui ose s’aventurer
sur son propre terrain idéologique, le FN doit se « respectabiliser », en finir avec les jeux
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de mots douteux sur la Seconde Guerre mondiale, les crânes rasés qui ternissent son image
et le style agressif de son leader qui décrédibilise l’ensemble du mouvement. Reste un
problème, et de taille, pour Bruno Mégret : Jean-Marie Le Pen. Car le patron du FN n’a
nullement l’intention de jouer cette nouvelle partition. Très à l’aise dans sa tunique de
diable de la République, il veille à maintenir entre lui et la droite classique un cordon
sanitaire qui semble condamner le FN à rester ce qu’il est : un mouvement protestataire,
héritier d’une culture politique groupusculaire, rejeté aux marges du jeu politique.
Mais à force de provocations et de surenchères qui interdisent à son parti tout espoir
d’accéder un jour aux responsabilités, Le Pen fait de moins en moins l’unanimité dans son
propre camp. Au-delà des querelles de personnes et du choc des ambitions, cette
divergence fondamentale permet de comprendre la crise que traverse le FN à la fin des
années 1990. Parmi d’autres facteurs, la scission des mégrétistes s’explique par l’idée que
les uns et les autres se font du FN face à l’éventualité de parvenir un jour au pouvoir, et des
possibilités d’alliances avec la droite classique.
1.2. Casser la droite : Marine Le Pen au miroir de Bruno Mégret
Dans ce conflit, contrairement à sa sœur Marie-Caroline, Marine Le Pen a pris le parti de
son père. Pour autant, cela ne fait pas d’elle une adepte de la ligne suivie par le patron du
FN. Au cours des années 1990, qui virent la jeune femme s’engager en politique, Marine
Le Pen subit la forte influence de Bruno Mégret. Et c’est elle qui, par la suite, porte cet
héritage au sein du FN – sans jamais reconnaître explicitement la nature de ce legs, le
« félon » Mégret ayant été mis au ban de la famille frontiste. Déjà, en 1998, au plus fort de
la crise qui allait aboutir à la scission, Mégret avait essayé – sans succès – de rallier Marine
Le Pen à sa tentative de « puputsch », sentant bien que, sur le terrain idéologique et
politique, tous les deux étaient d’accord sur le fond.
L’ascension de Marine Le Pen au sein du parti doit autant, sinon davantage, à sa
réappropriation de la stratégie mégrétiste qu’à son statut de « fille de ». La benjamine des
Le Pen répète sa volonté de dé-diaboliser le FN, d’en faire un parti « comme les autres »,
ayant vocation à gouverner. «Un chose est sûre, la finalité de tout engagement politique est
d’être apte à exercer les responsabilités du pouvoir. Il y a un moment où il faut savoir
passer de la protestation systématique à la volonté affirmée de changer les choses et à la
logique de gouvernement. Le Front national n’a pas vocation à s’enfermer dans une
culture groupusculaire ni dans une posture de témoignage perpétuel, mais il a le devoir de
devenir un grand parti populaire », résume-t-elle peu avant son élection à présidence du
FN. Propos à interpréter comme une prise de distance assumée avec la stratégie du père.
Bruno Mégret ne disait pas autre chose.
Rien d’étonnant, dès lors, à retrouver dans l’entourage de Marine Le Pen une partie de
ceux qui avait suivi Bruno Mégret dans la brève aventure du MNR : Bruno Bilde, chef de
cabinet de Marine Le Pen, Steeve Briois, secrétaire général du FN, Nicolas Bay, membre
du bureau politique, Philippe Olivier, beau-frère et conseiller officieux de la nouvelle
présidente. Récemment encore, Marine Le Pen s’est rapprochée de Jean-Yves Le Gallou,
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ancien pilier du MNR, venu du GRECE, actuel animateur du think thank Polémia17 et
intellectuel influent dans la nébuleuse nationaliste. Coïncidence ? Le titre du livre publié
en janvier 2012 par Marine Le Pen, Pour que vive la France, est également celui de
l’ouvrage programmatique du MNR publié en 2000.
En prétendant conduire un jour son parti au pouvoir, professionnaliser les cadres, punir les
dérapages et crédibiliser son programme, Marine Le Pen est parvenue à entraîner dans son
sillage une partie des « frères ennemis » qui avaient quitté le FN parce qu’ils considéraient
ce mouvement comme une machine à perdre. Pour mettre en œuvre sa stratégie, elle
dispose d’une liberté presque totale, à la différence de Bruno Mégret il y a vingt ans. Car
pour elle qui souhaite tant façonner l’image d’un nouveau FN, le principal obstacle, JeanMarie Le Pen, est (presque) levé. L’actuelle présidente du FN a retenu la leçon mégrétiste :
pour avoir une chance d’accéder un jour aux responsabilités, il faut construire des
alliances, mais pas à n’importe quel prix. Il faut précipiter l’explosion de la droite en
portant la pression des contradictions en son sein jusqu’au point de rupture, préalable à la
constitution d’une grande force populiste. Reste à savoir si la situation politique actuelle
réunit les conditions favorables à la mise en œuvre de cette ambition. Le 22 avril au soir,
Jean-Marie Le Pen, un peu aigri, déclarait que sa fille aurait pu faire mieux. Et pour cause,
elle aura été le meilleur élève du félon. Bruno Mégret peut se féliciter des progrès de son
élève. Elle a su pleinement appliquer sa stratégie.
2. L’APPLICATION DE LA STRATEGIE MEGRETISTE A IMPLIQUE LA RENOVATION DU
DISCOURS
2.1. Marine Le Pen invente la provocation politiquement correcte
Comme à la fin des années 1990, Marine Le Pen s’est retrouvée prise dans le paradoxe de
la dédiabolisation : soit elle poursuit les provocations, auquel cas elle condamne sa
rénovation ; soit elle les supprime, et elle perd le potentiel contestataire qui est justement la
marque de fabrique de son mouvement politique. Entre ces deux écueils, elle privilégie une
nouvelle forme de provocation light. Elle cesse donc les provocations qui feraient scandale
et se démarque ainsi de son père, qui persiste à proclamer sa passion de Brasillach, et
trouve les moyens d’une provocation qui ne soulève ni réprobation immédiate ni haut-lecœur comme « Durafour crématoire », mais produit cependant les polémiques nécessaires
à l’imposition de ses thèmes, dans la logique familiale de la politique spectacle. Le cas des
prières de rues est emblématique. En les qualifiant d’« occupation », elle peut à la fois
décrire une réalité que chacun est libre de ne pas accepter, en l’occurrence l’occupation des
rues par des prières collectives, mais aussi faire référence à la période de l’Occupation et
donc, par sous-entendu, assimiler les fidèles musulmans aux nazis, ce qui confère à ses
paroles, soigneusement étudiées, un caractère scandaleux. Mais par le double sens des
phrases utilisées, Marine Le Pen remplit son objectif d’introduction dans le débat public
d’une altérophobie socialement acceptable, terrain sur lequel elle peut concurrencer
frontalement le président sortant. Elle invente la provocation politiquement correcte, qui
17
www.polemia.com. Cf. à ce sujet le passage sur J.Y. Le Gallou et la réinformation par internet. (II/ C/ 3/2)
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tout en marquant sa différence, lui ouvre la voie du retour dans l’espace médiatique non
comme paria, mais comme notable des sondages. Désormais forte de ce nouveau
positionnement, elle a fait le choix de délaisser les thèmes traditionnels de son père pour
privilégier deux axes, les thèmes économiques et sociaux d’un côté, une forme étrange de
laïcité de l’autre.
2.2. La priorité aux thèmes économiques et sociaux : succès et limites d’une
stratégie de troisième voie
C'est dans ce cadre de la « dédiabolisation » que Marine Le Pen a choisi de mettre l'accent
sur les thématiques sociales, afin de se présenter, prétendue nouveauté, comme la
« candidate des ouvriers », et ce alors même que sa clientèle poujadiste traditionnelle
(petits commerçants et artisans, professions libérales) préfère un discours très anticommuniste, voire anti-syndicats. Pourtant, entre la volonté manifeste de renforcer une
base électorale qui se veut populaire et la typologie sociologique de son mouvement, le
Front national ne brille pas par la cohérence de son discours sur la question sociale : cela
montre la difficulté historique de faire émerger une troisième voie entre libéralisme et
marxisme.
La volonté sociale n'est effectivement pas une nouveauté, mais une réactivation de ce qui
prend sa source dans la tendance solidariste incarnée par Jean-Pierre Stirbois ou François
Duprat lorsque ce dernier impose à Jean-Marie Le Pen dans les années 1970 le slogan « un
million de chômeurs, c'est un million d'immigrés en trop », donnant naissance au
« problème de l'immigration ». Mais cette tendance fut longtemps marginale. Jean-Marie
Le Pen se présentait comme le « Reagan français » promoteur d’une « révolution
conservatrice » faite de désengagement de l’Etat et de baisse massive des prélèvements
fiscaux pour les ménages les plus favorisés.
C’est la mutation du Front national des beaux quartiers vers le vote ouvrier (30 % dès
1995) qui a imposé la question sociale au sein du FN. Les précurseurs de cette stratégie
sont, là encore, Bruno Mégret et son adjoint, Philippe Olivier, mais aussi le secrétaire
général de l’époque, Bruno Gollnisch, qui en appelle à constituer un « front social sur le
front du travail ». Entre 1995 et 1996, le FN téléguide ainsi la création de sections
syndicales dans diverses branches professionnelles18. Marine Le Pen reprend la stratégie au
sortir du congrès de Tours en janvier 2011 par la création d'un Cercle national de défense
des travailleurs syndiqués (CNDTS), le 10 mars 2011, présenté comme une « association
de défense des intérêts sociaux, moraux et juridiques » des militants FN subissant au sein
de leurs syndicats « discriminations politiques et exclusions ». L'objectif est clair,
déclencher l'opposition des syndicats (objectif pleinement réussi), et faire passer le
discours mariniste par-dessus ces derniers vers les classes populaires.
Ce discours se veut donc social et égrène les mesures supposées plaire au monde ouvrier :
18
La plupart de ces syndicats sont invalidés par la Cour de cassation dès 1998. Le FN obtient 23 % des voix
ouvrières en 2002 et 16 % en 2007. Chaque élection révèle un survote du monde ouvrier pour Jean-Marie Le
Pen.
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critique du démantèlement des services publics, en particulier dans les zones rurales,
attribué à la concurrence imposée par l’Union européenne ; privatisation des entreprises de
service public dans tous les secteurs ; désengagement de l’Etat en raison de la baisse des
effectifs, révision générale des politiques publiques, gel des traitements. Le sac à
promesses s'ouvre vers un Etat bien loin de ce celui que promettait son père, bien loin
également de celui que promeut Nicolas Sarkozy. Au contraire, elle s'oppose au
libéralisme, gauchit son discours, promeut une « politique de réindustrialisation
volontariste », et enfin la sortie de l'euro, concession ultime à son rejet de l'Europe : ces
thèmes sont au cœur de sa stratégie de séduction d’une classe ouvrière ayant voté
majoritairement non au référendum de 2005.
La gauchisation du discours déporte le FN quand l’UMP se droitise. Les attentes sur les
questions sociales sont nettement plus prononcées parmi les électeurs « marinistes » que
chez ceux de Nicolas Sarkozy. Cette prégnance nouvelle a probablement contribué au
médiocre report de voix des électeurs de Marine Le Pen sur Nicolas Sarkozy au second
tour et expliquerait ses nuances régionales, ce report ayant été annoncé plus faible en
Nord-Pas-de-Calais ou Champagne-Ardenne que dans le Sud historique de la nouvelle
droite19.
Ce virage social de Marine Le Pen n'est pas perdu pour tout le monde. Le terrain
abandonné par la fille du chef est d'office occupé par le coucou concurrent. La diatribe de
Nicolas Sarkozy contre les corps intermédiaires découle de sa volonté de séduire l'électorat
traditionnel du FN, mais encore une fois, non en travaillant à le convaincre du bien fondé
de la droite parlementaire, mais en lui expliquant que ses idées seront mieux appliquées par
le candidat sortant. Sur ce point, Marine Le Pen a risqué gros face aux écueils où Jacques
Doriot ou Jean-Gilles Malliarakis ont échoué avant elle. Elle laisse à « Nicolas Le Pen » 20
la primauté de l'original sans parvenir à copier la gauche, tant son virage social se résume à
un replâtrage de la notion de préférence nationale. Si le discours change, le fond ne varie
pas21.
Il en est de même pour la laïcité, nouvelle venue et grande vedette des discours de Marine
Le Pen. La fille du chef, qui a fait baptiser ses enfants à Saint-Nicolas-du-Chardonnet,
église qui refuse toute supériorité de la loi terrestre sur la loi divine, se présente désormais
comme la Jeanne d'Arc de la laïcité.
2.3. La laïcité et le FN : vraie-fausse révolution mais réel aboutissement d'une
évolution des droites
«Le principe de laïcité est essentiel» : Marine le Pen affirme, sur le plateau du Grand Jury
RTL/Le Figaro, le 19 décembre 2010, un tournant linguistique historique à l’extrême
19
Sondage IFOP du 26 mars 2012.
Titre d’un éditorial du Wall Street Journal :
http://online.wsj.com/article/SB10001424052702304450004577277241473592360.html
mod=WSJEUROPE_hpp_sections_opinion
21
Sylvain CRÉPON, Enquête au cœur du nouveau Front national, Paris, Nouveau monde édition, 2012.
20
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droite22. En effet, si l’UMP avait dès 2003 théorisé la défense d’une laïcité qualifiée de
« nouvelle » - comme si la gauche et la République n’avaient pas eu une lecture
extrêmement riche de la question laïque23, le FN restait à la marge. Dès le 11 novembre
2009, alors encore loin de la présidence du FN, Marine le Pen propose même de défendre
« l’école publique ». Indéniablement, sur le discours, la rupture est notable avec une
extrême droite violemment hostile à la Révolution et à la loi de 1905.
Le choix de Marine le Pen d’affirmer son credo laïc est alors double. D’une part, il
constitue une ressource politique certaine dans le cadre de la campagne interne pour la
direction du FN où Bruno Gollnisch est identifié à l’aile traditionaliste du FN, celle des
commandos anti-IVG du docteur Xavier Dor, des anciens catholiques de l’Algérie
française ou des membres de la Fraternité Saint-Pie X24. D’autre part, la laïcité constitue
une ressource extérieure utile, dans le cadre du rejet des minorités perçues comme
étrangères au tissu national. Dans l’après-11 septembre, ce discours a connu un succès
croissant. Mais il trouve en réalité ses racines dans des mutations nées dès les années 1980,
au moment où la droite commence à contester à la gauche ses valeurs fondatrices,
notamment en matière d’identité républicaine, populaire et laïque.
La fin des années 1980 à 2001 : la droite et la « menace islamiste »
Dans le climat international des années 1980, marqué par le contrecoup de la révolution
islamique iranienne, la question de l’islamisme est perçue comme une menace à la sécurité
nationale (compréhensible au vu du risque terroriste). La déconnection entre la
communauté musulmane française, largement afro-maghrébine et sunnite, et les
mouvements politico-religieux chiites et nationalistes25 est pourtant patente et empêchait
une éventuelle confusion. Cela n’empêche pas le Figaro Magazine, dans sa célèbre
couverture du 26 octobre 1985, de présenter une Marianne voilée, en reliant celle-ci à la
question de l’immigration. S’ajoute une phrase choc demandant si « nous serons encore
français » à l’avenir. L’islam est décidément une affaire étrangère à la fois en matière de
débat national et de perception par la droite hexagonale.
Le premier lien entre présence de l’islam et atteinte à la laïcité surgit lors de l’affaire de
Creil en 1989. En effet, la polémique entourant, à la rentrée scolaire de cette année,
l’arrivée dans le collège de cette ville ouvrière picarde de trois filles voilées change la
donne. De manière révélatrice, le foulard est appelé par les médias et les politiques
« tchador », nom persan inusité dans le Maghreb et en Afrique subsaharienne, et son
acceptation est qualifiée de « libanisation » de la France. La droite s'empare des divisions
de la gauche sur le sujet des signes religieux à l'école, opposant la tradition laïque (dont
l'aile militante est incarnée par Jean Poperen et les syndicats enseignants) à certains
22
François Wenz-Dumas, « Marine le Pen fait son laïus laïque », Libération, 20 décembre 2010 :
http://www.liberation.fr/politiques/01012309081-marine-le-pen-fait-son-laius-laique
23
Guy COQ, Laïcité et république, Paris, éditions du Félin, 2003.
24
On peut souligner que Marine le Pen, qui entretient des liens étroits avec l’Eglise traditionaliste de SaintNicolas-du-Chardonnet (occupée illégalement par les traditionalistes depuis 1977), n’est pas étrangère à cette
mouvance.
25
Cf. les travaux sur la notion d’islamo-nationalisme appliquée aux groupes islamistes chiites actuels. Walid
CHAHARA et Frédéric DOMONT, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste, Paris, Fayard, 2004.
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politiques et intellectuels. Mais dans le même temps, ni le RPR, ni l'UDF ne s'indignent
quand Pierre Bernard, maire de Montfermeil, refuse la scolarisation d'enfants d'immigrés.
Il est vrai que la droite, alors encore marquée par les manifestations pour « l’école libre »
en 1984, était confrontée à un camp laïque à la fois encore solide et peu favorable à laisser
la laïcité à l’opposition conservatrice.
Avec la guerre civile algérienne, qui débute à partir de 1992, la menace islamiste se
rapproche géographiquement, mais aussi culturellement26 : la principale communauté
étrangère hors européenne, en France, est d’origine algérienne. De plus, le conflit mêle à la
fois la question de l’islam politique, de la laïcité et du féminisme, dans une configuration
appelée à une certaine pérennité. L’affaire Khaled Kelkal, du nom de l’islamiste abattu près
de Lyon en 1995, constitue un tournant fondamental. Désormais, l’islamisme radical est
issu de la société française elle-même, ou du moins de ses marges constituées par les
banlieues populaires en crise. Pour une partie du Front national, regroupée autour de Bruno
Mégret, adepte de la notion d’identité, l’islam devient le danger existentiel. Dans le cadre
de la guerre contre l’Irak de Saddam Hussein en janvier 1991, Bruno Mégret avait présenté
les populations arabo-musulmanes comme une « cinquième colonne » qui « ne resterait
pas inactive »27. Dès les années 1990, les mégrétistes définissent l’islam comme une
menace pour la République française, à la fois par son caractère propre et du fait de la
confrontation entre Occident et islam. S’ils anticipent largement les évolutions ultérieures
du discours intellectuel et politique en France sur l’islam, leur thématique anti-islamique
ne trouve pas de relais suffisant avant le 11 septembre 2001.
Un tournant post-11 septembre, théorisé par des intellectuels à la charnière entre
droite et extrême droite
Dès les années 1980, la dénonciation d’un islam(isme) radical menaçant pour la laïcité et la
République a été affirmée dans une partie de l’espace politique mais aussi intellectuel, audelà des clivages partisans. Ainsi, cinq intellectuels de gauche, Élisabeth Badinter, Régis
Debray, Alain Finkielkraut, Élisabeth de Fontenay et Catherine Kinzler, publient dans le
Nouvel Observateur, le 2 novembre 1989, une tribune hostile au foulard islamique à
l’école, et dénonçant un véritable « Munich » en cas d’acceptation de celui-ci. Les auteurs
en question soulignent que l’islam en tant que foi n’est pas en cause, et que le système
éducatif est avant tout la victime des mutations, des injustices d’une société consumériste
et en voie de délitement dont le foulard ne serait que le révélateur.
Avec certains intellectuels, cette posture laïque permet d’introduire des concepts étrangers
à la tradition intellectuelle et culturelle républicaine, notamment dans l’après-11
septembre. L’évènement constitue une double ouverture des digues, à la fois au point de
vue humain, avec la consécration de personnalités à la frontière des droites extrêmes, et la
reconnaissance d’un champ linguistique et théorique jusque-là sulfureux dans le débat
public. Ainsi, les théories de « choc de civilisations », « d’islamisation » ou « d’Eurabia »,
26
Selon la remarque de Benjamin STORA, La guerre invisible, Algérie années 90, Paris, Sciences-po, 2001.
Pascal PERRINEAU, « Le Front national, 1972-1994 », in Michel WINOCK, Histoire de l’extrême droite en
France, Paris, Le Seuil, 1994, p. 292.
27
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qui avaient jusque-là peu mordu en France, trouvent une série de vulgarisateurs en France :
c’est le cas d’auteurs comme Guy Millière, Yves Roucaut, Alexandre del Valle, Laurent
Murawiec (aujourd’hui décédé), ou Chantal Millon-Delsol (épouse de Charles).
Ces auteurs ont des caractéristiques communes. Situés à la droite de l’UMP, souvent
proches de la droite néoconservatrice (et de ses auteurs, comme Daniel Pipes, Robert
Kaplan ou David Horowitz), ils considèrent la lutte contre les menaces sécuritaires comme
le paradigme principal pour l’Occident, d’où une proximité avec les thématiques ou les
organismes de sécurité intérieure ou internationale. Ils participent directement à l’action
politique : Guy Millière anime, comme le philosophe Philippe Nemo, les réseaux du
libéralisme conservateur, Alexandre del Valle est l’un des fondateurs de la « Droite libre »,
club associé à l’UMP qui fait figure de matrice de la Droite populaire. Yves Roucaute
participe à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et a
rédigé le discours de Claude Guéant sur l’inégalité des civilisations du 4 février 2012.
Laurent Murawiec a travaillé dans l’univers des think tanks sécuritaires aux Etats-Unis, de
la Rand Corporation à l’Hudson Institute. Ils ont paradoxalement, pour des personnes
situées à droite, une vision parfois extrêmement décliniste, voire négative, du modèle
social français, perçu comme antilibéral, jacobin et peu soluble dans le modèle anglosaxon28.
Autre point commun : le rejet de l’islamisme. Certes, les nuances ne manquent pas entre
ces intellectuels, dont certains refuseraient d’être qualifiés d’« islamophobes ». Cependant,
ils partagent la croyance assumée que l’islamisme constitue la principale menace totalitaire
actuellement, et qu’elle déstabilise les démocraties de l’intérieur29. Pour l’ensemble de ces
auteurs, les relations et les tensions internationales sont largement le produit des identités
culturelles enracinées30. Ils n’hésitent dès lors pas à faire de la laïcité une arme contre cette
menace particulière, et à la promouvoir dans le débat public, notamment à droite. De ce
point de vue, la revendication par certains intellectuels ou faiseurs d’opinion du « droit » à
être islamophobe, comme l’éditorialiste du Point Claude Imbert, souligne l’ampleur du
déplacement des jalons intellectuels depuis le 11 septembre 200131. Il rejoint d’ailleurs de
manière surprenante la critique de l’antiracisme dans une frange des intellectuels français.
Un tournant assumé par l’UMP : le rapport de François Baroin sur la « nouvelle
laïcité »
Alors vice-président de l’Assemblée nationale, François Baroin a remis, en mai 2003, un
rapport au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, intitulé « Pour une nouvelle laïcité ».
Dans un climat marqué par le débat sur les signes religieux à l’école, le rapport a pu passer
inaperçu. Celui-ci doit beaucoup au contexte international, troublé par le 11 septembre
2001, les tensions au Moyen-Orient et la guerre civile algérienne. Mais il s’appuie sur une
28
Cf. par exemple Guy MILLIERE, Un goût de cendres… France, fin de parcours ?, Paris, éditions F-Xavier
de Guibert, avril 2002.
29
Ainsi Alexandre DEL VALLE, Le totalitarisme islamiste à l'assaut des démocraties, Paris, Les Syrtes, 2002.
30
Laurent MURAWIEC, L'Esprit des Nations: cultures et géopolitique, Odile Jacob, 2002
31
Claude IMBERT avait déclaré le 24 octobre 2003 sur LCI être « un peu islamophobe », ajoutant que l’islam
en tant que « religion apporte une débilité d’archaïsmes divers ».
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dénonciation plus sectorielle, celle du communautarisme, dont l’ampleur nécessiterait de
redéfinir la laïcité : « Alors que la liste des sujets qui affectent les rapports entre la religion
et la politique s'allonge régulièrement, on assiste à un déplacement des enjeux liés à la
laïcité, de la sphère religieuse à la sphère culturelle et identitaire. Dès lors, l'Etat est
confronté à un dilemme, soit il se résout au développement croissant des particularismes
dans la société française, soit il continue à promouvoir une culture commune fondée sur
l'émancipation et l'autonomie du citoyen. »32
Si le rapport fait un historique de la question scolaire, il ne dit rien du paradoxe français,
qui est l’un des pays les plus généreux en matière de financement des écoles
confessionnelles. De même, il ne dit rien des attaques contre l’IVG, qui restent
préoccupantes et idéologiquement liées au militantisme ultraconservateur. Pour ne laisser
aucun doute sur l’identité des nouveaux ennemis supposés de la laïcité, le rapport de
François Baroin nomme explicitement leur religion supposée : « Deux ans avant le
centenaire de la loi de 1905, la laïcité redevient d'actualité mais c'est l'islam qui est
aujourd'hui au centre des préoccupations »33
Le rapport se veut certes plus équilibré dans son ensemble. Cependant, il mélange,
notamment dans ses préconisations, des mesures dont on peut se demander ce qu’elles ont
à voir avec la laïcité : diversification des origines des étudiants des grandes écoles,
émergence de nouvelles élites de banlieues populaires, renforcement du nombre de
politiques issus de l’immigration… De fait, le rapport de François Baroin ne propose pas
seulement de « redéfinir » la laïcité : il mêle celle-ci, les banlieues, l’islam, l’immigration
et ses enfants dans un vaste conglomérat, qui se veut « équilibré » entre appel à la fermeté
et mesures généreuses. Pour une partie de la droite, ce conglomérat a par contre une
fonction clairement accusatoire, il est vrai favorisé par le nouveau contexte intellectuel de
l’après-11 septembre. Le rapport Baroin débouche, le 3 juillet 2003, sur la mise en place de
la commission de réflexion dite « Stasi », dont le propos reprend la volonté d’équilibre qui
a pu apparaître dans le rapport Baroin.
Depuis 2002, une laïcité appauvrie à dessein par la droite et l’extrême droite pour
stigmatiser les musulmans
Le rapport Baroin, diffusé en pleine polémique sur les signes religieux à l’école, est
concomitant d’un réalignement d’une partie de la droite et de l’extrême droite autour de
l’antinomie « islam/laïcité ». Le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers, issu de
la droite catholique conservatrice, récupère les thématiques et le vocabulaire de la laïcité
pour combattre l’islam34. C’est ainsi l’exemple de son ouvrage, Les Mosquées de Roissy,
en 2006, qui reprend les principaux aspects du repositionnement idéologique de la droite
extrême sur la laïcité autour de trois idées-force :
32
Introduction au rapport. Les citations sont tirées de la version en ligne publiée par l’Association
internationale des droits de l’homme (AIDH) :
http://www.aidh.org/laic/bar-intro.htm
33
Conclusion au rapport, idem.
34
C’est l’époque où Guillaume Peltier influe sur les thèmes du MPF en tant que secrétaire général du mouvement. Cf le concernant le paragraphe II/2.3.8
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- La lecture de l’islam au travers d’un prisme sécuritaire, à la fois intérieur et international.
- Une laïcité appauvrie volontairement pour en faire une arme contre l’islam ou
l’islamisme.
- Le lien entre laïcité, « identité française » et défense de l’Occident, en guerre contre
l’islamisme radical.
Il n’y a pas de paradoxe à voir dans l’UMP de Nicolas Sarkozy des références alternatives
à la laïcité et à l’héritage chrétien de la France : il s’agit d’une lecture idéologique
cohérente, qui fait du corpus laïque le dernier chaînon de l’identité nationale, voire
civilisationnelle, mise à mal par des groupes culturellement hostiles. La laïcité est punitive
à l’UMP, qui ne souligne jamais la dimension émancipatrice et généreuse de cette notion
au cœur de la République35. Son « code de laïcité » répond plus à une obsession sécuritaire
qu’au respect de l’héritage républicain et universaliste de la IIIe République36.
Dès lors, le débat sur l’identité nationale a un sens précis : définir ce qui est extérieur à
l’identité française, et en particulier la culture islamique. Il faut souligner que Marine le
Pen est à l’unisson du paradoxe sarkozyen établissant le binôme « revendication
laïque/racines chrétiennes » : pour elle, la France doit « être laïque parce qu'elle est
chrétienne de culture » car elle « a des racines chrétiennes, c'est ainsi, c'est ce qui fait
aussi son identité. Elle est laïque, et nous tenons à cette identité et nous ne permettrons pas
que cette identité soit modifiée »37.
La revendication laïque de Marine Le Pen s’inscrit donc dans un processus plus ancien
visant à récupérer un puissant facteur de mobilisation de la culture politique nationale. Elle
s’inscrit dans le détournement généralisé de sémantique lancé par la droite et l’extrême
droite depuis 2007 : ainsi, la présence illégale de fidèles musulmans priant dans une rue de
Paris devient une « occupation », le halal devient une « menace ». Si Marine le Pen n’a pas
participé, à la différence d’autres membres de l’extrême droite européenne comme le
suisse Oskar Freysinger, aux Assises de l’islamisation le 18 décembre 2010 (cf. infra), elle
en reprend les thématiques : à un Occident naturellement séculariste s’oppose un islam
incapable de distinguer le spirituel et le temporel.
Sur le fond, la laïcité de Marine le Pen reste très limitée dans les mesures préconisées : elle
vise à une sanctuarisation des institutions françaises, ainsi les services publics, et
notamment l’école, afin de les protéger d’une menace identitaire désormais symbolisée par
l’islam. Le colloque sur l’école du club « Idées/Nation », du 29 septembre 2011, reste dans
le vague. Ce flou est compréhensible : au Front national, les forces anti-laïques restent
nombreuses. Les identitaires ne sont pas intéressés par la notion de laïcité, trop
universaliste et fort peu synonyme de terroir. Les catholiques traditionnalistes ne seraient
pas particulièrement enchantés de voir leur sociabilité (enseignement hors contrat et
militantisme pour « l’école libre », Fraternité Saint-Pie X, militantisme anti-IVG, défense
35
Jean GLAVANY, La laïcité : les deux points sur les i, essai de la Fondation Jean-Jaurès, mars 2012.
Judith WAINTRAUB, « Les propositions de l’UMP pour défendre la laïcité », Le Figaro, 5 avril 2011 :
http://www.lefigaro.fr/politique/2011/04/04/01002-20110404ARTFIG00723-les-propositions-de-l-ump-pourdefendre-la-laicite.php
37
Le Journal du Dimanche, 28 janvier 2011.
36
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des « victimes » de la Révolution française) mise en cause. Rappelons que ces catholiques
ultra continuent de qualifier publiquement la loi de 1905 de « "lois scélérates"
anticléricales du "Petit père Combes" » et de mesures de « persécution »38. On attend
toujours la dénonciation par Marine le Pen de ces propos remettant en cause la législation
républicaine, surtout venant d’une mouvance qui occupe, à Bordeaux et à Paris, des lieux
de culte, occupation contestée par la justice française. De fait, derrière le discours, la laïcité
reste fort peu précisée dans ses objectifs concrets. De ce point de vue, le débat érigé en
cause nationale sur le halal souligne le caractère à la fois réducteur et asymétrique de la
« laïcité » vue par le FN et la droite de l’UMP : celui d’un argument, au mépris de la
tradition républicaine et laïque française, pour stigmatiser une minorité ethno-religieuse.
En conclusion, Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy ne se rapprochent pas, mais convergent
néanmoins : celui qui fait évoluer le discours de droite en le re-fondant sur l’altérophobie
est le président sortant, là où l’héritière du menhir observe l’UMP s’approcher de ses
récifs. Son évolution à elle est rhétorique avant tout : elle rend ses provocations
acceptables, elle appuie sur les thèmes économiques et sociaux, elle rénove sa xénophobie
épidermique en défense de la laïcité. Mais sur le fond du discours, c’est Nicolas Sarkozy
qui a fait le chemin le plus long pour s’attirer des voix lepénistes dès le premier tour. Son
insuccès montre qu’il a joué le jeu dangereux de Faust. Qu’il en soit conscient ou non, du
fait qu’il ne rejette jamais les idées du Front national et marginalise ceux qui dans son
camp refusent sa stratégie, Nicolas Sarkozy s’attaque à la digue qui depuis les années 1980
sépare la droite parlementaire de la droite extrême. Si lui, comme Faust, ne comprend
probablement pas que la longueur de la cuillère n’influe pas sur le menu du déjeuner avec
le diable, d’autres ont saisi comment la stratégie électorale de Nicolas Sarkozy peut les
aider à construire la grande union des droites dont ils rêvent depuis les années 1980.
38
Selon les expressions de André CAGNON, « Historique de la publication du Chardonnet », Le Chardonnet
(Bulletin paroissial de la Fraternité Saint-Pie X), n° 100, mars 1995.
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PARTIE II
Le rapprochement FN / UMP :
un avant-goût du « parti patriote »?
Nicolas Sarkozy a ouvert à droite la voie de l’incertitude : s’il a fait les yeux de Chimène
aux lepénistes pour des raisons transparentes d’arithmétique électorale, d’autres autour de
lui se sont emparés du sarkozysme pour lui donner la chair d’un projet politique de
recomposition des droites. Le discours de Nicolas Sarkozy s’inscrit désormais dans un
mouvement de fond où la droite humaniste a vocation à disparaître sous la « France forte ».
C’est le projet du « parti patriote », fondé sur l’installation au centre du jeu politique d’une
formation héritière tant de Charles Maurras que de l’OAS qui vise par l’instauration d’une
hégémonie culturelle à l’extinction des Lumières. C’est l’objectif de Patrick Buisson,
Guillaume Peltier, et de l’ensemble de ceux qui ont pris en otage un Nicolas Sarkozy sans
repères intellectuels, perdu dans son palais à la recherche de perspectives de conquête.
L’enjeu non encore pleinement abouti de la défaite du sarkozysme se trouve dans
l’aboutissement ou la mise en œuvre de ce projet politique. Il se jouera aux législatives.
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1.
Approche historique : des intellectuels isolés
à la volonté d’un mouvement de masse
1. UN JOUR, LA DIGUE CEDERA
Si 2012 voit les volontés de rapprochement se réunir du fait de la cristallisation de la
présidentielle, positionner clairement l’enjeu impose un recul historique. Il ne s'agit pas de
la foucade désespérée de quelques extrémistes égarés rue du faubourg-Saint-Honoré.
L’enjeu réside dans la définition de la droite. Ce camp a toujours eu un continuum allant de
ceux qui adhèrent aux valeurs humanistes à ceux qui affichent ouvertement leur
altérophobie. La ligne définie par Nicolas Sarkozy, dont Claude Guéant aura été
l’exécutant, a permis à un certain nombre d’hommes politiques de droite de manifester de
manière moins retenue leur altérophobie préexistante. On n’assiste pas à une montée des
hautes eaux altérophobes. Nicolas Sarkozy a simplement repoussé vers la droite les digues
de la norme humaniste en émettant et en tolérant des propos qui, auparavant, auraient été
considérés comme inadmissibles. Si cette ligne entend répondre à des objectifs électoraux,
elle pose néanmoins la question de l’avenir des relations entre l’UMP et le FN, qui reste en
partie diabolisé par la marque Le Pen, interdisant un rapprochement trop rapide entre ces
deux formations. Mais il n’est pas exclu que celui-ci s’opère à terme, sur la base d’une
altérophobie modérée focalisée sur les thématiques migratoires.
La digue posée par Jacques Chirac ne cèdera pas brutalement ; il n'y aura pas
d'écroulement visible qui permettra à la gauche de se lancer dans des cris empreints de
moralité sur les « heures les plus sombres de notre histoire ». Les partisans d'une
convergence sont persuadés que le processus violent de rapprochement suite aux
régionales de 1998 avait plus choqué que leur rêve d'une union des droites. Leur objectif
est donc, en bonne logique marxiste, d'inverser le processus, d'entamer l'infrastructure pour
faire tomber comme un fruit mûr la superstructure. La digue a ainsi commencé à céder au
quotidien, par touches pointillistes, par petits gestes, par des rapprochements insignifiants,
par des thèmes communs, par des mémoires partagées, par des petites histoires construites.
La digue n'est pas un front mais un processus de reflux interne à la droite similaire à
l’action d’un antibiotique. Le pari de ces gens est qu'un jour, elle n'existera plus, sans que
personne ne l'ait remarqué. Les rats auront grignoté la digue, et ce jour là, sauf à accepter
une crise qui divise plus profondément encore la droite, il sera impossible de la rebâtir
dans la douceur.
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2. GRIGNOTER LA DIGUE
Dans l'expression extrême droite, il y a droite. Malgré les cris de ceux qui ont compris la
dimension suicidaire du rapprochement, les échanges se font. Il n'y a néanmoins aucune
entreprise structurée, aucun courant de pensée fortement marqué, juste des échanges, des
familiarités, des discussions qui rendent possible une future alliance. Aucune grande
déclaration, mais des signes qui déplacent les limites de quelques repères.
L’UMP laisse faire, tout à son approche court-termiste. Le Front national n'agit pas non
plus, mais regarde et laisse faire. Marine Le Pen sait que le temps joue pour elle, qu'il ne
s'agit que de sa première présidentielle et qu'elle a vingt ans devant elle, au moins. Elle sait
que la déception gagne les rangs d'une certaine droite héritière des réseaux Occident et de
maître Tixier-Vignancour, qui historiquement a préféré Valéry Giscard d’Estaing à
l'aventure trop radicale du Front national telle que proposée par François Brigneau et Ordre
nouveau. Mais aujourd'hui, le contexte a changé. Avec la volonté de respectabilité de
Marine Le Pen, la perspective d'une réunification / recomposition des droites s'avère
envisageable. Un jour, peut-être, le Front national sera en mesure d'offrir des carrières à
des jeunes ambitieux radicalisés à droite sortis de l'ENA, sans qu'ils aient besoin comme
Gérard Longuet de se cacher. Marine Le Pen sait qu’avec l’alternance, nombreux seront
ceux qui attribueront à l'insuffisance de radicalité l'échec du président sortant39. Dès le 22
avril, l’avocat marseillais Gilbert Collard se proclamait héraut d’une « nouvelle droite ».
3. LA CONSTRUCTION AU QUOTIDIEN D’UN ESPACE POLITIQUE ET D’UN LANGAGE
COMMUN
Pris dans ce double processus, les états-majors laissent le champ libre à la composition
d'un espace politique partagé au travers de thèmes, d'attitudes, de mémoires, de concepts
politiques, de lieux. Cette construction s’opère à deux extrémités du spectre de la droite qui
se rejoignent sur une approche ultra conservatrice occidentaliste. Il concerne deux publics
touchés dès 1984 par le FN : d’un côté la droite la plus ancienne et la plus conservatrice,
qui avait voté FN par refus d’une gauche qu’elle jugeait illégitime par principe, arrivée au
pouvoir « par effraction »40 ; de l’autre côté le public cristallisé des pieds-noirs « ultras »
dont l’influence politique émerge de leurs communautés du Sud de la France où l’on
imagine, perdu dans la nostalgérie, que la France aurait pu garder Oran, Mostaganem et le
colonialisme, et où l’on défend sans malice que l’inégalité biologique doit entraîner une
inégalité dans l’accès aux ressources.
C’est cette congruence altérophobe sur la dimension ethniciste et occidentaliste entre un
39
Patrick Buisson, si l’on en croit Le Canard enchaîné, et Guillaume Peltier dans Atlantico, ont reproché dès la
semaine précédent le premier tour à la direction de campagne d’avoir privilégié un recentrage vers les
« mous ».
40
Il a été tout à fait intéressant de voir François Baroin employer cette approche alors que son père – qu’il
vénère - a été le liquidateur de l’OAS :
http://www.lefigaro.fr/politique/2011/11/08/01002-20111108ARTFIG00582-francois-baroin-declenche-unebronca-a-l-assemblee.php
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discours d’élites dépassées et une base populaire du sud de la France qui fonde le
rapprochement et le localise dans les lignes de forces de la droite la plus dure, mais oppose
la pensée et la pratique ; là où sont les penseurs, ne se trouvent pas les électeurs, et ceux-ci
n’ont pas d’intellectuels capables de les organiser. Une fois les thématiques idéologiques
élaborées, elles se retrouvent donc libérées et disposent d’une plasticité extraordinaire et
d’une capacité à se fondre dans les espaces publics différenciés de chaque territoire, aptes à
présenter non des solutions, mais des grilles de lecture de la réalité locale, autant de portes
à ouvrir ensuite sur d’autres électorats. C’est dans ce paradoxe que se trouve une des clés :
dans la capacité à s’inscrire à la confluence d’histoires tout en répondant à un besoin
politique quotidien, et donc à offrir une compréhension, une intelligence de situations à
plusieurs échelles, du mondial au local, des délocalisations à la saleté des ruelles habitées
par des « Arabes ».
Le premier rapprochement est donc national. Il s'exerce principalement au travers des
politiques de mémoire, des sifflets à ultrasons de l'Elysée, des attitudes et postures d’une
intelligentsia parisienne qui se veut héritière de Cioran. Cette convergence idéologique se
construit par l’établissement de thématiques communes aptes à créer ensuite des
rapprochements humains. Une fois le langage établi, il est plus facile de se parler. Si les
cadres de l’UMP ne sont pas dérangés par Eric Zemmour, comment refuser son discours
quand Louis Aliot le porte? Comment le refuser lorsqu’il est issu des courants antihumanistes les plus classiques de la droite, relégués par le gaullisme et qui subsistent en un
substrat mort-vivant qui ne demande qu’à ressortir de sa tombe?
Le deuxième rapprochement concerne les militants, principalement du Sud de la France,
avec comme enjeu premier le vote pied-noir. C'est électoralement le plus fort : autour
d'approches communes de la nation, autour de mémoires de l'Algérie, la différence entre le
FN et l'UMP n'est plus que marginale. Assurément, il existe plus de différences entre des
militants UMP de Bretagne et du Var que, dans le Gard, entre adhérents du FN et de l'UMP.
4. UN PROCESSUS DE TYPE NEO-NATIONALISTE PAR IMPRESSIONS ET
CONVICTIONS
La convergence UMP-FN s'organise selon une procédure politique triple, à l'image des
phases I, II, & III du schéma développé par Miroslav Hroch dans son analyse des
mouvements nationalistes41.
Dans une phase I, quelques intellectuels isolés inventent vocabulaires, concepts et
arguments. Il s'agit ici du club de l'Horloge42 ou du GRECE43 qui dès les années 1970
41
Entre autres, Miroslav Hroch, “From National Movement to the Fully formed nation, the Nation building
process in Europe”, in Mapping the Nation, ed. Gopal Balakrishnan, Londres, 1996, pp. 78-97. L’auteur
développe et analyse les modalités de l’approche d’Ernst Gellner selon laquelle la construction nationale est un
processus politique.
42
Le Club de l’Horloge a été créé en 1974 par Henry de Lesquen, actuel président de Radio Courtoisie, et cinq
autres énarques pour produire des idées communes à l’ensemble du spectre de la droite. Parmi eux figure
Jean-Yves Le Gallou, ex-conseiller régional FN, Inspecteur Général de l’Administration, auteur d’un
inénarrable livre intitulé La préférence nationale, qui avec Patrick Buisson encouragea Bruno Mégret à rentrer
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s’inscrivent dans une perspective gramscienne de lutte contre ce qu’ils estiment être la
domination culturelle de la gauche. A l'époque, Jacques Chirac voulait le « travaillisme à
la française ».
Puis, en phase II, une « minorité agissante » plus propagandiste délaisse le travail
théorique pour entrer dans celui de la conviction. C'est un premier élargissement : les
thèmes apparaissent dans le débat public, d'abord au travers de la littérature, puis dans les
journaux, des revues vers la presse quotidienne. Cette étape correspond à un travail
d'éducation des masses : nous y sommes aujourd'hui. Ils sont nombreux à agir ainsi, d'Eric
Zemmour à Elisabeth Lévy44, nostalgiques de la première période où ils étaient inaudibles ;
ils ont leurs organes de presse et leurs chroniques à la radio. Leurs approches désormais
banalisées, reprises par des politiques, viennent en haut de l'affiche. L'UMP se proclame
« parti des droits et des devoirs », sans que cela n'étonne personne, alors qu'il s'agit de la
reprise d'une approche maurassienne45. Daniel Lindenberg a fait scandale en 2002, en
dénonçant nommément nombre de « nouveaux réactionnaires »46. Force est de constater
qu’il est difficile de trouver des erreurs dans son ouvrage prémonitoire. Le procès des
Lumières est en cours ; ceux qui veulent les éteindre ne se cachent plus et affichent leurs
revendications sous le signe de l’évidence, protégés par le parapluie ouvert que représente
le vide idéologique de la droite laissé par le dépérissement progressif du gaullisme au
cours des vingt dernières années.
L'issue de la guerre culturelle se trouve dans la phase ultime, celle de la domination, où
leurs thèmes deviennent le langage, c'est-à-dire qu'il est impossible de penser en dehors de
leur approche et que le Politique s'y conforme. Nous sommes aujourd'hui à la confluence
des phases II et III. Le discours de la droite dure a pris une importance décisive dans
l'espace public. Il domine aujourd'hui des régions entières du Sud de la France, Vaucluse,
Var ou Alpes maritimes. Il souhaite s'étendre pour dominer complètement le débat public :
en témoigne la création de la droite populaire ou les thématiques développées sous le sceau
du « bon sens » par Laurent Wauquiez. La convergence n’est pas le fait d’un hasard, et
au FN. La liste des horlogers ou des gens qui ont approché le club est longue… Christian Vanneste, Yvan Blot,
Alain Madelin, Jacques Heers, Xavier Raufer, Alain Griotteray, Jean Sévilla, etc. :
http://www.clubdelhorloge.fr/
Cf. aussi à titre d’exemple l’article de Nicolas Lebourg sur le concept de préférence nationale :
http://tempsreel.nouvelobs.com/l-observateur-du-lepenisme/20120214.OBS1365/une-histoire-de-la-preferencenationale.html
43
Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne créé en 1968. Le titre est choisi pour
rappeler l’opposition entre citoyens, métèques et esclaves. Plus direct que le Club de l’Horloge, le GRECE se
veut et s’affiche « métapolitique ». Leur objectif est de créer une « nouvelle culture de droite », là ou les
Horlogers se veulent plus politiques. Le GRECE diffuse ses idées par des revues, Krisis notamment. Cf. aussi
le paragraphe sur les métalangages III/1.
44
Rédactrice en chef de Causeur et chroniqueuse radio. Une des figures du milieu des activistes. Il faut lire sa
réponse à Laurent Joffrin et Ariane Chemin qui l’avaient accusée dans un article du 10 mars 2011 dans Le
Nouvel Observateur de « décontaminer la pensée FN » : « Quand (on) m’a envoyé les articles de L’Obs,
j’avoue avoir d’abord pensé que la guerre recommençait et qu’on allait bien s’amuser ».
http://www.causeur.fr/c%E2%80%99est-moi-la-peste-brune,9181. Certes, mais quand on publie une interview
d’Henry de Lesquen, s’agit-il d’information ou de connivence ?
45
Développée à l’origine par Louis de Bonald, le grand théoricien de la contre-révolution du XIXe siècle.
46
Daniel Lindenberg, Le rappel à l’ordre, enquête sur les nouveaux réactionnaires, Paris, 2002. Du même, Le
procès des Lumières, Paris 2009. Pour une compilation des articles du Monde sur la polémique de 2002 :
http://olivier.hammam.free.fr/actualites/documents/reacs/monde.htm
Projet 2012 – Contribution n°31
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Nicolas Sarkozy n’en aura été que l’étendard ; c’est un mouvement bien plus profond de
construction en cours d’une nouvelle droite, dans lequel s’inscrit une grande partie de
l’entourage de Nicolas Sarkozy.
Projet 2012 – Contribution n°31
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2.
Littératures, langages et personnages :
de l’ambiance du rapprochement à ses prémices,
la volonté de Patrick Buisson du « parti patriote »
1. LES PROVOCATIONS DE BON ALOI CONTRE LE POLITIQUEMENT CORRECT
Le rapprochement politique redouté par l’opinion publique ne sera possible que parce qu'il
est déjà devenu intellectuellement pensable. Dans les faits, il s'est déjà opéré
insidieusement par l'imposition de ses thèmes dans l'espace public. De nombreux
intellectuels, écrivains, artistes, hommes de télévision, ont, parfois sans décoder les
conséquences de leur approche, parfois en tout cynisme, défriché les voies vers la digue.
Ils ont construit leur singularité et leur succès en s'appuyant sur la volonté de l'originalité,
face à ce qu'ils assimilaient comme des pouvoirs établis : un artiste ne saurait être que
contestataire ! Le monde germanopratin est de gauche? Ils seront de droite. La droite n'a
pas de tradition littéraire comparable à Zola ou Hugo ? Ils reconstruiront une tradition.
Céline ? Peut-on condamner l'auteur d'un tel style47 ? Ce talent immense du XXe siècle ?
Roger Peyrefitte ? De qui s’agit-il ?
C'est par l'ambiance désenchantée et fin de siècle que dans un zeitgeist au goût grisâtre et
désespéré se construit la vision aujourd'hui si ce n'est dominante, en tous cas prépondérante
d'un pessimisme profond, authentiquement opposé à Rousseau, figure historique de la
gauche renvoyée à sa naïveté jospinienne48. Dans l'approche nouvelle, il convient d'être
détaché du monde contemporain, celui-ci étant bien évidemment de gauche, rejeté comme
conformiste absolu. La figure littéraire moderne, c'est l'homme seul paré de l'auto-fiction,
isolé, sans lien, qui dérive facilement vers un rejet des normes sociales. C'est par cette
littérature que se produit la liaison entre la modernité branchée, par définition élitiste, et le
rejet de la société contemporaine hérité de Charles Maurras, sans que celui-ci apparaisse
bien clairement. Etre branché après le 21 Avril, ce n'est pas se révolter, mais refuser la
révolte pour se plonger dans sa propre solitude. La société n'a plus rien à apporter, le
collectif est mort, les utopies ont disparu, l'espoir n'existe pas, l'homme branché est
47
Nicolas Sarkozy dit que ses deux auteurs préférés sont Céline et Albert Cohen, l'antisémite contrebalancé par
le Juif.
48
« (Ce qui différencie la droite de la gauche), c’est d’une part un tempérament pessimiste, là où l’homme de
gauche pense que demain sera meilleur, et d’autre part la valeur accordée à la tradition ». Interview d’Eric
Zemmour dans le n°1 de Droit de Regard, nouveau bimestriel en cours de lancement par Claude Chollet,
ancien président du GRECE.
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condamné à subir son fardeau.
Son fardeau, c'est celui de l'homme occidental qui décline bien malgré lui, plongé dans son
détachement et qui fait le miel des pages de Michel Houellebecq. Désespéré, condamné à
l'errance, nostalgique de son statut de grand singe dominant, l'homme houellebecquien
ouvre face à la solitude de son lavabo des convergences entre la droite et l'extrême droite49.
Désespéré, dépossédé comme Jean-Marie Le Pen de sa puissance virile par la
décolonisation, furieux contre une gauche qu'il juge responsable de sa castration
symbolique, ce nouveau personnage littéraire, vendu à des centaines de milliers
d'exemplaires, peut bafouiller, d'apparence avinée, et sentant les cigarettes froides au
travers de l'écran de télévision que vraiment « La religion la plus con, c'est quand même
l'islam ». Le coupable des ouvrages de Houellebecq, c’est bien son ennemi, l’autre, le dépossesseur, celui qui ne sait se contenter du sort qui lui est fait. C’est l’étranger, l’inconnu,
le syndicaliste qui s’oppose à son sort, l’immigré qui veut ses papiers, la femme qui veut
l’initiative. L’ennemi étranger, c’est en fait l’homme révolté, l’incarnation d’une gauche
qui parce qu’elle ne se soumet pas, est la seule bénéficiaire du libéralisme dénoncé par
Houellebecq. Comme Nicolas Sarkozy, il cherche à reconstruire des frontières à l’homme
occidental pour répondre à sa crise de la masculinité en lui rendant son statut dépassé. Avec
Houellebecq, l’homme qui se plaint n’est plus un looser mais un anti-héros. Avec la famille
Le Pen, il a le droit de se plaindre, de se qualifier en victime, de rechercher par
l’altérophobie des solutions à son expulsion de l’histoire. Avec Nicolas Sarkozy, il peut
désigner ses ennemis, rechercher son identité nationale, se repositionner. Il peut dans un
retournement sémantique se parer de la posture du révolté qu’il déteste tant, et ce pour
réclamer dans le spectacle politique la soumission pour ses ennemis à un Etat d’autorité.
Houellebecq aura servi – malgré lui ? - de passeur intellectuel, il aura permis à des
perdants de s’imaginer les rois qu’ils étaient dans leur monde ancien.
Cette figure télévisuelle d'un Des Esseintes passé au prisme de Loft story a bien
évidemment eu droit à son dîner à l'Elysée, dont le récit publié dans Le Nouvel observateur
mériterait de figurer dans une nouvelle version des Précieuses ridicules, mais rédigée par
La Rochefoucauld50. Ce 14 novembre 2010, soir du remaniement et de la fin du ministère
de l’Identité nationale, le prince s’amuse d’un aréopage de courtisans qui, fourchette
plantée dans le risotto, se plaint du déclin masculin. Sont présents la rédactrice en chef de
Playboy, Frédéric Mitterrand, l’agent de Maurice G. Dantec, qui dirige « Ring », site web
que le prix Goncourt de l’année considère comme « le meilleur site d’information » et qui
est en fait un plateforme d’avant-garde proclamée de la réacosphère, mélangeant obsession
des références au troisième Reich, haine épidermique de Stéphane Hessel (« Indignez
vous ! »), et revendication frénétique d’une posture de révolte contre une société
49
Il faut lire l’épilogue de Patrick Buisson à son ouvrage sur la sexualité des Français sous l'Occupation, où il
déplore le déclin de la « France virile » de Vichy à aujourd'hui, en passant par Mai 1968, après 1000 pages où
il décrit une France femelle qui se soumet au lit du vainqueur. Les deux tomes de 1940-45 années érotiques
sont sous-titrés respectivement Vichy ou les infortunes de la vertu et De la Grande Prostituée à la revanche des
mâles. Albin Michel 2008.
50
http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20101209.OBS4401/houellebecq-chez-sarkozy-le-souper-de-lelysee.html
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bourgeoise de gauche51. Ce soir là, les débats emmenés par une première dame qui raffole
de Houellebecq au point d’en avoir lu un passage au mariage d’un de ses amis patron de
presse, auront porté sur mai 68, sur le politiquement correct, et, très certainement, on aura
vitupéré les élites et les bien pensants, que ne sont bien évidemment ni un Président, ni un
prix Goncourt que Frédéric Beigbeder compare aux « plus grandes toiles de la
Renaissance »52. Ce soir là aura été celui d’une « post-modernité branchouille » plongée
dans le conformisme d’une provocation de bon aloi, qui s’attaquera à la CFDT de Florange
mais pas au Château d’Yquem, une provocation bien comme il faut à la manière des
Hussards des années 50 : trois jours avant le dîner Michel Houellebecq déclare que
« Sarkozy est un type sincère ».
Cette extension du domaine des rires dominants a son pendant en désenchantement en la
personne de Thierry Ardisson, qui la soixantaine atteinte sans cheveux blancs visibles, n’a
pas changé le discours qu’il partageait des années plus tôt avec le pasquaïen groupe Jalons.
En 2006, Raphaël Chevènement et Jean Birnbaum taillent un sombre costume à
l’animateur dans La Face visible de l'homme en noir53. L’analyse précise de ses émissions
révèle une obsession permanente des origines de chacun, une certitude du conflit
communautaire, un penchant obscur pour le complotisme ; toutes inclinaisons qui l’ont
poussé à accueillir les délires de Thierry Meyssan ou de Dieudonné. Au travers de sa vision
branchouille, c’est le monde pessimiste d’une droite maurassienne qui ressurgit ripoliné ;
de citoyens, il n’est pas question. Le déterminisme biologique qui identifie chacun à une
origine perçue par les autres, soit une identité dont il ne peut s’extraire par son action,
attribue chez lui à chaque personne une valeur. La nouvelle droite culturelle n’a à offrir que
son désespoir houellebecquien et identitaire. Mais celui-ci, s’affirmant comme
provocateur, identifie l’humanisme à un conformisme et le rejette.
Tout devient donc tolérable, même le plus ignoble. Ainsi que le veut la formule, quand les
bornes sont franchies, il n’y a plus de limites. Personne ne s’étonne que Michel
Houellebecq « cautionne » Dieudonné dans Paris Match. Personne ne trouve anormal
qu’Emmanuel Carrère reçoive le prix Renaudot en tressant les louanges du fondateur
dérangé d’un parti « national –bolchevique »54. Personne – hormis Marc Weitzmann dans
Le Monde55 - ne s’insurge du fait que Marc–Edouard Nabe prenne prétexte de l’affaire
51
Le site vaut le voyage. Extrait très juste de l’article précité du Nouvel observateur : « Sur Facebook, David
Kersan aime George Bush, les « tea party patriots », Radiohead et le free fight, où tous les coups sont permis.
Il dirige « Ring », le webzine supposé inclassable des «jeunes gens modernes», que Houellebecq considère
comme « le meilleur site d'information ». « Ring » le lui rend bien. Ses signatures très masculines adulent le
très tendance Philippe Muray mais aussi Taguieff, Zemmour, Hortefeux et le criminologue Xavier Raufer. Elles
moquent férocement Stéphane Hessel, Villepin, de Gaulle, l'islam, Sollers et le « supposé ghetto » de Gaza.
Font la guerre au politiquement correct. Donc militent pour une édition critique de Mein Kampf.
52
Il faut lire l’hagiographie de Michel Houellebecq par Frédéric Beigbeder, ou la dispute de celui qui se
présentera comme le plus anti-système…
http://www.lefigaro.fr/livres/2010/11/13/03005-20101113ARTFIG00003-houellebecq-portrait-d-uniconoclaste.php.
53
Jean Birnbaum, Raphaël Chevènement, La face visible de l’homme en noir, Stock, 2006.
54
Emmanuel Carrère, Limonov, Pol, 2011.
55
Le texte n'est plus disponible en ligne sur le site du Monde. http://www.leoscheer.com/blog/2011/11/18/1762les-bienveillants-par-marc-weitzmann-dans-le-monde-des-livres. On lira avec profit sa conclusion; « On le voit
avec le soutien dont bénéficie ce livre. C'est une violence perverse qui se met en place insidieusement, avec le
sourire et au nom de la liberté littéraire, une violence et une perversion qui n'ont pas plus à voir avec la
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DSK pour vomir sa haine antisémite dans un pamphlet élégamment intitulé L’enculé56.
Dans cette approche littéraire se construit une ambiance aujourd’hui dominante où tout est
méfiance, où l’individu est seul, entouré d’ennemis, sans espoirs, sans perspective, rabaissé
à son identité : la voie est ouverte pour la grande Union des droites patriotes proposée par
Patrick Buisson.
2. PATRICK BUISSON : LA VOLONTE D'UN PARTI PATRIOTE
Homme de sondages, Patrick Buisson est surtout le principal concepteur de la stratégie
présidentielle, en 2007 comme en 2012. Maintenant que les liens de l’UMP avec le
gaullisme sont définitivement rompus, il peut convaincre le président-candidat, comme il
vient de le faire, que son second quinquennat doit concrétiser le virage complet à droite du
parti majoritaire, afin notamment d’achever l’assèchement des terres électorales frontistes.
Notamment car, pour ce maurrassien de formation, l’essentiel n’est pas là. Son ambition
est, depuis le début de son engagement politique étudiant, puis dans sa carrière de
journaliste à Minute, de contribuer à refonder une droite d’affirmation, de doctrine ; par
opposition à ce que le philosophe du droit Stéphane Rials appelle des « droites
situationnelles », c'est-à-dire au fond héritières de la tradition politique et économique
libérale. D’où les choix de Patrick Buisson : l’étudiant de Nanterre milite à la FNEF plutôt
qu’à Occident ; le journaliste dirige Minute plutôt que National-Hebdo ; l’homme politique
qui rédigea une hagiographie de Le Pen57 conseille Sarkozy et non le leader du FN.
Trois éléments biographiques peu connus attestent que son objectif est de penser la
manière dont la droite peut se construire après la cassure entre gaullistes et antigaullistes,
dont la question algérienne fut l’apogée. D’abord c’est un élève de Raoul Girardet et
Philippe Ariès, donc de ces maurrassiens qui répudiaient l’immobilisme de l’Action
française d’après 1944 et qui, comme Pierre Boutang, détestaient l’homme de Gaulle tout
en appréciant en lui le monarque républicain, l’homme d’ordre attaché à la grandeur
nationale. Ensuite Minute, à l’origine, est un journal de droite qui fait voter Lecanuet puis
Giscard par antigaullisme et n’évolue que plus tard vers le FN58. Enfin, lorsque Buisson y
entre en 1981, l’hebdomadaire se positionne comme un point de rencontre, de dialogue,
entre la « droite nationale » et la droite de gouvernement. L’objectif est l’union de toutes
les droites depuis les centristes patriotes jusqu’à l’extrême droite à façade démocratique,
littérature qu'avec la liberté ». Dans son blog sur Marianne, Philippe Bilger, ex avocat général à Paris et
homme de droite assumé, ne comprend pas: « Ce qu'il dénonce relève éventuellement de l'action (...) des
tribunaux, pas de la sienne qui ne doit avoir d'autre finalité que d'évaluer, sur le plan littéraire et pour la
qualité ou non du récit, ce livre. Il y a une dérive qui conduit certains Juifs à TOUT appréhender sous cet
angle, etc. ».
http://www.marianne2.fr/Le-Monde-des-Livres-oui-a-Chevillard-non-a-Weitzmann-et-a-Nabe_a212765.html
56
« Causeur » qui se veut à la pointe du combat anti-système n’est pas dérangé par un ouvrage où l’on suggère
de se torcher avec les œuvres d’Elie Wiesel : http://www.causeur.fr/ainsi-parlait-dsk,12383
Marc Edouard Nabe aurait mérité des pages entières, surtout pour décrire la connivence dont il fait l’objet dans
les milieux littéraires ; comme il le dit lui-même au sujet de Céline : « Un génie ne peut pas être un salaud ».
http://www.dailymotion.com/video/xn6oy5_nabe-sur-celine-1-un-genie-ne-peut-pas-etre-un-salaud_creation
57
L’Album Le Pen, éditions Intervalles 1984, rédigé avec Alain Renault, ancien secrétaire général du FN
jusqu’en 1980.
58
http://www.rue89.com/2011/03/09/les-annees-minute-de-patrick-buisson-conseiller-de-sarkozy-194143
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sur le modèle du « parti patriote » qu’évoque Buisson dans son Histoire de l’OAS59 : la
droite, de Georges Bidault à (déjà) Jean-Marie Le Pen.
Patrick Buisson est l’homme d’une droite qui en appelle au peuple contre les élites, à la
permanence contre l’esprit du temps, aux valeurs contre le consumérisme et au
nationalisme contre le déracinement, cause selon lui du lâchage par la droite des thèmes
qui ont fait la fortune frontiste : Nation et identité, immigration, morale traditionnelle,
réhabilitation de l’idée de frontières, appel à la démocratie directe par le référendum
d’initiative populaire, moyen privilégié pour nouer un lien direct entre le détenteur de la
Souveraineté et la « France profonde ».
C’est enfin un de ces littéraires qui, dans l’entourage présidentiel et avec une culture peu
commune, a réussi à contrer la technocratie et à faire de Nicolas Sarkozy, ce pragmatique
absolu, l’homme qui cherche à rassembler autour de l’écriture d’un roman national dans sa
version « blanche », là où Henri Guaino en incarnerait la version « bleue »60.
3. PORTRAITS DE PERSONNAGES AUX FRONTIERES : LES ACTEURS D'UNE UNION
EN PREFIGURATION
La convergence est d’abord une affaire de personnes. Une fois posées ses bases en termes
de Zeitgeist et d’approche politique, seule la description de personnages peut décrire
fidèlement la mise en pratique et révéler l’ordonnancement du processus. Le choix des
personnes est limité ; il aurait pu remplir des pages entières. Il a été limité à ce qui
paraissait porter le plus de sens.
3.1. Les héritiers de Georges Albertini
Décédé en 1983, Georges Albertini survit par ses héritiers. Il aura été celui qui de 1954 à sa
mort aura compris que le potentiel de cadres offert par la jeunesse engagée dans l’extrême
droite militante et parfois violente pouvait être réutilisé par la droite parlementaire dès lors
que celle-ci offrait des carrières et ne s’attachait pas trop à l’idéologie des personnes. Son
Institut d’histoire sociale, officine obsédée par l’anticommunisme et financée par le
patronat, époque CNPF, aura été le pont principal entre Occident et la droite parlementaire.
Au travers de sa personne, c’est une époque oubliée que l’on fait ressurgir, mais c’est aussi
celle de la grande droite dont rêvent aujourd’hui Patrick Buisson et ses émules.
Normalien agrégé de lettres, membre de la SFIO durant l’entre-deux guerres, Georges
Albertini devient le bras droit de Marcel Déat, dirigeant du Rassemblement National
Populaire, principal parti collaborationniste entre 1940 et 1944 avec le PPF de Jacques
Doriot. Condamné à la libération, il sort de prison dès 1948 pour rentrer à la banque
59
OAS, histoire de la résistance française en Algérie, éd. Jeune Pied-noir, 1984. Co-écrit avec Pascal Gauchon,
qui venait de quitter la direction du Parti des Forces Nouvelles, concurrent du FN.
60
Patrick Buisson a fait l'objet d'une hagiographie dans Le Figaro magazine :
http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2012/03/29/01006-20120329ARTFIG00791-soneminence-patrick-buisson.php
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Worms avec le titre de « conseiller politique » et jusqu’à sa mort en 1983, il ne cesse
d’animer une myriade d’officines patronales, distillant dans la presse et le monde politique
un discours violement anticommuniste. Si ses soutiens sont au départ présents autant à la
gauche non communiste qu’à la droite, il se rapproche de Georges Pompidou lorsque celuici devient Premier ministre du Général de Gaulle, puis dans les années 1970 fréquente
assidûment Marie-France Garaud et Pierre Juillet. Son seul objectif est de s’opposer au
communisme, d’où la création en 1954 de l’Institut d’histoire sociale (IHS), à la fois
bibliothèque et officine, et surtout de l’Institut supérieur du travail (IST) en 1970 pour
former des cadres d’entreprise à la lutte antisyndicale. Si l’argent de la formation
professionnelle du CNPF et de l’UIMM finance des publications du type « La France
mérite mieux que le Chili » (tiré à 300 000 exemplaires), il sert surtout à réintégrer dans la
droite classique les jeunes loups d’Occident, qui à la misère promise par l’impasse
politique de la violence, préfèrent la voie des notables que leur offre Georges Albertini.
Alain Madelin, Patrick Devedjian61, Gérard Longuet ont été blanchis par ce canal.
C’est ainsi qu’en 1971, Christian De Bongain (alias Xavier Raufer), ancien d’Occident,
devient secrétaire général de l’IST où il reste une dizaine d’années. Il s’intitule aujourd’hui
« criminologue », étale sur son site internet une confiture de titres62, et surtout, a travaillé
en étroite collaboration avec Alain Bauer aux thématiques légitimant la politique de
sécurité de Nicolas Sarkozy63. Là où Alain Bauer apportait son réseau et sa légitimité
d’ancien rocardien, Xavier Raufer procurait l’armature idéologique du sarkozysme
sécuritaire : c’est lui qui théorise la continuité des menaces entre terrorisme et petite
délinquance64 ; c’est lui qui popularise l’idée de dénoncer comme « culture de l’excuse »
la volonté d’expliquer la délinquance afin de refuser le principe posé par Beccaria
d’individualisation de la peine au profit des peines-planchers. Xavier Raufer est l’exemple
même du passeur entre les droites ; venu des rives les plus dures, il n’a jamais rien renié, et
toute sa vie aura travaillé à infuser ses thèmes dans la droite parlementaire. Mais l’héritage
principal de Georges Albertini se trouve peut-être dans l’influence de ses stages dispensés
dans les années 1970 aux cadres de grandes entreprises françaises, qui auront instillé par le
biais de l’anticommunisme et de l’antisyndicalisme dans les élites économiques françaises
une approche politique peu portée sur l’acceptation du débat et de l’alternance. A partir de
1992, l’IHS est entièrement financé par le conseil général des Hauts-de-Seine qui acquiert
son fonds bibliothécaire, et le 15 décembre 2011, sans que cela étonne le journaliste de
L’Express qui rapporte l’anecdote, Gérard Longuet se délecte dans l’avion qui le ramène de
Nouakchott d’une édition originale de Jacques Bainville65.
61
Même si Patrick Devedjian a quitté Occident après que ses petits camarades, persuadés qu'il informait les
renseignements généraux, lui ont fait subir le supplice de la baignoire.
62
http://www.xavier-raufer.com/site/-Accueil63
Dès 1998, les deux auteurs publient ensemble un Que sais- je ? consacré aux « violences et insécurité
urbaine ».
64
En 2002, dans La Guerre ne fait que commencer, il décrit avec Alain Bauer des « zones de non –droit »,
décalques des zones grises du Tiers Monde, où les armes pullulent, où les policiers n’entrent pas, et où la préparation d’un attentat est un « jeu d’enfant ».
65
http://www.lexpress.fr/actualite/indiscrets/longuet-se-cultive-sur-l-histoire-des-relations-francoallemandes_1062077.html
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3.2. Jean Raspail, l’homme des ponts
Jean Raspail aurait sans nul doute aimé écrire Les Centurions. Il a écrit Le camp des saints.
Jean Raspail aurait aimé être un héros. Il est une célébrité réactionnaire. C’est, comme Eric
Zemmour, Elisabeth Lévy ou Eric Brunet un sapeur qui bâtit des ponts entre les espaces
politiques, mais à l’ancienne. Né en 1925 dans la grande bourgeoisie traditionnelle
parisienne, il a été éduqué comme Brice Hortefeux ou Nicolas Hulot dans le milieu
équivoque du Lycée Saint-Jean de Passy où il fut l’élève de Marcel Jouhandeau. Toute sa
vie, Brazza ou Livingstone périmé d’un siècle, il se confronta à l’altérité dans une
recherche d’héroïsme qui l’amène à se revendiquer aujourd'hui Consul de Patagonie ; c’est
d’ailleurs l’auteur de la biographie romancée d’Antoine de Tounens, aventurier fada qui se
proclama roi de Patagonie en 186066.
Après avoir traversé l’Amérique dans tous les sens, Jean Raspail publie à 48 ans Le Camp
des Saints qui décrit l’invasion d’un million de miséreux indiens dans le golfe de SaintTropez. Le livre – très inspiré de l’Apocalypse - prophétise toutes les angoisses de
l’extrême droite alors que le thème de l’invasion migratoire n’est pas encore au cœur des
rhétoriques. On y trouve jusqu’à plus soif la thématique des blancs qui, envahis par une
« masse puante », trahis par les élites gauchistes et bien pensantes, prêtres catholiques
mous et journalistes en tête, doivent laisser leur pays se faire coloniser par des barbares
violeurs. Jean Raspail a écrit là l'œuvre de sa vie : il assimile les Français aux peuples
primitifs qu’il a rencontrés en explorateur, renverse la thématique de la colonisation, qui
peut désormais – tout concept d’intégration écarté - s’appliquer à l’immigration. Autrefois
peuple conquérant, le Français identifie désormais la menace biologique qui s’oppose à lui.
C’est celle de l’invasion de l’étranger inassimilable, appuyée de la lâcheté des traîtres, la
« meute médiatique, showbiztique, droit-de-l'hommiste, enseignante, mutualiste,
publicitaire, judiciaire, gaucho-chrétienne, pastorale, psy et j'en passe » ; bref, les
« élites »67.
Jean Raspail agrège les traditions d’extrême droite et les reformule dans une histoire qui
fait sens ; il mélange la tradition bourgeoise maurassienne au rejet xénophobe, tout en
inscrivant cela dans une inversion du récit colonial. Le héros, le résistant, le « patriote »,
c’est désormais celui qui résiste à « l’invasion immigrée », s’oppose aux élites, refuse
l'antiracisme. Pour son auteur, Le Camp des saints est un livre de combat : « j’aimerais que
Le Camp des saints ouvre les yeux des lecteurs sur les mensonges et les illusions qui
pervertissent notre vie publique »68. Jean Raspail suggère avec gourmandise que son roman
66
Personnage qui intéresse l’extrême droite. Son autre biographe est Saint Loup, autre grand bourgeois parisien
qui s’engagea dans la Waffen SS après avoir été rédacteur en chef du journal collaborationniste La Gerbe,
avant de devenir le professeur de ski d’Eva Peron, puis une figure de l’extrême droite littéraire après sa grâce
en 1953, tendance « terre et peuple ».
67
Extrait de l’interview de Jean Raspail dans Le Figaro à l’occasion de sa réédition :
http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2011/02/05/01006-20110205ARTFIG00621-jean-raspail-aujourd-huile-camp-des-saints-pourrait-etre-poursuivi-en-justice-pour-87-motifs.php
68
Interview dans Valeurs actuelles : http://www.valeursactuelles.com/culture/actualit%C3%A9s/jean-raspail%E2%80%9Couvrir-yeux-mensonges%E2%80%9D20110210.html
Lire également la recension par Bruno de Cessole :
http://www.valeursactuelles.com/culture/actualit%C3%A9s/camp-des-saints-une-r%C3%A9alit%C3%A9-enProjet 2012 – Contribution n°31
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pourrait être poursuivi pour 87 motifs. Il s’imagine en héros ; il est l’écrivain de chevet de
l’extrême droite, mais que la droite classique pétrie de Charles Maurras ne dédaigne pas.
Depuis 1973, il s’en vend entre 5 000 et 10 000 exemplaires par an ; bien plus lorsque les
médias parlent du « problème de l’immigration » ; 500 000 au total.
3.3. Quand l’UMP applaudit en Eric Zemmour l’approche favorite du FN
Le tutoiement d'Eric Zemmour, journaliste au Figaro Magazine, à l'adresse de Marine Le
Pen n'indique pas seulement une familiarité médiatique mais révèle aussi une proximité
partagée. Le 2 Mars 2011, peu après sa condamnation pour provocation à la discrimination
raciale, Eric Zemmour s'affiche à la tribune d'une convention sur le thème des libertés
montée par Hervé Novelli, ex du groupe Occident, et se fait ovationner par des élus UMP
dont Jean-François Copé et Gérard Longuet. Entre deux applaudissements, il y développe,
protégé de son talent rhétorique, un discours des plus vénéneux où il se drape d'habits
contestataires et attaque bille en tête la légitimité de la loi. Il dépeint des magistrats
forcément illégitimes « imprégnés et conditionnés dans leur vie professionnelle et privée
par leurs croyances, leurs convictions, leurs idéologies », se pose ainsi, imposture
délicieuse, en gardien neutre des vérités, puis, citant les lois Gayssot et Taubira accable les
lois mémorielles, qui « enserrent dans un corset toujours plus serré la liberté de pensée ».
Condamné pour des clichés racialisants et ethnicistes, devant des élus UMP heureux de
leur coup médiatique, Eric Zemmour expose en creux par la dénonciation des lois
mémorielles une vision du débat public où la négation du génocide ne relèverait ni de
l'erreur historique ni de la propagande antisémite, mais d'un débat de bon aloi, argument
contre argument, comme si l'histoire n'avait pas encore établi les faits. Pas plus Hervé
Novelli, hôte du jour, que Jean-François Copé ou Gérard Longuet n'ont oublié d'applaudir
l'orateur. Eric Zemmour probablement porté par la salle a continué, niant ainsi la réalité des
discriminations avant de terminer en exhortant sous les vivats les députés à supprimer les
subventions aux associations antiracistes. Le 15 décembre 2011, lorsque Jean-Jacques
Bourdin demande à Louis Aliot si les subventions à SOS Racisme seront supprimées en
cas d'élection de Marine Le Pen, la réponse fuse : « C'est sûr, c'est une des premières
choses que le FN fera en arrivant au pouvoir ! ». Dans son billet du 11 mars 2012,
Maxime Tandonnet, rédacteur du discours de Grenoble, décrit François Hollande
comme « l’otage de groupuscules totalitaires antiracistes »69.
3.4. Le cri de Malika Sorel
Le 16 décembre 2011, Malika Sorel a le privilège d'être décorée à l'Elysée de la Légion
d'honneur par Nicolas Sarkozy en personne. Au cours de la cérémonie, il la désigne comme
« le symbole et le défenseur de l’unité et de l’universalité de la République française». Sur
son blog, elle y voit « un grand honneur pour moi qui ai fait le choix de m’engager au
service de notre patrie, la France »70. Certes, mais la défense de la patrie par Malika Sorel
s'éloigne de Barrès. Nommée par Nicolas Sarkozy en 2009 au Haut Conseil de
205020110210.html
69
http://maximetandonnet.wordpress.com/2012/03/11/race-et-constitution/
70
http://www.malikasorel.fr/. Elle y place en exergue une citation de Marc Bloch sans y voir de contradiction.
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l'Intégration, Malika Sorel, qui se légitime par un rappel continuel de ses origines
algériennes et des efforts qu'elle a dû faire, construit dans ses interventions et ses ouvrages
un discours paranoïaque autocentré où elle dénonce des immigrés qui refusent de
s'intégrer et une certaine élite qui l'empêcherait de parler pour « rétablir la vérité ». Le 11
juillet 2011, elle donne une interview très révélatrice à Riposte laïque et ne prend pas de
gants dans un entretien tout en connivences avec ce site qui la qualifie par ailleurs
d'« interlocutrice de qualité »71.
Tout le langage de l’angoisse terrifiante du Camp des saints : la France y est menacée par
des immigrés qui dans une logique diasporique reconstituent leurs sociétés d'origine et
procèdent à une colonisation inversée, mais « dès qu’on dit des vérités sur l’immigration,
cela déclenche une hystérie collective des médias » où « dans la mesure où ils ont
intoxiqué les Français avec leur idéologie, il leur est impossible de tenir un langage de
vérité sans reconnaître qu’ils ont largement menti. Tous ces gens qui tiennent le haut de
l’affiche dans les médias et dans les partis politiques ne vivent pas au quotidien les
conséquences de leur discours ». Le reste est à l'avenant. Les sociologues sont des
militants, les politiques des aveugles ; et si « beaucoup de gens ont peur d’être assimilés à
des racistes (...) le temps est venu de dépasser tout ça et d’oser braver le regard des
autres ». Comme elle l'affirme pour rejeter le concept de discrimination dans une interview
à Valeurs actuelles, « Une erreur cent fois répétée ne devient pas une vérité »72. Elle seule
la détient, sans distance argumentaire, de son fait, de ses origines, brandies comme un
bouclier face à la parole adverse. Mais tous ses arguments se résument à un cri sans fin. Il
n'y a aucune conclusion politique. La force de Malika Sorel tient juste dans son cri,
intégration de l'immigration dans la rhétorique décliniste. Les élites ont trahi, les clercs
masquent, le peuple est trompé. A aucun moment ce langage n'est celui d'une droite
classique ou conservatrice. Mais c'est la femme qui le porte que Nicolas Sarkozy a choisi
d'honorer. Depuis, elle n'a pas changé de langage, mais n’oublie jamais de faire savoir qui
l'a décorée.
Sauf le 7 mai 2012, lorsque Malika Sorel, désespérée de l’attitude des électeurs du FN qui
ont suivi la consigne de vote blanc de leur chef, ferme son blog sur quelques lignes
rageuses par un billet aigri dont le titre s’adresse visiblement à ses compatriotes : « Les
Misérables ». Elle y détourne Victor Hugo pour faire part de son désespoir devant la
victoire du parti de l’étranger, sans imaginer que la défaite de celui qui l’a décorée, qu’elle
ne cite pas une fois, puisse être aussi la sienne : « « Les peuples comme les astres ont le
droit d’éclipse. Et tout est bien, pourvu que la lumière revienne et que l’éclipse ne
dégénère pas en nuit ». L’avenir répondra à cette question qui se pose désormais pour le
peuple français. (…) Les drapeaux étrangers que l’on a vu fleurir et se disséminer dans de
nombreuses villes de France donnent le ton, ou la couleur, à tous les sourds et les
aveugles. Mais la palme de la légèreté et de l’irresponsabilité revient à ceux qui se disent
attachés à la patrie et qui choisissent dans le même temps, en toute connaissance de cause,
par un vote blanc ou nul dont l’usage en l’état actuel de la législation laisse pantois, de
participer à pousser la France dans la gueule du loup (…). Je ne leur trouverai jamais
71
http://ripostelaique.com/malika-sorel-des-quon-dit-des-verites-sur-limmigration-cela-declenche-une-hysteriecollective-des-medias.html
72
http://www.valeursactuelles.com/dossier-d039actualité/dossier-d039actualité/malika-sorel-quotsurl039intégration-france-fait-trop-de
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aucune circonstance atténuante. Il n’y en a pas à mes yeux. Je connais trop bien la
situation pour savoir que nous étions à un point de non retour et qu’aucun risque ne devait
être pris. Tout espoir de voir la mère des réformes conduite tant qu’il était encore temps est
aujourd’hui anéanti. Cette réforme mère, c’est celle du code de la nationalité. C’est d’elle
que le destin de la nation dépend. Tout le reste n’est qu’accessoire pour la nation, y
compris la question économique et celle de la solidarité, qui sont d’ailleurs étroitement
corrélées à celle de la survivance ou de la destruction de la nation. (…) »73.
3.5. Claude Guéant, le distillateur
En février 2011, Brice Hortefeux, qui en a trop fait et de manière maladroite entre les
Roms et les Auvergnats, est remplacé au poste de ministre de l’Intérieur par Claude
Guéant. A peine nommé, c'est le feu d’artifices rhétorique. Pas une technique ne manque!
Florilège.
Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les Français et les sondages
Le 17 mars 2011 il reprend à son compte le thème de l’invasion de la France par une
population étrangère : « Les Français, à force d'immigration incontrôlée, ont parfois le
sentiment de ne plus être chez eux, ou bien ils ont le sentiment de voir des pratiques qui
s'imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale. » Marine Le
Pen le nomme adhérent d’honneur du FN. Le 24 août, dans une interview à L’Express, il
reprend l'argument : « Un sondage effectué dans plusieurs pays européens indique que
l'immigration n'est pas perçue comme allant de soi, qu'elle n'est pas considérée comme
forcément bénéfique. On a le droit de dire cela sans être raciste! »
La généralisation
Un des grands classiques des propos qui cherchent à disqualifier l’ensemble d’un groupe
humain consiste à mentionner quelques cas de comportements répréhensibles et de
compter sur la tendance à la généralisation pour que la réprobation soit étendue à une
grande partie ou à l’ensemble du groupe humain mentionné. Le 4 avril 2011, en
déplacement à Nantes, le ministre de l’Intérieur, parlant de l’islam, lâche : « C'est vrai que
l'accroissement du nombre des fidèles de cette religion… un certain nombre de
comportements… posent problème. » Outre son inconsistance logique et grammaticale,
assez surprenante de la part d’un ministre issu des meilleures écoles de la République, ce
type de formule peut être appliqué à quantité de groupes. Par exemple à celui des
ministres. Cela donnerait : « C’est vrai que l’accroissement du nombre des ministres… un
certain nombre de leurs comportements… posent problème. » La logique sous-jacente à la
phrase de Claude Guéant est la suivante : 1. Les comportements de certains musulmans
posent problème 2. Le nombre de musulmans est en augmentation 3. Conclusion : les
problèmes que posent les musulmans sont en augmentation. On ne fera pas à Claude
Guéant l’injure de croire qu’il ne sait pas s’exprimer de manière précise et
grammaticalement correcte. S’il a choisi de s’exprimer de cette manière, c’est simplement
73
http://www.malikasorel.fr/archive/2012/05/06/les-miserables.html
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qu’il a jugé que c’était le bon moyen d’émettre un message anti-musulman.
Le sophisme subtil
La célèbre phrase sur les civilisations qui « ne se valent pas » relève d’une dialectique plus
subtile. Elle n’a pas été lâchée au coin d’une rue mais dûment préparée à l’avance pour
occuper la place de choix dans un discours prononcé à l’occasion d’une réunion avec les
membres d’un syndicat étudiant, l’UNI. Voyons d’abord le passage dans son ensemble :
« Il y a des comportements qui n'ont pas leur place dans notre pays, non pas parce qu'ils
sont étrangers, mais parce que nous ne les jugeons pas conformes à notre vision du monde,
à celle, en particulier de la dignité de la femme et de l'homme. Contrairement à ce que dit
l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles
qui défendent l'humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui
défendent la liberté, l'égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui
acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. En tout état de
cause, nous devons protéger notre civilisation. »
Pourquoi, dans cet hommage rendu aux valeurs humanistes, aller chercher le concept de
civilisation et dire que certaines civilisations sont supérieures aux autres ? De fait, pour
affirmer que le principe des droits de l’homme est préférable à celui des droits du mâle,
l’éducation sexuelle est préférable à l’excision, la liberté est préférable à la dictature et la
paix publique est préférable à la guerre civile ou à la répression, la référence à la notion de
civilisation est superfétatoire. Elle n’apporte rien à la démonstration. En fait, Claude
Guéant se livre à un tour de passe-passe consistant à établir une équivalence entre des
valeurs ou des comportements, d’un côté, et des civilisations, de l’autre. Derrière les
valeurs ou les comportements, il place un substrat supposé stable et permanent, qui serait à
la source de ces valeurs et de des comportements : il remplace l’antique notion de race par
celle de civilisation. Dans les deux cas, il s’agit de réduire des groupes humains à des
essences que l’on peut ordonner selon une hiérarchie de valeurs, à la manière des castes
indiennes.
L’erreur volontaire
Le 22 mai 2011 Claude Guéant déclare sur Europe 1 que les deux tiers des élèves en
situation d’échec scolaire sont des fils d’immigrés. Fondée sur des chiffres produits par les
instituts de statistique les plus sérieux, une telle affirmation prétend montrer que
l’intégration des immigrés est un échec et suggère en même temps que les élèves issus de
l’immigration ne brillent pas par leur intelligence et leur ardeur au travail. L’auditeur
pressé peut se sentir autorisé à conclure que, globalement, les fils d’immigrés ne
réussissent pas à l’école. Mais l’affirmation de Claude Guéant est radicalement fausse. Elle
s’appuie sur une étude de l’Insee74, qui montre que 6,1 % des enfants issus de familles nonimmigrées quittent le système scolaire « sans qualification », alors que la proportion monte
74
Les immigrés en France, édition 2005
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à 10,7 % pour les enfants d’immigrés. Claude Guéant observe alors que « les enfants de
famille immigrée sortent presque deux fois plus souvent du système éducatif sans
qualification (que les autres élèves) ». Et à partir de là son raisonnement dérape. Ajoutant
6,1 % à 10,7 %, qu’il arrondit respectivement à 6 %, à 12 %, il note que 6 % + 12 % =
18 % et que 12 % sont les deux tiers de 18 %. D’où il conclut triomphalement que les deux
tiers des enfants d’immigrés sont en échec scolaire. C’est comme si d’une statistique qui
montrerait que 6 % des Français et 12 % des Monégasques sont roux il concluait que les
deux tiers des roux sont des Monégasques !
Errare humanum est. Claude Guéant aurait pu reconnaître son erreur et faire amende
honorable. Mais contre l’évidence, jugeant sans doute que ces débats dépassent le bon
peuple et que l’on peut donc soutenir n’importe quoi pourvu qu’on le fasse avec aplomb, il
préfère persister et signer. Dans une lettre du 27 mai à Libération il réaffirme : « Par
conséquent, j’ai correctement cité l’étude en déclarant que les 2/3 des enfants qui sortent
de l’école sans qualification sont des enfants de familles immigrées. » Entretemps, il s’est
empêtré dans ses contradictions en déclarant à l’Assemblée Nationale le 24 mai : « les
chiffres de l'Insee prouvent qu'il y a deux tiers des enfants d'immigrés qui se trouvent sortir
de l'appareil scolaire sans diplôme. » Cette fois-ci, ce sont les deux tiers des Monégasques
qui sont roux ! On est passé de 10,7 % d’enfants d’immigrés sortis du système scolaire
sans qualification à 66 % ! Ce qui ressort de cet épisode, c’est, de la part de Claude
Guéant, le mépris des faits, le mépris des immigrés et le mépris des citoyens devant
lesquels on se sent en droit de proférer les pires énormités au nom de la communication
politique.
3.6. Laurent Wauquiez : l’image moderne et brillante des permanences de la droite
réactionnaire
Issu d’une famille de notables industriels et politiques, Laurent Wauquiez est l’un des plus
brillants et plus précoces dirigeants de l’UMP. Son palmarès universitaire (normalien,
major à l’agrégation d’histoire et à l’ENA) impressionne autant que la rapidité de sa
trajectoire politique. Suppléant de Jacques Barrot aux législatives de 2002, membre de la
commission Stasi en 2003, il est élu en 2004 à 29 ans député de Haute-Loire. Dès 2005, il
rejoint la direction de l’UMP parrainé par Brice Hortefeux et Nicolas Sarkozy. Il est le
fondateur du mouvement « la Droite sociale » et d’un micro-parti, Oxygène, et constitue
un des cadres les plus prometteurs de la droite française.
Laurent Wauquiez est également un auteur prolifique, notamment auteur d’un ouvrage,
paru fin 2011, la Lutte des classes moyennes où il explique que parmi les aspirations
insuffisamment prises en compte de ce groupe central de la société française se trouve le
« refus de l’assistanat ». Derrière la modernité souriante75- et intellectuellement brillante du jeune ministre se cache une armature idéologique issue de la droite la plus
réactionnaire. Ainsi, loin de son image de renouvellement, celui-ci défend en 2008, en tant
que secrétaire d’Etat à l’emploi, l’idée d’une « offre raisonnable d’emploi », c'est-à-dire
75
Incarnée par la parka rouge qu’il arbore en toutes circonstances pour se détacher des autres politiques sur les
images télévisées.
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l’obligation pour un chômeur de prendre un emploi parmi deux propositions d’emplois
définies comme « raisonnables » par l’Etat. Le chômeur qui ne les prend pas serait ainsi
sanctionné par une radiation temporaire. Laurent Wauquiez proteste de sa bonne foi en
affirmant qu’elle n’était pas une forme de « flicage » ni de sanction des chômeurs76.
Pourtant, c’est exactement le sens de son propos assimilant « cancer » et « assistanat », le
8 mai 2011, sur les ondes de BFM77. Une partie de la droite (ainsi Roselyne Bachelot) se
désolidarise non seulement du discours, mais aussi des propositions punitives prônées par
Laurent Wauquiez78. L’affaire DSK à New-York, qui intervient quelques jours à peine
après, a probablement camouflé un clivage profond au sein de l’UMP.
Laurent Wauquiez se révèle aussi par sa glorification des « racines chrétiennes » de
l’Europe79. Cette phrase doit être reliée à une réflexion plus globale : Laurent Wauquiez
considère comme nécessaire, à l’instar des réseaux catholiques les plus traditionnalistes,
une reconnaissance légale du christianisme dans la construction européenne. C’est
notamment la demande du Vatican, mais aussi des droites réactionnaires du vieux continent
depuis les origines de la construction européenne. En France, cette thématique avait été
portée par une partie de la droite, regroupée notamment dans une partie de l’UDF et du
RPR, ainsi Charles Million et Philippe de Villiers. Elle va à contresens de l’ancienne
position des dirigeants de la droite républicaine, de Charles de Gaulle à Jacques Chirac, qui
ont refusé une lecture religieuse de la construction européenne - Jacques Chirac mettant
son veto sur la citation des racines chrétiennes dans le TCE de 2005.
L’argumentation de Laurent Wauquiez rejoint ici parfaitement celle de Patrick Buisson : si
les besoins identitaires supposés du peuple français (ici ses racines chrétiennes) ne sont pas
pris en compte, il y a danger. « Une identité refoulée est une identité qui se venge »
(déclaration du 12 janvier 2011). Le modèle républicain et laïque peut attendre, tout
comme la modernité supposée de ce dirigeant. Ce n’est pas un hasard si c’est sa cathédrale
du Puy en Velay que Patrick Buisson a choisi pour le déplacement de Nicolas Sarkozy où
celui-ci glorifie les racines chrétiennes de la France dans une rhétorique bien connue, à un
moment où les sondages le placent loin derrière Dominique Strauss-Kahn.
Il est vrai que d’autres priorités sont moins présentes chez Laurent Wauquiez, comme au
demeurant chez d’autres dirigeants de l’UMP. Ainsi, celui-ci a dû reconnaître chercher des
financements politiques à la City londonienne, posant crûment la question des relations
entre secteur économique et hommes politiques80. Si la France et l’Europe doivent avoir
selon eux des racines et un terroir, l’argent, lui est indéniablement international.
3.7. Ivan Rioufol, victime
Ivan Rioufol passe régulièrement à la radio, à la télévision (Mots croisés, ou C dans l'air),
76
Libération, « Offre raisonnable d’emploi : « Je n’ai pas voulu aller dans le flicage », assure Wauquiez », 11
juin 2011.
77
Guillaume Peltier (cf. paragraphe 3. 9) a plusieurs fois laissé entendre qu'il était l'auteur de la formule.
78
Le Point, « L’offensive de Wauquiez sur les « dérives de l’assistanat » fait des remous », 8 mai 2011.
79
La Croix, « Laurent Wauquiez veut une Europe fière de ses « racines chrétiennes » », 15 février 2011.
80
Le Point, « Wauquiez reconnaît avoir sollicité un financement à la City », 16 juillet 2011
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tient depuis 2002 le bloc notes du Figaro ainsi qu'un blog, « celui de la liberté de la parole
et de la confrontation des idées ». Mais il ne peut ni s'exprimer, ni se montrer, tant « les
grands inquisiteurs ont leur rond de serviette dans la plupart des journaux, radios et
télévisions où ils se relaient, s’épaulent, se cooptent depuis des lustres »81. Il a écrit des
livres, dont un aux PUF en 2012, De l'urgence d'être réactionnaire. Mais il ne peut
s'exprimer, tant les sermonneurs bien-pensants dominent le débat de leur pensée unique,
voire de leur terrorisme intellectuel. C'est probablement pour cela qu'il a soutenu les
« apéros saucisson pinard » de Riposte laïque. C'est probablement également pour cette
raison que le 7 Janvier 2012, les auditeurs de RTL (ou du moins ceux qui ne font pas partie
de la majorité silencieuse qui n'appelle pas le standard), lui décernent le prix de « langue
de vipère de l'année » où il succède – grand honneur - à Elisabeth Lévy et Robert
Ménard82. Il ose, lui, affirmer au sujet de la tragédie de Toulouse que « le livre de Stéphane
Hessel, Indignez-vous ! Exclusivement consacré à la mise en accusation d'Israël, est de
ces conditionnements qui ne peuvent qu'exciter des esprits fanatisés par le mythe du juif
tueur d'enfant » et que ces « moralistes qui ont couvé un monstre (...) sont les premiers
responsables de cette tragédie qui était à redouter » et qu'ils vont devoir « rendre des
comptes »83. Il ose, lui, affirmer que la théorie d'«Eurabia » selon laquelle « l'Union
européenne et le ministère français des Affaires étrangères ont, dès les années soixantedix, acheté à la Ligue arabe une sécurité pétrolière et une sécurité tout court en s'ouvrant
à l'immigration musulmane et au multiculturalisme » n'a « pas été contredite sur les
faits »84.
Le 16 Avril 2012, au lendemain du meeting de la Concorde, Ivan Rioufol explique sur son
blog pourquoi il votera pour Nicolas Sarkozy. Le texte - reproduit ici intégralement, non
censuré! - résume la pensée que le personnage diffuse à longueur d'année dans les médias
qui, chacun en a bien conscience, le boycottent. Il s'intitule « Pourquoi je voterai, malgré
tout, pour Sarkozy » : « Je fais partie des déçus de Nicolas Sarkozy. Je lui reproche une
ouverture à gauche pour laquelle il n'avait pas reçu mandat et qui a eu pour conséquence
de brouiller sa politique ; aujourd'hui, Jean-Jacques Aillagon et Martin Hirsch le
remercient en rejoignant le PS. Je lui reproche, plus gravement, d'avoir joué avec l'identité
nationale après s'être fait élire en promettant sa protection. J'ai en mémoire son pénible
discours à l'Ecole Polytechnique, en 2008, dans lequel il disait vouloir imposer aux
Français un "impératif de métissage" si besoin avec des méthodes "plus contraignantes
encore". Il ne parlait pas du métissage des sangs, qui n'est pas un problème, mais de celui
qu'amène la diversité des cultures. "Je crois à l'addition des identités et au respect des
différences", avait-il d'ailleurs écrit dès 2006, en saluant "une France où l'expression
« Français de souche » a disparu, où la diversité est comprise comme une richesse, où
chacun accepte l'autre dans son identité et le respecte". Des Français ont vu là un mépris
81
Citation de son ouvrage De l'urgence d'être réactionnaire, PUF, 2012, extraite de la recension de l'ouvrage
en question publiée par Les Inrockuptibles :
http://www.lesinrocks.com/2012/01/28/livres/de-lurgence-detre-reactionnaire-ivan-rioufol-sattaque-a-la-bienpensance-113404/
82
Le prix est décerné par les auditeurs de l'émission de Christophe Hondelatte On refait le monde au
chroniqueur jugé le plus acerbe.
83
http://blog.lefigaro.fr/rioufol/2012/03/ceux-qui-ont-fabrique-un-monst.html
84
http://blog.lefigaro.fr/rioufol/2012/04/le-proces-breivik-est-il-celui.html
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de ce qu'ils étaient. Je comprends les excédés qui ont alors rejoint Marine Le Pen.
Je ne suis pas de ceux qui veulent diaboliser la présidente du FN quoi qu'elle dise ou fasse.
Plus exactement : je déplore le maintien d'une filiation, même si elle est devenue ténue,
avec un parti dont le noyau dur est antisémite, raciste, brutal. Je conteste aussi sa
conception antilibérale et son culte de l'Etat stratège, alors que la société souffre de
centralisme et de bureaucratie. Ces deux raisons me tiennent à distance de ce mouvement.
Cependant, je reconnais à Marine Le Pen le courage de ses utiles combats pour la défense
de la nation, du peuple oublié, de sa culture commune. Je constate qu'elle a su reprendre
les valeurs abandonnées par la gauche relativiste et penaude: la démocratie, la laïcité,
l'égalité entre l'homme et la femme, la liberté d'expression. Comme elle, je pense que
l'immigration de peuplement et la survenue de l'islam radical sont des sujets essentiels qui
doivent être abordés dans le débat public.
Comme beaucoup d'autres sans doute, je pourrais m'abstenir dimanche. Je ne le ferai pas
car je redoute une gauche doctrinaire ayant décroché tous les pouvoirs (Elysée,
Parlement, collectivités régionales et locales), confortant au passage le conformisme de la
pensée médiatique et l'oligarchie syndicale. La France a déjà trop perdu de temps pour se
permettre un retour en arrière. C'est pourquoi je voterai, malgré tout, pour Sarkozy. Je le
ferai pour son dynamisme, son goût pour les réformes, sa capacité à se remettre en
question. J'ai trouvé excellent son discours d'hier, écrit par Henri Guaino. Alors que, la
veille à Marseille, Jean-Luc Mélenchon avait redit sa détestation de la "nation
occidentale", estimant qu'il n'y avait pas d'avenir pour la France "sans les Arabes et les
Berbères", Sarkozy s'est fait le défenseur de la civilisation, de la nation, des frontières. "Ce
qui est en jeu, c'est la survie d'une forme de civilisation, la nôtre", a-t-déclaré. Cette vision
me semble plus riche que "La France tranquillou" de François Hollande, cette culture du
"sympa" que louange Libération, qui voit son poulain déjà élu »85.
3.8. Guillaume Peltier, le nouveau chouchou de l’UMP
« Nicolas Sarkozy, ça me donne le tournis. C’est un Chirac en miniature ». C’est ce que
disait en 2007 Guillaume Peltier alors secrétaire général du Mouvement pour la France de
Philippe de Villiers86. Aujourd’hui, il est le « nouveau chouchou de l’UMP »87, la « boîte à
idées », l’étoile montante de la Sarkozie, l’incarnation surtout de la capacité de cette
nouvelle famille politique au recyclage. Guillaume Peltier, c’est l’Eric Besson de l’extrême
droite, celui qui a trahi la cause pour la gamelle UMP. C’est surtout une carrière déjà
extrêmement riche. Ce Parisien l’entame en 1995 à 19 ans au Front national de la jeunesse
pour en devenir le directeur national adjoint. En 1998, avec deux autres activistes, dont
Nicolas Bay, aujourd’hui porte-parole de Marine Le Pen, il participe à la nébuleuse
mégrétiste88 par la création d’un mouvement, « Jeunesse action chrétienté », qui organise
des actions contre le PACS, l’avortement, l’euthanasie ou la contraception à l’école.
85
http://blog.lefigaro.fr/rioufol/2012/04/je-fais-partie-des-decus.html
http://www.lexpress.fr/actualite/politique/peltier-n-envisage-pas-un-accord-mpf-fn_463837.html
87
C’est le titre de son portrait dans Le Monde, non disponible en ligne.
88
Il participe au congrès fondateur du MNR.
86
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Guillaume Peltier déclare aujourd’hui que son passage à l’extrême-droite a été une « crise
d’adolescence politique »89. Force est de constater que la foucade a été longue, et que c’est
sa réussite au CAPES d’histoire en 1999 et sa nomination à Joinville (Haute-Marne) puis
Epernay qui l’amène à quitter ses engagements, même si dès 2000, il se présente aux
élections municipales sur la liste alors divers droite du maire UMP actuel Franck Leroy.
A ce moment, Guillaume Peltier comprend l’impasse mégrétiste et se cherche un mentor
susceptible de lui servir de planche d’envol. Il contacte sans succès Charles Millon, puis,
par le biais de ses réseaux de catholiques réactionnaires Philippe de Villiers qui l’adopte et
l’embauche comme permanent. Guillaume Peltier devient pendant sept ans son homme à
tout faire, secrétaire général, porte-parole, producteur de vocabulaires. C’est lui qui
contribue – déjà - à faire de Philippe de Villiers le « candidat de la vraie droite », lui
suggérant les thèmes de l’islamisation, des « charters républicains » ou de la suppression
des allocations aux sans-papiers: le 20 avril 2006, interrogé sur I-Télé, il affirme s’inspirer
des « justes idées du Front national »90.
L’histoire voudrait que Brice Hortefeux lors de négociations UMP/MPF lui ait suggéré de
rallier l’UMP. Ce n’est pas impossible, mais avant d’être le chouchou de l’UMP,
Guillaume Peltier est surtout le disciple de Patrick Buisson qu’il a connu lorsqu’il faisait
partie de l’extrême droite… La belle histoire sert à masquer les origines du ralliement.
Comme son nouveau mentor, Guillaume Peltier a créé son entreprise de sondages et
analyses de l’opinion ; comme lui il a compris que la bataille se jouait sur les mots avant
de s’engager dans les urnes ; comme lui il a fait sienne l’approche d’une droite de doctrine
fondée sur l’héritage de Maurras plutôt que sur celui du Général. Il a compris également
qu’un bon florentin flattait le Prince, et membre pendant la campagne de la « cellule
riposte », secrétaire national de l’UMP, il aura mis sa plume au service d’une flagornerie
décomplexée par laquelle il expliquait au candidat-président qu’il serait élu contre vagues
et marées après avoir servi tout aussi prestement Jean-François Copé91. Mais demain, sans
nul doute, comme Patrick Buisson, il trahira Nicolas Sarkozy quand celui-ci ne lui sera
plus d’aucune utilité pour travailler à la construction du « parti patriote ». En janvier
dernier, Paul-Marie Couteaux, ex-député européen MPF et porte-parole de Marine Le Pen
affirmait le rencontrer régulièrement pour « travailler à la recomposition de la droite»,
ajoutant « on prend des verres ensemble car on tend vers le même but ». Guillaume Peltier,
qui se présente habituellement, dans ce qui est pour lui un oxymore, comme un « patriote
républicain »92, a vigoureusement démenti.
89
« C’était une sorte de crise d’adolescence politique. J’ai été frappé par le discours de Jean-Marie Le Pen
sur la France, avant de me rendre compte que les solutions qu’il proposait étaient une impasse ». Il est
impossible de trouver une seule parole où Guillaume Peltier condamne l’extrême droite. Seules des raisons
d’accès à la notabilité ont justifié son évolution politique, comme Gérard Longuet en son temps.
90
Il laisse entendre qu’il serait l’inventeur du « plombier polonais ».
91
Il aurait d’après Le Figaro « largement contribué » à l’écriture du mémorable Un député, ça compte
énormément, de Jean-François Copé.
92
D’après son portrait dans Le Point :
http://www.lepoint.fr/politique/peltier-la-nouvelle-boite-a-idees-de-l-ump-28-07-2011-1359166_20.php
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PARTIE III
Les convergences en construction :
d'un vocabulaire commun à la naissance
d'espaces politiques
Si les hommes ont leurs idées et leurs parcours, ils ont aussi leurs méthodes. Cette nouvelle
droite décomplexée qu’incarnait hier le sarkozysme et qu’incarnera demain le copéisme
s'appuie d'abord sur un travail du langage. Travail qu'elle met en pratique. Les
entrepreneurs de la convergence ont commencé par travailler un langage commun pour
gagner la bataille des mots, avant de travailler à la diffusion de leurs thèmes.
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1.
Une approche commune des métalangages
1. UN LOGICIEL POUR UNE « NOUVELLE DROITE »
L’histoire de la droite française est pleine de méandres, entre ses différentes composantes,
suivant les circonstances, ou dans l’intérêt bien compris des candidats aux plus hautes
fonctions qui ont guidé les destinées des partis. L’émergence du Front national dans le
champ politique (et médiatique) au début des années 1980 a mis à mal un camp qui s’était
habitué à la division entre courants de pensée, mais qui savait se rassembler au moment du
choix. Dès les années 1970, plusieurs anciens leaders de l’extrême droite groupusculaire
ont rejoint la droite de gouvernement, emportant avec eux bon nombre de leurs habitudes
et de leurs convictions. Le ralliement d’anciens d’Ordre nouveau et du PFN au giscardisme
lors de la campagne de 1973 (par anti-gaullisme, notamment), puis d’anciens cadres
d’Occident au parti gaulliste ont eu quelques effets sur l’orientation parfois très libérale (on
pense à Alain Madelin, notamment) de milieux de la droite qui étaient jusque-là assez
étatistes.
Avant que le Front national vienne jouer les trouble-fêtes entre ces courants qui se
partageaient les rôles sans trop se concurrencer dans les urnes, les frontières entre la droite
et l’extrême droite ont, dans les faits, toujours été assez poreuses : parfois pour recycler
d’anciens militants ou dirigeants, parfois pour voir partir vers l’extrême certains militants
ou quelques penseurs dépités par la tournure que prenait leur famille politique. De ces
échanges, il reste des passerelles, qu’un Charles Pasqua a pu parfois incarner sous Chirac.
Mais surtout, ces va-et-vient ont vu proliférer les clubs et groupes de réflexion à
l’intersection de ces deux composantes.
La Nouvelle droite des années 1970 (GRECE et Club de l’Horloge) s’était clairement fixé
comme objectif de composer un nouveau logiciel de pensée à destination de la droite et de
l’extrême droite. Le différentialisme en guise de racisme, le libéralisme économique,
contre la tendance « socialo-communiste », le retour de l’autorité, contre la pensée 68…
Ces idéologues ont réussi à mener leur entreprise de reconquête des esprits à l’abri des
nécessités du moment, dans l’ombre de leurs cabinets et au travers de nombreuses
publications parfois restées confidentielles. Pour ces « gramscistes de droite », il s’agissait
bel et bien d'œuvrer dans le cadre « métapolitique » ; plus que d’influer sur les décisions
ou les programmes, il s’agissait de mener une « bataille du vocabulaire » capable de
modifier la perception de nombre de problèmes et d’en prioriser certains : l’immigration,
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l’insécurité, l’identité, l’autorité, ou le chômage. Leur mission consistait à rénover une
pensée globale, cohérente, voire autoproclamée comme « réactionnaire », dans une époque
qui semblait vouée aux idéaux de libération des corps et des esprits et qui a vu la victoire
de François Mitterrand en 1981. C’est de cette période que datent la plupart des écrits qui
alimentent une partie de la droite et de l’extrême droite françaises des années suivantes.
Derrière les divisions affichées et la nécessité pour Jean-Marie Le Pen d’apparaître comme
le rassembleur de composantes éclatées mais animées par un désir d’en découdre avec le
« système », bon nombre de conseillers et d’anciens amis ont continué à jouer les relais et
les intermédiaires entre gouvernants et contestataires. Entre le Front national lui-même et
certains pans de la droite, les relations ont perduré ; et le plus souvent, au-delà de l’inimitié
forte et déclarée très tôt qui a pu exister entre Jean-Marie Le Pen et Jacques Chirac, c'est la
concurrence dans les urnes entre RPR et FN qui met à mal les multiples liens entre anciens
gaullistes ou giscardiens classés très à droite et nouveaux lepénistes.
2. PARLER AUX ELECTEURS DE L’ENTRE-DEUX
Les ressorts politiques de la stratégie qui a mené la droite à se tourner vers cet électorat
considéré comme égaré au FN sont connus : assécher le marais du 21 avril, prendre au FN
une partie de l’électorat qui avait voté Le Pen en 2002, voire plus tôt. Car ces quelques
millions de voix représentent un sésame qui pourrait faire perdre toute élection pour la
droite.
Cette stratégie n’est pas nouvelle. Déjà, au cours des années 1980, plusieurs voix s’étaient
élevées à droite pour exiger de reconquérir les « vraies valeurs » qui pouvaient rassurer
une portion des Français apeurés par la montée du « socialo-communisme ». Ce fut une
posture que tentèrent d’incarner quelques caciques du RPR, tel Charles Pasqua (qui fut
d’ailleurs le parrain en politique de Nicolas Sarkozy dans les Hauts-de-Seine). Philippe de
Villiers a lui aussi pensé pouvoir s’insérer dans cette brèche qui s’était creusée entre le FN
et le RPR au fil des ans. Et on se souvient comment, en 1998, la droite fut sommée de se
prononcer sur la question d’une alliance avec le FN pour conserver plusieurs régions93.
Cette stratégie de prise de contrôle d’une partie de l’électorat tiraillé entre la droite et
l’extrême droite fut au cœur de l’entreprise menée par Bruno Mégret en interne du FN, au
cours des années 1990. En tant qu’ancien du RPR, il avait évalué à environ 30 % le
potentiel que recélait cette portion de l’électorat : conservateur, voire réactionnaire, mais
surtout qui pouvait passer d’un camp à l’autre, en fonction de l’offre disponible et du
discours que les uns et les autres seraient capables de tenir.
Face au chiraquisme recentré et pro-européen, le mégrétisme a été l’une des principales
tentatives issues du Front national pour empiéter sur les terres du parti majoritaire de la
droite. L’échec interne et la scission qui a suivi à la fin 1998 a signé l’arrêt de mort
politique de la stratégie mégrétiste, puis celle de son initiateur. Mais l’initiative n’est pas
restée lettre morte pour tout le monde. Du côté du RPR, puis de l’UMP, certains ont vu
dans cet échec venu du camp frontiste une opportunité nouvelle pour reprendre l’avantage
93
Sur le sujet des convergences électorales, cf. II/ C/ 2.
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sur le Front national, après le 21 avril 2002. Une porte avait été ouverte. Il s’agissait pour
la droite d’emprunter le chemin laissé vacant.
3. UNE « SARKOZYSATION » DES ESPRITS
Pour pouvoir rallier la partie de l’électorat qui faisait défaut à la droite en choisissant la
radicalité du FN, il fallait donc utiliser les thématiques qu’a initiées le « lepénisme », mais
aussi pouvoir en récupérer la force d’évocation, au travers de certains termes, ou modes
d’expression. Pour cela, une partie de la nouvelle UMP ralliée au panache du ministre
Nicolas Sarkozy après l’éviction d’Alain Juppé a engagé une opération de « marquage »
des positions du FN et de reprise d’éléments de son discours, parmi les plus
« acceptables », ou les plus faciles à traduire en langage sarkozyste : celui d’un ministre
hyperactif et « en rupture », face à l’image d’un Jacques Chirac de plus en plus « fin de
règne ».
Dès 2002, l’objectif du ministre de l’Intérieur, qui ne cache pas ses ambitions, semble
reposer sur deux axes : occuper le terrain médiatique et donner le tempo – et donc les
thèmes – de la campagne qui va s’ouvrir. Pour l’aider à occuper le rôle de « super-Sarko »
hyperactif, présent sur le terrain et dans les commissariats, le ministre s’est entouré de
fidèles – dont plusieurs proviennent de la droite dure - pour engager son offensive contre
les « racailles ». Les lois votées sous l’impulsion du numéro deux du gouvernement se
succèdent, mais c’est surtout sur le terrain sémantique que le nouveau Sarkozy prépare sa
stratégie gagnante : récupérer une partie de l’électorat qui a porté Jean-Marie Le Pen au
second tour en 2002. La façon de poser les questions avant d’y répondre, pour maîtriser le
cadre dans lequel s’inscrit son action et son « combat » ; le parfum de mission contre le
Mal (incarné par les « délinquants » et autres « multirécidivistes ») qui mine la société et
qui nécessite de recadrer les policiers, en leur expliquant que « le rôle de la police, ce n’est
pas de jouer au foot avec les jeunes »…
Sur le fond, ce que le sarkozysme a remis à l’avant-scène de sa geste politique, dès le début
des années 2000, c’est une forme de conquête des esprits que l’on pourrait comparer à un
« sous-lepénisme » plus acceptable en théorie, mais aussi efficace dans les consciences.
Comme l’avait imaginé Bruno Mégret en son temps, mais en se plaçant du point de vue de
l’UMP, Nicolas Sarkozy a réussi à préempter une partie de la vision du monde développée
par le lepénisme au fil des années. Ce faisant, il a rempli l’objectif que la Nouvelle Droite
avait fixé il y a plus de trente ans : déplacer le centre de gravité de la vie politique française
vers une droite plus « dure », plus « décomplexée », capable en même temps de gagner les
élections.
La place prise par certains conseillers auprès du candidat Sarkozy, à l’approche de
l’élection présidentielle de 2007, donne une orientation de plus en plus décomplexée à sa
parole publique. Jusqu’à trouver dans les discours et les arguments du candidat et futur
président des morceaux choisis issu de la tradition frontiste, in extenso, ou remaniés. Une
façon de poser la formule gagnante de l’élection pour le candidat UMP, auprès de
nombreux électeurs passés par le FN : ce que dit Le Pen, j’en ferai une partie. Tandis que
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lui ne fera jamais rien, puisqu’il n’accèdera jamais au pouvoir. Les dirigeants du FN ne s’y
sont pas trompés, dans leur analyse de leur déconfiture de 2007.
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2.
La construction d'un vocabulaire commun :
citer le Pen
Si la politique est devenue, pour les dirigeants en place, une science de la gouvernance,
pour les candidats aux fonctions elle est avant tout restée et demeure un exercice de
propagande (au sens de propaganda fide, la propagation d’une foi), qui nécessite de parler
à l’inconscient collectif autant qu’à la raison. Pour cela, le discours politique doit utiliser
des images, des formules, voire convoquer des symboles et des signes : la République, la
nation, voire la tradition religieuse sont potentiellement convoquées par le biais de termes,
de drapeaux, ou de personnages (Jaurès, Hugo, ou Jeanne d’Arc, par exemple).
1. UTILISER LES MOTS DU LEPENISME
Jean-Marie Le Pen a abondamment fait usage de ces « symboles » disponibles dans
l’imaginaire collectif, convoquant tout à tour la famille et la Nation, l’Histoire
« plurimillénaire » et le « bon sens ». La langue lepéniste est devenue un point de repère,
même pour ses adversaires : on la reconnaît, souvent excessive, truculente, usant de
quelques adages, de citations latines, de références au décalogue, ou en appelant à Jeanne
d’Arc elle-même, sous forme de défilé chaque 1er mai. Cette propagande, qui a imposé ses
thèmes et ses vérités constitue désormais une ressource, pour qui veut parler à tous ceux
qui ont voté Le Pen au moins une fois, soit plus du quart de l’électorat. Ce sont donc à la
fois ces mots, mais aussi certaines expressions et surtout l’arrière-plan symbolique qu’ils
posent (en termes de posture et de vision du monde) qu’il fallait récupérer, remanier, en
leur apportant un parfum de réalisme qui pourrait convaincre les électeurs que Nicolas
Sarkozy fera – une partie de – ce que Le Pen promet depuis des lustres…
Mais une telle orientation a besoin d’être identifiée, voire dénoncée pour être diffusée, afin
d’être perçue et comprise par la cible électorale. Dans cette entreprise, l’adversaire a joué
sa partition : en dénonçant les emprunts et les amalgames à longueur de tribunes et de
déclarations outragées, une partie de la gauche a accrédité la filiation entre Le Pen et
Sarkozy. Ainsi, qu’on le dénonce ou qu’on le déplore, le sarkozysme est devenu un
lepénisme dans la pensée collective.
Et le ministre-candidat avait su jouer sa partition, dénonçant les « droits-de-l’hommistes »
et autres « bien-pensants » qui donnent leurs leçons de morale du haut de leur élitisme
aveugle aux souffrances des « Français qui se lèvent tôt ». Posant les questions, avant
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d’asséner les réponses, le cadre de pensée est devenu celui de la sécurité personnelle, à tout
prix. Et l’antienne frontiste des années 1990, « la première des libertés, c’est la sécurité »,
a fait florès dans les discours ministériels après le 21 avril. Évacuées, les précautions de
langage sur la justesse des questions posées par le FN, la formule sarkozyste relève d’une
autre approche : « Si Monsieur Le Pen dit qu’il fait du soleil, je ne vais pas dire qu’il
pleut… »
Une fois cet axiome de « bon sens » posé, les emprunts sont légitimes, puisqu’il s’agit de
poser les questions et d’y apporter des réponses « de bon sens ». Dans une verve langagière
propre au « parler vrai », le candidat UMP se propose de répondre, sans détour, aux « vrais
problèmes des Français » : la sécurité, bien sûr, mais aussi « le problème de
l’immigration », les « zones de non droit » (banlieues), « le scandale de l’assistanat », ou
encore « le laxisme » qui s’est instillé dans la société, par la faute des « idéaux de Mai
68 »…
Mais si les thèmes rappellent ceux qui ont fait la fortune du FN depuis des lustres, ce sont
aussi quelques-unes des expressions remarquables et propres à ce courant de pensée qui
permettent d’attirer l’oreille de ceux qui écoutent ces discours depuis des années. Ainsi,
l’expression frontiste « La France, tu l’aimes ou tu la quittes », devient, dans la bouche de
Nicolas Sarkozy à la fin d’un discours : « (…) s’il y en a qui n’aiment pas la France, qu’ils
ne se gênent pas pour la quitter »…94 Façon de montrer qu’il peut adapter à son style une
expression, en lui conservant sa force d’évocation.
Moins connue, la reprise de l’idée que se développe dans certains endroits du pays un
« racisme anti-Français » (France 2, avril 2007) est directement issue de la prose des
réseaux de traditionalistes catholiques proches du FN du milieu des années 1980 (AGRIF).
Les exemples d’emprunts langagiers, comme de références à la logique globale d’une
France en danger (voire en « décadence ») sont légion. La « rupture » qu’a mise en scène
Nicolas Sarkozy lors de la campagne de 2007 avait comme principal objet de se démarquer
à la fois du chiraquisme finissant, mais aussi de lui faire prendre le rôle du pourfendeur de
cette « gauche caviar », moralisatrice et élitiste ; celle que Jean-Marie Le Pen a voué aux
gémonies depuis ses débuts en politique95.
2. UN PRESIDENT « EN GUERRE »
Qu’un candidat joue de l’emprunt sémantique pour attirer à lui des électeurs dans le feu
d’une campagne est une chose. Mais l’aboutissement de cette logique de surenchère et
d’emprunts de moins en moins voilés au registre discursif du FN a contribué à faire du
94
Phrase prononcée le 23 Avril 2006 à Paris devant 2 500 nouveaux adhérents de l'UMP. Le même jour, il avait
déclaré: « On en a plus qu'assez d'avoir en permanence le sentiment de s'excuser d'être français. On ne peut
pas changer ses lois, ses coutumes parce qu'elles ne plaisent pas à une infime minorité », déclenchant l'ovation
de l'assistance si l'on en croit la recension du Monde :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2006/04/23/nicolas-sarkozy-si-certains-n-aiment-pas-la-france-qu-ils-nese-genent-pas-pour-la-quitter_764512_3224.html
95
Lors de son premier meeting de l’entre-deux tours, Nicolas Sarkozy s’en prend non à François Hollande,
mais à Dominique Strauss-Kahn, la bête noire de Jean-Marie Le Pen.
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président en exercice un candidat capable de s’indigner de l’état du pays à l’occasion d’un
nouveau fait divers. C’est le concept fondateur du discours lepéniste qui est repris in
extenso, sur un ton martial et guerrier. La limite de la récupération est franchie. On sombre
alors du côté de l’outrance, de la légitimation des pires amalgames… On plonge dans une
« guerre », avec toutes ses conséquences, pour un chef de l’État. Le discours de Grenoble a
bel et bien marqué une étape supplémentaire dans la manière de « faire du FN ». Pour la
première fois, une frontière sémantique a été franchie : en reliant dans une même logique
la question de l’immigration, celle du chômage et en faisant le lien avec l’insécurité,
Nicolas Sarkozy a repris explicitement le triptyque qui a fait la particularité de la vulgate
frontiste à partir de 1978 et qui a donné à Jean-Marie Le Pen son statut d’exception dans le
champ politique national.
Certes, on peut imaginer qu’un tribun déclaré use de tels arguments. On peut aussi
imaginer qu’un candidat puisse reprendre par bribes des éléments de ce discours
dénonciateur. Mais qu’un président en exercice légitime la logique de pensée développée
par celui qu’il accusait d’être « anti-républicain » quelques années plus tôt est une autre
étape…96 Beaucoup de commentateurs ont manqué de relever combien ce discours a
dépassé les limites de ce qui est acceptable dans l’exercice du pouvoir. On a parlé (à bon
droit) des attaques contre les camps de Roms, du ton martial. Il faut y ajouter que le
premier personnage du pays a cru bon de déclarer une « guerre », non au trafic, mais aux
« trafiquants » ; ce qui va bien plus loin, encore, que de traiter certains de « racailles »,
dont il faudrait « débarrasser » la dalle d’Argenteuil avec ou sans Kärcher : dans la lutte
contre la délinquance, la société a des adversaires qu'elle cherche à punir ; dans une guerre,
l'Etat a des ennemis qu'il cherche à tuer.
Les emprunts à la pensée frontiste se multiplient avec la fin de mandat. Selon une méthode
éprouvée, certains ministres ont pris en charge la mission de ramener au bercail les
électeurs déçus de 2007 attirés par Marine Le Pen. Claude Guéant a remplacé Brice
Hortefeux : l’un parlait des « Auvergnats », l’autre évoque – avec l’assentiment du
Président 97 - la supériorité de la « civilisation » française. Clairement, l’islamisme est
devenu une « menace », depuis que Marine Le Pen a décidé d’en faire son principal
ennemi, à quelques mois de son accession à la tête du parti paternel. Et, dans ce jeu de
surenchère, lorsque la campagne présidentielle s’ouvre, le candidat président n’hésite pas à
rejouer la « rupture », en appelant au « peuple de France », lui promettant d’agir à la fois
contre les marchés, les règles de la Banque centrale européenne et « l’Europe de
Schengen », décidément trop peu protectrice à son goût.
3. RETOUR AU « CANDIDAT DU PEUPLE »
Dès le début de l’année 2012, la mutation du Président alors en cours de
96
« Lorsque dans son discours à Grenoble, en 2010, il fait le lien entre immigration et délinquance, il nous
soulage des accusations qui étaient portées contre nous ». Jean-Marie Le Pen, interview aux Inrockuptibles, 3
janvier 2012 :
http://www.lesinrocks.com/2012/01/10/actualite/jean-marie-le-pen-sarkozy-a-legitime-les-propositions-du-fnlentretien-integral-114587/
97
« Les propos du ministre de l'Intérieur relèvent du bon sens » déclare Nicolas Sarkozy.
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« représidentialisation » non aboutie en candidat est à l’œuvre. Lors de ses meetings, il
reprend quelques-unes des images dont il sait qu’elles parlent à cette partie de l’électorat
qui se sent attirée par le vote Marine Le Pen au premier tour. Emphatique, le « candidat du
peuple » lance : « Je veux parler à cette majorité silencieuse qui tient le destin de la
France entre ses mains. » Un véritable appel à un « peuple réel », qui rappelle les odes
maurassiennes au pays réel, contre les élites et les corps constitués (dont les syndicats) ;
bref, une attaque en règle contre le « système », dans la verve lepéniste. Et, comme pour
confirmer de quoi il est question, il ajoute plus loin : « L’école appartient aux familles de
France et pas aux organisations syndicales. »
Et les accents lepénistes dans les discours se font plus pressants à mesure que l’échéance
approche. Parodiant le père comme la fille Le Pen, qui jurent que les politiciens ont menti
aux Français, le Président tribun affirme à ses troupes : « Je veux faire campagne sur la
vérité », avant de réaffirmer ce que le quinquennat a posé comme nouvelles frontières de
l’acceptable, du côté de la droite : « Défendre son identité, sa civilisation, ce n’est pas
honteux, c’est légitime. » Un habile rappel de la promesse - tenue - d’instituer un ministère
(et un débat) de l’Identité nationale.
En termes stratégiques, à quelques jours du scrutin, le seul espoir du camp sarkozyste
semble résider dans un ultime appel au « vote honteux » supposé pour Nicolas Sarkozy
(théorie développée par Patrick Buisson), qui rappelle et ressemble beaucoup à ce qui fut
l’apanage du vote « caché » (non avoué) pour le FN, durant des années. L’antienne est
devenue « Peuple de France, j’ai besoin de vous ». Et, comme pour reprendre le cœur du
logiciel frontiste, sur l’esplanade de la Concorde, quelques jours avant le scrutin de 2012,
le candidat distancé dans les sondages lance à la foule censée incarner ce « peuple » qu’il
appelle à son secours : « N’ayez pas peur !... » On y a vu une référence à la messe
inaugurale du pontificat de Jean-Paul II en 1978 ; mais un autre tribun avait utilisé la
même expression pour s’adresser aux Français. C’était Jean-Marie Le Pen, le soir du 21
avril 2002. Et il avait poursuivi : « … vous, les petits, les sans-grades. » Le « peuple », en
somme. Dix ans après, le 23 avril 2012, à Saint-Cyr sur Loire, département d’Indre-etLoire, Nicolas Sarkozy s’adresse à ses partisans pour son premier meeting d’entre-deuxtours : « Je veux parler aux petits, aux sans-grades…»98.
98
http://elysee.blog.lemonde.fr/2012/04/23/sarkozy-refuse-toute-lecon-de-morale-dune-gauche-qui-voulaitinstaller-dsk-a-lelysee/
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3.
Les espaces de la convergence
La diffusion de cette nouvelle droite qui s’affirme décomplexée, c'est-à-dire qui ne se
considère pas comme limitée par les bornes de la respectabilité, préoccupe les acteurs de la
convergence. Même s’ils le nient, ils ressentent toujours une forme de honte dans leurs
propos. Malgré les efforts d’Eric Zemmour ou Elisabeth Lévy pour « briser les tabous », il
est encore difficile d’assumer dans des situations de vie quotidienne, face à des personnes
connues, que l’on est farouchement, par exemple, opposé à l’antiracisme. Les activistes
ont, à l’image du tea party et des néo-conservateurs américains, envahi les talk-shows à la
radio. Robert Ménard, Eric Brunet, Ivan Rioufol se posent tous sur les ondes, RMC et
RTL99 surtout, en victimes de l’ostracisme de la pensée unique. Les lieux où les militants
se rencontrent sont donc plutôt rares, même si l’UNI – depuis longtemps - ou Riposte
laïque savent procéder aux mélanges. La vraie nouveauté de cette droite réside dans son
approche d’internet, dans sa capacité à se servir des réseaux sociaux, des blogs et des
forums pour les transformer en places de village où l’outrance devient la banalité du mal.
1. L’UNI ET LE MIL : AU SERVICE D’UNE DROITE D’ORDRE ET DE COMBAT DEPUIS
1969
Jacques Rougeot, professeur à Paris IV crée l’Union Nationale Interuniversitaire en 1969
en réaction aux événements de Mai 68, mais le véritable inspirateur de ce syndicat étudiant
est Jacques Foccart, qui prête les locaux du Service d’Action Civique (SAC) pour la
réunion fondatrice100. Dès le départ, l’organisation étudiante se moule dans le magma
idéologique du gaullisme d’ordre. Sa profession de foi est claire : « regrouper tous ceux
qui entendent soustraire l'éducation nationale à l'emprise communiste et gauchiste et
défendre la liberté en luttant contre toutes les formes de subversion »…à commencer par la
loi Faure en 1969, chargée de libéraliser le fonctionnement de l’université et pourtant
préparée et votée par la majorité gaulliste de l’époque. L’UNI symbolise une droite de
combat, rendue orpheline par la disparition du SAC. Sur le terrain, l’UNI procède à
quelques alliances de circonstances avec le GUD, ce qui donne lieu à diverses actions
musclées contre les syndicats étudiants gauchistes. Ses slogans témoignent d’une droite
99
Ces deux radios qui s’affirment avant tout populaires ont par naïveté ou méconnaissance pleinement adhéré à
la doxa des activistes de la droite décomplexée selon laquelle ils étaient les porte-paroles du peuple oublié par
la gauche caviar.
100
Service d’ordre du parti gaulliste, le SAC est dissous le 3 août 1982 par François Mitterrand suite à la
« tuerie d’Auriol » où son responsable marseillais est assassiné avec l’ensemble de sa famille.
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décomplexée, assumant presque ouvertement les thématiques frontistes : « Burka, Hallal...
STOP au communautarisme », « Trop d'immigration nuit à l'intégration » ou encore
« Français et fier de l'être ». Fidèle à sa réputation activiste, l’UNI est fréquemment utilisé
par le RPR, puis l’UMP, comme lors de la crise des banlieues en novembre 2005 avec le
comité « Défense de la république » ou début 2007 avec le comité « Les étudiants avec
Sarkozy ». Fustigeant le « politiquement correct », l'UNI soutient Eric Zemmour au nom
de la défense de la liberté d'expression. C’est d’ailleurs devant une assemblée de l’UNI que
Claude Guéant a affirmé en février 2012 que « toutes les civilisations ne se valent pas ».
Sur le front du gaullisme d’ordre, l’UNI se voit adjoindre à partir de 1981 le MIL
(Mouvement Initiative et Liberté) qui se définit comme un mouvement de droite,
violemment opposé à la gauche et créé par l’inamovible Jacques Rougeot. Là aussi, on est
en présence d’une réaction à un autre événement cataclysmique pour la droite : l’élection
de François Mitterrand. D’ailleurs, dans son manifeste, le mouvement s’engage « pour
essayer d'empêcher que, après s'être emparés du pouvoir politique, les socialocommunistes ne mettent définitivement la main sur les esprits et sur les structures de la
France ». Ses discours dès les années 1980 n’ont rien à envier à ceux du FN, on y fait
l’apologie de la préférence nationale, on combat contre l’avortement et pour l’école libre.
Il s’agit de libérer notre pays de l'« enlisement socialiste ». Le socialisme est même
comparé au SIDA en 1985. Le communautarisme, l'immigration et l’islamisme menacent
l'identité nationale A l’instar de l’UNI, ses slogans de campagnes sont sans nuances :
« Socialisme, l'idée qui pourrit la France », « La France, aimez-la ou quittez-la », « Le
tchador ou la France, il faut choisir ».
2. PLANETE INTERNET, L’ESPACE DE LA DROITE DECOMPLEXEE
« Ré-informer » contre la pensée dominante
Internet, c’est l’espace de dilatation de l’extrême-droite où ses militants vont à la rencontre
d’électeurs de droite à convaincre. Jean-Yves le Gallou, fondateur du Club de l’Horloge
l’exprime clairement dans une conférence tenue le 25 Octobre 2008101. : « Les instruments
utilisés par l’opinion n’ont jamais été aussi puissants (mais) ces moyens d’influence ont
été utilisés par les élites dominantes pour imposer une idéologie de rupture avec le
passé ». En conséquence de quoi, contre cette hégémonie, contre la presse qui
« désinforme », il faut contourner les corps intermédiaires, journaux – toujours de gauche -,
intellectuels – germanopratins -, institutions culturelles, pour « ré-informer » le public.
Jean Yves le Gallou créée donc un think tank doté d’un site internet très actif, qu’il
dénomme Polémia, référence transparente tant à Carl Schmitt qu’à l’obsession de
l’extrême droite pour les cités grecques qui savaient séparer les citoyens des métèques et
des barbares.
Les activistes d’extrême droite se lancent donc à la grande rencontre des Français à qui il
101
Lors d’une « Journée d’étude sur la ré-information » organisée le 25 octobre 2008 :
http://www.polemia.com/article.php?id=1763
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faut expliquer la « vérité ». Protégés par l’anonymat du numérique, ils investissent les
forums et les fils de commentaires sur les médias généralistes où ils lancent des buzz.
L’objectif, conformément aux recommandations méthodologiques de Jean-Yves le Gallou,
est de faire masse, de faire croire à celui qui passe que la majorité silencieuse victime de la
censure existe dans le monde virtuel. Pour cela, il faut occuper le terrain, augmenter sans
cesse le contenu disponible ; bref, pour chaque lecteur et militant, il faut devenir un
« acteur de la ré-information ». Trois approches s’emboîtent dans cette stratégie. La
première, la plus classique, s’apparente à celle des revues à abonnement, vecteur historique
de l’extrême droite qui a toujours tenté de diffuser ainsi son contenu à quelques convaincus
appelés à disposer du bagage intellectuel capable d’en faire des propagandistes. Ces revues
en ligne ne s’adressent donc qu’aux convaincus. Elles ne sont pas toujours ouvertes aux
commentaires, mais ce n’est pas leur sujet. Facebook s’inscrit dans ce cadre : tout social
que soit le réseau, il ne s’adresse qu’à des « amis » désignés, et n’offre pas de possibilité de
contact vers un « autre ».
François de Souche, ou la repossession manipulée
La seconde approche se trouve dans la véritable innovation apportée par le web d’extrême
droite au travers du site « françois de souche », devenu la plateforme incontournable de la
« fachosphère » avec 80 000 visiteurs uniques par jour, bien loin du temps où il se voulait
l’espace personnel censé raconter les « pérégrinations d’un Français de souche dans le
Paris occupé » 102. En arrière plan, déjà, c’est tout un programme idéologique. Paysages de
campagne, Jeanne d’Arc et Brigitte Bardot, statue de Vercingétorix, bouteille de vin rouge
et vache, le site propose une mythologie de la France qui n’a jamais existé. Mais il innove
car c’est un agrégateur strict de contenus qui ne commente ni ne hiérarchise l’information
même s’il modifie souvent les titres des articles : tout se vaut, dans une même équivalence
qui rapproche un pickpocket de couleur d’un attentat meurtrier ou d’un reportage sur
l’immigration. Fdesouche ne publie que sur ses thèmes préférés : immigration,
délinquance, identité, dans un sens qui entend privilégier l’accès direct de l’internaute à
l’information, vidéo en tête car réputée infalsifiable. Tout en affirmant vouloir présenter
des « faits bruts », Fdesouche livre une grille de lecture par l’anglage ethno-différentialiste
de ses reprises, et laisse les commentaires apporter l’explication éditoriale. C’est là où se
trouve l’autre clé du succès. Protégé par une irresponsabilité juridique affichée, Fdesouche
offre l’occasion à ses visiteurs de construire sur cette place de village virtuelle leur propre
corpus idéologique, dans une fréquentation de leurs semblables, délivrés par l’anonymat de
tout sentiment de culpabilité ; bref, il offre à des militants qui se sentent tellement seuls
qu’ils hésitent parfois sur leurs convictions et leurs engagements la possibilité de faire
partie d’une communauté et les renforce dans leur sentiment d’être majoritaires. La nuit
surtout, les internautes, dûment « ré-informés », se lâchent, se construisent ensemble dans
une école de militants virtuelle, débarrassée de tout contrôle social, prêts à chasser en
meute l’électeur de droite à convertir sur leur autre espace d’action prioritaire, les forums.
102
http://www.fdesouche.com/. Paragraphe fortement appuyé sur : David Doucet, « FN – Fdesouche : les
liaisons heureuses », 16 mai 2011, owni.fr : http://owni.fr/2011/05/16/fn-fdesouche-les-liaisons-heureuses/
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La majorité silencieuse s’impose en masse sur les forums
Aucun n’est négligé par les milliers d’activistes de la fachosphère103. Dès lors que la toile
est un espace où toutes les opinions peuvent s’exprimer, ils n’hésitent pas quand ils sentent
un public à chasser en meute pour obtenir l’effet de masse. Ils sont sur les forums de jeux
vidéos à la pêche au jeune, pourchassent sur doctissimo.fr la ménagère de moins de
cinquante ans isolée dans son pavillon du périurbain ; mais ce qu’ils préfèrent, c’est,
anonymes et déterminés, investir les commentaires des grands médias généralistes, Figaro
en tête104. Expression autoproclamée de la majorité silencieuse, leur but est, sinon de
convaincre, au moins d’instiller le doute. Habiles, ils évitent les insultes et mots clés qui
alertent leur ennemi intime, le modérateur politiquement correct. À l’aide de périphrases et
formules consacrées (voir le chapitre sur les métalangages), ils créent des connivences
avec d’autres internautes, moquent les réactions indignées et atteignent leur objectif : audelà des idées, la diffusion sourde d’un langage et d’une vision du monde.
Le 16 Avril 2012, les forums du Figaro.fr s'animent sous les articles consacrés à l'ouverture
du procès du Norvégien Andres Breivik. Ainsi sous l'article « Breivik plaide non coupable
pour la tuerie en Norvège »105, « Lucyves » écrit : « En reconnaissant les faits mais en se
présentant comme justicier, Breivik interpelle, au delà de l'injustifiable assassinat de 77
personnes. Que veut-il dire? Le monde multiculturel est une utopie de nos démocraties. La
religion musulmane porte en elle-même le rejet de notre civilisation occidentale, qui
repose sur le respect de l'autre, croyant ou non. Lisez le Coran et vous verrez comment
sont considérés les Juifs et les Chrétiens et les non croyants, alors vous aurez une petite
idée de ce qu'un extrémiste de droite a pu comprendre et interpréter pour justifier son
action, mais cela n'est pas l'œuvre d'un fou. Il nous appartient de lutter contre toutes les
formes de violence, mais cela ne doit pas nous empêcher de rester lucide sur les risques
que véhiculent la religion musulmane ». Plus loin, « Jean Roitelet » analyse : « Après tout
le ressentiment de ce que Breivik percevait comme l'impact inacceptable de l'islam dans
son pays, et ce qu'il interprétait comme étant la collusion du parti socialiste en la matière,
furent les déterminants principaux qui le motivèrent à commettre ces crimes. Juger l'un en
ignorant l'autre est un tour de force dont la Norvège du politiquement correct est
largement capable. On sent déjà que le procès va être simplifié et réduit au démon de
l'islamophobie, donc au racisme. C'est plus pratique pour tout le monde ». Quant à
« schtroumpf noir », il évite les gants: « Il dit avoir agi par «légitime défense» contre «des
traîtres à la patrie» responsables de brader la société norvégienne à l'islam et au
multiculturalisme. Ça ne me parait pas si fou que ça, franchement quand on voit ce qui se
passe en France ».
Les liens UMP – FN sur la blogosphère : la convergence en construction
103
http://owni.fr/2011/05/17/internet-limmigration-reussie-de-lextreme-droite/
Lemonde.fr est un peu moins victime : seuls les abonnés pouvant commenter les articles, il n’est pas possible de se camoufler dans l’anonymat…
105
http://www.lefigaro.fr/international/2012/04/16/01003-20120416ARTFIG00327-tuerie-en-norvege-leproces-de-breivik-s-ouvre-a-oslo.php
104
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Comme le montre la cartographie produite par Linkfluence et Lemonde.fr106 (en
répertoriant l’ensemble des liens entrants et sortants d’un site), plusieurs sites se trouvent
aux confluents entre la droite parlementaire et l’extrême droite. Le blog de Christian
Vanneste est fréquenté aussi bien par des sympathisants UMP que FN. Parmi les sites les
plus régulièrement référencés par le député du Nord sur son blog, figure
lesalonbeige.blogs.com, qui regroupe des « laïcs catholiques », ultra-conservateurs,
écrivant surtout sur des questions liées à l’immigration, l’avortement et l’islam au travers
du prisme identitaire. Créé en 2004 par trois blogueurs, et on y parle d’actualité « en
abordant des sujets que les médias traitent à travers un prisme idéologique, comme
l’immigration, l’insécurité, l’étatisme […] et la perte de souveraineté nationale » selon
l’un de ses auteurs. Ce site revendique 20 000 visiteurs quotidiens.
Les sites se référant au blog de Christian Vanneste révèlent notamment deux blogs de la
mouvance traditionaliste catholique : e-deo.info et bernard-antony.blogspot.com,
ouvertement anti-islam et pourfendeurs de la tradition laïque française, très bien implantés
dans la blogosphère d’extrême droite. Les fréquents liens entrants et sortants entre ces
blogs révèlent, outre des valeurs communes, des échanges potentiels entre internautes, une
hybridation. Autre exemple : Philippe Meunier et Jean-Paul Garraud, députés UMP, ont vu
plusieurs de leurs prises de position concernant l’immigration être abondamment reprises
par le site novopress.info, agence de presse proche du Bloc Identitaire. Cette
reconnaissance par un site d’extrême droite, si elle se fait dans un seul sens, jette toutefois
un pont. Dans l’autre sens, un site comme 24heuresactu, animé par un certain
« Didoulefou/Didier » qui s’affirme « militant UMP depuis 2007 », témoigne également
d’une proximité idéologique certaine ainsi que d’une sympathie récurrente pour Marine Le
Pen107. Les expressions utilisées, les nombreux articles de soutien à fdesouche, les thèmes
récurrents (halal, insécurité) et les « boules puantes » souvent partagées avec des sites
proches du FN, comme l’obsession contre Audrey Pulvar et Valérie Trierweiler,
rapprochent ce site de la blogosphère d’extrême droite. Toujours en se référant à la
cartographie de Linkfluence et du Monde.fr, de nombreux blogs se situent à la frontière :
http://www.gaullisme.biz/ pour son obsession de l’islam, http://www.dumait.fr/ qui prône
un rapprochement UMP/FN et renvoie notamment vers le site de Radio Courtoisie,
http://insolent.fr/, pour son obsession anti-communiste et proche de l’islamophobie, sans
oublier bien sûr le blog d’Ivan Rioufol.
L’articulation de ces différents niveaux sur internet a permis aux activistes d’interpréter la
victoire de François Hollande dans un cas pratique impressionnant de convergence. A partir d’un fait anecdotique, à savoir que nombre de drapeaux étrangers ont flotté le soir du 7
mai à la Bastille, les activistes se déchaînent pour démontrer que la victoire de François
Hollande est en fait celle du parti de l’étranger et préfigure la dépossession des Français de
leur nation. Tout le monde y va de son petit article, tant les blogs que les sites
d’information. Fdesouche se déchaîne, Causeur constate la présence de « beaucoup de
drapeaux à la Bastille, mais pas tous tricolores », s’interroge – acide - pour savoir s’il ne
106
http://www.lemonde.fr/politique/visuel/2012/02/02/cartographie-de-la-blogosphere-politique-en2012_1635269_823448.html
107
Voir par exemple l’article : http://24heuresactu.com/2012/04/16/marine-le-pen-fustige-les-bobos-du-psvideo/
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s’agirait pas d’un « Acte 1 » de la France multiculturelle et y décèle - si besoin était - que
la gauche et le réel s’opposent108. Malika Sorel explique que « les drapeaux étrangers que
l’on a vu fleurir et se disséminer dans de nombreuses villes de France donnent le ton, ou la
couleur, à tous les sourds et les aveugles »109. Jean-Marc Morandini, par la chair faisandée
alléché, fait voter les internautes : « avez-vous été choqué par la présence, hier soir, de
drapeaux étrangers à la Bastille ? »110. Oui, massivement, bien évidemment, effet de
masse des ré-informés oblige ! Louis Aliot transfère la mayonnaise d’internet vers les
ondes de France Info : il s’affirme « surpris (…) d'autant de drapeaux étrangers pour saluer la victoire de M. Hollande (…) Ce sont les mêmes drapeaux étrangers que l'on a vus
saluer la victoire de M. Sarkozy et (celle) de Jacques Chirac, en 2002 ». Puis il précise à
ceux qui auraient mal compris que les drapeaux belges ou croates posent moins de problèmes que d’autres : « J'ai beaucoup vu de drapeaux algériens, ce qui prouve bien que la
communautarisation de la société française n'est pas une utopie, ni une vue de l'esprit
mais qu'elle est une réalité ». Pour ce qui est du processus, Nadine Morano, qui quelquesjours auparavant tapait sur l’épaule de Louis Aliot, met les casquettes à l’endroit dans une
démonstration de haute volée intellectuelle qui cristallise la menace sur la proposition socialiste préférée des activistes : «Ça ne me rassure pas beaucoup, a-t-elle ajouté. Je me
dis : voilà quelle est la France qu'on va nous construire avec le droit de vote des étrangers
(...) Cette démonstration n'était pas engageante ni réjouissante pour la France que nous
avons à construire »111. Plus de 400 commentaires sont déposés sur le site du Figaro. Bref,
les drapeaux donnent à voir ce que l’on sait bien. La gauche n’est pas légitime à gouverner ; c’est le parti de « l’étranger », arrivé à l’Elysée par effraction. C’est surtout le parti
qui réussira à faire mourir la nation en donnant le droit de vote aux immigrés.
L’entreprise théorisée par Jean-Yves le Gallou est donc en bonne voie : la droite radicale a
un impact sur internet infiniment supérieur à son poids électoral. Elle y est un aimant, elle
a réussi à construire sur internet un espace partagé où les sympathies se créent et les
langages se banalisent. La « réinformation » grignote la digue.
3. RIPOSTE LAÏQUE, LE GROUPUSCULE PLUS UTILE QU'IDIOT
L’émergence de Riposte Laïque s’inscrit tant dans l'inquiétude réelle d’une partie de
l’opinion à l’égard de l'enracinement de l'islam en France que dans la stratégie de
l’extrême droite et d’une partie de la droite parlementaire visant à transformer ce
ressentiment en haine de l'immigré au moyen d'une laïcité dévoyée. Tout commence par
une initiative lancée en 2007 par d'anciens rédacteurs de la revue en ligne Respublica,
revue s’opposant à l’extrémisme religieux et au communautarisme et très liée à l’Union
des Familles Laïques (UFAL), association familiale en pointe dans le combat laïc.
L’imposture laïque et républicaine tient beaucoup à la personnalité des deux fondateurs,
Christine Tassin, qui de 1995 et 2010 a milité un peu partout pour terminer à Debout la
République en 2010 et Pierre Cassen qui, lui, traîne un long passé de militant CGT du
108
http://www.causeur.fr/beaucoup-de-drapeaux-a-la-bastille-mais-pas-tous-tricolores,17395
http://www.malikasorel.fr/archive/2012/05/06/les-miserables.html
110
http://www.jeanmarcmorandini.com/article-286210-votez-avez-vous-ete-choque-hier-soir-par-la-presencede-drapeaux-etrangers-a-la-bastille.html
111
http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/05/07/apres-la-bastille-la-polemique-desdrapeaux_1696965_1471069.html
109
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syndicat du livre, ainsi que des combats laïcs au sein du PCF et de la LCR. On trouve
également d’autres syndicalistes ou même des militantes féministes. La profession de foi
de la revue en ligne est claire : elle entend tirer un signal d’alarme concernant ce qu’elle
appelle l’offensive de l’islam politique en France et dans le monde occidental. Dans son
combat, elle affirme vouloir « créer les conditions d’une riposte laïque massive afin de
mettre en échec ce nouveau fascisme du 21e siècle », bien sûr l’islam sans distinction.
Véritable idéologue de la revue, Pierre Cassen considère que « l’islam est le fer de lance et
outil de la mondialisation pour casser les solidarités sociales et la République laïque.
Aujourd’hui, le danger essentiel, c’est l’islam. C’est-à-dire, un projet politico-religieux
hégémonique qui ne peut s’accomplir que dans un esprit de conquête ».
Cette obsession conduit ces militants à des rapprochements sulfureux avec l’extrême
droite. Riposte laïque se fait entendre dès l’été 2009 par une violente campagne anti-burqa,
mais surgit dans l'espace public par ses événements médiatiques où se mélangent
joyeusement droite dure et extrême droite. Avec le Bloc Identitaire, autre groupuscule
d'extrême droite, elle annonce l’organisation le 18 juin 2010112 d’un « apéro saucisson
géant à la Goutte d’or » dans le 18e arrondissement de Paris. Sur Facebook, un groupe
expose les motifs de la manifestation : « parce que la rue Myrha et d’autres artères sont
occupées particulièrement le vendredi (jour de prière) par des adversaires résolus de nos
vins de terroir et de nos produits charcutiers ». Même si la Préfecture de police tombe dans
le panneau et interdit la manifestation, la dynamique médiatique est lancée notamment
avec l’appui d’Ivan Rioufol. Riposte Laïque repasse les plats le 4 septembre 2010, là aussi
avec la volonté de récupérer une date référence de la République, par l'organisation d'un
assez saumâtre « grand apéritif républicain de défense de la République laïque contre
l’offensive islamiste » dans plusieurs villes de France113. Toujours est-il que le concept
inspire : le 12 juillet 2011, la Droite populaire organise à son tour un « apéritif saucissonvin rouge » à l’Assemblée nationale. Interrogés, les députés concernés parlent d’un
« canular ».
Le 18 décembre 2010, le même duo Bloc Identitaire-Riposte Laïque change de braquet
avec l'organisation d'« Assises de l’islamisation » à Paris quelques jours après que Marine
Le Pen a tracé un trait entre Occupation et prières de rues114. Environ 1 000 personnes y
assistent dont Oscar Freysinger, leader suisse de l’Union du Centre (UDC) à l’origine du
référendum anti-minarets, qui prend la parole sous les vivats, et l’écrivain Renaud Camus
qui y décrit la France comme « une vieille fille qui élève les enfants des autres ». Le maire
de Montfermeil, Xavier Lemoine, qui n’avait pas hésité à s’afficher avec Riposte Laïque,
ne vient pas alors qu'il était annoncé comme « invité surprise »115. Le journaliste du Monde
se fait huer. Dans la salle, Elisabeth Lévy ne perd pas une miette des interventions, dont
112
Référence transparente à l'idée héritée de l'OAS selon laquelle ils seraient les vrais résistants des temps
modernes.
113
Ces initiatives ne sont pas sans rappeler les « soupes au cochon », dites aussi « soupes identitaires » ou
« soupes gauloises » (le fait de contenir de la viande de porc permettant d’exclure principalement les
musulmans). Organisées entre 2004 et 2006, ces soupes firent l’objet de nombreuses interdictions par les
pouvoirs publics, avant d’être définitivement condamnées par le conseil d’Etat en 2007.
114
http://www.slate.fr/story/31685/assises-islamisation-islamophobie
115
Nul ne connaît les raisons de son absence. Il n'est en tous cas pas dégoûté par Riposte laïque :
http://droites-extremes.blog.lemonde.fr/2010/12/16/les-assises-sur-lislamisation-pas-dinterdiction-mais/
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celle de Fabrice Robert, responsable du Bloc Identitaire qui fait de la confrontation avec
l'islam désigné comme « un corps étranger », une question « de vie ou de mort», un
« enjeu civilisationnel »116. Non loin, Ivan Rioufol ne voit « ni excités, ni intolérants, ni
fachos, ni racistes, mais des gens s'inquiétant des abandons de la République sur la
laïcité »117. Assurément, ce meeting a ratissé plus large que le public habituel, il aura été le
premier grand rassemblement islamophobe, alors que ce type d’événements se développe
déjà aux USA et dans d’autres pays européens118.
En résumé, en dépit de son faible poids - une quinzaine de rédacteurs, marginalisés dans
leurs milieux politiques d’origine -, la revue en ligne joue un rôle d’idiot utile pour
légitimer le lien entre combat laïc et lutte contre l’obscurantisme musulman. L’existence de
Riposte Laïque fournit des arguments à une extrême droite en quête de légitimité dans la
défense de valeurs jusque-là désertées, qu’elle instrumentalise pour élargir son audience à
la droite.
116
http://droites-extremes.blog.lemonde.fr/2010/12/20/la-genese-du-discours-identitaire-sur-lislam-entretienavec-nicolas-lebourg-chercheur-a-luniversite-de-perpignan/
117
http://blog.lefigaro.fr/rioufol/2010/12/choses-vues-aux-assises-sur-li.html
118
D'autres assises, cette fois consacrées à la nationalité et la France en danger, ont eu lieu le 10 mars 2012,
mais le Bloc Identitaire n’a pas jugé utile de s’abriter derrière Riposte laïque. Le gratin était présent (J.-Y. Le
Gallou, Y. Blot, H. De Lesquen) avec Jean Raspail en guest star. Mais la relégation de Riposte Laïque au
décorum en a fait une réunion classique du courant identitaire, assez groupusculaire.
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4.
Une mise en pratique :
La Droite populaire,
« Garde de fer » électorale de l’UMP
1. AUX ORIGINES : LA DOUBLE MATRICE DES « REFORMATEURS » ET DE LA
« DROITE LIBRE »
Depuis la création de l’UMP en 2002, il n’y a pas eu à proprement parler de « courants »
au sein de ce parti. Cependant, plusieurs groupements d’élus sont apparus au sein du parti
majoritaire de la droite française, pour certains, situés à droite du centre de gravité de
l’UMP. Parmi ces mouvements, activistes mais composés d’élus et de cadres dûment
reconnus par la direction, on peut citer les « Réformateurs ». Ceux-ci regroupent l’aile la
plus libérale des parlementaires de droite dès 2002, le mouvement devenant une
association loi 1901 en 2006. Ses dirigeants sont issus d’une droite décomplexée, ainsi
Hervé Novelli ou Gérard Longuet, et trouvent des relais dans certains organes de presse
(Le Figaro magazine, Valeurs actuelles) ainsi que certains membres des gouvernements de
droite depuis 2002 (on peut penser à Francis Mer notamment). Autre mouvement, lui
associé à l’UMP, la « Droite libre » a émergé aussi à partir de 2002, en tant que
mouvement associé à l’héritier du RPR. Celui-ci, fondé dans la foulée des attentats du 11
septembre 2001 et de la guerre contre le terrorisme, défend à la fois des positions
économiquement libérales - à l’instar des réformateurs - mais aussi une série de
thématiques qui visent à « déculpabiliser la droite ». Ce mouvement associe des éléments
alors plus en marge de l’UMP : Rachid Kaci, enseignant, militant associatif passé par
« France plus », repéré par Charles Pasqua, et Alexandre del Valle, intellectuel sulfureux
théorisant dès les années 1990 la guerre entre l’Europe et l’islam119. Kaci et Del Valle
présentent en 2002 un « ticket » pour l’élection de la direction de l’UMP, face à Alain
Juppé, et attirent des hommes politiques comme Jérôme Rivière ou François d’Aubert.
La droite libre est idéologiquement la matrice de la « Droite populaire ». En mettant
l’accent sur un « libéralisme populaire » contre les élites et l’assistanat, en défendant une
laïcité explicitement tournée vers « la lutte contre l’islamisme radical », elle en annonce les
principales thématiques. Dans le même temps, l’animateur de la droite populaire, Rachid
119
Alexandre DEL VALLE, Islamisme et États-Unis, une alliance contre l'Europe, Lausanne, L’Age d'Homme,
1997 et La Turquie dans l'Europe : un cheval de Troie islamiste ?, Les Syrtes, 2004.
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Kaci, se rallie en 2006 à Nicolas Sarkozy qui l'institue conseiller technique à la Présidence
de la République en 2007120. C’est parmi les politiques issus de ces courants
idéologiquement affirmés (réformateurs et « droite libre ») que se retrouve le soutien le
plus franc à la Loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution
nationale en faveur des Français rapatriés.
2. UNE NAISSANCE TARDIVE
La « Droite populaire » aurait pu naître plus tôt : les éléments idéologiques et militants
existaient depuis 2002. Pourtant, il faut attendre juin 2010 pour que l’aile droite de l’UMP,
qui vient de perdre les élections régionales d’avril, lance une charte rédigée par Thierry
Mariani et Lionnel Luca. Le 14 juillet 2010, 35 députés s’en déclarent signataires.
Géographiquement, la droite populaire diffère des « Réformateurs » (dont l’assise est
nationale) et de la « Droite libre » (où les élus étaient rares) : les parlementaires qui s’en
réclament sont issus en large partie du sud-est de la France. On peut d’ailleurs souligner
que parmi les politiques membres de la Droite populaire se trouvent les partisans les plus
durs de la loi du 23 février 2005. Politiquement, le rôle de ce rassemblement est autant de
droitiser l’UMP que de soutenir Nicolas Sarkozy. Celui-ci d’ailleurs n’hésite pas à recevoir
la « Droite populaire » en juin 2011, alors que se profile les primaires socialistes. Celle- ci
y trouve la reconnaissance de sa stratégie, voir « l'UMP quitter sa contre-allée
centriste »121 et aller à nouveau concurrencer les parts de marché du Front national. La
droite populaire regroupe certaines personnes proches ou membres des deux
regroupements précédents, notablement ceux qui s’étaient illustrés en faveur des
amendements les plus conservateurs à la loi du 23 février 2005.
3. UN DISCOURS FAUSSEMENT REBELLE AU SERVICE DU SARKOZYSME
Elle combine, dans une logique propre aux droites libérales-nationales occidentales, une
phraséologie volontiers « anti-élitiste » (qui épargne largement les élites économiques pour
s’en prendre aux acteurs médiatiques, culturels ou syndicaux) et un discours mettant
systématiquement en avant les questions culturelles et identitaires. On peut souligner que
cette stratégie n’a rien de nouvelle ni de spécifiquement hexagonale : c’est exactement
celle de la « guerre culturelle » vantée par le Parti républicain aux Etats-Unis122, ou par les
cercles de réflexion de la droite extrême française (séminaire des CAR animé par Bruno
Mégret, Club de l’Horloge).
Tout en étant économiquement libérale, la droite populaire ne met qu’incidemment l’accent
sur ce sujet, ainsi pour critiquer le syndicalisme, les « blocages » supposés du secteur
public et du système social. Elle ne réagit aux excès du capitalisme que lorsque ceux-ci
sont susceptibles de peser sur les chances électorales de l’UMP : « C'est notre objectif, de
120
Rachid Kaci est aujourd’hui sous-préfet, directeur de cabinet du Préfet de la Marne à Châlons-enChampagne. Atteint par le devoir de réserve, il est quasiment retiré de la politique.
121
Eric NUNES, « Immigration, sécurité, assistanat… La Droite populaire salue le retour de Nicolas Sarkozy
sur ses thématiques », Le Monde, 10 février 2012.
122
Thomas FRANK, Pourquoi les pauvres votent à droite, Marseille, Agone, 2008.
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lui enlever l'étiquette de président des riches »123 dit ainsi crûment Lionnel Luca après sa
rencontre avec Nicolas Sarkozy, demandant de limiter les avantages fiscaux consentis aux
plus riches, devenus trop voyants à son goût pour les électeurs. Elle entretient des rapports
réguliers avec certains intellectuels de droite, comme l’omniprésent Ivan Rioufol.
Dernier élément important : le langage. La droite populaire, à l’instar des « nouveaux
réactionnaires » de Daniel Lindenberg124, excelle dans l’outrance verbale. Celle-ci a une
vraie fonction politique. En effet, pour la Droite populaire comme pour les intellectuels
chez lesquels elle se reconnaît, l’excès langagier est volontaire. Il permet de faire passer
dans l’espace public des configurations idéologiques qui seraient violemment dénoncées,
sans les artifices d’un langage qualifié pudiquement de « politiquement incorrect ». Ainsi,
Lionnel Luca - dont la famille est d’origine roumaine - n’a pas hésité à présenter
publiquement la Droite populaire comme la « garde de fer du sarkozysme ». Le nom de
« garde de fer » est celui d’un mouvement pronazi roumain des années 1930125. Qu’auraiton dit si un membre du PS s’était présenté comme l’agent d’une « Tcheka de François
Hollande » ? De même, Dominique Tian, animateur de la Droite populaire, n’hésite pas à
demander la mise en place d’« un véritable « FBI » de la lutte contre les fraudes »
(sociales) dans le programme de l’UMP126. Après l’allégorie du « cancer de l’assistanat »
de Laurent Wauquiez, c’est celle de l’ennemi intérieur qui sert à désigner les bénéficiaires
indus d’aides sociales, mis au rang de danger pour la sécurité nationale. Le continuum
entre populations appauvries (si possible issues de l’immigration), comportements
asociaux et menace identitaire désigne la droite populaire. Les questions mémorielles
s'imbriquent en lien dans ses discours, spécifiquement celles liées à la guerre d’Algérie et
au passé colonial de la France. A l’instar de Nicolas Sarkozy et d’une large partie de la
droite, le rejet de la « repentance », c’est-à-dire d’une approche critique du passé de la
France, est récurrent. Il est lié à l’assise électorale et géographique de la Droite populaire,
liée à l’implantation des rapatriés d’Algérie et de leurs descendants.
Quel est le rôle de la droite populaire au final ? Celle-ci est née d’une défaite électorale de
l’UMP aux régionales de 2010, et aura tout mis en œuvre pour éviter celle du printemps
2012. Elle participe à la mise en scène de « francs-tireurs » idéologiques, qui sont en
réalité pleinement intégrés (parlementaires, membres du gouvernement, soutenus par des
élus, intellectuels médiatiques et certains organes de presse) dans la majorité au pouvoir.
Ceux-ci ont permis deux stratégies concomitantes : « tester » certaines idées qui ne
pouvaient être assumées par l’UMP en première instance (débat sur l’islam, primauté de la
lutte contre la fraude sociale sur celle contre la fraude fiscale) et d’autre part assurer à
Nicolas Sarkozy de ne pas perdre le lien avec la droite extrême, qui navigue depuis
plusieurs années entre UMP, villiérisme et FN.
123
Anne ROVAN, « Les « ultras de l’UMP » reçus à l’Elysée », Le Figaro, 31 mai 2011.
Daniel LINDENBERG, Le rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Paris, Le Seuil, 2002.
125
Anne ROVAN, « Les « ultras de l’UMP » reçus à l’Elysée », Le Figaro, 31 mai 2011.
126
Dominique TIAN, « Aller plus loin dans la lutte contre la fraude sociale », site de la Droite populaire, 3 avril
2012 :
http://www.ladroitepopulaire.com/2012/04/03/dominique-tian-a-linitiative-propositions-pour-lutter-contre-lafraude-sociale/
124
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PARTIE IV
Seule la faiblesse de la base militante du FN
interdit pour l'instant une concrétisation trop
forte des convergences humaines
L'histoire de la convergence est jusqu'à maintenant celle d'une rencontre manquée entre
une idéologie et des personnels. La première vient clairement du plus à droite. Le rêve des
« horlogers » et des « grécistes » s'est concrétisé. Au cours des dix dernières années, ils ont
renouvelé le logiciel idéologique de la droite et dans leur entreprise de substitution ont
expulsé les derniers restes de gaullisme et d'humanisme d'un cerveau déjà passablement
nettoyé par l'affadissement du RPR et la dénaturation de l'UDF, parvenus à se fondre dans
l'UMP à force d'avoir perdu leurs saveurs.
Mais autant les militants UMP aiguillés par la Droite populaire et l'angoisse d'une
alternance ont préparé le terrain idéologique à la grande droite patriote, autant la question
se pose véritablement : avec qui s'allier? Toujours ostracisé, le FN est un parti virtuel, dont
les électeurs surgissent de nulle part aux Printemps électoraux. Faute d'élus, faute de
victoires municipales et de capacité à offrir un cursus honorum à ses membres, le FN n'a
pas l'armature militante correspondant au niveau électoral que lui offre l'entreprise de
spectacle de la famille Le Pen. Mais quand il en dispose et que le substrat idéologique est
présent, alors il s'allie très volontiers avec la droite ; pour preuve la convergence au sujet
de la Nostalgérie. Pour preuve, les convergences électorales passées. Pour preuve, 2012 ?
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1.
Convergences humaines au Sud :
l'enjeu des Pieds-Noirs et de la Nostalgérie.
L’Algérie 50 ans après, un marqueur identitaire
pour la droite
Selon un sondage du CEVIPOF en 2007, 31 % des Pieds-Noirs votaient Nicolas Sarkozy,
20,5 % pour Ségolène Royal et 18 % pour Jean-Marie Le Pen. Mais en 2012 selon la
même étude, le vote se disperse : si une tendance nettement droitière subsiste chez ceux
qui ont connu la période 1954-62, leurs descendants sont plus réceptifs au discours du
candidat socialiste (31 %), Nicolas Sarkozy n’obtient que 20 % d’intentions de vote127. Le
choix du FN se confirme chez les aînés mais ne se transmet plus. On peut même avancer
que la fracture de la guerre d’Algérie est aujourd’hui plus importante pour la droite
conservatrice que pour l’extrême droite. Chez cette dernière, elle est de l’ordre de la
nostalgie de l’empire colonial, du regret d’un combat perdu par une famille politique
d’éternels vaincus des divisions franco-françaises.
Dans une UMP qui a absorbé l’ancienne UDF qui assurait la continuité de la droite
antigaulliste, l’Algérie est un impensé très fort, en particulier dans les régions de l’arc
méditerranéen où vit une importante population pied-noire longtemps « fixée »
politiquement par des maires qui ont entretenu le souvenir de l’Algérie française : Jacques
Médecin à Nice ; Paul Alduy à Perpignan ; Maurice Arreckx à Toulon mais aussi Georges
Frêche à Montpellier. C’est précisément dans cette partie du territoire et en Rhône-Alpes
que la Droite populaire obtient des élus, et le souvenir de l’Algérie n’y est pas pour rien.
Quelles sont les raisons qui donnent à la « nostalgérie » un impact politique ? C’est
d’abord le souvenir d’une société étroitement ségréguée selon des lignes ethnicoreligieuses dissimulées derrière le discours factice de la convivialité interethnique en
milieu populaire. Un modèle sociétal qu’on retrouve dans les propos de Claude Guéant sur
la valeur comparée des civilisations, dans l’incapacité de la droite à anticiper le Printemps
arabe puisque le monde arabe des néocoloniaux est autant en dehors de l’histoire que
l’Afrique noire du discours de Dakar ; dans le refus d’accepter qu’on puisse être musulman
et français de plein droit ou d'apparence. La « nostalgérie » légitime également les valeurs
127
A l’heure ou ce rapport est bouclé, aucune étude n’a été encore produite sur le vote des Pieds-Noirs et de
leurs descendants à l’élection de 2012.
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des pionniers des terres de frontière que nombre de pieds-noirs, « défricheurs » et
affranchis des pesanteurs sociales de la métropole, avaient le sentiment d’incarner :
individualisme, culte de l’effort et de l’entreprise, méfiance envers les fonctionnaires dont
on estime qu’ils ont trahi, patriotisme exacerbé de néo-français qui ont idéalisé la France.
Naturellement chez elle en milieu pied-noir, la droite a multiplié les appels du pied aux
plus radicaux des partisans de l’Algérie française afin de récupérer l’électorat frontiste. En
novembre 2011, Nicolas Sarkozy, sur une idée de Patrick Buisson, remet la Grand Croix de
la Légion d'honneur à Hélie Denoix de Saint-Marc, officier putschiste de 1961. Encore
celui-ci, ancien résistant et déporté, n’avait-il pas fait couler le sang. Jean-François Collin
lui, a été décoré de la Légion d'honneur par décret du Président de la République en date
du 5 mai 2011. Ce président de l’ADIMAD (Association de Défense des Intérêts Moraux
des Anciens Détenus), une association d’anciens OAS fondée par Salan qui a pour objet de
réhabiliter la mémoire des fusillés de l'organisation a été conseiller municipal FN de
Hyères, dans le Var128. Décoré à titre militaire, avec traitement, en temps que mutilé de
guerre en Algérie, il a réussi à faire oublier sa participation, dont il se vante, à l’OASMétro et sa condamnation en 1962 à cinq années de prison. Son remerciement à Nicolas
Sarkozy ? Il a déclaré lors de la remise de décoration : « C’est une croix dédiée à tous les
combattants de l'OAS fusillés par le plus grand traître de l'Histoire de France ».
128
L'ADIMAD est à l'origine des affaires des stèles de Marignane : http://www.ldhtoulon.net/spip.php?article747. Les fusillés en question sont Bastien-Thiry, Roger Degueldre, chef des
commandos Delta, Albert Dovecar et Claude Piegts, assassins du commissaire central d'Alger Roger Gavoury.
http://www.adimad.fr/
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2.
Des convergences électorales du passé
aux législatives de 2012
L’hypothèse d’un rapprochement entre l’UMP et le Front national semble un scénario
d’autant moins improbable que des tentatives sont d’ores et déjà survenues dans le passé.
Trois de ces tentatives méritent d’être rappelées ici, pour se souvenir si besoin était que la
digue n'a pas toujours existé. Comme le disait Michel Poniatowski dans le contexte postalternance de l'élection de Dreux en 1983 : « le danger fasciste en France ne vient pas de
la droite, il vient de la gauche, dont c'est la vocation de système et de méthode. Il faut donc
voter contre les fascistes de gauche »129. Il aurait pu rajouter que François Mitterrand était
arrivé au pouvoir par effraction.
1. 1983 : LA GUERRE DE DREUX A BIEN EU LIEU
Dès le premier succès du Front national, en septembre 1983, lors de l'élection municipale
de Dreux, la droite parlementaire ne se pose pas de questions quant à la légitimité d'une
alliance. C'est lors de ce scrutin partiel que Jean-Pierre Stirbois, Secrétaire général du FN,
recueille au premier tour plus de 16,7 % des voix et la possibilité de se maintenir au second
tour face au candidat sortant de la gauche unie et au RPR/UDF Jean Hieaux. Pour éviter la
triangulaire, la liste RPR/UDF incorpore prestement quatre représentants du FN en place
éligible, dont Jean-Pierre Stirbois. Entre les deux tours, la quasi-totalité des leaders de la
droite approuve l'accord avec le FN, ou à défaut, reste en retrait, mis à part Bernard Stasi et
Simone Veil qui protestent contre ce choix. Le florilège laisse pantois...
Le 5 septembre, François Léotard, secrétaire général du Parti républicain, adresse «ses très
vives félicitations» à Jean Hieaux et à ses colistiers du FN pour «l'excellent score» de leur
liste. Le 6 septembre, Jean-Claude Gaudin, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, envoie un télégramme de soutien : «Les Drouais ne doivent pas se tromper de combat. Il faut battre l'adversaire socialo-communiste ». De son côté, Jacques Chirac déclare
que « ceux qui ont fait alliance avec les communistes sont définitivement disqualifiés pour
donner des leçons en matière de droit de l'homme et de règles de démocratie. » Il ajoute :
« Je n'aurais pas du tout été gêné de voter pour la liste RPR-FN au second tour. Cela n'a
aucune espèce d'importance d'avoir quatre pèlerins du FN à Dreux comparé aux quatre
ministres communistes au conseil des ministres ». Alain Juppé, alors simple collaborateur
129
Une étude historique sur les relations de Michel Poniatowski avec l'extrême droite serait très certainement
riche.
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de Chirac, est en plein accord avec son chef : «La vérité, c'est qu'un simple gouvernement
qui accepte en son sein des ministres communistes, solidaires d'une dictature qui asservit
les peuples, n'a de leçon de morale à donner à personne ». Même Raymond Aron y va de
son petit soutien dans L'Express : « la seule internationale de style fasciste dans les années
1980, elle est rouge et non pas brune ». La liste RPR/UDF/FN l’emporte au second tour
avec plus de 55 % des voix. La cogestion municipale entre droite et FN dure jusqu'en
1989, Jean-Pierre Stirbois étant durant cette période adjoint au maire à la sécurité.
2. 1988 : L’APPEL DE BEAUVAU
L’ascension du Front national à partir des élections européennes de 1984 (près de 11 % des
voix) devient très vite un problème pour la droite parlementaire, qui voit une partie de son
électorat radicalisé se tourner vers l’extrême droite. Les législatives de 1986 renforcent
cette inquiétude : avec près de 10 % des voix, et plus de 30 députés élus au scrutin proportionnel, le Front national est tout près d’empêcher le RPR et l’UDF de disposer d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. C’est dans ce contexte que se déroule le scrutin
présidentiel de 1988. Le premier tour est un échec important pour la droite parlementaire :
Jacques Chirac recueille moins de 20 % des voix tandis que Jean-Marie Le Pen confirme la
percée de son parti. Avec plus de 14 %, il attire à lui de nombreux électeurs gaullistes déçus du candidat RPR, Premier ministre en exercice.
Dans la perspective du second tour, le candidat Chirac doit reconquérir très vite ces électeurs pour tenter de renverser le rapport de force face à François Mitterrand. Les grandes
manœuvres débutent le soir même du scrutin. Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, présente les résultats depuis Beauvau: « la gauche est ce soir minoritaire (…). La droite fait
globalement un meilleur score, 50,4 % ». Pour obtenir ce résultat, il n’hésite pas une seconde à additionner les voix de Jean-Marie Le Pen à celles de Jacques Chirac et de Raymond Barre. Entre les deux tours, il poursuit dans la même veine à l’occasion d’une interview dans Valeurs actuelles, affirmant sans détour que « sur l’essentiel, le Front national
se réclame des mêmes préoccupations, des mêmes valeurs [que nous] ».
Cette stratégie suicidaire ne convainc pas Jean-Marie Le Pen d’appeler à voter pour
Jacques Chirac, que François Mitterrand écrase avec 54 % des voix contre 46 % au second
tour le 8 mai 1988. Une partie des électeurs centristes aura préféré le Président sortant à la
tentative de main tendue au Front national. Le débat sur la conduite à tenir face au FN empoisonne le RPR pendant de longues années suite à cet épisode. La position de compromis
adoptée par Jacques Chirac à l’issue du scrutin – pas d’accords nationaux avec le FN mais
au niveau local, toute liberté est laissée aux élus pour en conclure – ne clarifie pas la situation et ne permet pas de clore le débat à l’issue de la séquence électorale de 1988.
3. 1997-98 : LE PASSAGE EN FORCE DU TERRAIN CONDUIT AU VENDREDI NOIR
En 1997, suite à la dissolution de l’Assemblée par Jacques Chirac, le premier tour des élections législatives tourne au cauchemar pour la droite : non seulement la gauche est en position de force le 25 mai au soir, mais de surcroît, le Front national bat tous ses records dans
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ce type d’élection (15 % environ) et peut se maintenir dans 76 circonscriptions. Face à ce
« désastre électoral », une douzaine de députés de droite franchissent le Rubicon et reçoivent le soutien du FN, après avoir approuvé les dispositions d'un texte reprenant certains
points du programme frontiste (préférence nationale et dénonciation du traité de Maastricht). Pourtant, seul l’un d’entre eux, Christian Martin (député de Maine-et-Loire) est
sanctionné par son exclusion de Force démocrate.
Le même phénomène se reproduit lors des élections régionales de mars 1998 : le FN dépasse les 15 % et compte tenu du mode de scrutin (proportionnelle à un tour), la droite se
retrouve dans de nombreuses régions en minorité relative face à la gauche, laissant espérer
à cette dernière la possibilité d’en conquérir huit. Le vendredi 20 mars, lors de l’élection de
leurs Présidents par les nouveaux Conseils régionaux, les élus FN votent dans certains cas
en faveur du candidat de droite, lui permettant de remporter le scrutin à la surprise générale. Quelques-uns, comme Jean-François Humbert (UDF) en Franche-Comté, élu sans son
accord avec l'appoint des voix du FN, démissionnent immédiatement. Mais dans quatre
régions, les nouveaux Présidents de droite se refusent à adopter la même attitude. C’est le
cas de Charles Millon en Rhône-Alpes où gauche et droite ont le même nombre de
sièges. Même situation en Picardie, en Bourgogne, et en Languedoc-Roussillon, avec respectivement Charles Baur, Jean-Pierre Soisson et Jacques Blanc qui défient ouvertement
les consignes nationales pour continuer à gérer ces régions avec une majorité absolue des
sièges comprenant le FN.
La droite est durablement déstabilisée par ce «vendredi noir». Le dimanche suivant, second tour des élections cantonales, de nombreux électeurs de gauche se mobilisent et
d’autres de droite s'abstiennent, donnant ainsi la victoire à la gauche dans de nombreux
cantons et inversant souvent les tendances observées au premier tour. L’UDF ne survivra
pas non plus à cet événement et se scinde entre Force Démocrate de François Bayrou et
Démocratie libérale d'Alain Madelin.
4. 2012 : AU BONHEUR DE BUISSON ?
Le soir du 22 avril, Marine Le Pen et ses lieutenants exultent, et franchissent l’horizon de
la présidentielle pour évoquer les législatives130. Le rêve mégrétiste s’approche. A l’Elysée,
alors que certains maugréent, Patrick Buisson exulte tout autant. Pour ces acteurs, la
convergence électorale, conséquence de la soumission de la superstructure à
l’infrastructure, se rapproche à grand pas. Ils pensent que la « normalisation » entraînera
bientôt des alliances. Affolée par la perspective de triangulaires aux législatives de juin,
l’UMP pourrait en effet voir se détacher d’elle un bloc de députés prêts à négocier avec le
FN. 2012 pourrait ainsi devenir la chance historique de Marine Le Pen, qui serait en
mesure de négocier en position de force les voix de ses électeurs et, à moyen terme, jeter
sous son autorité les bases d’une plateforme politique réunissant cadres frontistes et
transfuges de l’UMP.
130
Il ne faut pas négliger la dimension financière de la PME familiale Le Pen dont le chiffre d’affaires, et donc
la capacité à générer des revenus pour ses membres, découle directement du financement public calculé sur les
résultats des législatives.
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Quelle serait dans ces circonstances l’attitude de la Droite populaire ? Thierry Mariani jure
que tout rapprochement avec le FN est exclu. Il présente aujourd’hui son collectif
parlementaire comme une digue contre le FN. A l’entendre, la Droite populaire, par son
approche « décomplexée » de l’immigration, de l’insécurité, des valeurs morales, aurait
constitué à la fois un rempart contre l’extrémisme et un moyen de reconquête des voix
frontistes131. Refrain répété par Lionnel Luca aux Inrockuptibles en novembre 2011 :
« Aujourd'hui, avec la Droite populaire, on a stoppé l'hémorragie des militants qui
partaient vers le FN. Et ça, c'est pas grâce à Jean-Louis Borloo ! Ceux qui partaient
rejoindre Marine Le Pen ne partent plus. Mieux, on reconquiert notre électorat. Je le vois
dans les mails que je reçois. On m'écrit : “Si vous n'étiez pas là, je voterais pour le
FN”»132.
La réalité présente des couleurs plus nuancées. Car cette ligne est loin de faire l’unanimité
au sein de la Droite populaire. Christian Vanneste, par exemple, milite clairement pour un
rapprochement avec le FN. Il affirmait en 2011 à propos de Marine Le Pen : « Elle est dans
une logique de concurrence. Si elle était dans une logique d'alliance, ce serait à nous de
réfléchir. La balle est dans son camp. Sa politique économique est absurde, mais cela est
moins insurmontable que les horreurs de son père. Le fossé est moins important »133.
Xavier Lemoine, maire de Montfermeil, tient à peu de choses près le même discours.
Marine Le Pen, de son côté, qualifie la Droite populaire d’« agence de publicité
mensongère », et d’« entreprise d'enfumage électoraliste »134. Voilà pour le discours
officiel, dicté par l’échéance de la présidentielle. Mais, plus discrètement, les cadres du FN
ne se font pas faute d’envoyer des signaux d’une toute autre nature en direction de l’UMP.
Wallerand de Saint-Just, trésorier du FN, affirme ainsi : « Aujourd'hui, il n'y a pas
d'alliance possible avec l'UMP. Mais il ne faut jamais insulter l’avenir.» Et cet « avenir »,
selon lui, pourrait bien justement être juin 2012 : « La volonté d'ouverture de Marine Le
Pen peut se concrétiser aux législatives. Elle a proposé un grand pôle de rassemblement
patriote avec ceux qui sont sincères. Elle a évoqué la possibilité d'investir des candidats
qui ne sortent pas du FN »135. On ne saurait être plus clair.
Dans la perspective des législatives, l’essayiste et homme politique Paul-Marie Coûteaux,
venu des rangs souverainistes et porte-parole de Marine Le Pen, a mis sur pied un micro
parti, le SIEL (Souveraineté, Indépendance et Libertés), destiné à servir de passerelle entre
le FN et les futurs orphelins de l’UMP. Le SIEL, précise Paul-Marie Coûteaux, « propose
de soutenir Marine Le Pen à la présidentielle, puis former avec le Front national et les
partis qui le voudront un pôle de rassemblement à vocation majoritaire. » L’objectif est
131
Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy sont arrivés à égalité dans le Vaucluse au premier tour.
http://www.lesinrocks.com/2011/11/27/actualite/lionnel-luca-plus-que-jamais-lavocat-de-sarkozy-116265/
133
http://www.mediapart.fr/journal/france/270711/fn-droite-populaire-les-concurrents-qui-pourraient-devenirallies?page_article=4
134
http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/09/28/la-droite-populaire-rejoint-en-partie-le-programme-dufn_1578638_823448.html
135
http://www.mediapart.fr/journal/france/270711/fn-droite-populaire-les-concurrents-qui-pourraient-devenirallies?page_article=4
132
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bien de parier sur le sauve-qui-peut de ces députés UMP qui, pour sauver leur siège,
seraient prêts à rejoindre le FN dans un grand parti de droite décomplexée née des
décombres de l’UMP. Est-ce cette perspective qui enchantait Patrick Buisson au soir du
premier tour ?
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Conclusion :
Un enjeu de civilisation
Nul ne sait si des alliances électorales surviendront aux prochaines législatives. La
tentation sera forte, surtout dans le Sud de la France. Une partie de l'analyse de Bruno
Larebière est la bonne. Avec Nicolas Sarkozy, quelque chose s'est produit ; il a fait «bouger
des lignes » et d’abord celle du centre de gravité de la droite. Le renforcement du FN le 22
avril 2012 résulte prioritairement de cette évolution.
Les entrepreneurs de la convergence ont bien analysé le vide idéologique de la droite au
début des années 2000. Ils ont su comprendre qu'elle était orpheline de l'anticommunisme
et que les années Chirac avaient fini par achever de désincarner le gaullisme pour en faire
une référence rhétorique incompréhensible. Ils ont bien compris que les générations de la
guerre comme celles de l'Algérie allaient bientôt quitter la scène et que les tabous de la
collaboration et du terrorisme de l'OAS commenceraient bientôt à s'affadir. C'est appuyés
sur ce contexte historique favorable qu'ils ont compris qu'un espace idéologique allait
s'offrir à eux et qu'ils pourraient le remplir. Ce qu'ils ont fait. Ils ont donné un logiciel à la
droite, mais un logiciel connu, juste légèrement ripoliné pour mieux coller à l'air du temps.
Ils ont donc entrepris, parés des habits des contestataires, d'abord la reconquête
idéologique de la droite, par des processus rhétoriques de disqualification de leurs
contradicteurs. Jamais ils ne se sont engagés dans le débat d'idées. Au contraire, fidèles
lecteurs de Carl Schmitt, ils ont toujours décrit leurs adversaires comme des ennemis,
parangons « politiquement corrects » de la « pensée unique », et expliqué qu'il fallait
« briser les tabous » colportés par les « bobos ». Ce faisant, ils ont par la désignation de
leur ennemi construit leur légitimité sans avoir à la prouver ; ils ont monopolisé le débat
intellectuel qu'ils ont perverti au moyen d'arguments performatifs en ring de boxe.
Aujourd'hui, Elisabeth Lévy peut s'offusquer à la radio lorsqu'on lui oppose qu'il n'y a pas
de «submersion musulmane». Il y a dix ans, une telle scène aurait fait froid dans le dos.
La droite a ainsi disparu, et le libéralisme, tant politique qu'économique a fait place à la
défense frénétique d'une approche biologique et identitaire de la nation dans les politiques
publiques. Qui aujourd'hui peut déclarer qu'il entend donner la primauté aux libertés
publiques, sans se retrouver cloué au pilori de la naïveté, accusé de ne pas « vouloir ouvrir
les yeux », ou de « ne pas se rendre compte »136 ? Qui peut déclarer ne pas accepter
moralement le racisme sans faire l'objet de l'accusation de méconnaissance de la réalité,
136
Elisabeth Lévy publie ces jours-ci un ouvrage chez Fayard dénommé La gauche contre le réel.
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certainement due à une domiciliation privilégiée boulevard Saint-Germain, qui amène à
« ne pas savoir ce que les gens vivent »? Aujourd'hui, force est de le constater, la droite
radicale domine l'espace public. Mais ce n'est pas pour autant qu'elle a gagné la bataille
culturelle.
Le parti conservateur classique que nous avons tous connu, libéral sur l’économie,
restrictif sur les mœurs, autoritaire et amateur d’ordre a vécu ; il est mort du sarkozysme
auquel il n’a pas su trouver les anticorps. Le Figaro, autrefois porte-drapeau de la
bourgeoisie comme il faut, est devenu la feuille de propagande du sarkozysme sans que ses
ventes en soient affectées. Lorsque dans son supplément du weekend, Nicolas Sarkozy
lance sa stratégie de valeurs, nombreux sont les hommes politiques de droite à s’insurger
en silence. Mais aucun ne se lève, en dehors d’Etienne Pinte, qui se scandalise, tout seul,
au sujet des référendums anti-chômeurs ou anti-immigrés. Patrick Buisson voit les
centristes, les libéraux, les chrétiens sociaux, les gaullistes comme un bataillon de mous, de
faibles et de lâches. Ce sont surtout des vaincus de la bataille de la parole plongés dans le
silence par la clameur de la nouvelle droite. Les activistes auront réussi non seulement à
redonner un logiciel idéologique à une droite qui en était dépossédée, et donc à lui
redonner une identité, mais aussi, pour l’instant, à faire taire les autres droites.
Ce processus de ré-idéologisation des droites, préalable à sa recomposition, n’est pas une
spécificité française. Il n’existe pas dans les pays où des forces historiques de droite ont su
étouffer les pulsions autoritaristes. Le British national Party ou l’English Defense League
resteront des groupuscules, comme les partis néonazis allemands, faute d’espace laissé par
les conservateurs ou la CDU-CSU. En revanche, les Pays-Bas, la Suisse, l’Italie peuvent
préfigurer un avenir français de recomposition des droites ; auquel cas Nicolas Sarkozy
aura été un précurseur en France.
A l'image du président sortant, cette nouvelle droite diffère de l’ancienne car en rupture
avec la tradition humaniste des démocraties chrétiennes ou des libéraux au profit de
l'altérophobie conçue comme le pivot du politique. Pour autant, à la manière de Marine Le
Pen, elle s'estime fréquentable au point de refuser strictement la dénomination d'«extrêmedroite ». Les archétypes en seraient le Parti de la liberté (PVV) du député Geert Wilders au
Pays-Bas ou l'Union Du Centre (UDC) suisse, autrefois parti agrarien, aujourd'hui premier
parti suisse, qui a fait de l'altérophobie le moteur de ses succès électoraux. C'est de ce parti,
célèbre pour ses affiches de moutons noirs et autres délinquants comme par hasard
étrangers, organisateur du référendum sur les minarets, que fait partie Oskar Freysinger,
conseiller national137 fier porteur d'un catogan contestataire applaudi aux Assises de
l'islamisation de Riposte laïque.
La contestation, bien qu’autant revendiquée que par les activistes français, n'est pas
davantage le fort de l'UDC, et notamment d'Oskar Freysinger, également auteur d'un
pamphlet contre Stéphane Hessel, que du PVV néérlandais. La spécificité de ces
mouvements consiste à reprendre des valeurs issues de la gauche, considérées comme
137
Equivalent de député. Bien qu'en baisse aux élections de 2011, L'UDC tient toujours 54 des 200 sièges du
Conseil National.
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légitimes par l’ensemble de la société (égalité hommes-femmes, droits des homosexuels),
pour taxer les « autres » de manquement aux valeurs essentielles et donc accuser les
immigrés d’infériorité morale. Les musulmans y sont montrés du doigt parce que, décrits
comme venant de pays à un stade différent de l’évolution culturelle, ils ne sont pas à la
pointe des valeurs sur l’égale dignité des sexes et des orientations sexuelles. « Mais moi je
le dis de manière plus claire : ma culture est meilleure que la culture islamique. Nous ne
traitons pas les femmes, les homosexuels, les relations politiques au sein de la société,
comme cette culture retardée. Les individus sont égaux. Mais toutes les cultures ne se
valent pas »138. C’était une des grandes thématiques du député néerlandais Pym Fortuyn.
Le procédé est ingénieux. On se donne l’allure d’un grand promoteur des valeurs
humanistes d’égalité de valeur et de dignité des êtres humains pour mieux affirmer
l’infériorité de valeur et de dignité de ceux qui ne sont pas originaires des pays de Locke,
de Rousseau ou de Kant. Rien de tel que ce retournement altérophobe pour faire surgir du
sol européen des myriades de féministes, de laïcs et de défenseurs des droits des
homosexuels. Le vote de la loi sur l’interdiction du voile à l’école, quelque soit ce que l'on
peut penser de ce sujet, a vu apparaître quantité de farouches défenseurs de la laïcité qui ne
se sont pas offusqués le moins du monde quand Sarkozy est allé expliquer au pape que les
curés étaient mieux placés que les instituteurs pour enseigner la morale, et quantité de
défenseurs des droits des femmes, dont les nuits ne sont pas troublées par la faible
représentation féminine au Parlement et aux postes de direction des entreprises privées et
des administrations de l’Etat.
Cette nouvelle droite positionne la fracture essentielle des sociétés européennes sur
l'identité, conçue à la manière des anciennes droites d'influence maurrassienne comme
immuable, biologique et indépassable : Geert Wilders ne veut pas dire autre chose lorsqu'il
assimile le Coran à Mein Kampf et en demande l'interdiction. Par cet acte de propagande
politique, il entend construire une ligne de fracture entre les siens et le groupe qu'il
identifie comme ennemi, mais veut aussi obliger les indécis à se positionner et identifier
les humanistes à des traîtres à leur patrie. Le rêve de cette nouvelle droite - et la prise de
position de Bruno Larebière n'est pas un hasard - est d'opposer sur la thématique
identitaire la « majorité silencieuse » et les autres. En France, cela pourrait être le PlessisRobinson, ville de Philippe Pemezec, pilier de l'UMP des Hauts-de-Seine, vice-président
du Conseil général, qui explique à ses administrés que sa principale réalisation en tant que
maire est d'avoir réussi à réduire le pourcentage de logements sociaux dans sa ville,
précisant même « Je participe aux commissions d'attribution des logements sociaux à
l'office départemental des Hauts-de-Seine. Et je peux vous dire qu'au Plessis, il n'y a pas
beaucoup d'Arabes. Je fais très gaffe. »139. Philippe Pemezec, qui a fait refaire le centre de
sa ville par l'architecte de Port Grimaud, rajoutant qu'il a voté Jean-Marie Le Pen au
deuxième tour de la Présidentielle de 2002.
138
Propos de Geert Wilders dans une interview au Figaro :
http://www.lefigaro.fr/international/2008/03/07/01003-20080307ARTFIG00024-geert-wilders-l-ideologieislamique-est-fasciste.php
139
Paroles rapportées par la journaliste Claire Checcaglini alors en reportage infiltrée chez les militants du
Front national, qui venait lui rendre visite pour lui demander un parrainage. Claire Cheaccaglini, Bienvenue au
Front. éd Jacob-Duvernet, 2012.
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Cela pourrait être aussi Orange et Bollène, petites villes du Vaucluse, laboratoires de la
nouvelle droite. Jacques Bompard, dentiste, ancien de tout ce que l'extrême droite a pu
compter d'activistes, OAS, Occident, Comités Tixier Vignancour, Ordre Nouveau, Front
national, dont il est l'un des fondateurs, a été réélu au premier tour maire d'Orange en 2001
et 2008 alors qu'il n'avait été que péniblement choisi au terme d'une triangulaire en 1995.
En 2008, son épouse, également militante identitaire, prend au PS la ville de Bollène. Le
député UMP de la circonscription, le ministre Thierry Mariani peut se perdre en
circonlocutions ; s'il brigue dorénavant le suffrage des Français émigrés en zone RussieAsie-Océanie, c'est parce qu'il ne veut pas être le premier député UMP sortant à s'incliner
devant l'extrême droite. Créer la droite populaire ne lui aura pas permis de sauver son
fauteuil face à un « système Bompard » en pleine forme que décrit à la perfection le Ravi,
mensuel satirique de la Provence, dans son édition d'avril 2012140: « Le système Bompard,
c’est aussi une machine à exclure en opposant : les « chrétiens » aux « musulmans », les
vieux aux jeunes, les affidés aux infidèles… Sa force est de savoir créer du vide en
marginalisant toute opposition de gauche ou en amenant la droite « républicaine » à
s’aligner sur ses propres obsessions ». Tout en évitant la nuance, Jacques Bompard est
devenu le « bon gestionnaire, (...) expert en fleurissement de ronds points, en animateur de
lotos pour maisons de retraites, le défenseur des « gens d’ici » ». Derrière cette « féérie de
l’extrême droite municipale » faite de baisses d’impôts médiatisées, de renforcement de
police municipale et de bacs à fleurs entretenus se trouve la vision infernale d'une
fracturation identitaire de la société locale, où, de fait, rien n'est possible pour ceux qui ne
sont pas bien nés. Le combat de Jacques Bompard n'est pas municipal, c'est une lutte
culturelle, comme il le dit dans une interview où il explique avoir refusé que le groupe
IAM se produise dans le théâtre d'Orange : « Je crois que la France est un pays où l’on a
inversé les valeurs. À Orange, nous pensons qu’il y a une hiérarchie des valeurs et nous
luttons contre cette inversion (...) tenter de venir insulter la France et les Français dans
une réalisation parmi les plus belles de France les amusent sûrement, moi je trouve ça très
triste »141. Au deuxième tour, Jacques Bompard a voté Nicolas Sarkozy.
Le modèle sociopolitique de la convergence, c'est celui d'un monde composé de
communautés en peau de léopard, où la liberté n'existe que dans l'espace de l'héritage : on
est ce que l'on naît, et on le reste. Et dans ce cadre, mais seulement dans ce cadre d'une
identité subie, il est possible de se mouvoir, tant d'un point de vue individuel ou collectif,
mais dès lors que l'on se conforme à la hiérarchie issue du passé. Nicolas Sarkozy ne
s'écarte pas de cette étouffante injonction à la soumission dans sa tribune du Monde où, le
jour où les députés débattent de l'identité nationale pour Eric Besson, il réagit au
référendum sur les minarets en enjoignant « chacun (de) savoir se garder de toute
ostentation et de toute provocation et (de) pratiquer son culte avec l'humble discrétion qui
témoigne non de la tiédeur de ses convictions mais du respect fraternel qu'il éprouve vis-àvis de celui qui ne pense pas comme lui, avec lequel il veut vivre »142. Comme spécifié plus
haut dans la même tribune, « le métissage c'est la volonté de vivre ensemble. Le
140
Numéro intitulé « Bienvenue à Facho-land »... http://www.leravi.org/spip.php?page=sommaire_numero
Interview à la revue d'extrême-droite « Nouvelles de France ». http://www.ndf.fr/identite/02-022012/jacques-bompard-je-ne-veux-pas-donner-de-subventions-a-un-groupe-qui-traite-la-france-de-pays-raciste
142
http://www.lemonde.fr/idees/article/2009/12/08/m-sarkozy-respecter-ceux-qui-arrivent-respecter-ceux-quiaccueillent_1277422_3232.html
141
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communautarisme c'est le choix de vivre séparément. Mais le métissage ce n'est pas la
négation des identités ». Comprenne qui voudra. La synthèse, c’est probablement les
frontières dans la Nation : une ville, des barrières, des communautés ; des vies et des
séparations ; chacun de son côté, baigné dans son identité mais les privilégiés pouvant
obéir au principe de plaisir en toute sécurité. S’il existe un point commun net entre l’UMP
de Nicolas Sarkozy et le FN, il réside dans la certitude que la France n’existe pas – ou plus,
qu’elle se compose d’une multiplicité de communautés structurées et de groupes identifiés
par des intérêts communs qu’il convient de satisfaire au détriment d’autres.
Le refus de ce modèle est une des sources majeures de l'anti-sarkozysme, tant il heurte des
traditions et mémoires essentielles à la Nation France. Il agresse l’universalisme de la
gauche, frénétiquement rétive au communautarisme. Il se heurte à la tradition libérale de la
droite, qui malgré sa dimension conservatrice, garde un œil attendri sur la mobilité sociale.
Il agresse de plein fouet l'héritage catholique de la France, qui ne peut admettre depuis déjà
un certain nombre de siècles que seule la prédestination mène au paradis. Il s'oppose aux
mémoires récentes et encore vivaces tant de la Deuxième Guerre mondiale que de l'Algérie
dont tant d'appelés ont conservé comme seul souvenir celui des inégalités. Mais l'ensemble
de ces traditions pèse peu face à une dynamique politique lourde. Qui honnêtement peut
dire aujourd'hui que des politiques tels que Luc Chatel, Laurent Wauquiez ou Jean François
Copé auront des faiblesses dans la main lorsqu'il faudra en échange du pouvoir tenir la
cuillère pour servir la soupe au diable ? Si quelques-uns ont aujourd'hui des restes de
scrupules, d'ici à quelques années, ces scrupules auront disparu, et comme à Dreux en
1983, on nous expliquera que l'internationale, verte cette fois, nécessite des choix. Ce n’est
pas un hasard si, comme Charles Pasqua en 1988, Guillaume Peltier et Jean-François Copé
additionnaient joyeusement les droites dans leurs analyses le soir du 22 avril 2012.
Peut-être que la droite libérale ou catholique se redressera contre la domination culturelle
de la nouvelle droite identitaire, mais rien ne le laisse envisager aujourd'hui. Il appartient
donc à la gauche de reprendre le combat. La gauche pensait, tout à son approche
dialectique et linéaire de l'histoire, que « l'hydre » était renvoyée aux « heures les plus
sombres», que Zola avait vaincu Maurras. Il lui faudra se soumettre à la vision cyclique de
l'histoire de son adversaire ; ne jamais s'arrêter sur une défaite, ne jamais s'avouer vaincu,
mais reprendre l'avantage dans une stratégie de valeurs, affirmer et revendiquer que l'âme
de la France, c'est l'égalité. Que la liberté est un objectif politique en soi. Que parler de
l'individu et de son émancipation n'est pas un gros mot. Il faudra relire tant Romain
Rolland que Michel Foucault ; il faudra que les universitaires, les éditorialistes, les
intellectuels, les penseurs et les écrivains inscrivent de nouveau liberté-égalité-fraternité au
fronton des esprits. Les temps prochains seront ceux d’un choix de civilisation qui
engagera pour notre pays une nouvelle époque. Et notre choix est fait, car, malgré tout ce
que peuvent imaginer les entrepreneurs de la convergence, nous sommes convaincus que
les Français veulent que la France reste la République.
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Présentation de Terra Nova
Terra Nova est un think tank progressiste indépendant ayant pour but de produire et
diffuser des solutions politiques innovantes.
Née en 2008, Terra Nova se fixe trois objectifs prioritaires.
Elle veut contribuer à la rénovation intellectuelle et à la modernisation des idées
progressistes. Pour cela, elle produit des rapports et des essais, issus de ses groupes de
travail pluridisciplinaires, et orientés vers les propositions de politiques publiques.
Elle produit de l’expertise sur les politiques publiques. Pour cela, elle publie
quotidiennement des notes d’actualité, signées de ses experts.
Plus généralement, Terra Nova souhaite contribuer à l’animation du débat démocratique, à
la vie des idées, à la recherche et à l’amélioration des politiques publiques. Elle prend part
au débat médiatique et organise des évènements publics.
Pour atteindre ces objectifs, Terra Nova mobilise un réseau intellectuel large.
Son conseil d'orientation scientifique réunit 100 personnalités intellectuelles de l'espace
progressiste français et européen.
Son cabinet d’experts fait travailler près de 1000 spécialistes issus du monde universitaire,
de la fonction publique, de l’entreprise et du monde associatif.
Terra Nova s'intègre dans un réseau européen et international d'institutions progressistes.
Ces partenariats permettent d'inscrire les travaux de Terra Nova dans une réflexion
collective européenne et donnent accès aux politiques expérimentées hors de France.
Terra Nova, enfin, est un espace collectif et fédérateur. Elle constitue une plateforme
ouverte à tous ceux qui cherchent un lieu pour travailler sur le fond, au-delà des courants et
des partis, au service des idées progressistes et du débat démocratique. Elle travaille pour
le collectif sans prendre part aux enjeux de leadership. Sa production est publique et
disponible sur son site : www.tnova.fr
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Terra Nova - Déjà parus
Quels métiers de l’aide médico-sociale aux personnes handicapées et dépendantes ?
Florence Weber (Terra nova, contribution n°28, 2012).
Banlieues et quartiers populaires : remettre les gens en mouvement, Jacques Donzelot,
Anne Wyvekens, Yacine Djaziri (Terra Nova, contribution n°27, 2012).
Banlieues et quartiers populaires : la sécurité en questions, Anne Wyvekens (Terra Nova,
contribution n°27, focus, 2012).
Biodiversité – prendre soin de la nature : un investissement pour l’avenir, Aude Auroc,
Jules Vertin, Maud Lelièvre (Terra Nova, contribution n°24, 2012).
Pour une régulation des hautes rémunérations, Martin Hirsch, Gaby Bonnand et Sandra
Desmettre (Terra Nova, contribution n°20, 2011)
L’imposture, dix années de politique de sécurité de Nicolas Sarkozy, Robert Badinter,
Valérie Sagant, Benoist Hurel, Eric Plouvier (Terra Nova, contribution n°19, 2011)
Changer de politique de sécurité, Jean-Jacques Urvoas et Marie Nadel (Terra Nova,
contribution n°18, 2011)
Pour une République des services publics, Matine Lombard et Jean-Philippe Thiellay,
(Terra Nova, contribution n°17, 2011)
Les primaires : une voie de modernisation pour la démocratie française, par Olivier
Ferrand, Florence Chaltiel, Marie-Laure Fages, Harold Huwart et Romain Prudent (Terra
Nova, 2011)
Les outre-mers dans la République, Marc Vizy (Terra Nova, contribution n°16, 2011)
2012-2017 : Renforcer la négociation collective et la démocratie sociale, Henri Rouilleault
(Terra Nova, contribution n°15, 2011)
Ecole 2012 : Faire réussir tous les élèves, François Dubet et Ismaël Ferhat (Terra Nova,
contribution n°14, 2011)
Pour une mobilité durable, Diane Szynkier, (Terra Nova, Projet 2012, contribution n°13,
2011)
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Faire réussir nos étudiants, faire progresser la France, propositions pour un sursaut vers
la société de la connaissance, par Yves Lichtenberger et Alexandre Aïdara (Terra Nova,
Projet 2012, contribution n°12, 2011)
Coopération internationale : éléments d’une politique progressiste, par Anne Mingasson
(Terra Nova, Projet 2012, contribution n°11, 2011)
Politique familiale : d'une stratégie de réparation à une stratégie d'investissement social,
par Guillaume Macher (Terra Nova, Projet 2012, contribution n°10, 2011)
D'un capitalisme financier global à une régulation financière systémique, par Laurence
Scialom et Christophe Scalbert (Terra Nova, Projet 2012, contribution n°9, 2011)
Maîtriser l’énergie : un projet énergétique pour une société responsable et innovante, par
Alain Grandjean (Terra Nova, Projet 2012, contribution n°8, 2011)
Les défis du care : renforcer les solidarités, par Gilles Séraphin, rapporteur du groupe,
préface de Marc-Olivier Padis, directeur éditorial de Terra Nova (Terra Nova, Projet 2012,
contribution n°7, 2011)
L’accès au logement : une exigence citoyenne, un choix politique, par Denis Burckel,
rapporteur du groupe (Terra Nova, Projet 2012, contribution n°6, 2011)
L’implication des hommes, nouveau levier dans la lutte pour l’égalité des sexes, par
Emmanuel Borde, Dalibor Frioux, François Fatoux, Céline Mas, Elodie Servant,
rapporteurs du groupe de travail (Terra Nova, Projet 2012, contribution n°5, 2011)
Les politiques de lutte contre la pauvreté : l’assistanat n’est pas le sujet, par Marc-Olivier
Padis et le pôle « Affaires sociales » de Terra Nova (Terra Nova, Projet 2012, contribution
n°4, 2011)
Pour une prise en charge pérenne et solidaire du risque dépendance, par Luc Broussy
(Terra Nova, Projet 2012, contribution n°3, 2011)
L’avenir de la décentralisation, par Victor Broyelle, Yves Colmou, Karine Martin, (Terra
Nova, Projet 2012, contribution n°2, 2011)
Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ?, par Olivier Ferrand, Bruno Jeanbart,
présidents du groupe de travail, et Romain Prudent, rapporteur (Terra Nova, Projet 2012,
contribution n°1, 2011)
La justice, un pouvoir de la démocratie, par Daniel Ludet et Dominique Rousseau,
président du groupe de travail, et Hélène Davo et Sonya Djemni-Wagner, rapporteures
(Terra Nova, 2010)
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Pour une réforme progressiste des retraites, par Olivier Ferrand et Fabrice Lenseigne
(Terra Nova, 2010)
Accès à la parenté : assistance médicale à la procréation et adoption, par Geneviève
Delaisi de Parseval et Valérie Depadt-Sebag (Terra Nova, 2010)
L’Etat Pyromane, ouvrage collectif sous la direction d’Olivier Ferrand (Terra Nova,
Delavilla, 2010)
L’Europe contre l’Europe, par Olivier Ferrand, président de Terra Nova (Hachette
Littératures/Terra Nova, 2009)
Pour une primaire à la française, par Olivier Duhamel et Olivier Ferrand (Terra Nova,
2008)
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