Droit de la famille
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43 LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE Sommaire 43 1. Couples . . . . . . . . . . . . . . . 1-3 Droit de la famille A. - Mariage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .1 Sous la direction de B. - Pacte civil de solidarité (…) Jacqueline Rubellin-Devichi, professeur émérite de l'université Jean-Moulin C. - Divorce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2-3 Lyon 3, présidente de l'Association française de la recherche en droit de la famille 2. Enfants . . . . . . . . . . . . . . 4-10 avec A. - Filiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4-6 Hubert Bosse-Platière, professeur à l'université de Bourgogne, Christelle Coutant-Lapalus, maître de conférences HDR à l'université de B. - Autorité parentale . . . . . . . . . . . . 7-9 C. - Obligations alimentaires . . . . . . . . 10 Bourgogne, Yann Favier, professeur à l'université de Rennes II, Adeline Gouttenoire, professeur à l'université Bordeaux IV, directrice du CERFAP et de l'Institut des mineurs, Marie Lamarche, maître de conférences HDR à l'université de Bordeaux, CERFAP, Pierre Murat, professeur à l’université de Grenoble-Alpes, Muriel Rebourg, professeur à l’université de Brest Les six derniers mois de l’année qui viennent de s’écouler ont été marqués par l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013. Les premiers mariages entre homosexuels ont été célébrés avec, si nécessaire, l’onction du Conseil constitutionnel, qui a balayé d’un revers de manche, les cas de conscience, de certains de nos prévôts (Cons. const., déc. 18 oct. 2013, n° 2013-353 QPC : JurisData n° 2013-022881). Deux enfants ont été adoptés par une femme qui s’était, peu de temps auparavant, mariée, comme il se doit, avec la mère (TGI Lille, 14 oct. 2013 : JurisData n° 2013-027517). Les circonstances de l’engendrement des deux enfants - insémination artificielle avec donneur anonyme réalisée en Belgique au mépris de l’interdiction française de recourir à une assistance médicale à la procréation pour une personne seule - n’ont semble-t-il soulevé aucune objection. Mais comment le parquet pourrait-il, en opportunité, s’opposer à de telles adoptions ? Les couples d'hommes qui se rendent à l’étranger et recourent à une mère porteuse ne bénéficient pas de la même mansuétude : la Cour de cassation allant même jusqu’à annuler la reconnaissance effectuée par le père biologique au nom de la fraude à la loi française (cf. Cass. 1re civ., 13 sept. 2013, n° 12-30.138 : JurisData n° 2013-018928. - n° 12-18.315 : JurisData n° 2013-018930 ). Mais il est vrai que la violation de l’interdit semble ici d’une tout autre nature (C. civ., art. 16-7). Le droit n’est décidément pas « cet absolu dont souvent nous rêvons » mais jusqu’à quelle dose, la part d’incohérence inhérente au droit est-elle juridiquement et socialement admissible ? 1. Couples A. - Mariage 1 - Les amoureux du mariage apprécieront sans peine un succès de l’union matrimoniale légale qui ne faiblit pas (dans l’actualité jurisprudentielle tout au moins), un engouement que les différents juges tentent de canaliser avec plus ou moins de difficultés et de bonheur. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014 C’est tout d’abord au juge constitutionnel (Cons. const., déc. 18 oct. 2013, n° 2013-353 QPC : JurisData n° 2013022881 ; Dr. famille 2013, comm. 159, obs. J.-R. Binet), qu’il est revenu la tâche de balayer le refus de célébrer des mariages entre personnes de même sexe opposé par certains maires des communes de France au nom d’une « clause de conscience ». Il aurait été étonnant que la revendication fondée sur les convic- Page 53 43 LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE tions personnelles de quelques édiles, ait eu quelque chance d’être accueillie. Par une motivation presque lapidaire, le Conseil constitutionnel éconduit les « objecteurs de conscience », mettant en avant la garantie du bon fonctionnement et de la neutralité du service public de l’état civil et excluant toute atteinte à la liberté de conscience (V. déjà Circ. n° NOR JUSC1312445C, 29 mai 2013 et n° NOR INTK1300195 C, 13 juin 2013. - JCP G 2013, act. 729, Libres propos C. Bidaud-Garon. - Dr. famille 2013, alerte 43, M. Lamarche). Tous seront donc mariés, c’était le vœu du législateur. Tous ? Rien n’est moins certain si l’on en croît les magistrats du parquet du tribunal de grande instance et de la cour d’appel de Chambéry. L’articulation des textes législatifs et internationaux n’a pas été en effet suffisamment et clairement déterminée. Si l’on s’en tient à l’article 202-1 du Code civil, on s’aperçoit que la loi du 17 mai 2013 a expressément prévu de créer une règle de conflit de lois nouvelle, s’inspirant du droit belge, en admettant désormais à propos des conditions de formation du mariage, la possibilité d’écarter la loi personnelle en cas de besoin, pour lui préférer la loi du domicile ou de la résidence, ce qui permet donc à un étranger domicilié ou résidant en France, dont la loi personnelle n’accepterait pas le mariage entre personnes de même sexe, de bénéficier de la récente législation française (V. pour une étude très exhaustive H. Fulchiron, Le mariage entre personnes de même sexe en droit international privé au lendemain de la reconnaissance du « mariage pour tous » : JDI 2013, doctr. 9, p. 1055). Pour autant, certaines conventions internationales bi-latérales, et notamment la Convention franco-marocaine du 10 août 1981, prévoient que les conditions de formation du mariage sont régies par la loi nationale de chacun des époux. Au nom de cette convention qui devait prévaloir sur la loi française, et en raison de l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe en droit marocain (sachant que les relations homosexuelles sont en outre constitutives d’une infraction pénale), le ministère public du tribunal de grande instance de Chambéry a dans un premier temps formé opposition au projet de mariage de deux hommes dont l’un était de nationalité marocaine (réf. 630/2013SEC). Le tribunal de grande instance et la cour d’appel de Chambéry ont pour leur part admis la célébration du mariage évinçant Page 54 la convention franco-marocaine (TGI Chambéry, 11 oct. 2013, n° 13/01631. - CA Chambéry, 3e ch., 22 oct. 2013, n° 13/02258 : JurisData n° 2013-022910 ; JCP G 2013, act. 1233, obs. F. Boulanger ; JCP G 2013, act. 1159, obs. A. Devers ; Dr. famille 2013, alerte 58, M. Lamarche ; Dr. famille 2013, comm. 158, J.-R. Binet), au nom de l’ordre public international français qui intégrerait l’interdiction d’une discrimination à l’accès au mariage fondée sur le sexe (selon le TGI), à moins qu’il ne s’agisse d’une loi de police (la motivation de la cour d’appel de Chambéry est incertaine). La Cour de cassation saisie d’un pourvoi du parquet devra prendre parti. Elle pourrait s’inspirer comme en matière de répudiation (V. en dernier lieu, Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-25.802, P+B+I : JurisData n° 2013-023203 ; JCP G 2013, act. 1162), d’un ordre public européen qui évolue lentement à propos de la protection accordée aux couples de personnes de même sexe mais qui pourrait connaître des progressions (V. ainsi CEDH, gr. ch., 7 nov. 2013, n° 29381/09 et n° 32684/09, Vallianatois et a. c/ Grèce : JCP G 2013, act. 1281, obs. F. Sudre, qui condamne la Grèce pour avoir refusé que les couples de personnes de même sexe puissent conclure un « pacte de vie commune »). Presque tous ont été mariés, c’est ce que la Cour de cassation a récemment reconnu dans une affaire qui concernait encore la question de la nullité du mariage bigame (Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-26.041, P+B+I : Dr. famille 2013, comm. 148, J.-R. Binet ; AJF 2013, p. 643). Trois mariages s’étaient succédé sans dissolution préalable de l’union précédente (économie de moyens ? non pas réellement car les deux derniers mariages concernaient les mêmes époux ; V. déjà pour la reconnaissance de la bigamie en cas de remariage entre les mêmes époux, Cass. 1re civ., 3 févr. 2004, n° 00-19.838 : JurisData n° 2004-022089 ; Bull. civ. 2004, I, n° 33). Le troisième mariage (qui faisait l’objet d’une demande de nullité de la part du parquet) échappe à la sanction en raison de la rétroactivité de la nullité du deuxième mariage au jour de sa célébration, quand bien même la nullité de ce deuxième mariage serait prononcée après la célébration du troisième, selon la Cour de cassation. La solution qu’implique le caractère déclaratif du jugement de nullité, s’explique aisément. On sait en effet que l’article 189 du Code civil impose de vérifier la validité du premier mariage (ici le deuxième) lorsque les époux du deuxième mariage (ici le troisième) invoquent sa nullité (Cass. 1re civ., 26 oct. 2011, n° 1025.285 : JurisData n° 2011-023270 ; Bull. civ. 2011, I, n° 184 ; Dr. famille 2012, comm. 2, V. Larribau-Terneyre ; JCP G 2012, doctr. 31, n° 1, obs. M. Lamarche ; D. 2012, p. 258, note G. Raoul-Cormeil ; D. 2012, p. 974, obs. J.-J. Lemouland ; RTD civ. 2012, p. 94, obs. J. Hauser). Il ne fallait toutefois pas déduire du fait que les conditions de validité du mariage s’apprécient au moment de sa célébration - comme le faisait la cour d’appel - la nullité du troisième mariage. Le deuxième mariage était censé n’avoir jamais existé, c’est la définition classique des effets de la nullité lorsque l’on applique sans restriction sa rétroactivité. Mariage pour tous, même en contrariété des dispositions légales relatives aux empêchements pour cause d’alliance, parce qu’ils se sont aimés, a répondu la Cour de cassation à une femme qui avait épousé le père de son ex-mari (Cass. 1re civ., 4 déc. 2013, n° 12-26.066, P+B+I : JurisData n° 2013-027409 ; Dr. famille 2014, comm. 1, à paraître ; JCP G 2014, obs. M. Lamarche à paraître). MARIE LAMARCHE B. - Pacte civil de solidarité (…) C. - Divorce 2 - Procédure de divorce. Absence d’obligation de substituer une demande en divorce pour faute à une demande en divorce pour altération défi nitive du lien conjugal. - Lorsqu’à la suite d’une demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal, un époux forme une demande reconventionnelle en divorce pour faute, le conjoint à l’origine de la procédure est-il contraint de modifier sa demande initiale afin de solliciter le prononcé d’un divorce aux torts partagés ? Non répond la Cour de cassation, pour la première fois à notre connaissance, dans un arrêt du 11 septembre 2013 (n° 11-26.751, P+B+I : JurisData n° 2013-019060 ; JCP G 2013, 1130, S. Thouret ; Procédures 2013, comm. 313, obs. M. Douchy-Oudot ; AJF 2013, p. 633, obs. S. David ; D. 2013, p. 283, note T. Douville et L. Mauger-Vielpeau ; LPA 15 oct. 2013, p. 20, note J. Massip). LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014 LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE Dans le but d’accélérer et de pacifier les procédures de divorce, la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 a accru les possibilités de passerelles entre les différents cas de divorce et plus particulièrement vers les formes de divorce les moins conflictuelles. Ainsi, à tout moment de la procédure, les époux peuvent demander au juge de constater leur accord pour voir prononcer leur divorce par consentement mutuel. Mais en raison de l’obligation faite au juge d’examiner en premier lieu la demande pour faute si une demande pour altération du lien conjugal et une demande pour faute sont concurremment présentées (C. civ., art. 246, al. 1er) et afin de ne pas faire perdre au divorce pour altération définitive du lien conjugal son attractivité, il a également été instauré une passerelle qui permet le passage d’un divorce pour altération définitive du lien conjugal en divorce pour faute. L’article 247-2 du Code civil autorise alors le demandeur initial à « invoquer les fautes de son conjoint pour modifier le fondement de sa demande ». L’emploi du verbe « modifier » a conduit de nombreuses juridictions du fond (V. par ex. : CA Paris, pôle 3, ch. 2, 8 sept. 2010, n° 09/20590 : JurisData n° 2010-016261. - CA Orléans, 5 févr. 2013, n° 12/00497. - CA Toulouse, 19 mars 2013, n° 12/00996, inédit) parmi lesquelles la cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 19 mai 2011, n° 10/08442, inédit), à considérer que l’époux à l’origine de la procédure est dans l’obligation de substituer à sa demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal, une demande en divorce pour faute. Les magistrats se fondaient également sur l’article 1077 du Code de procédure civile dont l’aliéna premier affirme le principe de l’exclusivité du fondement de la demande et impose de déclarer irrecevable toute demande formée à titre subsidiaire sur un autre cas de divorce que celui sur lequel est fondée la demande initiale alors que l’alinéa second autorise, notamment dans l’hypothèse de l’article 247-2 du Code civil, de substituer à une demande fondée sur un des cas de divorce définis à l'article 229 du Code civil une demande fondée sur un autre cas. Mais contrairement à l’avis de l’avocat général (Gaz. Pal. 10 oct. 2013, p. 10, avis P. Chevalier), la première chambre civile de la Cour de cassation a censuré cette analyse. Elle considère que la cour d’appel a fait une fausse application de l’article 1077 du Code de procédure civile. En l’espèce, l’époux n’a pas souhaité modifier sa demande initiale en altération définitive du lien conjugal, il a cependant sollicité à titre subsidiaire le prononcé d’un divorce aux torts partagés des époux. Pour la Cour de cassation, une telle sollicitation « ne peut être regardée comme une demande formée à titre subsidiaire ». Il est vrai qu’une telle qualification imposerait que la demande en divorce pour faute soit examinée si la demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal est rejetée. Or tel n’est pas le cas, bien au contraire, le juge étant tenu d’examiner d’abord la demande en divorce pour faute. Si la solution adoptée par la Cour de cassation est explicite et précise les règles applicables à cette procédure de divorce, elle laisse perplexe quant à la nature de cette « sollicitation à titre subsidiaire ». Certains auteurs la qualifient de demande « contre-reconventionnelle » (J. Massip, note préc.). D’autres de « demande reconventionnelle qui se greffe sur une demande reconventionnelle » (S. Thouret, note préc.). L’arrêt du 11 septembre 2013 s’inscrit parfaitement dans l’esprit de la réforme du divorce. En effet, contraindre le demandeur à substituer à sa demande pour altération définitive du lien conjugal une demande en divorce pour faute crée un risque d’un double débouté. L’autorisation de maintenir la demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal permet, en l’absence de faute établie, d’examiner l’existence de cette altération et ainsi d’aboutir au prononcé du divorce sans qu’il ne soit nécessaire de débuter une nouvelle procédure. Par ailleurs, en cas de rejet du divorce pour faute, le divorce qui peut être prononcé est un divorce classiquement qualifié de moins conflictuel ce qui répond aux fins d’apaisement de la procédure. Enfin, si la Cour de cassation affirme que le conjoint, demandeur initial, ne peut pas être contraint de substituer à sa demande initiale une demande en divorce pour faute, elle n’exclut pas cette possibilité. Une telle substitution ouvrira la possibilité aux juges de prononcer un divorce aux torts exclusifs du défendeur, mais fermera les portes au prononcé d’un divorce pour altération définitive du lien conjugal. CHRISTELLE COUTANT-LAPALUS 3 - Date des effets de la séparation. - Le divorce produit ses effets à des dates multiples, rendant la question passablement LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014 43 complexe (V. F. Hébert, in Droit de la famille, P. Murat (ss dir.) : Dalloz Action 2013, 6e éd., n° 133.11 s.). Deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation du 23 octobre 2013 (n° 12-21.556, P+B+I : JurisData n° 2013-023212 ; JCP G 2013, act. 1163. - n° 12-17.896, P+B+I : JurisData n° 2013-023205 ; JCP G 2013, act. 1164 ; JCP G 2013, doctr. 1323, n° 11, obs. A. Tisserand-Martin ; JCP N 2013, n° 50, 1290, J. Massip), rendus au visa de l’article 262-1 du Code civil, illustrent les difficultés que pose le jeu de la rétroactivité dans les rapports entre époux. Une des deux affaires (n° 12-17.896) ne concernait pas un divorce mais une séparation de corps : on sait toutefois que la séparation de corps entraîne toujours séparation de biens et que, en ce qui concerne les biens, la date à laquelle la séparation de corps produit ses effets est déterminée conformément aux dispositions des articles 262 à 262-2 du Code civil, si bien, qu’en l’espèce, les époux mariés sous le régime légal devaient procéder à la liquidation de leur communauté comme dans l’hypothèse d’un divorce (étant précisé que l’affaire était jugée sous l’empire du droit antérieur à la réforme de 2004 qui renvoyait à la date de l’assignation et non à la date de l’ONC comme le fait l’actuel article 262-1 du Code civil). L’épouse entendait que lui soit déclarées inopposables des cessions de titres négociables communs, consenties à une société par le mari seul après l’assignation en séparation de corps. La cour d’appel avait rejeté les prétentions de l’épouse en se fondant sur l’idée que l’acte avait été valablement passé par l’époux : « l’examen des pouvoirs des époux pour engager les biens communs entre [la date de l’assignation (lire aujourd’hui : la date de l’ordonnance de non-conciliation)] et [le prononcé de la séparation de corps] devait s’apprécier au regard de la situation juridique au jour où les actes avaient été passés sans tenir compte de la rétroactivité trouvant sa cause dans une décision non encore prononcée ; qu’il s’en déduisait que les pouvoirs [du mari] devaient s’analyser non pas en application des règles de l’indivision postcommunautaire mais conformément aux dispositions des articles 215 et suivants et 1421 et suivants du Code civil ». Vraie en ce qui concerne les tiers, une telle affirmation devient fausse dans les seuls rapports entre époux du fait de la rétroactivité engendrée par l’article 262-1 : une longue tradition Page 55 43 LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE doctrinale (V. not., J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux : Armand Colin, 2001, 2e éd., n° 490 et réf cit. - F. Terré et Ph. Simler, Les régimes matrimoniaux : Précis Dalloz, 2011, 6e éd., n° 569 et 578. - J.-P. Claux et S. David, Droit et pratique du divorce : Dalloz Référence, 2012, 2e éd., n° 234-43) relayée par des décisions judiciaires (V. Cass. 1re civ., 8 déc. 1981, n° 80-15.058 : Bull. civ. 1981, I, n° 369) estime en effet, qu’à compter de l’ONC, les époux perdent les pouvoirs qu’ils tirent de l’article 1421 du Code civil sur les biens communs et administrent désormais ces biens sur la base du droit de l’indivision exigeant normalement l’unanimité. Gênée par le jeu de la rétroactivité, la cour d’appel choisit de faire survivre à l’ONC les pouvoirs que les époux tirent du jeu du régime matrimonial. Ce raisonnement vaut à la cour d’appel d’être sanctionnée : la Cour de cassation rappelle que « dans les rapports entre époux, le jugement de séparation de corps qui emporte dissolution de la communauté prend effet au jour de l’assignation [aujourd’hui : de l’ordonnance de nonconciliation], de sorte que la consistance de la communauté est fixée à cette date ; qu’il en résulte que les actes accomplis sur les biens communs postérieurement à celle-ci par un seul époux, ne sont pas opposables à l’autre ». Si les tiers - auxquels le divorce n’est opposable qu’après les formalités de mention en marge des actes de l’état civil - ne peuvent pas être inquiétés (hormis l’hypothèse de fraude : V. C. civ., art. 262-2), en revanche l’époux prend le risque que l’acte lui soit inopposable dans le partage de communauté et, par conséquent, d’être responsable de sa gestion et d’assumer les pertes que l’indivision postcommunautaire a pu subir de son fait : l’hypothèse se présentera lorsque la valeur du bien cédé aura augmentée entre la cession et le partage, le bien étant compté, au profit de l’époux auquel l’acte est inopposable, non pour la valeur de cession, mais pour sa valeur au jour du partage. En pratique, on retiendra donc qu’après l’ordonnance de non-conciliation - et sans doute même après une séparation de fait qui peut provoquer une rétroactivité de la date de dissolution de la communauté (V. C. civ., art. 262-1, al. 2) - la cogestion devrait donc s’imposer sur les biens communs... Dans la seconde affaire (n° 12-21.556), en raison d’une longue séparation de fait des époux, le tribunal puis la cour d’appel Page 56 avaient reporté les effets du jugement de divorce entre les époux, quant aux biens, à la date où ils avaient cessé de cohabiter et de collaborer (C. civ., art. 262-1). Ce report avait entraîné un différent entre les époux au sujet de l’indemnité d’occupation due par le mari au titre de sa jouissance privative du logement conjugal et l’arrêt d’appel avait considéré que celui-ci était redevable d’une indemnité à compter de la dissolution du régime - i.e. de la séparation de fait - et jusqu’au partage, l’article 262-1 du Code civil devant, pour la Cour, se combiner avec l’article 815-9 relatif à la jouissance des biens indivis. L’arrêt est censuré au motif que « la décision par laquelle le juge du divorce reporte ses effets patrimoniaux entre les époux à la date à laquelle ils ont cessé de cohabiter et de collaborer, n’a pas pour effet de conférer à l’occupation du logement conjugal par l’un d’eux un caractère onéreux avant la date de l’ordonnance de non-conciliation, sauf disposition en ce sens dans la décision de report ». L’origine de cette censure réside dans un ajout à l’article 262-1 du Code civil opéré par la loi du 26 mai 2004 qui précise que « la jouissance du logement conjugal par un seul des époux conserve un caractère gratuit jusqu’à l’ordonnance de non-conciliation, sauf décision contraire du juge ». Comme dans l’article 255, 4° du Code civil qui enjoint au juge, attribuant la jouissance du logement à un des époux lors de l’ONC, d’en préciser le caractère gratuit ou non, le législateur a cherché à réduire les difficultés liquidatives qui survenaient au sujet de l’occupation du logement par un des époux. La disposition de l’article 262-1 qui présume la gratuité de l’occupation à une époque où la communauté est dissoute du fait du report, mais où aucune procédure de divorce n’est encore entamée, est bienvenue : il est sain de partir de l’idée qu’en mariage l’occupation du logement est a priori l’expression du devoir de secours et de la contribution aux charges du mariage ; ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles (par exemple lorsque l’époux se maintenant dans le logement est beaucoup plus fortuné que l’autre ou y exerce une activité professionnelle) que le juge dérogera à la gratuité, comme le permet l’article 2621. L’intérêt du présent arrêt est de préciser que c’est le juge statuant sur le report qui est compétent pour décider éventuellement du caractère onéreux de la jouissance jusqu’à l’ONC. L’article 262-1 prévoyant que la demande de report de la dissolution à la date de la séparation de fait ne peut être formée qu’à l’occasion de l’action en divorce, il faut comprendre qu’il ne sera par conséquent plus possible de revenir, au stade de la liquidation, sur ce qui aura été arrêté par le juge du divorce. Voici encore un cas où le juge du divorce statue sur un des éléments de la future liquidation… PIERRE MURAT 2. Enfants A. - Filiation 4 - La fraude exclusive de l’intérêt supérieur de l’enfant. - Après avoir considéré dans les arrêts du 6 avril 2011 (Cass. 1re civ., 6 avr. 2011, n° 09-66.486 : JurisData n° 2011-005611. - n° 10-19.053 : JurisData n° 2011-005609. - n° 09-17.130 : JurisData n° 2011-005607 ; Dr. famille 2011, étude 14, obs. C. Neirinck) que l’intérêt supérieur de l’enfant - apprécié abstraitement - était de ne pas naître d’une mère porteuse, la première chambre civile de la Cour de cassation dans les arrêts rendus le 13 septembre 2013 (n° 12-30.138, P+B+R+I : JurisData n° 2013-018928. - n° 12-18.315, P+B+R+I : JurisData n° 2013-018930 ; Rev. Lamy dr. civ. nov. 2013, n° 109, p. 41, obs. C. Brunetti-Pons), franchissant une étape supplémentaire dans l’indifférence aux droits de l’enfant, affirme « qu’en présence de cette fraude, ni l’intérêt supérieur de l’enfant que garantit l’article 3, § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne sauraient être utilement invoqués ». Dans les deux arrêts, il s’agissait d’un homme qui avait conçu un (des) enfant(s) avec une femme indienne, vraisemblablement dans le cadre d’une convention de gestation pour autrui. Après sa naissance, l’enfant reconnu par ses deux parents (y compris donc la mère porteuse), est abandonné par sa mère au profit de son père qui le ramène en France. À son retour le père tente, d’une part de faire transcrire l’acte de naissance indien sur les actes d’état civil français, d’autre part de faire valoir la reconnaissance anténatale des enfants qu’il a effectuée en France. Comme elle l’avait déjà fait en 2011, la Cour de cassation dénie tout effet en France à la convention de mère porteuse, contraire à LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014 LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE l’ordre public, et refuse la transcription de l’acte de naissance étranger. La solution est même plus tranchée qu’en 2011 puisque la filiation paternelle n’échappe pas à la censure même si elle est conforme à la vérité biologique. Le ministère public avait également intenté, sur le fondement de l’article 336 du Code civil, une action en contestation de la filiation à laquelle, logiquement, l’auteur du pourvoi opposait qu’il était bien le père de l’enfant. En réalité, il s’agissait d’une action en nullité de la reconnaissance, ce qui était remis en cause n’étant pas la véracité de la filiation, mais la conformité de la reconnaissance aux règles de forme ou de fond auxquelles elle est soumise. Annulant la reconnaissance sur le fondement de la fraude, la Cour de cassation ferme également cette possibilité d’établir la filiation paternelle de l’enfant né d’une convention de mère porteuse à l’étranger. Toutefois, si on peut admettre, qu’on dénie tout effet aux actes établissant la filiation de l’enfant en raison de la fraude à la loi, la question reste posée de la conformité de cette solution aux droits fondamentaux. Si on pouvait être en désaccord sur l’acception de l’intérêt supérieur de l’enfant adoptée par la Cour de cassation dans les arrêts de 2011, il fallait au moins reconnaître qu’elle appliquait le principe de primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant. En 2013, elle refuse ni plus ni moins de procéder au contrôle de conventionnalité. La Cour de cassation fait ainsi primer la fraude sur l’intérêt supérieur de l’enfant alors que l’article 3, § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant lui enjoint de faire le contraire. La fraude des parents entraîne toute possibilité pour l’enfant de voir sa filiation paternelle établie en France alors même qu’il s’agit d’une filiation conforme à la vérité biologique ; plus que jamais fraus omnia corrompit... mais dans l’intérêt de qui ? ADELINE GOUTTENOIRE 5 - Abandon et adoption : le système français conforme à la CEDH. - L’arrêt Zambotto Perrin contre France, rendu par la Cour EDH, le 26 septembre 2013 (n° 04962/11 : JurisData n° 2013-022197 ; JCP G 2013, act. 1080, obs. K. Blay-Grabarczyk), concerne une affaire dans laquelle une mère, qui n’avait établi aucun contact avec sa fille depuis sa naissance, en dehors d’une visite à la pouponnière et d’un colis pour son premier anniversaire, a vu prononcer à son encontre une déclaration judiciaire d’abandon sur le fondement l’article 350 du Code civil, suivie un an plus tard d’un jugement d’adoption plénière de l’enfant. Trois ans après la déclaration judiciaire d’abandon, un appel nullité fut interjeté par la mère, au motif que la procédure n’avait pas respecté son droit fondamental d’être assisté de son curateur. La cour d’appel déclara son recours recevable mais le rejeta au fond. La mère de l’enfant présenta une requête à la Cour EDH, considérant que la déclaration d’abandon judiciaire et l’adoption plénière constituaient des violations de son droit au respect de sa vie familiale fondé sur l’article 8 de la Convention. La Cour européenne s’attache tout d’abord à vérifier si, préalablement à la déclaration d’abandon et au prononcé de l’adoption, l’État avait rempli son obligation de favoriser le développement du lien familial. Elle affirme ensuite que l’article 350 du Code civil vise à préserver la santé et la moralité des mineurs, et à protéger leurs droits, en permettant de déclarer abandonné l’enfant dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant une durée d’un an et de le rendre adoptable. Elle relève que la mère n’avait pas investi le lien de filiation de manière significative et en déduit que les autorités locales ont pu, sans outrepasser leur marge d’appréciation, estimer que la déclaration d’abandon était une mesure correspondant à l’intérêt supérieur de l’enfant et proportionnée au but légitime poursuivi. Si la Cour relève que la déclaration d’abandon a été prononcée en première instance dans des conditions ne satisfaisant pas aux règles internes applicables aux majeurs protégés, elle constate que la cour d’appel avait procédé à un nouvel examen complet de la demande, ce qui permettait de rétablir les droits procéduraux de la requérante qui n’avait pas été respectés en première instance. Une fois la déclaration d’abandon décidée, l’intérêt supérieur de l’enfant était de voir sa situation personnelle stabilisée et sécurisée par l’établissement d’un lien légalement reconnu avec sa famille d’accueil ; la Cour en déduit que le délai d’un an entre la déclaration judiciaire d’abandon et l’adoption n’est pas contraire aux exigences de l’article 8. ADELINE GOUTTENOIRE 6 - Adoptabilité d’un enfant confié en Kafala ayant acquis la nationalité fran- LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014 43 çaise. Dans quels cas le consentement à l’adoption par un conseil de famille ad hoc est-il possible ? - Depuis la loi du 6 février 2001, l’adoption d’un enfant confié en Kafala est impossible (C civ., art. 370-3, al. 2 : « l’adoption d’un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution »). Le principe n’est toutefois pas sans tempéraments. Deux sont explicitement visés par le texte du Code civil. L’interdiction ne concerne que les enfants mineurs (par ex : Cass. 1er civ., 6 avr. 2010, n° 10-30.821 : JurisData n° 2011005584 ; Bull. civ. 2010, I, n° 73). Elle est, en outre, levée si « ce mineur est né et réside habituellement en France ». Une troisième voie consiste à faire acquérir la nationalité française à l’enfant : changeant de loi nationale, l’enfant devient adoptable. La manœuvre est d’autant moins frauduleuse que l’acquisition de la nationalité française nécessite une réelle intégration en France (V. C. civ., art. 21-12 : peut réclamer la nationalité française, « l’enfant qui, depuis au moins cinq années, est recueilli en France et élevé en France par une personne de nationalité française » ; pour un exemple, où ces conditions faisaient défaut, Cass. 1re civ., 14 avr. 2010, n° 08-21.312 : JurisData n° 2010-004002 ; JDI 2010, comm. 10, p. 803). Le procédé a été implicitement validé par la Cour de cassation (Cass., avis, 17 déc. 2012, n° 12-00.013), mais encore faut-il, pour que l’adoption soit prononcée, que les conditions requises du droit français soient réunies. Or, la question du consentement à l’adoption par les parents par le sang demeure entière dès lors que ces pays ne connaissent pas cette institution. Dans une affaire dramatique qui s’inscrivait dans le cadre du génocide rwandais, la Cour de cassation avait admis que le consentement à l'adoption pouvait relever d'un conseil de famille ad hoc réuni après l'acquisition de la nationalité française (Cass. 1re civ., 30 sept. 2003, n° 01-02.630 : JurisData n° 2003020390 ; Bull. civ. 2003, I, n° 194). Dans un arrêt rendu le 4 décembre 2013, la Cour de cassation réaffirme que le changement de statut personnel de l’enfant permet son adoption, mais elle énonce également que, conformément au droit interne de l’adoption (C. civ., art. 348-2), celle-ci ne peut être prononcée si les parents par le sang n’y ont pas préalablement consenti (Cass. 3e civ., 4 déc. 2013, n° 12-26.161, P+B+I : JurisData n° 2013-027970). En l’espèce, en 2004, une décision de justice marocaine a attribué à Page 57 43 LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE deux époux français une kafala sur le petit Abdellah, alors âgé d’un peu plus d’un an. Quelque temps auparavant, un jugement marocain avait déclaré l’enfant « délaissé » par sa mère, faute pour celle-ci de subvenir à ses besoins. En 2010, Madame a souscrit une déclaration de nationalité française au nom de l’enfant sur le fondement de l’article 21-12, 1° du Code civil, puis les époux X ont sollicité l’adoption plénière de l’enfant. La cour d’appel de Nouméa avait, le 25 juin 2012, refusé l’adoption en estimant que « la demande d’adoption était faite en fraude de la loi marocaine ». C’était donc le principe même de l’adoption qui était impossible aux yeux des magistrats de Nouméa. La censure paraissait inéluctable après l’avis rendu par la Cour de cassation le 17 décembre 2012 (préc.). La Cour de cassation rejette néanmoins le pourvoi mais en procédant par substitution de motifs comme l’autorise l’article 1015 du Code de procédure civile. L’adoption après acquisition de la nationalité française demeure possible, mais, selon la Cour de cassation, le conseil de famille ne peut donner son consentement que « lorsque les père et mère de l’enfant sont décédés, dans l’impossibilité de manifester leur volonté ou s’ils ont perdu leurs droits d’autorité parentale ou encore lorsque la filiation n’est pas établie » (C. civ., art. 348-2). Les Hauts magistrats, agissant à l’instar des juges du fond, constatent que les époux n’apportent pas la preuve d’un « désintérêt volontaire de la mère » mais seulement que l’enfant avait été déclaré « délaissé » par celle-ci. Ils en tirent comme conclusion que le conseil de famille ne pouvait valablement consentir à l’adoption. La position de la Cour de cassation paraît cohérente. Il aurait été pour le moins surprenant que, pour des enfants provenant de pays qui prohibent l’adoption, un changement de nationalité les affranchisse de l’exigence du consentement à l’adoption, alors que dans toutes les situations d’adoption internationale, le prononcé d’une adoption plénière n’est possible que si le consentement du représentant légal a été éclairé sur les effets de l’adoption plénière française (C. civ., art. 370-3, al. 3). Certains noteront que le droit positif n’est plus si éloigné de la jurisprudence, pourtant si décriée, qui a donné lieu à la loi du 6 février 2001. Dans l’arrêt Fanthou, le 10 mai 1995 (Cass. 1re civ., 10 mai 1995, n° 9317.634 : JurisData n° 1995-001019), la Cour de cassation affirmait en effet que « deux Page 58 époux français peuvent procéder à l’adoption d’un enfant dont la loi personnelle ne connaît pas ou prohibe cette institution, à la condition qu’indépendamment des dispositions de cette loi, le représentant du mineur ait donné son consentement en pleine connaissance des effets attachés à l’adoption et, en particulier, dans le cas de l’adoption plénière du caractère complet et irrévocable de la rupture des liens entre le mineur et sa famille par le sang ou l’autorité des tutelles de son pays d’origine ». Beaucoup de bruit pour rien ? Peut-être pas. Outre le truchement de l’acquisition de la nationalité française, l’adoptabilité de tels enfants suppose un consentement à l’adoption qui, selon le droit français n’a pas, en principe, à être donné pour telle ou telle forme d’une adoption. Mais on imagine mal demain que la Cour de cassation n’exige pas, comme pour toutes adoptions internationales que le consentement l’ait été en pleine connaissance des effets attachés à la loi française. Reste que la jurisprudence antérieure à la loi du 6 février 2001 avait montré à quel point la preuve de ce consentement était délicate à établir. HUBERT BOSSE-PLATIÈRE B. - Autorité parentale 7 - Le droit de visite de la concubine doit être conforme à l’intérêt de l’enfant. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 23 octobre 2013 (n° 12-20.560, inédit) concerne une configuration familiale devenue « classique » dans la jurisprudence de ces dernières années. Un couple de femmes forme le projet commun de concevoir un enfant. L’enfant conçu par insémination artificielle en Belgique est ensuite élevé par les deux femmes. Après trois ans de vie commune, survient la séparation des concubines qui entraîne, de fait, la rupture des liens entre l’enfant et celle des deux femmes qui n’est pas sa mère. L’ex-concubine de la mère de l’enfant sollicite un droit de visite à l’égard de l’enfant en arguant du fait qu’elle fait partie de l’histoire personnelle de celui-ci. Si sa demande fondée sur l’article 371-4 du Code civil est incontestablement recevable, elle est considérée comme mal fondée, car contraire à l’intérêt de l’enfant. Le motif essentiel du refus du droit de visite réside dans la rupture des relations de l’enfant avec l’ancienne compagne de sa mère depuis trois ans. Cette rupture a abouti au fait que la requérante est « devenue une étrangère pour l’enfant ». Le détachement de celui-ci va même jusqu’au rejet puisque la cour d’appel a constaté que la mise en place d’un droit de visite après la décision de première instance a perturbé l’enfant. On ne peut qu’approuver la solution de l’arrêt du 23 novembre 2013 en ce qu’il est fondé sur l’intérêt de l’enfant qui doit impérativement rester le critère central des décisions relatives aux relations personnelles de l’enfant avec des tiers, parents ou non. On ne peut toutefois s’empêcher d’être gêné par le fait qu’en réalité, c’est la mère de l’enfant qui, mettant le juge devant le fait accompli, impose la décision. ADELINE GOUTTENOIRE 8 - Assistance éducative. La kafala, le juge des enfants et l’autorité parentale. - Si la kafala est assimilable à une délégation d’autorité parentale, il conviendrait d’y mettre fin autrement que par une mesure d’assistance éducative. Dans l’affaire examinée par la Cour de cassation le 20 novembre 2013 (Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-26.444, inédit : JurisData n° 2013-026226), un enfant avait été confié par le juge des enfants à la suite de la séparation du kafil avec son épouse, comme « tiers digne de confiance ». La tutelle n’aurait-elle pas été plus adaptée, l’enfant étant dépourvu de parents susceptibles d’exercer l’autorité parentale (C. civ., art. 390 et art. 373 combinés) ? Cela n’empêche pas le juge de fixer un droit de visite « médiatisé » à l’oncle sans en définir la périodicité, ce qui vaut une cassation pour des motifs désormais classiques mais dans un contexte qui l’est moins : l’oncle étant considéré comme le parent de l’enfant alors qu’il n’est que le délégataire de l’autorité parentale. Enfin, selon un usage assez répandu semble-t-il, le magistrat a imprudemment déléguer partiellement à Mme Y les attributs de l'autorité parentale lui permettant de prendre « toute décision urgente relative à la scolarité, aux loisirs et à la santé », un point également motif à cassation. L’article 375-7 du Code civil permet au juge des enfants d’autoriser la personne ou le service à qui est confié l'enfant à accomplir un acte relevant de l'autorité parentale à titre exceptionnel et lorsque l'intérêt de l'enfant le justifie, en cas de refus abusif ou injustifié ou de négligence des détenteurs de l'autorité parentale. On est loin de l’interprétation extensive qu’en donnent certains juges des enfants qui, pour contourner les difficul- LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014 LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE tés qui ne manquent pas de surgir entre le service ou la personne à qui l’enfant a été confié et les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, s’attribuent une compétence qu’ils n’ont pas. Seul le JAF sur demande du tiers recueillant en cas de désintérêt ou d’impossibilité des père et mère (C. civ., art. 377, al. 2) pourrait en tirer toute conclusion utile dans l’intérêt de l’enfant. YANN FAVIER 9 - Représentation du mineur et intérêt de l’enfant. - Priver le parent survivant par une disposition testamentaire de l’administration légale non seulement ne porte pas atteinte à la réserve héréditaire (Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 11-26.728, P+B+I : JurisData n° 2013-003729 ; JCP G 2013, act. 330 ; Dr. famille 2013, comm. 73, obs. M. Bruggeman) mais une telle clause ne peut être écartée par le juge au motif de l’intérêt de l’enfant (Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 11-25.946, P+B+I : JurisData n° 2013013140 ; JCP G 2013, act. 796 ; Dr. famille 2013, comm. 124, obs. I. Maria). En l’espèce, il s’agissait d’arbitrer le conflit entre le veuf et son beau-père, l’enfant ayant été institué légataire universel. Pour réputer la clause d’exclusion non écrite, les juges du fond y ont vu un règlement de comptes post-mortem faisant fi de l’intérêt de l’enfant, ce qui revenait à ajouter une condition inexistante dans la loi (C. civ., art. 389-3, al. 3) et conduit à une cassation assez logique. L’intérêt de l’enfant ne peut justifier d’écarter une disposition testamentaire organisée comme une exception au pouvoir d’administration légale, ce qui n’écarte pas pour autant toute possibilité de contrôle du JAF en cas de nécessité en vertu des pouvoirs généraux qui lui sont conférés. Le conflit pourrait également se déplacer sur le terrain de l'opposition d'intérêts. Cette notion est d’ailleurs très sollicitée dans le droit de l’enfance autour de la figure de l’administrateur ad hoc dont un arrêt nous rappelle opportunément que, même désigné après l’assignation, il représente utilement le mineur « dans toute contestation de filiation » (l’affirmation est générale et appelle un principe) pour peu qu’il soit régulière- ment appelé à l’instance dans le délai préfix de cinq ans prévu par l’article 333, alinéa 2 du Code civil (Cass. 1re civ., 6 nov. 2013, n° 12-19.269 : JurisData n° 2013-024945). YANN FAVIER C. - Obligations alimentaires 10 - Évaluation de la contribution à l’entretien de l’enfant et table de référence. - Dans un arrêt rendu le 23 octobre 2013, la première chambre civile de la Cour de cassation (n° 12-25.301, P+B+I : JurisData n° 2013-023208 ; JCP G 2013, 1269, É. Bazin) censure un arrêt de cour d’appel ayant fixé une contribution à l’entretien d’une enfant en se référant expressément à la table de référence annexée à la circulaire du 12 avril 2010 : « en fondant sa décision sur une table de référence, fût-elle annexée à une circulaire, la cour d’appel, à laquelle il incombait de fixer le montant de la contribution litigieuse en considération des seules facultés contributives des parents de l’enfant et des besoins de celui-ci, a violé, par fausse application, l’article 371-2 du Code civil ». Cette table de référence, issue d’un travail de réflexion mené sur l’introduction d’une méthode uniforme d’évaluation des pensions alimentaires, tend vers une harmonisation des pratiques judiciaires (sur celle-ci : I. Sayn et C. Bourreau-Dubois, Présentation de la table de référence pour fixer le montant de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants : AJF 2010, p. 458). Transmise par voie de circulaire administrative (Circ. n° CIV/06/10, 12 avr. 2010, de diffusion d’une table de référence permettant la fixation de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants sous forme de pension alimentaire, www.justice.gouv. fr/art_pix/table_pa_20100715.pdf. - note explicative www.justice.gouv.fr/art_pix/ note_explicative_table_pa_20100725.pdf ), elle ne s’impose pas aux magistrats qui sont libres de l’utiliser ou non. Lorsque c’est le cas, les magistrats ne sont pas tenus par le montant proposé par la table ; celui-ci étant simplement indicatif. Dans cet arrêt, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel non pas d’avoir utilisé la 43 table de référence mais plutôt d’avoir motivé sa décision en se référant à celle-ci et non aux critères légaux. En effet, cet outil d’aide à la décision n’enlève pas au juge son pouvoir souverain d’appréciation des éléments factuels que sont les ressources parentales et les besoins de l’enfant. L’utilisation du barème ne le soustrait pas non plus à son obligation de motiver sa décision au regard des critères posés à l’article 371-2 du Code civil à savoir les facultés contributives des parents et les besoins de l’enfant. Dès lors, le juge peut utiliser la table de référence en le précisant aux parties mais il doit motiver sa décision au regard de ces deux conditions légales et des éléments de l’espèce. Le but est d’éviter une application systématique et mécanique de la table qui conduirait à ne plus prendre en compte les particularités de certaines situations familiales faute d’appréciation concrète de ces dernières. Une telle pratique risquerait également de limiter fortement l’efficience des arguments développés par les parties à l’appui de leurs prétentions. Tout en se référant à la table, la cour d’appel considérant que « l’exercice d’un droit d’accueil restreint augmente, de façon non négligeable, les charges du parent au domicile duquel l’enfant réside » augmente le montant de la contribution due en application de la table (140 euros/mois en cas de droit de visite classique). Le père exerçant un droit de visite limité au dimanche, la cour d’appel fixe la contribution à 180 euros par mois sans se référer aux facultés contributives des parents - seul critère légal d’évaluation avec les besoins de l’enfant - qui sont déterminées par les ressources parentales corrélées à leurs charges respectives. En se référant à des charges supplémentaires pour le parent créancier lié à un accueil restreint, la cour d’appel majore la contribution dans un esprit contraire à la logique qui a guidé la construction de la table de référence (AJF 2013, p. 598, J.-C. Bardout). Bien que non liée par le montant fixé par la table, la cour d’appel fait une application de celle-ci revisitée par ses soins en oubliant les critères d’évaluation prévus par la loi. MURIEL REBOURG ACTUALITÉ BIBLIOGRAPHIQUE P. Murat (ss dir.), Droit de la famille : Dalloz action, éd. 2014/2015. - A. Gouttenoire et P. Courbe, Droit de la famille : Sirey, 2013. M. Schulz, C. Doublein et L. Néliaz, Droit et pratique de l’adoption : éd. Berger-Levrault, 2013. - J. Sosson et G. Schamps (ss dir.) : La gestation pour autrui, vers un encadrement ? : Bruylant, 2013. - J. Sosson et H. Ful- LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014 chiron, Parenté, Filiation, origine, le droit et l'engendrement à plusieurs : Bruylant, 2013. Page 59