Droit de la famille

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Droit de la famille
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LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE
Sommaire
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1. Couples . . . . . . . . . . . . . . . 1-3
Droit de la famille
A. - Mariage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .1
Sous la direction de
B. - Pacte civil de solidarité (…)
Jacqueline Rubellin-Devichi, professeur émérite de l'université Jean-Moulin
C. - Divorce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2-3
Lyon 3, présidente de l'Association française de la recherche en droit de la famille
2. Enfants . . . . . . . . . . . . . . 4-10
avec
A. - Filiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4-6
Hubert Bosse-Platière, professeur à l'université de Bourgogne,
Christelle Coutant-Lapalus, maître de conférences HDR à l'université de
B. - Autorité parentale . . . . . . . . . . . . 7-9
C. - Obligations alimentaires . . . . . . . . 10
Bourgogne,
Yann Favier, professeur à l'université de Rennes II,
Adeline Gouttenoire, professeur à l'université Bordeaux IV, directrice du CERFAP et de l'Institut des mineurs,
Marie Lamarche, maître de conférences HDR à l'université de Bordeaux, CERFAP,
Pierre Murat, professeur à l’université de Grenoble-Alpes,
Muriel Rebourg, professeur à l’université de Brest
Les six derniers mois de l’année qui viennent de s’écouler ont été marqués par l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013. Les premiers mariages entre homosexuels ont été célébrés avec, si nécessaire,
l’onction du Conseil constitutionnel, qui a balayé d’un revers de manche,
les cas de conscience, de certains de nos prévôts (Cons. const., déc. 18
oct. 2013, n° 2013-353 QPC : JurisData n° 2013-022881).
Deux enfants ont été adoptés par une femme qui s’était, peu de temps
auparavant, mariée, comme il se doit, avec la mère (TGI Lille, 14 oct. 2013 :
JurisData n° 2013-027517). Les circonstances de l’engendrement des
deux enfants - insémination artificielle avec donneur anonyme réalisée en
Belgique au mépris de l’interdiction française de recourir à une assistance
médicale à la procréation pour une personne seule - n’ont semble-t-il soulevé aucune objection. Mais comment le parquet pourrait-il, en opportunité, s’opposer à de telles adoptions ? Les couples d'hommes qui se
rendent à l’étranger et recourent à une mère porteuse ne bénéficient
pas de la même mansuétude : la Cour de cassation allant même jusqu’à
annuler la reconnaissance effectuée par le père biologique au nom de la
fraude à la loi française (cf. Cass. 1re civ., 13 sept. 2013, n° 12-30.138 : JurisData n° 2013-018928. - n° 12-18.315 : JurisData n° 2013-018930 ). Mais il
est vrai que la violation de l’interdit semble ici d’une tout autre nature (C.
civ., art. 16-7). Le droit n’est décidément pas « cet absolu dont souvent
nous rêvons » mais jusqu’à quelle dose, la part d’incohérence inhérente
au droit est-elle juridiquement et socialement admissible ?
1. Couples
A. - Mariage
1 - Les amoureux du mariage apprécieront sans peine un succès de l’union
matrimoniale légale qui ne faiblit pas
(dans l’actualité jurisprudentielle tout
au moins), un engouement que les différents juges tentent de canaliser avec plus
ou moins de difficultés et de bonheur.
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014
C’est tout d’abord au juge constitutionnel (Cons. const., déc. 18 oct. 2013,
n° 2013-353 QPC : JurisData n° 2013022881 ; Dr. famille 2013, comm. 159,
obs. J.-R. Binet), qu’il est revenu la tâche
de balayer le refus de célébrer des mariages entre personnes de même sexe opposé par certains maires des communes
de France au nom d’une « clause de
conscience ». Il aurait été étonnant que
la revendication fondée sur les convic-
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LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE
tions personnelles de quelques édiles, ait eu
quelque chance d’être accueillie. Par une
motivation presque lapidaire, le Conseil
constitutionnel éconduit les « objecteurs de
conscience », mettant en avant la garantie
du bon fonctionnement et de la neutralité
du service public de l’état civil et excluant
toute atteinte à la liberté de conscience (V.
déjà Circ. n° NOR JUSC1312445C, 29 mai
2013 et n° NOR INTK1300195 C, 13 juin
2013. - JCP G 2013, act. 729, Libres propos
C. Bidaud-Garon. - Dr. famille 2013, alerte
43, M. Lamarche). Tous seront donc mariés, c’était le vœu du législateur.
Tous ? Rien n’est moins certain si l’on en
croît les magistrats du parquet du tribunal
de grande instance et de la cour d’appel de
Chambéry. L’articulation des textes législatifs et internationaux n’a pas été en effet
suffisamment et clairement déterminée. Si
l’on s’en tient à l’article 202-1 du Code civil, on s’aperçoit que la loi du 17 mai 2013
a expressément prévu de créer une règle de
conflit de lois nouvelle, s’inspirant du droit
belge, en admettant désormais à propos
des conditions de formation du mariage,
la possibilité d’écarter la loi personnelle en
cas de besoin, pour lui préférer la loi du
domicile ou de la résidence, ce qui permet
donc à un étranger domicilié ou résidant
en France, dont la loi personnelle n’accepterait pas le mariage entre personnes de
même sexe, de bénéficier de la récente législation française (V. pour une étude très
exhaustive H. Fulchiron, Le mariage entre
personnes de même sexe en droit international privé au lendemain de la reconnaissance
du « mariage pour tous » : JDI 2013, doctr.
9, p. 1055). Pour autant, certaines conventions internationales bi-latérales, et notamment la Convention franco-marocaine du
10 août 1981, prévoient que les conditions
de formation du mariage sont régies par la
loi nationale de chacun des époux. Au nom
de cette convention qui devait prévaloir
sur la loi française, et en raison de l’interdiction du mariage entre personnes de
même sexe en droit marocain (sachant que
les relations homosexuelles sont en outre
constitutives d’une infraction pénale), le
ministère public du tribunal de grande
instance de Chambéry a dans un premier
temps formé opposition au projet de mariage de deux hommes dont l’un était de
nationalité marocaine (réf. 630/2013SEC).
Le tribunal de grande instance et la cour
d’appel de Chambéry ont pour leur part
admis la célébration du mariage évinçant
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la convention franco-marocaine (TGI
Chambéry, 11 oct. 2013, n° 13/01631.
- CA Chambéry, 3e ch., 22 oct. 2013, n°
13/02258 : JurisData n° 2013-022910 ; JCP
G 2013, act. 1233, obs. F. Boulanger ; JCP G
2013, act. 1159, obs. A. Devers ; Dr. famille
2013, alerte 58, M. Lamarche ; Dr. famille
2013, comm. 158, J.-R. Binet), au nom de
l’ordre public international français qui
intégrerait l’interdiction d’une discrimination à l’accès au mariage fondée sur le sexe
(selon le TGI), à moins qu’il ne s’agisse
d’une loi de police (la motivation de la
cour d’appel de Chambéry est incertaine).
La Cour de cassation saisie d’un pourvoi
du parquet devra prendre parti. Elle pourrait s’inspirer comme en matière de répudiation (V. en dernier lieu, Cass. 1re civ., 23
oct. 2013, n° 12-25.802, P+B+I : JurisData
n° 2013-023203 ; JCP G 2013, act. 1162),
d’un ordre public européen qui évolue lentement à propos de la protection accordée
aux couples de personnes de même sexe
mais qui pourrait connaître des progressions (V. ainsi CEDH, gr. ch., 7 nov. 2013,
n° 29381/09 et n° 32684/09, Vallianatois
et a. c/ Grèce : JCP G 2013, act. 1281, obs. F.
Sudre, qui condamne la Grèce pour avoir
refusé que les couples de personnes de
même sexe puissent conclure un « pacte de
vie commune »).
Presque tous ont été mariés, c’est ce que la
Cour de cassation a récemment reconnu
dans une affaire qui concernait encore la
question de la nullité du mariage bigame
(Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-26.041,
P+B+I : Dr. famille 2013, comm. 148, J.-R.
Binet ; AJF 2013, p. 643). Trois mariages
s’étaient succédé sans dissolution préalable de l’union précédente (économie de
moyens ? non pas réellement car les deux
derniers mariages concernaient les mêmes
époux ; V. déjà pour la reconnaissance de
la bigamie en cas de remariage entre les
mêmes époux, Cass. 1re civ., 3 févr. 2004,
n° 00-19.838 : JurisData n° 2004-022089 ;
Bull. civ. 2004, I, n° 33). Le troisième mariage (qui faisait l’objet d’une demande de
nullité de la part du parquet) échappe à la
sanction en raison de la rétroactivité de la
nullité du deuxième mariage au jour de sa
célébration, quand bien même la nullité
de ce deuxième mariage serait prononcée
après la célébration du troisième, selon la
Cour de cassation. La solution qu’implique
le caractère déclaratif du jugement de nullité, s’explique aisément. On sait en effet
que l’article 189 du Code civil impose de
vérifier la validité du premier mariage (ici
le deuxième) lorsque les époux du deuxième mariage (ici le troisième) invoquent
sa nullité (Cass. 1re civ., 26 oct. 2011, n° 1025.285 : JurisData n° 2011-023270 ; Bull.
civ. 2011, I, n° 184 ; Dr. famille 2012, comm.
2, V. Larribau-Terneyre ; JCP G 2012, doctr.
31, n° 1, obs. M. Lamarche ; D. 2012, p. 258,
note G. Raoul-Cormeil ; D. 2012, p. 974,
obs. J.-J. Lemouland ; RTD civ. 2012, p. 94,
obs. J. Hauser). Il ne fallait toutefois pas
déduire du fait que les conditions de validité du mariage s’apprécient au moment
de sa célébration - comme le faisait la cour
d’appel - la nullité du troisième mariage.
Le deuxième mariage était censé n’avoir
jamais existé, c’est la définition classique
des effets de la nullité lorsque l’on applique
sans restriction sa rétroactivité.
Mariage pour tous, même en contrariété
des dispositions légales relatives aux empêchements pour cause d’alliance, parce
qu’ils se sont aimés, a répondu la Cour de
cassation à une femme qui avait épousé le
père de son ex-mari (Cass. 1re civ., 4 déc.
2013, n° 12-26.066, P+B+I : JurisData n°
2013-027409 ; Dr. famille 2014, comm. 1, à
paraître ; JCP G 2014, obs. M. Lamarche à
paraître).
MARIE LAMARCHE
B. - Pacte civil de solidarité
(…)
C. - Divorce
2 - Procédure de divorce. Absence d’obligation de substituer une demande en
divorce pour faute à une demande en
divorce pour altération défi nitive du
lien conjugal. - Lorsqu’à la suite d’une demande en divorce pour altération définitive
du lien conjugal, un époux forme une demande reconventionnelle en divorce pour
faute, le conjoint à l’origine de la procédure
est-il contraint de modifier sa demande
initiale afin de solliciter le prononcé d’un
divorce aux torts partagés ? Non répond
la Cour de cassation, pour la première fois
à notre connaissance, dans un arrêt du 11
septembre 2013 (n° 11-26.751, P+B+I :
JurisData n° 2013-019060 ; JCP G 2013,
1130, S. Thouret ; Procédures 2013, comm.
313, obs. M. Douchy-Oudot ; AJF 2013, p.
633, obs. S. David ; D. 2013, p. 283, note T.
Douville et L. Mauger-Vielpeau ; LPA 15
oct. 2013, p. 20, note J. Massip).
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014
LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE
Dans le but d’accélérer et de pacifier les
procédures de divorce, la loi n° 2004-439
du 26 mai 2004 a accru les possibilités
de passerelles entre les différents cas de
divorce et plus particulièrement vers les
formes de divorce les moins conflictuelles.
Ainsi, à tout moment de la procédure,
les époux peuvent demander au juge de
constater leur accord pour voir prononcer leur divorce par consentement mutuel.
Mais en raison de l’obligation faite au juge
d’examiner en premier lieu la demande
pour faute si une demande pour altération du lien conjugal et une demande pour
faute sont concurremment présentées (C.
civ., art. 246, al. 1er) et afin de ne pas faire
perdre au divorce pour altération définitive du lien conjugal son attractivité, il a
également été instauré une passerelle qui
permet le passage d’un divorce pour altération définitive du lien conjugal en divorce
pour faute. L’article 247-2 du Code civil
autorise alors le demandeur initial à « invoquer les fautes de son conjoint pour modifier
le fondement de sa demande ». L’emploi du
verbe « modifier » a conduit de nombreuses
juridictions du fond (V. par ex. : CA Paris,
pôle 3, ch. 2, 8 sept. 2010, n° 09/20590 :
JurisData n° 2010-016261. - CA Orléans, 5
févr. 2013, n° 12/00497. - CA Toulouse, 19
mars 2013, n° 12/00996, inédit) parmi lesquelles la cour d’appel d’Aix-en-Provence
(CA Aix-en-Provence, 19 mai 2011, n°
10/08442, inédit), à considérer que l’époux
à l’origine de la procédure est dans l’obligation de substituer à sa demande en divorce
pour altération définitive du lien conjugal, une demande en divorce pour faute.
Les magistrats se fondaient également sur
l’article 1077 du Code de procédure civile
dont l’aliéna premier affirme le principe de
l’exclusivité du fondement de la demande
et impose de déclarer irrecevable toute
demande formée à titre subsidiaire sur un
autre cas de divorce que celui sur lequel
est fondée la demande initiale alors que
l’alinéa second autorise, notamment dans
l’hypothèse de l’article 247-2 du Code civil,
de substituer à une demande fondée sur
un des cas de divorce définis à l'article 229
du Code civil une demande fondée sur un
autre cas. Mais contrairement à l’avis de
l’avocat général (Gaz. Pal. 10 oct. 2013, p.
10, avis P. Chevalier), la première chambre
civile de la Cour de cassation a censuré
cette analyse. Elle considère que la cour
d’appel a fait une fausse application de l’article 1077 du Code de procédure civile. En
l’espèce, l’époux n’a pas souhaité modifier
sa demande initiale en altération définitive
du lien conjugal, il a cependant sollicité à
titre subsidiaire le prononcé d’un divorce
aux torts partagés des époux. Pour la Cour
de cassation, une telle sollicitation « ne peut
être regardée comme une demande formée
à titre subsidiaire ». Il est vrai qu’une telle
qualification imposerait que la demande
en divorce pour faute soit examinée si la
demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal est rejetée. Or tel
n’est pas le cas, bien au contraire, le juge
étant tenu d’examiner d’abord la demande
en divorce pour faute. Si la solution adoptée par la Cour de cassation est explicite et
précise les règles applicables à cette procédure de divorce, elle laisse perplexe quant à
la nature de cette « sollicitation à titre subsidiaire ». Certains auteurs la qualifient de
demande « contre-reconventionnelle » (J.
Massip, note préc.). D’autres de « demande
reconventionnelle qui se greffe sur une
demande reconventionnelle » (S. Thouret,
note préc.).
L’arrêt du 11 septembre 2013 s’inscrit
parfaitement dans l’esprit de la réforme
du divorce. En effet, contraindre le demandeur à substituer à sa demande pour
altération définitive du lien conjugal une
demande en divorce pour faute crée un
risque d’un double débouté. L’autorisation de maintenir la demande en divorce
pour altération définitive du lien conjugal permet, en l’absence de faute établie,
d’examiner l’existence de cette altération
et ainsi d’aboutir au prononcé du divorce
sans qu’il ne soit nécessaire de débuter une
nouvelle procédure. Par ailleurs, en cas de
rejet du divorce pour faute, le divorce qui
peut être prononcé est un divorce classiquement qualifié de moins conflictuel ce
qui répond aux fins d’apaisement de la
procédure. Enfin, si la Cour de cassation
affirme que le conjoint, demandeur initial,
ne peut pas être contraint de substituer à sa
demande initiale une demande en divorce
pour faute, elle n’exclut pas cette possibilité. Une telle substitution ouvrira la possibilité aux juges de prononcer un divorce aux
torts exclusifs du défendeur, mais fermera
les portes au prononcé d’un divorce pour
altération définitive du lien conjugal.
CHRISTELLE COUTANT-LAPALUS
3 - Date des effets de la séparation. - Le
divorce produit ses effets à des dates multiples, rendant la question passablement
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014
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complexe (V. F. Hébert, in Droit de la famille, P. Murat (ss dir.) : Dalloz Action 2013,
6e éd., n° 133.11 s.). Deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation du 23 octobre 2013 (n° 12-21.556,
P+B+I : JurisData n° 2013-023212 ; JCP G
2013, act. 1163. - n° 12-17.896, P+B+I : JurisData n° 2013-023205 ; JCP G 2013, act.
1164 ; JCP G 2013, doctr. 1323, n° 11, obs.
A. Tisserand-Martin ; JCP N 2013, n° 50,
1290, J. Massip), rendus au visa de l’article
262-1 du Code civil, illustrent les difficultés
que pose le jeu de la rétroactivité dans les
rapports entre époux.
Une des deux affaires (n° 12-17.896) ne
concernait pas un divorce mais une séparation de corps : on sait toutefois que la
séparation de corps entraîne toujours séparation de biens et que, en ce qui concerne
les biens, la date à laquelle la séparation
de corps produit ses effets est déterminée conformément aux dispositions des
articles 262 à 262-2 du Code civil, si bien,
qu’en l’espèce, les époux mariés sous le
régime légal devaient procéder à la liquidation de leur communauté comme dans
l’hypothèse d’un divorce (étant précisé que
l’affaire était jugée sous l’empire du droit
antérieur à la réforme de 2004 qui renvoyait
à la date de l’assignation et non à la date de
l’ONC comme le fait l’actuel article 262-1
du Code civil). L’épouse entendait que lui
soit déclarées inopposables des cessions de
titres négociables communs, consenties à
une société par le mari seul après l’assignation en séparation de corps. La cour d’appel
avait rejeté les prétentions de l’épouse en se
fondant sur l’idée que l’acte avait été valablement passé par l’époux : « l’examen des
pouvoirs des époux pour engager les biens
communs entre [la date de l’assignation
(lire aujourd’hui : la date de l’ordonnance
de non-conciliation)] et [le prononcé de
la séparation de corps] devait s’apprécier
au regard de la situation juridique au jour
où les actes avaient été passés sans tenir
compte de la rétroactivité trouvant sa cause
dans une décision non encore prononcée ; qu’il s’en déduisait que les pouvoirs
[du mari] devaient s’analyser non pas en
application des règles de l’indivision postcommunautaire mais conformément aux
dispositions des articles 215 et suivants et
1421 et suivants du Code civil ». Vraie en ce
qui concerne les tiers, une telle affirmation
devient fausse dans les seuls rapports entre
époux du fait de la rétroactivité engendrée
par l’article 262-1 : une longue tradition
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LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE
doctrinale (V. not., J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux : Armand
Colin, 2001, 2e éd., n° 490 et réf cit. - F.
Terré et Ph. Simler, Les régimes matrimoniaux : Précis Dalloz, 2011, 6e éd., n° 569 et
578. - J.-P. Claux et S. David, Droit et pratique du divorce : Dalloz Référence, 2012,
2e éd., n° 234-43) relayée par des décisions
judiciaires (V. Cass. 1re civ., 8 déc. 1981, n°
80-15.058 : Bull. civ. 1981, I, n° 369) estime
en effet, qu’à compter de l’ONC, les époux
perdent les pouvoirs qu’ils tirent de l’article
1421 du Code civil sur les biens communs
et administrent désormais ces biens sur la
base du droit de l’indivision exigeant normalement l’unanimité. Gênée par le jeu de
la rétroactivité, la cour d’appel choisit de
faire survivre à l’ONC les pouvoirs que les
époux tirent du jeu du régime matrimonial. Ce raisonnement vaut à la cour d’appel d’être sanctionnée : la Cour de cassation rappelle que « dans les rapports entre
époux, le jugement de séparation de corps
qui emporte dissolution de la communauté prend effet au jour de l’assignation
[aujourd’hui : de l’ordonnance de nonconciliation], de sorte que la consistance
de la communauté est fixée à cette date ;
qu’il en résulte que les actes accomplis
sur les biens communs postérieurement
à celle-ci par un seul époux, ne sont pas
opposables à l’autre ». Si les tiers - auxquels
le divorce n’est opposable qu’après les formalités de mention en marge des actes de
l’état civil - ne peuvent pas être inquiétés
(hormis l’hypothèse de fraude : V. C. civ.,
art. 262-2), en revanche l’époux prend le
risque que l’acte lui soit inopposable dans
le partage de communauté et, par conséquent, d’être responsable de sa gestion et
d’assumer les pertes que l’indivision postcommunautaire a pu subir de son fait :
l’hypothèse se présentera lorsque la valeur
du bien cédé aura augmentée entre la cession et le partage, le bien étant compté, au
profit de l’époux auquel l’acte est inopposable, non pour la valeur de cession, mais
pour sa valeur au jour du partage. En pratique, on retiendra donc qu’après l’ordonnance de non-conciliation - et sans doute
même après une séparation de fait qui peut
provoquer une rétroactivité de la date de
dissolution de la communauté (V. C. civ.,
art. 262-1, al. 2) - la cogestion devrait donc
s’imposer sur les biens communs...
Dans la seconde affaire (n° 12-21.556),
en raison d’une longue séparation de fait
des époux, le tribunal puis la cour d’appel
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avaient reporté les effets du jugement de
divorce entre les époux, quant aux biens, à
la date où ils avaient cessé de cohabiter et
de collaborer (C. civ., art. 262-1). Ce report
avait entraîné un différent entre les époux
au sujet de l’indemnité d’occupation due
par le mari au titre de sa jouissance privative du logement conjugal et l’arrêt d’appel
avait considéré que celui-ci était redevable
d’une indemnité à compter de la dissolution du régime - i.e. de la séparation de
fait - et jusqu’au partage, l’article 262-1 du
Code civil devant, pour la Cour, se combiner avec l’article 815-9 relatif à la jouissance
des biens indivis. L’arrêt est censuré au
motif que « la décision par laquelle le juge
du divorce reporte ses effets patrimoniaux
entre les époux à la date à laquelle ils ont
cessé de cohabiter et de collaborer, n’a pas
pour effet de conférer à l’occupation du
logement conjugal par l’un d’eux un caractère onéreux avant la date de l’ordonnance
de non-conciliation, sauf disposition en ce
sens dans la décision de report ». L’origine
de cette censure réside dans un ajout à l’article 262-1 du Code civil opéré par la loi du
26 mai 2004 qui précise que « la jouissance
du logement conjugal par un seul des époux
conserve un caractère gratuit jusqu’à l’ordonnance de non-conciliation, sauf décision
contraire du juge ». Comme dans l’article
255, 4° du Code civil qui enjoint au juge, attribuant la jouissance du logement à un des
époux lors de l’ONC, d’en préciser le caractère gratuit ou non, le législateur a cherché à
réduire les difficultés liquidatives qui survenaient au sujet de l’occupation du logement
par un des époux. La disposition de l’article
262-1 qui présume la gratuité de l’occupation à une époque où la communauté est
dissoute du fait du report, mais où aucune
procédure de divorce n’est encore entamée,
est bienvenue : il est sain de partir de l’idée
qu’en mariage l’occupation du logement est
a priori l’expression du devoir de secours et
de la contribution aux charges du mariage ;
ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles (par exemple lorsque l’époux se
maintenant dans le logement est beaucoup
plus fortuné que l’autre ou y exerce une activité professionnelle) que le juge dérogera
à la gratuité, comme le permet l’article 2621. L’intérêt du présent arrêt est de préciser
que c’est le juge statuant sur le report qui est
compétent pour décider éventuellement du
caractère onéreux de la jouissance jusqu’à
l’ONC. L’article 262-1 prévoyant que la demande de report de la dissolution à la date
de la séparation de fait ne peut être formée
qu’à l’occasion de l’action en divorce, il faut
comprendre qu’il ne sera par conséquent
plus possible de revenir, au stade de la liquidation, sur ce qui aura été arrêté par le juge
du divorce. Voici encore un cas où le juge
du divorce statue sur un des éléments de la
future liquidation…
PIERRE MURAT
2. Enfants
A. - Filiation
4 - La fraude exclusive de l’intérêt supérieur de l’enfant. - Après avoir considéré
dans les arrêts du 6 avril 2011 (Cass. 1re
civ., 6 avr. 2011, n° 09-66.486 : JurisData
n° 2011-005611. - n° 10-19.053 : JurisData
n° 2011-005609. - n° 09-17.130 : JurisData
n° 2011-005607 ; Dr. famille 2011, étude 14,
obs. C. Neirinck) que l’intérêt supérieur de
l’enfant - apprécié abstraitement - était de
ne pas naître d’une mère porteuse, la première chambre civile de la Cour de cassation dans les arrêts rendus le 13 septembre 2013 (n° 12-30.138, P+B+R+I :
JurisData n° 2013-018928. - n° 12-18.315,
P+B+R+I : JurisData n° 2013-018930 ;
Rev. Lamy dr. civ. nov. 2013, n° 109, p. 41,
obs. C. Brunetti-Pons), franchissant une
étape supplémentaire dans l’indifférence
aux droits de l’enfant, affirme « qu’en présence de cette fraude, ni l’intérêt supérieur
de l’enfant que garantit l’article 3, § 1 de
la Convention internationale des droits
de l’enfant, ni le respect de la vie privée et
familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne
sauraient être utilement invoqués ».
Dans les deux arrêts, il s’agissait d’un
homme qui avait conçu un (des) enfant(s)
avec une femme indienne, vraisemblablement dans le cadre d’une convention de
gestation pour autrui. Après sa naissance,
l’enfant reconnu par ses deux parents (y
compris donc la mère porteuse), est abandonné par sa mère au profit de son père qui
le ramène en France. À son retour le père
tente, d’une part de faire transcrire l’acte
de naissance indien sur les actes d’état civil
français, d’autre part de faire valoir la reconnaissance anténatale des enfants qu’il a
effectuée en France.
Comme elle l’avait déjà fait en 2011, la Cour
de cassation dénie tout effet en France à la
convention de mère porteuse, contraire à
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014
LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE
l’ordre public, et refuse la transcription de
l’acte de naissance étranger. La solution est
même plus tranchée qu’en 2011 puisque la
filiation paternelle n’échappe pas à la censure même si elle est conforme à la vérité
biologique. Le ministère public avait également intenté, sur le fondement de l’article
336 du Code civil, une action en contestation de la filiation à laquelle, logiquement,
l’auteur du pourvoi opposait qu’il était bien
le père de l’enfant. En réalité, il s’agissait
d’une action en nullité de la reconnaissance, ce qui était remis en cause n’étant pas
la véracité de la filiation, mais la conformité
de la reconnaissance aux règles de forme ou
de fond auxquelles elle est soumise. Annulant la reconnaissance sur le fondement de
la fraude, la Cour de cassation ferme également cette possibilité d’établir la filiation
paternelle de l’enfant né d’une convention
de mère porteuse à l’étranger.
Toutefois, si on peut admettre, qu’on dénie
tout effet aux actes établissant la filiation
de l’enfant en raison de la fraude à la loi,
la question reste posée de la conformité de
cette solution aux droits fondamentaux. Si
on pouvait être en désaccord sur l’acception
de l’intérêt supérieur de l’enfant adoptée
par la Cour de cassation dans les arrêts de
2011, il fallait au moins reconnaître qu’elle
appliquait le principe de primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant. En 2013, elle refuse
ni plus ni moins de procéder au contrôle de
conventionnalité. La Cour de cassation fait
ainsi primer la fraude sur l’intérêt supérieur de l’enfant alors que l’article 3, § 1 de
la Convention internationale des droits de
l’enfant lui enjoint de faire le contraire. La
fraude des parents entraîne toute possibilité
pour l’enfant de voir sa filiation paternelle
établie en France alors même qu’il s’agit
d’une filiation conforme à la vérité biologique ; plus que jamais fraus omnia corrompit... mais dans l’intérêt de qui ?
ADELINE GOUTTENOIRE
5 - Abandon et adoption : le système
français conforme à la CEDH. - L’arrêt
Zambotto Perrin contre France, rendu
par la Cour EDH, le 26 septembre 2013
(n° 04962/11 : JurisData n° 2013-022197 ;
JCP G 2013, act. 1080, obs. K. Blay-Grabarczyk), concerne une affaire dans laquelle
une mère, qui n’avait établi aucun contact
avec sa fille depuis sa naissance, en dehors
d’une visite à la pouponnière et d’un colis
pour son premier anniversaire, a vu prononcer à son encontre une déclaration
judiciaire d’abandon sur le fondement
l’article 350 du Code civil, suivie un an plus
tard d’un jugement d’adoption plénière de
l’enfant. Trois ans après la déclaration judiciaire d’abandon, un appel nullité fut interjeté par la mère, au motif que la procédure
n’avait pas respecté son droit fondamental
d’être assisté de son curateur. La cour d’appel déclara son recours recevable mais le
rejeta au fond. La mère de l’enfant présenta
une requête à la Cour EDH, considérant
que la déclaration d’abandon judiciaire et
l’adoption plénière constituaient des violations de son droit au respect de sa vie familiale fondé sur l’article 8 de la Convention.
La Cour européenne s’attache tout d’abord
à vérifier si, préalablement à la déclaration
d’abandon et au prononcé de l’adoption,
l’État avait rempli son obligation de favoriser le développement du lien familial. Elle
affirme ensuite que l’article 350 du Code
civil vise à préserver la santé et la moralité
des mineurs, et à protéger leurs droits, en
permettant de déclarer abandonné l’enfant
dont les parents se sont manifestement
désintéressés pendant une durée d’un an
et de le rendre adoptable. Elle relève que la
mère n’avait pas investi le lien de filiation
de manière significative et en déduit que
les autorités locales ont pu, sans outrepasser leur marge d’appréciation, estimer que
la déclaration d’abandon était une mesure
correspondant à l’intérêt supérieur de
l’enfant et proportionnée au but légitime
poursuivi.
Si la Cour relève que la déclaration d’abandon a été prononcée en première instance
dans des conditions ne satisfaisant pas aux
règles internes applicables aux majeurs
protégés, elle constate que la cour d’appel
avait procédé à un nouvel examen complet
de la demande, ce qui permettait de rétablir les droits procéduraux de la requérante
qui n’avait pas été respectés en première
instance.
Une fois la déclaration d’abandon décidée,
l’intérêt supérieur de l’enfant était de voir
sa situation personnelle stabilisée et sécurisée par l’établissement d’un lien légalement reconnu avec sa famille d’accueil ; la
Cour en déduit que le délai d’un an entre la
déclaration judiciaire d’abandon et l’adoption n’est pas contraire aux exigences de
l’article 8.
ADELINE GOUTTENOIRE
6 - Adoptabilité d’un enfant confié en
Kafala ayant acquis la nationalité fran-
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014
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çaise. Dans quels cas le consentement à
l’adoption par un conseil de famille ad
hoc est-il possible ? - Depuis la loi du 6
février 2001, l’adoption d’un enfant confié
en Kafala est impossible (C civ., art. 370-3,
al. 2 : « l’adoption d’un mineur étranger ne
peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution »). Le principe n’est
toutefois pas sans tempéraments. Deux
sont explicitement visés par le texte du
Code civil. L’interdiction ne concerne que
les enfants mineurs (par ex : Cass. 1er civ., 6
avr. 2010, n° 10-30.821 : JurisData n° 2011005584 ; Bull. civ. 2010, I, n° 73). Elle est,
en outre, levée si « ce mineur est né et réside
habituellement en France ». Une troisième
voie consiste à faire acquérir la nationalité française à l’enfant : changeant de loi
nationale, l’enfant devient adoptable. La
manœuvre est d’autant moins frauduleuse
que l’acquisition de la nationalité française
nécessite une réelle intégration en France
(V. C. civ., art. 21-12 : peut réclamer la nationalité française, « l’enfant qui, depuis au
moins cinq années, est recueilli en France et
élevé en France par une personne de nationalité française » ; pour un exemple, où ces
conditions faisaient défaut, Cass. 1re civ.,
14 avr. 2010, n° 08-21.312 : JurisData n°
2010-004002 ; JDI 2010, comm. 10, p. 803).
Le procédé a été implicitement validé par
la Cour de cassation (Cass., avis, 17 déc.
2012, n° 12-00.013), mais encore faut-il,
pour que l’adoption soit prononcée, que
les conditions requises du droit français
soient réunies. Or, la question du consentement à l’adoption par les parents par le
sang demeure entière dès lors que ces pays
ne connaissent pas cette institution. Dans
une affaire dramatique qui s’inscrivait dans
le cadre du génocide rwandais, la Cour de
cassation avait admis que le consentement
à l'adoption pouvait relever d'un conseil de
famille ad hoc réuni après l'acquisition de la
nationalité française (Cass. 1re civ., 30 sept.
2003, n° 01-02.630 : JurisData n° 2003020390 ; Bull. civ. 2003, I, n° 194). Dans
un arrêt rendu le 4 décembre 2013, la Cour
de cassation réaffirme que le changement
de statut personnel de l’enfant permet son
adoption, mais elle énonce également que,
conformément au droit interne de l’adoption (C. civ., art. 348-2), celle-ci ne peut être
prononcée si les parents par le sang n’y ont
pas préalablement consenti (Cass. 3e civ., 4
déc. 2013, n° 12-26.161, P+B+I : JurisData
n° 2013-027970). En l’espèce, en 2004, une
décision de justice marocaine a attribué à
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43
LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE
deux époux français une kafala sur le petit
Abdellah, alors âgé d’un peu plus d’un an.
Quelque temps auparavant, un jugement
marocain avait déclaré l’enfant « délaissé »
par sa mère, faute pour celle-ci de subvenir
à ses besoins. En 2010, Madame a souscrit
une déclaration de nationalité française
au nom de l’enfant sur le fondement de
l’article 21-12, 1° du Code civil, puis les
époux X ont sollicité l’adoption plénière
de l’enfant. La cour d’appel de Nouméa
avait, le 25 juin 2012, refusé l’adoption en
estimant que « la demande d’adoption était
faite en fraude de la loi marocaine ». C’était
donc le principe même de l’adoption qui
était impossible aux yeux des magistrats de
Nouméa. La censure paraissait inéluctable
après l’avis rendu par la Cour de cassation le 17 décembre 2012 (préc.). La Cour
de cassation rejette néanmoins le pourvoi mais en procédant par substitution
de motifs comme l’autorise l’article 1015
du Code de procédure civile. L’adoption
après acquisition de la nationalité française demeure possible, mais, selon la Cour
de cassation, le conseil de famille ne peut
donner son consentement que « lorsque les
père et mère de l’enfant sont décédés, dans
l’impossibilité de manifester leur volonté
ou s’ils ont perdu leurs droits d’autorité parentale ou encore lorsque la filiation n’est
pas établie » (C. civ., art. 348-2). Les Hauts
magistrats, agissant à l’instar des juges du
fond, constatent que les époux n’apportent
pas la preuve d’un « désintérêt volontaire
de la mère » mais seulement que l’enfant
avait été déclaré « délaissé » par celle-ci. Ils
en tirent comme conclusion que le conseil
de famille ne pouvait valablement consentir
à l’adoption. La position de la Cour de cassation paraît cohérente. Il aurait été pour
le moins surprenant que, pour des enfants
provenant de pays qui prohibent l’adoption, un changement de nationalité les affranchisse de l’exigence du consentement à
l’adoption, alors que dans toutes les situations d’adoption internationale, le prononcé d’une adoption plénière n’est possible
que si le consentement du représentant
légal a été éclairé sur les effets de l’adoption
plénière française (C. civ., art. 370-3, al. 3).
Certains noteront que le droit positif n’est
plus si éloigné de la jurisprudence, pourtant si décriée, qui a donné lieu à la loi du
6 février 2001. Dans l’arrêt Fanthou, le 10
mai 1995 (Cass. 1re civ., 10 mai 1995, n° 9317.634 : JurisData n° 1995-001019), la Cour
de cassation affirmait en effet que « deux
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époux français peuvent procéder à l’adoption d’un enfant dont la loi personnelle ne
connaît pas ou prohibe cette institution, à
la condition qu’indépendamment des dispositions de cette loi, le représentant du
mineur ait donné son consentement en
pleine connaissance des effets attachés à
l’adoption et, en particulier, dans le cas de
l’adoption plénière du caractère complet et
irrévocable de la rupture des liens entre le
mineur et sa famille par le sang ou l’autorité des tutelles de son pays d’origine ».
Beaucoup de bruit pour rien ? Peut-être
pas. Outre le truchement de l’acquisition
de la nationalité française, l’adoptabilité
de tels enfants suppose un consentement
à l’adoption qui, selon le droit français n’a
pas, en principe, à être donné pour telle ou
telle forme d’une adoption. Mais on imagine mal demain que la Cour de cassation
n’exige pas, comme pour toutes adoptions
internationales que le consentement l’ait
été en pleine connaissance des effets attachés à la loi française. Reste que la jurisprudence antérieure à la loi du 6 février 2001
avait montré à quel point la preuve de ce
consentement était délicate à établir.
HUBERT BOSSE-PLATIÈRE
B. - Autorité parentale
7 - Le droit de visite de la concubine doit
être conforme à l’intérêt de l’enfant. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 23 octobre
2013 (n° 12-20.560, inédit) concerne une
configuration familiale devenue « classique » dans la jurisprudence de ces dernières années. Un couple de femmes forme
le projet commun de concevoir un enfant.
L’enfant conçu par insémination artificielle
en Belgique est ensuite élevé par les deux
femmes. Après trois ans de vie commune,
survient la séparation des concubines qui
entraîne, de fait, la rupture des liens entre
l’enfant et celle des deux femmes qui n’est
pas sa mère. L’ex-concubine de la mère de
l’enfant sollicite un droit de visite à l’égard
de l’enfant en arguant du fait qu’elle fait
partie de l’histoire personnelle de celui-ci.
Si sa demande fondée sur l’article 371-4 du
Code civil est incontestablement recevable,
elle est considérée comme mal fondée, car
contraire à l’intérêt de l’enfant. Le motif
essentiel du refus du droit de visite réside
dans la rupture des relations de l’enfant
avec l’ancienne compagne de sa mère depuis trois ans. Cette rupture a abouti au fait
que la requérante est « devenue une étrangère pour l’enfant ». Le détachement de
celui-ci va même jusqu’au rejet puisque la
cour d’appel a constaté que la mise en place
d’un droit de visite après la décision de
première instance a perturbé l’enfant. On
ne peut qu’approuver la solution de l’arrêt
du 23 novembre 2013 en ce qu’il est fondé
sur l’intérêt de l’enfant qui doit impérativement rester le critère central des décisions
relatives aux relations personnelles de l’enfant avec des tiers, parents ou non. On ne
peut toutefois s’empêcher d’être gêné par
le fait qu’en réalité, c’est la mère de l’enfant
qui, mettant le juge devant le fait accompli,
impose la décision.
ADELINE GOUTTENOIRE
8 - Assistance éducative. La kafala, le juge
des enfants et l’autorité parentale. - Si la
kafala est assimilable à une délégation d’autorité parentale, il conviendrait d’y mettre
fin autrement que par une mesure d’assistance éducative. Dans l’affaire examinée par
la Cour de cassation le 20 novembre 2013
(Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-26.444,
inédit : JurisData n° 2013-026226), un enfant avait été confié par le juge des enfants
à la suite de la séparation du kafil avec son
épouse, comme « tiers digne de confiance ».
La tutelle n’aurait-elle pas été plus adaptée,
l’enfant étant dépourvu de parents susceptibles d’exercer l’autorité parentale (C. civ.,
art. 390 et art. 373 combinés) ? Cela n’empêche pas le juge de fixer un droit de visite
« médiatisé » à l’oncle sans en définir la
périodicité, ce qui vaut une cassation pour
des motifs désormais classiques mais dans
un contexte qui l’est moins : l’oncle étant
considéré comme le parent de l’enfant alors
qu’il n’est que le délégataire de l’autorité parentale. Enfin, selon un usage assez répandu
semble-t-il, le magistrat a imprudemment
déléguer partiellement à Mme Y les attributs de l'autorité parentale lui permettant
de prendre « toute décision urgente relative
à la scolarité, aux loisirs et à la santé », un
point également motif à cassation. L’article
375-7 du Code civil permet au juge des enfants d’autoriser la personne ou le service à
qui est confié l'enfant à accomplir un acte
relevant de l'autorité parentale à titre exceptionnel et lorsque l'intérêt de l'enfant le justifie, en cas de refus abusif ou injustifié ou
de négligence des détenteurs de l'autorité
parentale. On est loin de l’interprétation
extensive qu’en donnent certains juges des
enfants qui, pour contourner les difficul-
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014
LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA CHRONIQUE
tés qui ne manquent pas de surgir entre le
service ou la personne à qui l’enfant a été
confié et les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, s’attribuent une compétence
qu’ils n’ont pas. Seul le JAF sur demande
du tiers recueillant en cas de désintérêt ou
d’impossibilité des père et mère (C. civ., art.
377, al. 2) pourrait en tirer toute conclusion
utile dans l’intérêt de l’enfant.
YANN FAVIER
9 - Représentation du mineur et intérêt
de l’enfant. - Priver le parent survivant par
une disposition testamentaire de l’administration légale non seulement ne porte
pas atteinte à la réserve héréditaire (Cass.
1re civ., 6 mars 2013, n° 11-26.728, P+B+I :
JurisData n° 2013-003729 ; JCP G 2013, act.
330 ; Dr. famille 2013, comm. 73, obs. M.
Bruggeman) mais une telle clause ne peut
être écartée par le juge au motif de l’intérêt de l’enfant (Cass. 1re civ., 26 juin 2013,
n° 11-25.946, P+B+I : JurisData n° 2013013140 ; JCP G 2013, act. 796 ; Dr. famille
2013, comm. 124, obs. I. Maria). En l’espèce, il s’agissait d’arbitrer le conflit entre
le veuf et son beau-père, l’enfant ayant été
institué légataire universel. Pour réputer la
clause d’exclusion non écrite, les juges du
fond y ont vu un règlement de comptes
post-mortem faisant fi de l’intérêt de l’enfant, ce qui revenait à ajouter une condition
inexistante dans la loi (C. civ., art. 389-3, al.
3) et conduit à une cassation assez logique.
L’intérêt de l’enfant ne peut justifier d’écarter une disposition testamentaire organisée
comme une exception au pouvoir d’administration légale, ce qui n’écarte pas pour
autant toute possibilité de contrôle du JAF
en cas de nécessité en vertu des pouvoirs
généraux qui lui sont conférés. Le conflit
pourrait également se déplacer sur le terrain de l'opposition d'intérêts. Cette notion
est d’ailleurs très sollicitée dans le droit de
l’enfance autour de la figure de l’administrateur ad hoc dont un arrêt nous rappelle
opportunément que, même désigné après
l’assignation, il représente utilement le
mineur « dans toute contestation de filiation » (l’affirmation est générale et appelle
un principe) pour peu qu’il soit régulière-
ment appelé à l’instance dans le délai préfix
de cinq ans prévu par l’article 333, alinéa
2 du Code civil (Cass. 1re civ., 6 nov. 2013,
n° 12-19.269 : JurisData n° 2013-024945).
YANN FAVIER
C. - Obligations alimentaires
10 - Évaluation de la contribution à l’entretien de l’enfant et table de référence.
- Dans un arrêt rendu le 23 octobre 2013,
la première chambre civile de la Cour de
cassation (n° 12-25.301, P+B+I : JurisData n° 2013-023208 ; JCP G 2013, 1269,
É. Bazin) censure un arrêt de cour d’appel
ayant fixé une contribution à l’entretien
d’une enfant en se référant expressément à
la table de référence annexée à la circulaire
du 12 avril 2010 : « en fondant sa décision
sur une table de référence, fût-elle annexée
à une circulaire, la cour d’appel, à laquelle il
incombait de fixer le montant de la contribution litigieuse en considération des seules
facultés contributives des parents de l’enfant
et des besoins de celui-ci, a violé, par fausse
application, l’article 371-2 du Code civil ».
Cette table de référence, issue d’un travail de réflexion mené sur l’introduction
d’une méthode uniforme d’évaluation des
pensions alimentaires, tend vers une harmonisation des pratiques judiciaires (sur
celle-ci : I. Sayn et C. Bourreau-Dubois, Présentation de la table de référence pour fixer le
montant de la contribution à l’entretien et à
l’éducation des enfants : AJF 2010, p. 458).
Transmise par voie de circulaire administrative (Circ. n° CIV/06/10, 12 avr. 2010, de
diffusion d’une table de référence permettant la fixation de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants sous forme
de pension alimentaire, www.justice.gouv.
fr/art_pix/table_pa_20100715.pdf. - note
explicative
www.justice.gouv.fr/art_pix/
note_explicative_table_pa_20100725.pdf ),
elle ne s’impose pas aux magistrats qui sont
libres de l’utiliser ou non. Lorsque c’est le
cas, les magistrats ne sont pas tenus par le
montant proposé par la table ; celui-ci étant
simplement indicatif.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation reproche
à la cour d’appel non pas d’avoir utilisé la
43
table de référence mais plutôt d’avoir motivé sa décision en se référant à celle-ci et non
aux critères légaux. En effet, cet outil d’aide
à la décision n’enlève pas au juge son pouvoir souverain d’appréciation des éléments
factuels que sont les ressources parentales
et les besoins de l’enfant. L’utilisation du
barème ne le soustrait pas non plus à son
obligation de motiver sa décision au regard
des critères posés à l’article 371-2 du Code
civil à savoir les facultés contributives des
parents et les besoins de l’enfant. Dès lors, le
juge peut utiliser la table de référence en le
précisant aux parties mais il doit motiver sa
décision au regard de ces deux conditions
légales et des éléments de l’espèce. Le but
est d’éviter une application systématique
et mécanique de la table qui conduirait à
ne plus prendre en compte les particularités de certaines situations familiales faute
d’appréciation concrète de ces dernières.
Une telle pratique risquerait également de
limiter fortement l’efficience des arguments
développés par les parties à l’appui de leurs
prétentions.
Tout en se référant à la table, la cour d’appel
considérant que « l’exercice d’un droit d’accueil restreint augmente, de façon non négligeable, les charges du parent au domicile
duquel l’enfant réside » augmente le montant de la contribution due en application
de la table (140 euros/mois en cas de droit
de visite classique). Le père exerçant un
droit de visite limité au dimanche, la cour
d’appel fixe la contribution à 180 euros par
mois sans se référer aux facultés contributives des parents - seul critère légal d’évaluation avec les besoins de l’enfant - qui sont
déterminées par les ressources parentales
corrélées à leurs charges respectives. En se
référant à des charges supplémentaires pour
le parent créancier lié à un accueil restreint,
la cour d’appel majore la contribution dans
un esprit contraire à la logique qui a guidé
la construction de la table de référence (AJF
2013, p. 598, J.-C. Bardout). Bien que non
liée par le montant fixé par la table, la cour
d’appel fait une application de celle-ci revisitée par ses soins en oubliant les critères
d’évaluation prévus par la loi.
MURIEL REBOURG
ACTUALITÉ BIBLIOGRAPHIQUE
P. Murat (ss dir.), Droit de la famille : Dalloz
action, éd. 2014/2015. - A. Gouttenoire et P.
Courbe, Droit de la famille : Sirey, 2013. M. Schulz, C. Doublein et L. Néliaz, Droit et
pratique de l’adoption : éd. Berger-Levrault,
2013. - J. Sosson et G. Schamps (ss dir.) : La
gestation pour autrui, vers un encadrement ? : Bruylant, 2013. - J. Sosson et H. Ful-
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014
chiron, Parenté, Filiation, origine, le droit
et l'engendrement à plusieurs : Bruylant,
2013.
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