Film français en noir et blanc. 1939. 110 min. Scénario Jean Renoir
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Film français en noir et blanc. 1939. 110 min. Scénario Jean Renoir
& ' . / ( ) 0 * & + 1 2 , 3 ! 4 5 6 7 8 " # " $ % # Film français en noir et blanc. 1939. 110 min. Scénario Jean Renoir, avec la collaboration de Karl Koch, Camille François et des interprètes pour les dialogues. Photographie Jean Bachelet. Musique Mozart, Chopin, Saint-Saëns, J. Strauss... Arrangements de Roger Désormières. Production Claude Renoir / Nouvelle Edition Française.. Interprétation - Mardi 31 mars 1998 Marcel Dalio Nora Grégor Roland Toutain Jean Renoir Mila Parély Paulette Dubost Gaston Modot La Chesnaye. Christine. Jurieu. Octave. Geneviève de Maras. Lisette Schumacher. Avant-première gratuite Jeudi 2 avril, soit après demain soir, à 20 h 30, avant-première au Ciné-Club de Gadjo Dilo, film franco-roumain de Tony Gatlif qui sortira en salles la semaine suivante. Un très beau film qui suit un jeune Français traversant la Roumanie à la recherche d’une chanteuse tsigane. Il devient l’hôte d’un village tsigane, tombe amoureux de cette culture et surtout d’une jeune fille. Dernier volet de la “trilogie tsigane” du réalisateur (qui avait obtenu le prix Un Certain Regard à Cannes en 1992 pour Latcho Drom). Mardi prochain Une dernière séance avant les deux semaines de vacances de Pâques : L’Atalante, de Jean Vigo. Film français en noir et blanc. 1934. 80 min. Avec Michel Simon. De jeunes mariés s’installent sur une péniche, avec un vieux marin pittoresque. Ils vont découvrir Paris. Des tensions éclatent. L’Atalante, comme Zéro de conduite du même Vigo, est un film des débuts du réalisme poétique où l’on voit à leur apogée les principes du réalisateur : attention extrême aux détails, dédramatisation, et surtout une très grande liberté. L’aviateur André Jurieu est amoureux d’une femme mariée, Christine, dont le mari, le marquis de La Chesnaye, entretient une liaison. Jurieu est assisté par Octave, vieil ami de Christine : ce dernier parvient effectivement à le faire inviter dans la propriété du marquis en Sologne pour une partie de chasse. Domestiques et maîtres commencent en fait une grande partie de marivaudage dans une ambiance de plus en plus tendue. Il est difficile de faire un bilan exhaustif de tout ce qui a pu être dit sur La Règle du jeu, tout le monde ayant donné son impression sur le film, à commencer par Truffaut : “La Règle du jeu, c’est le credo des cinéphiles, le film le plus haï à sa sortie, le plus apprécié ensuite [...] A l’intérieur de ce “drame gai”, Renoir brasse sans en avoir l’air une masse d’idées générales, d’idées particulières et exprime surtout son amour pour les femmes. La Règle du jeu est certainement avec Citizen Kane le film qui a suscité le plus grand nombre de vocations de metteur en scène. On regarde ce film avec un très fort sentiment de complicité, je veux dire qu’au lieu de voir un produit terminé, livré à notre curiosité, on éprouve l’impression d’assister à un film en cours de tournage, on croit voir Renoir organiser tout cela en même temps que le film se projette, pour un peu on se dirait : “ Tiens, je vais revenir demain pour voir si les choses se passent de la même façon ” et c’est ainsi qu’à regarder souvent La Règle du jeu, on passe nos meilleures soirées 1 de l’année.” Du “film maudit” au “grand classique” Et pourtant, La Règle du jeu a mis longtemps a devenir le classique qu’il est aujourd’hui et a fait partie des grands films maudits de l’histoire du cinéma. Le film est sorti le 7 juillet 1939 sur les Champs-Elysées, à Paris. A l’issue de la première, les spectateurs et la critique furentt globalement hostiles, à quelques nuances près. Le film est interdit, et disparaît des écrans dès le mois d’août. Entretemps, et à cause des réactions du public, il a été mutilé, La version initiale de 115 minutes est réduite à 100minutes. Le rôle d’Octave en particulier est très amputé. Puis c’est la censure de la “drôle de guerre” qui interdit à l’exportation un films si “démoralisant”. L’interdiction de projection est levée en 1940, mais La Règle du jeu n’est pas projeté pendant l’Occupation. Le négatif est même détruit dans un bombardement en 1942. En 1945, ressort une copie courte et circulent ensuite pendant dix ans des copies dont la durée varie entre 80 et 90 minutes. La copie est restaurée dans sa durée et son montage original en 1958 à partir de vieilles copies, de divers documents et de l’aide de Renoir. La Règle du jeu est en fait un film typique de ciné-clubs, c’est là qu’il a véritablement été découvert dans les années d’après-guerre. “C’est un film de guerre, et pourtant 2 pas une allusion à la guerre n’y est faite” , explique pourtant le réalisateur, qui avait précédemment clairement affiché ses sympathies pour le Front Populaire dans les années 1930 (Le crime de Monsieur Lange, La Vie est à nous). Si le début de cette période fut marqué d’un mouvemeent d’espoir, La Règle du jeu, en revanche, souligne les conflits internes qui déchirent la France. Les personnages ne songent qu’à leur affaires sentimentales ou sociales et à la distraction. Leur individualisme est aussi celui de l’ensemble des Français au moment des accords de Munich. L’antisémitisme couve. Renoir laisse des allusions discrètes dans le film : Schumacher vient d’Alsace et laisse entendre que là-bas, on n’hésite pas à tirer quelques coups de fusils pour se débarrasser des gens. Christine est germanique. Robert est juif, les domestiques abordent la question.. Une chanson au cours de la fête évoque l’armée française. La partie de chasse est l’occasion d’un déploiement de violence de la part de presque tous et cette scène a d’ailleurs longtemps été perçue comme douloureusement prémonitoire. La Règle du jeu s’inscrit profondément dans son époque et fut mal reçu pour avoir rappelé certains traits. Mais ce film a aussi été mal com- pris en soi, d’un point de vue plus spécifiquement esthétique, à cause de sa grande liberté de ton et de style. Un film littéraire : la part du théâtre L’incompréhension du public est peutêtre aussi à expliquer par la nette composante littéraire du film, théâtrale en particulier. Le projet initial de Renoir était une adaptation des Caprices de Marianne, de Musset. On retrouve dans La Règle du jeu le nom d’Octave, son personnage d’intermédiaire et la situation finale : Octave a obtenu un rendez-vous galant, mais envoie son ami par fidélité, et c’est ce dernier qui est tué par le mari. Le film se place aussi sous les bons auspices de Beaumarchais, puisqu’il porte en exergue une citation du Mariage de Figaro : thèmes du théâtre de la vie (cf. Shakespeare), que Renoir reprendra d’ailleurs. Ici, c’est sous un aspect strictement social. Les personnages jouent des rôles et la société, en pleine déliquescence, toute entière se donne en spectacle. Un moment est particulièrement révélateur à cet égard, que Renoir appelle moment “de vérite” : il s’agit de la fête. Les personnages sont pris entre leurs passions sociales et leurs pulsions amoureuses, se déguisent et font tomber leurs masques. C’est le point culminant du film, auquel ont peut-être pensé plus tard Grémillon dans Lumières d’été (1942) et Bergman dans Sourires d’une nuit d’été (1955). Hommes et femmes, maîtres et domestiques se croisent dans ce passage, proche aussi de la comedia dell’arte, avant que tout ne bascule dans la tragédie à proprement parler. Dernier grand principe théâtral, celui d’une dramaturgie rigoureuse. Le film est construit sur un mouvement d’accélération en trois temps (qu’on peut ensuite subdiviser de manière plus précise, bien entendu) : un premier moment d’exposition à Paris, l’arrivée à La Colinière et la préparation de la fête, et enfin, la fête, le quiproquo et le dénouement. Renoir revendique une démarche tout à fait classique : “Je suis persuadé qu’après avoir pleuré pendant cet ans au mélodrame on va tout de même en revenir et que nous allons retomber sur les solides vérités de messieurs 3 Shakespeare, Molière et Marivaux.” Ce qui ne l’empêche pas de faire preuve d’une étonnante modernité cinématographique. Il se disait peu avant de réaliser ce film en proie au “besoin de [s]e renouveler entièrement.” Maîtrise de la composition “C’est une œuvre qu’il faut revoir comme on réécoute une symphonie, comme on médite devant un tableau, car on en perçoit mieux chaque fois les harmonies intérieures” (André Bazin). La structure d’ensemble repose effectivement sur une division très claire en séquences. Mais ce découpage immédiat est compliqué par des interruptions, des ellipses et des intrigues croisées qui s’enchaînent ou alternent. Il faut ajouter de magnifiques effets de dédoublements, d’échos, de parallélismes, par “Cœurs sensibles, cœurs fidèles exemple le triangle Christine-Robert-Jurieu, requi blâmez l’amour léger, doublé par celui de Lisette-SchumacherCessez vos plaintes cruelles, Marceau. En fait, il n’y a pas un personnage Est-ce un crime de changer ? Si l’amour porte des ailes, vedette, mais tout un groupe. “Je voulais déN’est-ce pas pour voltiger ?” peindre une société, un groupe de personnes, On retrouve de Beaumarchais un goût pour les j’étais même assez ambitieux, je voulais dérelations croisées entre les personnages, peindre presque toute une classe”. Ce choix est maîtres et serviteurs confondus, les rendez- relativement rare au cinéma et permet la mise vous crépusculaires et les méprises. On peut en place d’une architecture très sophistiquée aussi déceler des références plus discrètes à fondée d’une part sur les relations affectives Marivaux, dans la mise en parallèle des (amours, amitiés, complicités...), facteurs maîtres et des serviteurs et les chassés-croisés d’instabilité ; d’autre part sur les relations soamoureux. Renoir mêle à tout ceci des allu- ciales qui elles sont immuables et constituent sions de ton plus léger : le générique se pré- donc un facteur de stabilité. Les personnages sente comme un livret de théâtre, le maître servetn en fait de motifs. Ce film “n’est pas d’hôtel s’appelle Corneille (“Corneille ! sentimental. Ce qui ne veut pas dire que mes Faites donc cesser cette comédie !”) personnages soient privés de sentiments !Je me La Règle du jeu passe progressive- suis efforcé de les présenter de façon objective, ment du vaudeville à la tragédie, sur le vieux sans ces grandes expositions d’états d’âme auxquelles le public est ordinairement habitué.” (Renoir. Interview de 1939). Les personnages permettent une composition plus souple, en contrepoint. Durant la fête, ils sont autant de lignes mélodiques mélangées et superposées, tout comme la musique d’ailleurs (chansons populaires et danse macabre de Saint-Saëns) A propos des passages orchestrés par la musique baroque, Renoir dit avoir voulu “filmer des personnages se remuant suivant l’esprit de cette musique”. Ceci produit une impression de grande fluidité et de continuité. Une certaine liberté semble même se faire jour. Cette impression de liberté, vient peut-être en partie de l’improvisation en cours de tournage. Le résultat est un savant mélange de rigueur et de souplesse : Renoir “est parvenu à se passer totalement de structures dramatiques, le film n’est qu’un entrelacs de rappels, d’allusions, de correspondances, un carroussel de thèmes où la réalité et l’idée morale se répondent sans défaillance de signification et de rythme, de tonalité et de mélodie ; mais un 4 film pourtant merveilleusement construit...” La construction d’ensemble est soulignée par l’emploi très nouveau de la profondeur de champ. “Plus j’avance dans mon métier, plus je suis amené à faire de la mise en scène en profondeur par rapport à l’écran ; plus ça va, plus je renonce aux confrontations entre deux acteurs placés sagement devant la caméra comme chez le photographe.”, déclarait Renoir peu avant La Règle du jeu. Les plans sont en outre relativement longs. Le réalisateur fait preuve ici d’une grand virtuosité. Ceci produit des effets de mouvements incessants et une impression d’extrême densité. L’espace devient très présent au spectateur qui s’y trouve immergé, ce qui explique l’impression d’indépendance des personnages soulignée par Truffaut et cette question d’une fin sans cesse rejouée. Renoir avait le même sentiment : “Je me doutais bien que cette histoire me réserverait des surprises [...] mes personnages se mettaient à vivre pour leur propre compte. [...] Je me suis trouvé amené à modifier le style de mes films précédents. Si je devais rattacher La Règle du jeu à un de mes films, je citerais La Grande illusion. Comme ceux de La Grande illusion, les personnages de La Règle du jeu se sont échappés de mes mains et ont fait euxmêmes leur film. A la confrontation dramatique, artificiellement amenée et composée, ils ont substitué des confrontations vraies, où ils expriment avec la plus grande complexité leur caractère autonome. [...] Si vous voulez, j’essaie de passer du rythme dramatique au rythme épique. [...] Or que sont mes personnages ? On aurait tort de leur chercher un caractère symbolique, ou de trouver dans La Règle du jeu des thèmes satiriques sociaux. Ces personnages sont de simples êtres humains, ni bons, ni mauvais, et chacun d’eux est fonction de sa condition, de son milieu, de son passé. ”(Renoir. Interview de